On nous traite à grands cris de rêveurs, d’utopistes (…). Et pourtant, ce qu’on nomme civilisation qu’est-ce sinon l’œuvre d’utopistes et rêveurs. Visionnaires, poètes, rêveurs, utopistes, tant méprisés des gens « sérieux », tant persécutés par des gouvernements « paternalistes », ici pendus, là fusillés, conduits au bûcher, torturés, enfermés, écartelés à toutes les époques et dans chaque pays, ont pourtant été les initiateurs de tout mouvement progressiste, les oracles qui ont désigné aux masses aveugles l’itinéraire lumineux qui mène aux glorieuses cimes.
Rêveurs et utopistes, Ricardo Flores Magón et l’anarchisme au Mexique
Lorsqu’au Mexique on demande à quelqu’un s’il a entendu parler de Ricardo Flores Magón (Eloxochitlán, Oaxaca, 16 septembre 1873 - pénitencier de Leavenworth, Kansas, 21 novembre 1922), beaucoup répondent par l’affirmative car un grand nombre de rues, places, établissements scolaires, centres culturels et bibliothèques du pays portent son nom.
Quelques-uns le situent comme précurseur de la révolution mexicaine, ce qui, on va le voir, n’est qu’une demi-vérité, mais peu savent qu’outre le fait d’avoir été un anarchiste convaincu il fut un grand journaliste, un magnifique agitateur et un brillant penseur. Comment est-ce possible ? Parce que, pour paraphraser Walter Benjamin, l’image du passé a une table des matières cachée qu’une authentique historiographie doit révéler explicitement. Au Mexique, les régimes postrévolutionnaires ont réussi à neutraliser le magonisme en l’incorporant à l’histoire officielle après l’avoir écrasé sur le champ de bataille.
Ricardo Flores Magón et ses frères furent, à l’origine, des journalistes de formation libérale qui ont dû affronter la censure et les attaques de la police du dictateur Porfirio Díaz (1876-1911) dans leur tentative de fomenter, par voie de presse, une démocratisation du régime. Ils ont commencé par défendre leur droit à la liberté d’expression et ont fini par condamner l’Etat et toute forme de domination. Ils ont petit à petit adhéré à l’anarchisme, à partir duquel ils ont élaboré une interprétation originale combinant lutte clandestine contre la dictature de Díaz, résistance indigène, libéralisme anti-impérialiste et communisme libertaire d’inspiration kropotkinienne.
Leur projet de conjuguer la lutte des communautés indigènes du Centre et du Sud avec la lutte des journaliers du Nord en coordination avec les luttes émancipatrices des ouvriers de l’industrie nord-américaine demeure un des plus audacieux et des plus cohérents de l’histoire du Mexique contemporain.
Origines
Surgi dans la seconde moitié du XIXe siècle lorsqu’un émigrant grec, disciple de Spinoza, Fourier et Proudhon, Platino Rhodakanaty, arrive sur cette terre pour y fonder des écoles, des journaux et des sociétés de secours mutuel, l’anarchisme mexicain n’a jamais cessé d’exister sous de multiples formes ni de créer des liens fraternels, même s’ils sont souvent souterrains ou clandestins. On sait peu de chose de la vie de Rhodakanaty avant son arrivée au Mexique en 1861. José Valadés et Carlos Illiades rapportent qu’il était d’origine aristocratique, qu’il était né à Athènes vers 1828, mais on ignore la date et le lieu de sa mort car on perd ses traces à partir de 1886. D’après Illades, « ce n’était pas un homme banal. Il a vécu dans cinq pays, parlait sept langues, pratiquait trois ou quatre disciplines, élabora une médecine universelle, avait embrassé trois religions avant de se déclarer ouvertement panthéiste puis révolutionnaire. Il fut un des plus remarquables théoriciens de la tradition socialiste du Mexique au XIXe, réalisant un énorme travail politique et écrivant une œuvre aux sujets de réflexion variés : philosophie rationaliste, sociologie, psychologie et théologie, à contre-courant d’une intelligentsia rétive à la métaphysique et hostile au socialisme ».
Rhodakanaty semble avoir adhéré au socialisme dans le contexte des événements de 1848 et après avoir lu le livre de Proudhon Qu’est-ce que la propriété ? Il s’est rendu à Paris pour rencontrer ce dernier. Il n’était pas un utopiste au sens strict, surtout si on entend par là, comme l’affirme perfidement l’historien Gastón García Cantú, « un individu contradictoire et confus ». Il a plutôt combiné l’idée de communauté de Fourier avec la critique de Proudhon contre l’Etat et la propriété.
Au cours de son séjour parisien, Rhodakanaty a vent d’un décret du Président Ignacio Comonfort (1855-1858) qui offre des terres agricoles aux étrangers désirant s’établir en terre mexicaine. Sautant sur l’occasion, il part pour le Mexique, probablement pour y fonder un phalanstère. Il aborde à Veracruz aux derniers jours de février 1861, alors que Comonfort n’est déjà plus Président et qu’une guerre civile ravage le pays. Ce qui ne le décourage nullement : grâce à ses connaissances médicales et philosophiques, il obtient un poste de professeur dans l’une des écoles préparatoires de Mexico, où il transmet un mélange de spinozisme plaqué sur du christianisme social, en opposition au positivisme qui règne en maître. N’en restant pas là, il crée un cercle d’études, le Club des étudiants socialistes, groupe à l’origine de la première organisation anarchiste du pays : La Social (1865), vivier d’activistes, ce qui tend à prouver qu’outre le fait de posséder un esprit philosophique Rhodokanaty avait quelques talents d’agitateur.
Le moment était propice. Depuis le début du XIXe siècle, les premières organisations ouvrières étaient apparues – comme la Société particulière de secours mutuel, fondée à Mexico le 5 juin 1853 par des ouvriers chapeliers, et qui, loin de s’inspirer de doctrines utopistes, dérivait d’un socialisme que Carlos Rama définit comme « expérimental », critique de l’industrialisation forcée en Europe et favorable à la restauration d’un mode de vie communautaire.
Un autre Européen, Victor Considérant, disciple de Fourier, fonde un éphémère phalanstère au Texas, (1855-1857) et, dans deux lettres de 1865, reproche durement aux libéraux de ne pas avoir supprimé cette « bestialité » qu’est le péonage (1). Outre le fait que le destinataire de ces missives n’est autre que le particulièrement détesté François Achille Bazaine, maréchal commandant les troupes d’occupation françaises au Mexique, ces lettres de Considérant manifestent une conscience aiguë de la question sociale. Par ailleurs, les idées de Proudhon avaient été introduites par le libéral Melchor Ocampo, qui avait traduit quelques passages de Philosophie de la misère.
Rhodonakaty publie La Cartilla socialista (1861), premier journal mexicain se réclamant ouvertement de la doctrine socialiste. Cette publication se fixe comme objectif à long terme l’association universelle des individus et des peuples pour l’accomplissement des destinées terrestres de l’humanité. Peu après, à Chalco, Etat de Mexico, il fonde l’école du Rayo y de Socialismo, promouvant là-bas un mouvement de récupération des terres. Plus tard, il se rallie aux thèses de Bakounine quant à la guerre sociale : « Cosmopolites par nature, nous sommes citoyens de tous les pays et contemporains de toutes les époques. Les actions les plus belles et héroïques de tous les humains nous appartiennent. C’est là que surgit l’idée de régénération, là que surgissent les plus grands problèmes de la démocratie, là que bouillonne et s’établit la liberté en tout et pour tous, là que nous nous retrouvons immédiatement, la reconnaissant comme notre patrie d’adoption. »
Un de ses disciples, Julio Chávez López, devint un remarquable leader agrariste avant d’être fusillé en 1869 par le Président Benito Juárez, action que les admirateurs du Bien méritant devraient garder en mémoire. D’autres, tels Francisco Zalacosta, Santiago Villanueva et Hermenegildo Villavicencio, ont joué un grand rôle dans la création de sociétés de secours mutuels et dans l’organisation de masses urbaines ou rurales. De plus, ils ont établi des relations avec la Fédération régionale espagnole et la Fédération jurassienne, c’est-à-dire les branches libertaires de l’Association internationale des travailleurs. D’autres encore, Ignacio Fernández Galindo et Luisa Quevedo, vont se joindre à la rébellion maya de San Juan Chamula (1868-1870), qu’on peut considérer comme une révolte annonçant le mouvement zapatiste actuel.
Ce premier cycle de luttes va s’étendre sur une quinzaine d’années, débouchant sur les premières grèves victorieuses de la ville de Mexico, telle celle de l’usine textile Fama Montañesa, en juillet 1868, qui revendique de meilleures conditions de travail et la création de coopératives. Néanmoins, sur le long terme, le mouvement s’essouffle et dégénère vers la fin des années 1870, particulièrement à partir de l’installation du régime de Porfirio Díaz (1876-1911). Pourtant, dans l’ultime décennie du XIXe siècle, des noyaux de sédition surgissent, principalement animés par des immigrés nord-américains ou espagnols organisés en sociétés secrètes. Vu leur caractère clandestin, ces initiatives ont laissé peu de traces dans l’histoire du pays, mais elles ont maintenu vivaces les espoirs libertaires.
Regeneración
Le 7 août 1900 paraît, à Mexico, le premier numéro de Regeneración, hebdomadaire qui sera publié successivement dans cette capitale (de 1900 à 1901) et aux Etats-Unis (San Antonio, Texas, 1904-1905, Saint Louis, Missouri, 1905-1906, Los Angeles, Californie, 1910-1918) et jouera un rôle majeur dans la chute de la dictature de Porfirio Díaz.
Organe du Parti libéral mexicain (PLM) à partir de 1905, Regeneración est le principal instrument du mouvement politique et social connu comme « magonisme ». Par des articles, poésies, contes et même œuvres théâtrales, ses rédacteurs diffusent leurs idéaux, sans jamais plier malgré des conditions toujours plus hostiles.
Dans sa première étape, la revue est dirigée collectivement par Jesús Flores Magón (1972-1930) et Ricardo, épaulés par le plus jeune des trois frères, Enrique (1877-1954). Fils de libéraux juaristes (2), féroces ennemis de Porfirio Díaz, tous trois étaient nés à San Antonio Eloxochitlán, village indigène de l’Etat d’Oaxaca dans lequel les usages et valeurs communautaires perduraient.
La famille émigre assez vite à Mexico où Jesús, Ricardo et Enrique reçoivent une bonne éducation et rejoignent l’opposition, à partir des révoltes étudiantes de 1892 contre une des multiples réélections de Porfirio Díaz. L’année suivante, ils fondent El Demócrata qui aura une brève existence : au quatrième numéro, Jesús est arrêté et Ricardo doit fuir en province, alors qu’Enrique est laissé en liberté du fait de son jeune âge. Le coup est si dur que les frères Flores Magón ne vont renouer avec leur vocation de journalistes que sept ans plus tard, avec Regeneración.
Dans un premier temps, la revue ne se définit pas encore comme anarchiste, mais Ricardo connaît déjà les œuvres de Kropotkine, Malatesta, Tolstoï et Vargas Vila.
Le 30 août 1900, à San Luís Potosí, Juan Sarabia, Camilo Arriaga, Antonio Díaz Soto y Gama et Librado Rivera publient un manifeste dénonçant la renaissance du clergé et l’abandon des principes de la Constitution de 1857. Le 5 février suivant, ils organisent le premier congrès du PLM, au cours duquel Ricardo, orateur accompli, prononce un discours incendiaire contre le régime. A la suite de cet acte, de nombreux clubs libéraux sont fondés, et Regeneración devient le journal d’opposition le plus populaire du pays. Ses traits ne sont pas seulement dirigés contre la personne du tyran mais aussi contre la corruption, la politique des « scientifiques (3) », la mainmise des investissements étrangers et le terrible sort réservé aux ouvriers et paysans mexicains.
Le 21 mai, Jesús et Ricardo sont détenus et passent presque une année à la prison de Belén, de sinistre réputation. Regeneración cesse de paraître en octobre mais, dès sa libération, Ricardo prend en main El Hijo del Ahuizote, journal satirique qui compte dans ses rangs le fabuleux graveur José Guadalupe Posadas. En butte à la censure et à une persécution implacable, les magonistes entament un processus de radicalisation qui les conduira à une douloureuse rupture avec le secteur modéré du PLM (et en premier lieu avec Jesús, qui passe assez vite au courant dirigé par Francisco I. Madero) ainsi qu’à l’élaboration d’une pensée originale, synthèse, comme nous l’avons déjà écrit, de trois traditions : le libéralisme anticolonialiste, l’anarchisme et la lutte des peuples indigènes.
En 1904, après une autre période de réclusion, Ricardo et ses camarades se réfugient aux Etats-Unis. Ils agissent désormais à partir de ce pays sur des principes de conspiration. A San Antonio, Texas, ils republient Regeneración qu’ils envoient clandestinement par milliers d’exemplaires au Mexique, en usant de multiples stratagèmes. Práxedis Guerrero (1882-1910), infatigable activiste, admirateur de l’école rationaliste de Francisco Ferrer y Guardia et éditeur, à San Francisco, de la revue anarchiste Alba Roja, les rejoint là-bas. Issu d’une famille aisée de Guanuajuato, Práxedis avait renoncé à une vie confortable pour émigrer aux Etats-Unis et s’y faire engager comme mineur de fond.
En même temps, les sbires de Díaz persistent à poursuivre les magonistes avec la bénédiction des autorités nord-américaines et la complicité de la sinistre agence de détectives privés Pinkerton. En 1905, réclamant une révolution non seulement politique mais aussi économique et sociale, ils créent à Saint Louis le Comité d’organisation du Parti libéral mexicain. Parallèlement, ils se revendiquent anarchistes et maintiennent des liens étroits avec Florencio Bazora, Voltairine de Cleyre, Emma Goldman et Alexandre Berkman. Mais pourquoi persistent-ils à se dénommer libéraux ? « Tout se réduit à une simple question tactique, écrit Ricardo à Práxedis Guerrero. Si nous nous étions appelés anarchistes dès l’origine, personne, à part une poignée de gens, ne nous aurait prêté attention. »
En 1906, le PLM publie un programme imprimé à 750 000 exemplaires qui exhorte ouvriers et paysans à unir leurs forces pour mettre à bas le régime porfiriste. Parmi les 52 points développés, on remarque l’abolition du recrutement forcé et des chefs politiques locaux, l’égalité de droits pour les femmes, une ébauche de législation du travail (journée de huit heures, interdiction du travail des enfants, création d’un salaire minimum, etc.), l’établissement de l’éducation laïque, obligatoire et gratuite, la réforme agraire et la restitution des terres aux communautés indigènes. En janvier 1906, les militants du PLM montent la société secrète Union libérale humanité dans une mine de cuivre de Cananea (Sonora), propriété d’une compagnie nord-américaine, la Cananea Consolidated Copper company.
Le 1er juin, quelque 2 000 travailleurs manifestent pour exiger un salaire juste, équivalent à celui de leurs camarades nord-américains, ce qui débouche sur une bataille rangée entre ouvriers issus des deux nations. Le 2 juin, des rangers d’Arizona pénètrent en territoire mexicain pour attaquer tout gréviste leur opposant une résistance. Le 3 juin, le gouvernement déclare la loi martiale et le mouvement est écrasé, laissant sur le carreau 23 morts et des dizaines de blessés ou de détenus. Malgré cette défaite, la collaboration entre la dictature et les intérêts nord-américains est mise en évidence, ce qui va saper les fondements du régime. Des foyers d’agitation se succèdent à Rio Blanco (Veracruz) en 1907 et à Palomas (Coahuila) en 1908.
En juin 1907, le PLM transfère son siège à Los Angeles, où il entame une féconde collaboration avec le syndicat libertaire Industrial Workers of the World (IWW). Arrêtés au mois d’août, Ricardo et Librado vont devoir vivre trois longues années de plus dans une prison extrêmement dure. Sans se décourager, Enrique, Práxedis et les autres militants publient un hebdomadaire, Revolución (1907-1908), diffusant la propagande magoniste au Mexique et aux Etats-Unis. A la fin de la décennie, les magonistes ont d’intenses relations avec les indigènes yaquis, mayos et t arahumaras. Plusieurs de leurs écrits se réfèrent directement à la lutte des communautés indigènes.
Ricardo est remis en liberté le 3 août 1910, à la veille de la révolution. Le 3 septembre, Regeneración reparaît augmenté d’une section en anglais et d’une autre en italien. Il est tiré à 27 000 exemplaires. Outre les constantes dénonciations des conditions politiques et sociales régnant au Mexique et une chronique ponctuelle du processus révolutionnaire, Regeneración décrit la situation lamentable des travailleurs mexicains aux Etats-Unis, devenant ainsi un précurseur du mouvement chicano moderne. A cette époque, La Protesta à Buenos Aires et L’Anarchie de Paris, entre autres publications libertaires, relaient la presse magoniste.
Le PLM recrute ses militants essentiellement par trois procédés : par voie de presse, par la création de clubs et/ou sociétés culturelles et par contact direct. Il n’est pas un parti politique au sens traditionnel, comme l’est, par exemple, le Parti bolchevique en Russie, mais un réseau au sein duquel chaque groupe est autonome à partir d’un credo commun dont l’axe est l’insurrection armée contre la dictature. Grâce à Regeneración, qui sort par intermittence entre 1900 et 1918, la parole révolutionnaire pénètre au Mexique non seulement par voie de pamphlets politiques mais au travers de contes, de poèmes et de pièces de théâtre qui préfigurent ainsi le filon de l’agit-prop, si utilisée, ces dernières années, par le sous-commandant Marcos.
La figure centrale du PLM est le « délégué » (auquel Ricardo rend hommage dans son conte L’Apôtre) qui, en lisant à haute voix Regeneración ou d’autres publications radicales, mène un travail éducatif et socialise les idées dans des espaces informels comme le foyer, la cantina (4) ou la sotolería (5). Les centaines de clubs libéraux implantés dans tout le pays fomentent des grèves et organisent des rébellions qui contribueront à la chute du régime, poussant la lutte sociale bien au-delà d’un simple changement de gouvernement.
Dans la tempête
La révolution en armes se déclenche le 20 novembre 1910. La veille, Ricardo avait écrit : « La révolution va éclater d’un moment à l’autre. Nous qui, depuis tant d’années, avons guetté tous les événements de la vie sociale et politique mexicaine ne pouvons nous y tromper. Les symptômes du formidable cataclysme à venir ne peuvent être objets de doute (…). Il faut faire en sorte que ce mouvement causé par le désespoir ne soit pas un mouvement aveugle. (…) Aucun gouvernement, aussi honnête qu’on puisse l’imaginer, ne pourra décréter l’abolition de la misère. C’est le peuple lui-même, les crève-la-faim, les déshérités, qui doivent abolir la misère en prenant possession, pour commencer, de la terre qui, par droit naturel, ne peut être accaparée par quelques-uns mais est propriété de tout être humain. (…) Et maintenant, au combat ! »
Ce n’étaient pas là des paroles en l’air. Au même moment, Regeneración atteint un tirage de 30 000 exemplaires qui circulent clandestinement sur l’ensemble du Mexique, ce qui représente un nombre probablement quatre fois plus élevé de lecteurs. Les membres du PLM mènent des actions armées dans tous les Etats du Nord ainsi qu’à Oaxaca, au Yucatan, au Jalisco, à Tlaxcala, Veracruz et Tabasco. C’est le début de la brève et héroïque épopée qu’on appellera l’« autre révolution » pour mieux la différencier de celle impulsée par Francisco I. Madero.
Contrairement à ce qui a été écrit ici et là, même par des auteurs libertaires comme Benjamín Cano Ruiz, les magonistes ne sont pas les précurseurs de la révolution mexicaine mais les protagonistes d’une révolution autre, voire ennemie du maderisme, ce qui, entre autres choses, explique leur absence criante des commémorations officielles. Si le magonisme a recherché des alliances, il a toujours conservé sa propre personnalité sans se laisser absorber par aucune autre tendance. Cohérent avec ses postulats anarchistes, il renonce au militarisme et à la lutte pour le pouvoir. Il n’y a pas eu d’armée « magoniste » : le sujet de la révolution devait être le peuple lui-même, pas un dirigeant politique ou un général. Il ne s’agissait déjà plus de prendre le pouvoir mais de le détruire purement et simplement.
Le 30 décembre 1910, Práxedis G. Guerrero (1882-1910), secrétaire de la junte organisatrice du PLM, une de ses voix les plus pures, tombe à Janos, Chihuahua. « Trente libertaires ont fait mordre la poussière et subir une cruelle déroute à des centaines de sbires de la dictature porfiriste. Mais c’est aussi là qu’a perdu la vie le plus sincère, le plus empli d’abnégation, le plus intelligent des membres du Parti libéral mexicain », note Ricardo dans un douloureux hommage posthume. Lorsque, quatre années auparavant, il s’était joint aux forces magonistes, Prax, comme le surnommaient affectueusement ses camarades, était déjà familier des théories de Bakounine, Kropotkine, Reclus et Tolstoï, et de la pédagogie rationaliste de Francisco Ferrer. Comme Ricardo, c’était un poète et écrivain de talent : « Les ressentez-vous ? Ce sont les vibrations du divin marteau qui frappe du fond de l’abîme. C’est la vie qui jaillit de la noire pyramide, faisant trembler le repaire de la mort où règnent de sinistres vampires. C’est l’élan de la révolution qui avance », peut-on lire dans un de ses poèmes, qui ont ému et émeuvent encore des générations d’insoumis. Son texte le plus connu, cosigné avec Enrique Flores Magón à San Antonio, en 1909, affirme que « la révolution mexicaine n’est pas un phénomène purement politique. C’est une affaire sociale qui nous concerne directement », et il conclut par la devise acrate « Pour l’émancipation de l’humanité ».
J’ai déjà signalé que les magonistes avaient des relations fraternelles avec les peuples indigènes, en particulier, sans que ce soit exclusif, avec les Yaquis et les Tarahumaras.
Hilario C. Salas, originaire du village mixtèque de Santiago Chazumba (Oaxaca), prêche la rébellion aux habitants de la sierra de Soteapan, à Veracruz, dans leur propre langue, le popoluca. Au Yucatan, des groupes affiliés au PLM mènent la guerre en terre maya, chez les héritiers des cruzobs (6) entrés en révolte depuis la moitié du XIXe siècle. Abelardo Beave parcourt les montagnes d’Oaxaca en préparant les Indiens à la révolution qui arrive.
Le 29 janvier 1911, des guérilleros du PLM, menés par José María Leyva et Simon Berthold, renforcés par des wobblies (militants du syndicat IWW), s’emparent de la ville de Mexicali (basse Californie), y déclarant aussitôt leur intention d’y construire une république socialiste dans laquelle hommes et femmes profiteront du fruit de leur travail. « Le drapeau rouge flotte victorieusement sur Mexicali, arborant la devise Terre et liberté, sainte aspiration des libertaires mexicains », écrit Ricardo.
Le 15 février, un contingent d’approximativement 500 combattants du PLM, dont une centaine de Nord-Américains, met en déroute les troupes fédérales. Au cœur de cette épopée, on retrouve les légendaires wobblies Joe Hill et Frank Little, Fernando Palomarez, indigène mayo du Sinaloa infatigable organisateur et vétéran de la grève de Cananea, l’indigène canadien et wobbly William Stanley, ou Margarita Ortega, femme exceptionnelle, à la fois apôtre, combattante et infirmière. Cet épisode est l’un des plus intéressants, des moins connus et des plus calomniés de la révolution mexicaine, car la présence de combattants internationaux va être passée à l’Histoire comme une « flibusterie ».
« Nous participons à la bataille mondiale pour l’émancipation humaine », écrit Ricardo à Emma Goldman. « Notre cause est la vôtre. Je suis du côté de la vraie révolution mexicaine, celle qui a pour but la terre et la liberté », répond celle-ci. « Tous au Mexique ! » écrit de son côté le légendaire activiste et poète wobbly Joe Hill. La lutte du PLM provoque de la sympathie non seulement aux Etats-Unis mais aussi en Amérique latine et en Europe. En Espagne, les publications anarchistes La Revista blanca et Tierra y libertad suivent la révolution mexicaine et le mouvement magoniste, à l’instar de La Protesta à Buenos Aires ou Tierra à Cuba. Il est vrai que Les Temps nouveaux (Paris) et Cronaca sovversiva (Massachusetts) mettent en doute l’honorabilité des libertaires mexicains et émettent des réserves quant à la nature sociale de la révolution, mais le malaise sera vite dissipé grâce à l’intervention de Kropotkine.
Autrement plus nombreux sont les révolutionnaires enthousiasmés par la révolte que propagent les magonistes. Citons, en plus d’Emma Goldman : son compagnon Alexandre Berkman ; John Kenneth Turner, auteur de Mexico barbaro, un des livres les plus explosifs et efficaces jamais écrits contre une dictature ; l’Irlandais John Creaghe, éditeur et fondateur du journal anarchiste La Protesta de Buenos Aires, qui accourut à Los Angeles déjà septuagénaire ; le Péruvien Juan N. Montero, agent de liaison du PLM avec les Yaquis de Sonora, et la grande poète et propagandiste nord-américaine Voltairine de Cleyre.
Regeneración a une page en anglais, dirigée par le Britannique William C. Owen, journaliste expérimenté et traducteur de Kropotkine, ainsi qu’un supplément en italien sous la responsabilité de Michele Caminita, alias « Ludovico », ancien collaborateur de La Questione sociale (Patterson, New Jersey).
L’anarchiste espagnol Diego Abad de Santillán écrira : « Le nom de Flores Magón nous est devenu familier au moins à partir de 1910 par la presse ouvrière et libertaire d’Europe et d’Amérique, et je me souviens à quel point, dans les groupes ouvriers progressistes, s’organisaient des collectes pour contribuer à ce gigantesque combat en y apportant sa modeste obole. » En fait, les relations entre les magonistes et l’anarchisme ibérique remontent à 1905. Lorsque le groupe arrive à Saint Louis, Missouri, il entre en contact avec Florencio Basora, exilé catalan et membre fondateur des IWW. Parmi les correspondants espagnols, on distingue également Pere Esteva, ancien compagnon d’Anselmo Lorenzo, et Jaime Vidal, qui avait travaillé avec Francisco Ferrer à l’Ecole moderne de Barcelone.
La projection internationale du magonisme est évidente ne serait-ce que par les nombreux articles de Regeneración reproduits dans la presse libertaire de plusieurs pays. Leur rédaction est assurée par des femmes intrépides comme María Talavera Brousse, Ethel Duffy Turner ou Elisabeth Trowbridge, qui participent parallèlement à de dangereuses tâches clandestines dans des conditions d’égalité absolue avec les hommes. Un aspect essentiel de la pratique collective du groupe est la prise de conscience de la problématique du genre et sa tentative de dépasser le machisme propre à la culture mexicaine.
Une autre question centrale est la manière d’entendre la violence et la justice, fort éloignée de la conception léniniste qui a tant de succès en Europe. « Nous allons à la lutte violente sans en faire un idéal, sans rêver à l’exécution de tyrans comme une suprême victoire de la justice. Notre violence n’est pas la justice, elle n’est que la nécessité qui concrétise ce sentiment d’idéalisme insuffisant pour affirmer la conquête du progrès par la vie des peuples », écrit Práxedis. Dans ce même texte, on trouve un écho au Discours sur la servitude volontaire d’Etienne de La Boétie : « Existe-t-il un peuple dominé par un tyran qui ne lui ait pas fourni une part de son pouvoir ? Un malfaiteur de droit commun peut commettre ses méfaits sans la complicité de ses victimes, mais un despote ne peut vivre de sa tyrannie sans la coopération de la masse ou d’une bonne partie de celle-ci. La tyrannie est le crime des collectivités inconscientes contre elles-mêmes, et on doit l’attaquer comme une maladie sociale par la Révolution en considérant la mort des tyrans comme un incident inévitable de la lutte. Rien de plus qu’un incident, en aucun cas un acte de justice. »
En avril 1911, le PLM appelle à se battre contre « le capital, l’autorité et le clergé » sous le slogan de « Terre et liberté », qu’il a repris des anarchistes espagnols. Le 25 avril, les maderistes signent avec les représentants du gouvernement fédéral les traités de Ciudad Juárez qui stipulent la démission du dictateur et un cessez-le-feu. Un des articles désigne León de la Barra, une des personnalités les plus impopulaires de l’ancien régime, comme Président provisoire en attendant la convocation de nouvelles élections. Les libéraux qui avaient déjà rompu avec Madero l’accusent désormais de traîtrise : « Le Parti libéral mexicain ne travaille pas à amener qui que ce soit à la présidence de la République. C’est au peuple de nommer ses maîtres s’il en a envie. Le PLM travaille à conquérir la liberté pour le peuple, considérant que la liberté économique est la base de toute liberté. »
Le 26 juin, les troupes fédérales écrasent les insurgés de basse Californie avec la complicité de Madero. Le 14, Ricardo, Enrique, Librado Rivera et Anselmo L. Figueroa avaient été arrêtés à Los Angeles sous l’accusation de violer les lois de neutralité des Etats-Unis. Le 23 septembre, tous quatre réitèrent leur position anarcho-communiste du fond de la prison : « Il faut donc choisir : ou un nouveau gouvernant, c’est-à-dire un nouveau joug, ou l’expropriation salvatrice et l’abolition de toute imposition religieuse, politique et de tout ordre. » Ils vont passer les trois années suivantes derrière les barreaux.
Le champ et la ville
Avec Práxedis tué et le noyau dirigeant en prison, la révolution libertaire est décapitée. Pourtant, un nouveau foyer surgit dans la ville de Mexico. En 1912, le Grupo Luz, éditeur de la revue éponyme, chez qui on trouve, entre autres, Jacinto Huitrón et les internationaux Eloy Armenta (Espagnol) et Juan Francisco Moncaleano (Colombien), fonde une école rationaliste inspirée de la pédagogie anarchiste. Ce groupe est à l’origine de la Casa del Obrero, centrale née avec l’objectif de lutter contre l’exploitation des travailleurs et pour la socialisation des moyens de production selon les principes anarcho-syndicalistes. Les débuts sont prometteurs.
Le 1er mai 1913, en pleine dictature de Victoriano Huerta, la Casa organise une manifestation offensive pour exiger la journée de huit heures et commémorer les martyrs de Chicago, une première au Mexique. Elle adopte alors le nom de Casa del Obrero Mundial (COM), en hommage à la solidarité internationale. Les mois suivants, quelques-uns de ses membres, comme l’anarchiste français Octave Jahn et le magoniste Antonio Díaz Soto y Gama, se déplacent au Morelos pour rejoindre l’armée d’Emiliano Zapata. Malheureusement, c’est aussi au début de 1915 que s’accomplit la rupture entre les deux groupes révolutionnaires : une partie de la COM opte pour s’allier aux forces constitutionnalistes de Venustiano Carranza, contre la volonté de la majorité. En échange de garanties qui se révéleront finalement mensongères, 67 dirigeants signent un pacte ouvertement contre-révolutionnaire et forment les « bataillons rouges » destinés à combattre les armées paysannes de Pancho Villa et Zapata. Cette alliance sera très brève, les constitutionnalistes se chargeant de la rompre, mais elle implique la trahison des principes révolutionnaires et constitue le lamentable précédent d’un syndicalisme régi par le nationalisme et mis sous la tutelle de l’Etat.
Cette même année circule le texte du géographe anarchiste Elysée Reclus A mon frère paysan, qui fut très certainement fort apprécié des révolutionnaires du Morelos. Et, de fait, l’utopie s’était déplacée vers le sud. Il est vrai que Zapata ne s’est jamais déclaré anarchiste, mais le mouvement qu’il emmène a de forts points communs avec les idéaux libertaires, et le combat zapatiste peut être considéré comme un prolongement du combat magoniste dans d’autres conditions géographiques. Ces paysans qui, soi-disant, « ne veulent pas changer et firent une révolution pour cette raison (7) » n’aspirent aucunement à la prise de pouvoir politique mais à la conquête de l’autonomie au bénéfice des communautés paysannes. Ils ne réclament pas, non plus, la nationalisation de la terre, mais sa distribution selon le modèle communal ou en petites propriétés. Ce qui signifie qu’ils ne mènent rien d’autre qu’une révolution sociale.
En 1915, alors que les projecteurs de la politique nationale sont braqués sur les campagnes militaires d’Obregón contre Villa, ils démantèlent les haciendas, redistribuent les terres, promulguent des lois du travail, et adoptent un programme d’éducation et de santé publique. Un aspect fondamental de leur mouvement est la subordination des autorités militaires aux autorités civiles, élues librement au sein d’assemblées autonomes. On peut lire dans une de leurs proclamations : « La force, comme le droit, réside essentiellement dans la collectivité sociale. En conséquence, le peuple en armes remplace toute armée permanente. »
De passage sur les terres zapatistes, Antonio de P. Araujo, membre du PLM, ne peut que constater qu’elles « se retrouvent aux mains des anciens péons qui les travaillent librement. Je ne vois nulle part les visages angoissés des travailleurs journaliers mais l’air satisfait d’hommes et de femmes qui n’ont plus de maîtres. Comme la police a disparu, l’ordre règne ».
A l’instar de l’Ukraine paysanne de Nestor Makhno (1918-1920), comme les collectivités agraires de Catalogne et d’Aragon (1936-1937), la Commune de Morelos est une énorme expérience sociale dans laquelle « crève-la-faim et déshérités » ont prouvé qu’ils pouvaient prendre en main la vie publique sans l’intervention de l’Etat ni l’intromission de politiciens professionnels. Comme celle du PLM, la lutte des zapatistes attire la solidarité de militants internationaux, qui accourent au Morelos d’Espagne, de Cuba, des Etats-Unis ou d’autres coins du monde.
Les zapatistes ont triomphé, mais en fin de compte leur destinée s’est jouée loin du Morelos, dans les grandes plaines centrales où les victoires retentissantes d’Obregón sur les armées de Pancho Villa changent le cours de la révolution. En 1916, solidement installé à Mexico, Carranza ordonne une offensive militaire contre les zapatistes. Une fois encore, les paysans opposent une résistance acharnée sans que fléchisse leur révolution. En 1917, Zapata promulgue un « décret général administratif » qui renforce la démocratie directe mais, privé du soutien des villistes, c’est presque l’ensemble de la population du Morelos qui tombe sous la coupe des constitutionnalistes. Militairement invincible, Zapata est attiré dans une embuscade et assassiné traîtreusement le 10 avril 1919 dans l’hacienda de Chinameca, celle dont il s’était enfui sept années auparavant. Il n’avait pas atteint sa quarantième année.
Pendant ce temps, les magonistes poursuivent leur œuvre au nord du Rio Bravo. Vers 1918, Librado Rivera, Ricardo et Enrique Flores Magón, leurs familles et un petit groupe de sympathisants nord-américains fondent une communauté à Edendale, Californie. Ils y mettent en pratique quelques-uns de leurs idéaux anarchistes : « Ce fut une période de travail ardu mais aussi de paix et d’harmonie », note Salvador Hernández Padilla.
Même grièvement blessé et diminué, le PLM ne s’est jamais dissous. Le dernier numéro de Regeneración, le 262 de la quatrième série, sort le 16 mars 1918. Il contient un manifeste adressé aux anarchistes du monde entier et aux travailleurs en général, appelant à « l’insurrection de tous les peuples contre les conditions existantes », et conclut : « Afin d’éviter qu’une rébellion inconsciente n’aille pas forger de nouvelles chaînes avec ses propres bras pour aller reproduire l’esclavage du peuple, il est nécessaire que nous, qui ne croyons en aucun gouvernement, qui sommes convaincus que quelle que soit sa forme et qui que ce soit soit à sa tête, il n’est que tyrannie car c’est une institution créée non pour protéger le faible mais pour renforcer le fort, soyons à la hauteur des circonstances et sans peur allons propager notre idéal anarchiste sacré, le seul humain, le seul juste, le seul authentique. »
Il adresse également un salut à la révolution russe, confirmant ainsi la vocation internationaliste de ses auteurs. Il faut toutefois préciser que la révolution libertaire pour laquelle ils luttent n’a pas grand-chose en commun avec celle qui triomphe à Moscou cette année-là. En 1920, Ricardo accuse les bolcheviks d’avoir assassiné la révolution et mis en place une nouvelle dictature. Dans une lettre à Elen White (pseudonyme de Lily Sarnoff), correspondante nord-américaine, il écrit ces mots prophétiques : « Cette question russe me préoccupe beaucoup. Je crains que les masses russes, après avoir attendu en vain la liberté et le bien-être qui leur avaient été promis par la dictature de Lénine et Trotski, n’aillent retourner au capitalisme. » Dans une autre lettre, il précise : « La tyrannie engendre la tyrannie. La prétendue transition nécessaire entre tyrannie et liberté a démontré qu’elle n’était en réalité qu’une transition entre une révolution avortée et la normalité. »
Le 21 mars, Ricardo et Librado sont emprisonnés et condamnés à quinze et vingt ans de prison pour sabotage de l’effort de guerre des Etats-Unis, entrés dans la Première Guerre mondiale. Dans un premier temps, ils sont emprisonnés à l’île McNeil, dans l’Etat de Washington. Puis Ricardo, affaibli par la maladie, est transféré à la prison de Leavenworth, Kansas, où il est assassiné le 21 novembre 1922, à la veille d’une remise en liberté. Le rapport officiel indique qu’il est décédé à la suite d’une attaque cardiaque, mais son cadavre présente des signes évidents de violences. En représailles, un autre prisonnier, José Martínez, tue le chef des gardiens, tombant lui aussi victime de son action.
Sa mort marque la défaite des anarchistes parallèlement à celle des zapatistes ou d’autres courants radicaux issus de la révolution mexicaine. Néanmoins, les idées ne meurent pas et, en 1921, surgit la Confédération générale du travail, qui reprend à son compte les principes généraux de la COM et de l’anarcho-syndicalisme européen. Elle va animer les principales luttes de l’étape postrévolutionnaire, causant quelques soucis aux gouvernements des généraux Obregón et Calles.
« Je suis un rêveur. Je rêve de beauté et j’aime à partager mes rêves avec mes congénères. Tel est mon crime », écrit Ricardo depuis sa prison peu de temps avant de mourir.
Ce rêve est toujours vivant dans le cœur des hommes et des femmes luttant pour un Mexique meilleur.
Claudio Albertani
(1) Système qui fait du paysan sans terre, le peón, un serf attaché à une propriété. Cela passe par la dette, transmise en héritage et qui maintient une partie de la paysannerie en semi-esclavage à la merci des gros propriétaires.
(2) Partisans de Benito Juarez, tant dans la guerre civile contre le parti conservateur que contre l’invasion française qui impose l’empereur Maximilien.
(3) Ministres et conseillers responsables de la mise en coupe réglée du Mexique sous le règne de Díaz, au prétexte d’une rationalisation économique et d’une marche vers le progrès.
(4) Bistrot mexicain.
(5) Assommoir populaire où l’on boit du jus de cactus fermenté pulque ou sotol.
(6) Nom des insurgés millénaristes mayas de la péninsule du Yucatan, adorateurs de « la croix qui parle ». La « guerre des castes » fut une révolte maya généralisée qui dura de 1847 à 1908 en s’étendant aux Etats de Campeche, Yucatan et Quintana Roo.
(7) Citation extraite de la biographie d’Emiliano Zapata par John Womack.