Front populaire 1934-1937

Front populaire 1934-1937

Messagede Nico37 » 05 Fév 2011, 12:49

Essai de lecture psycho politique d’un événement historique : 1936 à Rouen Marcel Elkaim

Résumé

Selon les sources écrites (archives administratives, publications) la peur du "grand soir" de 1936 qu'auraient ressentie les couches aisées ne semble avoir été vérifiée au moins dans son ampleur et en ce qui concerne la région rouennaise. On en a cherché l'explication dans le mécanisme des représentations sociales en appliquant au passé la grille d'analyse fournie par la psychologie sociale (noyau central et périphérie) pour classer l'héritage mental des couches dirigeantes, ce qui a permis de mettre en lumière, lors des ³grèves sur le tas², la stupéfaction du patronat d'abord, sa volonté de "vengeance" ensuite, ses concessions concernant la périphérie afin de préserver le noyau centra : propriété et autorité. Ainsi se trouve posé le problème du rôle des représentations dans les affrontements sociaux.
Mots-clés

représentations sociales, Front populaire, ouvrier, patronat
Table des matières

I -Le problème historique
II -L’image de la classe ouvrière dans les couches bourgeoises
III -Préserver l’essentiel

Conclusion

Texte intégral
Nico37
 
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Re: Front populaire 1934-1937

Messagede Pïérô » 14 Fév 2011, 15:07

un article interessant, pris dans Courant Alternatif, mis en ligne fin janvier sur le site de l'OCL : http://oclibertaire.free.fr/

1936 : le Front populaire contre les occupations d’usines

L’affrontement avec le Front populaire a longtemps marqué la culture ouvrière française. Juin 36 puis mai 68 ont revivifié un imaginaire de lutte dont les antécédents se trouvent dans la commune de 1871 ou les révoltes de 1848. Une des supercheries de la vision républicaine de notre histoire a été d’attribuer ces « révolutions manquées » à des étapes nécessaires d’une évolution sociale : les acquis sociaux. Avec les premiers congés payés, elle a drapé les luttes de « justes récompenses », comme pour mieux usurper les contenus souvent radicaux des occupations d’usines. Pendant toute cette période, le discours de la SFIO et du PC a été de combattre une situation révolutionnaire. Les syndicats ont lancé le mot d’ordre de « savoir terminer une grève ».

L’espoir qu’a suscité juin 36 a été comparable à ceux que soulevèrent les événements cités plus hauts. Pendant la période où la SFIO a tenu le pouvoir parlementaire, sa politique a été de tout faire pour aboutir à un « temps de pause ». Dans le même temps, elle se positionnait devant le patronat comme la seule force capable de tenir la barre. Elle a usé de tout un appareil d’État pour réprimer ceux et celles qui débordaient la CGT dans laquelle réformistes et staliniens étaient de nouveau réunifiés aux moments des faits.[1] Cette transformation pragmatique de la social-démocratie l’a amenée, en trois ans, du « Front populaire » au « front national des Français » puis au « front de la guerre », jusqu’à ce que, finalement, avec la même assemblée qui conduisit le Front populaire elle vote les pleins pouvoirs à Pétain...[2]

L’arrivée au pouvoir du Front Populaire : les promesses, les tactiques

Le 6 février 1934, les ligues fascistes (Croix de feu, Camelots du Roy, Action française ou organisations d’anciens combattants) firent défiler plus de 100.000 personnes dans Paris pour protester contre le renvoi du préfet de police Chiappe. Elles essayèrent de prendre l’Assemblée nationale, mais en furent repoussées par les flics. Pendant la nuit, des affrontements violents opposèrent place de la Concorde les fascistes et les policiers à de jeunes travailleurs.
Si, du côté parlementaire, les ligues réussirent à faire tomber le gouvernement radical de Daladier[3] et à imposer un gouvernement réactionnaire autour de Laval, les journées de février 1934 ont amorcé, par la défaite des ligues, un sentiment d’unité dans la classe ouvrière. Cette unité s’est faite sur la base assez vague de l’antifascisme mais surtout le sentiment collectif d’un rapport de force qui a certainement été le point de départ des occupations d’usines de juin 36. Suite aux mobilisations persistantes qui ont fait suite au 6 février 34, la SFIO et le parti communiste ont tenté d’absorber ce nouveau rapport de force. Pour faire reconnaître les accords franco-russes, l’URSS se satisfaisait du gouvernement Laval en France qui y souscrivait. Si bien que pour gagner des victoires électorales et un poids parlementaire, la SFIO et le PC se sont tournés vers le parti radical, représentant des classes moyennes, lui même très favorable à ces accords entre États.
Le rôle que Blum joua, par la suite, dans la campagne pour les élections de mai 36, est assez représentatif du positionnement de la social-démocratie française. Entre le radicalisme bourgeois et le national-communisme, Blum inséra un discours politique républicain et jacobin de défense des libertés démocratiques « conquises par le peuple de France ».[4] Le Front Populaire a donc regroupé le parti communiste, la SFIO et le parti radical. Les liens entre le PC et la SFIO étaient essentiellement effectués par la Gauche Révolutionnaire — dont l’animateur principal fut Marceau Pivert, avec la présence de Daniel Guérin[5], qui, depuis 1935, tentait à l’intérieur de la SFIO de développer un discours révolutionnaire de classe.
La direction syndicale de la CGT, autour du réformiste Léon Jouhaux, a quant à elle favorisé un rapprochement avec le parti radical en tenant un discours de protection des classes moyennes. Le parti communiste préconisait une alliance avec le parti radical-socialiste pour « amener au pouvoir un gouvernement populaire ». L’argument paraissait léger, puisque ce parti radical s’était compromis dans un gouvernement antisocial et réactionnaire qui avait fortement entamé son prestige. Pour empêcher les classes moyennes d’être attirées par les sirènes fascistes, la SFIO déclarait vouloir les ménager par un soutien à ces mêmes radicaux-socialistes. Mais, à ce moment-là, les enjeux étaient autres. L’intérêt du parti communiste était celui de Moscou. Staline cherchait un gouvernement qui puisse appuyer les accords franco-soviétiques de l’époque contre l’Allemagne hitlérienne, et surtout les élargir au plan militaire. Ce que refusait le gouvernement de Laval. Dans cette optique, pour les staliniens, les radicaux-socialistes semblaient plus sûrs que les socialistes. Ce qui explique aussi pourquoi, lorsque le gouvernement de Front populaire tomba en 1937, le Parti communiste ne fit pas grand-chose d’autre que de permettre aux gouvernements radicaux qui suivirent, de tenir. Ainsi, une large part de la campagne ne devait se faire que sur une base minimaliste d’alliances parlementaires. En défendant le régime républicain, Blum préconisait un exercice du pouvoir dans les cadres institués et constitutionnels. Pour les sociaux-démocrates, cette orientation se justifiait comme une politique défensive et préventive face au danger fasciste. L’antifascisme permettait ainsi d’être l’arbre qui cache la forêt, puisqu’il ne remettait absolument pas en cause le fonctionnement du capitalisme et qu’il contribuait même à son aménagement.
Les événements de mai-juin découlent du malaise provoqué par le décalage entre les déclarations politiques et l’aspiration de la classe ouvrière à une réelle transformation du quotidien. C’est à ce malaise que le gouvernement issu de la victoire électorale de mai 36[6] doit faire face. C’est ce malaise que la social-démocratie et le parti communiste allaient devoir réprimer.

Cherche situation financière pour classes moyennes...

La victoire électorale rendait de plus en plus impatiente la classe ouvrière qui, outre le fait d’être spoliée de son travail, connaissait des brimades et une violence permanente. « Pour n’importe quelle faute, le contremaître pouvait retirer deux sous de l’heure. Certains jours, quand vous arriviez le matin, le contremaître vous disait : “Y a pas de boulot, vous reviendrez demain.” Pourtant, il y avait des gars qui venaient de loin. Le lendemain par contre, il fallait rester jusqu’à 7 ou 8 heures (...) ».[7] Cependant, Léon Blum ne voulait pas engager de rapport de forces : « J’aime mieux espérer que le mois de mai s’écoule sans trop aggraver une situation financière déjà effroyable » ; et de préciser tout de suite l’objectif de son gouvernement : agir à l’intérieur du régime actuel. C’est le problème de savoir si, de ce régime social, il est possible d’extraire la quantité de bien-être, d’ordre, de sécurité, de justice qu’il peut comporter pour la masse des travailleurs et des producteurs. Ainsi, le dirigeant de la SFIO ne cherche ni à abolir un régime de classe ni à l’affaiblir ; il cherche au mieux à l’aménager pour le renforcer. Entre la victoire électorale et le début du mandat, les intérêts que la SFIO a cherché à protéger n’étaient pas ceux des ouvriers et des ouvrières, mais bien ceux de la finance.

... mais trouve détermination de la classe ouvrière

Le véritable début du formidable mois de juin commence au premier jour de mai. Alors que le 1er mai 1935 avait été un grand flop, le 1er mai 1936 allait être un grand succès. Face aux promesses de la SFIO déjà remises en cause par les déclarations de sa direction, une partie de la classe ouvrière souhaitait faire savoir que tout rapport de forces s’établirait dans la rue, et qu’elle n’entendait pas donner carte blanche à un gouvernement qui ne respecterait pas ses intérêts. Pendant que Blum et comparses méditaient sur la situation financière, les ouvriers de l’usine Bréguet, au Havre, occupaient leur lieu de travail pour protester officiellement contre l’attitude du chef du personnel. En deux jours, ils obtiennent gain de cause. Les métallurgistes de Nieuport à Issy, de Farman à Billancourt et de Hotchkiss leur emboîtent le pas. Le 27 mai, les usines Renault connaissent les premiers débrayages.
C’est le parti communiste qui donne le premier coup de frein, en signant des accords minables pour faire cesser un mouvement qui, dès le début le dépasse. L’Humanité du 30 mai titre sur un énorme mensonge : « Victoire chez Renault ».
Ce qui vient de naître est un sentiment de force collective et une aspiration à faire changer les choses. La social-démocratie, qui souhaitait retrouver une unité pour accéder au pouvoir, se trouve coincée entre un mouvement social grandissant et une volonté de collaboration de classe.

Les patrons leur demandent de ne pas attendre

Le Front populaire n’est même pas encore intronisé que déjà, les 4 et 5 juin, il y a un million de grévistes et que l’ensemble des usines de la région parisienne sont occupées. Marceau Pivert a assuré dans une tribune libre du Populaire, le 27 mai, que « Tout est possible » ; Marcel Gitton dans l’éditorial de l’Humanité du 29 mai, dit que « Tout n’est pas possible » et reconnaît que le programme du Front populaire n’est pas de nature à effrayer qui que ce soit.
Mais l’augmentation du nombre de grèves et d’occupations effraie le patronat. Et c’est lui qui va chercher les sociaux-démocrates pour les prier de prendre la direction du gouvernement. Ces derniers s’empresseront de le faire avec une fidélité indéfectible à la collaboration de classe. Léon Blum raconte : « Le 4 juin, je suis arrivé à l’Élysée avec mes collaborateurs vers 7 heures du soir (...) Au moment ou nous allions nous retirer, M. Albert Lebrun nous a dit : “J’ai une demande à vous transmettre de la part de M. Sarraut, président du Conseil, ministre de l’Intérieur, et de la part de M. Frossard, ministre du Travail. Ils considèrent la situation comme si grave qu’ils vous demandent de ne pas attendre jusqu’à demain matin pour la transmission des pouvoirs. Ils vous prient avec instance de vous rendre l’un et l’autre au ministère de l’Intérieur et au ministère du Travail dès ce soir, 9 heures, pour qu’il n’y ait pas un instant de délai d’interruption dans le passage des services. Ils ne veulent pas plus longtemps demeurer chargés d’un intérim dans les circonstances actuelles (...) Les ouvriers ont confiance en vous.” (...) J’ai fait ce que me demandait M. le Président de la République, et qui, au point de vue correction parlementaire, était assez critiquable (...). Ce qui était l’état d’esprit du chef de l’État était aussi l’état d’esprit du patronat (...). M. Lambert-Ribot, avec qui j’avais toujours entretenu des relations amicales, m’a fait toucher par deux amis communs, par deux intermédiaires différents, afin que, le plus tôt possible, sans perdre une minute, je m’efforce d’établir un contact entre d’une part les organisations patronales suprêmes, comme le Comité des forges et la Confédération générale de la production, et d’autre part la Confédération générale du travail. Sans nul doute, j’aurais tenté moi-même ce qu’on a appelé l’accord de Matignon. Mais je dois la vérité de dire que l’initiative première est venue du grand patronat. (...) La contrepartie, c’était l’évacuation des usines. Dès ce jour-là, les représentants de la CGT ont dit aux représentants du grand patronat, qui étaient à Matignon : “Nous nous engageons à faire tout ce que nous pourrons, et nous le ferons. Mais nous vous en avertissons tout de suite : nous ne sommes pas sûrs d’aboutir. Quand on a affaire à un mouvement comme celui-là, à une marée comme celle-là, il faut lui laisser le temps de s’étaler. Et puis, c’est maintenant que vous allez peut-être regretter d’avoir systématiquement profité des années de déflation et de chômage pour exclure de vos usines tous les militants syndicalistes. Ils n’y sont plus. Ils ne sont plus là pour exercer sur leurs camarades l’autorité qui serait nécessaire pour faire exécuter nos ordres.” Et je vois encore M. Richemont, qui était assis à ma gauche, baisser la tête en disant : “C’est vrai, nous avons eu tort.” Voilà quel était l’état d’esprit de Matignon (...), au moment où j’ai pris le pouvoir. Qu’est-ce que je devais faire ? »[8]

Les accords de Matignon : 7 juin 1936

Pour hâter au plus vite les négociations, Léon Blum, intronisé président du Conseil le 6 juin 1936, réunit dès le lendemain une délégation de la Confédération générale du patronat français (CGPF) et des représentants de la CGT, dont 4 sur 6 étaient socialistes. Il y avait alors un million et demi de grévistes. Blum annonça que des réformes allaient être entreprises par la voie législative (contrats collectifs, congés payés et semaine de 40 heures), mais qu’il restait à fixer les clauses générales des contrats collectifs[9] et à résoudre les revendications de hausse des salaires.
Le patronat a admis immédiatement l’établissement de contrats collectifs de travail garantissant la liberté syndicale, s’engagea à ne prendre aucune sanction pour fait de grève et à revaloriser les salaires de 7 à 15 %.
De son côté, la CGT accepta la proposition patronale de faire élire des délégués ouvriers dans tous les établissements de plus de 10 salariés, et d’exercer le droit syndical sans qu’il ait pour conséquence des actes contraires aux lois. Elle s’engageait en outre à demander aux grévistes de reprendre le boulot.
Le lendemain, la presse de gauche se dépêcha de faire reprendre le travail comme les accords de Matignon le prévoyaient. L’Humanité titrait : « La victoire est acquise ! »
Mais le mouvement de grève, au lieu de refluer, s’intensifia les jours suivants. Et alors que, précédemment, de nombreuses occupations avaient repris les revendications du Front populaire (congés payés, semaine de 40 heures), les occupations qui continuèrent ou débutèrent après les accords de Matignon portèrent sur des revendications moins précises, mais davantage axées sur une transformation du quotidien. On pouvait lire devant Renault-Billancourt : « On a fait des soviets pour moins que ça. »
Une semaine après les accords, il y avait deux millions de grévistes.

Des occupations joyeuses et déterminées

Dans les usines, il y avait un air de fête. Jeux de cartes, chants, concerts, théâtre... Une joie de lutter qui marqua les consciences collectives ouvrières. Les grèves touchaient les mines, l’automobile, le textile, le bâtiment, l’alimentation, et surtout, phénomène important dans l’histoire de la classe ouvrière, le monde des employés : les grands magasins, les compagnies d’assurances, les maisons de haute couture, les cafés, les théâtres, les cinémas et les grands cabarets. Les dirigeants des petites et moyennes entreprises, abasourdis de voir, pour la première fois, leurs « maisons » si familiales tenues par des grévistes, paniquèrent et demandèrent qu’on les évacue manu militari, pour faire respecter le droit de propriété. Les préfets de Salengro, ministre de l’Intérieur du Front populaire, ne parvinrent ni à arbitrer ni à imposer la négociation dans les plus petites entre- prises, au point que Daladier, ministre de la Défense, rameuta quelques régiments. Mais, tout en suscitant de sérieuses inquiétudes au sein des classes moyennes et de leurs représentants, les grévistes rencontrèrent la sympathie de nombreuses autres couches sociales : les petits commerçants se montrèrent souvent généreux dans les collectes organisées à l’intention des grévistes ; des dirigeants de l’Église évoquèrent les déficiences de l’ordre social établi[10] ; des flics affirmèrent qu’ils ne rentreraient pas dans les usines occupées. En quelques semaines, la classe ouvrière, par sa détermination, imposa des conditions favorables à un mouvement révolutionnaire. Dans ses souvenirs, Marceau Pivert écrira : « Oui, tout était possible ! Un prolétariat en pleine action, une paysannerie compréhensive, des intellectuels et des techniciens dévoués à la cause du peuple, des anciens combattants ardemment pacifistes et révolutionnaires, des petits boutiquiers empressés au service de la solidarité ouvrière, des hommes du rang, dans la police et dans l’armée, en absolue communion d’idées avec les combattants antifascistes, un mouvement syndical brusquement dressé sur ses jambes et se révélant à lui-même sa force, son efficacité, que n’avions-nous entre les mains ? »

Il faut savoir terminer une grève

Le 11 juin, alors que, selon des rumeurs, de nombreux ouvriers discutaient de sortir en masse des usines, puis de les remettre en route, Thorez affirma, au cours d’une assemblée d’information des communistes de la région parisienne : « Nous n’avons pas encore la sympathie et l’appui de la grande majorité des travailleurs des campagnes. Nous risquerions même, en certains cas, de nous aliéner quelques sympathies des couches de la petite bourgeoisie et des paysans de France. » Et il prononça les mots décisifs : « Il faut savoir terminer une grève dès que satisfaction a été obtenue. Il faut même savoir consentir au compromis. » Tout comme de Gaulle fera appel en 1968, aux CRS de province et aux chars, le gouvernement de Front populaire achemina des pelotons de gardes mobiles vers la région parisienne. Au même moment, il faisait saisir le journal des trotskistes La Lutte ouvrière qui titrait sur la largeur de sa première page : « Dans les usines et la rue, le pouvoir aux ouvriers ». Pourtant, pendant la seconde quinzaine de juin, les grèves sur le tas continuèrent à faire boule de neige jusqu’à toucher des ouvriers agricoles, notamment dans les grandes fermes du Bassin parisien. Mais les grèves refluèrent ensuite et Salengro, encore tout effrayé, put assurer le 26 juin : « Ainsi s’achève, sans une goutte de sang, le plus formidable conflit social qu’ait connu la République ». Et quelques semaines plus tard, pendant l’accalmie des congés payés : « Si demain des occupations de magasins, de bureaux, de chantiers, d’usines, de fermes étaient tentées, le gouvernement, par tous les moyens appropriés, saurait y mettre un terme. »

Après l’été des congés payés, des occupations reprennent

Daniel Guérin le souligne[11], les nouvelles occupations eurent partout une cause très précise : face au patronat qui violait ou détournait à qui mieux-mieux les nouvelles lois sociales, les travailleurs ne virent pas d’autre moyen, pour imposer, dans le cadre de l’atelier le respect de leurs conquêtes, que de riposter par la tactique qui avait fait merveille en juin. Le 29 septembre, Blum adjura la classe ouvrière de lui épargner l’emploi de la force. Une semaine après, il passa à l’acte : 250 flics forcèrent la porte de la chocolaterie des Gourmets, à Paris, et après une dure bagarre en expulsèrent les occupants. Un précédent redoutable était créé. Ainsi, le pire fut de faire croire aux travailleuses et aux travailleurs que le gouvernement de Front populaire, à direction socialiste et participation radicale, était en quelque sorte leur gouvernement. Comme l’a souligné Trotski[12], les ouvriers furent de ce fait incapables de reconnaître l’ennemi, car on l’avait déguisé en ami. Ou, comme l’écrit Daniel Guérin : « Les chefs [de la social- démocratie] entourèrent le pouvoir bourgeois d’un écran qui dissimula sa véritable nature, le rendit méconnaissable, donc invulnérable et indestructible. Parce que les leaders prestigieux s’étaient installés dans un certain nombre de bureaux ministériels, l’illusion fut de répandre que cet État n’était plus un État de classe, mais un État providentiel. » La classe ouvrière fut de cette façon détournée de l’objectif de se sauver elle-même, de dépasser le stade d’une grève générale avec occupations d’usines purement revendicatives pour la transformer en grève gestionnaire et rechercher une forme d’auto-organisation.

Jérôme (Strasbourg, septembre 1999)

Notes :
[1] Depuis le congrès de Tours en 1921, une scission s’était opérée entre la CGT (« réformiste ») dirigé par Jouhaux et la CGTU qui fut dirigée par des membres du PC. La réunification s’opéra en 1935.
[2] Voir l’article « 1940 : les socialistes disent oui à Pétain », publié dans Courant alternatif, hors-série n° 2, troisième trimestre 1999.
[3] Le parti radical n’a rien à voir avec la « radicalité » de 1999. Il était radical dans le sens où, au début du XXème siècle, il siégeait à gauche au Parlement, en tenant un discours laïc farouchement anticlérical. Il a été le parti représentant les classes moyennes.
[4] Extrait du serment du meeting de la SFIO au stade Buffalo, le 14 juillet 1935.
[5] Daniel Guérin, Front populaire, révolution manquée, édition Babel, collection “Révolution”.
[6] Les résultats des élections des 26 avril et 3 mai 1936 donnèrent la majorité à la gauche (147 élus à la SFIO, 106 au parti radical et 72 au parti communiste).
[7] Témoignage d’un ouvrier non encarté : « Tout le monde en avait marre, tout le monde a marché », Critique communiste, hors-série été 1982.
[8] Extraits de la déposition de Léon Blum devant la cour de Riom, février 1942.
[9] Ce qui est aujourd’hui les conventions collectives.
[10] Ainsi Mgr Verdier, cardinal archevêque de Paris.
[11] Cf. Daniel Guérin, op. cit.
[12] Trotski, « L’heure de la décision approche », La Lutte ouvrière, 6 janvier 1939.

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Re: 1936 en France

Messagede bipbip » 21 Sep 2013, 14:10

1934-1937 : Les anarchistes et le Front populaire

Cette année a été celle de toutes les commémorations : Charte d’Amiens, Révolution espagnole, insurrection hongroise, et bien sûr Front populaire. Pour évoquer ce dernier événement, le mensuel Alternative libertaire a choisi non pas de retracer la geste héroïque des grèves et des occupations d’usine, ce qui a largement été fait par ailleurs, mais d’opérer un retour critique sur l’action des anarchistes durant cette période de 1934-1936.

Le soir du 6 février 1934, des milliers de manifestants, en partie armés, marchent sur l’Assemblée nationale à Paris, à l’appel des ligues d’extrême droite. La police contient difficilement la foule, ouvre le feu. Les combats durent une partie de la nuit ; il y aura 2 000 blessés ; on relèvera 16 morts.

Le danger représenté alors par l’extrême droite en 1934 n’est pas imaginaire. Ses différents acteurs - Action française, Jeunesses patriotes, Solidarité française, Francistes, Croix de feu - totalisent plus de 200.000 adhérents. À titre de comparaison, le PCF en aligne alors 30.000 et le PS-SFIO 120.000. L’Union anarchiste communiste révolutionnaire (UACR), elle, compte environ un millier de militants. Les trotskistes de la Ligue communiste, une centaine.

Au final, le bilan du 6 Février est maigre pour l’extrême droite, qui n’est parvenue à faire la démonstration que de ses divisions et de ses hésitations. Mais le contexte de montée du fascisme en Europe va pousser la gauche française à dramatiser les événements, en dénonçant le « complot fasciste » et une tentative de « coup d’État ».

La riposte ouvrière à l’extrême droite

Dès le 7 février, une réunion est convoquée par la CGT pour préparer la riposte. Tous les groupements de gauche et ouvriers, dont la SFIO, la Ligue des droits de l’homme et l’UACR répondent présent [1] - à l’exception du PCF et de son appendice syndical, la CGTU. Une grève générale et une manifestation sont décidées pour le 12 février.

Les communistes viendront-ils ? Rien n’est moins sûr. Entre le PCF et le reste du mouvement ouvrier, les directives de l’Internationale communiste (Komintern), creusent un abîme infranchissable. En vertu de sa stratégie « classe contre classe », bourgeoisie, anarchisme, social-démocratie et fascisme sont mis dans le même sac et traités en ennemis - en particulier la social-démocratie qui se voit qualifier dans L’Humanité, à longueurs de colonnes, de « social-traître », « social-patriote », « social-flic » et même « social-fasciste » !

Le 9 février, PCF et CGTU appellent d’ailleurs séparément à une grève et à une manifestation sur leurs propres mots d’ordre : à la fois hostiles au fascisme et à la social-démocratie. Mais leur appel est peu suivi et n’apporte qu’un résultat médiocre.

A contrario, la journée de grève et de mobilisation du 12 février rencontre un succès immense. Des centaines de milliers de personnes défilent dans toute la France. On compte un million de grévistes rien qu’en Région parisienne. Coup de théâtre enfin : le PCF et la CGTU se sont ralliés in extremis. À Paris, sur le Cours de Vincennes, l’émotion est à son comble ; une foule de 100.000 personnes scande « Unité d’action ! Unité d’action ! » [2]

Fièvre unitaire à l’UACR

Cette journée historique du 12 février, les anarchistes y participent aussi. Aussi bien l’UACR, qui la veille avait publié un numéro spécial du Libertaire, que la CGT-SR (Syndicaliste révolutionnaire) - ancêtre de l’actuelle CNT. Les libertaires n’échappent pas à l’euphorie unitaire du moment et il semble bien que, dès avant le 12 février, l’UACR a « flairé » que le mouvement ouvrier était au seuil d’un tournant politique majeur.

La suite des événements sera effectivement au diapason et, poussés par la base, les appareils socialiste et communiste - avec la bienveillance du Komintern dans le second cas - se rapprocheront peu à peu. En réalité, Moscou a tiré le bilan de l’avènement de Hitler, dûe en grande partie à la désunion entre socialistes et communistes, et veut changer de braquet.

Mais quelle va être l’étape suivante, après le 12 février ? Quelle va être la traduction politique de cette « unité d’action » dont désormais tout le monde parle ? Dans Le Libertaire, Lashortes n’hésite pas à écrire qu’il s’agit « d’opposer au programme politique fasciste un programme politique de front unique antifasciste. […] Il faut opposer au fascisme non pas la défense d’un régime qui ne peut se défendre, mais les solutions politiques communes à toutes les formations […] qui adhèreront au Front unique. Et j’entends bien qu’une politique ainsi définie sera le résultat d’un effort extrême de conciliation […]. » [3] Certes Lashortes est coutumier de ce genre de déclarations imprudentes, que souvent ses camarades lui reprocheront après coup. Mais cet article traduit l’état d’esprit du moment à l’UACR, guère éloigné d’ailleurs de celui de la CGT-SR, qui voit dans le 12 Février « le premier acte d’une révolution que rien ne pourra arrêter » [4].

Divergences de vues

L’UACR est alors la principale organisation anarchiste française. Elle se vit comme dépositaire de la tradition anarchiste ouvrière et syndicaliste d’avant 1914 et, à ce titre, dispose encore d’une implantation et d’une influence non négligeables, notamment dans le bâtiment, la métallurgie et chez les ouvriers agricoles [5]. Ses dirigeants Frémont, Lecoin, Le Meillour, Faucier, sont ouvriers eux-mêmes. Son hebdomadaire, Le Libertaire, affiche un tirage en baisse, à 10.000 exemplaires, mais le titre conserve sa notoriété. Son contenu est riche, rigoureux, et globalement débarrassé du folklore anar (émancipation par le végétarisme, le nudisme, etc.) qui se perpétue dans des publications de moindre importance.

L’organisation a été affaiblie, quelques années plus tôt, par une scission de sa frange « traditionnaliste » qui a formé l’Association des fédéralistes anarchistes (AFA), un groupement relativement amorphe qui promeut une « anarchie » principalement culturelle et philosophique, mais qui bénéficie de la présence du prestigieux Sébastien Faure.

Dès le mois de mai 1934 se tient un congrès de réunification UACR-AFA, sous l’étendard de l’antifascisme. L’UACR fait des concessions : elle adapte ses statuts aux manies en usage à l’AFA (refus de payer des cotisations régulières, localisme, individualisme) et doit renoncer à la référence communiste et révolutionnaire de son sigle pour se rebaptiser UA. Les ouvriéristes de l’organisation - Guyard, Carpentier, Ridel - refusent cette édulcoration de l’identité révolutionnaire et rompent pour former la Fédération communiste libertaire (FCL). Cette FCL, trop réduite, trop isolée, n’aura qu’une existence éphémère. Elle reviendra au bercail deux ans plus tard [6].

Le congrès précise en outre la stratégie antifasciste. En théorie, toute alliance avec les partis politiques est exclue. Dans la réalité, elle ne cessera pas. Déjà une dérogation est admise : sur le modèle de ce qu’elle a fait après le 6 février, l’UA pourra participer à des comités antifascistes unitaires dans la mesure où les syndicats en seront à l’origine. Ce sera le cas dès l’été 1934, avec la participation au centre de liaison et de coordination des forces antifascistes de la Région parisienne.

Quoiqu’en disent les mécontents, la réunification est fructueuse pour l’UA, dont les effectifs repartent à la hausse, de même que les ventes du Libertaire. L’organisation semble plus solide pour affronter les événements qui s’annoncent.

Le virage patriote du Front populaire

Depuis février 1934, l’UA a considéré que la riposte à l’extrême droite et l’enthousiasme unitaire ont créé un sursaut positif dans une classe ouvrière apathique. Ce n’est qu’à l’automne 1934 qu’elle commence à s’inquiéter de la tournure que prennent les événements : les communistes viennent alors de déclarer publiquement qu’ils souhaitaient inclure le Parti radical dans l’unité d’action !

Le « Front populaire » prôné par le PCF se précise alors : il s’agit non pas d’un front ouvrier, mais d’un front républicain. Plus question d’amener la petite bourgeoisie sur les revendications du prolétariat. Plus question de risquer l’effrayer avec des mots d’ordre virulents. Il s’agit au contraire d’aligner les organisations ouvrières sur le programme du parti radical qui, subitement, n’est plus qualifié par le PCF de « parti bourgeois » mais de « représentant des classes moyennes ».

L’explication de cette évolution est donnée le 2 mai 1935 avec la signature du Pacte Laval-Staline d’assistance mutuelle franco-soviétique, par lequel la France devient un appui militaire pour l’URSS. Illico, le PCF fait une croix sur quinze ans d’antimilitarisme et d’internationalisme, adopte un discours patriotique et approuve le réarmement de l’État français. Ce virage patriote révulse les anarchistes, qui bientôt affubleront les militants du PCF du nouveau sobriquet de « naco », pour « national-communiste ».

Pourtant l’UA n’est pas encore totalement détachée du Front populaire. Elle prend part au grand défilé antifasciste prévu le 14 juillet 1935. Mais, le préfet ayant refusé la présence des drapeaux noirs, ses militantes et ses militants en sont réduits à défiler de façon anonyme, dans leurs cortèges syndicaux. Ce 14 juillet 1935, bleu-blanc-rouge jusqu’à la nausée, laissera un souvenir cuisant aux révolutionnaires. Car c’est à cette occasion que le PCF adopte le drapeau tricolore à égalité avec le drapeau rouge ; que La Marseillaise se mêle à L’Internationale ; et que, dans le discours unitaire, on en fait appel à Jeanne d’Arc !

En août, éclatent des grèves violentes - plusieurs grévistes tués par la police - à Brest et Toulon. PCF, SFIO et Parti radical les dénoncent, feignant de n’y voir qu’une provocation de la « pègre » voire des « fascistes ». Tout ce qui menace l’ordre républicain est désormais proscrit. Dans L’Humanité, Jacques Duclos assène : « Nous attachons un trop grand prix à notre collaboration avec le Parti radical pour ne pas nous dresser contre les provocateurs. »

L’été 1935 sonne donc le glas des sympathies que pouvait avoir l’UA pour le Front populaire. La coupe est pleine. Toutes les passerelles sont rompues. « Le Front populaire est mort, tonne Sébastien Faure. Tant mieux. De profundis. » [7] Le virage patriote du PCF fait dire à l’UA, se référant à l’expérience de 1914, que « le Front populaire est une Union sacrée avant la lettre ». Par la suite, le ton sera encore plus tranchant : « Le Front populaire, c’est l’Union sacrée, et l’Union sacrée, c’est la guerre. » [8]

La stratégie du « Front révolutionnaire »

Il n’est plus possible pour l’UA de suivre le courant comme elle l’a fait depuis février 1934. Il lui faut réévaluer sa stratégie. C’est chose faite lors du congrès qu’elle tient les 12-13 avril 1936, avec l’adoption de la stratégie de « Front révolutionnaire », opposé au Front populaire.

Il s’agit désormais de se coaliser avec les minorités révolutionnaires existant au sein ou en-dehors de la SFIO - en premier lieu la Gauche révolutionnaire de Marceau Pivert, qui en juin 1938 fera scission pour créer un Parti socialiste ouvrier et paysan (PSOP) assez perméable aux thèses de l’extrême gauche (trotskiste ou libertaire).

L’objectif primordial de ce « Front révolutionnaire » est de lutter contre la nouvelle « Union sacrée ». Déjà, plusieurs mois avant le congrès de l’UA, les 10 et 11 août 1935, les diverses minorités (revue La Révolution prolétarienne, pivertistes, trotskistes, conseillistes, UA, CGT-SR…) avaient tenu une Conférence nationale contre la guerre qui proclamait : « Ce n’est pas d’une guerre impérialiste mais de la lutte sociale que nous attendons la chute du régime hitlérien. Nous voulons opposer l’unité ouvrière à l’union sacrée que l’on nous prépare. » [9]

La stratégie de Front révolutionnaire va permettre à l’UA se rompre l’isolement qui la menaçait, et de se poser comme une force politique d’entraînement - notamment dans le feu des grèves qui éclatent un mois après son congrès.

L’UA un peu dépassée par les grèves

Le raz-de-marée gréviste qui dure quatre semaines à partir du 11 mai va dépasser toutes les forces politiques et syndicales. L’UA, à bien des égards ne fait pas exception. Même si ses militant(e)s jouent un rôle central en bien des endroits [10], l’organisation a du mal à analyser la situation au-delà du caractère quantitatif des grèves. Elle ne comprend que tardivement ce que la pratique inédite d’occupation des usines recèle de potentiellement autogestionnaire. Le 12 juin, l’éditorial du Libertaire titre encore « Bifteck d’abord ! » et reste muet sur les perspectives politiques. Il faut attendre le 3 juillet, après la fin des grèves, pour que Le Libertaire, sous la plume de Nicolas Faucier, se risque à proposer la revendication de « contrôle ouvrier » sur les usines.

Une autre lacune de l’UA tient à une certaine frilosité du mouvement anarchiste en général. « Les vieux syndicalistes révolutionnaires […], raconte Daniel Guérin, alors militant pivertiste à la CGT, qui ont en poche leur carte syndicale depuis des dizaines d’années, font grise mine aux millions de nouvelles recrues, à ces maudits inorganisés d’un passé trop récent, à qui ils ne pardonnent point d’avoir tant attendu pour trouver le chemin du syndicat. Attitude absurde, mesquine, stérile et qui fera, en fin de compte, le jeu de la colonisation stalinienne. » [11]

Néanmoins l’UA profite beaucoup de la vague de grève. Ses effectifs grimpent à près de 4.000 adhérent(e)s, et le tirage du Libertaire s’envole : 25.000 exemplaires et 5.000 abonnés en 1937 [12]. Des ouvriers communistes en rupture de ban, qui n’ont pas supporté le virage de leur parti, rejoignent ses rangs. L’organisation semble avoir polarisé également les sympathies des jeunesses socialistes, qui sont au premier rang de la contestation au sein de la SFIO. On constate des phénomènes d’alliance, « voire d’osmose » entre jeunesses socialistes et jeunesses anarchistes [13].

Cette situation inédite va exaspérer la fraction intransigeante de l’UA, qui pensent que les anarchistes « perdent leur âme » dans la stratégie de Front révolutionnaire. En août 1936, une scission entraîne 500 adhérentes et adhérents dans une nouvelle structure : la Fédération anarchiste de langue française (FAF).

Conflit sur la « ligne syndicale »

Dans la continuité de sa posture anarcho-anarchiste, la FAF critique également la « ligne syndicale » de l’UA, qui s’est réjouie de la réunification syndicale de mars 1936 entre la CGT et la CGTU (la CGT-SR a été laissée de côté). Les militants de l’UA sont très majoritairement investis dans la CGT réunifiée. A contrario, les militant(e)s de la FAF estiment que les anarchistes doivent rejoindre un syndicat anarchiste, en l’occurrence la CGT-SR. Mais les militant(e)s de l’UA ne prennent pas la CGT-SR au sérieux. Depuis toujours, ses effectifs squelettiques, sa composition, son expression politique, l’apparentent davantage à une formation anarchiste prosyndicaliste qu’à une véritable centrale syndicale. Par dérision, ils l’appellent parfois la « CGT Sans Rien ». Après Juin 1936, ses effectifs monteront sans doute à 8.000 ou 10.000 adhérent(e)s [14], qui restent cependant une poussière face aux 4,5 millions de la CGT.

Le désintérêt de l’UA pour la CGT-SR trouve peut-être une explication supplémentaire après Juin 1936 : c’est que plusieurs dizaines voire centaines de militant(e)s CGT ont rejoint l’UA. Pour eux et elles, quitter la CGT pour adhérer à la CGT-SR signifierait concrètement abandonner une section CGT nombreuse et rajeunie pour se retrouver seul(e) CGT-SR sur sa boîte - une démarche qui tiendrait plus de l’acte de foi idéologique que du pragmatisme.

Après Juin 1936, s’amorce d’ailleurs au sein de l’UA un mouvement de création de groupes anarchistes d’entreprises, à l’initiative des anciens de la FCL (Ridel et Guyard). On en compte bientôt une dizaine en Région parisienne : chantiers du Trocadéro, Sauter-Harlé, Brandt, Renault, Citroën, Panhard-Levassor, SKF, Gnôme et Rhône, Somua. Mais la majorité du secrétariat de l’UA, considérant le caractère non statutaire de ces groupes, leur refusera le droit de vote au congrès de 1937. Le secrétariat, constatera un militant célèbre, Nicolas Lazarévitch, « n’a pas su comprendre l’élan de lutte de classe qui animait les nouveaux adhérents » [15]. Ce revers conduira une partie de la frange ouvriériste de l’UA à s’en retirer pour se consacrer, avec des pivertistes et d’ex-CGTU antistaliniens, à l’émergence du Cercle syndicaliste lutte de classe, un courant syndicaliste révolutionnaire apparu à la mi-1937 au sein de la CGT et qui regroupera jusqu’à 1000 adhérent(e)s notamment dans l’enseignement, la métallurgie, le bâtiment, et dans la fédération des Techniciens [16].

Les vrais problèmes commencent

Ces années 1934-1936 auront vu l’Union anarchiste s’enthousiasmer pour l’« unité d’action » antifasciste, puis se révolter contre la dérive patriote et républicaine du Front populaire, dénoncer les illusions de la gauche au pouvoir, s’engager dans les grèves sans nécessairement en tirer toutes les leçons, devenir un pôle révolutionnaire de référence. Mais l’apogée consécutive à Juin 36 sera de courte durée.

À partir de la mi-1937, l’UA va peiner à maintenir une politique cohérente. Piégée comme les autres minorités révolutionnaires par le dramatique reflux des luttes, les errements de la Révolution espagnole, la montée des menaces de guerre (Anschluss, Munich, Pacte germano-soviétique), elle fera souvent montre de moins de lucidité que la petite FAF ou le Cercle syndicaliste lutte de classe. Dans une situation complexe, elle pâtira de ses propres hésitations stratégiques et des faiblesses structurelles dont les équivoques du congrès de 1934 sont en partie responsables. À l’instar de bien d’autres, si elle a bénéficié de la spirale ascendante de l’après-Février 1934, elle subira le recul du mouvement ouvrier qui ira, comme l’écrit Jean Rabaut, « de défaite en défaite, jusqu’à la défaite ». Acculée à un certain pacifisme incantatoire, dépourvue de stratégie claire face à la guerre, l’UA - de même que la FAF, le PSOP, la CGT-SR et d’autres - s’effondrera à la déclaration de guerre, en septembre 1939.

Guillaume Davranche (AL Paris-Sud)

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Chronologie du Front populaire (1934-1938)

L’euphorie antifasciste unitaire

6 février 1934 : Manifestation sanglante des ligues d’extrême droite.

9 février 1934 : Manifestation antifasciste et anti-SFIO du PCF : 6 morts.

12 février 1934 : Grève générale et manifestation monstre sur le Cours de Vincennes, avec la CGT, la SFIO, l’UACR, la CGT-SR, le PCF, la CGTU. 100.000 personnes scandent « Unité d’action ! Unité d’action ! »

20-21 mai 1934 : Congrès anarchiste dit de « l’Unité » sous les auspices de l’antifascisme. L’UACR se rebaptise Union anarchiste (UA). Une fraction intransigeante des communistes libertaires ne le tolère pas et forme la Fédération communiste libertaire (FCL).

11 juin 1934 : « Armistice » PCF-SFIO.

27 juillet 1934 : Pacte d’unité d’action PCF-SFIO, essentiellement antifasciste.

10 octobre 1934 : Première utilisation du terme « Front populaire » dans L’Humanité. Le PCF propose à la SFIO d’étendre le pacte d’unité d’action au Parti radical (centre républicain).

Le tournant stalino-patriote

2 mai 1935 : Pacte Laval-Staline d’assistance mutuelle franco-soviétique. Virage patriote du PCF.

14 juin 1935 : Débuts des pourparlers de réunification CGT-CGTU.

14 juillet 1935 : Grande kermesse républicaine : 500.000 manifestant(e)s dans toute la France pour le Front populaire, drapeaux rouges et drapeaux tricolores mêlés.

5-9 août 1935 : Grèves sanglantes dans les arsenaux de Brest et Toulon, condamnée par PCF, SFIO et Parti radical.

Août 1935 : Le VIIe Congrès du Komintern abandonne officiellement la stratégie « classe contre classe » et officialise la stratégie de « Front populaire » (alliance communistes -socialistes-républicains) contre le fascisme.

La dissociation des révolutionnaires

Septembre 1935 : Au sein de la SFIO, naissance de la Gauche révolutionnaire, avec Marceau Pivert.

Décembre 1935 : Sébastien Faure dans Le Libertaire : « Le Front populaire est mort […]. Tant mieux. De profundis. »

10 janvier 1936 : Publication du programme électoral - plus que modéré - du Front populaire.

2-5 mars 1936 : Au congrès de Toulouse, réunification de la CGT et de la CGTU.

12-13 avril 1936 : Congrès de l’UA, qui dénonce dans le Front populaire une coalition interclassiste, patriote et républicaine. Définition de la stratégie de « Front révolutionnaire ».

5 mai 1936 : Victoire du Front populaire aux législatives.

La vague de grèves

11 mai 1936 : Début des grèves avec occupation dans les usines. Le mouvement s’étend bientôt à toute la France et va durer près d’un mois.

15 mai 1936 : La FCL réintègre l’UA.

7 juin 1936 : Signature des accords de Matignon entre le patronat, la CGT et le gouvernement.

11 juin 1936 : Le secrétaire général du PCF, Maurice Thorez, soutient qu’« il faut savoir terminer une grève ».

Épilogue

18 juillet 1936 : Espagne : soulèvement des troupes nationalistes, début de la Guerre civile et de la Révolution espagnole.

7 août 1936 : Léon Blum décide de la politique de non-intervention en Espagne.

15-16 août 1936 : Au congrès de Toulouse, les intransigeants scissionnent de l’UA et constituent une Fédération anarchiste de langue française (FAF).

26 septembre 1936 : En Espagne, la CNT occupe trois postes dans le gouvernement catalan.

4 novembre 1936 : Quatre ministres CNT entrent dans le gouvernement républicain espagnol. L’UA tait ses critiques. La FAF proteste publiquement.

Décembre 1936 : Vote par le Front populaire de la loi sur « l’arbitrage obligatoire », réglementant le droit de grève.

1er novembre 1937 : Au congrès de l’UA, les groupes anarchistes d’entreprise n’obtiennent pas le droit de vote. Départ des anciens de la FCL.

Janvier 1938 : Premier numéro du Réveil syndicaliste, organe du Cercle syndicaliste lutte de classe.

Juin 1938 : Scission de la Gauche révolutionnaire de la SFIO et fondation du Parti socialiste ouvrier et paysan (PSOP) avec Marceau Pivert et Daniel Guérin.

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[1] Nicolas Faucier, Dans la mêlée sociale, Itinéraire d’un anarcho-syndicaliste, éd. La Digitale, 1983. Dans ces mémoires, Faucier raconte cette réunion à laquelle il participa.

[2] Jacques Fauvet, Histoire du Parti communiste français, Fayard, 1964.

[3] Le Libertaire, 30 mars 1934. Cité par Jean Rabaut, Tout est possible ! Les « gauchistes » français 1929-1944, Denoël, 1974.

[4] Article de Pierre Besnard dans Le Combat syndicaliste du 16 février 1934. Cité par Jérémie Berthuin, La CGT-SR et la Révolution espagnole, éd. CNT-RP, 2000.

[5] Jean-Pierre Rioux, Révolutionnaires du Front populaire, UGE, 1973.

[6] Il s’agit de la « première FCL », sans rapport avec celle qui existera entre 1953 et 1957.

[7] Le Libertaire, 13 décembre 1935.

[8] Le Libertaire, 20 mars 1936.

[9] Jean-Pierre Rioux, op. cit.

[10] Dans son étude Juin 36, l’historien cégétiste et socialiste Georges Lefranc n’hésite pas conclure : « Anarchistes, trotskistes, communistes de stricte obédience et pivertistes ont fourni l’essentiel des cadres » du mouvement.

[11] Daniel Guérin, Front populaire, révolution manquée, Actes Sud, 1997.

[12] Fabrice Magnone, Le Libertaire (1917-1956), Autopsie d’un organe anarchiste (http://libertaire.org).

[13] Louis Mercier, L’Increvable Anarchisme, UGE, 1970.

[14] Jérémie Berthuin, op. cit.

[15] Jean Rabaut, op. cit.

[16] Jean Rabaut, op. cit.

http://www.alternativelibertaire.org/sp ... article597
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Re: Front populaire 1934-1937

Messagede mimosa rouge » 22 Sep 2013, 00:17

Ce revers conduira une partie de la frange ouvriériste de l’UA à s’en retirer pour se consacrer, avec des pivertistes et d’ex-CGTU antistaliniens, à l’émergence du Cercle syndicaliste lutte de classe, un courant syndicaliste révolutionnaire apparu à la mi-1937 au sein de la CGT et qui regroupera jusqu’à 1000 adhérent(e)s notamment dans l’enseignement, la métallurgie, le bâtiment, et dans la fédération des Techniciens [16].


cette nouvelle tendance SR à l'époque, était bien plus intéressante que les vieux (plus trop révolutionnaire) de la révolution prolétarienne . Malheureusement c’est sous étudié et on trouve pas grand chose !
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Re: Front populaire 1934-1937

Messagede bipbip » 21 Fév 2014, 13:30

Juin 36 : l’envers du décor (OT n°2, 1997) – Publié dans Oiseau-tempête n°2, 1997 – Texte de et issu du blog créatif de Barthélémy Schwartz

Juin 36 : l’envers du décor

Alors que Mai 68 est resté dans la mémoire sociale comme un mouvement social réprimé de façon combinée par le patronat, l’État, les partis de gauche et les syndicats, celle-ci n’a retenu des grèves de mai-juin 36 que les « acquis sociaux » du Front populaire. Pourtant, ceux-ci n’ont été que les concessions nécessaires du gouvernement de Blum à la répression du plus grand mouvement social de l’entre-deux guerres. La réédition de Front populaire, révolution manquée de Daniel Guérin (1) est l’occasion de revenir sur cette période, qui par bien des aspects est proche de la nôtre. Si le rôle joué par le PC (2) étonnera peu (le mot historique de Thorez, « Il faut savoir terminer une grève », est resté dans les annales de police sociale), celui des socialistes est moins connu. Au-delà de l’action des partis de gauche et des syndicats, les évènements de mai-juin 1936 nous rappellent qu’en matière de répression sociale, on n’est jamais mieux servi que par ceux qui nous représentent et parlent en notre nom, du moins tant que la règle du jeu n’aura pas été changée.

Le mouvement des occupations est apparu de façon spontanée, prenant au dépourvu aussi bien le patronat, le gouvernement que les syndicats et les partis de gauche : « Le mouvement s’est déclenché sans qu’on sût exactement comment et où. » (Jouhaux, secrétaire général de la CGT. (3) Quelle a été l’attitude du patronat, de l’État et des syndicats pour faire cesser les occupations en juin 36 ? (4)

Minimiser l’ampleur des grèves, désinformation, rétention d’informations

Si le patronat dénonce très vite le caractère révolutionnaire des occupations, en revanche, socialistes, communistes et syndicats dénient tout caractère subversif au mouvement des grèves. Le 6 juin, Jouhaux déclare : « Les grèves qui se déroulent actuellement à Paris et dans toute la France ne sont ni politiques ni insurrectionnelles, elles sont strictement corporatives. » Les séquestrations de patrons dans les usines occupées sont fréquentes dès le début du mouvement, mais à la demande du gouvernement, les syndicats font pression sur les grévistes pour que cesse cette pratique. La CGT déclare que les patrons « doivent être libres d’entrer et sortir des établissements » et qu’il faut « éviter toute exagération, enchères démagogiques, désordre dangereux ». Alors que, de façon générale, les patrons s’attendent en mai-juin à être dépossédés et expropriés (5), ils s’aperçoivent avec étonnement qu’ils n’ont affaire, grâce à la modération des syndicats, qu’à des revendications (6). Chez Renault, « Lehideux [membre de la direction de l'usine] est fort surpris de la modestie des revendications ouvrières (7). » Dans la presse ouvrière, le ton est à la modération. L’Humanité ne fait un rapprochement entre les premières grèves que le 24 mai (elles ont commencé le 11). Lorsque les grèves reprennent, dans la deuxième phase du mouvement (2-7 juin), ce n’est qu’en sixième page que L’Humanité annonce la reprise des grèves. La même chose se reproduira après les accords Matignon et le renouveau des occupations. La désinformation contre les occupations est pratiquée de façon égale par le patronat, qui dénonce des séquestrations là où il n’y en a pas, et par les partis de gauche et les syndicats : il s’agit de faire plier les grévistes par tous les moyens. Salengro, ministre socialiste de l’Intérieur, publie le 6 juin un communiqué affirmant que l’agitation reflue alors que précisément elle s’accroît. Quand le mouvement refluera réellement, la presse ouvrière fera silence sur les dernières résistances des grévistes. La médiatisation de l’agitation ouvrière par les syndicats est un moyen grossier mais efficace de déformer la réalité des luttes sociales : chaque défaite des grévistes est présentée mensongèrement comme une victoire. Dans les entreprises en grève, le syndicat pratique la rétention d’informations pour isoler les grévistes du contexte dans lequel il négocie avec le patronat, officiellement en leur nom. « [Chez Renault], à mesure que les jours passent, note Simone Weil, les informations données aux ouvriers par les délégués se font plus rares et moins précises. »

Le chantage à l’intérêt national, l’étranger comme bouc émissaire

Le PC, patriotique depuis le pacte Staline-Laval de 1935, qui associe à chacune de ses manifestations le drapeau tricolore avec le drapeau rouge et La Marseillaise à L’Internationale, utilise le chantage à la défense nationale pour faire cesser les débordements ouvriers : « Nous estimons impossible une politique qui, face à la menace hitlérienne, risquerait de mettre en jeu la sécurité de la France (8). » (L’Humanité du 3 juin). Il se pose en garant de l’unité de la nation : « Les pourparlers rompus doivent être repris. C’est à l’autorité gouvernementale d’intervenir avec force auprès des syndicats patronaux pour qu’ils acceptent de donner satisfaction aux ouvriers. La situation présente, due à l’égoïsme et à l’obstination patronale, ne saurait se prolonger sans péril pour la sécurité du peuple de France. » (idem, 6 juin). Après l’appel de Thorez du 11 juin appelant à la reprise du travail (« Il faut savoir terminer une grève. »), les grévistes qui continuent les occupations malgré l’opposition des syndicats et des communistes, sont ouvertement calomniés : les anarchistes et les trotskistes sont accusés, avec les fascistes, de chercher à entraîner les masses dans une aventure. Chez Renault, les communistes encouragent les manifestations d’intimidation : enterrements simulés de jaunes mais aussi de Croix de feu (extrême-droite) ou de trotskistes ; des tracts désignent nominalement les supposés trotskistes. Il s’agit pour le PC d’opposer l’union de la nation française à l’agitation ouvrière, implicitement accusée d’encourager, en persistant, la menace hitlérienne et fasciste. L’antifascisme dans sa version bureaucratique-bourgeoise devient la justification idéologique de la répression du mouvement des occupations par les organisations ouvrières elles-mêmes (PC, SFIO (9), syndicats). Un amalgame est fait entre les éléments étrangers aux syndicats et les étrangers qui travaillent en France. L’étranger devient le bouc émissaire. C’est le motif d’intrusion d’éléments étrangers aux syndicats qui est le prétexte au gouvernement pour prendre ses premières mesures d’ordre : « Il est vrai, déclare le socialiste Blum, qu’on a le sentiment de groupements suspects et étrangers à l’organisation syndicale. » Le 4 juillet, le gouvernement publie une circulaire aux préfets : « La France entend rester fidèle à sa tradition de terre d’asile. Il ne serait pas cependant admissible que des étrangers puissent sur notre territoire prendre part de manière active aux discussions de politique intérieure [entendre les occupations d'usine] et provoquer des troubles et du désordre. » A la fin du mois de juin, le mouvement est quasiment terminé dans les villes, mais il se prolonge dans les campagnes où des grèves d’ouvriers agricoles éclatent dès la mi-juin en Ile-de-France : la répression attire l’attention sur le rôle de la main-d’oeuvre étrangère dans cette agitation. Les grévistes et les manifestants sont accusés de porter atteinte à la nation, d’être la main de l’étranger. Une accusation qui ne vient pas seulement de l’extrême-droite, mais désormais aussi du gouvernement de Front populaire et des organisations du mouvement ouvrier. (10)

Négocier les revendications des grévistes à l’intérieur du consensus social

Dès 1935, face à la crise et à la menace fasciste, la CGT prône un rapprochement avec les classes moyennes : « Nous savons qu’il est dans les circonstances actuelles impossible de réaliser immédiatement [la transformation totale de l'économie] car, en la poursuivant, nous dresserions contre nous une coalition de gens dont certains, au contraire, doivent être avec nous. » Thorez, dans son discours du 11 juin, ne s’exprime pas autrement : « Notre but, dit-il en substance, reste le pouvoir des soviets, mais ce n’est pas pour ce soir ni pour demain matin, car toutes les conditions ne sont pas réunies et notamment nous n’avons pas encore derrière nous, décidée comme nous jusqu’au bout, toute la population des campagnes. Nous risquerions même, en certains cas, de nous aliéner quelques sympathies des couches de la petite bourgeoisie et des paysans de France. » Les syndicats s’efforcent donc de réduire les revendications ouvrières dans le cadre légaliste bourgeois. En octobre, après le mouvement des grèves, la CGT déclarera que « c’est pratiquer une véritable démocratie que [de] mettre sur le même plan droit au travail et droit de propriété, et vouloir que l’un et l’autre trouvent, par des solutions de justice sociale, leur sauvegarde. » En période d’agitation sociale dure, pour les classes dirigeantes l’union des classes est la priorité absolue : Blum borne son action gouvernementale dans les limites du programme ultramodéré du Front populaire, il rappelle que les électeurs n’ont pas voté socialiste mais Front populaire. En écho, Thorez explique qu’il ne « saurait être question de dire que « maintenant les questions revendicatives passent au second plan et qu’il s’agit de prendre possession des usines et de placer la production sous le contrôle direct des ouvriers » : il ne faut pas compromettre l’œuvre gouvernementale. » Frachon, un leader communiste de la CGT, veut en finir avec les occupations d’usine pour ne pas mettre en danger l’alliance avec les radicaux (dans ce marché de dupe, au sein du Front populaire, le parti centriste des radicaux, soutenu par le puissant trust des assurances, s’opposera à toute mesure de contrainte à l’égard du patronat). Dès les premières grèves de mai 36, le Front populaire (gouvernement, partis et syndicats) et le mouvement des occupations étaient faits pour se télescoper.

Pour une gestion rationnelle du capitalisme

Syndicats et partis ouvriers dénoncent le caractère « irresponsable » du patronat. Dès 1935, le Plan de la CGT plaide explicitement pour une économie dirigée reposant sur des nationalisations couvrant l’ensemble des activités, privées ou non. Bien que les idées du Plan ne soient pas retenues dans les propositions du Front populaire, l’idée d’une gestion plus rationnelle de l’économie est une idée forte dans le syndicalisme et dans les partis dits ouvriers. Le 29 mai, L’Humanité explique que, si le patronat comprenait mieux ce qui se passe dans les usines, les occupations n’auraient pas eu lieu : « Le mouvement de la métallurgie de la région parisienne peut très rapidement se calmer si, du côté patronal, on est disposé à faire droit aux légitimes et raisonnables revendications ouvrières (11). » Il suffirait donc d’une gestion plus rationnelle des usines pour éviter ce genre de « désagréments ». Cette idée d’une gestion rationnelle et dirigée de l’économie se retrouve, en cette période de crise, également au sein d’une partie du grand patronat, qui s’exprime notamment autour des Nouveaux Cahiers. Cette revue qui réunit banquiers, industriels, hauts fonctionnaires et syndicalistes propose une collaboration du patronat avec les syndicats ouvriers : « Si certains industriels français n’ont pas encore compris l’importance des changements intervenus depuis quelques mois dans l’ordre social et caressent quelque rêve chimérique de retour aux errements du passé, d’autres savent qu’une telle évolution est irrévocable. Ils sont prêts à s’y adapter et à y adapter leurs usines. » Juin 36 est l’amorce de la société d’économie mixte en France.

L’intervention de l’État : les accords Matignon

L’intervention est demandée par le patronat (12), qui ne parvient pas, malgré l’appui des syndicats, à résorber le mouvement des occupations. Si l’État intervient, c’est parce que, pour la première fois depuis 1919, l’équilibre social en France n’est plus en faveur du patronat. En accord avec ce dernier, Blum fait croire qu’il est à l’origine des accords Matignon. Ce mensonge du gouvernement du Front populaire a pour le patronat l’avantage de renforcer le prestige de l’État à un moment où le patronat a cruellement besoin de son aide, mais aussi de cacher aux grévistes la faiblesse réelle d’un patronat qui ne veut pas leur montrer qu’il est prêt à négocier (13). Le gouvernement espère, par les accords Matignon, en échange d’acquis sociaux (contrat collectif, congés payés, semaine de 40 heures, augmentation des salaires, etc.), mettre fin en quelques jours aux occupations. Si le patronat est prêt à tout accepter pour récupérer ses unités de production (dès lors que l’essentiel, l’exploitation privée capitaliste, n’est pas remise en cause), les syndicats, en revanche, sont modérés car l’objet de la négociation est moins de monnayer au prix fort des avantages sociaux que de faire cesser à tout prix le mouvement des occupations. C’est à l’initiative du patronat, et non des syndicats, que le principe des délégués ouvriers dans les entreprises est retenu dans les négociations. Les accords Matignon consacrent ainsi le syndicalisme dans sa fonction sociale de gestion des rapports sociaux avec le patronat et l’État. Mais cette consécration ne fait que valider le rôle répressif, utile et efficace que les syndicats ont dû exercer pour mettre fin aux occupations. En ce sens, si juin 36 est une grande victoire, c’est celle du syndicalisme et une défaite du mouvement gréviste. Pour survivre, le capitalisme français a dû se modifier. La reconnaissance du syndicat comme partenaire légitime par le patronat ouvre « une ère nouvelle » (Jouhaux), mais plus encore l’apparition de l’État comme troisième partenaire. Jouhaux dira d’ailleurs : « Cela démontre péremptoirement qu’il n’est pas nécessaire de réaliser l’État totalitaire et autoritaire pour l’élévation de la classe ouvrière à son rôle de collaboratrice dans l’économie nationale, mais le fonctionnement régulier et l’élévation de la démocratie le permettent. »

Le patronat découvre l’utilité du syndicat en période de crise sociale

La contrepartie des acquis cédés par le gouvernement et le patronat aux grévistes lors de l’accord Matignon du 7 juin, c’est l’évacuation des entreprises. Les syndicats s’engagent à favoriser la reprise, mais insistent sur la responsabilité du patronat dans la crise sociale : « C’est vraiment maintenant que vous allez peut-être regretter d’avoir systématiquement profité des années de déflation et de chômage pour exclure de vos usines tous les militants syndicalistes. Ils n’y sont plus pour exercer sur leurs camarades l’autorité qui serait nécessaire pour exécuter nos ordres. » Et Richemont, représentant du patronat, de reconnaître : « C’est vrai, nous avons eu tort. » Le patronat approuve la CGT lorsqu’elle explique que si les militants syndicalistes n’avaient pas été réprimés pendant quinze ans dans les entreprises, il n’y aurait pas eu de mouvement des occupations en France. Pour le syndicat, c’est dans la perspective d’une gestion rationnelle du capitalisme que les militants syndicaux sont utiles dans les usines, pour prévenir les situations de crise et aussi, quand elles éclatent, pour aider à les dénouer. A l’issue de la convention collective de la métallurgie, le représentant du patronat, le baron Pétiet « [souhaite] vivement que le contact reste maintenu entre les deux délégations (patronat-CGT) par des réunions périodiques ». Le patronat entend garder le contact avec un syndicat qui a fait ses preuves pour l’aider à résister aux exigences des grévistes. Certains chefs d’entreprises font pression sur les salariés non syndiqués pour qu’ils adhèrent à la CGT, le meilleur garant pour eux de ne pas avoir un débordement incontrôlé dans leur entreprise. Mais cette soudaine lucidité du patronat à l’égard des syndicats ne s’impose en juin 36 que par l’urgence de la crise sociale ; elle sera très tôt oubliée dès que la crise sera terminée. Dès septembre 1936, le patronat du textile écrit une lettre à Blum expliquant la nouvelle règle du jeu : « Les industriels du textiles de Lille ne veulent plus que leurs usines soient occupées. Ils ne veulent plus de séquestrations, de laisser-passer accordés aux patrons par les délégués d’usine, de menaces adressées au personnel qui ne partage pas la manière de voir de la CGT. Ils ne veulent plus voir de patrons bloqués chez eux ou assaillis dans leurs usines, ils ne veulent plus voir leurs bureaux et magasins occupés, ils ne veulent plus être « autorisés » à entrer dans leurs établissements pour payer leurs ouvriers, ils ne veulent plus de piquets de grève installés jour et nuit au domicile de leurs directeurs, ils ne veulent plus que leur personnel puisse être traduit en jugement par un conseil d’usine. » Le patronat ne veut plus être humilié. En novembre 1938, une répression classique et revancharde sera décidée par le gouvernement de droite qui aura succédé à Blum : selon le témoignage d’un des leaders de la CGT de l’époque, 9 % de la population active du secteur industriel et commercial sera licencié le 1er décembre 1938 à la suite de ces dernières grèves.


* *

Les nationalisations contre les occupations

Chez les grévistes, il y a l’idée que les nationalisations des entreprises par l’État sont une garantie pour eux. La menace d’appeler à la nationalisation est souvent brandie par eux dans les entreprises occupées. Après l’échec des accords Matignon du 7 juin, le mouvement de grève reprend dans la métallurgie parce que les grévistes dénoncent des accords qu’ils estiment en deçà de ce qu’ils ont exprimé dans leurs cahiers de revendications (la CGT au contraire appelle dès le 9 juin à la reprise du travail, et parle de victoire). Le 10 juin, les grévistes posent un ultimatum au patronat : dans 48 heures, celui-ci devra avoir satisfait leurs demandes, faute de quoi ils demanderont la nationalisation des usines de guerre et celles travaillant pour l’État, leur fonctionnement étant assuré par le personnel technique et ouvrier, sous le contrôle des ministères intéressés. A Rouen, les travailleurs du pétrole déclarent vouloir poursuivre la grève jusqu’à la nationalisation. La nationalisation étant au préalable une dépossession du patron privé, il y a à la fois chez les grévistes la croyance que la révolution peut être faite par en haut (par l’État) et une première phase de l’autogestion (la phase suivante serait de ne pas attendre la nationalisation par l’État mais d’autogérer directement l’entreprise). Mais les réquisitions par l’État sont déjà envisagées par la CGT comme des moyens de briser le mouvement de contestation sociale. Jouhaux rappelle le 16 juin devant le comité confédéral de la CGT que le gouvernement avait, à sa demande, envisagé des procédures de réquisition : « Nous avons fait admettre le principe de la réquisition dans les branches indispensables à la consommation, à la seule condition que les organisations ouvrières se mettraient au service des entreprises réquisitionnées. Le gouvernement n’a pas eu à faire usage de cette arme, mais il fait savoir qu’elle existe. » Belin, membre du bureau de la CGT, commentant ces propos, explique ce que réquisition veut dire : « Supposons que, par la suite des conflits, le ravitaillement de la capitale en essence, en lait et en farine se trouve compromis. Le rôle du gouvernement serait d’assurer par tous les moyens la distribution de ces produits. A cet effet, il devrait réquisitionner les établissements où ouvriers et employés en grève reprendraient le travail sous les ordres du gouvernement. Et si le conflit durait ? L’État resterait, pendant toute sa durée, le gérant des industries et des commerces réquisitionnés. Dans ce cas, la grève serait caractérisée non plus par la cessation du travail, mais par sa reprise sous la gestion de l’État, donc par une dépossession provisoire des employeurs. Ceux-ci rentreraient en possession de leurs entreprises sitôt le conflit terminé. Observez qu’on n’a pas envisagé de faire fonctionner les usines, il s’agit uniquement d’une mesure d’exception pour empêcher que la population ne subisse de graves incommodités. » (Lefranc, p. 141). Une autre forme de neutralisation a été inaugurée par le gouvernement Blum : l’arbitrage. Il consiste en un gel du conflit social dans l’entreprise, la protégeant de fait des grévistes, lesquels ont tout à perdre d’une neutralisation de leur offensive, tandis qu’elle sert les intérêts du patronat en validant, par son application, la légalité capitaliste. « C’est ainsi, explique Blum, que les grèves du Nord et celles de la Sambre ont pu être réglées à l’amiable. La neutralisation était une sorte de mise sous scellés pendant laquelle tous les droits, de part et d’autre, étaient respectés. Nous avons fait voter ensuite par les Chambres un texte qui interdisait la grève et le lock-out tant que les tentatives de conciliation prévues par la loi suivraient leur cours (14). »


ABC de répression socialiste

Le patronat s’oppose à l’usage de la force par le gouvernement, bien que les occupations sauvages de ses unités de production le prennent à la gorge : « Nous risquons un conflit sanglant [argumente un délégué du patronat], c’est du sang qui rejaillira sur nous et cela nous interdira peut-être de reprendre la direction de nos usines (15). » Moyen offensif, les occupations sont aussi un moyen défensif : elles interdisent au patronat de recruter, en cette période de crise et de chômage, des jaunes. L’objectif prioritaire est de libérer les usines occupées. Le gouvernement Blum fera son possible pour ne pas user de la force policière contre les grévistes. Le 7 juillet, le ministre de l’Intérieur a résumé sa politique devant les sénateurs : « Salengro a dit au Sénat qu’il ferait cesser l’occupation des usines par tous les moyens appropriés. Ce qui dans son idée signifie une intervention des militants du mouvement syndical, puis celle des pouvoirs publics. Si cela ne suffisait pas, on ferait confirmer cette intervention par les militants et par les pouvoirs publics. Si le résultat n’était toujours pas obtenu, une intervention commune serait effectuée, et ce n’est que si toutes ces tentatives de persuasion échouaient que le gouvernement emploierait d’autres mesures. C’est-à-dire qu’on enverrait des gendarmes [...] (16). » Pour le gouvernement de Front populaire, la répression des occupations passe donc par plusieurs phases : d’abord user des syndicats comme force dissuasive et policière à l’intérieur des entreprises, ensuite faire intervenir l’État comme arbitre, puis, comme dernier moyen, utiliser les forces armées. Si le recours à la force syndicale est un palliatif censé éviter au gouvernement de recourir à la force armée, à partir du 11 juin et de l’appel de Thorez à la reprise du travail, le processus de répression est lancé : le gouvernement mobilise les forces armées. Des troupes de gardes mobiles sont concentrées par le gouvernement autour des centres ouvriers, dans la région parisienne, dans les centres agricoles et dans le nord de la France. Le Front populaire baisse le masque.


* *

Sur Front populaire, révolution manquée de Daniel Guérin (réédition Actes sud / Bébel, 1997)

Dans Front populaire, révolution manquée, Guérin, ancien membre de la Gauche révolutionnaire (GR) de Pivert à l’intérieur de la SFIO, livre, sous forme autobiographique, le récit de la montée du fascisme en France dans les années 30, des résistances antifascistes (le Front populaire) mais aussi ouvrières (les occupations de juin 1936). Si la lecture de ce livre permet d’éclairer utilement, en les comparant, les montées du fascisme et de l’antifascisme hier et aujourd’hui, elle l’est moins, en revanche, pour comprendre ce que fut la répression sociale du mouvement des occupations de juin 36, par le Front populaire antifasciste justement. Très dissert sur la création du Front populaire de 1934 à 1936, les querelles politiques et la critique des tambouilles des partis, Guérin ne consacre que trente petites pages sur les occupations de juin 36. Si cet ouvrage est utile, cependant, dans l’étude du mouvement des occupations, c’est dans ce qu’il nous apprend, involontairement, des moyens de répression qui furent mis en oeuvre pour briser les grèves de mai-juin 36. Et la GR de la SFIO, en participant au travestissement d’un Front populaire garant de la légalité capitaliste en un pseudo-gouvernement à tendance révolutionnaire qu’il suffisait de gauchir pour lui faire prendre une direction révolutionnaire, apporta sa contribution à cette répression.

Daniel Guérin rejoint la GR en 1935, quand les trotskistes sont exclus de la SFIO. Extrême-gauche de la SFIO, la GR sera exclue à son tour en 1938, et s’individualisera en dehors du parti en devenant le Psop (Parti socialiste ouvrier et paysan, 1938-1940). Jusqu’à leur exclusion, les pivertistes croient pouvoir gauchir le Front populaire mais, tout en critiquant Blum, ils participent au gouvernement du Front populaire (Pivert sera chargé de la propagande). (17) En participant activement à l’héroïsation et à la mythologie du gouvernement Blum, non seulement ils cautionnent la politique d’abord modérée puis ouvertement répressive du Front populaire, mais aussi et surtout ils sont à l’avant-garde de ce marché de dupe où la coalition du Front populaire se fait passer pour l’alliée des ouvriers en grève, alors que précisément elle a pour mandat de réprimer l’agitation ouvrière. Alors que le gouvernement Blum s’apprête à signer le soir du 7 juin 1936 les accords Matignon, dont la finalité est avant tout, en échange de quelques concessions, de faire cesser les grèves, les pivertistes s’activent pour faire du leader socialiste un héros : « Lorsque, au lendemain [de la présentation de son gouvernement], devant les chambres, le 7 juin, [Blum] vient au Vélodrome d’hiver, jurer au peuple de France de ne se jamais laisser déloger du pouvoir sans combat, une mise en scène extraordinaire salue son entrée. Des projecteurs sont braqués sur lui. Un orchestre joue L’Internationale. Les militants se métamorphosent en choristes. Les Jeunes Gardes en chemise bleue forment une double haie vibrante. Les fidèles scandent indéfiniment à en perdre haleine : « Vive Blum ! » ou « Blum ! Blum ! » Qui est le metteur en scène de ce culte ? Nul autre que Marceau Pivert. Un peu plus tard, trop tard, il invitera les militants à se libérer d’une « certaine religiosité » qui leur interdit de juger sainement la politique des « militants les plus prestigieux ». Mais, en attendant, c’est lui qui fait fonction de grand-prêtre. » Et Guérin de conclure : « Nous aidions ainsi, dans une certaine mesure, à la propagation d’une duperie. » (p. 163) Guérin montre bien l’influence des nouvelles techniques de propagande de masse inaugurées en Allemagne nazie sur les idéologues socialistes. Pivert « croit aux techniques de propagande totalitaires », pour lui « le socialisme doit répondre à ces armes « venimeuses » (les techniques de propagande fascistes et nazies) par des armes équivalentes et user contre le fascisme des mêmes méthodes d’obsession provoquée (18). » Dans les deux cas, l’individu n’a d’existence qu’au travers des masses.

Tout en critiquant Pivert, Guérin le suivra jusqu’à la guerre, de la SFIO au Psop. De même qu’il ne voit d’action possible qu’à l’intérieur des partis socialiste ou communiste (il choisit la SFIO), de même la GR proposera (vainement) l’unification de la SFIO et du PC, parce que « c’était de l’intérieur du mouvement ouvrier unifié que nous voulions rechercher les possibilités de redressement révolutionnaire ». (p. 165). Ce qui explique pourquoi le regard de Guérin dans ce livre porte essentiellement sur l’activité des partis et de ses dirigeants. Après la guerre, Pivert réintégrera la SFIO, il écrira rétrospectivement à propos du Front populaire : « Oui, tout était possible. Appuyé sur ces masses ferventes, Blum pouvait tout : aucune force parmi celles du grand capitalisme, du fascisme, de l’état-major, de l’Église, de la réaction n’aurait pu lui résister. S’il l’avait voulu, il n’avait qu’un mot à dire et des milices ouvrières et paysannes armées auraient surgi du sol jusque dans les moindres villages ; elles auraient protégé les conquêtes sociales, appuyé les grandes nationalisations, réduit à l’impuissance les trusts. » (cité par Guérin, p. 186). Que le socialiste Blum a effectivement fait tout ce qu’il a pu pour mettre fin aux occupations d’usines est un fait historique qui échappait toujours à Pivert vingt ans plus tard. On comprend mieux comment les pivertistes, dont Guérin, en soutenant un Front populaire qu’ils critiquaient, ont aidé à «la propagation d’une duperie».

Malgré les limites indiquées, Front populaire, révolution manquée est un extraordinaire témoignage critique sur la montée du fascisme, l’antifascisme, le Front populaire et les grèves de juin 36, et une excellente introduction à cette période et à ses enjeux.

Barthélémy Schwartz

Notes
(1) Editions Babel/Actes Sud, 1997.
(2) Parti Communiste.
(3) Confédération Générale du Travail.
(4) Principales sources : Juin 36, de Danos et Gibelin (La Découverte, 1986) ; Juin 36, de Lefranc (Julliard, 1966) ; La France en mouvement, sous la direction de Jean Bouvier : recueil d’articles de divers auteurs, consacrés à juin 36, parus dans Le mouvement social, (Champ Vallon, 1986).
(5) « Rappelez-vous, les 4 et 5 juin 36, il y avait un million de grévistes. Rappelez-vous que le mouvement gagnait d’heure en heure et de proche en proche dans la France entière. Des témoins oculaires vous l’ont dit. M. Sarraut l’a dit, M. Frossard l’a dit. La panique, la terreur étaient générales. Je n’étais pas sans rapport moi-même avec les représentants du grand patronat et je me souviens de ce qu’on me disait, ou me faisait dire par des amis communs : « Alors, quoi, c’est la révolution ? Qu’est-ce qu’on va nous prendre ? Qu’est-ce qu’on va nous laisser ? » » (Blum au procès de Riom, 1942 ; Pottecher, Le procès de la défaite, Fayard, 1989, p.129).
(6) Voir les témoignages rapportés par Lefranc (op. cit., pp. 204-205).
(7) « Les grèves du Front populaire aux usines Renault », Badie, La France en mouvement.
(8) Les passages en italique dans les citations sont soulignés par moi.
(9) Section française de l’Internationale ouvrière, qui deviendra le Parti Socialiste en 1969 [note de Zanzara athée].
(10) Il faudra d’ailleurs attendre la fin du mouvement des occupations, fin juin, pour que le gouvernement publie un décret sur la dissolution des ligues d’extrême-droite.
(11) Raisonnables, pour qui ?
(12) Blum est contacté par le patronat trois jours après son arrivée au pouvoir, que la Bourse accueille avec satisfaction, « car on pense généralement que le nouveau gouvernement mettra fin rapidement au mouvement de grève » (Le Temps, 4 juin 36). Lors du procès de Riom, Blum déclarera : « A ce moment [lorsque éclatent les premières grèves de 1936], dans la bourgeoisie, et en particulier dans le monde patronal, on me considérait, on m’attendait, on m’espérait comme un sauveur. Les circonstances étaient si angoissantes, on était si près de quelque chose qui ressemblait à la guerre civile qu’on n’espérait plus que dans une sorte d’intervention providentielle : je veux dire l’arrivée au pouvoir d’un homme auquel on attribuait sur la classe ouvrière un pouvoir suffisant de dissuasion pour qu’il lui fît entendre raison et qu’il la décidât à ne pas user, à ne pas abuser de sa force. » (Guérin, p. 192).
(13) Richemont déplorera ainsi « le manque de résistance notoire d’une grande partie du patronat ».
(14) Blum au procès de Riom, Le procès de la défaite, (p. 143).
(15) Sarraut devant le Sénat, 7 juillet 1936.
(16) Communiqué du ministère de l’Intérieur, juillet 1936.
(17) Guérin sera, cependant, le seul des pivertistes à voter contre la participation au gouvernement Blum (p. 188).
(18) Tchakhotine, auteur du Viol des foules par la propagande politique (1939), est introduit dans la GR par Pivert.

http://www.grand-angle-libertaire.net/j ... -schwartz/
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Re: Front populaire 1934-1937

Messagede bipbip » 05 Mar 2014, 01:35

1936, Révolution manquée : retour sur l'anayse de Daniel Guérin
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Re: Front populaire 1934-1937

Messagede Pïérô » 09 Mar 2014, 14:43

16 février 1937 : Quand l’aile gauche du parti socialiste critiquait l’action du gouvernement Blum
http://tours.mediaslibres.org/16-fevrie ... -aile.html
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Re: Front populaire 1934-1937

Messagede bipbip » 19 Mar 2015, 13:46

1937 : L’émeute de Clichy divise le front populaire

Le 16 mars 1937 au soir, dans les rues de Clichy, la police du gouvernement de Front populaire ouvre le feu sur une foule de plusieurs milliers de personnes qui protestaient contre une projection cinématographique du Parti social français (PSF) du colonel de la Rocque. Le rassemblement vire à l’émeute et six manifestants meurent, 276 autres sont blessés. Quand la police de Marx Dormoy, ministre socialiste de l’intérieur, vise le comité antifasciste de Clichy, dont les socialistes font partie, la déchirure au sein du mouvement antifasciste semble irrémédiable.

Si cette émeute a été quelque peu occultée de la mémoire du Front populaire, on se souvient par contre plus volontiers des grandes grèves de juin 1936 qui avaient poussé le gouvernement à concéder nombre de réformes sociales et à dissoudre les ligues nationalistes. Quelques mois plus tard, le spectre des émeutes d’extrême droite du 6 février 1934 semble s’éloigner pour le gouvernement et le reflux des luttes lui permet de décréter la pause dans les réformes.

En mars 1937, il est temps de lancer le grand emprunt de trois milliards de Francs décidé par les socialistes et les radicaux au gouvernement. Ils se montrent donc particulièrement soucieux de donner des gages de légalisme républicain. C’est dans cette période charnière que le PSF choisit d’organiser sa séance de cinéma sur les relations aéronautiques entre la France et l’Amérique du Sud à Clichy, véritable bastion ouvrier. Pour les militants locaux du Front populaire, ce n’est rien d’autre qu’une provocation.

Les démarches qu’ils entreprennent auprès de Marx Dormoy n’aboutissent pas. Le PSF est une organisation légale et la réunion est privée ; au regard de la loi rien ne l’empêche de se tenir. Les forces antifascistes de Clichy ne voient pas les choses exactement de la même manière et en appel aux travailleurs. Depuis le sursaut antifasciste de février 1934, des rassemblements ou des réunions d’extrême-droite sont fréquemment empêchées par les mobilisations du Front populaire. La réunion du PSF du 16 mars entraîne donc l’affrontement de deux orientations divergentes au sein du Front populaire : le légalisme républicain du gouvernement et l’action antifasciste populaire des comités de base.

Être à la hauteur de l’enjeu

A Clichy, ville socialiste, les anciens Croix de feu interviennent en territoire hostile et la direction du PSF semble avoir parfaitement conscience de l’affront que la soirée du 16 mars représente pour les forces locales du Front populaire. Dès le 15 mars, elle mobilise ainsi plusieurs dizaines d’hommes pour occuper le cinéma Olympia où doit se tenir la projection. Le lendemain, ils sont une centaine à surveiller les abords du cinéma. Ces hommes appartiennent aux équipes volantes de propagande (EVP), qui forment le service d’ordre très militarisé du PSF. D’autres équipes se sont concentrées en certains points du Nord de la capitale, pour venir renforcer celles déjà présentes à Clichy en cas de coup dur.

Les EVP collaborent pour l’occasion avec des autorités plutôt tolérantes. Du coté des forces de l’ordre on se prépare d’ailleurs activement pour s’assurer de la bonne tenue de la soirée. Les renseignements généraux sont sollicités, mais l’on a du mal à estimer la capacité de mobilisation des antifascistes. Les renseignements fournissent des estimations du rassemblement antifasciste largement sous-évalués jusqu’au jour même, où ils annoncent finalement la participation de 5.000 à 8.000 manifestants et manifestantes.

Cela n’empêche par un déploiement impressionnant des forces de l’ordre : la direction générale de la police municipale prévoit environ 1.800 policiers et gardes mobiles pour boucler la place de la mairie où se sont donné rendez-vous les antifascistes. Huit barrages sont prévus, aux alentours de la mairie, sur les rues Jaurès, de l’Union, Villeneuve, Dagobert et Marte.

Les organisations antifascistes, ayant pris connaissance des intentions du PSF tardivement, ne disposent que d’une semaine pour préparer la riposte, mais la mobilisation est intense, unitaire et portée par le mouvement ouvrier local. Le secrétaire des syndicats de la région parisienne lance, par exemple, un appel à la mobilisation antifasciste devant les travailleurs et travailleuses de la fonction publique réunis à Clichy le dimanche 14 mars. S’il faut noter par ailleurs que le contre-rassemblement ne rencontre qu’un faible écho dans les organes de presse nationaux du PCF ou de la SFIO, les révolutionnaires de la région parisienne ont bien saisi l’enjeu de la soirée et se préparent eux-aussi à l’événement.

Le « Front populaire de combat » en ordre de bataille

Le comité de Clichy du Front populaire prépare sans relâche la mobilisation. Les murs de la cité ouvrière sont couverts d’affiches et l’on multiplie les diffusions de tracts. Le comité peut s’appuyer sur la mairie de Clichy qui fait également éditer une affiche appelant au rassemblement, signée par le maire SFIO Charles Auffray, le député Maurice Honel et le conseiller général Maurice Naile, tous deux communistes. Charles Auffray et Maurice Naile se connaissent bien. Ils sont deux anciens responsables du Parti d’unité prolétarienne (PUP), une organisation de dissidents du PCF et de la SFIO militants pour la réunification des partis marxistes.

C’est donc la gauche du Front populaire qui mobilise dans une atmosphère de grande unité. La Voix populaire, l’organe local du parti communiste, va même jusqu’à écrire : « Nous nous réjouissons de l’attitude de nos camarades de la section socialiste de Clichy qui, comme nous, se sont montré décidés à tout faire pour que les factieux, genre La Rocque et Doriot, ne viennent provoquer la classe ouvrière de Clichy. »

C’est peut-être là l’incarnation du Front populaire de combat que tente d’organiser Marceau Pivert et la tendance Gauche Révolutionnaire (GR) de la SFIO. Une partie importante de la SFIO désapprouve la politique tiède du gouvernement Blum et la tendance révolutionnaire de Pivert gagne du terrain dans la fédération de la Seine. Elle s’apprête d’ailleurs à en prendre la direction. Les pivertistes qui militaient pour une prise de pouvoir illégale du Front populaire dès le printemps 1936, en appellent depuis à l’émergence d’un « front populaire de combat », conscient qu’un gouvernement - même de gauche - ne peut avancer sans la pression des masses.

Le 16 mars, on peut donc compter sur une solide participation de la SFIO parisienne. Elle mobilise d’ailleurs pour l’occasion son organisme d’autodéfense, les Toujours Prêts Pour Servir (TPPS), connus dans la région parisienne pour leur action radicale contre les groupes nationalistes. Les socialistes de la Seine ne sont pas les seuls à se préparer à en découdre. La préfecture est informée que des ouvriers des établissements Geoffroy-Delore ont fabriqué, dans les ateliers, une centaine de matraques pour ne pas venir au rassemblement antifasciste les mains vides...

Les organisations antifascistes, réunies la veille pour évoquer les dernières dispositions techniques, peuvent donc faire preuve de détermination et malgré l’interdiction de la manifestation, elles prévoient de défiler en cortège dans la ville. Le rendez-vous est fixé à 19 heures devant la mairie et on prévoit un parcours formant une boucle qui encerclerait le cinéma.

Du rassemblement à l’émeute

A 19h 30 le mardi 16 mars au soir, malgré la bonne centaine de membres des EVP, les sympathisants du PSF ne sont probablement pas très confiants dans l’aventure clichyenne de leur chef et ne sont que 400 à se rendre au cinéma l’Olympia. La Roque lui-même ne vient pas. L’important service d’ordre policier est disposé aux alentours du cinéma qui, dès le début de soirée, est assiégés par des centaines de manifestants. Refoulés par les forces de l’ordre, ils se retrouvent sur la place de la mairie où leurs rangs se gonflent progressivement. A 20h, la police dénombre 4 000 antifascistes réunis sur la place de la mairie qui leur était pourtant interdite.

C’est peu de temps après qu’éclatent les premiers incidents. Des manifestants, vraisemblablement organisés, enfoncent les premières lignes des forces de l’ordre barrant la rue de l’Union qui mènent au cinéma. Les contres-charges policières contiennent la foule mais la situation devient explosive, tandis qu’un bon millier d’antifascistes viennent renforcer le rassemblement. A 20h 30, Maurice Naile donne le signal de départ de la manifestation, dont le parcours doit finalement passé par la porte de Clichy, mais 3000 manifestants et manifestantes tentent toujours de forcer les barrages policiers. Pour eux, l’objectif est toujours d’empêcher les anciens Croix de feu de se réunir.

Passé 21h, alors que les émeutiers sont désormais près de 4 000 sur la place de la mairie, le désordre devient « inouï » selon des rapports police. Les renforts qui viennent appuyer les barrages de la rue de l’Union sont criblés de morceaux de fonte, de pierres et de bouteilles, à tel point que de nombreux policiers sont blessés avant même de sortir des camions. Au bout de 45 minutes, la fusillade éclate ; et c’est le « massacre de Clichy ».

Le massacre de Clichy

D’après les forces de l’ordre, les premiers coups de feu viennent de la mairie, ou de toits d’immeubles adjacents voire même des premières lignes des manifestants. Dans la presse ouvrière des jours qui suivent, on n’insiste pas pour démentir cette version des faits. On est par-contre unanime pour dénoncer la violence extrême de la réaction des forces de l’ordre qui ouvrent le feu sur la foule. La fusillade court de 21h 45 à 22h30. Pourtant la foule des émeutiers ne fait que grossir jusqu’à atteindre le nombre de 6.000 individus. Ceux qui avaient suivi le cortège en direction de la porte de Clichy sont alertés par la sirène municipale et sont revenus sur la place.

Dans le service d’ordre policier, un seul agent est blessé par balle, mais on dénombre par contre six morts et 48 blessés par arme à feu dans les rangs antifascistes. La façade de la mairie où se sont réfugiés grand nombre de manifestants est criblée d’impacts de balles. Des manifestants témoignent de tirs de revolver à bout portant sur des certains des leurs qui tentent de secourir des blessés.

Dans la grande confusion qui règne rue de l’Union, des policiers ouvrent le feu de leurs mousquetons sur des manifestants désarmés. Les témoignages des manifestants rapportent de nombreuses exactions. André Blumel, membre du cabinet de Léon Blum, est lui-même atteint deux fois par les balles de la police alors qu’il se rend à la mairie pour tenter d’apaiser les manifestants.

Une victoire à la Pyrrhus pour les antifascistes

Pour le PSF, le bilan de la soirée n’est guère glorieux aux premiers abords. Au bout de dix minutes seulement les organisateurs de la projection ont dû faire évacuer la salle et le retour vers Paris n’a pas toujours été simple pour les partisans du colonel de la Roque. Du coté policier, la soirée n’a pas non plus été une sinécure. On relève 255 blessés parmi les forces de l’ordre et un mort : le gardien de la paix Auguste Meunier qui décède le 11 mai suivant, après avoir été atteint au foie par un morceau de fonte.

Le bilan humain de la soirée de la manifestation de Clichy est cependant très lourd pour les manifestants et manifestantes. On recense, en plus des morts déjà cités, 276 blessés, dont 54 doivent être hospitalisés. Les cinq premières victimes dans les rangs du Front populaire sont toutes des membres du PCF. La sixième, Solange Demangel, qui meurt peu de temps après son hospitalisation, milite à la 18e section de la fédération de la Seine de la SFIO. Elle est également membre des TPPS, l’organisme d’autodéfense socialiste. Les cicatrices ne sont pas que pour les blessés : le PSF a réussi à provoquer une profonde rupture entre le gouvernement Blum et les révolutionnaires du Front populaire.

La question des responsabilités

La manœuvre a si bien réussi qu’on en vient à soupçonner même un guet-apens nationaliste. Certains éléments viennent renforcer cette thèse. La police a arrêté deux hommes de mains du Comité de rassemblement anti-soviétique (Cras) - une reconstitution du parti franciste - qui avouent être payés pour perturber des réunions et rassemblement de gauche. Or l’un d’eux figure parmi les blessés de Clichy. Même si la préfecture de police s’intéresse un temps à cette piste, cela ne peut expliquer seul le déclenchement de la fusillade.

Les explications officielles de la presse socialiste et communiste ne sont pas beaucoup plus satisfaisantes. Elle dénonce les agissements de l’extrême-gauche, mais les rapports des renseignements généraux précisent que trotskistes et anarchistes ne sont qu’une poignée à être potentiellement impliqués dans les affrontements. Au sein de la SFIO, on se fait plus précis et Marx Dormoy accuse Marceau Pivert ainsi que ses TPPS d’avoir entraîné la foule à l’assaut des barrages de police.

Marceau Pivert ne nie pas la participation de ses troupes dans la bataille, mais impute quant à lui la responsabilité politique du massacre au gouvernement, qu’il accuse de trahison dans le supplément des Cahiers rouges de mai 1937 : « Oui, on a rapproché […] les mesures prises par le gouvernement pour rétablir la confiance des possédants et les mesures de protection de la réunion des Croix-de-feu. Oui, on a difficilement compris que le rassemblement populaire, la fédération de la Seine, la municipalité socialiste de Clichy, convoquent une contre-manifestation et que le ministre de l’Intérieur, socialiste, n’interdise pas la réunion fasciste ».

Il importe finalement assez peu de savoir qui est à l’origine des premiers coups de feu et à l’initiative des affrontements. Quoi qu’il en soit, le 16 mars au soir, des milliers de femmes et d’hommes se sont montrés prêts à en découdre pour faire taire l’extrême-droite. Cette même extrême-droite qui a été défendue par un gouvernement de Front populaire.

Le 16 mars, une rupture au sein du Front populaire

Les morts de Clichy sont, au lendemain du 16 mars, élevés au rang de martyr et le Front populaire tout entier communie dans une des plus grandes manifestations de son histoire pour leur rendre un dernier hommage. Il n’empêche que la rupture entre le Front populaire de gouvernement et l’extrême-gauche est consacrée. Au sein de la SFIO, Marceau Pivert et la Gauche révolutionnaire (GR) ont beau emporter la direction de la fédération de la Seine, ils sont exclus en 1938. Parmi les charges retenues contre les révolutionnaires, il y a notamment ces événements du 16 mars 1937.

Emile (AL Paris Sud)

http://alternativelibertaire.org/?1937- ... -divise-le
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Re: Front populaire 1934-1937

Messagede Pïérô » 28 Mai 2015, 05:36

Toulouse, vendredi 29 mai 2015

Rencontre avec Matthias Bouchenot autour de son livre Tenir la rue.

Avec le soutien d'Alternative Libertaire Toulouse, rencontre avec Matthias Bouchenot autour de son livre Tenir la rue. L'autodéfense socialiste - 1929-1938, aux éditions Libertalia.

à 19h, Librairie Terra Nova, 18 rue Gambetta, 31000 Toulouse

Image

La manifestation d'extrême droite à caractère insurrectionnel du 6 février 1934 provoque une réponse immédiate des partis de gauche, qui décident de s'allier afin de ne pas subir le sort des Italiens et des Allemands, défaits par le fascisme mussolinien et le national-socialisme.
Ce rassemblement mène à la victoire électorale du Front populaire en mai 1936, immédiatement suivie d'un mouvement de grève sans précédent qui débouche sur l'obtention de nombreux droits, notamment les congés payés.

Matthias Bouchenot aborde dans cet ouvrage un angle mort de l'histoire des années 1930 : celle des groupes d'action et des groupes d'autodéfense de la SFIO, principalement dans la fédération de la Seine. Embryon d'armée révolutionnaire pour les uns, simples groupes chargés d'assurer la sécurité des cortèges, des meetings et des chefs politiques pour les autres, les « Jeunes Gardes socialistes » (JGS) et les « Toujours prêts pour servir » (TPPS) refusaient de laisser la rue aux ligues d'extrême droite et rêvaient de vivre des lendemains qui chantent.
Constituant l'aile gauche de la SFIO, ouverts aux tendances communistes révolutionnaires (trotskistes, luxemburgistes), proches des libertaires, les TPPS et les JGS incarnent l'image la plus éloquente du « Front populaire de combat ».
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Re: Front populaire 1934-1937

Messagede Pïérô » 07 Mai 2016, 12:43

1936 et le cinéma

Du 4 au 27 mai, le Forum des Images (Paris) propose un cycle de projections et de conférences autour de l'année 1936.

Présentation : Prenons un instantané de cette année au cours de laquelle ont coexisté des idéologies si différentes, où l'embellie du Front populaire et l'espoir des Républicains espagnols se mêlent à la montée des nationalismes. Cette capture d’écran de l’époque est aussi l’occasion d’interroger la résonance de ces années 1930 sur notre époque actuelle.

1936 est une année charnière : en Allemagne, en Espagne, en URSS, en France, aux États-Unis, partout dans le monde l’époque semble prête à basculer. Des attitudes contradictoires s’affrontent en cette année 36. Inquiétude face aux menaces de guerre et à la violence qui émane des régimes fascistes, et optimisme volontaire de ceux qui œuvrent pour la liberté, de meilleures conditions de travail, une république sociale, etc.

En France, la victoire électorale du Front populaire, symbole d’un immense mouvement social, reste dans la mémoire collective pour la conquête des congés payés, la semaine de 40 heures, les occupations d’usines, des souvenirs de fête… même si son action ne s’est pas limitée à cela. Ce sont là les souvenirs marquants de ce qui fut vécu comme une « embellie », selon le mot de Léon Blum, entre la crise, la menace du fascisme et celle de la guerre. Mais 36 c’est aussi le 17 juillet, le coup d’État du général Franco qui menace le « Frente popular » espagnol et sonne le début de la Guerre d’Espagne ; la réélection de Roosevelt aux États-Unis ; le début des procès de Moscou ; l’annexion de l’Éthiopie par Mussolini ; les Jeux olympiques d’été qui se tiennent à Berlin du 1er au 17 août et deviennent, par le cinéma, un extraordinaire support de propagande du régime nazi…

80 ans plus tard, que nous disent les images du cinéma de fiction, des actualités, du cinéma militant de cette année d’espoir et d’incertitudes ?


La programmation : http://utoplib.blogspot.fr/2016/05/du-4 ... mages.html

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Re: Front populaire 1934-1937

Messagede Pïérô » 22 Mai 2016, 00:59

Expo photos

"1936, le Front populaire en photographie"

Exposition à l'Hôtel de Ville de Paris

Plus de 400 œuvres exposées

« Du 19 mai au 23 juillet, à l’occasion du 80e anniversaire du Front populaire

l'exposition "1936, Le Front populaire en photographie" fait revivre l'histoire politique et sociale au travers des clichés des photographes majeurs de l'époque.
À 20 ou 30 ans, munis de leur appareil photo, Robert Capa, Henri Cartier-Bresson, Chim, Robert Doisneau, ou encore Willy Ronis, alors jeunes et inconnus, saisissent le Paris des années trente pour illustrer journaux et magazines. En 1936, avec le Front populaire et le mouvement de grèves le plus important jamais connu en France, cette nouvelle génération prend son essor. Elle sillonne la capitale et capte ces moments historiques, profitant de l’opportunité de la demande croissante de la presse magazine en plein développement.
Ces photographes indépendants ne sont pas seuls sur le terrain. Dans Paris, capitale de la photographie, fleurissent les agences photo : AGIP, Harlingue, Henri Manuel, Keystone, Lapi… Elles couvrent l'actualité pour les journaux et magazines et rendent compte des événements de la rue, lieu d'expression politique et syndical, au même titre que de l'occupation des usines par les grévistes.

Dans un parcours chronologique, l'exposition chemine à travers le contexte politique, économique, social et culturel des années 1934-1935, et se focalise sur la victoire électorale du Front populaire, les grèves sur le tas et l'enthousiasme que procurent les acquis sociaux du printemps et de l'été 1936 : les vacances à la mer, la vie au grand air, les sorties... Viennent ensuite les années 1936-1939 marquées par un contexte conflictuel en Europe, entre tragédie espagnole et amorce de la Seconde Guerre mondiale. Plus de 400 œuvres sont proposées au fil de cette exposition. »

Du 19 mai au 23 juillet,
salle Saint-Jean, Hôtel de Ville,
5, rue Lobau (Paris 4e).
Du lundi au samedi, 10h-18h30.
Entrée libre et gratuite.

http://utoplib.blogspot.fr/2016/05/paris.html
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Re: Front populaire 1934-1937

Messagede bipbip » 05 Juin 2016, 14:24

Un élan populaire pour l’éducation !

Notre Billet de Une n’est pas un billet d’humeur et n’évoque pas l’actualité directe, mais l’histoire. Seulement, quelle histoire ! La nôtre, celle de mai-juin 36. Et de façon inédite, car vue du côté éducation (émancipatrice bien sûr).

Entretien avec Catherine Chabrun

Mai-juin 36, c’est l’élan ouvrier, la joie populaire. Sait-on comment le monde enseignant, à une époque où il était nettement moins nombreux et socialement plus séparé, et où il ne faisait pas grève, a-t-il vécu cette période ?

On peut en avoir une idée – au moins pour les enseignants liés à l’Éducation nouvelle et au Syndicat national des instituteurs, comme les enseignants du mouvement Freinet l’étaient – en parcourant la revue L’Éducateur prolétarien, notamment le recueil de textes « Freinet et le Front populaire » en libre accès (http://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/46138).

Les commémorations sont souvent synonymes d’ennui et d’hypocrisie : comment peut-on parler du Front populaire en classe aujourd’hui, dès le premier degré ?
Pour parler du Front populaire en classe, il suffirait de ne pas se cantonner aux seuls congés payés et temps de travail hebdomadaire. Plutôt plonger les enfants et les adolescents dans les réalisations pour la jeunesse de cette période, ce qui va éclairer leurs conditions actuelles et permettre des débats. Temps de travail, devoirs à la maison, transmission des savoirs hors vie, examens… sont toujours en questions ! On peut aussi lire – faire lire – les reportages au cœur des occupations d’usines en 1936 de Simone Weil Grèves et joie pure que les éditions Libertalia viennent de republier (mai 2016).

Les conquêtes sociales du Front populaire sont connues. Dans l’enseignement, y a-t-il eu des avancées ?
Le mouvement du Front populaire a commencé bien avant la victoire électorale de mai 1936 et a continué jusqu’en 1938. Dans l’enseignement, il y a beaucoup d’avancées et ceci grâce à la volonté du ministre de l’Éducation nationale, Jean Zay. Qui a été un réalisateur plus qu’un réformateur.
Ses principaux objectifs : permettre aux enfants du peuple de recevoir plus d’instruction, d’accéder à la culture et de veiller à la santé de la jeunesse.
Les principaux changements :
- Prolongation de la scolarité obligatoire de 13 à 14 ans. Au lieu de définir aussitôt par circulaire le contenu et les programmes de cette année supplémentaire, il laisse « toute liberté d’initiative » aux instituteurs avec comme mission : complément d’instruction, initiation culturelle et orientation professionnelle.
- Pour lutter contre le surmenage scolaire, allègement des programmes et réduction des devoirs à la maison.
- L’enseignement primaire et secondaire devient le premier et le second degré.
- Le second degré commence par une année de classe d’orientation qui n’engage pas les familles. Elles pourront diriger leur enfant dans trois sections (classique, moderne, technique). Les nouveaux programmes permettent les passages d’une section à l’autre en cas d’erreur d’orientation.
- Le CEPE (Certificat d’études primaires élémentaires) est aménagé : il devient un examen de connaissances et un examen des aptitudes.
- L’éducation physique : entre 30 min et 1 heure par jour d’éducation physique (ou 1 après-midi par semaine) à l’école et il élabore un plan d’ensemble dans et hors l’école.
- La radio scolaire.
- Les vacances d’été fixées au 14 juillet (en lien avec les congés payés) pour permettre les départs en vacances.
- L’effectif des classes est fixé à 35 élèves maximum.
- La formation des maîtres : le bac devient obligatoire et la formation professionnelle sanctionnée par un CAP (Certificat d’aptitude pédagogique). Pour les professeurs du second degré, la formation professionnelle est assurée avec un CAP également.

Alors que disait-on, que faisait-on dans le mouvement Freinet ?
Le mouvement Freinet a accompagné l’élan d’émancipation populaire des familles, des parents des enfants scolarisés. La volonté de contribuer à la transformation de l’enseignement a vite animé le mouvement, la condition de l’enfance devant être au cœur de ce nouveau projet de société.

- Un appel aux parents prolétariens
avec la prise en compte de tous les lieux que fréquentent les enfants en dehors de l’école et la coopération avec les parents et avec tous les acteurs de l’Éducation populaire. La pédagogie Freinet doit s’installer aussi dans ces différents espaces...
« Le succès éclatant du Front populaire pose avec plus d’acuité encore la question de l’organisation des Parents prolétariens. Parallèlement à ce puissant Front populaire, est en train de se constituer une solide Fédération de l’Enfance Ouvrière et Paysanne qui, en dehors de tout sectarisme de chapelle ou de parti, groupera toutes les associations d’enfants, toutes les Ligues scolaires ou post-scolaires qui intéressent la jeunesse. » (Juillet 1935)

- L’optimisme traverse le mouvement Freinet
« Ce regroupement des masses, cette levée étonnante de tant de défenseurs de la paix et de la liberté, sont pour nous éducateurs, les raisons réconfortantes d’un immense espoir. […]
Nous revivons !
Malgré les restrictions de crédits, malgré des décrets-lois draconiens, nous sentons que l’éducation prolétarienne dont nous avons été en France les initiateurs, s’affirme, se développe et s’impose : les municipalités de Front populaire ont une plus généreuse estimation de l’importance sociale et politique de l’école ; les colonies d’enfants s’inspirent de l’esprit nouveau ; le naturisme et le campisme prolétarien fixent leurs techniques et leurs buts ; un mouvement d’enfants unifié va se développer et nous nourrissons l’espoir d’animer bientôt un vaste Front populaire de l’Enfance qui groupera, pour des buts progressistes, tous les amis de l’école. » (Octobre 1935)

- L’articulation entre militantisme pédagogique et militantisme politique
est essentielle, les deux agissant simultanément et c’est une préoccupation persistante de Freinet de sensibiliser à la pédagogie nouvelle tous les travailleurs en même temps que tous les éducateurs.
« Nous avons dû mener une lutte opiniâtre pour faire comprendre et admettre notre conception d’une pédagogie nouvelle à base matérialiste, d’une pédagogie surtout dégagée de toute scolastique, largement ouverte à la vie et à l’effort social, d’une pédagogie qui ne néglige aucune des graves réalités qui sont déterminantes aujourd’hui pour l’orientation des destinées humaines. Aux grands discours, aux discussions soi-disant idéalistes, qui restent avant tout des jeux scolastiques et philosophiques, nous avons opposé le solide bon sens de la masse prolétarienne qui dénonce, brutalement parfois, certaines valeurs douteuses, mais qui sait d’instinct où elle va et ce qu’elle désire ; nous avons fait sentir la dignité et la noblesse d’un idéal nouveau, l’exemple émouvant de ceux qui s’y dévouent. » (Octobre 1936)

- L’élaboration d’une grande consultation auprès des anciens élèves et des parents, sans oublier les acteurs de la société
(grands groupes humains, syndicats, coopératives, entrepreneurs…) pour construire une œuvre collective, une contribution pour transformer l’enseignement : un « Plan de travail », un « Plan d’études français »
« Ces plans seront donc des guides et des stimulants. Avec eux, nous réaliserons des normes nouvelles d’acquisition et d’éducation parce que nous ferons appel à des éléments nouveaux d’activités susceptibles de remplacer avantageusement la discipline aveugle des manuels, liberté dans le choix et l’exécution selon l’intérêt et les besoins du moment, tableaux de travail, normes d’activité qui stimulent l’effort et la compétition, guides méthodiques qui donnent à l’enfant l’impression qu’il sait où il va, ce qui lui manque et quel effort il doit fournir. » (Décembre 1936)

- L’appel à une collaboration permanente avec le Syndicat National pour réunir les forces.
Le mouvement n’est plus un petit groupe d’expérimentateurs, mais il est devenu un grand mouvement pédagogique. Un véritable mouvement et non pas un petit groupe mené par une personnalité ou un dirigeant, ce sont tous ses militants éducateurs qui prennent en main le changement de l’école et de sa pédagogie. C’est aussi une possibilité pour le mouvement d’entrer en contact avec de nombreux instituteurs.
« Il faut que cette collaboration permanente se généralise. Dans tous les départements, nos adhérents, qui sont en général les éducateurs les plus actifs pédagogiquement, doivent entrer dans les Commissions pédagogiques du Syndicat, en prendre même la responsabilité totale si possible, rédiger la partie pédagogique du bulletin, prendre l’initiative des manifestations pédagogiques. Par leur action sincère et totale au sein des syndicats, ils assureront indirectement mais de la façon la plus efficace et la plus souhaitable cette collaboration que nous avons reconnue indispensable. » (Mai 1937)

- Le mouvement Freinet souhaite que le gouvernement entreprenne rapidement des réformes scolaires et que le mouvement y prenne part activement.
Il propose dix suggestions. Des techniques nouvelles, des outils nouveaux doivent entrer dans les classes et les mouvements pédagogiques en sont créateurs. Ils doivent également pénétrer la nouvelle formation.
« Il ne s’agit pas de renverser révolutionnairement un ordre scolaire que nous estimons désuet, mais de faire comprendre pourquoi il est désuet et de préparer les voies d’adaptation et de rénovation, dans le cadre normal de nos lois, de nos institutions, avec le personnel actuellement en exercice et dont nul ne peut nier le dévouement.
Que tous nos camarades fassent connaître autour d’eux, qu’ils portent au sein de leurs organisations ce projet de Plan d’Études Français. Nous ne prétendons pas qu’on l’admette tel quel. Mais nous avons suffisamment d’expérience au sein de notre Groupe de l’Imprimerie à l’École pour affirmer que ce sont des bases sages, modérées, possibles pour l’action de rénovation dont le peuple entier sent aujourd’hui la nécessité. » (Juin 1937)

- Le Certificat d’études primaires (CEP) « Le bachot des gueux »
Un rapport sera envoyé aux auteurs de la réforme. Un contrôle des connaissances avec l’aptitude à les utiliser pour tous les enfants et un examen des aptitudes à poursuivre au second degré. Des classes d’orientation permettraient de préparer cet examen. On trouve dans ce rapport des propositions de modalités de l’examen, la réécriture de l’arrêté, le contenu des épreuves, l’organisation pratique… Le tout pensé en lien direct avec la réforme des programmes qui est en projet également.
« La réforme du Certificat d’Études Primaires, depuis longtemps souhaitée par l’ensemble des Éducateurs, devient d’une impérieuse nécessité – conséquence de la Réforme de l’Enseignement annoncée par le projet de loi Jean Zay.
Si ce projet Zay n’était, semble-t-il, un premier schème général de la réforme, on pourrait s’étonner que la modification du C.E.P., n’y soit déjà annoncée. L’exposé des motifs du projet stipule pourtant : “Nous proposons de rendre obligatoire la possession du C.E.P. et d’exiger ainsi, de la part des futurs élèves de nos lycées, collèges, Écoles primaires supérieures et techniques un minimum de connaissances et d’aptitudes.”
Les termes “connaissances” et “aptitudes” semblent indiquer qu’on se propose de demander au C.E.P. d’être à la fois la sanction d’études terminées et un moyen de déceler les aptitudes à profiter des études à venir. D’où une question préalable de première importance ! Le nouveau Certificat d’Études, doit-il – ou peut-il – être à la fois un examen de contrôle des connaissances et un examen d’aptitudes ? » (Juillet 1937)

- La réduction des horaires dans les écoles primaires
Une école plus performante sans toucher aux visées d’éducation et à la vie des enfants est possible.
Une nouvelle organisation du temps : 30 heures d’éducation, dont vingt-quatre d’enseignement proprement dit, trois heures d’éducation physique et trois heures de loisirs dirigés avec les classes promenades. Ainsi, l’apport de la vie et du milieu environnant entrent à l’école et les techniques du mouvement Freinet en seront les outils essentiels. Le mouvement doit participer pleinement à ces expérimentations et les faire connaître.
Freinet met en garde, même les meilleures circulaires, telles celles de 1923, peuvent être détournées de leur but, donc il faut rester vigilants et tirer le maximum des prescriptions ministérielles.
« Nous ne voyons donc pas seulement, dans l’expérience de la réduction des horaires et des loisirs dirigés, un frein officiel à la folie croissante de la surcharge des programmes et des examens. Le Ministre suggère déjà, prudemment certes, mais incontestablement, la solution à ce grave problème, solution qui ne peut être que dans le sens de l’éducation nouvelle.
Nous ne voudrions pas avoir l’air d’encenser un Ministre Front populaire, mais nous devons affirmer cependant notre satisfaction presque totale à la lecture de la circulaire. » (Novembre 1937)

- Les « trente heures » de travail scolaire
Freinet appelle à défendre l’enfant de l’abrutissement quotidien des devoirs et des leçons et à diffuser une motion à mettre au vote de la Chambre des députés qui interdit de donner des devoirs hors des trente heures légales de cours.
« Le gouvernement de Front populaire a libéré l’ouvrier du travail abrutissant et l’institution des 40 heures et des congés payés est considérée comme une des grandes révolutions de notre époque.
Cette même révolution n’a pas encore été réalisée pour les enfants et le père qui fait ses huit heures admet fort bien que ses fils travaillent encore le soir tard, alors qu’il lit paisiblement son journal ou soigne ses choux.
Il y a là une mesure urgente à prendre et il est excellent que ce soit nous qui en ayons l’initiative. » (Décembre 1937)

- Le mouvement Freinet salue les dernières publications ministérielles qui donnent raison aux maîtres qui ont tenté d’autres pratiques pédagogiques.
Le nouveau certificat d’Études répond aux préconisations du mouvement. Même si tout n’est pas parfait dans cet examen, les techniques du mouvement y préparent efficacement. Les programmes du cours de fin d’études sont imprégnés de l’esprit du mouvement, ils « rompent complètement et délibérément avec la tradition scolaire et visent à rapprocher l’école de la vie » (extrait du texte institutionnel). Par ses pratiques, le mouvement est préparé, le chemin tracé ; il lui suffit de montrer son organisation, d’apporter ses conseils, ses directives, le matériel adapté et de développer ses éditions (bibliothèque de travail, fichiers, brochures, dictionnaire).
« Que d’efforts, parfois valeureux, rebutés jusqu’à ce jour parce que les natures généreuses s’étaient toujours heurtées, seules et vaincues d’avance, aux grandes forces mercantiles au service de la tradition ! Que de projets partiellement réalisés, et qui auraient fait tellement avancer la pratique pédagogique sont restés enfermés dans les tiroirs de l’école !C’est parce que nous avons enfin trouvé le moyen de mobiliser ces bonnes volontés éparses que nous sommes actuellement la plus importante force pédagogique de notre pays.
De plus en plus notre mouvement prend sa vraie figure : un groupe d’éducateurs travaillant coopérativement, et sans but lucratif – en sacrifiant temps et argent – à l’adaptation définitive de notre enseignement et à la mise au point du matériel nouveau que suppose cette adaptation. Et nous avons acquis aujourd’hui la puissance commerciale qui nous permet de réaliser nos rêves, de fabriquer du matériel, d’éditer des brochures, des fiches, de mettre debout, selon une technique jamais encore pratiquée, le véritable dictionnaire des enfants du peuple.
Nous convions à cette œuvre les milliers d’éducateurs qui s’accommodent mal de la routine traditionnelle, qui sentent la nécessité de la recherche et de l’effort, qui comprennent qu’il y a quelque chose de plus réconfortant que le profit personnel et le mortel égoïsme : la joie enthousiasmante de mêler son effort, pour des buts connus et désirés, à ceux de milliers d’autres camarades qui ont entrepris, et déjà en partie réalisé, en commun, une œuvre pédagogique à la mesure de notre grandiose et tragique destinée prolétarienne. » (Mai 1938)

- Les activités dirigées
Le mouvement apprécie les objectifs de formation du ministre Jean Zay : une introduction progressive des méthodes de l’École nouvelle. Il salue sa ténacité ministérielle face à la réaction, mais met en garde à propos de l’utilisation de ces nouveaux temps qui ne doivent pas se réduire à du bricolage, de l’occupationnel et être un vrai travail en lien avec le temps d’enseignement.
Quelques extraits des instructions ministérielles relevés par Freinet (novembre 1938)
« Il s’agit de mettre à profit les leçons qui se dégagent de toutes les expériences pédagogiques faites en France ou à l’étranger au cours de ces dernières décades. De toutes ces tentatives que l’on groupe sous le nom général d’école nouvelle et qui visent à faire un appel direct à l’activité spontanée de l’enfant, nous avons beaucoup à tirer. Nous souhaitons que la curiosité des maîtres soit orientée dans ce sens. »
Les trois heures d’activités dirigées « doivent fournir les acquisitions les plus solides qui serviront de fondement à un enseignement moins formel et plus proche de la vie. […] Ce sont enfin et surtout les initiatives de l’élève isolé ou du groupe d’élèves que l’on recueille, que l’on stimule, dont on favorise l’éclosion et le développement dans une atmosphère de liberté réglée. L’enfant devient l’artisan de sa propre éducation en même temps que son sens social se développe. »
« Et les vingt-quatre heures d’enseignement qui restent se trouvent dégagées et vivifiées. »
« Toute éducation doit aussi être joie »
« L’utilisation des trois heures de libre activité pédagogiques selon les ressources du lieu et de la saison, l’appel plus large aux libres initiatives de l’enfant, ne se conçoivent pas sans un grand effort de renouvellement des instituteurs. Nous avons conscience d’avoir restitué aux maîtres beaucoup plus de liberté que nous ne leur enlevions en apparence. »


http://www.questionsdeclasses.org/?Un-e ... -education
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Re: Front populaire 1934-1937

Messagede Béatrice » 06 Juin 2016, 17:14

mardi 7 juin 2016 à GARDANNE à 18 h 15

Médiathèque Nelson Mandela, Bd Paul Cézanne, 13120

80 ans après, que reste-t-il du Front populaire ?

Pain, paix, liberté !
80 après, que reste-t-il du Front populaire ?

Événement mythique, inscrit au Panthéon des gauches, le Front populaire (1934-1938) a laissé des traces profondes dans la société française et à Marseille. Ces quatre années, tiraillées entre espoir et désenchantement, présentent une densité rare : à la séquence politique incarnée par les figures de Léon Blum et de Maurice Thorez, et la lutte antifasciste s’ajoute un mouvement social d’une ampleur remarquable, mais aussi un foisonnement culturel sans précédent.

Jean Domenichino et Bernard Régaudiat viendront relater l’histoire d’une époque fondatrice qui, depuis quelques années, s’est beaucoup enrichie, notamment grâce à l’ouverture et à l’analyse d’archives nouvelles : celles des banques suisses, celles de Moscou, et peut être plus encore celles des départements qui révèlent avec quelle intensité ce Front populaire a été vécu jusque dans chaque village de France.

Le débat sera présenté animé par Gérard Leidet, coprésident de Promémo.
« Simple, forte, aimant l'art et l'idéal, brave et libre aussi, la femme de demain ne voudra ni dominer, ni être dominée. »
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Re: Front populaire 1934-1937

Messagede bipbip » 18 Juin 2016, 14:01

Front populaire : des conquêtes sociales mais une révolution manquée

En ces temps de commémorations convenues de mai-juin 1936, il est urgent de relire Daniel Guérin, observateur direct des évènements en tant que membre du courant Gauche révolutionnaire au sein du parti socialiste. Dans son ouvrage Front populaire, révolution manquée, paru initialement en 1963 et réédité chez Agone, il revient sur la « mystique du Front Populaire » entretenue au détriment des revendications révolutionnaires. Lorsque le premier gouvernement socialiste de l’histoire de France œuvrait déjà à contenir les mobilisations ouvrières…

... http://terrainsdeluttes.ouvaton.org/?p=5797
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Re: Front populaire 1934-1937

Messagede Béatrice » 23 Juin 2016, 17:28

samedi 25 juin 2016 à SEPTEMES-LES VALLONS à 14 h 30

Parc de Fabrégoules, 13240

Rencontre-débat avec Jean Domenichino, et Bernard Régaudiat, historiens du mouvement ouvrier
Pain, paix, liberté ! 80 ans après, que reste-t-il du Front populaire ?
animé par Gérard Leidet, Président de Promémo

Événement mythique, inscrit au Panthéon des gauches, le Front populaire (1934-1938) a laissé des traces profondes dans la société française et à Marseille. Ces quatre années, tiraillées entre espoir et désenchantement, présentent une densité rare : à la séquence politique incarnée par les figures de Léon Blum et de Maurice Thorez, et la lutte antifasciste s’ajoute un mouvement social d’une ampleur remarquable, mais aussi un foisonnement culturel sans précédent.
Jean Domenichino, Gérard Leidet et Bernard Régaudiat viendront relater l’histoire d’une époque fondatrice qui, depuis quelques années, s’est beaucoup enrichie, notamment grâce à l’ouverture et à l’analyse d’archives nouvelles : celles des banques suisses, celles de Moscou, et peut être plus encore celles des départements qui révèlent avec quelle intensité ce Front populaire a été vécu jusque dans chaque village de France.
« Simple, forte, aimant l'art et l'idéal, brave et libre aussi, la femme de demain ne voudra ni dominer, ni être dominée. »
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