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Re: Les Soviets en Russie 1905-1921, révolution russe

MessagePosté: 16 Avr 2017, 02:40
de Pïérô
Le Mans

Réunion-débat sur la Révolution russe

Transcription de l’intervention de René Berthier à l’occasion d’un débat sur la Révolution russe, au Mans, le samedi 25 février 2017 à la Maison des Associations et des syndicats.
À l’invitation de la CNT, d’Alternative libertaire, de la Fédération anarchiste, avec la présence de Radio libertaire.
Alexandre Skirda participait également à cette réunion débat.

... http://monde-nouveau.net/spip.php?article631

Re: Les Soviets en Russie 1905-1921, révolution russe

MessagePosté: 18 Avr 2017, 07:20
de bipbip
Un documentaire audacieux sur la Révolution russe

Avec des images magnifiques, Lénine, une autre histoire de la révolution russe, visible sur Arte.tv jusque fin avril, parvient à faire comprendre les grandes étapes et les questions stratégiques de la révolution. Dommage qu’il cède à la condescendance.

Avec son documentaire Lénine, une autre histoire de la révolution russe, Cédric Tourbe a tenté l’exploit : raconter la Révolution russe de février 1917 à janvier 1918, en quatre-vingt-quinze minutes.

Avec une durée si courte, c’était une gageure de condenser les faits, les débats, les personnages, les rebondissements et les coups de théâtre d’une période aussi foisonnante, tout en restituant un climat politique que le spectateur, un siècle plus tard, a du mal à imaginer.

Il y a donc, dans ce documentaire, du bon et du moins bon.

Un fil rouge : Lénine

Parmi ses atouts, il faut tout d’abord citer un matériau cinématrographique de premier choix. Pas de reconstitution en costume empesée, mais des images d’époque ou des séquences de films d’Eisenstein tournées dix ans plus tard et judicieusement décryptées.

Ensuite, le réalisateur a été bien conseillé, par une pointure : Marc Ferro, auteur de plusieurs ouvrages de référence sur la Révolution russe dans les années 1970. Il s’écarte donc résolument de la vulgate stalinienne qui a dressé la statue d’un Lénine génie omniscient, dirigeant d’une main de fer un Parti ultradiscipliné vers la victoire. Réaliste, Tourbe dépeint au contraire un chaos politique et économique sans nom, au milieu duquel les révolutionnaires, bousculés par les événements, se déchirent sur la voie à suivre et les mots d’ordre à adopter, aucun choix n’étant évident à trancher.

La trame narrative est cohérente. Elle puise abondamment dans les Mémoires de Nicolas Soukhanov (photo), un menchevik de gauche qui a providentiellement été témoin de presque tous les moments-clefs de l’année 1917. Et elle utilise l’action de Lénine comme fil rouge, ce qui permet de problématiser les options stratégiques qui ont tourmenté les bolcheviks entre juin et octobre : est-ce parce qu’on a les moyens militaires de faire un putsch qu’on doit le faire ? Et si oui à quel moment ? Et de quelle façon, pour ne pas se mettre tout le monde à dos ?

Et les anarchistes là-dedans ?

D’aucuns seront frustrés que le documentaire s’arrête au début de 1918, avant que n’éclate la guerre civile et ses abîmes de violence qui, bien davantage qu’octobre, vont façonner le nouveau régime. Mais, en quatre-vingt-quinze minutes, ç’aurait été illusoire.

Après avoir dit tout cela, quelques bémols.

On relève quelques erreurs factuelles ici ou là – le soldat Fedor Linde, rédacteur du fameux Prikaze n°1 du soviet de Petrogard, n’a jamais été anarchiste – mais assez secondaires.

Ce qui est en revanche profondément agaçant, c’est la mise en scène et le ton employé par le narrateur. Certes, il est sain de démythifier les événements et de désacraliser les révolutionnaires... mais pas de là à employer systématiquement un ton sarcastique ! A un siècle de distance, ironiser sur les erreurs ou les ratés commis dans le tumulte de l’époque, c’est d’une condescendance par trop confortable.

Enfin, et c’est là un point de vue intéressé, on peut regretter que le documentaire ne parle guère des anarchistes. Même si, à Petrograd en 1917, ils pesaient sans doute dix fois moins que les bolcheviks, ils ont joué un rôle non négligeable, notamment lors des manifestations de juin et de la tentative insurrectionnelle de juillet 1917, et se sont posés des questions stratégiques assez analogues à celles des bolcheviks.

On aura l’occasion de raconter tout cela dans le dossier d’été 2017 du mensuel Alternative libertaire.

En attendant, Lénine, une autre histoire de la révolution russe a rencontré un gros succès, avec plus de 240.000 vues en un mois sur Arte.tv. Le documentaire est encore visible jusqu’à la fin du mois d’avril. Celui ou celle qui ne connaît rien à la Révolution russe le regardera sans s’ennuyer et aura, sans doute, envie d’en savoir davantage !

Guillaume Davranche (AL Montreuil)


http://www.alternativelibertaire.org/?U ... tion-russe

documentaire video : http://www.arte.tv/guide/fr/065312-000- ... tion-russe

Re: Les Soviets en Russie 1905-1921, révolution russe

MessagePosté: 20 Avr 2017, 15:46
de Pïérô
Le Grand Octobre en Ukraine

Le mois d'octobre 1917 est une grande étape historique de la révolution russe. Cette étape consiste en la prise de conscience par les travailleurs des villes et des campagnes de leurs droits à prendre en main leur propre vie et leur patrimoine social et économique: la culture de la terre, les habitations, les usines, les houillères, les transports, enfin l'instruction qui servit jadis à déposséder nos aïeux de tous ces biens.
Cependant, à notre point de vue, ce serait s'égarer beaucoup que de donner à Octobre tout le contenu de la révolution russe; en effet, la révolution russe à été préparée durant les mois précédents, période pendant laquelle les paysans dans les campagnes et les ouvrier dans les villes se sont emparés de l'essentiel. Effectivement, la révolution de Février 1917 sert de symbole aux travailleurs pour leur libération économique et politique. Toutefois, ils constatent que la révolution de Février adopte au cours de son évolution la forme dégénérée caractéristique de la bourgeoisie libérale et, comme telle, se trouve incapable de se mettre sur la voie de l'action sociale.

Les travailleurs dépassent alors immédiatement les bornes instaurées par Février et se mettent à couper au grand jour tous leur liens avec son aspect pseudo révolutionnaire et ses objectifs.

Cette action revêt deux principe en Ukraine. A ce moment, le prolétariat des villes, vu la faible influence exercée sur lui par les anarchistes, d'une part, et le manque d'informations politiques réelles et les problèmes internes du pays, d'autre part, considère qu'installer au pouvoir les bolcheviks devient la tâche la plus urgente de la lutte entamée pour le développement de la révolution, afin de remplacer la coalition des Socialistes Révolutionnaires de droite et de la bourgeoisie.

Pendant ce temps, dans les campagnes, en particulier dans la partie Zaporogue de l'Ukraine, là où l'autocratie n'a jamais pu entièrement abolir l'esprit libre, la paysannerie laborieuse révolutionnaire considère comme son devoir le plus impérieux et le plus fondamental l'emploi de l'action révolutionnaire pour se libérer au plus vite des pomechtchiket des koulaks,estimant que cette émancipation faciliterait la victoire contre la coalition socialo-bourgeoise.

C'est pour cette raison que les paysans ukrainiens prennent l'offensive en confisquant les armes des bourgeois (tout particulièrement lors de la marche du général putschiste Kornilov sur Petrograd en Aout 1917), puis en refusant de payer la deuxième tranche annuelle d'impôts sur la terre aux grands propriétaires et aux koulaks.(Cette terre que les agents de la coalition s'efforçaient justement d'enlever aux paysans, afin de la conserver aux propriétaires, en prenant pour prétexte l'observation du statu quopar le gouvernement jusqu'à la convocation de l'Assemblée Constituante à qui devait appartenir la décision sur ce problème).

Les paysans saisissent ensuite directement les propriétés et le bétail des pomechtchiks,des koulaks,des monastères et des terres d'État; cela, en instituant constamment des comités locaux de gestion de ces biens, afin de les répartir entre les différents villages et communes.

Un anarchisme instinctif transparaît clairement dans toutes ces intentions de la paysannerie laborieuse d'Ukraine, lesquels expriment un haine non dissimulée pour toute autorité étatique, sentiment accompagné d'une nette aspiration à s'en libérer. Cette dernière est d'ailleurs très forte chez les paysans; elle se réduit en substance à se débarrasser d'abord des autorités bourgeoises telle que la gendarmerie, les juges envoyés par le centre, etc... Cela s'exprime pratiquement dans beaucoup de régions d'Ukraine. De nombreux exemples témoignent de la manière dont les paysan des provinces d'Ekatérinoslav, de Kherson, de Poltava, de Kharkov et d'une partie de Tavripol chassent de leurs villages la gendarmerie, ou bien lui ôtent le droit d'opérer des arrestations sans en référer aux comités de paysans et aux assemblées villageoises. Les gendarmes en arrivent à se servir uniquement de messagers des décisions prises. Les juges ne tardent pas à accomplir des tâches semblables.

Les paysans jugent eux-même tous les délits et les litiges, au cours d'assemblées villageoises ou de réunions spéciales, privant ainsi de tout droit de juridiction les juges envoyés par l'autorité centrale. Ces juges tombent parfois dans une telle défaveur qu'ils sont souvent obligés de fuir ou de se cacher.

Un tel comportement des paysans à l'égard de leurs droits individuels et sociaux les amène naturellement à craindre que le mot d'ordre «tout le pouvoir aux soviets» ne se transforme en un pouvoir d'État; ces crainte ne se manifestent peu-être pas aussi nettement parmi les prolétaires des villes, d'avantage influencés par les sociaux démocrates et les bolchéviks.

Pour les paysans, le pouvoir des soviet locaux signifie la transformation de ces organes en des entités territoriales autonomes, sur la base du groupement révolutionnaire et de l'autodirection socio-économique des travailleurs en vue de la construction d'une société nouvelle. Interprétant de cette manière ce mot d'ordre les paysans l'appliquent à la lettre, le développent et le défendent contre les atteintes des SR de droite, les Cadets (libéraux) et de la contre révolution monarchiste.

Octobre n'a donc pas encore eu lieu que les paysans ont déjà refusé, dans de nombreuses régions de payer les impôts de fermage aux pomechtchikset aux koulaks,puis ayant saisi collectivement les terres et le bétail de ceux-ci, ils ont envoyé des délégués au prolétariat des villes pour s'entendre avec lui sur la prise en main des usines et des entreprises, dans le but d'établir des liens fraternels et de construire ensemble la nouvelle société libre des travailleurs.

A ce moment, l'application dans les faits des idées du «grand Octobre» n'est pas encore adoptée par ceux qui s'en réclameront par la suite, les bolcheviks et les SR de gauche; elle même fortement critiquée par leurs groupes, organisations et comités centraux. Par contre, pour les paysans ukrainiens, le grand Octobre, surtout la signification politique chronologique qu'on lui a accordée, apparaît comme une étape déjà franchie.

Pendant les journées d'Octobre, le prolétariat de Pétrograd, de Moscou et d'autres villes, ainsi que les soldats et les paysans avoisinant ces villes, sous l'influence des anarchistes, des bolcheviks et des SR de gauche, ne font que régulariser et exprimer politiquement avec plus de précisions ce pour quoi la paysannerie révolutionnaire de nombreuses régions d'Ukraine a commencé à lutter activement depuis le mois d'août 1917, ce dans des conditions très favorables grâce au soutien du prolétariat urbain.

Les répercutions de la volonté prolétarienne d'Octobre parviennent en Ukraine un mois et demi plus tard. Cette volonté se manifeste d'abord par des appels de délégués des soviets et de partis, puis par des décrets du Soviet des Commissaires du Peuple à l'égard duquel les paysans ukrainiens se composent avec méfiance, n'ayant pas participé à sa désignation.

C'est ensuite que des groupes des gardes rouges apparaissent en Ukraine, venant en grande partie de Russie, et attaquent les villes et les noeuds de communication contrôlés par les cosaques de la Rada Centrale ukrainienne. Celle-ci est contaminée à tel point par le chauvinisme qu'elle ne peut comprendre que la population laborieuse du pays s'apparente avec ses frères de Russie, ni surtout tenir compte de l'esprit révolutionnaire répandu parmi la population laborieuse toute prête à combattre pour son indépendance sociale et politique.

En analysant ainsi le grand Octobre, à l'occasion de son Xeme anniversaire, nous devons souligner que ce que nous avons accompli en Ukraine s'est parfaitement intégré, fin 1917, aux actions des travailleurs révolutionnaires de Pétrograd, de Moscou et des autres grandes villes de Russie.

Tout en prenant acte de la foi révolutionnaire et de l'enthousiasme manifesté par les campagnes ukrainiennes bien avant Octobre, nous honorons et estimons tout autant les idées, la volonté et l'énergie exprimées par les ouvriers, paysans et soldats russes durant les journées d'Octobre.

En rappelant le passé, on ne peut passer sous silence le présent, lié d'une façon ou d'une autre à Octobre. Aussi, nous ne pouvons qu'exprimer une profonde affliction devant le fait qu'après dix ans, les idées qui se sont exprimées pleinement en Octobre soient toujours bafouées par ceux-là même qui, en leur nom, sont arrivés au pouvoir et dirigent depuis la Russie.

Nous exprimons notre solidarité attristée à tous ceux qui ont lutté avec nous pour le triomphe d'Octobre et qui pourrissent actuellement dans les prisons et les camps de concentration. Leurs souffrances, sous la torture et la famine, parviennent jusqu'à nous et nous obligent à ressentir, à l'occasion du Xeme anniversaire d'Octobre, au lieu de la joie normale, une peine profonde.

Par devoir révolutionnaire, nous élevons une fois encore notre voix, par-delà les frontières de l'URSS: Rendez la liberté aux fils d'Octobre, rendez-leur leurs droits de s'organiser et de propager leurs idées!

Sans liberté, ni droits pour les travailleurs et les militants révolutionnaires, l'URSS s'asphyxie et tue tout ce qu'il y a de meilleur en elle. Ses ennemis s'en réjouissent et se préparent partout dans le monde, à l'aide de tous les moyens possible, à anéantir la révolution et l'URSS avec elle.


Dielo trouda,n°29, octobre 1927, pp.9-11.


http://kropot.free.fr/Makhno-causetravail.htm

Sur l'histoire du mouvement insurrectionnel et communiste-libertaire makhnoviste en Ukraine :
viewtopic.php?f=68&t=4106&start=15

Re: Les Soviets en Russie 1905-1921, révolution russe

MessagePosté: 23 Avr 2017, 18:45
de Pïérô
Anton Ciliga
L'insurrection de Cronstadt
et la destinée de la Révolution russe

L'insurrection de Cronstadt et la destinée de la Révolution russe

Introduction

L'échange de lettres entre Trotsky et Wendelin Thomas (l'un des leaders du soulèvement des marins allemands en 1918, actuellement membre de la Commission, américaine d'enquête sur les procès de Moscou) au sujet de la place à donner dans l'histoire aux évènements de Cronstadt de 1921, a provoqué une véritable discussion internationale. Cela témoigne de l'importance du problème. D'autre part, si c'est plus particulièrement aujourd'hui que l'on s'occupe de Cronstadt, ce n'est pas par hasard : une analogie, et même un lien direct, entre ce qui s'est passé à Cronstadt il y a dix-sept ans, et les récents procès de Moscou, ne sont que trop évidents.

Aujourd'hui on assiste au meurtre des chefs de la Révolution d'Octobre ; en 1921, ce furent les masses de base de cette révolution qui furent décimées.

Serait-il possible de déshonorer et de supprimer aujourd'hui les chefs d'Octobre sans que la moindre protestation se lève dans le pays, si ces chefs-là. n'avaient eux-mêmes, à coups de canons, obligé de se taire les marins de Cronstadt et les ouvriers de la Russie entière ?

La réponse de Trotsky à Wendelin Thomas montre que, malheureusement, Trotsky — qui est, avec Staline, le seul des chefs d'Octobre qui soit encore en vie parmi ceux qui ont effectué la répression de Cronstadt — se refuse actuellement, encore, à regarder le passé objectivement. Bien plus : dans son dernier article : «Beaucoup de bruit autour de Cronstadt», il élargit encore le fossé qui s'était alors creusé entre les masses travailleuses et lui ; il n'hésite pas, après avoir ordonné leur bombardement en 1921, à présenter aujourd'hui les hommes de Cronstadt comme «des éléments complètement démoralisés, des hommes qui portaient d'élégants pantalons bouffants et se coiffaient à la façon des souteneurs».

Non l ce n'est pas avec de telles accusations, qui puent la morgue bureaucratique à cent pas, que l'on peut apporter une utile contribution aux enseignements à tirer de la grade révolution russe.

Pour déterminer l'influence qu'a eu Cronstadt sur le sort de la Révolution, il faut, en évitant toutes questions de personnes, porter son attention sur trois questions fondamentales

1° dans quelle ambiance a surgi la révolte de Cronstadt ?
2° quels étaient les buts de ce mouvement?
3° par quels moyens les insurgés essayèrent-ils d'atteindre ces buts?


LES MASSES ET LA BUREAUCRATIE EN 1920-1921

Tout le monde est maintenant d'accord pour reconnaïtre qu'au cours de l'hiver 1920-1921, la Révolution russe vivait un moment particulièrement critique : l'offensive en Pologne s'était terminée par la défaite de Varsovie, aucune révolution sociale n'éclatait dans l'Europe occidentale, la Révolution russe demeurait isolée, la famine et la désorganisation s'emparaient du pays entier ; le péril de la restauration bourgeoise frappait aux portes de la révolution. En ce moment critique, les différentes classes et partis qui existaient à l'intérieur du camp révolutionnaire présentèrent chacun leurs solutions pour résoudre la crise.

Le gouvernement soviétique et les sphères supérieures du parti communiste appliquèrent leur programme du renforcement du pouvoir de la bureaucratie. L'attribution aux «Comités exécutifs» des pouvoirs attribués jusqu'alors aux soviets, le remplacèment de la dictature de la classe par celle du parti, le déplacement de l'autorité à l'intérieur même du parti, de ses membres à ses cadres, la substitution au double pouvoir de la bureaucratie et des ouvriers dans les usines du seul pouvoir de l'appareil, tout cela devait «sauver la Révolution !» C'est à ce moment que Boukharine prononça son plaidoyer en faveur du «bonapartisme prolétarien». «En se limitant lui-même», le prolétariat aurait soi-disant facilité la lutte contre la contre-révolution bourgeoise.

Ainsi se manifestait déjà l'énorme suffisance, quasi messianique, de la bureaucratie communiste.

Les 9° et 10° congrès du parti communiste, ainsi que l'intervalle d'une année qui les sépara, se passèrent sous le signe de cette nouvelle politique. Lénine en fut le réalisateur rigide, et Trotsky le troubadour. La bureaucratie prévenait la restauration bourgeoise... en éliminant les traits prolétariens de la révolution.

La formation de «l'opposition ouvrière» au sein du parti, appuyée, non seulement par la fraction prolétarienne du parti, mais aussi par la grande masse des ouvriers sans parti, la grève générale du prolétariat de Pétrograd peu avant la révolte de Cronstadt, et enfin cette insurrection elle-même, tout cela exprimait les aspirations des masses qui sentaient, plus ou moins clairement, qu'une «tierce personne» était en train de porter atteinte à ses conquêtes. Le mouvement des paysans pauvres de Makhno en Ukraine fut, dans l'ensemble, la conséquence des mêmes résistances. Lorsqu'on examine, avec le recul historique dont nous disposons maintenant, les luttes de 1920-1921, on est frappé de voir que ces masses dispersées, affamées et affaiblies par la désorganisation économique, ont néanmoins trouvé en elles la force de formuler avec autant de précision leur position sociale et politique, et de la défendre, à la fois, contre la bureaucratie et contre la bourgeoisie.


LE PROGRAMME DE CRONSTADT

Pour ne pas nous contenter, comme Trotsky, de simples affirmations, soumettons aux lecteurs la résolution qui servit de programme au mouvement de Cronstadt. Nous la reproduisons en entier, en raison de son énorme importance historique. Elle fut adoptée le 28 février par les marins du cuirassé «Petropavlovsk» et acceptée ensuite par tous les marins, soldats et ouvriers de Cronstadt.

« Après avoir entendu les représentants des équipages qui ont été délégués par l'assemblée générale des bâtiments pour se rendre compte de la situation à Pétrograd, cette assemblée prend les décisions suivantes • I. Organiser immédiatement des réélections aux soviets avec vote secret et en ayant soin d'organiser une libre propagande électorale pour tous les ouvriers et paysans, vu que les soviets actuels n'expriment pas la volonté des ouvriers et des paysans ;
• II. Accorder la liberté de la parole et de la presse pour les ouvriers et les paysans, pour les anarchistes et les partis socialistes de gauche ;
• III. Donner la liberté de réunion et la liberté d'association aux organisations syndicales et paysannes ;
• IV. Organiser, pour le 10 mars 1921 au plus tard, une conférence sans-parti des ouvriers, soldats rouges et matelots de Pétrograd, de Cronstadt et du district de Pétrograd ;
• V. Libérer tous les prisonniers politiques appartenant aux partis socialistes, ainsi que tous les ouvriers et paysans, soldats rouges et marins emprisonnés pour des faits en rapport avec des mouvements ouvriers et paysans ;
• VI. Élire une commission pour la révision des cas de ceux qui sont détenus dans les prisons ou les camps de concentration ;
• VII. Supprimer tous les «politotdiel» (1), car aucun parti ne peut avoir de privilèges pour la propagande de ses idées ni recevoir de l'État des ressources dans ce but. A leur place, il doit être créé des commissions culturelles élues, auxquelles les ressources doivent être fournies par l'État ;
• VIII. Supprimer immédiatement tous les «zagraditelnyé otriady» (2) ;
• IX. Fournir, à tous les travailleurs une ration égale, à l'exception de ceux des métiers insalubres qui pourront avoir une ration supérieure ;
• X. Supprimer les détachements de combat communistes dans toutes les unités militaires, et faire disparaître dans les usines et fabriques le service de garde effectué par les communistes. Si on a besoin de détachements de combat, les désigner par compagnie dans chaque unité militaire ; dans les usines et fabriques les services de garde doivent être établis conformément à l'avis des ouvriers ;
• XI. Donner aux paysans le droit de travailler leurs terres comme ils le désirent, ainsi que celui d'avoir du bétail, mais tout cela par leur propre travail, sans aucun emploi de travail salarié ;
• XII. Demander à toutes les unités militaires ainsi qu'aux camarades «koursanty» (3) de s'associer à cette résolution ;
• XIII. Exiger qu'on donne dans la presse une large publicité à toutes les résolutions ;
• XIV. Désigner un bureau mobile de contrôle ;
• XV. Autoriser la production artisanale libre, sans emploi de travail salarié.»

Ce sont là des formules frustes, certaines mêmes insuffisantes, mais qui sont toutes imprégnées de l'esprit d'Octobre, et il n'y a pas de calomnie au monde qui puisse faire douter de la liaison intime existant entre cette résolution et le sentiment qui guidait les expropriateurs de 1917.

La profondeur des principes qui animent cette résolution se trouve montrée par le fait qu'elle est encore largement actuelle. On peut, en effet, l'opposer aussi bien au régime de Staline de 1938 qu'à celui de Lénine de 1921. Il y a même plus : les propres exigences de Trotsky à l'encontre du régime de Staline ne sont que la reproduction, timide il est vrai, des revendications de Cronstadt. D'ailleurs, quel autre programme, quelque peu socialiste, pourrait être opposé à l'oligarchie bureaucratique en dehors de ceux de Cronstadt et de l'Opposition ouvrière?

Le début de la résolution montre la liaison étroite qui existait entre les mouvements de Pétrograd et de Cronstadt. La tentative de Trotsky d'opposer les ouvriers de Pétrograd à ceux de Cronstadt afin de consolider la légende du caractère contre-révolutionnaire du mouvement de Cronstadt se heurte à Trotsky lui-même : en 1921, Trotsky, en effet, plaidant pour la nécessité dans laquelle Lénine s'était trouvé de supprimer la démocratie au sein des soviets et du parti, accusait les grandes masses, dans le parti et en dehors du parti, de sympathiser avec Cronstadt. Il admettait donc à ce moment que, bien que les ouvriers de Pétrograd et de l'Opposition ouvrière n'aient point été jusqu'à la résistance à main armée, leur sympathie au moins allait à Cronstadt.

L'assertion de Trotsky suivant laquelle «l'insurrection aurait été inspirée par le désir d'obtenir une ration privilégiée» est encore plus effarante. Ainsi, c'est l'un de ces privilégiés du Kremlin, pour lesquels les rations étaient très supérieures à celles des autres, qui ose lancer un semblable reproche, et cela à des hommes qui, dans le paragraphe IX de leur résolution, réclamaient explicitement l'égalisation de la ration ! Ce détail montre à quel point l'aveuglement bureaucratique de Trotsky est infini et désespéré.

Les articles de Trotsky ne s'écartent pas d'un seul pas de la légende forgée autrefois par le Comité central du parti. Certes, Trotsky mérite l'estime du mouvement ouvrier international pour avoir refusé, à partir de 1928, de continuer à participer à la dégénérescence bureaucratique et aux nouvelles «épurations» destinées à priver la Révolution de tous ses éléments de gauche ; il préféra, être éliminé lui-même. Il mérite plus encore d'être défendu contre la calomnie et les attentats de Staline. Mais tout cela ne donne pas à Trotsky le droit d'insulter les masses travailleuses de 1921. Au contraire ! Plus que tout autre, Trotsky aurait dû fournir une nouvelle appréciation de l'initiative prise par Cronstadt, initiative d'une valeur historique considérable, intiative prise par des militants de la base afin de lutter contre la première «épuration» sanglante entreprise par la bureaucratie.

L'attitude des travailleurs russes au cours de l'hiver tragique 1920-1921 témoigne qu'un instinct social profond et un noble héroïsme animèrent les classes laborieuses de Russie, non seulement durant la montée de la Révolution, mais aussi lors de la crise qui la mit en péril mortel.

Ni les combattants de Cronstadt, ni les ouvriers de Pétrograd, ni les communistes du rang, ne disposaient déjà plus, il est vrai, au cours de cet hiver, d'autant d'énergie révolutionnaire qu'en 1917-1919, mais tout ce qu'il y avait encore de socialiste et de révolutionnaire dans cette Russie de 1921, c'était la base qui le possédait. En s'opposant à celle-ci, Lénine et Trotsky, d'accord avec Staline, avec Zinoviev, Kaganovitch et autres, répondaient aux désirs et servaient les intérêts des cadres bureaucratiques. Les ouvriers luttaient alors pour le socialisme dont la bureaucratie poursuivait déjà la liquidation. C'est là qu'est le fond du problème.


CRONSTADT ET LA N.E.P.

On croit assez communément que Cronstadt exigeait l'introduction de la N.E.P. ; c'est là une profonde erreur. La résolution de Cronstadt se prononçait pour la défense des travailleurs, non seulement contre le capitalisme bureaucratique d'État, mais aussi contre la restauration du capitalisme privé. Cette restauration était exigée — contrairement à Cronstadt — par les social-démocrates, qui la combinaient avec un régime de démocratie politique. Et ce sont Lénine et Trotsky qui la réalisërent en grande partie, (mais sans démocratie politique) sous la forme de la N.E.P. La résolution de Cronstadt disait, elle, tout le contraire puisqu'elle s'affirmait contre le salariat dans l'agriculture et l'artisanat.

Cette résolution, et le mouvement, auquel elle servit de base, tendaient à l'alliance révolutionnaire des prolétaires et des paysans travailleurs, avec les milieux les plus pauvres des campagnes, afin que la révolution se développe vers le socialisme ; la N.E.P. était, au contraire, l'union des bureaucrates avec les couches supérieures du village contre le prolétariat, c'était l'alliance du capitalisme d'État et du capitalisme privé contre le socialisme. La N.E.P. est autant antagoniste des revendications de Cronstadt que, par exemple, le programme socialiste révolutionnaire de l'abolition du système de Versailles surgissant devant le prolétariat d'avant-garde européen est opposé à l'abrogation du traité de Versailles telle qu'elle fut réalisée par Hitler.

Voici, enfin, une dernière accusation couramment répandue : des initiatives comme celle de Cronstadt pouvaient indirectement déchaîner les forces de la contre-révolution. Il est possible en effet que même en se plaçant sur la base de la démocratie ouvrière, la révolution ait finalement échoué, mais ce qui est certain, c'est qu'elle a péri, et qu'elle a péri du fait de la politique des dirigeants : la répression de Cronstadt, la suppression de la démocratie ouvrière et soviétique par le 10° congrès du parti communiste russe, l'élimination du prolétariat de la gestion de l'industrie, l'introduction de la N.E.P. signifiaient déjà la mort de la Révolution.

C'est précisément à la fin de la guerre civile que se produisit la scission de la société post-révolutionnaire en deux groupes fondamentaux : les masses travailleuses et la bureaucratie. Dans ses aspirations socialistes et internationalistes la révolution russe fut étouffée ; dans ses tendances nationalistes, bureaucratiques, de capitalisme d'État, elle se développa et se consolida.

C'est à partir de là et sur cette base que chaque année, de plus en plus nettement, l'amoralisme bolchevique, si souvent évoqué, acquit le développement qui devait conduire aux procès de Moscou. La logique implacable des choses s'était manifestée : lorsque des révolutionnaires, demeurant tels en paroles, accomplissent, en fait, les tâches de la réaction et de la contre-révolution, ils doivent inéluctablement avoir recours au mensonge, à la calomnie et à la falsification. Ce système du mensonge généralisé est la conséquence, non la cause, de la séparation du parti bolcheviste d'avec le socialisme et le prolétariat.

Je me permets, pour corroborer ce qui est dit cidessus, de citer des témoignages sur Cronstadt d'hommes que j'ai rencontrés dons la Russie des Soviets.

— Ceux de Cronstadt? Ils eurent parfaitement raison ; ils sont intervenus pour défendre les ouvriers de Pétrograd ; ce fut un malentendu tragique que Lénine et Trotsky, au lieu de s'entendre avec eux, leur livrèrent bataille, me disait, en 1932, Dch., qui, en 1921, était ouvrier sans parti à Pétrograd et que je connus dans l'isolateur politique de Verkhnié-Ouralsk comme trotskyste.

— C'est une fable qu'au point de vue social, le Cronstadt de 1921 ait eu une population toute différente de celle de 1917, me disait en prison un autre Pétrogradois, Dv., qui, en 1921, était membre des jeunesses Communistes, et fut emprisonné en 1932 comme «déciste» (membre du groupe Sapronov, du «Centralisme démocratique»).

J'eus aussi l'occasion de connaître l'un de ceux qui avaient effectivement participé au soulèvement de Cronstadt. C'était un ancien mécanicien de la marine, communiste dès 1917, qui avait activement pris part à la guerre civile, dirigé un certain temps une Tchêka de province quelque part sur la Volga, et se trouvait en 1921 à Cronstadt en qualité de commissaire politique, sur le navire de guerre «Marat» (ex-«Pétropavlovsk»). Lorsque je le vis, en 1980, dans la prison de Léningrad, il venait de passer huit ans aux îles Solovetski.


LES MOYENS DE LUTTE

Les travailleurs de Cronstadt poursuivaient des buts révolutionnaires en luttant contre les tentatives réactionnaires de la bureaucratie et en se servant de moyens propres et honnêtes. Par contre, la bureaucratie diffamait odieusement leur mouvement, prétendant qu'il était dirigé par le général Kozlovski. En fait, ceux de Cronstadt voulaient honnêtement, en camarades, discuter les questions litigieuses avec des représentants du gouvernement. Leur initiative eut d'abord un caractère défensif — c'est pour cette raison qu'ils n'occupèrent pas en temps voulu Oranienbaum, sur la côte en face de Cronstadt.

Dès le début, les bureaucrates de Pétrograd employèrent le système des otages en arrêtant les familles des marins, soldats de l'armée rouge et ouvriers de Cronstadt qui habitaient Pétrograd, parce que quelques commissaires de Cronstadt — dont pas un seul ne fut fusillé — avaient été arrêtés. La détention des otages fut portée à la connaissance de Cronstadt par voie de tracts lancés par avion.

Dans sa réponse par radio, Cronstadt déclara le 7 mars «qu'il ne voulait pas imiter Pétrograd car il estime qu'un pareil acte, même effectué dans un accès de haine désespérée, est le plus honteux et le plus lâche à tous les points de vue. L'histoire n'a pas encore connu de pareils procédés.» (Izvestia du Comité Révolutionnaire de Cronstadt, 7 mars 1921). Le nouveau milieu dirigeant comprenait, lui, beaucoup mieux que les «rebelles» de Cronstadt la signification de la lutte sociale qui commençait, la profondeur de l'antagonisme des classes qui le séparait des travailleurs. C'est en cela que réside la tragédie de toutes les révolutions dans la période de leur déclin.

Mais lorsque le conflit militaire fut imposé à Cronstadt, celui-ci trouva encore en lui la force de formuler les mots d'ordre de la «troisième révolution» qui demeurent depuis lors le programme du socialisme russe de l'avenir (4).


BILAN

Il y a des raisons de penser qu'étant donné le rapport des forces du prolétariat et de la bourgeoisie, du socialisme et du capitalisme, qui existait en Russie et en Europe au début de 1921, la lutte pour le développement socialiste de la révolution russe était vouée à un échec. Dans ces conditions, le programme socialiste des masses ne pouvait vaincre ; il fallait s'attendre au triomphe de la contre-révolution déclarée ou camouflée sous l'aspect d'une dégénérescence (comme cela s'est produit en fait).

Mais pareille conception des processus de la révolution russe ne diminue nullement, dans le domaine de principe, l'importance historique du programme et des efforts des masses travailleuses. Au contraire, ce programme constitue le point de départ d'où commencera le nouveau cycle du développement révolutionnaire et socialiste. En effet, toute révolution nouvelle commence non sur la base où débuta la précédente, mais en partant du point où la révolution antérieure a subi un enrayement mortel.

L'expérience de la dégénérescence de la révolution russe pose de nouveau devant la conscience du socialisme international un problème sociologique extrêmement important : pourquoi dans la révolution russe, comme dans deux autres grandes révolutions antérieures, celles d'Angleterre et de France, est-ce de l'intérieur que la contre-révolution a triomphé au moment où les forces révolutionnaires s'épuisaient, et par le moyen du parti révolutionnaire lui-même («épuré», il est vrai, de ses éléments de gauche) ?

Le marxisme estimait que la révolution socialiste, une fois commencée, ou bien serait assurée d'un développement graduel et continu menant au socialisme intégral, ou bien irait à une défaite se réalisant sous la forme d'une restauration bourgeoise.

L'ensemble de la révolution russe pose d'une façon toute nouvelle le problème du mécanisme de la révolution socialiste. Cette question doit devenir primordiale dans la discussion internationale. Dans cette discussion, le problème de Cronstadt peut et doit avoir une place digne de lui.


ANNEXES

Seules les médiocres inclinations avilissent.
Cardinal de Retz.

Que les médiocres constituent des cliques : un vrai communiste doit avoir assez d'orgueil pour choisir son guide et assez d'esprit pour apprendre à s'en passer.
Boris Souvarine.
Anté Ciliga naît à Chegotichi en Yougoslavie en 1898. Dès 1919 il participe à la lutte des éléments progressistes de ce pays contre l'oppression des Kagageorgévitch. Devient secrétaire du parti communiste de Croatie à 24 ans. Membre du Politbureau du comité central du parti communiste yougoslave, il en est le délégué à Vienne. Envoyé en 1926 à Moscou, il enseigne à l'école du parti yougoslave. Travaille également dans la section balkanique du Komintern. En 1929 il adhère à l'opposition. Arrêté en 1930 et sans avoir été entendu, il est jugé et condamné par le Guépéou. Il passe trois ans en prison à Leningrad dans l'isolateur de Vierkhné-Ouralsk avant d'être déporté en Sibérie. Échappe à la mort par une mesure d'expulsion ordonnée par Vichinski en 1936.
La même année Ciliga entreprend la rédaction de ce qui deviendra Dix ans au pays du mensonge déconcertant. La première édition publiée par Gallimard porte le titre : Au Pays du mensonge, et se voit amputée par l'éditeur des 4/5èmes du chapitre sur Lénine. Publiée en 1950 par Les Iles d'Or, la deuxième édition parait sous le titre : Au pays du mensonge déconcertant suivi de Sibérie terre d'exil et de l'industrialisation. Cette fois le chapitre sur Lénine figure dans son entier, mais c'est l'ensemble du texte qui se trouve abrégé. Ce n'est qu'en 1977 que les éditions Champ Libre publient intégralement les deux textes, écrits respectivement en 1936 et 1941.
Anté Ciliga est également l'auteur de : Lénine et la révolution, publié par les éditions Spartacus en 1948. La Révolution Prolétarienne a publié : De Mussolini à De Gasperi en juin 1948 et Les slaves du Sud entre l'est et l'ouest en novembre 1950. La crise de l'État dans la Yougoslavie de Tito est paru à Paris en 1974.

La discussion sur Cronstadt et sur là responsabilité de Trotsky dans ce massacre fut lancée par Victor Serge, Boris Souvarine, Ida Mett, Wendelin Thomas, Emma Goldman et autres.

S'appuyant sur l'oeuvre de Lénine, Staline n'a pas cessé, de moderniser techniquement et de renforcer militairement l'État soviétique, en donnant a tout un caractère réactionnaire et impérialiste plus aigu.

En 1931, un oppositionnel allemand déclarait : le groupe trotskyste est un petit bateau surmonté d'un grand mât. Boris Souvarine, reprenant cette métaphore écrivit : le bateau est pourri et le mât porte une girouette.

Les faits nous démontrent que les staliniens sont des léninistes qui ont réussi.
Ciliga nous aide à comprendre que les trotskystes ne sont que des staliniens qui ont tout raté.


Notes
1. Sections politiques du parti communiste existant dans la plupart des institutions d'État.
2. Zagraditelnyé otriady : détachements policiers créés officiellement pour lutter contre l'agiotage, mais qui en fin de compte confisquaient tout ce que la population affamée, les ouvriers compris, amenaient des campagnes pour la consommation personnelle.
3. Élèves-officiers.
4. Un ouvrage d'ensemble sur Cronstadt, contenant des documents essentiels sur ces journées historiques, vient d'être établi par Ida Mett. Sa publication apporterait, à mon avis, une contribution opportune à la discussion internationale qui se développe actuellement.


http://kropot.free.fr/Ciliga-Cronstadt.htm

Re: Les Soviets en Russie 1905-1921, révolution russe

MessagePosté: 24 Avr 2017, 11:00
de bipbip
Montpellier vendredi 28 avril 2017

« La Révolution russe de 1917 et la IIIe Internationale, à travers le parcours d’un militant : Marcel Body »

Projection-Conférence-Débat en présence de l’historien et militant spécialiste des courants révolutionnaires de Russie et d’Ukraine, Alexandre Skirda, au Centre Ascaso-Durruti, le vendredi 28 avril à 20h30, 6 rue Henri René, quartier Gare à Montpellier.

Pour le centenaire de la Révolution russe, le CAD et la Rétive d’Alès (Samedi 29 avril en Alès) invitent Alexandre Skirda, historien et militant spécialiste des courants révolutionnaires de Russie et d’Ukraine.

S’il s’agit de faire un tour d’horizon de la Révolution de 1917, Skirda s’appuiera sur la projection de son film « Ecoutez Marcel Body ».

Ecoutez Marcel Body par 2bbbernard

Le témoignage direct d’un militant français est exceptionnel. Ce socialiste mobilisé pendant la 1ère Guerre mondiale est envoyé en Russie en 1917, il rentre au parti bolchevik en 1918 puis retourne en France et se rapproche des idées anarchistes de Bakounine. Ce parcours permet de faire revivre les soulèvements d’Octobre 1917, les paysans occupant les terres, les désertant et se réunissant en soviet, la guerre civile et la famine, la création de la IIIe Internationale, l’enthousiasme qui éclata parmi les prolétaires, les anarchistes, les futurs communistes ? Cette discussion nous permettra peut-être d’aborder la révolte en Ukraine, avec Nestor Makno et la présence active et critique des anarchistes dans la Russie et l’Ukraine des soviets. Malgré la terrible guerre civile menée par les pays occidentaux et l’armée blanche, l’essoufflement de la mobilisation révolutionnaire, l’écrasement des anarchistes et des révolutionnaires, la contre-révolution en marche après la prise du pouvoir par les bolcheviks, la Révolution russe est l’une des plus profondes tentatives de renversement du capitalisme et de l’État bourgeois jusqu’à nos jours.

L’évolution de l’URSS et de la IIIe Internationale, devenue le Komintern, ont encore des conséquences dans la vie politique actuelle, comme la démoralisation du prolétariat et de l’ensemble des courants révolutionnaires.

La révolution est bien la seule perspective dans cette société capitaliste mais son échec se paye au prix fort. Toutes ces expériences peuvent nous servir aujourd’hui, inspirer nos révoltes, cerner les politiques des uns et des autres, analyser les erreurs, expliquer l’apathie actuelle...

http://lepressoir-info.org/spip.php?article821

Re: Les Soviets en Russie 1905-1921, révolution russe

MessagePosté: 29 Avr 2017, 12:43
de bipbip
Samedi 29 avril 2017 à Alès (30)

La Révolution russe de 1917 à travers le parcours d’un militant

Ecoutez Marcel Body documentaire de B. Baissat et A. Skirda (1984)

Discussion présentée par Alexandre Skirda

à 19h, Bibliothèque La Rétive, 42 rue du faubourg d'Auvergne, Alès

Pour le centenaire de la Révolution russe, la Rétive invite Alexandre Skirda, historien et militant spécialiste des courants révolutionnaires de Russie et d’Ukraine. Pour faire un tour d’horizon de la Révolution de 1917, Skirda s’appuiera sur la projection de son film Ecoutez Marcel Body. Ce témoignage direct d’un militant français est exceptionnel. Socialiste mobilisé pendant la 1 ère Guerre mondiale, il est envoyé en Russie en 1917 et rentre au parti bolchevik puis retourne en France où il se rapproche des idées anarchistes de Bakounine. Ce parcours permet de faire revivre les soulèvements d’Octobre 1917, les paysans occupant les terres, les soldats désertant et se réunissant en soviet, la guerre civile et la famine, la création de la III e Internationale, l’enthousiasme qui éclata parmi les prolétaires, les anarchistes, les futurs communistes…

Nous en profiterons pour évoquer la révolte en Ukraine, avec Nestor Makno, la situation de Cronstadt et la présence active et critique des anarchistes en Russie et en Ukraine. Malgré la terrible guerre civile menée par les pays occidentaux et l’armée blanche, l’essoufflement de la mobilisation révolutionnaire, l’écrasement des anarchistes et des révolutionnaires après la prise du pouvoir par les bolcheviks, la Révolution russe est l’une des plus profondes tentatives de renversement du capitalisme et de l’État bourgeois jusqu’à nos jours. L’évolution de l’URSS et de la III e Internationale ont encore des conséquences dans la vie politique actuelle telle la démoralisation du prolétariat et de l’ensemble des courants révolutionnaires. La révolution est bien la seule perspective dans cette société capitaliste mais son échec se paye au prix fort. Toutes ces expériences peuvent nous servir aujourd’hui : inspirer nos révoltes, analyser les politiques des uns et des autres, comprendre les erreurs, les trahisons passées et l’apathie actuelle…

https://laretive.info/?event=la-revolut ... n-militant

Re: Les Soviets en Russie 1905-1921, révolution russe

MessagePosté: 29 Avr 2017, 16:12
de bipbip
Petrogradskaja federacija anarchistov
La Fédération Anarchiste de Petrograd

NDT : Les notes entre [ ] du texte sont de Szarapow, le traducteur russe/anglais du texte. Seules les plus longues ont été reportées en notes de bas de pages. Certaines notes avec des liens sur des sites en langue russe ont été supprimés. Se reporter au texte original.

Ce compte rendu a pour but de fournir aux camarades un aperçu général du mouvement anarchiste à Petrograd. Il est très court et nullement exhaustif, faute de ne pas avoir accès à assez de matériaux historiques.

L’histoire du mouvement dans son ensemble peut être divisée en plusieurs périodes :

1. la période de la révolution de 1905–1907 ;

2. la période de la réaction ;

3. la période de la guerre mondiale ;

4. la période de la grande révolution [1917] :
a. avant octobre, et
b. après octobre ; et

5. la période post-révolutionnaire.

Les débuts du mouvement anarchiste à Petrograd pourraient être datés à partir de 1904–1905, bien avant les premiers mois de la révolution de 1905, lorsque les anarchistes russes revenus de l’étranger ont fondé les premiers cercles (dans le sud et le sud-ouest de la Russie, ce mouvement avait commencé avant). Deux groupes furent fondés à l’automne 1905 à Petrograd. L’un comprenait des anarchistes revenus de l’étranger. L’autre incluait des étudiants et des ouvriers. Nous noterons ici que les cercles ouvriers commencèrent à se former à partir de novembre et même de octobre 1905 au-delà du quartier central de Nevskaya Zastava, puis plus tard dans d’autres quartiers. L’agent provocateur Vladimir Degayev, un étudiant, s’y joignit presque immédiatement. Cela entraînait des désaccords au sein du groupe et perturbait le travail. Ce groupe existait depuis environ un an ; Certains de ses membres participaient encore au mouvement anarchiste. Il y eut un essai pour créer une imprimerie, mais sa réalisation fut aussi empêchée par Degayev.

Le second cercle était aussi organisé par un groupe d’exilés revenus de l’étranger (Petr surnommé « Tolstoï » [de son vrai nom Nikolay Divnogorsky, 1882 — 1909], sa femme Marusya, et Nikolay Romanov [alias Bidbey, 1876 — après 1934, aussi appelé Stepan Romanov]), ainsi que de plusieurs intellectuels qui s’étaient joints à aux en Russie. Ce cercle se consacrait principalement à la propagande par le fait,c’est à dire la terreur et les expropriations; ils éditaient des tracts en ce sens.Il n’a existé que pendant une courte période, infiltré par un agent provocateur, Dmitry Dobrolyubov (Yefimov). Après les avoir entraîné dans un projet d’expropriation, il s’était arrangé pour les faire arrêter lors de sa préparation. Quelques membres du groupe furent jugés et condamnés aux travaux forcés et emprisonnés à la forteresse de Shlisselburg, de laquelle ils furent libérés lors de la révolution de 1917 — Mergaling, N. Romanov, étudiant [Boris Fedorovich] Speransky. La femme de Petr “Tolstoï”, Marusya, devint folle lors de son incarcération précédant le procès dans la forteresse Pierre et Paul, fut transférée à l’Hôpital Saint Nicolas, puis relâchée sous caution. Tolstoï lui-même simula la folie alors qu’il était emprisonné à la forteresse Pierre et Paul et fut transféré à l’hôpital Saint Nicolas. Des camarades l’aidèrent à s’évader et il s’enfuit à l’étranger. Il organisa une attaque de banque à Genève, fut arrêté, passa en procès et fut condamné à la prison à vie. En prison, il s’aspergea de paraffine et se fit brûler vif.

Les membres du groupes qui ne furent pas arrêtés continuèrent à travailler. Les deux cercles avaient commencé à communiquer bien avant les arrestations mais n’avaient pas fusionné, du fait, en partie, de la défiance envers Degayev de la part de membres du cercles de Tolstoï. Peu à peu, de nouveaux membres commencèrent à se manifester — des ouvriers et des intellectuels. Un certain nombres de cercles composés d’ouvriers apparurent, et, à l’été 1906, de tels cercles existaient dans presque tous les quartiers ouvriers. La demande pour de la documentation augmenta. Des tables furent installées à l’université de Bestuzhev pour y vendre de la littérature anarchiste. Ces tables devinrent des lieux où se rassemblaient des membres et des sympathisants et où des anarchistes n’habitant pas la ville se rendaient pour lier des contacts. Des tracts hectographiés étaient publiés; les efforts pour créer une imprimerie se poursuivaient; le nombre de membres continuaient à augmenter.

Un intérêt particulièrement grand envers l’anarchisme dans les cercles ouvriers et étudiants était suscité par les conférences de l’orateur Venin (de son vrai nom Olenchikov), qui était revenu de l’étranger en 1906. Kropotkinien dans sa vision, il était un grand conférencier et un homme très érudit. Malheureusement, ses activités ne durèrent pas longtemps. Le gouvernement menait un double jeu à cette époque : n’osant pas encore donner le coupe de grâce à la révolution, il utilisait tous les prétextes pour arrêter et condamner des militants. Le provocateur Degayev, qui avait été arrêté déjà plusieurs fois, était encore entouré d’étudiants qui le croyaient. Il avait organisé, avec ces jeunes, une expropriation réussie (24 000 roubles, autant que je m’en souvienne), et avit donné une toute petite partie de cet argent à Venin qui l’avait accepté,malgré les avertissements de quelques camarades qui se méfient énormément de Degayev. Les participants à l’expropriation furent rapidement arrêtés, ainsi que Venin. Il fut « épinglé » du fait de l’argent accepté; bien sûr, ce n’était qu’un prétexte, la raison principale était ses activités de propagande. Venin s’échappa du tribunal et s’enfuit à l’étranger. Il est maintenant de retour en Russie mais ne participe pas au mouvement.

Avant la fin de sa première année d’existence, l’organisation prit le nom de Fédération Anarchiste de Petrograd [En russe : Petrogradskaya Federatsiya Anarkhistov; un anachronisme évident puisque St Petersbourg ne fut pas appelé Petrograd avant 1914, donc, le groupe initial devait probablement s’appeler la Fédération Anarchiste de St Petersbourg, ou Peterburgskaya Federatsiya Anarkhistov]. Il est, bien sûr, impossible de dénombrer ses membres, puisqu’il était impossible d’en tenir un registre du fait de sa nature conspirationniste ; mais on peut avancer sans se tromper qu’il existait des cercles dans tous les principaux quartiers ouvriers. La demande de documentation était très importante; Il y avait toujours une nombreuse assistance aux conférences de Venin, qui soulevaient beaucoup d’enthousiasme. En 1907, une imprimerie manuelle fut installée pour imprimer des tracts.

A partir d’avril 1907, la réaction commença à s’accélérer et, par conséquent, les partis révolutionnaires à s’enfoncer davantage dans la clandestinité. En 1908, toute trace d’un travail au plein jour avait disparu. Beaucoup de membres de la fédération avait alors été arrêtés et quelques-uns s’en allèrent, mais ceux qui restaient continuèrent à soutenir le mouvement du mieux possible et établissaient même de nouveau contact avec des ouvriers. De temps à autres, des tracts étaient publiés par hectographie (les caractères d’imprimerie avaient été en partie sauvegardés mais il n’y avait nulle part où installer l’imprimerie), et rencontraient un grand succès. The God Pestilence de [Johann] Most fut hectographié en de nombreux exemplaires et fut très populaire parmi les ouvriers. Avec l’aide d’un ouvrier lithographe, nous nous étions débrouillés pour publier une caricature de Nicolas [II] dépeint comme un clown manipulé par un prêtre, un général et un bureaucrate, avec le texte d’un poème humoristique. Trois numéros d’une petite revue furent aussi publiés, deux étaient hectographiés et un lithographié.

Le mouvement n’a jamais cessé de s’étendre, bien que très lentement, et de réunir de nouveaux membres. D’anciens contacts, rompus par les persécutions de la réaction, furent rétablis et maintenus. Des ouvriers des anciens cercles originels s’unirent de nouveau. Les liens avec les nouveaux cercles ne furent jamais rompus. Il y avait peu d’intellectuels dans le groupe initial, seulement quelques personnes; les ouvriers formaient le noyau dur de la fédération. Pendant tout ce temps, Roman Bergold prit une part active dans le mouvement, lui qui fut récemment exécuté par un peloton d’exécution sur ordre des autorités soviétiques pour ses activités comme agent provocateur. Etait-il un agent provocateur alors, ou l’est-il devenu par la suite, pendant la guerre contre l’Allemagne, ce n’est pas clair aujourd’hui; mais, à l’époque, on lui faisait entièrement confiance. De temps en temps, des individus, ou même des groupes de personnes, étaient arrêtés mais il n’était en aucune manière possible de porter ces arrestations au crédit de Bergold. Il fut lui-même arrêté plusieurs fois.

Telle était la situation lorsque éclata la guerre mondiale [en 1914]. Comme on le sait, peu après son déclenchement, le mouvement révolutionnaire commença à s’étendre au sein des masses prolétaires. Le milieu anarchiste fut aussi rajeuni : il y avait plus de cercles, des tracts étaient publiés plus fréquemment. Peu à peu, une imprimerie manuelle entièrement clandestine fut installée. Elle était utilisée pour imprimer des proclamations, des tracts, « Faim — ignorance — mort », une petite brochure sur l’anarchisme, extraite de La Conquête du Pain [de Pierre Kropotkine] et actualisée par un camarade. Les cercles ouvriers se développèrent de manière significative en 1916, ainsi que le travail de propagande, mais Bergold passa alors à l’Okhrana, et, en mars 1916, il trahit le mouvement. Un grand nombre de camarades fut arrêté, à la fois du groupe initial et dans les cercles ouvriers. Les caractères d’imprimerie furent sauvés, car très bien cachés. L’ Okhrana ne saisit que le cadre de la machine à imprimer, durant l’arrestation d’un camarade ouvrier. Après ce coup dur, le travail cessa pratiquement. Les camarades restant essayèrent de rétablir les contacts interrompus et de recommencer la propagande, mais Bergold étant à l’origine de l’affaire, rien ne fonctionnait. Lorsque un des camarades du groupe initial essaya de travailler seul à l’automne 1916, il fut arrêté en même temps qu’une camarade ouvrière avec laquelle il avait l’intention de créer un cercle. Les camarades arrêtés au printemps 1916, furent détenus rue Shpalernaya, en attendant un procès qui, comme cela était alors certain, les condamnerait au moins à être exilés dans le sud de la Sibérie, et pour quelques-uns, aux travaux forcés. Mais la révolution se déclencha en février 1917. Les camarades relâchés commencèrent aussitôt à reconstruire la fédération sur de nouvelles bases.

La revue Commune[1] [En russe : Kommuna] fut créée, une vraie imprimerie fut installée, une librairie fut ouverte et des armes furent distribuées. Plus tard, le manoir Durnovo[2] fut occupé et abrita le quartier général de la fédération. Une masse d’émigrés arrivant d’Europe de l’ouest et d’Amérique rejoignit ses rangs. Tous les membres du groupe anarcho-syndicaliste de Golos Truda[3] arrivés d’Amérique commencèrent à publier le journal du même nom, qui était auparavant édité à New York. Malheureusement, ils restèrent quelque peu à l’écart du travail anarcho-communiste quotidien, désapprouvant les manifestations révolutionnaires radicales et, de ce fait, suscitèrent quelques discordes au sein des rangs serrés des anarchistes. L’influence des anarchistes sur les masses ouvrières était importante à l’époque; les rassemblements où Voline prenait la parole étaient très suivis; le matériel de propagande circulait bien; des piles de livres avaient été emportés sur le front et dans les provinces. En même temps que ces succès, un grand choc atteignit le moral de la Fédération, en avril. A partir de document de Okhrana, il fut établi que Bergold, éditeur de Commune, était un agent provocateur. Des camarades voulaient le tuer, mais il s’échappa, fut découvert en province, arrêté et condamné à la privation de ses droits civiques. Ce fut un choc moral pour la Fédération. Des journaux bourgeois, qui avaient toujours calomnié notre mouvement, se servirent de cette situation pour des attaques diffamatoires avec une joie malveillante. Mais la Fédération s’en remit rapidement, et Commune fut publié par une autre équipe d’éditeurs. Des contacts avec les provinces furent établis et un certain nombre d’organisations et d’imprimeries s’y établirent. D’autres contacts solides furent établis avec l’armée et notamment avec la flotte de la Baltique. Un journal anarchiste spécifique vit même le jour à Kronstadt [Vol’nyi Kronshtadt (Kronstadt Libre) selon Avrich, The Russian anarchists p.126].

La période de la grande révolution.

Comme nous le savons, le gouvernement de [Alexander] Kerensky glissait de plus en plus vite vers la droite, dans les bras de la bourgeoisie et de la réaction. Les ouvriers répondaient en protestant par des manifestations, dirigées à la fois contre la guerre qui traînait en longueur et contre la politique perfide de la droite. Les syndicalistes révolutionnaires et les anarchistes y prenaient une part active; leurs drapeaux noirs flottaient aux premiers rangs. Près au combat, les rangs serrés, chantant des hymnes anarchistes, ils marchaient dans les rues de Petrograd. Naturellement, le gouvernement de [Viktor] Chernov et de Kerensky n’était d’aucun secours, mais ne pouvait que s’inquiéter de la croissance et du développement du mouvement anarchiste, qui unissait des masses toujours plus grandes d’ouvriers, et il décida de les contrer par tous les moyens. A cette fin, les cosaques et les cadets de l’école militaire furent envoyé en juin 1917 pour prendre d’assaut le manoir Durnovo. Celui-ci fut envahi et dévasté. Pendant le siège du manoir, le camarade [Sh. A.] Asin [son nom est également donné comme Asnin ou Askin], qui s’était retranché pendant un long moment dans une pièce barricadée au côté du marin Anatoli Zhelezniakov, fut tué. La presse bourgeoise et menchevique déversait depuis longtemps de la boue sur Asin, le décrivant comme un ancien criminel converti à l’anarchisme alors qu’il purgeait une peine de travaux forcés. Après sa mort, les viles calomnies s’amplifièrent — deux camarades furent obligés de se rendre dans les locaux du journal ô combien socialiste Novaya Zhizn, qui n’avait pas honte de publier toutes sortes de calomnies sur nos camarades décédés, d’appeler son co-directeur Maxim Gorky et de dénoncer les coups bas du journal. Alors seulement, les insinuations cessèrent, du moins celles venant de ce journal.

Aussitôt après la destruction du manoir Durnovo, les cadets de l’école militaires dévastèrent l’imprimerie anarchiste sur les berges du canal Obvodny. Le mouvement redevint alors semi-clandestin mais les manifestations continuaient, rassemblant des masses d’ouvriers, de soldats et de marins.

Puis ce furent les célèbres journées de juillet. Bien sûr, les bolcheviques oublient aujourd’hui de mentionner que les anarchistes se battaient à leurs côtés à l’époque, entraînant des soldats [dans la contestation] et prenaient la parole contre les bandes de Kerensky, puis qu’ils payèrent cela en années de prison. Et seulement les anarchistes, parmi toutes les organisations révolutionnaires. La défaite de juillet contraignit les anarchistes et les bolcheviques à la clandestinité. Commune fut publié clandestinement. Mais Voline continuait à donner ses conférences dans le quartier de Vyborg devant d’immenses audiences d’ouvriers; il était encore possible d’organiser des rassemblements.

Puis arriva octobre. De nouveau, les anarchistes furent aux côtés des communistes, partout, sur la Place du Palais, lors de la mise à sac de l’École Militaire. L’anarchiste Anatoli Zhelezniakov fut l’un des principaux acteurs de la prise de l’assemblée constituante de Chernov, les anarchistes étaient à Tsarskoye Selo, où Kerensky fut finalement repoussé. L’anarchiste [Iustin] Zhuk — un prisonnier politique qui avait purgé une peine de travaux forcés à Shlisselburg — y conduisit un détachement d’ouvriers pour garder le Smolny [quartier général des soviets] puis à Tsarskoye Selo pour rencontrer Kerensky. Puis les communistes furent aimables et attentionnés: les anarchistes obtinrent les locaux d’imprimerie bien équipés de Novoye Slovo;plus tard, ils héritèrent de ceux du journal de droite Zhivoye Slovo [fermé en octobre 1917]. Un nouveau quotidien, Burevestnik, fut publié. Commune cessa de paraître en septembre.

Plusieurs clubs furent ouverts. Sur la Première Ligne sur l’île Vasilyevsky, la maison du baron [David] Ginzburg fut occupée pour héberger le quartier général et le club anarchiste. Le comité directeur [Soviet] nous demanda de fournir des hommes armés pour fouiller les maisons des Gardes Blancs, ou pour organiser des tours de garde dans les quartiers durant les nuits agitées. De tels souvenirs sont aujourd’hui fort déplaisants pour les communistes.

A la même époque, se déclenche la guerre civile, le front militaire encercle la révolution en Russie.Les anarchistes formèrent leur propres détachements, se joignirent aux rangs communistes et nous devons souligner que nous n’avons pas à avoir honte de nos camarades. Ieronim Zhuk laissa sa vie de manière si héroïque sur le front sud que les communistes eux-mêmes, par la plume de [Grigory] Zinoviev, furent obligés de lui écrire un éloge funèbre honorable [peut-être se réfère t-il à Iustin Zhuk, tué en 1919 sur le front de Carélie]. Anatoly Zhelezniakov, combattit près de la frontière roumaine, dans un train blindé et y fut tué. Marusya Nikiforova conduisit un détachement dans le sud et les soldats qui servirent à ses côtés ont parlé de sa bravoure avec admiration. Elle rejoignit plus tard notre détachement à Petrograd qui était principalement composé d’ouvriers du quartier de Vasileostrovsky.

En même temps, les activités littéraires et de publication de la Fédération de Petrograd continuaient à se développer. Burevestnik était publié quotidiennement. Étaient également publiés des tracts et des pamphlets. L’équipe éditoriale de Burevestnik changea plusieurs fois, ce qui eut naturellement une mauvaise influence sur son activité. Les problèmes financiers étaient fréquents mais n’empêchaient pas le journal d’avoir une grande popularité et audience parmi les ouvriers, les marins et les soldats. L’exemple suivant montre combien la popularité du journal était grande. Les typographes devaient être payés 8 000 roubles, mais il restait rarement de l’argent dans les caisses. Les typographes — qui étaient pour la plupart sans conscience politique, issus de l’ancienne imprimerie de Zhivoye Slovo — refusèrent de travailler une seule minute. Alors, un de nos camarades commença à parcourir Petrograd, un quartier après l’autre, en appelant à des réunions d’urgence — et, à la fin de la journée, l’argent avait été réuni.

Le premier éditeur de Burevestnik fut le camarade [Vladimir] Gordin mais les ouvriers furent bientôt insatisfaits des articles quelque peu étranges et incompréhensibles de ce camarade sans aucun doute talentueux. Une autre équipe éditoriale fut élue et fut dirigée par le camarade Ge [Alexandre Golberg (1879 — 1919)], écrivain et ancien émigré. Peu après, Ge s’aliéna de nombreux camarades du fait de son attitude despotique et, surtout, en attirant dans l’équipe éditoriale et dans l’ organisation quelques personnes totalement inadaptées, tel que l’acteur Mamont Dalsky [1865–1918] et plusieurs journalistes de tabloïdes, qui n’avaient naturellement rien en commun avec les ouvriers et les anarchistes, et qui ne faisaient que discréditer le mouvement. Lors d’une réunion en 1918, Ge fut démis de son poste et une nouvelle équipe éditoriale fut élue, dirigée de nouveau par Gordin avec plusieurs autres camarades.

Mais les jours de Burevestnik étaient déjà comptés. A la mi-mai [1918, les événements commencèrent en réalité en avril], les bolcheviques, de plus en plus forts, décidèrent d’arrêter de soutenir leurs frères d’armes d’hier. Le glissement vers un centralisme d’état extrême et l’intolérance envers toute critique avait alors commencé, qui avait conduit peu à peu les bolcheviques à l’état de pétrification, de bureaucratisation et de capitalisme soviétique, que nous observons en ce moment et les avait poussé à embrasser la Nouvelle Politique Économique. les organisations et la presse anarchiste étaient considérées avec méfiance.

En mai [en réalité en avril] 1918, dans de nombreuses villes (Smolensk, Vologda, Moscou), des clubs, des hôtels et des locaux de journaux anarchistes furent attaqués. Ces attaques, par leur abomination et leur violence, pouvaient être souvent comparées à celles des cadets de l’école militaire de l’ère Kerensky. Aucun incident majeur ne survint à Petrograd, mais un détachement letton expulsa néanmoins les anarchistes de la maison de Ginzburg début mai, et, peu après, Burevestnik fut fermé. Les rassemblements et l’organisation furent interdits et, donc, les anarchistes poussés à la clandestinité. L’organisation à Petrograd avait alors perdu une grande partie de ses membres, qui y avaient joué un rôle important. Beaucoup étaient partis au front, d’autres voyageaient en province pour y mener la propagande, et, enfin, un certain nombres de camarades s’étaient rangés du côté des communistes, où ils occupaient des postes importants ([Vladimir] Shatov [alias Bill Shatov, 1887–1943] avait été nommé commissaire du peuple de la compagnie de chemin de fer de Nikolayevskaya), et s’était détourné totalement de ses camarades.

Le plus gros problème était, bien sûr, le manque d’auto-discipline, qui n’avait pas permis à la Fédération de s’unir dans une entité unique capable de résister aux camarades d’hier devenus les exploiteurs d’aujourd’hui. Quoi qu’il en soit, en fin 1918 et début 1919, les anarchistes à Petrograd n’avaient ni journal ni d’actions politiques visibles. En 1919, les prises de paroles d’orateurs anarchistes dans des réunions d’usines, déjà rares auparavant, cessèrent complètement. Le club anarchiste de la rue Zhukovskogo survécut petitement pendant quelques temps mais fut aussi fermé plus tard.

De 1919 à aujourd’hui, c’est à dire durant les cinq dernières années, l’histoire de la Fédération Anarchiste de Petrograd est celle de persécutions non-stop qui font partir les camarades les plus énergiques. Peu après le soulèvement de Kronstadt [en 1921], débuta un procès intenté au camarade [Pavel] Kolobushkin [Victor Serge l’a désigné sous le nom de Kalabushkin] et à quelques autres, dans une tentative pour les impliquer dans le soulèvement, mais les bolchevique échouèrent. Après un long emprisonnement, le camarade Kolobushkin fut exilé dans la province de Orenburg, et les autres relâchés peu à peu.

Un autre procès contre des syndicalistes révolutionnaires et des anarchistes eut lieu au printemps 1923. Plusieurs personnes furent condamnées à la peine de mort, commuée en exil dans les îles Solovetsky. A chaque fois que des troubles se déclenchent à Petrograd, des anarchistes sont couverts d’insultes, arrêtés et bannis. Un grand nombre de camarades ont fait beaucoup de tort en se rangeant aux côtés des bolcheviques et en annonçant leur « épiphanie » dans les journaux. Alors qu’une personne qui ne réussit pas à supporter les persécutions et qui baisse les bras peut être éventuellement pardonnée, les gentlemen qui cachent leurs intérêts personnels sous de belles phrases et qui crachent sur leurs camarades d’hier qui croupissent en prison et en exil, ne méritent rien de moins que le mépris.

Les autorités communistes se sont donc débrouillées, grâce à une terreur injustifiée contre les vieux combattants anarchistes, pour détruire la Fédération comme organisation légale; elles se sont arrangées pour écarter les camarades anarchistes les meilleurs, les plus énergiques, de toute vie sociale, mais ces fous ne devraient pas penser qu’ils ont étranglé l’anarchisme. La graine, semée par les mains des vieux anarchistes compétents et expérimentés, a trouvé un terrain favorable chez les représentant de la génération prochaine, et quelques-uns d’entre eux sont partis en exil et dans les camps de concentration aussi bravement, sans plus de crainte et d’inquiétude que leurs pères spirituels.Les autres, remerciant les vieux combattants pour la graine semée, forgent leurs nouvelles épées en vu de nouvelles batailles et de nouvelles luttes en ces temps de réaction communiste.

[1] Publication de la Fédération Anarchiste-Communiste de Petrograd, édité par I. Bleykhman. Le N°1 a paru 17 mars 1917. Après le soulèvement de juillet, le journal a été interdit par le Gouvernement Provisoire et l’imprimerie de la Fédération des anarchistes-communistes de Petrograd fut saccagée par la troupe. En septembre 1917, fut publié le dernier numéro, le N° 6, et Svobodnaya Kommuna le remplaça. (Note de A. Dubovik)

[2] Ancien manoir aristocratique, propriété pendant un temps, au dix-huitième siècle, de membres de la famille Bakounine.

[3] Golos Truda, publié par les anarcho-syndicalistes en 1917–1918. Le journal succédait à la publication du même nom publié aux USA de 1911 à 1917. Le n° 1 parut le 11 août 1917, édité par V. Rayevsky. Du n° 2 jusqu’en mars 1918 il fut édité par V. Voline. Il parut à l’origine comme un hebdomadaire, puis à partir du 11 novembre 1917, comme un quotidien avec un tirage entre 10 000 et 15 000 exemplaires. 24 numéros ont été publiés avant la fin 1917. Au début avril 1918, la publication fut transféré à Moscou, où le journal fut fermé par la Tchéka le 12 avril 1918. Fin avril 1918, la publication reprit. Le journal fut définitivement fermé le 9 juillet 1918. (Note de A. Dubovik)


https://fr.theanarchistlibrary.org/libr ... -petrograd

Re: Les Soviets en Russie 1905-1921, révolution russe

MessagePosté: 01 Mai 2017, 12:56
de Pïérô
Kronstadt 21

Kronstadt avant l'insurrection

La flotte a joué un rôle énorme dans l'histoire du mouvement révolutionnaire en Russie.

Lors de la révolution de 1905, les marins ont les premiers commencé la lutte armée et l'ont abandonnée les derniers. La première mutinerie des marins sans caractère politique bien déterminée, mais au potentiel révolutionnaire certain, eut lieu les 3 et 4 novembre 1904 à Sébastopol. La révolte eut pour cause immédiate l'interdiction faite aux marins de quitter la cour des casernes sans autorisation spéciale et consista en l'attaque des casernes de la flotte, du bâtiment du tribunal maritime militaire et des logements des officiers. Les mutins furent réprimés par quelques coups de canon du cuirassé Pamiat Jferkouria. Trente-six d'entre eux passèrent devant le tribunal maritime militaire du port de Sébastopol le 5 janvier 1905 et furent condamnés à des peines très graves de travaux forcés et de bataillon disciplinaire. Cette révolte inaugurait, pour ainsi dire, le chapitre révolutionnaire de l'histoire de la flotte de la Mer Noire.

Durant la guerre, surtout à partir de 1915, la flotte fut travaillée avec succès par les organisations militaires des sociaux-démocrates (défaitistes), des socialistes-révolutionnaires ( gauche internationaliste), par le groupe du Nord des anarchistes-communistes, les tolstoïens et les différentes sectes religieuses (1). La guerre avec ses horreurs, les défaites aux fronts, la situation critique dans le pays et surtout dans les campagnes (situation que les matelots connaissaient par les lettres de leurs parents), ont évidemment fait plus que la propagande révolutionnaire proprement dite pour hâter leur évolution politique. A Cronstadt, la première rafale révolutionnaire fut particulièrement violente. "La tempête est passée ici plus âprement, mais aussi elle a déraciné tout le passé" disait un des matelots cronstadtiens lors d'une séance du Soviet, en expliquant la situation à une délégation venue du front. L'amiral Virren, commandant de la forteresse, organisateur du régime bagnard qui régnait à Cronstadt pour les matelots, fut tué. Ce fut la première victime de la révolte spontanée des marins qui commença à la nouvelle de la révolution de Pétrograd. Puis ce fut le tour de son collaborateur principal, l'amiral Boutakov, ainsi que d'une quarantaine d'officiers de la flotte; deux cent trente-six gradés furent arrêtés et enfermés dans les prisons cronstadtiennes. Pour effacer jusqu'à l'ombre du passé, la flotte et la garnison de Cronstadt appliquèrent alors le principe d'éligibilité du commandement. " Nous matelots et soldats de par la volonté de l'ancien régime nous ne savions travailler que de nos bras et pieds, on ne nous apprenait pas à travailler du cerveau, vos menaces (ceci s'adressant à Goutchkov, ministre de la Guerre et de la Marine du premier gouvernement provisoire) se trompent d'adresse. A Cronstadt, nous avons réfléchi avec nos esprits modestes et nous avons élu nos supérieurs en commençant par les caporaux, et en finissant par le commandant de la forteresse. Si vous voulez vous rendre compte de nos capacités, venez chez nous et regardez. Je vous assure que la capacité militaire de la forteresse est supérieure à celle qui existait avant le 1er mars. C'est ce que vous dit un matelot du rang, représentant du peuple libre. C'est ce que vous dira le commandant de la forteresse : le général Guérassimov. " Cette défense du principe d'éligibilité fut publiée dans les Itzvetzias de Cronstadt le 25 avril 1917.

Voulant symboliser extérieurement la démocratisation de la flotte, Cronstadt fut une des premières à abolir le port des pattes d'épaules aussi bien pour la flotte que pour la garnison de la forteresse ; cet insigne symbolisant l'autorité des officiers. Le ministre de la Guerre fut obligé de confirmer cette suppression et l'amiral Maximov, le nouveau commandant de la flotte baltique qui remplaçait l'amiral Nepline, tué par les matelots de la flotte active, publia l'ordre suivant : " Etant donné que l'uniforme militaire rappelle extérieurement l'ancien régime, j'ordonne dans toutes les formations d'enlever les pattes d'épaule et de les remplacer par des galons dont l'échantillon sera envoyé par la suite. "

Cronstadt devint bientôt la Mecque révolutionnaire où se rendaient les différentes délégations du front et de l'arrière. C'était en partie la presse bourgeoise qui avait créé cette réputation révolutionnaire de Cronstadt. C'était elle aussi qui l'appelait ironiquement la République cronstadtienne en l'accusant de séparatisme anti-étatiste et d'actes anarchistes. Citons comme exemple la décision prise à la séance du Soviet de Cronstadt du 26 mai 1917, qui devait faire hurler la bourgeoisie. Cette décision attribuait dorénavant tout le pouvoir au soviet de Cronstadt. Prélude de la lutte pour le pouvoir des soviets dans tout le pays, elle fut dirigée de la façon suivante : le pouvoir dans la ville de Cronstadt se trouve désormais uniquement entre les mains des soviets des députés des ouvriers et des soldats, lequel, pour les affaires concernant le pays entier, se met en contact avec le gouvernement provisoire. Tous les postes administratifs dans la ville de Cronstadt seront occupés par des membres du comité exécutif, en vertu de quoi ce dernier sera proportionnellement augmenté de nouveaux membres pris parmi les députés du soviet. Les postes administratifs seront distribués proportionnellement entre les différentes fractions politiques ; ces dernières sont responsables de l'activité de leurs représentants. La résolution fut adoptée par 211 membres contre 41 et 1 abstention (2). Cette décision du soviet cronstadtien eut l'effet d'un coup de tonnerre.

Le gouvernement provisoire et la grande presse commencèrent à calomnier la république cronstadtienne en l'accusant d'excès de toutes sortes et surtout d'indiscipline criminelle menaçant de rompre le front du Nord, ce qui aurait pu mettre le Pétrograd révolutionnaire dans une situation stratégique critique. Ces bruits gagnèrent tous les coins du front et les provinces les plus éloignées. Mais la calomnie eut une action contraire à celle que ces auteurs escomptaient. Les délégations arrivant à Cronstadt étaient conquises par son esprit, son enthousiasme et sa fidélité à la démocratie ouvrière. Ces délégations visitaient non seulement les bateaux et les casernes, mais aussi les usines et les chantiers et publiaient leurs impressions. Voici ce que disait à ce sujet la délégation du front du Nord : "Camarades, sur les fronts court le bruit qu'à Cronstadt règne une anarchie complète, que les voies de Pétrograd sont ouvertes à l'ennemi, la forteresse détruite, et on essaie par ce procédé de rompre notre confiance dans Cronstadt. Nous fûmes délégués par nos camarades pour observer ce qui se passe dans ce centre de la révolution. A notre grande joie nous y avons trouvé un ordre exemplaire dont nous faisons part à nos frères se trouvant dans les tranchées". Les Izvestia de Cronstadt, 5 mai 1917.

A Cronstadt s'installa le pouvoir total du soviet, pour lequel les marins et les soldats eurent un respect sans bornes. Le soviet était leur seul maître ; il tranchait aussi bien les questions d'ordre politique que moral. C'est ainsi qu'il décida dans une de ses séances la défense absolue de consommer des boissons alcoolisées. D'après les témoins directs de l'époque, cette décision fut ponctuellement appliquée par la masse des marins ce qui, vu la situation, eut une importance considérable. Le soviet de Cronstadt se tenait en contact permanent avec la place Yakornaïa qu'on appelait le Vetché (3) cronstadtien. Chaque soir y avaient lieu de grands meetings et l'on discutait en toute liberté des questions les plus actuelles. Selon des témoignages provenant de sources différentes l'assemblée, composée de marins et d'ouvriers constadtiens, était plus radicale que les orateurs, et très souvent ceux-ci devaient, pour ne pas perdre leur popularité, se soumettre au ton général. Le plus grand succès était en général acquis aux orateurs bolcheviques, anarchistes et à quelques révolutionnaires de gauche. Le Vetché cronstadtien, la place Yakornaïa, avec sa sensibilité extrême, servait pour ainsi dire de baromètre politique. Souvent, d'après ses oscillations, les partis déterminaient leur tactique. Cronstadt observait d'un oeil vigilant, la situation dans le pays et sur les fronts, se tenant en contact permanent avec Pétrograd. Chaque fois que la situation exigeait une décision prompte, Cronstadt envoyait des délégués aux renseignements. En revanche, Pétrograd, à chacune de ses entreprises, envoyait une délégation à Cronstadt pour s'assurer du soutien actif des marins. Ceux-ci ne se firent jamais prier, notamment lors des journées de juillet et d'octobre. Le 3 juillet une descente de plus de 2 000 marins armés défila dans les rues de Pétrograd semant la terreur dans la bourgeoisie de la capitale. En octobre, Cronstadt ainsi que d'autres centres de la flotte baltique, comme Helsingfors, envoyèrent à l'embouchure de la Néva des bâtiments de guerre, élément décisif de la marche de l'insurrection. Dans l'élaboration des plans insurrectionnels, Smolny (4) plaçait de grands espoirs dans les matelots de la Baltique, voyant en eux des détachements de combat qui combinaient la résolution prolétarienne avec une forte instruction militaire, dit Trotsky dans son Histoire de la Révolution Russe (Tome IV, page 304), ce sont encore des matelots qui occupèrent au cours des journées d'octobre l'agence télégraphique gouvernementale, les locaux de la banque d'Etat et d'autres points stratégiques de la plus haute importance pour l'issue de l'insurrection. Plus tard, les matelots prirent une part des plus actives à la consolidation du nouveau régime et leurs détachements militaires se battirent sur tous les fronts de la guerre civile.La production industrielle et agricole baissait à une allure vertigineuse.

Dans les usines, les matières premières étaient quasi absentes et les machines usées et non soignées ; le prolétariat passait son temps à ruser avec la famine. Les vols dans les usines, devenus une sorte de compensation pour un travail misérablement payé, étaient chose courante, et cela malgré les fouilles quotidiennes que les fonctionnaires de la Tchéka faisaient à la sortie. Les prolétaires, qui avaient encore des attaches à la campagne, y allaient échanger des vivres contre de vieux vêtements, des allumettes ou du sel. Les trains étaient pleins de ces gens (mechotchniki) qui, à travers mille difficultés, apportaient des vivres vers les villes affamées. Et grande était la colère des prolétaires, quand les barrages de milice leur enlevaient la farine ou les pommes de terre qu'ils portaient sur leur dos, pour ne pas laisser leurs gosses mourir de faim. Soumis à la réquisition, les paysans semaient moins, malgré les menaces de famine consécutive aux mauvaises récoltes. Or, les mauvaises récoltes n'étaient pas rares, seulement, en temps ordinaire, la surface ensemencée était beaucoup plus grande et les paysans pouvaient faire quelques réserves pour les années noires.

Nous pouvons donc résumer la situation d'avant l'insurrection de Cronstadt comme un formidable décalage entre les choses promises et la situation de fait. Ce décalage, subi par une génération n'ayant pas encore perdu le sens des droits acquis du fait de la révolution, forma le fond psychologique essentiel de la révolte. Mais un conflit secondaire souleva également la flotte.

Depuis la paix de Brest-Litovsk, le gouvernement avait amorcé une réorganisation totale de l'armée sur la base d'une discipline rigoureuse, incompatible avec le principe de l'éligibilité des officiers par les soldats ; on y introduisait toute une gamme hiérarchique chassant l'esprit de démocratisation en vigueur au commencement de la révolution.Mais, dans la flotte, pour des raisons purement techniques, pareille réorganisation était impossible, vu que les éléments d'une certaine qualification technique ne pouvaient être remplacés par de nouvelles recrues. C'est pourquoi les anciennes moeurs révolutionnaires y persistaient et les marins y jouissaient encore du reste des libertés acquises en 1917. Cet état de choses, en contradiction flagrante avec l'esprit régnant dans le reste de l'armée, ne pouvait durer ; les divergences entre la base de la flotte et le commandement supérieur de l'armée s'accentuèrent, devenant brusquement aiguës avec la liquidation des fronts de guerre civile en Russie européenne. Le mécontentement existait non seulement dans la masse des marins sans-parti, mais également parmi les matelots communistes. Les tentatives pour "discipliner" la flotte en y introduisant les "moeurs de l'armée" rencontrèrent, dès 1920, une active résistance de leur part. Un des auteurs de ces mesures disciplinaires, Zof, membre du conseil révolutionnaire de guerre de la flotte baltique, fut officiellement accusé par les marins communistes "d'esprit dictatorial".

Le bureaucratisme, le décalage très prononcé entre la " base et le sommet " fut constaté à plusieurs reprises lors de la seconde conférence de l'organisation des marins communistes en 1921.

Cet état d'esprit se manifesta également avec vigueur lors des élections pour le 8e Congrès des Soviets en décembre 1920, quand, à la base navale de Pétrograd, une grande partie des marins quittèrent démonstrativement la réunion électorale, protestant ouvertement contre l'envoi délégués de gens du sommet du Politotdiel et du Comflotte (c'est-à-dire de deux organisations qui détenaient entre leurs mains le contrôle politique de la flotte).

Ida METT.

(1) D'après le rapport de l'aumônier Valentine du bâtiment de ligne Sébastopol.

(2) A ce moment le soviet de Cronstadt comprenait environ un tiers de sans-parti, un tiers de socialistes-révolutionnaires, un tiers de bolcheviks.

(3) Vetché : assemblée populaire des villes libres hanséatiques russes, Pskov et Novgorod. Place Yakoznaïa - place de l'Ancre.

(4) Smolny - centre du parti bolchevique avant octobre, installé dans l'ancien Institut Smolny.

A lire : La révolution Inconnue (Voline) ; La Commune de Kronstadt (Editions Spartacus) ; Les Anarchistes dans la révolution russe (éditions La Tête de Feuilles) ; les soviets trahis par les bolchéviques (Rudolph Rocker) ;


Kronstadt 1921 : prolétariat contre bolchevisme

Une coïncidence de dates a voulu que le 18 mars soit le premier jour de la Commune de Paris et aussi le dernier jour de la Commune de Kronstadt. Si le 25 octobre 1917 consacre la chute, par un coup d'État militaire, du gouvernement " modéré " et bourgeois de Kerensky, il y a bien eu, précédemment une véritable révolution sociale. Durant les mois qui précèdent, les soviets (ou Conseils de délégués ouvriers, soldats et paysans) avaient pénétré dans presque toutes les usines, sapant les bases économiques et sociales du régime bourgeois. Les comités et soviets de soldats avaient totalement désorganisé l'armée tsariste. Dans les campagnes, les paysans avaient exproprié collectivement les propriétaires terriens et avaient entrepris la culture commune de la terre. Pendant l'Octobre des ouvriers et des paysans, les slogans étaient sans ambiguïté : La terre aux paysans, l'usine à l'ouvrier. Le pouvoir aux soviets locaux et au centre des soldats, ouvriers et paysans.

La Contre-révolution bolchevique

Trois tendances inconciliables vont s'affronter : Il y avait le camp de la Réaction avec les "armées blanches" qui tentait de réinstaurer le tsarisme ; le camp des partisans d'une société dirigée sur tous les plans par un "État ouvrier" ; et il y avait aussi (et surtout) un mouvement populaire, porteur d'une dynamique et d'un projet autogestionnaire. L'Histoire va alors démontrer qu'entre autogestion sociale et étatisation, il n'y avait pas d'accord possible. Dès leur arrivée au pouvoir les bolcheviks vont mettre en œuvre leur fameuse conception de la " dictature du prolétariat " qui, bien évidemment, ne signifie pas autre chose que la dictature du Parti : La dictature de la classe ouvrière ne peut être garantie que sous la forme de la dictature de son avant-garde, c'est-à-dire du Parti communiste (Résolution du XIIè Congrès du Parti). Les organisations ouvrières sont mises au pas. En avril 1918, tous les clubs anarchistes à Moscou sont fermés (pris au canon) et 600 militants libertaires sont jetés en prison.

Le nouveau pouvoir va imposer une militarisation du travail et transformer des millions d'individus en exécutants soumis.

Militarisation du travail et fascisme rouge

Le renforcement de la discipline et la présence de l'armée à l'intérieur même des usines va provoquer de nombreux meetings de protestation. Les organisateurs de ces meetings seront dénoncés comme des "contre-révolutionnaires", des saboteurs, des espions etc. Pour Lénine et les bolcheviks les paysans sont incapables d'une prise de conscience révolutionnaire, et doivent donc être asservis à "l'État prolétarien". C'est ainsi que l'Armée rouge va organiser un pillage systématique des campagnes, créant artificiellement le conflit "ville-campagne". Au lieu de faire alliance avec la paysannerie, qui combat le retour des Blancs (tsaristes), et de respecter le slogan "La terre aux paysans, l'usine à l'ouvrier", le parti bolchevik déclenche l'hostilité générale de la paysannerie à son égard. Une fois le danger contre-révolutionnaire écarté, des révoltes armées embrasent le pays tout entier (dont le mouvement anarchiste makhnoviste). En février 1921, soit un mois avant l'insurrection de Kronstadt, un rapport de la Tchéka (police politique bolchevik) dénombre 118 insurrections paysannes.

Les grèves insurrectionnelles ouvrières de 1921

Rappeler tous ces éléments était nécessaire pour comprendre le vent de révolte qui va souffler en 1921 et la rage de tous ceux et celles qui aspiraient à une "troisième révolution" : la véritable révolution sociale et socialiste ! En effet, si la Révolution est victorieuse, les travailleurs se rendent compte que ses conquêtes leur échappent ! La famine s'installe : on estime à 5 200 000 personnes, mortes victimes de la famine et du froid en 1921. Alors que déjà les apparatchiks du pouvoir s'octroient de multiples privilèges, la décision gouvernementale du 22 janvier 1921, de réduire d'un tiers les rations de pain pour les citadins jette une étincelle sur un baril de poudre. Des grèves et des manifestations suivent les meetings, vite réprimées par les Koursantis (officiers de l'Armée rouge) et les unités spéciales de la Tchéka. Le mouvement prend une ampleur exceptionnelle à Petrograd. Les bolcheviks répondent par des arrestations et des fusillades. La plupart des mencheviks, Socialistes Révolutionnaires (S-R) et anarchistes encore en liberté sont arrêtés et rejoignent les centaines d'ouvriers déjà appréhendés.

Les échos de ces événements sont parvenus à Kronstadt. Lors des premières grèves de Petrograd, les kronstadtiens apprennent également que le pouvoir menace les ouvriers de l'intervention de "Kronstadt-la-Rouge", qui les forcerait à reprendre le travail s'ils continuaient à faire grève. Ainsi, les bolcheviks transformaient Kronstadt en épouvantail dans toute la Russie pour appuyer leur politique… Les marins envoient donc une délégation, afin de s'informer sur le caractère du mouvement. Le 1er mars, un meeting a lieu à Kronstadt, rassemblant 16 000 personnes (environ le tiers de la population totale de l'île). Les représentants du gouvernement s'y font copieusement critiqués et la résolution du 28 février est adoptée (qui sera le "testament politique" de la Commune). Alors, par la bouche de Trotsky et de Zinoviev, le Comité Central du Parti entame sa vieille rengaine et stigmatise aussitôt le mouvement comme une rébellion contre-révolutionnaire fomentée de l'étranger etc. Lénine écrit : Il est absolument évident que c'est l'œuvre des socialistes-révolutionnaires et des gardes blancs de l'étranger […], un mouvement petit-bourgeois anarchiste.

La Commune, du 2 au 18 mars 1921

Le 2 mars, 300 délégués de toutes les unités militaires des équipages et des fabriques, se réunissent dans le but d'élaborer les bases des nouvelles élections du Soviet. C'est le commencement de la Commune. Le 3 mars, parait le premier numéro des Izvestia (Les Nouvelles) de Kronstadt, journal quotidien de la Commune jusqu'au 16 mars. Toutes les prises de position des insurgés y paraîtront.

Pendant dix jours et dix nuits harassantes, les marins et les soldats de la ville tinrent bon contre un feu d'artillerie continu, venant de trois côtés, et contre les bombes, lancées par l'aviation. Pendant la Commune, tout le Petrograd socialiste (au sens réel du terme) et anarchiste est décimé, soumis sous la botte bolchevik. Les équipes de la Tchéka arrêtent tous les militants, les attroupements "de plus d'une personne" sont interdits !

Pour mettre Kronstadt à genoux, le gouvernement devra faire appel à des unités spéciales, laminées par la propagande officielle et d'une fidélité aveugle au Parti. Mais malgré cela, l'État-major de l'Armée rouge va subir de nombreux déboires. Dès les premières offensives, des démissions massives se produisent. Des régiments entiers refusent de monter à l'assaut ! Ces mouvements de refus vont s'intensifier les jours suivants : beaucoup de mobilisés veulent savoir ce que réclament les Kronstadiens et pourquoi on les envoie contre eux. La répression s'abat sur les régiments " indisciplinés " : dans de nombreuses unités, un soldat sur cinq est fusillé. Lors des attaques, afin de prévenir la reddition des troupes, des rangs " d'éléments sûrs " (Tchékistes, permanents du Parti) sont placés derrière les assaillants et leurs tirent dessus à la moindre hésitation. Le 16 mars, l'ordre est donné de s'emparer de la forteresse coûte que coûte. Quand les forces gouvernementales parviennent à rentrer dans Kronstadt, la bataille se transforme en combat de rue. Exténués par huit jours de résistance ininterrompue, affamés, à court de munitions, les kronstadiens décident d'évacuer la forteresse. 8 000 d'entre eux parviendront à se réfugier en Finlande. Ils seront arrêtés plus tard, à leur retour, et fusillés en nombre ou entassés dans des camps. Si le nombre de kronstadiens tombés au cours des combats est relativement peu élevé (comparativement aux pertes des attaquants), il va considérablement augmenter par le nombre de prisonniers et blessés exécutés sommairement par leurs ennemis. Les kronstadiens vont en effet être sauvagement pourchassés dans les rues de la ville, les blessés achevés sur place. Dybenko, le nouveau commandant de Kronstadt nommé par le pouvoir, revendique 900 exécutions pour la première journée où l'ordre fut rétabli dans l'île. Les kronstadiens étaient devenus des témoins gênants des contradictions de la dictature du prolétariat. Par conséquent leur seule existence continuait à représenter un danger pour le Parti, car ils pouvaient contaminer le reste de la population, en les informant de la nature et du caractère réels de leur mouvement.

La signification politique de Kronstadt

L'objectif des insurgés de Kronstadt était clairement une "troisième révolution". Cette troisième révolution fait suite à la première, contre le tsarisme, contre la noblesse féodale et l'autocratie et à la deuxième, contre la bourgeoisie, le parlementarisme et le capitalisme privé. La Troisième révolution se fera, elle, contre le césarisme bureaucratique de parti et le capitalisme d'État, pour établir le pouvoir des Conseils, sans parti guide. Si les Kronstadiens ne cèdent pas aux sommations et ultimatums lancés par Trostsky et ses sbires c'est donc parce qu'ils espèrent, jusqu'au dernier moment, que leur mouvement va servir de déclencheur à cette nouvelle révolution sociale. Le caractère libertaire et révolutionnaire de ce mouvement est donc indéniable. Mais pour saisir la signification précise de Kronstadt, il faut aller plus loin. L'insurrection marque un tournant décisif de la Révolution russe parce qu'elle consacre l'instauration définitive du bolchevisme. Lénine a su exploiter l'événement pour mater et écarter l'Opposition Ouvrière au sein de son propre parti ; le tout afin de passer à la N.E.P, la Nouvelle Politique, ce qui n'eût pas été possible sans la répression du dernier souffle révolutionnaire du prolétariat à Kronstadt.

Du fait de sa trop brève durée et de son isolement, Kronstadt n'atteint pas la même profondeur sociale et révolutionnaire que le mouvement makhnoviste ou la révolution espagnole de 1936-1937 par exemple, mais sa démarche spontanée de classe et la netteté de ses mots d'ordre en font un prototype accompli de toute lutte anti-autoritaire.

Groupe Kronstadt (Lyon)

A lire :
La révolution Inconnue (Voline) ; La Commune de Kronstadt (Editions Spartacus) ; Les Anarchistes dans la révolution russe (éditions La Tête de Feuilles) ; Histoire du mouvement makhnoviste (Pierre Archinov) ; le mythe Bolchévic (Alexandre Berkman) ; Nestor Makhno (Alexandre Skirda) ; les soviets trahis par les bolchéviques (Rudolph Rocker)


http://fa-kronstadt.blogspot.fr/p/kronstadt.html

Re: Les Soviets en Russie 1905-1921, révolution russe

MessagePosté: 04 Mai 2017, 16:47
de bipbip
" Lénine et le Léninisme, guides du prolétariat mondial ? " Nestor Makhno (1925).

Lénine et le Léninisme, guides du prolétariat mondial ?

Dans tous les pays, et particulièrement dans les états qui forment l'Union des républiques soviétistes, s'élève une clameur farouche, insensée : « Lénine est le guide des travailleurs de tous les pays, il a édifié une théorie à leur usage, il leur a montré la véritable chemin de la libération vengeresse, etc. »

Or, dans le pays même où les bourreaux blancs et rouges, dans l'intérêt de leurs partis, ont décapité l'incomparablement grande révolution russe - la libératrice des travailleurs - et détournent actuellement les masses laborieuses de leur véritable but ; là même, on a perdu la foi en soi-même, en la force créatrice de l'action spontanée pour l'organisation de la société nouvelle. Et cet événement s'est produit dans un pays où a éclaté cette grande révolution et où elle a fini si prématurément (bien avant d'avoir atteint son complet développement) en dépit de l'enthousiasme dont, Lénine et consorts exclus, les masses travailleuses étaient animées !

A ces plaisanteries (pour les partis bolchevistes des autres pays elles se révèlent comme des affirmations de grande importance) qui ne sont pas des plaisanteries, hélas ! mais plutôt la marque d'une criminelle irresponsabilité, font écho les hurlements des partisans de Lénine dans les pays extérieurs. Comme conséquence, ces allégations sont acceptées pour vraies même par les non partisans de Lénine, les hommes-esclaves dont l'intelligence, la force, la volonté sont dans les fers du capital abject et maniaque. Beaucoup donc, se dupant et dupant les autres, s'égosillent à crier : « Lénine est le guide du Prolétariat de tous les pays, il nous a donné la théorie de la libération, il nous a montré la voie de la véritable délivrance ».

Il est inconcevable que le bourgeois Lénine soit le guide du prolétariat mondial. Cette prétention nous paraît injustifiable, sans fondement, à nous, paysans révolutionnaires, qui avons franchi toutes les étapes de la révolution russe et avons fait l'expérience du « léninisme ». Placer Lénine sur un piédestal en cette qualité est une dérision qui prouve uniquement, la faiblesse d'esprit de ceux qui s'efforcent d'attribuer à cet homme la direction du prolétariat, alors qu'en réalité, il ne se trouvait même pas dans le pays durant la grande révolution russe. L'assassinat de celle-ci n'eut lieu que grâce à l'enfantine naïveté du peuple, et plus encore à cause des baïonnettes des mercenaires qui, dans leur aveuglement, se vendaient au parti léniniste.

A notre avis, la mise sur un piédestal de Lénine en qualité de « guide de tous les laborieux du monde » n'est rien de plus et rien de moins qu'une méchante et criminelle farce commise à l'égard de l'humanité trompée et opprimée, assez aveuglée encore pour attacher à cette plaisanterie une valeur définie et spécifique.

Le parti social-démocrate bolcheviste, qui se nomme encore erronément communiste, et dont le soutien spirituel fut le bourgeois Lénine (Oulianof Lénine) lequel jusqu'à sa mort satura toute la grande révolution russe de son ignorance scientifique et du vide marxo-léniniste ; ce parti agit de la même façon que la Bourgeoisie à l'égard des travailleurs, c'est-à-dire qu'il voit en eux tout uniment et simplement de fidèles esclaves.

De Marx à Lénine, et après leur disparition, ce parti a toujours voulu être l'éducateur de toute l'humanité laborieuse, aux dépens de ceux qui travaillent. Il ne se rend même pas compte qu'il est un éducateur intrus, jésuitique, qui s'efforce de conduire la masse opprimée sous le prétendu drapeau de la délivrance, alors, qu'irresponsablement il l'égare par une victoire apparente sur l'esclavage économique, politique, psychique. En réalité, il ne poursuit qu'une réforme de l'esclavage de l'humanité. Il a assez clairement démontré par ses actes, durant la grande révolution russe, qu'il savait être un excellent bourreau ; un bourreau non seulement de ceux qui, en période de lutte et parmi les hommes, représentent un élément malsain et corrompu, mais aussi de ceux dont l'impulsion est saine, pure, belle, qui se frayent noblement un libre sentier, qui travaillent au développement de toutes les forces créatrices pour le bien de l'ensemble social.

Il s'est montré un mauvais éducateur, principalement un éducateur nuisible.

Les phénomènes que l'on a particulièrement remarqués dans la tactique du parti léniniste russe, peuvent être également observés dans les autres pays. Ce simple fait à titre d'exemple : nous voyons les communistes marcher en troupes par les rues, canne à la main et matraque en caoutchouc dissimulée. De cette constatation insignifiante, nous pouvons en conclure que le mouvement bolcheviste, pendant la révolution russe, avait un caractère plus démolisseur que révolutionnaire. (Dans les autres pays, il revêt le même caractère.)

Le bolchevisme léniniste comporte en soi des idées malsaines pour lesquelles les laborieux du monde ne sauraient prendre, en aucun cas, aucune responsabilité. On reconnaît cela aussi parfois dans les rangs du parti léniniste, mais toujours confusément. Il existe encore des millions de travailleurs qui, sous l'instigation du parti, s'imaginent être appelés à diriger le destin de l'humanité, au lieu de songer à une union libre et fraternelle avec les paysans miséreux, à un libre règlement de leurs intérêts mutuels durant la révolution. Et cette pensée criminelle de parti qui empoisonne les travailleurs - lesquels, leur vie durant, n'ont jamais senti et pensé que comme des esclaves salariés, dépendants - cette pensée criminelle que, maintenant, les esclaves ont à décider du sort des autres, tranquillise leur cœur. « Ah ! le temps arrangera tout ». C'est sur ces paroles d'espoir et d'attente que reposent les attentats les plus évidents du parti commis sur la classe travailleuse aux dépens de son sang et de sa vie. On a celé aux travailleurs, on leur a masqué le crime commis à l'égard de la révolution et des foules révolutionnaires qui s'efforçaient de toute leur ardeur à mener la révolution à bonne fin en détruisant, une fois pour toutes, l'esclavage et en se libérant des chaînes de l'exploitation.

Il est compréhensible que le parti social-démocrate des communistes bolchevistes, qui poursuivent leur but dans la vie privée et publique, attache une grande importance à ce que Lénine soit élevé à la hauteur de chef mondial de tous les laborieux ; de manière que son nom constitue un lien entre le prolétariat de tous les pays et leur propre parti. Le dévouement de Lénine aux intérêts de son parti, son ardeur personnelle sont vraiment considérables. Un parti qui porte son nom considère comme son devoir de lui rendre honneur. Et il lui rend hommage parce qu'il en a besoin comme enseigne...

Mais qu'est-ce que le bolchevisme léniniste a de commun avec les espérances ardentes de l'humanité exploitée et à bout de forces ? Le bolchevisme qui aboutit dans la pratique au droit de domination de l'homme sur l'homme et qui sera reconnu, par quiconque réfléchit, comme détestable et criminel ?

Le bourgeois Lénine avec son Panbolchevisme, lui et tout son parti, en voulant asservir à sa volonté, par la force, la masse des travailleurs, est aussi éloigné des buts élevés d'une libération véritable que les institutions de l'Eglise et de l'Etat telles que nous les voyons.

Actuellement, cette confusion d'idées semble mystérieuse, mais on n'a qu'a relire, les yeux ouverts, les derniers écrits de Lénine qui sont, selon l'opinion même des « bolcheviki », son testament. Dans un rapport présenté devant le Comité de Moscou du Parti communiste russe, en date du 10 janvier de cette année ( Isvestia du 14 janvier 1925 ), Kameneff communique de strictes instructions sur ce qu'on devait dire de Lénine quand on le demanderait, et rappela ce testament de l'absent.

L'assomption de Lénine dans les hauteurs célestes d'ou il descend vers nous comme guide mondial du prolétariat, exige que nous disions deux mots sur ce sujet. Donc, dans le testament cité par Kameneff, Lénine dit : « Nous devons édifier un Etat où les ouvriers conserveront le dessus sur la classe des paysans tout entière. » (1) Que voulait dire par là le « guide mondial du prolétariat » ? Que les travailleurs qui adhèrent au parti léniniste ne devraient jamais songer à construire une société nouvelle en collaboration avec la classe paysanne ? ou qu'il voulait assujettir celle-ci à la domination de son inconcevable Dictature ouvrièro-bolcheviste ? Et à l'édification d'un pareil état dans lequel l'ouvrier a le droit de mettre en tutelle toute la classe paysanne, était liée très habilement, pour Lénine, l'idée de l'électrification des campagnes. Si la classe ouvrière veut donner suite à cette idée, les plus grands progrès sont possible et la grosse industrie se crée. « Par là », continue le prétendu guide mondial de tous les laborieux « sera assurée la transformation rapide des chevaux affamés des paysans en coursiers puissants, - nous développerons certainement une grande industrie mécanique, électrifiée » et il ajoute : « nous sommes sûrs alors de demeurer au pouvoir. »

Ce n'est pas ici le lieu de discuter la question de la transformation des petits chevaux en grandes charrues mécaniques. Nous croyons fermement à la force créatrice des travailleurs et nous sommes convaincus que s'ils exproprient réellement la classe bourgeoise de tous les moyens de production, du sol et de la propriété foncière, ils sauront bien réorganiser leur vie et toutes leurs relations économiques et individuelles. Une tutelle dictatoriale des paysans par des « ouvriers « comme Lénine, Kameneff, Zinovieff, Trotsky, Derchinsky, Kaline et tant d'autres, s'est montrée, dans l'application, impuissante. Ils n'ont réussi à produire que partis, compromis, déviations recul du bolchevisme au fascisme. ( Le terrorisme politique des bolchevistes à l'égard des idées révolutionnaires et de leurs défenseurs ne diffère en rien du terrorisme fasciste. )

Lorsque Lénine convie les masses à édifier un Etat où les ouvriers ont la suprématie sur la classe paysanne, il attente à l'idée d'une libre communauté du travail entre ouvriers et paysans ; il accule la révolution russe à une situation telle que les travailleurs accablés vont rendre le dernier soupir. Ils auraient été littéralement étouffés et n'auraient pas eu la liberté conditionnelle dont ils « jouissent » aujourd'hui dans l'union des républiques soviétiques si les paysans avaient opposé leur propre autorité de la classe ouvrière. Par bonheur, les paysans de la Russie et de l'Ukraine n'ont pas la moindre foi en Karl Marx ; ils savent fort bien que toute violence, quelque nom qu'elle porte, est criminelle et vulgaire. Le paysan russe ne s'est jamais senti attiré par la violence, il l'a toujours maudite. Il a sacrifié sa liberté, sinon sa vie, pour protéger « le gouvernement des ouvriers » contre les attaques de la bourgeoisie, car il croyait que l'ouvrier en son for intime est étranger à tout despotisme et qu'il l'aiderait à chasser la servitude de ses rangs. Au lieu de cela, ouvriers et paysans ont subi les uns et les autres une domination nouvelle.

La question qui se pose maintenant à nous est celle-ci : Parler de l'édification d'un Etat où une couche populaire en domine une autre - est-ce là l'attitude d'un Guide mondial du Prolétariat ? Ou plutôt le langage d'un chef d'un groupe d'hommes qui si sont donné comme but, sous le prétendu drapeau de la libération réelle du Capitalisme, de poursuivre une réforme du système capitaliste, grâce aux efforts des laborieux et à leurs dépens.

Nous affirmons qu'un homme du nom de Lénine a parlé en ce dernier sens - qu'il a parlé comme représentant du parti bolcheviste, lequel, s'il veut bien être apparenté aux laborieux du monde, ne conçoit ses relations de famille avec les masses qu'a la condition de les considérer comme un moyen d'atteindre, sans difficultés, le but auquel il tend, comme parti.

Les laborieux du monde n'ont heureusement pas dit leur dernier mot : - s'ils acceptaient, se libérant d'une autorité, de se placer sous le joug d'une contrainte nouvelle, despotique, plus raffinée, aussi cruelle (sinon plus) que celle qu'ils voulaient secouer ? Les laborieux du monde savent suffisamment que leur tâche sacrée, c'est de réduire à néant cette nouvelle violence comme toutes les autres.

Vivre fraternellement, libéré de toute dépendance et de toute sujétion servile - voilà tout l'Idéal de l'Anarchisme, que comporte la saine nature de l'homme. Le bourgeois Lénine et son parti bolcheviste ont toujours combattu cet idéal élevé. Par les baïonnettes, l'égorgement, par les persécutions auxquelles ont été exposés les porteurs de cet idéal, les léninistes se sont efforcés de le salir, de le dénaturer aux yeux des masses. A sa place, ils ont essayé de faire triompher, grâce à la force des armes - d'abord parmi les travailleurs et, par eux, dans l'humanité tout entière - un idéal de meurtre continu, de violence brutale, d'aventures politiques.

Est-ce qu'après cela, dénommer Lénine « le Guide mondial du Prolétariat » n'est pas une dérision ?

Oui, c'est une plaisanterie sinistre, criminelle décochée à l'égard de l'humanité épuisée, dupée, asservie.

Nestor Makhno
Suède, fin mai 1925


(1) Wir müssen einen Staat aufbauen, in welchem die Arbeiter die Oberhand über die ganze Bauernschaft behalten.


http://www.socialisme-libertaire.fr/201 ... ndial.html

Re: Les Soviets en Russie 1905-1921, révolution russe

MessagePosté: 09 Mai 2017, 00:25
de Pïérô
L'IDEE D'EGALITE ET LES BOLCHEVIKS

Le XIVème congrès du Parti Communiste Russe à fermement condamné l'idée d'égalité. Avant le congrès, Zinoviev s'était référé à cette idée dans sa polémique contre Oustrialov et Boukharine. Il avait alors déclaré que toute la philosophie de notre époque était nourrie par l'aspiration à l'égalité. Kalinine est intervenu avec force contre cette thèse, en estimant que toute référence à l'égalité ne pouvait être que nocive et intolérable. Il a raisonné de la manière suivante:
"Peut-on parler d'égalité aux paysans? Non, ce n'est pas possible car, dans ce cas, il se mettraient à exiger les même droits que les ouvriers, ce qui serait en complète contradiction avec la dictature du prolétariat.
Peut-on parler d'égalité aux ouvriers? Non, c'est pas non plus possible, car, par exemple, si un emploi identique est occupé par un communiste et un sans parti, la différence tient en ce que le premier touche un salaire double du second. Reconnaître l'égalité permettrait au sans parti de toucher le même salaire que celui d'un communiste. Est-ce convenable, camarades? Non, cela ne l'est pas.
Peut-on encore appeler les communistes à l'égalité? Non, ce n'est pas non plus possible, car eux aussi occupent des places différentes, tant par leurs droits que par leur situation matérielle."
A partir de toutes ces considérations Kalinine a conclu que l'utilisation du terme "égalité" par Zinoviev ne pouvait qu'être démagogique et nocive. Dans sa réponse, Zinoviev a déclaré à son tour que, s'il avait parlé d'égalité, c'était dans un tout autre sens. Quant à lui, il n'avait dans la tête que "l'égalité socialiste", c'est à dire celle qui devra exister un jour, dans un avenir plus ou moins proche. Pour l'instant, tant que la révolution mondiale n'est pas accomplie et comme on ne sait quand elle se réalisera, il ne saura être question de quelque égalité que ce soit. En particulier, aucune égalité des droits ne pourra exister, car elle risquerait alors de nous entraîner vers des déviations "démocratiques" très dangereuses.

Cette entente sur l'idée d'égalité n'a pas été traduite par une résolution du congrès. Mais, sur le fond, les deux parties qui se sont affrontées au congrès ont estimé également intolérable l'idée d'égalité.

En d'autres temps, il n'y a pas si longtemps, les bolcheviks on tenu un tout autre langage. C'est sous l'étendard de l'égalité qu'ils ont agi pendant la grande Révolution russe, pour le renversement de la bourgeoisie, en commun avec les ouvriers et les paysans, aux dépends desquels ils sont parvenus à la domination politique du pays. C'est sous cet étendard que, depuis huit de règne sur la vie et la liberté des travailleurs de l'ancienne Russie - dénommée désormais "Union des Républiques Soviétiques Socialistes" - les tsars bolcheviks ont voulu convaincre cette "Union", opprimés par eux, ainsi que les travailleurs d'autres pays qu'ils ne domines pas encore, que s'ils ont persécuté, laissé pourrir en prison et en déportation et assassiné leurs ennemis politiques, c'était uniquement au nom de la révolution, de ces fondements égalitaires, introduits prétendument par eux dans la révolution, et que leurs ennemis auraient voulu détruire.

Le sang des anarchistes coule bientôt depuis huit ans, parcequ'ils n'ont pas voulu s'incliner servilement devant la violence et l'impudence de ceux qui se sont emparé du pouvoir, ni devant leur idéologie notoirement mensongère et leur totale irresponsabilité.

Dans cet acte criminel, acte que l'on ne peut qualifier autrement que de débauche sanglante des dieux bolchéviks, meilleurs fils de la révolution ont péri, parcequ'ils étaient les plus fidèles porteurs des idéaux révolutionnaires et parcequ'ils n'ont pu être acheté pour les trahir. défendant honnêtement les préceptes de la révolution, ces fils de la révolution ont aspiré à éloigner la folie des dieux bolcheviks et à sortir de leur cul-de-sac, afin de frayer la voie à la véritable liberté et à une authentique liberté des travailleurs.

Les potentats bolchéviks se sont vites aperçu que les aspirations de ses fils de la révolution signifierait pour eux la fin de leur folie et surtout des privilèges qu'ils ont habilement hérité de la bourgeoisie renversée, puis traîtreusement renforcé en leur faveur. C'est pour cela qu'ils ont condamné à mort les révolutionnaires. Des hommes à l'âme d'esclave les ont soutenus et le sang à coulé. Il continue à couler depuis huit ans et on se demander au nom de quoi? Au nom de la liberté et de l'égalité des travailleurs, disent les bolcheviks, en continuant à exterminer des milliers de révolutionnaires anonymes, combattants de la révolution sociale, étiquetée "bandits" et "contre révolutionnaires". Par ce mensonge éhonté, les bolchéviks ont masqué aux yeux des travailleurs du monde entier le véritable état des choses en Russie, en particulier leur banqueroute complète dans l'édification socialiste, banqueroute qu'ils ne veulent reconnaître jusqu'à maintenant, alors qu'elle est plus que flagrante pur tous ceux qui ont des yeux pour voir.

Les anarchistes ont signalé à temps aux anarchistes de tous les pays les crimes bolcheviks dans la révolution russe. Le bolchevisme incarnant l'idéal d'un état centralisateur, est apparu comme l'ennemi mortel de l'esprit libre des travailleurs révolutionnaires. Usant de mesures inouïes, il a saboté le développement de la révolution et sali l'honneur de ce qu'il y avait de meilleur en elle. Se masquant avec succès, il a dissimulé au regard des travailleurs son vrais visage, en se donnant pour le champion de leurs intérêts. Ce n'est que maintenant, après huit ans de règne, en se rapprochant de plus en plus de la bourgeoisie internationale, qu'il commence à ôter son masque révolutionnaire et à dévoiler devant le monde du travail le visage d'un rapace exploiteur.

Les bolcheviks ont abandonné l'idée d'égalité, non seulement en pratique, mais aussi en théorie, car la seule expression leur paraît maintenant dangereuse. C'est assez compréhensible, toute leur domination repose sur une idée diamétralement opposée, sur une inégalité criante, dont toute l'horreur et les maux se sont abattus sur le dos des travailleurs. Souhaitons que les travailleurs de tous pays en retirent les conclusions nécessaires et, à leur tour, en finissent avec les bolcheviks, porteurs de l'idée de l'esclavage et oppresseur du Travail.

Nestor Makhno
Dielo trouda,n°9, février 1926, pp.9-10.

http://kropot.free.fr/Makhno-causetravail.htm#bolcho

Re: Les Soviets en Russie 1905-1921, révolution russe

MessagePosté: 16 Mai 2017, 21:47
de Pïérô
Emma Goldman
Le communisme n’existe pas en Russie

(Article publié en anglais dans The American Mercury,vol.XXXIV, avril 1935, inédit en français.)
Traduit par Yves Coleman
Pour la revue "Ni patrie ni frontières", N°1 - Septembre-Octobre 2002.

BOLCHEVISME = COMMUNISME ?1

Le mot communisme est maintenant sur toutes les lèvres. Certains en parlent avec l’enthousiasme exagéré des néophytes, d’autres le craignent et le condamnent comme une menace sociale. Mais je suis presque sûre que ni ses admirateurs — la grande majorité d’entre eux — ni ceux qui le dénoncent n’ont une idée très claire de ce qu’est vraiment le «communisme» à la sauce bolchevik.

Si l’on veut en donner une définition très générale, le communisme représente un idéal d’égalité et de fraternité humaine: il considère l’exploitation de l’homme par l’homme comme la source de tout esclavage et de toute oppression. L’inégalité économique conduit à l’injustice sociale et est l’ennemie du progrès moral et intellectuel.

Le communisme vise à créer une société où les classes seront abolies, où sera instaurée la propriété commune des moyens de production et de distribution. L’homme ne pourra jouir de la liberté, de la paix et du bien-être que dans une communauté sans classes et solidaire.

Mon objectif initial, en écrivant cet article, était de comparer l’idéal communiste avec la façon dont il est appliqué en URSS, mais je me suis rendu compte qu’il s’agissait d’une tâche impossible. En réalité, le communisme n’existe pas en Russie. Pas un seul principe communiste, pas un seul élément de ses enseignements n’est appliqué par le Parti communiste dans ce pays.

Aux yeux de certains, ma position semblera totalement absurde; d’autres penseront que j’exagère grossièrement. Cependant je suis sûre qu’un examen objectif de la situation russe actuelle convaincra le lecteur honnête que je dis la vérité.

Intéressons-nous d’abord à l’idée fondamentale qui sous-tend le prétendu «communisme» des bolcheviks. Leur idéologie ouvertement centraliste, autoritaire, est fondée presque exclusivement sur la coercition et la violence étatiques. Loin d’être fondé sur la libre association, il s’agit d’un communisme étatique obligatoire. On doit garder cela en mémoire si l’on veut comprendre la méthode utilisée par l’État soviétique pour appliquer ses projets et leur donner un petit air «communiste».


NATIONALISATION OU SOCIALISATION ?

La première condition pour que se réalise le communisme est la socialisation des terres, des outils de production et de la distribution. On socialise la terre et les machines, pour qu’elles soient utilisées par des individus ou des groupes, en fonction de leurs besoins. En Russie, la terre et les moyens de production ne sont pas socialisés mais nationalisés.Le terme de nationalisation est trompeur, car ce mot n’a aucun contenu. En réalité, la richesse nationale n’existe pas. La «nation» est une entité trop abstraite pour «posséder» quoi que ce soit. Soit la propriété est individuelle, soit elle est partagée par un groupe d’individus; elle repose toujours sur une réalité quantitativement définissable.

Lorsqu’un bien n’appartient ni à un individu, ni à un groupe, il est ou nationalisé ou socialisé. S’il est nationalisé, il appartient à l’État; en clair, le gouvernement en a le contrôle et peut en disposer selon son bon plaisir. Mais si un bien est socialisé, chaque individu y a librement accès et peut l’utiliser sans l’ingérence de qui que ce soit.

En Russie, ni la terre, ni la production, ni la distribution ne sont socialisées. Tout est nationalisé et appartient au gouvernement, exactement comme la Poste aux États-Unis ou les chemins de fer en Allemagne ou dans d’autres pays européens. Ce statut n’a absolument rien de communiste.

La structure économique de l’URSS n’est pas plus communiste que la terre ou les moyens de production. Toutes les sources d’existence sont la propriété du gouvernement central; celui-ci dispose du monopole absolu du commerce extérieur; les imprimeries lui appartiennent: chaque livre, chaque feuille de papier imprimé est une publication officielle. En clair, le pays et tout ce qu’il contient sont la propriété de l’État, comme cela se passait auparavant, au temps des tsars. Les quelques biens qui ne sont pas nationalisés, comme certaines vieilles maisons délabrées à Moscou, par exemple, ou de petits magasins miteux disposant d’un misérable stock de cosmétiques, sont uniquement tolérés : à tout moment le gouvernement peut exercer son droit indiscuté à s’en saisir par simple décret.

Une telle situation relève du capitalisme d’État, mais il serait extravagant d’y déceler quoi que ce soit de communiste.


PRODUCTION ET CONSOMMATION

Tournons-nous maintenant vers la production et la consommation, leviers de toute existence. Peut-être y dénicherons-nous une dose de communisme qui justifierait que nous utilisions le terme «communiste» pour décrire la vie en URSS, du moins à une certaine échelle.

J’ai déjà fait remarquer que la terre et les outils de production sont propriété de l’État. Les méthodes de production et les quantités qui doivent être produites par chaque industrie dans chaque atelier, chaque fabrique, chaque usine, sont déterminées par l’État, par le gouvernement central — qui siège à Moscou — à travers ses différents organes.

L’URSS est un pays très étendu qui couvre environ un sixième de la surface de la Terre. Abritant une population composite de 165 millions d’habitants, elle comporte plusieurs grandes Républiques, différentes ethnies et nationalités, et chaque région a ses besoins et intérêts particuliers. Certes, la planification industrielle et économique a une importance vitale pour le bien-être d’une communauté.

Le véritable communisme — l’égalité économique entre les hommes et entre les communautés — exige que chaque communauté organise la planification la meilleure et la plus efficace, en se fondant sur ses nécessités et possibilités locales. Une telle planification repose sur la liberté complète de chaque communauté de produire et de disposer de ses produits selon ses besoins, besoins qu’elle doit fixer elle-même : chaque communauté doit échanger son surplus avec d’autres communautés indépendantes sans que nulle autorité externe n’intervienne.

Telle est la nature fondamentale du communisme sur le plan politique et économique. Cela ne peut pas fonctionner ni être possible sur d’autres bases. Le communisme est nécessairement libertaire. Anarchiste.

On ne décèle pas la moindre trace d’un tel communisme — du moindre communisme — en Russie soviétique. En fait, la seule allusion à une telle organisation est considérée comme un crime là-bas, et toute tentative de la mettre en pratique serait punie de mort.

La planification industrielle, ainsi que tous les processus de production et de distribution, se trouve entre les mains du gouvernement central. Le Conseil économique suprême est uniquement soumis à l’autorité du Parti communiste.

Il est totalement indépendant de la volonté ou des souhaits des gens qui forment l’Union des républiques socialistes soviétiques. Son travail est conditionné par les politiques et les décisions du Kremlin. C’est pourquoi la Russie soviétique a exporté d’énormes quantités de blé et d’autres céréales tandis que de vastes régions dans le sud et le sud-est de la Russie étaient frappées par la famine, au point que plus de deux millions de personnes sont mortes de faim en 1932 et 1933.

La «raison d’État » est entièrement responsable de cette situation. Cette expression a toujours servi à masquer la tyrannie, l’exploitation et la détermination des dirigeants à prolonger et perpétuer leur domination.

En passant, je signalerai que, malgré la famine qui a affecté tout le pays et le manque des ressources les plus élémentaires pour vivre en Russie, le premier plan quinquennal visait uniquement à développer l’industrie lourde, industrie qui sert ou peut servir à des objectifs militaires.

Il en est de même pour la distribution et toutes les autres formes d’activité. Non seulement les bourgs et les villes, mais toutes les parties constitutives de l’Union soviétique sont privées d’existence indépendante. Puisqu’elles ne sont que de simples vassales de Moscou, leurs activités économiques, sociales et culturelles sont conçues, planifiées et sévèrement contrôlées par la «dictature du prolétariat» à Moscou. Pire: la vie de chaque localité, et même de chaque individu, dans les prétendues républiques «socialistes» est gérée dans le moindre détail par la «ligne générale» fixée par le «centre». En d’autres termes, par le Comité central et le Bureau politique du Parti, tous deux contrôlés d’une main de fer par un seul homme. Comment certains peuvent appeler communisme cette dictature, cette autocratie plus puissante et plus absolue que celle de n’importe quel tsar, cela dépasse mon imagination.


LA VIE QUOTIDIENNE EN URSS

Examinons maintenant comment le «communisme» bolchevik influence la vie des masses et de l’individu.

Certains naïfs croient qu’au moins quelques caractéristiques du communisme ont été introduites dans la vie du peuple russe. Je souhaiterais que cela fût vrai, car ce serait un gage d’espoir, la promesse d’un développement potentiel dans cette direction. Malheureusement, dans aucun des aspects de la vie soviétique, ni dans les relations sociales ni dans les relations individuelles, on n’a jamais tenté d’appliquer les principes communistes sous une forme ou sous une autre. Comme je l’ai souligné auparavant, le fait même de suggérer que le communisme puisse être libre et volontaire est tabou en Russie. Une telle conception est considérée comme contre-révolutionnaire et relève de la haute trahison contre l’infaillible Staline et le sacro-saint Parti «communiste».

Mettons de côté, un instant, le communisme libertaire, anarchiste. On ne trouve même pas la moindre trace, dans la Russie soviétique, d’une manifestation quelconque de communisme d’État, fût-ce sous une forme autoritaire, comme le révèle l’observation des faits de la vie quotidienne dans ce pays.

L’essence du communisme, même de type coercitif, est l’absence de classes sociales. L’introduction de l’égalité économique constitue la première étape. Telle a été la base de toutes les philosophies communistes, même si elles diffèrent entre elles sur d’autres aspects. Leur objectif commun était d’assurer la justice sociale; toutes affirmaient qu’on ne pouvait parvenir à la justice sociale sans établir l’égalité économique. Même Platon, qui prévoyait l’existence de différentes catégories intellectuelles et morales dans sa République, s’était prononcé en faveur de l’égalité économique absolue, car les classes dirigeantes ne devaient pas y jouir de droits ou de privilèges plus importants que ceux situés en bas de l’échelle sociale.

La Russie soviétique représente le cas exactement opposé. Le bolchevisme n’a pas aboli les classes en Russie: il a seulement inversé leurs relations antérieures. En fait, il a même aggravé les divisions sociales qui existaient avant la Révolution.


RATIONS ET PRIVILÈGES

Lorsque je suis retournée en Russie en janvier 1920, j’ai découvert d’innombrables catégories économiques, fondées sur les rations alimentaires distribuées par le gouvernement. Le marin recevait la meilleure ration, supérieure en qualité, en quantité et en variété à la nourriture que mangeait le reste de la population. C’était l’aristocrate de la Révolution ; sur le plan économique et social, tous considéraient qu’il appartenait aux nouvelles classes privilégiées. Derrière lui venait le soldat, l’homme de l’Armée Rouge, qui recevait une ration bien moindre, et moins de pain. Après le soldat on trouvait l’ouvrier travaillant dans les industries d’armement; puis les autres ouvriers, eux-mêmes divisés en ouvriers qualifiés, artisans, manœuvres, etc.

Chaque catégorie recevait un peu moins de pain, de matières grasses, de sucre, de tabac et des autres produits (lorsqu’il y en avait). Les membres de l’ancienne bourgeoisie, classe officiellement abolie et expropriée, appartenaient à la dernière catégorie économique et ne recevaient pratiquement rien. La plupart d’entre eux ne pouvaient avoir ni travail ni logement, et personne ne se souciait de la façon dont ils allaient survivre, sans se mettre à voler ou à rejoindre les armées contre-révolutionnaires ou les bandes de pillards.

Le possesseur d’une carte rouge, membre du Parti communiste, occupait une place située au-dessus de tous ceux que je viens de mentionner. Il bénéficiait d’une ration spéciale, pouvait manger dans la stolovaya(cantine) du Parti et avait le droit, surtout s’il était recommandé par un responsable plus élevé, à des sous-vêtements chauds, des bottes en cuir, un manteau de fourrure ou d’autres articles de valeur. Les bolcheviks les plus éminents disposaient de leurs propres restaurants, auxquelles les militants de base n’avaient pas accès. A Smolny, qui abritait alors le quartier général du gouvernement de Petrograd, il existait deux restaurants, une pour les communistes les mieux placés, une autre pour les bolcheviks moins importants. Zinoviev, alors président du soviet de Petrograd et véritable autocrate du District du Nord, ainsi que d’autres membres du gouvernement prenaient leurs repas chez eux, à l’Astoria, autrefois le meilleur hôtel de la ville, devenu la première Maison du Soviet, où ils vivaient avec leurs familles.

Plus tard je constatai une situation identique à Moscou, Kharkov, Kiev, Odessa — dans toute la Russie soviétique.

Voilà ce qu’était le «communisme» bolchevik. Ce système eut des conséquences désastreuses: il suscita l’insatisfaction, le ressentiment et l’hostilité dans tout le pays; il provoqua des sabotages dans les usines et les campagnes, des grèves et des révoltes incessantes. «L’homme ne vit pas que de pain», paraît-il. C’est vrai, mais il meurt s’il n’a rien à manger. Pour l’homme de la rue, pour les masses russes qui avaient versé leur sang en espérant libérer leur pays, le système différencié de rations symbolisait le nouveau régime. Le bolchevisme représentait pour eux un énorme mensonge, car il n’avait pas tenu sa promesse d’instaurer la liberté ; en effet, pour eux la liberté signifiait la justice sociale et l’égalité économique. L’instinct des masses les trompe rarement ; dans ce cas il s’avéra prophétique. Pourquoi s’étonner par conséquent que l’enthousiasme général pour la révolution se soit rapidement transformé en déception et amertume, hostilité et haine? Combien de fois des ouvriers russes se sont plaints à moi: «Cela nous est égal de travailler dur et d’avoir faim. C’est l’injustice qui nous révolte. Si un pays est pauvre, s’il y a peu de pain, alors partageons entre tous le peu qu’il y a, mais partageons-le de façon équitable. Actuellement, la situation est la même qu’avant la révolution ; certains reçoivent beaucoup, d’autres moins, et d’autres rien du tout.»

L’inégalité et les privilèges créés par les bolcheviks ont rapidement eu des conséquences inévitables: ce système a approfondi les antagonismes sociaux ; il a éloigné les masses de la Révolution, paralysé leur intérêt pour elle, étouffé leurs énergies et contribué à anéantir tous les projets révolutionnaires.

Ce système inégalitaire fondé sur des privilèges s’est renforcé, perfectionné et sévit encore aujourd’hui.

La révolution russe était, au sens le plus profond, un bouleversement social : sa tendance fondamentale était libertaire, son but essentiel l’égalité économique et sociale. Bien avant la révolution d’octobre-novembre 1917, le prolétariat urbain avait commencé à s’emparer des ateliers, des fabriques et des usines, pendant que les paysans expropriaient les grandes propriétés et cultivaient les terres en commun. Le développement continu de la révolution dans une direction communiste dépendait de l’unité des forces révolutionnaires et de l’initiative directe, créatrice, des masses laborieuses. Le peuple était enthousiasmé par les grands objectifs qu’il avait devant lui ; il s’appliquait passionnément, énergiquement, à reconstruire une nouvelle société. En effet, seuls ceux qui avaient été exploités pendant des siècles étaient capables de trouver librement le chemin vers une société nouvelle, régénérée.

Mais les dogmes bolcheviks et l’étatisme «communiste» ont constitué un obstacle fatal aux activités créatrices du peuple. La caractéristique fondamentale de la psychologie bolchevik était sa méfiance envers les masses. Les théories marxistes, qui voulaient exclusivement concentrer le pouvoir entre les mains du Parti, aboutirent rapidement à la disparition de toute collaboration entre les révolutionnaires, à l’élimination brutale et arbitraire des autres partis et mouvements politiques. La politique bolchevique aboutit à éliminer le moindre signe de mécontentement, à étouffer les critiques et les opinions indépendantes, ainsi qu’à écraser les efforts ou initiatives populaires. La centralisation de tous les moyens de production entre les mains de la dictature communiste handicapa les activités économiques et industrielles du pays. Les masses ne purent façonner la politique de la Révolution, ni prendre part à l’administration de leurs propres affaires. Les syndicats étaient étatisés et se contentaient de transmettre les ordres du gouvernement. Les coopératives populaires — instrument essentiel de la solidarité active et de l’entraide entre villes et campagnes — ont été liquidées, les soviets de paysans et d’ouvriers vidés de leur contenu et transformés en comités de béni-oui-oui. Le gouvernement s’est mis à contrôler tous les domaines de la vie sociale. On a créé une machine bureaucratique inefficace, corrompue et brutale. En s’éloignant du peuple, la révolution s’est condamnée à mort ; et au-dessus de tous planait le redoutable glaive de la terreur bolchevik.

Tel était le communisme des «bolcheviks» au cours des premières étapes de la révolution. Chacun sait qu’il provoqua la paralysie complète de l’industrie, de l’agriculture et des transports. C’était la période du «communisme de guerre», de la conscription paysanne et ouvrière, de la destruction totale des villages paysans par l’artillerie bolchevik — toutes ces mesures sociales et économiques qui ont abouti à la terrible famine de 1921.


QU’EST-CE QUI A CHANGE DEPUIS 1921?

Qu’en est-il aujourd’hui? Le «communisme» a-t-il changé de nature ? Est-il véritablement différent du «communisme» de 1921 ? A mon grand regret je suis obligée d’affirmer que, malgré toutes les décisions politiques et les mesures économiques bruyamment annoncées, le bolchevisme «communiste» est fondamentalement le même qu’en 1921.

Aujourd’hui la paysannerie, dans la Russie soviétique, est entièrement dépossédée de sa terre. Les sovkhozes sont des fermes gouvernementales sur lesquelles les paysans travaillent en échange d’un salaire, exactement comme l’ouvrier dans une usine. Les bolcheviks appellent cela «l’industrialisation» de l’agriculture, la «transformation du paysan en prolétaire». Dans le kolkhoze, la terre n’appartient que nominalement au village. En fait, elle est la propriété de l’Etat. Celui-ci peut à tout moment — et il le fait souvent — réquisitionner les membres du kolkhoze et leur ordonner de partir travailler dans d’autres régions ou les exiler dans de lointains villages parce qu’ils n’ont pas obéi à ses ordres. Les kolkhozes sont gérés collectivement mais le contrôle gouvernemental est tel que la terre a été en fait expropriée par l’État. Celui-ci fixe les impôts qu’il veut; il décide du prix des céréales ou des autres produits qu’il achète. Ni le paysan individuel ni le village soviétique n’ont leur mot à dire. Imposant de nombreux prélèvements et emprunts étatiques obligatoires, le gouvernement s’approprie les produits des kolkhozes. Il s’arroge également le droit, en invoquant des délits réels ou supposés, de les punir en réquisitionnant toutes leurs céréales.

On s’accorde à dire que la terrible famine de 1921 a été provoquée surtout par la razverstka,l’expropriation brutale en vogue à l’époque. C’est à cause de cette famine, et de la révolte qui en résulta, que Lénine décida d’introduire la Nep — la Nouvelle politique économique — qui limita les expropriations menées par l’État et permit aux paysans de disposer de certains de leurs surplus pour leur propre usage. La Nep améliora immédiatement les conditions économiques dans le pays. La famine de 1932-1933 fut déclenchée par des méthodes «communistes» semblables : la volonté d’imposer la collectivisation.

On retrouva la même situation qu’en 1921, ce qui força Staline à réviser un peu sa politique. Il comprit que le bien-être d’un pays, surtout à dominante agraire comme la Russie, dépend principalement de la paysannerie. Le slogan fut lancé : il fallait donner au paysan la possibilité d’accéder à un «bien-être» plus grand. Cette «nouvelle» politique n’est qu’une astuce, un répit temporaire pour le paysan. Elle n’est pas plus communiste que la précédente politique agricole. Depuis le début de la dictature bolchevik, l’État n’a fait que poursuivre l’expropriation, avec plus ou moins d’intensité, mais toujours de la même manière ; il dépouille la paysannerie en édictant des lois répressives, en employant la violence, en multipliant chicaneries et représailles, en édictant toutes sortes d’interdictions, exactement comme aux pires jours du tsarisme et de la première guerre. La politique actuelle n’est qu’une variante du «communisme de guerre» de 1920-1921 — avec de plus en plus de «guerre» (de répression armée) et de moins en moins de «communisme». Son «égalité» est celle d’un pénitencier; sa «liberté» celle d’un groupe de forçats enchaînés. Pas étonnant que les bolcheviks affirment que la liberté est un préjugé bourgeois.

Les thuriféraires de l’Union soviétique insistent sur le fait que le «communisme de guerre» était justifié au début de la Révolution, à l’époque du blocus et des fronts militaires. Mais plus de seize années ont passé. Il n’y a plus ni blocus, ni combats sur les fronts, ni contre-révolution menaçante. Tous les grands États du monde ont reconnu l’URSS. Le gouvernement soviétique insiste sur sa bonne volonté envers les États bourgeois, sollicite leur coopération et commerce beaucoup avec eux. Il entretient même des relations amicales avec Mussolini et Hitler, ces fameux champions de la liberté. Il aide le capitalisme à faire face à ses tempêtes économiques en achetant des millions de dollars de marchandises et en lui ouvrant de nouveaux marchés.

Voici donc, dans les grandes lignes, ce que la Russie soviétique a accompli durant les dix-sept années qui ont suivi la révolution. Mais en ce qui concerne le communisme proprement dit, le gouvernement bolchevik suit exactement la même politique qu’auparavant. Il a effectué quelques changements politiques et économiques superficiels, mais fondamentalement il s’agit toujours du même État, fondé sur le même principe de violence et de coercition et qui emploie les mêmes méthodes de terreur et de contrainte que pendant la période 1920-1921.


LA MULTIPLICATION DES CLASSES

Il existe davantage de classes en Russie soviétique aujourd’hui qu’en 1917, et que dans la plupart des autres pays. Les bolcheviks ont créé une vaste bureaucratie soviétique qui jouit de privilèges spéciaux et d’une autorité quasiment illimitée sur les masses ouvrières et paysannes. Cette bureaucratie est elle-même commandée par une classe encore plus privilégiée de «camarades responsables» — la nouvelle aristocratie soviétique.

La classe ouvrière est divisée et sub-divisée en une multitude de catégories: les oudarniki(les troupes de choc des travailleurs, à qui l’on accorde différents privilèges), les «spécialistes», les artisans, les simples ouvriers et les manœuvres. Il y a les «cellules» d’usines, les comités d’usines, les pionniers, les komsomols, les membres du Parti, qui tous jouissent d’avantages matériels et d’une parcelle d’autorité.

Il existe aussi la vaste classe des lishenti,les personnes privées de droits civiques, dont la plupart n’ont pas la possibilité de travailler, ni le droit de vivre dans certains endroits : elles sont pratiquement privées de tout moyen d’existence. Le fameux «carnet» de l’époque tsariste, qui interdisait aux juifs de vivre dans certaines régions du pays, a été réinstauré pour toute la population grâce à la création du nouveau passeport soviétique.

Au-dessus de toutes ces classes, règne la Guépéou, institution redoutée, secrète, puissante et arbitraire, véritable gouvernement à l’intérieur du gouvernement. La Guépéou à son tour possède ses propres catégories sociales. Elle a ses forces armées, ses établissements commerciaux et industriels, ses lois et ses règlements, et dispose d’une vaste armée d’esclaves : la population pénitentiaire. Même dans les prisons et les camps de concentration, on trouve différentes classes bénéficiant de privilèges spéciaux.

Dans l’industrie règne le même genre de communisme que dans l’agriculture. Un système Taylor soviétisé fonctionne dans toute la Russie, combinant des normes de qualité très basses et le travail à la pièce — système le plus intensif d’exploitation et de dégradation humaine, et qui suscite d’innombrables différences de salaires et de rémunérations.

Les paiements se font en argent, en rations, en réductions sur les charges (loyers, électricité, etc.), sans parler des primes et des récompenses spéciales pour les oudarniki.En clair, c’est le salariatqui fonctionne en Russie.

Ai-je besoin d’ajouter qu’un système économique fondé sur le salariat ne peut avoir le moindre lien avec le communisme et en est l’antithèse absolue?


UNE DICTATURE DE PLUS EN PLUS IMPITOYABLE

Telles sont les principales caractéristiques du système soviétique actuel. Il faut faire preuve d’une naïveté impardonnable, ou d’une hypocrisie encore plus inexcusable, pour prétendre, comme le font les zélateurs du bolchevisme, que le travail forcé en Russie démontre les capacités «d’auto-organisation des masses dans le domaine de la production».

Étrangement, j’ai rencontré des individus apparemment intelligents qui prétendent que, grâce à de telles méthodes, les bolcheviks «sont en train de construire le communisme». Apparemment certains croient que construire une nouvelle société consiste à détruire brutalement, physiquement et moralement, les plus hautes valeurs de l’humanité. D’autres prétendent que la route de la liberté et de la coopération passe par l’esclavage des ouvriers et l’élimination des intellectuels. Selon eux, distiller le poison de la haine et de l’envie, instaurer un système généralisé d’espionnage et de terreur, constitue la meilleure façon pour l’humanité de se préparer à l’esprit fraternel du communisme !
Je suis évidemment en total désaccord avec ces conceptions. Rien n’est plus pernicieux que d’avilir un être humain et d’en faire le rouage d’une machine sans âme, de le transformer en serf, en espion ou en victime de cet espion. Rien n’est plus corrupteur que l’esclavage et le despotisme.

L’absolutisme politique et la dictature ont de nombreux points communs : les moyens et les méthodes utilisés pour atteindre un but donné finissent par devenir l’objectif. L’idéal du communisme, du socialisme, a cessé depuis longtemps d’inspirer les chefs bolcheviks. Le pouvoir et le renforcement du pouvoir sont devenus leur seul but. Mais la soumission abjecte, l’exploitation et l’avilissement des hommes ont transformé la mentalité du peuple.

La nouvelle génération est le produit des principes et méthodes bolcheviks, le résultat de seize années de propagation d’opinions officielles, seules opinions permises dans ce pays. Ayant grandi dans un régime où toutes les idées et les valeurs sont édictées et contrôlées par l’État, la jeunesse soviétique sait peu de choses sur la Russie elle-même, et encore moins sur les autres pays. Cette jeunesse compte de nombreux fanatiques aveugles, à l’esprit étroit et intolérant, elle est privée de toute perception morale, dépourvue du sens de la justice et du droit. A cet élément vient s’ajouter l’influence de la vaste classe des carriéristes, des arrivistes et des égoïstes éduqués dans le dogme bolchevik : «La fin justifie les moyens.» Néanmoins il existe des exceptions dans les rangs de la jeunesse russe. Un bon nombre d’entre eux sont profondément sincères, héroïques et idéalistes. Ils voient et sentent la force des idéaux que revendique bruyamment le Parti. Ils se rendent compte que les masses ont été trahies. Ils souffrent profondément du cynisme et du mépris que le Parti prône envers toute émotion humaine. La présence des komsomols dans les prisons politiques soviétiques, les camps de concentration et l’exil, et les risques incroyables que certains d’entre eux prennent pour s’enfuir de ce pays prouvent que la jeune génération n’est pas seulement composée d’individus serviles ou craintifs. Non, toute la jeunesse russe n’a pas été transformée en pantins, en fanatiques, ou en adorateurs du trône de Staline et du mausolée de Lénine.

La dictature est devenue une nécessité absolue pour la survie du régime. Car là où règnent un système de classes et l’inégalité sociale, l’État doit recourir à la force et à la répression. La brutalité d’un tel régime est toujours proportionnelle à l’amertume et au ressentiment qu’éprouvent les masses. La terreur étatique est plus forte en Russie soviétique que dans n’importe quel pays du monde civilisé actuel, parce que Staline doit vaincre et réduire en esclavage une centaine de millions de paysans entêtés. C’est parce que le peuple hait le régime que le sabotage industriel est aussi développé en Russie, que les transports sont aussi désorganisés après plus de seize années de gestion pratiquement militarisée ; on ne peut expliquer autrement la terrible famine dans le Sud et le Sud-Est, en dépit des conditions naturelles favorables, malgré les mesures les plus sévères prises pour obliger les paysans à semer et récolter, et malgré l’extermination et la déportation de plus d’un million de paysans dans les camps de travail forcé.

La dictature bolchevik incarne une forme d’absolutisme qui doit sans cesse se durcir pour survivre, qui supprime toute opinion indépendante et toute critique dans le Parti, à l’intérieur même de ses cercles les plus élevés et les plus fermés. Il est significatif, par exemple, que les bolcheviks et leurs agents, stipendiés ou bénévoles, ne cessent d’assurer au reste du monde que «tout va bien en Russie soviétique» et que «la situation s’améliore constamment». Ce type de discours est aussi crédible que les propos pacifistes que tient Hitler, alors qu’il accroît frénétiquement sa force militaire.


PRISE D’OTAGES ET PATRIOTISME

Loin de s’adoucir, la dictature est chaque jour plus impitoyable. Le dernier décret contre les prétendus contre-révolutionnaires, ou les traîtres à l’État soviétique, devrait convaincre même certains des plus ardents thuriféraires des miracles accomplis en Russie. Ce décret renforce les lois déjà existantes contre toute personne qui ne peut pas, ou ne veut pas, respecter l’infaillibilité de la Sainte Trinité — Marx-Lénine-Staline. Et les effets de ce décret sont encore plus drastiques et cruels contre toute personne jugée coupable. Certes, la prise d’otages n’est pas une nouveauté en Union soviétique. On la pratiquait déjà lorsque je suis revenue vivre pendant deux ans en URSS. Pierre Kropotkine et Vera Figner ont protesté en vain contre cette tache noire sur l’écusson de la révolution russe. Maintenant, au bout de dix-sept années de domination bolchevik, le pouvoir a jugé nécessaire d’édicter un nouveau décret. Non seulement, il renoue avec la pratique de la prise d’otages, mais il punit cruellement tout adulte appartenant à la famille du criminel — supposé ou réel. Voici comment le nouveau décret définit la trahison envers l’État : «tout acte commis par un citoyen de l’URSS et qui nuit aux forces armées de l’URSS, à l’indépendance ou à l’inviolabilité du territoire, tel que l’espionnage, la trahison de secrets militaires ou de secrets d’État, le passage à l’ennemi, la fuite ou le départ en avion vers un pays étranger».

Les traîtres ont bien sûr toujours été fusillés. Ce qui rend ce nouveau décret encore plus terrifiant c’est la cruelle punition qu’il exige pour tout individu vivant avec la malheureuse victime ou qui lui apporte de l’aide, que le «complice» soit au courant du délit ou en ignore l’existence. Il peut être emprisonné, exilé, ou même fusillé, perdre ses droits civiques, et être dépossédé de tout ce qu’il a. En d’autres termes, ce nouveau décret institutionnalise une prime pour tous les informateurs qui, afin de sauver leur propre peau, collaboreront avec la Guépéou pour se faire bien voir et dénonceront aux hommes de main de l’État russe l’infortuné parent qui a offensé les Soviets.

Ce nouveau décret devrait définitivement balayer tout doute subsistant encore à propos de l’existence du communisme en Russie. Ce texte juridique ne prétend même plus défendre l’internationalisme et les intérêts du prolétariat. Le vieil hymne internationaliste s’est maintenant transformé en une chanson païenne qui vante la patrie et que la presse soviétique servile encense bruyamment: « La défense de la Patrie est la loi suprême de la vie, et celui qui élève la main contre elle, qui la trahit, doit être éliminé.»

Il est désormais évident que la Russie soviétique est, sur le plan politique, un régime de despotisme absolu et, sur le plan économique, la forme la plus grossière du capitalisme d’État.


Emma Goldman


1. Les intertitres ont été ajoutés par le traducteur (NDLR).


http://kropot.free.fr/Goldman-nocommunism.htm

Re: Les Soviets en Russie 1905-1921, révolution russe

MessagePosté: 21 Mai 2017, 01:16
de Pïérô
"La révolution inconnue" de Voline

Introduction

Quelques notes préliminaires indispensables
1° On peut entendre par Révolution russe : soit le mouvement révolutionnaire entier, depuis la révolte des Dekabristes (1825) jusqu'à nos jours ; soit seulement les deux ébranlements consécutifs de 1905 et de 1917 ; soit enfin, uniquement, la grande explosion de 1917. Dans notre exposé, Révolution russe signifie le mouvement tout entier (première interprétation).

Cette méthode est la seule qui permette au lecteur de comprendre aussi bien l'enchaînement et l'ensemble des événements que la situation actuelle en U.R.S.S.

2° Une histoire quelque peu complète de la Révolution russe exigerait plus d'un volume. Elle ne pourrait être qu'une oeuvre de longue haleine, réservée surtout aux historiens de l'avenir. Il ne s'agit ici que d'une étude plus ou moins sommaire dont le but est : a) de faire comprendre l'ensemble du mouvement ; b) de mettre en relief ses éléments essentiels peu connus ou ignorés à l'étranger ; c) de permettre certaines appréciations et déductions.

Toutefois, au fur et à mesure que l'ouvrage avancera, il deviendra de plus en plus ample et détaillé. C'est principalement aux chapitres traitant des secousses de 1905 et de 1917 que le lecteur trouvera de multiples précisions, jusqu'a présent inconnues, et une abondante documentation inédite.

3° Il existe une difficulté dont nous devons tenir rigoureusement compte : c'est la différence entre révolution générale de la Russie et celle de l'Europe occidentale. A vrai dire, l'exposé de la Révolution russe devrait être précédé d'une étude historique globale du pays ou, mieux encore, devrait s'encadrer dans celle-ci. Mais une pareille tâche dépasserait de beaucoup les limites de notre sujet. Pour parer à l'obstacle, nous apporterons au lecteur des notions historiques toutes les fois que cela nous paraîtra nécessaire.


Préface

Toute révolution - même étudiée de près par de nombreux auteurs de tendances diverses, et à des époques différentes - reste, au fond, une grande Inconnue. Des siècles passent et, de temps à autre, viennent des hommes qui, fouillant les vestiges des anciens bouleversements, y découvrent encore et toujours des faits et des documents inédits. Souvent, ces découvertes renversent nos connaissances et nos idées que nous supposions définitives. Combien d'ouvrages sur la Révolution française de 1789 existaient déjà lorsque Kropotkine et Jaurès décelèrent dans ses décombres des éléments jusqu'alors ignorés qui jetèrent sur l'époque une lumière insoupçonnée ! Et Jaurès ne convint-il pas que les immenses archives de la Grande Révolution étaient à peine exploitées ?
Généralement, on ne sait pas encore étudier une Révolution (comme on ne sait pas encore écrire l'histoire d'un peuple). Par ailleurs, des auteurs, bien qu'expérimentés et consciencieux, commettent des erreurs et de fâcheuses négligences qui interdisent au lecteur une juste compréhension des choses. On se donne, par exemple, la peine de fouiller à fond et d'exposer abondamment les faits et les phénomènes frappants : ceux qui se sont déroulés au grand jour, à la bruyante "foire révolutionnaire", mais on méprise et on ignore ceux qui se sont passés dans le silence, aux profondeurs de la Révolution, en marge de la "foire". A la rigueur, on leur accorde quelques mots en passant, en se basant sur de vagues témoignages dont l'interprétation est, le plus souvent, erronée ou intéressée . Et ce sont, précisément, ces faits cachés qui importent et jettent une vraie lumière sur les événements et même sur l'époque,

D'autre part, les sciences-clefs des phénomènes de la Révolution - l'économie, la sociologie, la psychologie - sont présentement incapables, en raison de leur état rudimentaire, de comprendre et d'expliquer convenablement ce qui s'est passé.

Ce n'est pas tout. Même du point de vue du "reportage"pur, combien de lacunes ! Dans le formidable tourbillon de la Révolution, une multitude de faits, engloutis par d'énormes crevasses qui s'ouvrent et se referment à tout instant, restent introuvables, peut-être à jamais. Ceux qui vivent une Révolution, ces millions d'hommes qui, d'une façon ou d'une autre, sont emportés par l'ouragan, se soucient, hélas ! fort peu de noter, pour les générations futures ce qu'ils ont vu, su, pensé ou vécu.

Enfin, il existe encore une raison que je souligne particulièrement : à quelques exceptions près, les rares témoins qui laissent des notes, et aussi MM. les Historiens, sont d'une partialité écoeurante. Chacun cherche et trouve à volonté, dans une Révolution, des éléments qui peuvent étayer une thèse personnelle ou être utiles à un dogme, à un parti, à une caste. Chacun cache et écarte soigneusement tout ce qui peut y contredire. Les révolutionnaires eux-mêmes, divisés par leurs théories, s'efforcent de dissimuler ou défigurer ce qui ne s'accorde pas exactement avec telle ou telle doctrine.

Ne parlons pas d'un nombre déconcertant d'ouvrages qui, tout simplement, ne sont pas sérieux.

En somme, qui donc chercherait à établir uniquement la vérité ? Personne ou presque. Quoi d'étonnant qu'il existe, sur une Révolution, à peu près autant de versions que de livres, et qu'au fond la vraie Révolution demeure inconnue ?

Et pourtant, c'est cette Révolution cachée qui porte en elle les germes du bouleversement futur. Quiconque pense le vivre d'une façon active, ou veut simplement en suivre les événements avec clairvoyance, se doit de "découvrir" et de scruter cette Inconnue.

Et quant à l'auteur, son devoir est d'aider le chercheur dans sa tâche.

* * *
Dans le présent ouvrage, cette Révolution inconnue est la Révolution russe ; non pas celle qui a été maintes fois traitée par des hommes politiques ou des écrivains patentés, mais celle qui fut - par ceux-là mêmes - ou négligée, ou adroitement voilée, ou même falsifiée : celle qu'on ignore.
Feuilletez quelques livres sur la Révolution russe. Jusqu'à présent, presque tous ont été faits par des gens plus ou moins intéressés, que ce soit au point de vue doctrinal, politique ou même personnel. Selon que l'écrivain est un "blanc", un "démocrate", un "socialiste", un "stalinien" ou un "trotskyste", tout change d'aspect. La réalité elle-même est façonnée au gré du narrateur. Plus vous cherchez à la fixer, moins vous y arrivez. Car les auteurs ont, chaque fois, passé sous silence des faits de la plus haute importance si ceux-ci ne s'accordaient pas avec leurs idées, ne les intéressaient pas ou ne leur convenaient pas.

Eh bien, cette documentation inédite- et cependant exceptionnellement édifiante - constitue, précisément, la plus grande partie du présent volume. Sans exagérer ni se vanter, l'auteur ose avancer cette affirmation : celui qui n'aura pas pris connaissance de cet ouvrage restera dans l'ignorance d'un nombre considérable de faits d'une portée capitale.

* * *
Un problème fondamental nous est légué par les révolution précédentes : j'entends surtout celle de 1789 et celle de 1917 dressées pour une grande partie contre l'oppression, animées d'un puissant souffle de liberté et proclamant la Liberté comme leur but essentiel, pourquoi ces révolutions sombrèrent-elles dans une nouvelle dictature exercée par d'autres couches dominatrices et privilégiées, dans un nouvel esclavage des masses populaires ? Quelles seraient les conditions qui permettraient à une révolution d'éviter cette triste fin ? Cette fin serait-elle, longtemps encore, une sorte de fatalité historique ou bien serait-elle due à des facteurs passagers et même, simplement, à des erreurs et à des fautes pouvant être écartées dorénavant ? Et dans ce dernier cas, quels seraient les moyens d'éliminer le danger qui menace déjà les révolutions à venir ? Un espoir de le surmonter serait-il permis ?
Selon l'avis de l'auteur, ce sont précisément les éléments ignorés - et sciemment dissimulés - qui nous offrent la clef du problème en nous fournissant la matière indispensable à sa solution. Le présent ouvrage est une tentative d'éclaircir ce problème a l'aide de faits précis et incontestables.

* * *
L'auteur a vécu la Révolution de 1917 (et aussi celle de 1905). Il y a activement participé. Et il désire en exposer et examiner, avec une parfaite objectivité ; les faits authentiques. Tel est son seul souci. S'il ne l'avait pas, il n'aurait jamais songé à écrire ce livre.
Ce souci d'un exposé franc et d'une analyse impartiale est favorisé par la position idéologique de l'auteur. Depuis 1908, il n'appartient à aucun parti politique. Par ses convictions personnelles, il sympathise avec le courant libertaire.Il peut se permettre le luxe d'être objectif car, libertaire, il n'a aucun intérêt à trahir la vérité, aucune raison de "truquer" : il ne s'intéresse ni au pouvoir, ni à un poste de dirigeant, ni à des privilèges, ni même au triomphe "à tout prix" d'une doctrine. Il ne cherche qu'à établir la vérité,car seule la vérité est féconde. Sa passion, son unique ambition est de faire comprendre les événements à la lumière des faits exacts, car seule une telle compréhension permet de formuler des conclusions justes et utiles.

Comme toute Révolution, la Révolution russe possède un trésor de faits ignorés, même insoupçonnés.

La présente étude prétend prendre, un jour, sa modeste place à côté des auteurs qui auront voulu, pu et su explorer ces immenses richesses, honnêtement et en toute indépendance.



en ligne : http://kropot.free.fr/Voline-revinco.htm

Re: Les Soviets en Russie 1905-1921, révolution russe

MessagePosté: 24 Mai 2017, 07:05
de bipbip
Dimanche 28 mai 2017

cycle formations-débats sur la démocratie directe

La Révolution russe (1917-1921)

de 15h (accueil à partir de 14h30) à 18h
au local fédéral d’AL - 92 rue d’Aubervilliers (Paris 19e)

Cent ans après, focus sur la Révolution russe pour présenter les grandes étapes de cet événement majeur de l’histoire du mouvement ouvrier et pour revenir sur les questions stratégiques qui se sont alors posées...

http://www.alternativelibertaire.org/?C ... -Paris-19e

Re: Les Soviets en Russie 1905-1921, révolution russe

MessagePosté: 11 Juin 2017, 13:57
de bipbip
Bagnolet (93) mercredi 14 juin

Projection du documentaire « Lénine, une autre histoire de la révolution russe » de Cédric Tourbe (2016, 1h35, VOFR) et présentation de quelques textes à propos de la révolution russe et de ses suites

19h30, Le Rémouleur, 106 Rue Victor Hugo, Bagnolet (93)

Cycle sur les insurrections russes.
L'insurrection russe déclenchée spontanément à Petrograd le 23 février 1917 est suivie mois par mois jusqu'en décembre, avec en parallèle le récit du menchevik Nicolas Soukhanov et le parcours opportuniste du bolchevik Lénine, qui finira par prendre le pouvoir avec la révolution d'octobre. Malgré son parti-pris « démocratiste » pro-menchevik, ce documentaire constitue un support intéressant pour comprendre le déroulement révolutionnaire de l'année 1917 en Russie ainsi que le rôle tenu par Lénine dans ces événements.

https://www.infokiosques.net/spip.php?article1447

Re: Les Soviets en Russie 1905-1921, révolution russe

MessagePosté: 06 Juil 2017, 08:03
de Pïérô
1934 : Emma Goldman explique pourquoi la dictature bolchevik n’a rien à voir avec le communisme

Parution sur infokiosques.net d’une brochure constituée principalement de la traduction du texte d’Emma Goldman « Il n’y a pas de communisme en Russie », dans lequel elle fait le bilan de 17 années de régime bolchevik.


Il y a cent ans, en 1917, la Russie vivait une des années les plus importantes de son histoire, avec entre février et octobre une insurrection populaire, la grève générale, la chute du régime tsariste, l’auto-organisation à travers le pays puis la prise de pouvoir en mode coup d’État par les bolcheviks.

Moins de vingt ans plus tard, Emma Goldman expose pourquoi il n’y a pas de communisme en Russie, en quoi parler de « communisme » à propos du régime bolchevik dans la Russie de l’après-révolution de 1917 est plus qu’un abus de langage mais carrément un mensonge. Ayant passé deux ans en Russie en 1920-1921, elle puise dans son expérience personnelle et dans des informations obtenues dans les années 1920-1930 pour jeter un regard lucide sur l’imposture « communiste » de la dictature bolchevique.

Écrit en anglais en 1934 sous le titre « Communism : Bolshevist and Anarchist, A Comparison », le texte « There is No Communism in Russia » a été publié dans The American Mercury, vol. XXXIV, en avril 1935. Il s’agit d’une version épurée du texte initial, celui-ci ayant été tronqué par l’éditeur, créant le mécontentement d’Emma Goldman. Mais l’article original semblant désormais introuvable, c’est une traduction de la version tronquée que vous vous apprêtez à lire.

Publié sous forme de brochure avec quelques extraits de l’autobiographie d’Emma Goldman Living My Life, le texte « Il n’y a pas de communisme en Russie » est intégralement lisible et téléchargeable sur infokiosques.net. Il est disponible au format PDF en version cahier A5 imprimable et version page par page (à lire sur l’écran) aussi bien en anglais qu’en français.

★ Extraits :

«
De manière générale, le communisme est l’idéal d’égalité et de fraternité humaine. Il considère l’exploitation de l’humain par l’humain comme la source de tout esclavage et de toute oppression. Il maintient que l’inégalité économique mène à l’injustice sociale et est l’ennemie du progrès moral et intellectuel. Le communisme vise à créer une société sans classes, résultant de la mise en commun des moyens de production et de distribution. Il enseigne que ce n’est que dans une société solidaire et sans classes que l’humain peut jouir de la liberté, de la paix et du bien-être.

(...)

Mon objectif, ici, était de comparer l’idée de communisme avec sa mise en application dans la Russie soviétique, mais à y regarder de plus près il s’agit d’une tâche impossible. En réalité, il n’y a pas de communisme en URSS [1]. Là-bas, pas un seul principe communiste, pas un seul élément de ses enseignements n’est appliqué par le Parti communiste.

(...)

Tout d’abord, il est nécessaire de considérer l’idée fondamentale qui sous-tend le prétendu communisme des bolcheviks. Il est clair que celle-ci est centralisée, autoritaire, fondée presque exclusivement sur la coercition gouvernementale, sur la violence. Ce n’est pas le communisme de l’association volontaire, c’est un communisme étatique obligatoire. Cela doit être gardé en mémoire pour comprendre la méthode que l’État soviétique utilise pour mettre en oeuvre ses projets et donner l’impression que ceux-ci sont communistes.

(...)

En Russie, ni la terre, ni la production, ni la distribution ne sont socialisées. Tout est nationalisé et appartient au gouvernement, exactement comme la Poste aux États-Unis ou les chemins de fer en Allemagne ou dans d’autres pays européens. Il n’y a rien de communiste là-dedans.

Le reste de la structure économique de l’URSS n’est pas plus communiste que la terre ou les moyens de production. Toutes les sources d’existence sont la propriété du gouvernement central ; celui-ci a le monopole absolu du commerce extérieur ; les imprimeries appartiennent à l’État, tous les livres, toutes les feuilles de papier imprimé sont des publications du gouvernement. Pour résumer, le pays entier et tout ce qu’il contient sont la propriété de l’État, comme quand aux temps anciens tout était propriété de la Couronne impériale de Russie. Les quelques biens qui ne sont pas nationalisés, comme certaines vieilles maisons délabrées à Moscou, par exemple, ou de petits magasins miteux disposant d’un misérable stock de cosmétiques, sont uniquement tolérés, à tout moment ils peuvent être saisis par simple décret du gouvernement.

Une telle situation relève du capitalisme d’État, il serait grotesque d’y déceler quoi que ce soit de communiste.

(...)

L’essence du communisme, même de type coercitif, est l’absence de classes sociales. L’introduction de l’égalité économique en constitue la première étape. Telle a été la base de toutes les philosophies communistes, même si elles diffèrent entre elles sur d’autres aspects. Leur objectif commun était d’assurer la justice sociale ; toutes affirmaient qu’on ne pouvait parvenir à la justice sociale sans établir l’égalité économique. Même Platon, qui prévoyait l’existence de différentes catégories intellectuelles et morales dans sa République, s’était prononcé en faveur de l’égalité économique absolue, les classes dirigeantes ne devant pas y jouir de privilèges ou de droits plus importants que ceux situés en bas de l’échelle sociale.

Au risque de me voir condamnée pour avoir dit toute la vérité, je dois affirmer sans équivoque et sans réserve que la Russie soviétique représente le cas exactement opposé. Le bolchevisme n’a pas aboli les classes en Russie : il a simplement inversé leurs relations antérieures. En fait, il a même multiplié les divisions sociales qui existaient avant la Révolution.

Quand je suis arrivée en Russie en janvier 1920, j’ai découvert d’innombrables catégories économiques, fondées sur les rations alimentaires distribuées par le gouvernement. Le marin recevait la meilleure ration, supérieure en qualité, en quantité et en variété à la nourriture que mangeait le reste de la population. C’était l’aristocrate de la Révolution ; sur le plan économique et social, il était considéré universellement comme appartenant aux nouvelles classes privilégiées. Après lui, venait le soldat, l’homme de l’Armée rouge, qui recevait une ration bien moindre, notamment avec moins de pain. Puis venait l’ouvrier travaillant dans l’industrie militaire ; enfin venaient les autres ouvriers, eux-mêmes divisés en ouvriers qualifiés, artisans, manœuvres, etc. Chaque catégorie recevait un peu moins de pain, de matières grasses, de sucre, de tabac et des autres produits (lorsqu’il y en avait). Les membres de l’ancienne bourgeoisie, classe officiellement abolie et expropriée, appartenaient à la dernière catégorie économique et ne recevaient pratiquement rien. La plupart d’entre eux ne pouvaient avoir ni travail ni logement - et personne ne se souciait de la façon dont ils allaient survivre - sans se mettre à voler ou à rejoindre les armées contre-révolutionnaires ou les bandes de pillards.

La possession d’une carte rouge, prouvant l’appartenance au Parti communiste, permettait de se placer au-dessus de toutes ces catégories. Chaque membre du Parti communiste bénéficiait d’une ration spéciale, pouvait manger dans la stolovaya [2] du Parti et avait le droit, surtout s’il était recommandé par un responsable plus élevé, à des sous-vêtements chauds, des bottes en cuir, un manteau de fourrure ou d’autres articles de valeur. Les bolcheviks les plus éminents disposaient de leurs propres restaurants, auxquels les membres ordinaires du Parti n’avaient pas accès. A l’Institut Smolny, qui abritait alors le quartier général du gouvernement de Petrograd [3], il existait deux restaurants, un pour les communistes les mieux placés, un autre pour ceux d’importance moindre. Zinoviev, alors président du soviet de Petrograd et véritable autocrate du District du Nord, ainsi que d’autres membres du gouvernement prenaient leurs repas chez eux, à l’Astoria, autrefois le meilleur hôtel de la ville, devenu la première Maison du soviet, où ils vivaient avec leurs familles.

Plus tard, je constatais la même situation à Moscou, Kharkov, Kiev, Odessa - partout dans toute la Russie soviétique.

Voilà ce qu’était le « communisme » bolchevik. Ce système a eu des conséquences désastreuses, causant de l’insatisfaction, du ressentiment et de l’antagonisme à travers le pays, provoquant des sabotages dans les usines et les campagnes, des grèves et des révoltes...

(...)

La Révolution russe était un bouleversement social au sens le plus profond : sa tendance fondamentale était libertaire, son but essentiel était l’égalité économique et sociale. Bien avant les journées d’octobre-novembre 1917, le prolétariat urbain avait commencé à s’emparer des ateliers, des boutiques et des usines, pendant que les paysans expropriaient les grandes propriétés et mettaient en commun les terres. Le développement continu de la Révolution dans une direction communiste dépendait de l’unité des forces révolutionnaires et de l’initiative directe, créatrice, des masses laborieuses. Les gens étaient enthousiasmés par les grands objectifs qu’ils avait devant eux ; ils s’appliquaient passionnément, énergiquement, à reconstruire une nouvelle société. Seuls ceux qui avaient été exploités pendant des siècles étaient capables de trouver librement le chemin vers une société nouvelle, régénérée.

Mais les dogmes bolcheviks et l’étatisme « communiste » ont constitué un obstacle fatal aux activités créatrices des gens. La caractéristique fondamentale de la psychologie bolchevik est sa méfiance envers les masses. Leurs théories marxistes, en concentrant exclusivement le pouvoir entre les mains du Parti, aboutirent rapidement à la destruction de toute coopération révolutionnaire, à l’élimination brutale et arbitraire des autres partis et mouvements politiques. Les tactiques bolcheviks ont abouti à l’éradication systématique du moindre signe de mécontentement, à l’étouffement des critiques et à l’écrasement des opinions indépendantes, des efforts et des initiatives populaires. La dictature communiste, avec son extrême centralisation mécanique, a frustré les activités économiques et industrielles du pays. Les masses étaient démunies de la possibilité de façonner les politiques de la Révolution et ne pouvaient même pas prendre part à l’administration de leurs propres affaires. Les syndicats ont été gouvernementalisés et transformés en transmetteurs des ordres de l’État. Les coopératives populaires - ces nerfs vitaux de la solidarité active et de l’entraide entre villes et campagnes - ont été liquidées. Les soviets de paysans et d’ouvriers ont été vidés de leur contenu et transformés en comités obéissants. Le gouvernement a monopolisé chaque phase de la vie. Une machine bureaucratique a été créée, épouvantable par son inefficacité, sa corruption et sa brutalité. La Révolution était séparée des gens, condamnée à périr ; et au-dessus de tous planait le redoutable glaive de la terreur bolchevik.

Tel était le « communisme » des bolcheviks au cours des premières étapes de la Révolution.

(...)

Il y a davantage de classes dans la Russie soviétique d’aujourd’hui que dans celle de 1917, et que dans la plupart des autres pays du monde. Les bolcheviks ont créé une énorme bureaucratie soviétique qui jouit de privilèges spéciaux et d’une autorité presque illimitée sur les masses ouvrières et paysannes. Au-dessus de cette bureaucratie se trouve une classe encore plus privilégiée, celle des « camarades responsables », la nouvelle aristocratie soviétique.

(...)

La dictature est devenue une nécessité absolue pour la survie du régime. Car là où règnent un système de classes et l’inégalité sociale, l’État doit recourir à la force et à la répression. La brutalité d’une telle situation est toujours proportionnelle à l’amertume et au ressentiment qu’éprouvent les masses. C’est pourquoi la terreur gouvernementale est plus forte en Russie soviétique que n’importe où ailleurs dans le monde civilisé actuel, parce que Staline doit vaincre et réduire en esclavage une centaine de millions de paysans tenaces.


Notes

[1] Union des républiques socialistes soviétiques.

[2] Cantine.

[3] L’Institut Smolny est un édifice palladien de Saint-Pétersbourg. Pendant la Révolution russe de 1917, il a été choisi par Lénine comme quartier général des bolcheviks et a été la résidence de Lénine pendant plusieurs mois, jusqu’au moment où le gouvernement soviétique a été déplacé au Kremlin de Moscou. Après cela, l’Institut Smolny devint le siège de la section locale du Parti communiste, dans les faits l’Hôtel de Ville de Petrograd puis de Léningrad - noms successivement portés par Saint-Pétersbourg avant 1991.


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