Histoire de la CNT Espagne

L'imposteur...

Messagede luco » 13 Jan 2016, 20:03

http://www.actes-sud.fr/catalogue/litte ... limposteur

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Très mauvais bouquin d'un auteur moraliste et prétentieux, mais assez effarant sur les faits historiques : comment un quasi inconnu parvient à se hisser au sommet de la CNT espagnole par le simple jeu des équilibres bureaucratiques...
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luco
 
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Re: Histoire de la CNT Espagne

Messagede Pïérô » 24 Mar 2016, 18:31

La CNT après Franco 1939-1984

Sommaire :

Partie 1 - L’anarcho-syndicalisme espagnol 1939-1945

Partie 2 - Bandoleros : la guerilla urbaine 1945-1963

Partie 3 - La franc-maçonnerie et la CNT (1936-39) Partie 4 - La CNT de 1944 à 1960

Partie 5 - Les contacts de la phalange avec les républicains et la CNT

Partie 6 - L’anarcho-syndicalisme espagnol contemporain (1960-84)

http://www.fondation-besnard.org/spip.php?article450
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Re: Histoire de la CNT Espagne

Messagede bipbip » 24 Juil 2016, 02:34

Cent ans d’anarcho-syndicalisme

Sous ce titre, et afin de célébrer le centenaire de la naissance de leur organisation (1er novembre 1910), nos camarades anarcho-syndicalistes espagnols ont eu la bonne idée de publier sur Internet un véritable pavé abordant différents aspects de leur histoire. Ce document de soixante-trois pages peut être consulté sur différents sites (1).
Il se divise en deux parties : d’abord les chroniques, qui permettent à leurs auteurs de retracer le parcours de la CNT (Confédération nationale du travail)en évoquant certains faits historiques, puis, les chapitres concernant la culture anarchiste, qui mettent en évidence la pénétration des idées libertaires dans la société espagnole. Le tout étant suivi de trois interviews. La richesse et l’importance de ce travail ne nous permettent pas, pour l’instant, d’en rendre compte intégralement. En attendant une traduction complète de certains des trente-six chapitres, nous vous en proposons ici un résumé.
Coup d’œil sur cent ans d’histoire passionnée et turbulente ; ses victoires, ses défaites, malgré ou grâce à ses contradictions, nous avons là un siècle d’existence de la CNT qui, plus qu’un syndicat, a été un projet de société.

L’aube anarchiste (1902-1909)

Devant l’incapacité de l’UGT (2), courroie de transmission du PSOE (3), à rassembler tous les mouvements de protestation, ainsi que face aux échecs des anarchistes à créer une organisation plus large, les travailleurs en général, et les libertaires en particulier, étaient chaque jour plus conscients de la nécessité de forger une organisation ouvrière défendant leurs revendications. Ce fut l’œuvre de la première décennie du xxe siècle qui devait donner naissance à la CNT. De la Fédération des sociétés ouvrières de résistance espagnoles à la Fédération ouvrière de Barcelone, les stratégies s’affinent et vont déboucher sur l’anarcho-syndicalisme, conjuguant les formes d’action bakouniniste avec le syndicalisme révolutionnaire de Fernand Pelloutier.
Barcelone devient l’épicentre du mouvement libertaire, la presse anarchiste se développe, les grèves se multiplient et, en 1907, les sociétés ouvrières de Barcelone créent Solidaridad Obrera (4), organisation qui, trois ans plus tard, se transformera en CNT.

Sur les origines de la CNT

En raison de la répression étatique de la « Semaine tragique (5) », Solidaridad Obrera ne put tenir son congrès en 1909. Il fallut attendre la fin de l’année 1910 pour qu’il ait lieu à Barcelone, avec comme ambition de transformer une organisation catalane en organisation nationale sous le nom de CNT, et pouvoir ainsi rivaliser avec l’UGT, la centrale syndicale d’orientation socialiste. Le développement de la CNT fut foudroyant : ses effectifs passèrent de 30 000 adhérents à sa naissance à 700 000 neuf ans plus tard (congrès de Madrid). Joan Zambrana, rédacteur de ce chapitre, regrette que dans le même temps l’influence du syndicalisme libertaire perdit de sa force en France et en Italie, laissant ainsi en Europe, la CNT pratiquement seule à défendre l’anarcho-syndicalisme.

L’essor anarcho-syndicaliste

Au cours du congrès de Sants (1918), la CNT va redéfinir son fonctionnement, abandonnant les fédérations de métiers pour les remplacer par des syndicats uniques d’industrie regroupant tous les travailleurs d’une même branche de production, ceci afin de mieux affronter le mode de production capitaliste.
L’année 1919 va voir les affrontements contre les patrons se durcir pour déboucher à Barcelone sur la mythique grève de La Canadienne (compagnie d’électricité), qui s’étendra à tous les secteurs d’activité, y compris au syndicat des arts graphiques qui appliquera la « censure rouge », refusant ainsi de publier le décret de réquisition décidé par les autorités catalanes. La CNT sortira victorieuse de ce conflit, mais de nombreux adhérents seront emprisonnés pour « faits de violence », ce qui les incitera ensuite à rendre coup pour coup aux groupements patronaux (syndicats « libres »).

La CNT sous la Seconde république

Dans ce chapitre, Anna Monjo nous explique les difficultés de la CNT dans les deux premières décennies suivant sa création. Les différentes périodes de dictature (répression, clandestinité) provoqueront une radicalisation de plus en plus forte de la part de nombreux militants. L’avènement de la Seconde république (1931) suscitant l’enthousiasme dans la classe ouvrière, deux positions divisent la CNT entre les « anciens » (Pestaña, Peiró, etc.), qui axent leur militantisme sur l’organisation et le renforcement du syndicat, et les « jeunes modernes » (García Oliver, Ascaso et Durruti), qui pensent que l’avènement d’une république bourgeoise peut déboucher sur l’opportunité d’une période révolutionnaire. De 1931 à 1933, ces deux tendances vont s’affronter au sein de la CNT qui verra finalement la victoire des « radicaux » et des faïstes (6) sur les « modérés » ou trentistes (7), qui seront exclus en 1933 mais réintégrés au congrès de Saragosse (mai 1936), deux mois avant le putsch des militaires suivi de la riposte ouvrière victorieuse dans les deux tiers du territoire espagnol.

Des comités de défense aux milices

Agustí Guillamón nous rappelle l’origine des comités de défense de la CNT, organismes issus des premiers groupes armés d’autodéfense (lutte contre les pistoléros du patronat dans les années 1919 à 1923) dont le but était de « préparer les armes nécessaires en cas d’insurrection, d’organiser les groupes de choc dans les différents quartiers populaires, etc. », ce que García Oliver définissait comme « gymnastique révolutionnaire ».
Le CNCD (Comité national des comités de défense) dépendait exclusivement de la CNT. D’où le constat que nombre de ces comités regroupaient des membres d’un même syndicat de la CNT. Après le 19 juillet 1936, certains de ces comités de défense parviendront à se constituer en centuries des milices populaires qui partiront immédiatement (dès le 24 juillet 1936) lutter contre les forces fascistes sur le front d’Aragon.
Ces comités de défense dépasseront la notion de groupes d’autodéfense pour se transformer en organismes préparant la révolution, faisant face aux problèmes de renseignement, d’enquêtes, d’armement, de tactique, en prévision d’une longue guerre civile. Sans aucune transition, ils se transformeront en milices populaires luttant contre le fascisme, devenant ainsi l’organisation armée du prolétariat révolutionnaire. à l’arrière, ils se constitueront en comités révolutionnaires de villages ou de quartiers (dans les villes). Leur tâche sera multiple : émission de bons pour l’alimentation, de sauf-conduits, création de coopératives, entretien et fonctionnement des hôpitaux, célébration des mariages, paye des miliciens, financement des écoles rationalistes et des athénées gérés par les Jeunesses libertaires.
À côté, le CCMA (Comité central des milices antifascistes [8]) souhaitait, lui, contrôler les comités locaux révolutionnaires pour exercer le pouvoir dans la rue et les usines jusqu’à sa dissolution et au rétablissement du pouvoir de la Généralitat (gouvernement catalan). Le décret de militarisation des milices ouvrières compléta ce désastreux bilan, en transformant des milices de volontaires révolutionnaires en une armée bourgeoise de type classique aux ordres de la Généralitat, ce qui provoquera un grand mécontentement au sein de la Colonne Durruti aboutissant à l’abandon du front d’Aragon par des centaines de volontaires retournant à l’arrière avec leurs armes. Ils seront à l’origine de la création du groupement des « Amis de Durruti » qui s’illustrera sur les barricades de Barcelone en mai 1937. Ce refus de la militarisation fut également plus ou moins exprimé dans toutes les colonnes confédérales qui, en février 1937, se réunirent en assemblée pour en discuter : les menaces du gouvernement central et de la Généralitat (déjà bien infiltrés par les cadres staliniens) de ne pas leur fournir d’armes et de dispatcher les miliciens dans d’autres unités ayant déjà été militarisées finiront par les convaincre d’accepter cette militarisation (y compris la récalcitrante Colonne de Fer de Valence).
On arriva ainsi à mai 1937 et à la provocation du central téléphonique. La Généralitat et le PSUC (9) voulaient mettre au pas la CNT. Les comités de défense des quartiers de Barcelone répliquèrent immédiatement en dressant de nombreuses barricades qu’ils tiendront une semaine. Mais les appels à cesser le feu des dirigeants cénétistes (et notamment des « camarades ministres ») semèrent la confusion et démoralisèrent les anarchistes. Les comités de défense furent ensuite dissous un à un jusqu’en septembre 1937, la contre-révolution gagnant du terrain chaque jour jusqu’au désastre final. Agustí Guillamón traite également ce sujet dans son ouvrage Barricades à Barcelone, mais avec une conclusion beaucoup plus critique (et sous certains aspects plus discutables) par rapport à la stratégie de la CNT.

Mujeres Libres, dans la guerre et l’exil

Dans ce passage, Antonina Rodrigo fait l’historique de Mujeres Libres (Femmes libres), la fusion de deux mouvements de femmes à Barcelone et Madrid (1934) qui édite la revue éponyme pour diffuser les informations et revendications des femmes. Avec le déclenchement de la guerre civile, cette publication se transforme en organe de combat collant aux événements tout en étant une revue d’orientation et de documentation sociale. Un des principes de Mujeres Libres fut de conserver son indépendance, y compris au sein du mouvement libertaire. Ce qui explique également sa non-adhésion à l’Association des femmes antifascistes dont les activités étaient dirigées et contrôlées par le PCE (Parti communiste d’Espagne). « Mujeres Libres a la personnalité propre d’une organisation révolutionnaire, avec des objectifs concrets et une conscience claire de sa mission, qui va au-delà du simple et limité antifascisme. » Et, face au comportement parfois « machiste » constaté chez leurs compagnons du mouvement libertaire, elles affirment dans le numéro 12 de leur revue : « Non, compagnons, non ; la femme dans ses revendications ne prétend pas obtenir de compétence par opposition à vous, mais unir son énergie à la vôtre. Car pour la femme, se défendre c’est aussi vous défendre. »
Dans l’exil, les membres de Mujeres Libres connaîtront le même parcours que leurs camarades, à savoir les camps de concentration français, puis l’incorporation dans la Résistance afin de poursuivre la lutte antifasciste. Beaucoup d’entre elles finiront dans les camps d’extermination nazis. Plus tard, les survivantes feront paraître la revue Mujeres Libres en el exilio (Femmes libres en exil).

Les collectivisations en Catalogne

En Catalogne, la défaite du soulèvement militaire du 18 juillet 1936 entraîna l’effondrement complet de l’État. Les travailleurs, qui avaient joué un rôle essentiel dans la victoire sur les factieux, entamèrent immédiatement une large et profonde transformation révolutionnaire de la société catalane sur la base des principes anarchistes et anarcho-syndicalistes de la CNT-FAI. Cette organisation, majoritairement influente chez les travailleurs, tenta et réussit en partie à mettre en pratique le socialisme libertaire dans une société industrialisée, donnant lieu à une expérience unique au monde, aussi éloignée du capitalisme que du socialisme d’État. Antoní Castells nous explique le développement des collectivisations dans les différents secteurs (agraires- industriels), l’affrontement entre ceux qui voulaient développer ces collectivisations (CNT-FAI-JJLL et Poum) (10) et ceux qui s’y opposaient (ACR-UR-PSUC-UGT) (11), ainsi que les manœuvres de l’État catalan (Généralitat) et de l’État espagnol pour freiner et supprimer ces collectivisations.

La CNT dans le gouvernement

Bernat Muniesa nous plonge ici au cœur de la question : que sont allés faire les anarchistes au gouvernement ? Pourquoi les responsables de la CNT, les vainqueurs du 19 juillet 1936, maîtres de la rue et des usines, choisissent-ils la collaboration gouvernementale ? En leur temps, les réponses des intéressés étaient bien peu convaincantes. Mais un constat : cette décision facilitera le travail de sape des non-révolutionnaires qui aboutira à la contre-révolution en Catalogne et dans le reste de l’Espagne. Bernat Muniesa consacre évidemment un chapitre entier aux événements de mai 1937 à Barcelone, qui verront cette contre-révolution à l’œuvre.

La CNT et la lutte contre le franquisme

Octavio Alberola retrace le parcours de Défense intérieure (DI), bras armé de la CNT en exil, chargé de combattre la dictature par des attentats ciblés, voire par la suppression physique de Franco. Défense intérieure eut six mois d’existence jusqu’à ce que la CNT en exil décide de ne plus participer à cet organisme qu’elle avait créé, laissant seuls les membres de la FIJL (Fédération ibérique des jeunesses libertaires) animer la lutte anti-franquiste. Ferran Aisa complète cet historique par celui des guérillas urbaines de 1945 à 1963.

La lutte continue

Ce chapitre est une critique du système d’organisation de la CNT (clandestine de l’intérieur ou en exil) sous la dictature franquiste : arrestations et élimination des comités de la CNT les uns après les autres sans changement de stratégie de l’organisation, bureaucratisation de la CNT depuis les années 1936-1939 (et on reparle de la participation gouvernementale) et accélération de cette bureaucratisation dans l’exil.
Plus qu’une étude de ce phénomène, Paco Madrid regrette ici le manque d’analyse profonde et d’autocritique existant à ce jour. Pour compléter cet aspect de la lutte antifranquiste, Carles Sanz nous brosse un portrait du Mil (Mouvement ibérique de libération), et de son plus célèbre membre : Salvador Puig Antich.

L’escroquerie cynique de la transition

Constat lucide et sans complaisance de ce qu’a été la « transition démocratique » espagnole. L’auteur – José Luis García Rúa – rappelle ici que plus de la moitié des Espagnols n’approuvèrent pas (par un vote contre ou par abstention) la nouvelle constitution post-franquiste. La droite et le PSOE l’entérinèrent en se mettant d’accord pour ne plus évoquer la guerre civile et les questions qui fâchent, seul moyen pour les socialistes d’avoir une chance d’accéder au pouvoir, ce qui finit par arriver (en reconnaissant la monarchie et en considérant le système politique en place comme « n’étant pas une démocratie mais fonctionnant comme telle »).
Les années suivant la mort de Franco verront donc les manœuvres politiciennes qui amèneront au pouvoir Adolfo Suarez, c’est-à-dire la droite propre sur elle (on évite de rappeler le rôle des uns et des autres sous Franco), puis les socialistes de Felipe Gonzales avec au milieu l’intermède tragi-comique du putsch manqué de Tejero. Le pendant à ce constat nous est donné par Pepe Ribas avec une évocation des Journées libertaires de juillet 1977 à Barcelone.

La CNT pendant la transition

À l’énorme espérance soulevée par la mort de Franco s’ajoute une réorganisation de la CNT de l’intérieur (de l’Espagne), avec de grands rassemblements libertaires, puis de nouveau les dissensions, les divisions, les exclusions, les scissions, sans parler de la répression étatique ; tout cela va laisser une CNT très affaiblie. Toutefois, une organisation qui fête ses 100 ans en 2010 démontre, par ce simple fait, la vitalité de l’idée anarcho-syndicaliste. Just Casas conclut en estimant qu’il est « fondamental que soit possible l’unité dans un tout divers et pluriel ». En appendice à ce chapitre, deux additifs : le cas Scala (1978), la rencontre anarchiste mondiale et l’exposition anarchiste internationale.
Comme nous l’avons dit au début, la lecture de ce document de soixante-quatre pages est vivement conseillée. Ceux qui comprennent le castillan peuvent y avoir accès sur les sites indiqués plus haut. Pour les autres, nous nous proposons de traduire plus tard intégralement certains chapitres qui nous paraissent particulièrement intéressants (le choix sera quand même difficile !). Encore un mot : les différentes centrales anarcho-syndicalistes espagnoles organisent tout au long de cette année des manifestations, des conférences et des débats dans différentes villes d’Espagne. On trouve les lieux et dates sur leurs sites respectifs.

Action culturelle de l’anarchisme

Le mouvement libertaire organisé s’est d’abord préoccupé d’enseigner à lire et à écrire aux ouvriers et paysans. Le prolétariat conscient et instruit était la base fondamentale pour faire la révolution et changer la société. La culture libertaire était axée sur la publication de livres, brochures, revues et périodiques, ainsi que sur la création d’athénées, d’écoles, de coopératives, de mutuelles, de syndicats, etc.
Autre rôle significatif : celui développé par l’École moderne de Ferrer qui servira d’exemple pour la création des écoles rationalistes. Toutes ces initiatives influeront définitivement le prolétariat et seront la base de la philosophie culturelle de la CNT.

La culture ouvrière autodidacte

Il s’agit de la culture valorisant les liens entre l’individu et son environnement écologique, dont le but est l’usage de la production et non le profit. L’influence des anarchistes français Élysée Reclus (pour sa géographie sociale) et Paul Robin (pour le néomalthusianisme) traversera le mouvement anarchiste ibérique pour donner naissance à une nouvelle culture de la nature et de l’espace urbain.

Les athénées libertaires

Ces espaces de culture et de formation commencèrent à se développer dans les villes au XIXe siècle, à l’aube de la révolution industrielle, à l’initiative des couches populaires, mais furent en grande partie récupérées par la bourgeoisie et l’Église catholique. Il faudra attendre le début du xxe siècle pour voir naître les athénées populaires, les cercles républicains et les maisons du peuple, authentiques universités populaires qui virent surgir de leur sein les athénées libertaires, qui se développèrent sous la seconde République.
Souvent, ces athénées partageaient des locaux avec la CNT et se transformaient en lieux de rencontre avec les habitants du quartier (de la ville) ou du village, diffusant les idées libertaires par le biais de leurs brochures, livres, représentations théâtrales, récitals de poésie, conférences sur la santé et la sexualité, organisations d’excursions, création de groupes naturistes, etc.
La victoire de Franco mit fin évidemment à l’existence de ces athénées. À la mort de celui-ci, le désir de liberté propice à la résurgence du mouvement anarchiste vit naturellement la renaissance des athénées libertaires qui, aujourd’hui, s’occupent – entre autres – des problèmes des habitants du quartier, veillant à ce que les mairies ne prennent pas de décisions contraires à la volonté populaire. Actuellement le nombre d’athénées est bien inférieur à celui des années 1930, mais malgré tout, ils continuent leur action culturelle et revendicative, créant ainsi un espace de liberté autogérée, refusant les subventions publiques qui endorment d’autres associations, et dépendant uniquement des cotisations de ses membres et des activités organisées afin de recueillir des fonds.

Ferrer i Guardia et le rationalisme antidogmatique de l’École moderne

Francesc Ferrer i Guardia fonde son École moderne en 1901, issue de diverses influences notamment de l’anarchisme, de la libre-pensée et de la franc-maçonnerie. On peut retrouver la trace de Paul Robin, Sébastien Faure, Léon Tolstoï, Rousseau, Pestalozzi ainsi que des propagateurs de l’École nouvelle : Dewey, Montessori et Decroly.
Ferrer va être le porte-drapeau d’une raison qui, en termes d’enseignement, s’est opposée à l’autorité et à la foi qui prétendaient détenir en leur sein la vérité des connaissances. Pour Ferrer, la raison, dans son école, se transforme en outil pour combattre l’ignorance et l’erreur, mettant en relief sa capacité à entrer dans la réalité pour s’imprégner du savoir qu’elle renferme, en dehors de tout préjugé ou a priori.
Mais dans le rationalisme proposé par Ferrer, il ne suffit pas d’utiliser la raison pour connaître ou interpréter le monde, il faut également développer une attitude rationnelle critique envers tout ce qui, traditionnellement, s’est opposé au savoir et donc à l’émancipation de l’être humain.

La presse anarchiste et anarcho-syndicaliste jusqu’en 1939

Base de développement importante de l’anarchisme, la propagande consiste à éditer des livres et des brochures et à publier des périodiques, des revues et des quotidiens. L’objectif ? Délivrer une information alternative pour dénoncer les abus des possédants de la bourgeoisie ou pour faire le point sur les grèves en cours et diffuser les idées libertaires.
Paco Madrid nous dresse une liste des innombrables titres de la presse anarchiste, entre autres : Solidaridad Obrera créé en 1907, devenant quotidien en 1916, Tierra y Libertad (Terre et liberté) fondé en 1888 qui se transforme en organe officiel de la FAI, le quotidien CNT, voix officielle de la confédération à l’échelon national (le 14 novembre 1932).
Si cette nombreuse presse anarchiste accordait plus d’importance au fond qu’à la forme, le style n’en était pas absent, ni les incursions dans le domaine littéraire et poétique. Le gros des articles publiés était rédigé non pas par des journalistes professionnels (il y en eut peu, principalement dans les quotidiens), mais par des ouvriers ou des paysans qui considéraient cette tâche comme un acte militant et donc bénévole. À signaler que le taux d’analphabétisme en Espagne avant 1936 (près de 50 %) était pallié par la pratique des lectures publiques des journaux par ceux qui savaient lire.

La presse libertaire dans la clandestinité (1939-1975)

Malgré la répression féroce qui suivit la victoire militaire de Franco en 1939 – qui se traduisit par le démantèlement de tous les comités nationaux clandestins de la CNT – la presse confédérale continua de paraître plus ou moins régulièrement jusqu’en 1947. Qu’il s’agisse de Solidaridad Obrera, CNT, Castilla Libre ou de toutes les publications régionales de la CNT ou des Jeunesses libertaires. Certains numéros furent même confectionnés manuellement à l’intérieur même des prisons où les comités cénétistes se reconstituaient.
Bien qu’un déclin de la presse libertaire s’amorce à partir des années 1950, des bulletins ou périodiques continueront d’être édités, étant ainsi souvent la seule source fiable d’information des luttes sociales sous la dictature franquiste, en même temps qu’une réaffirmation constante de l’idéal anarchiste et anarcho-syndicaliste.

La presse libertaire pendant la transition (1976-1980)

Des revues indépendantes, que l’on peut qualifier de libertaires à leur début, rencontrent un écho favorable dans les milieux anarchistes (Ajoblanco, Bicicleta, Askatasuna), atteignant des tirages de 10 000 à 50 000 exemplaires, mais qui disparaissent au début des années 1980 (ce qui correspond d’ailleurs à une période de recul de la mouvance libertaire). Parallèlement à ces revues indépendantes vont voir le jour une multitude de bulletins ou périodiques des différentes sections syndicales de la CNT, ainsi que les publications des nombreux athénées créés pendant ces années de transition.
À noter également les reparutions de revues spécifiquement anarchistes comme Nosotros, Tiempos Nuevos, Tierra y Libertad (toutes éditées par la FAI) ainsi que Mujeres Libres (par le groupement du même nom).

La presse libertaire en Espagne (2001-2009)

La presse anarcho-syndicaliste est divisée en trois : celle de la CNT, celle de la CGT espagnole et celle de Solidaridad Obrera, et leurs dérivés « locaux ». La presse anarchiste est partagée avec d’une part : la FAI, les Jeunesses libertaires, les anarcha-féministes et, d’autre part, les organisations thématiques : écologiques, antimilitaristes, antiprisons, punks, etc. De 1976 à 2005 on recense 1 400 titres. Pour les années 2001 à 2009 un total de 273 publications voit le jour, ce qui peut paraître beaucoup mais représente en fait une certaine baisse : on estime qu’à la fin 2009 seulement 35 périodiques auraient été créés.
Il y a plusieurs raisons à cela : le déclin de la lecture (y compris chez les anarchistes), la publication de textes longs, confus et en dehors de l’actualité, le manque d’attraction des publications (notamment auprès des jeunes qui ont une culture visuelle) et, bien entendu, le phénomène Internet sur lequel on trouve maintenant de nombreuses publications libertaires (certaines ayant complètement renoncé à l’impression papier).
Malgré tout, Carles Sanz conclut : « Des signes d’espoir laissent à penser que certaines de ces revues ont une qualité suffisante pour stimuler le débat et la réflexion. »

L’art graphique révolutionnaire

Miguel Sarró « Mutis » nous dresse un panorama détaillé de l’essor des arts graphiques en Espagne, par le biais de ses dessinateurs et affichistes, qu’ils soient anarchistes ou qu’ils aient produit des affiches commandées par les organisations anarchistes.
Sur ce même thème, il est vivement recommandé de se procurer les deux volumes publiés par les Éditions libertaires : Les Affiches des combattants de la liberté, en vente à la librairie du Monde libertaire.

Révolution sociale et procréation ouvrière consciente

Édouard Masjuan rappelle ici le développement des idées néomalthusiennes diffusées dans les milieux ouvriers par le biais de la propagande anarchiste (comme Paul Robin et d’autres l’avaient fait en France).

Le naturisme intégral ou libertaire

Le naturisme en Espagne connaît son apogée dans les années 1920 et 1930 avec, comme référence, le retour à la nature. Il existera diverses tendances dont celle dite du naturisme intégral, qui considère impossible d’être naturiste à 100 % sans qu’il y ait eu auparavant une révolution sociale, se rattachant ainsi à la pédagogie libertaire, à la libération de la femme et au néomalthusianisme.

La santé libertaire en Espagne

La santé est un problème pris en compte chez les anarchistes de tous les pays. Un grand nombre de professionnels de la santé seront des militants anarchistes, suite au constat des effets de la révolution industrielle sur les conditions de vie et de travail du prolétariat. Martí Boscá étudie ce problème sous six périodes (allant de la 1ere Internationale à la clandestinité sous Franco) donnant « un bref résumé avec quelque noms parmi les centaines de militants libertaires qui pensèrent que la révolution sociale était la meilleure thérapeutique pour une société malade ».

La littérature anarchiste

Gimeno nous donne une définition de la littérature anarchiste : « Littérature qui prend comme base quelques éléments constituant le fondement théorique de l’anarchisme, à savoir le rejet de l’autorité et de toute oppression de la part d’un individu ou groupe d’individus sur d’autres ; ce qui implique le rejet de l’État et de ses institutions fondées sur la hiérarchie (armée, salariat, etc.). »
Dans ce sens, il est évident que la littérature anarchiste ne consiste pas seulement en créations exclusivement anarchistes mais, également, en œuvres basées sur les thèmes défendus par l’anarchisme.

Poésie libertaire en action

La sensibilité poétique est présente dans les publications acrates dès la 1ere Internationale. Avec la création de la CNT, les groupes culturels se multiplient dans toute la péninsule : les athénées, les cercles culturels, les syndicats, et les coopératives disposeront de groupes poétiques qui aideront à promouvoir le cénétisme et la culture libertaire dans les quartiers des villes, dans les villages et les bourgs.
Le combat poétique libertaire atteint son apogée pendant la guerre civile grâce aux groupes poétiques constitués autour des syndicats de la CNT, des Jeunesses libertaires, de Mujeres Libres, des athénées libertaires, des comités révolutionnaires de quartiers ou des comités des entreprises collectivisées.
Pour compléter ce chapitre, Mateo Rello dresse un portrait du groupe de poètes catalans : Los de Barcelona (Ceux de Barcelone), tandis qu’Adán Olisipio évoque, lui, le groupe surréaliste de Madrid.

Le théâtre anarchiste en Catalogne (1890-1914)

Une des premières œuvres, L’Archidiacre de San-Gil (1886), évoque la Commune de Paris. L’année 1894 voit la création à Barcelone de la Compagnie libre de déclamation, dont le but est de présenter des œuvres en marge du répertoire commercial de par leur contenu politique et, en même temps, d’inclure des œuvres au contenu explicitement anarchiste.
D’autres troupes se succèderont jusqu’à la guerre avec la FCSTA (Fédération catalane des sociétés de théâtre amateur) progouvernementale (Généralitat) et le Suep (Syndicat unique des spectacles publics) d’obédience anarchiste. La victoire de Franco mit fin à ces structures organisationnelles théâtrales.

Cinéma anarchiste

La naissance du cinéma a été une des créations humaines qui ont le plus marqué le XXe siècle. Les premiers films mettant en scène des anarchistes seront plus que caricaturaux : l’anarchiste est comploteur, lanceur de bombes, etc. Puis, les anarchistes eux-mêmes s’approprieront ce nouvel art. Cerviño Vila nous rappelle les premières œuvres françaises évoquant le prolétariat et ses luttes : Victime des exploiteurs (1914), La Commune (1914), l’expérience du Cinéma du peuple et du Cinéma éducateur des années 1920, le travail de dialoguiste de Jacques Prévert, le groupe Octobre des années 1930 et le cinéma militant issu de mai 1968.
En Espagne, et par le biais du Suep puis du SIE (Syndicat de l’industrie du spectacle), la CNT produira et distribuera de nombreux documentaires de propagande et des reportages sur la guerre qui fait rage, mais également des œuvres de fiction dénonçant les travers de la bourgeoisie et glorifiant l’idéal libertaire.
Plus près de nous, en 1967, sont organisées les Premières journées internationales des écoles de cinéma, qui regroupent tous les représentants de la dissidence politico-cinématographique sous le franquisme.
Plus tard naît la CCA (Coopérative du cinéma alternatif) qui se définit à partir de 1975 comme libertaire. Également libertaire le film Voyage dans l’exploitation du collectif SPA (pour Salvador Puig Antich). Par la suite des ex-membres de ces deux collectifs (CCA et SPA) réaliseront deux films militants : Guerrileros (1978) et Quico Sabaté (1980), tous deux explicitement libertaires. Cerviño Vila complète son article en donnant une liste de films récents mettant en scène des anarchistes ou la guerre civile (Libertarias, Land and Freedom entre autres).

La guérilla au cinéma et à la télé

De même qu’en URSS des films mettaient en scène Nestor Makhno, le présentant comme un bandit de grand chemin, en Espagne dans les années 1950 sont réalisés des films sur les guérilleros de différents maquis les assimilant à de vulgaires malfaiteurs. Il faudra attendre les toutes dernières années du franquisme pour voir traité à l’écran le sujet de la guérilla « vaincue mais digne » avec plusieurs courts et longs métrages. Dans les années 1980 la télévision (TVE Catalunya) programmera une série de documentaires sur la guérilla, de même que TV Galicia.
Dans les années 1990, sur grand écran cette fois, des films seront consacrés à des maquis spécifiquement anarchistes. D’autres longs métrages sont actuellement en préparation, ayant pour sujet des « figures » de la guérilla.

Le cinéma militant des années 1970

En Catalogne, de 1967 à 1981, un mouvement cinématographique actif se développe en réaction aux abus du pouvoir. Il s’agit très souvent d’œuvres collectives, considérées comme des outils de combat social, politique et citoyen. Beaucoup de ces collectifs sont de tendance libertaire comme la Coopérative de cinéma alternatif dont nous avons déjà parlé.
Cette vague créative prend fin avec la farce que constitue pour ces collectifs la victoire électorale du PSOE en 1982. Malgré tout, les documentaires de cette période dorée du cinéma militant, valent la peine d’être sauvés pour éviter l’oubli qu’ils s’efforçaient de combattre.
En annexe : un chapitre sur Paco Ríos auteur du documentaire Durruti dans la révolution espagnole, d’après le livre d’Abel Paz.

Conclusion

Ce document se termine par des interviews de Conxa Pérez et Enric Casañas, membres du mouvement libertaire ayant vécu la révolution commencée le 19 juillet 1936. S’ensuit un entretien avec l’historien du mouvement anarcho-syndicaliste Chris Ealham et une contribution de Noam Chomsky (qu’on ne présente plus).
Comme nous l’avons dit au début, la lecture de ce document de 64 pages est vivement conseillée. Ceux qui comprennent le castillan peuvent y avoir accès sur les sites indiqués ci-dessous (12). Pour les autres, nous nous proposons de traduire intégralement certains chapitres qui nous paraissent particulièrement intéressants (le choix sera quand même difficile !). Sinon, les différentes centrales anarcho-syndicalistes espagnoles organisent tout au long de cette année des manifestations, conférences, débats, etc. dans différentes villes d’Espagne. On trouve les lieux et dates sur leurs sites respectifs.


NOTES
1. soliobrera.cnt.es http://soliobrera.cnt.es/
2. UGT : Union générale des travailleurs, fondée en 1888.
3. PSOE : Parti socialiste ouvrier espagnol, fondé en 1879.
4. Solidaridad Obrera : Solidarité ouvrière, créée en 1907. Elle se transformera en CNT trois ans plus tard. Son organe de presse du même nom deviendra plus tard le quotidien de la CNT régionale catalane.
5. Semaine tragique : émeutes à Barcelone en juillet 1909. La répression est féroce. Francesco Ferrer sera exécuté à la suite d’une parodie de procès.
6. Faïstes : membres de la Fédération anarchiste ibérique (FAI) créée en 1927.
7. Trentistes : partisans de la tendance plus modérée regroupée autour du manifeste des Trente.
8. CCMA : Comité central des milices antifascistes. Créé le 21 juillet 1936 et dissous le 26 septembre de la même année.
9. PSUC : Parti socialiste unifié de Catalogne, créé en 1936. Il s’agit de l’équivalent catalan du Parti communiste espagnol (stalinien).
10. FAI : Fédération anarchiste ibérique. JJLL : Jeunesses libertaires. Poum : Parti ouvrier d’unification marxiste (non stalinien).
11. ACR : Action catalane républicaine. UR : Union républicaine.
12. soliobrera.cnt.es http://soliobrera.cnt.es/ et soliobrera.org http://soliobrera.org/

http://www.socialisme-libertaire.fr/201 ... lisme.html
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Re: Histoire de la CNT Espagne

Messagede bipbip » 25 Nov 2016, 11:24

1976 : Entre espoir et désillusion, la renaissance de la CNT espagnole

Dans l’Espagne débarrassée de l’ombre de Franco, un vent de liberté traverse la Péninsule. Après 40 ans de régime dictatorial, la centrale syndicale libertaire, la CNT, sort de la clandestinité. Témoin et acteur de cette renaissance, Angel Bosqued, secrétaire international de la CGT espagnole, revient sur ces années d’espoir d’un renouveau libertaire au pays de Cervantes, sur ses temps forts, ses contradictions et ses échecs.

Alternative libertaire : Quel est le contexte social et politique de l’État espagnol au cours des dernières années du régime franquiste ?


Angel Bosqued : Des changements fondamentaux se sont produits au cours des années qui ont précédé la mort de Franco, le 20 novembre 1975. Mais, jusqu’à la fin de l’année 2000, on trouve des traces du franquisme chez des personnalités significatives de la société espagnole.

Pour nous en tenir aux années 1970, après une phase de développement commencée en 1957, l’économie espagnole connaît une crise importante, avec une inflation qui atteint les 17 % et des taux de chômage entre 9 et 16 %.

Dans le contexte géopolitique de guerre froide, les traités d’« amitié et de coopération » avec les États-Unis sont renouvelés (installation de bases militaires contre la fourniture de lait en poudre). Sur le plan politique, l’ETA assassine le chef du gouvernement Carrero Blanco à Madrid le 20 décembre 1973. Toute une série de nouveaux assassinats de policiers et de militaires suit.

En 1975, on note malgré tout un certain fléchissement du régime. Pour la première fois, l’Église, qui exerce à cette époque un pouvoir de fait essentiel, se prononce publiquement en faveur des droits d’association et d’expression. Cette même année, le catalan, le basque et le galicien sont reconnues comme langues co-officielles aux côtés du castillan. Le 18 novembre, les Cortes, une sorte de parlement désigné par le parti unique, décrètent la fin de la présence espagnole au Sahara occidental.

Côté répression par contre, le régime demeure inflexible et continue à assassiner ses ennemis. Parmi les dernières exécutions, soulignons celles de Puig Antich (garroté le 2 mars 1974 avec le condamné de droit commun Heinz Chez), de Paredes Manot « Txiki » âgé de 21 ans et d’Angel Otaegui, 33 ans, tous deux militants de l’ETA, fusillés à Burgos. Ce même jour, José Luis Sànchez Bravo, 22 ans, Ramon Garcia Sanz, 27 ans, et José Humberto Baena Alonso, 24 ans, membres du FRAP, sont fusillés à Hoyo de Manzanares. N’oublions pas non plus que le 3 mars 1976, à Vitoria, la police a lancé des bombes lacrymogènes à l’intérieur d’une église et tiré sur ceux qui en sortaient, tuant cinq personnes qui participaient à une lutte syndicale.

Le 20 novembre 1975, la mort de Franco s’accompagne, selon les personnes, de quelques jours de fête, de silences, de doutes et de changements au sein de l’appareil d’État. Un nouveau roi, désigné préalablement par Franco, exerce le pouvoir monarchique malgré la survivance temporaire des vieilles institutions qui assuraient le contrôle totalitaire. Ainsi, Juan Carlos Ier sera chef d’État, mais non pas chef de gouvernement. Ce n’est que le 15 juin 1977, après avoir ouvert la voie à la légalisation des partis politiques, qu’auront lieu les premières élections législatives à un parlement « démocratique ». Le 6 décembre 1978, une nouvelle constitution, toujours en vigueur, est adoptée par référendum.

Peux-tu revenir sur les premières années d’activité de cette CNT reconstituée ?

Jusqu’en 1951, la CNT et des groupes libertaires avaient maintenu une action clandestine très active, avec notamment une grève sauvage des tramways à Barcelone.

Le 27 mars 1976, l’acte de renaissance officielle de la CNT a lieu au cours d’un meeting public à San Sebastián de los Reyes à Madrid. Néanmoins, le moment fort de cette renaissance est surtout, le 2 juillet 1977 à Barcelone, le meeting de Montjuic, qui attira plus de 300 000 personnes. Un meeting qui impressionna tout le monde et qui marquait le retour officiel de la CNT dans le paysage social ibérique.

Malgré le succès du meeting de Montjuic, la réalité de reconstruction de notre centrale était moins évidente. L’activité de la CNT était fragile. Comme celle d’ailleurs de toutes les organisations du mouvement social dans cette période postfranquiste. Nous sortions d’une dictature de quarante ans et les envies de liberté étaient immenses. En même temps, nous faisions face à une violence très importante de l’extrême droite qui n’entendait pas perdre ses prérogatives.

La création de sections syndicales, de syndicats locaux, la présence au sein des assemblées, des manifestations, comme les combats de rue contre la police ou les fascistes, étaient continus. En partant de zéro, la CNT compta rapidement pas moins de 300 000 adhérents et adhérentes, dont 100 000 en Catalogne.

Face à cette croissance vertigineuse de nos effectifs, le fait est que nous n’étions pas préparés pour digérer autant de personnes qui venaient de traditions diverses. On y retrouvait : des syndicalistes de lutte de classe, la génération des vétérans de 1936 attaché-e-s à leur héritage historique mais aussi des camarades issu-e-s des luttes autour des thématiques plus en lien avec le monde des années 1970, à savoir : l’homosexualité, le nucléaire, le féminisme.

Le premier congrès de la CNT, à Madrid en décembre 1978, donna lieu dans ce contexte à une rupture brutale. S’y est concrétisé un vrai choc générationnel entre la vieille garde et la nouvelle génération, notamment autour du débat sur la question des élections syndicales. La génération de 1936 entendait de ne pas déroger au dogme de refus des élections syndicales. Quant à nous, nous avions la conviction qu’il s’agissait, en lien avec la nouvelle réglementation du droit syndical, de l’unique moyen de construire et consolider une organisation anarcho-syndicaliste de masse, en prise avec la réalité.

Un autre événement fut à l’origine de notre perte de vitesse, puisqu’il provoqua au départ d’une bonne partie de nos affilié-e-s, c’est l’affaire Scala. En marge d’une manifestation organisée par la CNT, à Barcelone le 15 janvier 1978, contre le Pacte de la Moncloa qui allait, avec le soutien des syndicats réformistes (UGT, CCOO) flexibiliser le marché du travail, des cocktails Molotov sont lancés contre un théâtre : la Scala. Un incendie s’y déclare et quatre salariés du théâtre meurent, avec, parmi eux, un adhérent de notre organisation. La CNT est accusée d’être à l’origine de l’incendie. Elle est stigmatisée par la presse qui la montre du doigt. En fait, après enquête et procès, il s’agissait d’une manipulation policière visant à discréditer le mouvement libertaire, alors en pleine expansion. Elle permettait, en tout cas, de justifier la répression à notre encontre. Le mal est fait : en interne, la CNT se déchire.

Quelles relations la CNT avait-elle au niveau international dans ces années 1970 ? Et quel fut, dans les faits, le soutien qu’apportèrent des organisations sœurs à la reconstruction de celle-ci ?

Les relations internationales étaient avant tout en lien avec la CNT en exil ainsi qu’avec les sections de l’internationale anarcho-syndicaliste : l’Association internationale des travailleurs et des travailleuses (AIT). Les soutiens que recevaient la CNT durant les années de dictature étaient nombreux. Ils émanaient de la CNT en exil, depuis ses sections au Mexique, Venezuela, Argentine, en Angleterre et Canada, qui nous envoyaient de l’argent, des livres, des journaux.

Mais le soutien le plus effectif depuis l’extérieur venait de l’exil proche, avec pour centre névralgique Toulouse et sa nombreuse colonie libertaire espagnole. La CNT en exil de cette ville apportait surtout un soutien au niveau stratégique et idéologique.

Ce soutien de la CNT en exil fut décisif : il nous a permis, nous, jeunes libertaires qui militions ici en Espagne, de reconstruire le fil conducteur de notre histoire de par ce lien avec des camarades qui avaient vécu la révolution de 1936. Grâce à eux, nous avons acquis la conviction qu’il était possible de reconstruire dans la Péninsule quelque chose.

Nous recevions aussi le soutien de la petite CNT française comme des secteurs anarcho-syndicalistes et libertaires qui militaient à la CFDT, à FO ou à la CGT.

Un autre soutien déterminant fut celui de la centrale syndicale libertaire suédoise : la SAC. Stockholm nous envoyait beaucoup d’argent pour la propagande (tracts, journaux, affiches), sans rien nous demander en échange. La SAC nous enseigna des idées modernistes du point de vue du paradigme idéologique, avec notamment une vision très constructive de ce que devait être l’internationalisme. Une vieille tradition de soutien d’ailleurs de la part de nos camarades suédois, puisqu’ils et elles furent nombreux et nombreuses à venir combattre les armes à la main dans les milices libertaires de 1936.

Le soutien de la SAC a, en tout cas, été important dans notre processus de reconstruction. Un soutien permanent puisqu’il s’étendit jusqu’à la fin des années 1980.

Si je devais, enfin, détacher une personnalité dont le soutien, fut précieux c’est Rudolf De Jong. Responsable de l’Institut international d’histoire sociale d’Amsterdam, il a joué un rôle important pour regrouper et préserver nos archives, en particulier celles qui avaient trait au rôle de la CNT pendant la période 1936-1939.

De la crise de la CNT de ces années naîtra la CGT. En quoi, pour toi, la CGT d’aujourd’hui est-elle l’héritière de la CNT ?

De la CNT fondée en 1910 sont nées à l’aube des années 1970 des cadres militants, qui vont bien au-delà de la seule CNT de 1976. Une CNT à peine reconstituée mais qui connaît une vraie rupture trois ans plus tard. La CNT, suite à ses conflits internes, implose en 1979. De cette implosion sortent une CNT-AIT dite « orthodoxe » (dominée par la génération de 1936) et la CNT dite « rénovée » (portée, elle, essentiellement par la nouvelle génération militante). La CNT rénovée, en 1984, deviendra la CGT. Ce changement de sigle ne sera pas de notre fait : il sera la conséquence d’un procès que nous a attenté le secteur orthodoxe. On peut néanmoins se demander jusqu’à quel point la justice bourgeoise n’a pas délibérément favorisé par ce jugement le secteur orthodoxe qui était, de fait, le moins enclin à se développer syndicalement. Car, derrière cette histoire de sigle, il y avait un vrai enjeu autour, notamment, du retour à la CNT de ce que l’on appelle le patrimoine historique, à savoir les locaux syndicaux confisqués à la centrale syndicale libertaire par le régime franquiste en 1939.

De la CNT des origines, la CGT se revendique de sa filiation historique et idéologique. De même, nous nous inspirons de son fonctionnement horizontal : où les adhérentes et adhérentes construisent et prennent les décisions à la base. Nous poursuivons, en outre, l’idée d’expropriation des moyens de production et leur autogestion par les travailleurs et travailleuses. Nous portons, enfin, l’idée un peu folle que l’émancipation des exploité-e-s sera l’œuvre des exploité-e-s eux-mêmes, sans intermédiaire, ni avant-garde qui parle en son nom. Une émancipation qui ne peut exister que par une rupture radicale car, pour nous comme pour nos aïeux, le capitalisme n’est pas réformable.

Propos recueillis par Jérémie (AL Gard), traduction de Jérémie et José

http://www.alternativelibertaire.org/?I ... -espoir-et
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Re: Histoire de la CNT Espagne

Messagede bipbip » 18 Fév 2017, 16:27

Salvador Seguí

Salvador Seguí : une figure incontournable de l’anarcho-syndicalisme espagnol

S’il est une personnalité de l’anarcho-syndicalisme qui a été en phase avec la sensibilité d’un peuple, et dont l’influence s’est prolongée au-delà de sa génération, c’est sans aucun doute Salvador Seguí i Rubinat, né à Lleida en 1887, mais qui, très tôt, s’établit avec sa famille dans le Barrio Chino [1] de Barcelone.
C’est dans cette ville que, encore enfant, il commença à vendre des caramels et autres sucreries dans les bars, cafés et théâtres de variétés, tandis que sa mère vendait des fleurs, principalement dans les théâtres de l’avenue du Paralelo.
Des années plus tard, dans ces arrière-salles des bars du Centre sur la Rambla ou de l’Español sur le Paralelo, le jeune Salvador allait vendre des sucreries, job qui lui valut alors le surnom de « Noi del sucre » (enfant du sucre en catalan) [2]. Après les caramels, Seguí trouva du travail comme apprenti peintre dans un atelier de la rue Lancaster, mais, n’appréciant pas vraiment cet emploi, il changea souvent d’atelier et de maître-peintre.

Le militant

Toutefois, très jeune, il se passionna pour tout ce qui avait trait aux sociétés ouvrières, du tract au meeting, et il assista aux nombreuses réunions qui avaient lieu dans les bars cités plus haut, ou dans ceux, plus glauques, du District 5, y prenant la parole avec une grande clairvoyance dans les idées.
C’est ainsi que, à 17 ans à peine, il donna sa première conférence publique dans le local de la société Lara, situé dans le quartier du Pueblo Seco [3]. Par ce premier meeting, il entendait protester contre le gouvernement argentin et sa loi de résidence, laquelle avait servi à expulser de ce pays plusieurs anarchistes espagnols, parmi lesquels Julio Camba, qui se trouvait être présent à cette conférence. Était également présent Lerroux [4], qui quitta la salle, en désaccord avec les paroles dures de ce jeune de dix-sept ans.
Les réunions de groupe le passionnaient tellement qu’il créa le sien, le dénommant « Les Fils de pute ». Parmi ses membres se trouvait son ami Joan Rull (personnage mystérieux qui évoluait entre secrets d’État et provocations à la bombe, et qui, quelques années plus tard, en 1908, serait fusillé dans les fossés de Montjuic).
Salvador Seguí connaîtra sa première interpellation, pour quelques heures seulement, en 1902, pendant la grève de la métallurgie. Mais c’est en 1907 qu’il subira une véritable détention, première d’une longue série ; détention intervenue à la suite d’un meeting lerrouxiste au théâtre Condal, qui se termina par des bagarres au cours desquelles mourut un ouvrier. Arrêtés, Seguí et d’autres passeront plus de neuf mois en prison.

Avec ses frères de classe

Il participa ensuite au congrès constitutif de Solidarité ouvrière, ainsi qu’au premier congrès de la CNT en 1911. Seguí, comme beaucoup d’autres ouvriers anarcho-syndicalistes barcelonais autodidactes, a une grande formation culturelle et sociale issue du Barrio Chino, de l’Athénée encyclopédique populaire [5], du café Español du Paralelo et de la prison Modelo [6]. L’engagement de Seguí auprès du peuple barcelonais fut donc constant, que ce soit au meeting de Las Arenas, dans la grève de la Canadiense, dans le travail ardu des commissions mixtes [7], ou dans la déportation à la forteresse de Mahón [8]. Toujours en but à des attaques et manœuvres, il fut accusé d’être un indicateur et même jugé dans son propre syndicat où, au cours d’une allocution de plus de douze heures, il réfuta chacune des accusations, mettant ainsi un terme définitif à cette affaire. Il gênait tant les uns et les autres qu’il fut victime de plusieurs tentatives d’attentats. Finalement, le 10 mars 1923, à l’angle des rues Cadena et San Rafael, il ne put échapper à la macabre manœuvre du syndicat patronal catalan, qui avait mis à prix sa tête. Seguí tomba alors sous les balles de Inocencio Feced et de ses acolytes du Syndicat libre [9]. Quelques mois plus tard (septembre 1923), Artemio Precioso, qui dirigeait à Madrid la collection La Novela de hoy (« Le Roman d’aujourd’hui »), publia Escuela de rebeldía (« École de rébellion »), roman écrit par Seguí, dans lequel, curieusement, le héros était assassiné à l’angle des rues Riereta et San Rafael, c’est-à-dire deux rues plus loin que dans la réalité. C’était comme si Seguí connaissait parfaitement sa propre fin, ne se trompant que de quelques mètres.

Manel Aisa

1. Situé dans le quartier du Raval. Ce nom de Barrio Chino fut donné à ce quartier « chaud » de Barcelone par un journaliste (Paco de Madrid) en référence au Chinatown de San Francisco, lieu de tous les trafics. L’article eut beaucoup de succès et le nom perdura (même si, évidemment, il n’y avait aucun Chinois dans ce quartier).
2. D’autres interprétations sont avancées. Salvador Seguí avait travaillé brièvement dans une raffinerie de sucre, d’où ce surnom « d’enfant du sucre ». Autre explication (la plus répandue) : Seguí avait pour habitude de croquer les morceaux de sucre qu’on lui servait avec le café.
3. Plus connu sous son orthographe catalane : Poble Sec. Ce quartier est situé entre ceux du Raval et de Montjuic.
4. Alejandro Lerroux (1864-1949), politicien catalan prônant l’extrémisme de gauche, d’où sa popularité dans les milieux ouvriers au début du XXe siècle, tout en demeurant farouchement au centre, notamment durant l’insurrection spontanée de juillet 1909 à Barcelone, pour virer à droite à partir de 1931.
5. Voir l’histoire de cet athénée dans Le Monde libertaire hors série n° 43 (décembre 2011-février 2012).
6. Prison centrale de Barcelone construite en 1904.
7. Structures paritaires où se négociaient les acquis et droits des travailleurs.
8. Mahón (Maó en catalan), ville où se trouvait la forteresse de la Mola, servant de prison, située aux Baléares (Minorque).
9. Sindicato libre ou lliure (en catalan), appelé aussi La Patronal. Syndicat patronal dont certains des membres étaient le bras armé du patronat, chargés d’assassiner les militants les plus en vue de la CNT. Ils étaient payés pour ces basses besognes et recevaient également l’aide des autorités catalanes.


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Re: Histoire de la CNT Espagne

Messagede Pïérô » 05 Jan 2018, 02:39

Brève histoire de la CNT espagnole

José Peirats Valls
(Masseube 2003)

Quelques mots du traducteur
Il n’est pas inutile d’avoir un texte complet du meilleur spécialiste de la CNT, le maçon autodi-dacte, José Peirats (1908-1989) désigné en exil pour rédiger « La CNT en la Revolución Española », en trois tomes. Jamais neutre, et toujours direct, Peirats nous donne une vision non triomphaliste posi-tive. L’auteur des notes, José Viadiu (1889-1973), est connu pour son livre sur Salvador Seguí et son activité dans la presse de l’exil. Il représente une génération antérieure à celle de Peirats.
Le texte et les notes viennent de la traduction-adaptation castillane de l’Encyclopédie anarchiste éditée en Amérique latine entre 1972 et 1984 par Víctor García, qui beaucoup contribué à enrichir la culture anarcho-syndicaliste de la CNT. La maison d’édition Madre Tierra de Madrid a eu l’idée d’en faire une brochure en 1991. Les intertitres, les parties entre crochets et quelques notes sont du traduc-teur.
Frank Mintz

... http://www.fondation-besnard.org/spip.php?article3
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