Italie, il y a 90 ans: Le fascisme met fin aux années rouges

Italie, il y a 90 ans: Le fascisme met fin aux années rouges

Messagede Pïérô » 09 Oct 2010, 13:48

Un article de la FdCA (Fédération des Communistes-anarchistes) italienne paru dans Alternative libertaire de septembre :

Septembre 1919 : Le fascisme met fin aux années rouges italiennes

Quand, en septembre 1920, les plus grandes usines du nord de l’Italie sont occupées par des ouvriers et ouvrières en armes, une perspective révolutionnaire semble se dessiner après deux années de luttes intenses. La bourgeoisie a alors recours à un nouveau type de mouvement, le fascisme, pour mettre fin à ces « deux années rouges » (bienno rosso).

Ce premier bienno rosso, avant celui de 1968 et 1969, est le produit du massacre mondial, qui s’achève le 4 novembre 1918 pour l’Italie. Malgré une place parmi les puissances victorieuses, le pays est plongé dans une profonde crise sociale et politique, qui provoque l’irruption massive du prolétariat et de la paysannerie sur la scène politique. Comme dans les autres pays belligérants, le ralliement à la guerre d’une bonne partie du mouvement ouvrier [1], a poussé les classes populaires dans la « guerre patriotique » avec la promesse d’un avenir meilleur. Après avoir payé de son sang le prix fort pour cette guerre, la déception fut grande. Ces promesses ne furent tenues ni par la monarchie ni par la bourgeoisie, laquelle s’était énormément enrichie grâce à l’économie de guerre.

Le réveil de la lutte de classe

Le système industriel développé par la guerre ainsi que l’importante urbanisation des centres productifs du nord de l’Italie, a généré un prolétariat combatif et déterminé, qui a salué la Révolution des Soviets en Russie comme perspective pour l’Europe toute entière. En août 1917, à Turin, – grand centre de l’arsenal de guerre italien – des milliers de travailleurs et travailleuses descendent dans la rue pour exiger du pain et des aliments qui commencent à manquer et l’arrêt immédiat de la guerre. Cette insurrection antimilitariste turinoise est écrasée par l’armée royale. Le mouvement ouvrier laisse des dizaines de morts et de blessés et des centaines de travailleurs seront envoyés au front en représailles.

Dans tous les centres industriels du nord, le ferment révolutionnaire se référait à l’expérience soviétique. La victoire militaire désastreuse mettait en évidence la situation de la bourgeoisie, sortie du conflit militaire enrichie mais épouvantée par la lutte de classe qui se profilait et les révolutions russe et allemande. La monarchie était incapable d’affronter la transformation d’une économie de guerre, pas plus que de comprendre la situation déplorable de la grande masse des paysans qui réclamaient en vain une réforme agraire.

Alors que les ouvriers et ouvrières agricoles lancent des luttes pour améliorer leurs conditions de vie, dans les usines, l’exigence du contrôle ouvrier débouche en septembre 1919 sur la création de premiers Conseils d’usines, combattus par les forces syndicales, dont les pratiques réformistes sont remises en cause. Ils parviennent à s’imposer en quelques mois dans les grandes usines et à briser les directions patronales et leurs relais, les « Commissions internes » affiliées aux syndicats. La Chambre du travail de Turin (sorte de bourse du travail) reconnait les Conseils d’usine mais les dirigeants syndicaux restent méfiant envers cette organisation qui pratique et théorise la démocratie prolétarienne. Pour la première fois, cette expérience, s’éloigne de l’organisation syndicale pour emprunter la voie d’un parcours de classe autonome.

Deux tendances révolutionnaires…

Le 24 décembre 1919, une foule immense accueille le militant anarchiste Errico Malatesta sur le port de Gènes. Il revient de son exil londonien grâce à l’intervention de Giuseppe Giulietti, président de l’association des travailleurs de la mer, qui l’a transporté clandestinement jusqu’à Gènes. Les anarchistes sont extrêmement actifs dans ce mouvement et fondent une nouvelle organisation : l’Union des communistes anarchistes d’Italie, qui deviendra en juillet 1920, l’Union anarchiste italienne. La fondation du quotidien L’Humanité Nouvelle permet de lier toutes les initiatives de lutte sur l’ensemble du territoire national et d’affirmer la portée révolutionnaire et libertaire de ce mouvement né d’en bas. Pour convaincre la partie du prolétariat, habituée à une représentation syndicale et politique, qui hésite encore face à ce mouvement, les anarchistes diffusent leur vision d’une révolution, communiste et libertaire.

Mais la bonne audience des militants et militantes anarchistes tient aussi à leur forte implantation dans l’Union syndicale italienne (USI), et pour quelques dizaines de cadres ouvriers, dans la Confederazione generale del lavoro (Confédération générale du travail).

Mais c’est aussi, sans nul doute, la revue L’Ordre Nouveau d’Antonio Gramsci qui, depuis Turin, sut interpréter et alimenter l’expérience des Conseils. Angelo Tasca, Palmiro Togliatti, Antonio Gramsci et d’autres, dont les analyses fortement influencées par l’expérience soviétique ont mûri dans les rangs du courant maximaliste du Parti socialiste italien, ne tardent pas à entrer en conflit aussi bien avec la nomenclature syndicale qu’avec les dirigeants du PSI, hostiles aux Conseils d’usines, mais sortis victorieux des élections politiques de novembre 1919 et renforcés par le consensus électoral obtenu.

La réaction s’organise

Cependant, y compris dans les rangs du courant maximaliste [2], les divergences sont évidentes avec l’aile dirigée par Amedeo Bordiga. Celui-ci explique dans un article paru dans le journal napolitain Soviet intitulé « Prendre les usines ou prendre le pouvoir », que les Conseils sont un frein au projet bolchévique.

Les positions exprimées dans cet article trouvèrent un allié involontaire en la personne de Gino Olivetti, industriel et chef de la Confédération des industriels, une fusion de différentes organisations patronales qui s’unirent pour combattre le mouvement prolétaire. C’est ainsi que lors d’une réunion qu’il présidait et s’adressant à d’autres industriels turinois, il rappela qu’y compris Lénine, en Russie, avait dû mettre fin aux expériences de démocratie directe qui avaient constitué les bases organisationnelles de la révolution, dans la mesure où dans un contexte autogestionnaire, celles-ci ne permettaient ni l’efficacité, ni les résultats qui pouvaient être obtenus dans un système hiérarchisé de direction des usines.

Mais l’allié le plus important de la bourgeoisie n’apparaît qu’en mars 1919, à Milan, quand les Fasci de combattimento (faisceaux de combat) [3] sont fondés, avec à leur tête Benito Mussolini. Cette force politique ne remporte que quelques milliers de voies aux élections politiques de novembre. Son programme, publié en juin 1919 dans le Popolo d’Italia de Mussolini, mêle des revendications syndicales habituelles (journée de 8 heures, salaire minimum, confiscation de tous les biens des congrégations religieuses, etc.) à une culture futuriste [4] et nationaliste issue de l’interventionnisme militaire. Malgré la présence de quelques syndicalistes révolutionnaires qui avaient rejoint Mussolini à l’aube de la guerre, les revendications syndicales sont très vite mises de côté et le mouvement s’oriente clairement vers les intérêts des classes bourgeoises.

Vers la révolution ?

Durant les premiers mois de 1920, les luttes se multiplient ainsi que les occupations de terres et d’usines. L’augmentation des prix et de la répression gouvernementale conduisent à l’intensification de la lutte et accentuent la détermination du mouvement ouvrier.

En avril 1920, commence la grève des « aiguilles » [5] , appelée ainsi pour protester contre l’introduction de l’heure légale qui oblige les travailleurs à ne sortir de l’usine que lorsque tombe la lumière du jour. Rapidement la grève change de sens, réclamant le contrôle de la production, et s’étend à toutes les régions du nord, touchant des millions d’ouvriers et ouvrières, mais aussi de paysans et paysannes. Les cheminots refusent de transporter les troupes militaires destinées à la répression. Le fort mécontentement et les affrontements réguliers avec les forces de police font tomber le gouvernement présidé par Francesco Nitti, remplacé par Giovanni Giolitti [6].

Les industriels, refusant d’augmenter les salaires et de remettre la direction des usines, demandent à Giolitti une intervention répressive pour mettre fin aux mouvements de protestation qui se poursuivent avec des obstructions d’usine et des « grèves blanches ». À la campagne, les premiers affrontements ont lieu entre travailleurs en lutte et fascistes.

Fin août, les industriels tentent de lock outer les usines. Chez Alfa Roméo à Milan, où les ouvriers et ouvrières se battent contre les licenciements, l’usine est immédiatement occupée et les métallos prennent le chemin d’une lutte qui en deux jours armera les ouvriers dans toutes les usines du nord. Le rôle des Conseils d’usine s’avère alors déterminant : l’autonomie et l’action directe dans les usines, le succès grandissant et l’activité effrénée des mouvements communistes, anarchistes ou syndicalistes révolutionnaires, laissent entrevoir une issue révolutionnaire à la crise.

Place au fascisme

Giolitti refuse de répondre aux demandes formulées par les industriels d’évacuer les usines occupées par les travailleurs en armes mais engage une négociation avec le PSI et la CGL, qui se sont clairement refusés à diriger le mouvement insurrectionnel, et acceptent le 10 septembre que la direction des usines retourne aux mains des propriétaires, simplement contrôlés par des Commissions syndicales. Il s’agit en définitive, de signer la défaite des Conseils d’usines qui durent depuis deux ans et de restaurer le pouvoir capitaliste.

La Federazione impiegati operai metallurgici (FIOM), le plus important syndicat de la métallurgie, organise un référendum parmi les travailleurs le 23 septembre. Le découragement dû à la trahison de la CGL et du PSI commence à faire reculer les luttes. Seule l’Union syndicale italienne avec une forte présence de militants et militantes libertaires et communistes, conserve une position critique et ferme sur l’épilogue d’une lutte qui aurait pu connaître un tout autre succès.

La dynamique du mouvement cassée, il ne reste plus qu’à réprimer les principaux protagonistes. En plus de la répression étatique, le fascisme sponsorisé par les industriels, commence son œuvre criminelle : des centaines de dirigeants politiques, de syndicalistes, de travailleurs et travailleuses en lutte sont assassinés. Les prisons d’État se remplissent de subversifs. Ce que Luigi Fabbri [7] nommera « la contre révolution préventive » a débuté, ouvrant ainsi tout grand la voie à 25 années de dictature fasciste [8].

Selon Fabbri, « le fascisme répond à la nécessité de défendre les classes dirigeantes dans la société moderne ». La fracture entre prolétariat et bourgeoisie mise en évidence dans le contexte de l’après guerre en Italie mais aussi dans d’autres pays d’Europe, avait posé les bases d’un affrontement de survie conduisant à l’affaiblissement de l’État libéral. [9]

L’analyse de Fabbri a été sans aucun doute une des plus lucides et mieux argumentées sur la défaite du prolétariat. La guerre en tant que catalyseur des courants nationalistes imbus d’héroïsme futuriste, le mépris du parlementarisme socialiste et bourgeois et le culte de la violence et de la mort ont alimenté une soumission politique et intellectuelle d’une grande partie des masses populaires. Le fascisme, fils de la première guerre mondiale, devint l’outil de la défense des intérêts de la bourgeoisie et de la machine d’État.

Gino Caraffi (FDCA, Italie)


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Repères : Le premier bienno rosso italien

1919

Mars : Occupations des usines à Bergame.

23 mars : Fondation à Milan des Fasci di combattimento de Benito Mussolini.

12 au 14 avril : Constitution de l’Union anarchiste d’Italie à Florence.

15 avril : Le siège du quotidien socialiste Avanti ! à Milan est saccagé par les fascistes.

1er mai : Sortie du premier numéro du journal L’Ordine Nuovo d’Antonio Gramsci.

Août : Ample mouvement de lutte pour l’occupation des terres.

Novembre : La FIOM, syndicat des métallurgistes de Turin, reconnaît la constitution des « conseils ouvriers d’usine », à travers l’élection des commissaires d’atelier.

16 novembre : Élections politiques, le PSI devient le premier parti.


1920

Février : Début de la publication, à Milan, de Umanità Nova, dirigée par Malatesta.

27 mars : L’Ordine Nuovo lance un appel, signé par des socialistes et des libertaires, à un congrès national des Conseils d’usines. Ce congrès n’aura jamais lieu.

24 avril : Après 10 jours de grève générale dans le Piémont, l’armée impose le retour au travail.

Juin : Début du gouvernement Giolitti qui succède à Francesco Nitti.

4 juillet : Fondation de l’Union anarchiste italienne au congrès de Bologne.

30 août : Annonce de la fermeture de l’usine Alfa Roméo de Milan, immédiatement occupée. En quelques jours, la plupart des usines du Nord sont occupées, et souvent la production est relancée en autogestion.

15 septembre : Après des négociations avec la CGL, Giolitti annonce la création d’une commission paritaire d’étude pour préparer une loi sur « l’intervention des ouvriers dans le contrôle technique et financier et dans l’administration entreprises ».

25 septembre : Suite au référendum de la FIOM, beaucoup d’usines sont évacuées.

15 octobre : Errico Malatesta est arrêté, 3 jours après Armando Borghi, secrétaire général de l’USI et militant anarchiste. Ils sont considérés comme responsables des occupations d’usines à Milan.

21 octobre : Les 25 délégués de l’USI, réunis à Bologne, sont arrêtés.


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[1] Benito Mussolini, rédacteur en chef du quotidien socialiste Avanti ! lance le « Popolo d’Italia » en 1914 pour militer en faveur de l’intervention de l’Italie contre l’Autriche-Hongrie.

[2] Ce courant maximaliste donnera naissance au Parti communiste d’Italie en janvier 1921.

[3] Le terme fait référence aux faisceaux, assemblage de verges liées autour d’une hache, qui représentaient l’unité du peuple et l’autorité de Rome dans l’antiquité.

[4] Le futurisme est un mouvement artistique et littéraire d’origine italienne, né peu avant la guerre de 1914, qui fait l’apologie de la modernité et de la vitesse. Certains futuristes, dont le fondateur du mouvement Filippo Marinetti, rejoindront le fascisme.

[5] Il s’agit des aiguilles de la montre, symbole de la soumission aux temps de l’exploitation.

[6] Alors âgé de 78 ans, Giolitti est le principal dirigeant italien des années 1900-1914, pendant lesquelles il avait fait voter le droit de grève et le suffrage universel masculin.

[7] Luigi Fabbri est l’un des principaux militants anarchistes italien.

[8] Les faisceaux deviennent le Parti national fasciste en novembre 1921. Mussolini est appelé au pouvoir, par le roi Victor Emmanuel III, le 30 octobre 1922

[9] Le gouvernement libéral, attaché aux formes « démocratiques », comme celui de Giolitti qui avait négocié avec les socialistes et syndicalistes « responsables », semble dépassé pour la bourgeoisie.
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Les Arditi del Popolo 1918-1922

Messagede barcelone 36 » 09 Mai 2011, 18:40

nouvelle traduction des camarades du C.A.T.S. (Collectif Anarchiste de Traduction et Scannérisation) de Caen
http://ablogm.com/cats/
Italie 1918-1922 : Les Arditi del Popolo.
Texte anglais, traduit par le Collectif Anarchiste de Traduction et de Scannerisation

Une histoire des milices populaires qui ont combattu les fascistes italiens : la naissance, le développement et le déclin du premier groupe anti-fasciste au monde.

Au sortir de la Première Guerre mondiale, la classe ouvrière italienne est en pleine effervescence révolutionnaire, pas encore prêts à conquérir le pouvoir, paysans et travailleurs/euse, en 1918, obtiennent du gouvernement de nombreuses concessions : augmentation de salaires, journée de travail de 8 heures et reconnaissance de la représentation syndicale.
Toutefois, en 1919, le mouvement ouvrier se radicalise. Durant cette seule année, il y a eu 1663 grèves à travers la péninsule, tandis qu'au mois d’août, à Turin, une nouvelle dynamique militante s'installe et grandit avec la création d'un comité autonome1 (précurseur des conseils ouvriers), ce qui prouve la capacité qu'ont les travailleurs/euses à s'organiser de façon autonome selon des principes libertaires, principes qui avaient « l'objectif potentiel de préparer les personnes, les organisations et les idées, dans une opération de contrôle pré-révolutionnaire permanent, de se substituer à l'autorité des patrons dans l'entreprise et de réorganiser radicalement la vie sociale »*.

Dans les campagnes, la paysannerie a ouvert un second front contre l’État en occupant les terres qui lui avaient été promises avant la guerre. Le décret Visochi de septembre 1919 légalise juridiquement les coopératives qui avaient déjà été mises en place, parallèlement les « ligues rouges » aidaient à la formation d'un puissant syndicat de paysans jounaliers. Pourtant, c'est aussi en 1919 que le capital montre les premiers signes de défense face à ces assauts répétés. Une assemblée d'industriels et des propriétaires terriens à Gènes en avril a été l'occasion de sceller les premières pierres de la « Sainte alliance » face à la montée du pouvoir ouvrier. Main dans la main, les Fédérations Générales de l'Industrie et de l'Agriculture y élaboreront une stratégie commune visant à démanteler les syndicats de travailleurs/euses et les conseils ouvriers qui émergent.

Mais le capital ne pouvait assumer seul la lutte contre le mouvement ouvrier. Les travailleurs/euse devaient être soumis et intimidés, leur esprit de révolte brisé tant dans les rues qu'aux champs.
Le capital se tourna donc vers la main armée du fascisme et son leader : Benito MUSSOLINI.

La mise en place des escadrons fascistes.

Immédiatement à la fin de la guerre, on voit fleurir de nombreuse ligues anti-ouvrières : " Fasci italiani di combattimento" (les faisceaux de combat) de MUSSOLINI, la Ligue Anti-Bolchévique, les Faisceaux pour l’Éducation Sociale, UMUS (?), Italia redenta (Italie Rachetée)...Dans le même temps, des soldats démobilisés s'organisent en une troupe d'élite de 20 000 hommes prés à en découdre et seront d'emblée mis à profit par le courant anti-rouges.

Ce mouvement a essentiellement prise dans les classes moyennes et moyennes inférieures. Ex officiers, sous-officiers, cols blancs, étudiants, tavailleurs/euse indépendants se sont alliés à la cause fasciste dans les villes, tandis que dans les campagnes, les enfants de fermiers, de petits propriétaires terriens et d'administrateurs/trices se sont spontanément engagés contre la menace rouge. La police et l'armée encourageaient les fascistes, incitant les anciens officiers à rejoindre et entraîner les escouades en leur prêtant des véhicules et des armes, elles autorisaient des criminels à s'enrôler sous couvert d'immunité et de rémunération. Les permis de port d'arme, refusés aux ouvriers et paysans, étaient délivrés gratuitement aux escadrons fascistes et les munitions des arsenaux d’État donnèrent aux "chemise Brunes " un avantage militaire conséquent. En fin de compte, en novembre 1921, les diverses escouades ont été réunis au sein d'une organisation militaire (Principi) avec une hiérarchie, des sections, des cohortes, des légions et un uniforme spécial.

Les Arditi del popolo

Pour compenser les lacunes du PSI (Partito Socialista Italiano) et de la CGL (Confederazione Generale del Lavoro- syndicat majoritaire), des militants de courants divers (anarcho-syndicalistes, socialistes de gauche, communistes, républicainEs) ont formé, dans l'été 1921, une milice populaire : les Arditi del Popolo 2 (AdP-Soldats du Peuple) pour combattre les fascistes.
Bien que politiquement divers, les AdP étaient une organisation majoritairement ouvrière. Les travailleurs/euses été recrutés dans les usines, les fermes, les chemins de fer, les chantiers navals, chantiers de construction, les ports et les transports publics. Certaines parties de la classe moyenne se sont également impliquées comme des étudiants, des employés de bureau...
Structurellement, l'AdP était calquée sur l'organisation militaire avec des bataillons, compagnies et des escadrons. Un escadron était composé de 10 membres et un chef de groupe. Quatre escadrons constituaient une compagnie avec un commandant et trois compagnies constituaient un bataillon avec son commandant. Des escadrons à vélo ont été créés pour maintenir les liens entre le commandement général et la main-d'oeuvre dans son ensemble.

Malgré cette structure hiérarchisée, l'AdP demeure flexible et peut réagir rapidement aux menaces fascistes. Le comportement de l'AdP était dicté par les groupes politiques influents localement bien que la plupart des sections disposaient d'une autonomie virtuelle sur leurs actions.
Ces sections ont rapidement été mises en place dans toutes les régions du pays, soit en tant que nouveauté, ou dans le cadre de groupes déjà existants comme le PCI (Partido Comunista d'Italia), les paramilitaires Arditi Rossi (les soldats rouges) à Trieste, les Figli di Nessuno (Les fils de Personne) à Gènes et Vercelli ou encore la Lega Proletaria (ligue prolétarienne-liée au PSI).Dans l'ensemble, au moins 144 sections ont été mises en place par la fin de l'été 1921, avec un total d'environ 20.000 membres. Les principales sections sont les sections du Lazio avec environ 3.300 membres, suivie de la Toscane, 18 sections, avec un total de 3.000 membres.

L'AdP construit rapidement sa propre identité culturelle, les différentes sections affichant fièrement leurs propres logos et images de la guerre facilement reconnaissables grâce à un crâne entouré d'une couronne de laurier avec un poignard entre ses dents, et la devise "A Noi" (pour nous). Le logo du commandement était un poignard entouré d'une couronne de laurier et de chêne. Ceux et celles de Civitavecchia n'ont pas laissé beaucoup de place à l'imagination pour leur bannière (une hache brisant le symbole fasciste faisceau).

Refusant l'uniforme, la plupart des membres de l'AdP portaient un pull noir, un pantalon gris foncé et une fleur rouge à la boutonnière. Leurs chansons étaient directes et belliqueuses comme leurs caractères :

« Rintuzziamo la violenza
del fascismo mercenario
tutti uniti sul calvario
dell'umana redenzione.
Questa eterna giovinezza
si rinnova nella fede

per un popolo che chiede
uguaglianza e libertà »
« Nous endiguons la violence
des fascistes mercenaires.
Tous unis dans le Calvaire
de la rédemption humaine.
Cette éternelle jeunesse
est renouvelée dans la foi
pour les gens qui réclament
l'égalité et la liberté. »

L'offensive fasciste.

L'anarchiste italien Errico Malatesta, commentant les occupations en masse d'usines dans le nord de l'Italie en septembre 1920, auxquelles participèrent 600 000 travailleurs/euses, a prédit: « Si nous ne sommes pas vigilants à la fin, nous paierons avec des larmes de sang pour les craintes que nous avons inculqué à la bourgeoisie ». Ses paroles ont été prophétiques, car le PSI et la CGL, au lieu d'étendre la lutte des usines aux collectivités agricoles, ont collaboré avec l'état pour remettre les ouvriers au travail.
C'est à partir de ce moment que celui-ci est passé à l'offensive et que les faisceaux de combat de Mussolini furent suffisamment armés pour prendre les rues. Jusqu'à la formation des AdP, la plupart des fascistes pouvaient agir selon leur bon vouloir. Après l'attaque de la mairie de Bologne, les escadrons fascistes balayèrent les campagnes tel une faux menant des « expéditions » punitives contre les villages « rouges ». Suite à ces succès, ils commencèrent à attaquer les villes : bureaux syndicaux, locaux des coopératives et journaux de gauche ont été détruits à Trieste, Modène et Florence dans les premiers mois de 1921. Comme L'écrit Rossi ils ont eu « un immense avantage sur le mouvement ouvrier quand à leur logistique de transport et de rassemblement. Les fascistes sont généralement sans attache... ils peuvent vivre n'importe où... Les travailleurs, au contraire, sont enracinés...

Ce système donne à l'ennemi tous les avantages: celui de l'offensive sur la défensive, et celui de la guerre de mouvement sur une guerre de position.** »
Mais à partir de mars 1921, la structure défensive des travailleurs/euses face aux fascistes devient plus conséquente, comme à Livorno où, lorsque ces derniers attaquèrent un quartier ouvrier ( Borgo dei Cappucini), c'est tout le voisinage qui les boutât hors de la ville. En avril, quand les fascistes lancèrent un assaut sur l'une des centrales syndicales (Camera del Lavoro), les ouvrierEs se mirent en grève (le 14 du mois) et encerclèrent l'escadron ne laissant à la police d'autre choix que de prendre sa défense. En Juillet, la classe ouvrière créa sa propre milice armée - les Arditi del Popolo.

Les Arditi del Popolo en action.

Les Arditi sortirent de l'ombre pour la première fois le 19 juillet 1921 en encerclant et attaquant une place de Piombino où avait lieu un meeting fasciste. La garde royale tenta une intervention mais dû, elle aussi, renoncer face aux miliciens.
Les AdP tinrent la rue pendant quelques jours avant qu'un renfort trop important de policiers ne les oblige à se retirer.
A Sarzana, ils aidèrent les habitants bien décidés à capturer un des plus importants dirigeant fasciste : Renato Ticci. Quand un escadron de 500 hommes arriva pour le sauver, les AdP les repoussèrent au loin dans la campagne, 20 fascistes trouvèrent la mort (sûrement plus) et leur chef d'escadron déclara : « Mon unité, si longtemps habituées à vaincre un ennemi qui s'enfuit presque toujours, ou n'opposant qu'une faible résistance, ne pouvait pas, et ne savait pas comment se défendre ».

La trahison.

Mais, alors que l'élan impulsé par les AdP se répandait partout, il furent trahis par le PSI qui préféra signer un pacte de non-agression avec les fascistes, et ce, au moment où ils étaient les plus vulnérables.
Les dirigeants socialistes et de la CGL forcèrent leurs militants à quitter l'organisation anti-fasciste. Matteotti, un responsable syndical, confirma la trahison dans l'organe de son organisation, Battaglia Sindicale : « Restez chez vous, ne répondez pas aux provocations. Même le silence et la lâcheté sont parfois des actes de bravoure. ». Les communistes allèrent plus loin en formant leurs propres sections (d'une conscience de classe plus « pure »), ce qui accentua la chute des AdP.
Selon Gramsci, « [le PCI employa] cette stratégie afin que ces membres ne soient pas dirigéEs par d'autres que les responsables du parti. ». Bientôt, ne restèrent plus que 50 sections pour 6000 membres, la plupart anarcho-syndicalistes de l'Unione Sindicale Italiana (USI) et anarchistes de l'Unione Anarchica Italiana (UAI). De nombreuses sections se reformèrent en septembre à Piombino. Les fascistes brûlèrent les bureaux du PSI avant d'être interceptés et chassés par les anarchistes, tout juste trahis par les socialistes. Piombino devint peu à peu l'avant poste de la lutte contre le fascisme repoussant des assauts toujours plus forts en avril 1922, et tombant finalement après un jour et demi de dur combat quand les escadrons fascistes (aidés par la garde royale) prirent les bureaux de l'USI.

En juillet 1922, une grève générale réformiste pour la défense "des libertés civiles et de la constitution",(l'arrêt du travail n'étant pas et ne pouvant être accompagné d'actions directes offensives) acheva toute les possibilités combatives du mouvement ouvrier. Lors des grèves les fascistes prirent la place des ouvriers et se rendirent ainsi maîtres des rues. Avec l'échec de ces grèves, les fascistes réunirent leurs forces pour mater les dernières poches de résistance, il ne fallut pas moins de 2000 combattants des escadrons pour faire tomber Livorno.

NOTES :
1-Shop stewards’ movement dans le texte (Leur développement se situe avant la guerre de 1914 en Écosse autour du Clyde Workers’Committee, puis du National Shop-Stewards, et plus tard d’un Workers’ Committee Movement, tous indépendants de l’organisation syndicale officielle Trade Union Congress ; plusieurs grèves importantes furent menées pendant la guerre avec la répression que l’on peut imaginer. Plus tard, ces comités shop-stewards furent plus ou moins intégrés de fait dans le fonctionnement du système, mais ce n’est qu’avec le gouvernement Thatcher que leur pouvoir et leur rôle, déjà bien diminués disparurent pratiquement. L’autonomie de la classe ouvrière, http://www.matierevolution.fr)

2-Ardito désigne un soldat des troupes d'assaut de la Première Guerre mondiale.
* L. Williams - Proletarian Order (1975)
**A.Rossi - The Birth of Fascism (1938)

On trouve à notre connaissance peu de choses en français sur les Arditi del Popolo. On signale un
bon article sur le sujet, écrit par un anar de Paris, publié en 2006 dans un journal anar caennais.
L’article est téléchargeable à cette adresse : http://www.anartoka.com/sia/viewtopic.php?t=65
Il y a d’autres articles historiques, des brochures et des textes traduits sur le site en question.

Source : CATS.
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Re: Italie, il y a 90 ans: Le fascisme met fin aux années ro

Messagede bipbip » 02 Juin 2014, 00:31

Feu sur l’Oltretorrente

Août 1922 : les habitants d’un quartier populaire de Parme, l’Oltretorrente, s’unissent pour repousser les troupes fascistes venues mater l’agitation sociale de la ville. Une révolte victorieuse, qui s’inscrit dans la droite ligne de l’histoire d’une ville longtemps insoumise. L’historienne italienne Margherita Becchetti revient ici sur les luttes qui ont précédé et préparé l’embrasement de 1922.

... http://www.article11.info/?FEU-SUR-L-OLTRETORRENTE
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Re: Italie, il y a 90 ans: Le fascisme met fin aux années ro

Messagede bipbip » 01 Oct 2014, 23:48

31 août 1920 : mouvement d’occupation d’usines en Italie

Le 31 août 1920, à Milan, Turin, et dans le nord de l’Italie, débute un vaste mouvement d’occupation des usines et de mise en place de conseils ouvriers.
D’un côté, cette expérience est un moment-clé pour qui s’intéresse aux expériences d’auto-organisation.
De l’autre, l’étouffement de ce mouvement ouvrira la porte à la réaction fasciste.


Contexte : l’après-guerre en Italie

Après la première guerre mondiale se crée en Italie un climat de veille de révolution : les protestations du mouvement antimilitariste, celle liées au chômage alarmant, aux difficultés de la vie quotidienne mais aussi les espoirs suscités par les événements révolutionnaires qui secouaient la Russie, explosent en une succession de grèves et de désordres divers.

Les premiers signaux de mécontentement populaire se manifestèrent à Turin. Le 22 août 1917, spontanément, les travailleurs et travailleuses croisèrent les bras contre la guerre et le patronat ; les anarchistes du quartier de la Barriera di Milano (Turin) furent parmi les principaux protagonistes des émeutes qui éclatent dans toute la ville. Une semaine plus tard, la violente répression de la police (50 morts parmi les grévistes, et plus de 1000 arrestations) met fin aux protestations.

Après les élections de 1919 (gagnées par Francesco Saverio Nitti du Partito Radicale Storico), la grave situation économique du pays explosa en une série innombrable de grèves et d’occupations. Durant les deux années 1919 et 1920, restées dans l’histoire de l’Italie comme le Biennio rosso (les deux années rouges), le pays est secoué par une véritable crise révolutionnaire. Au mois d’août s’amorce un mouvement d’occupation des terres abandonnées (le 24 août, les terres agricoles romaines sont occupées). À Turin, en grande partie grâce au travail des anarchistes (Maurizio Garino, Italo Garinei et Pietro Ferrero), est constitué, au mois de septembre, le premier Conseil d’usine, organisme avec lequel les travailleuses et travailleurs cherchent à prendre le contrôle de la production et à jeter les bases de la révolution prochaine.

Les occupations d’usines en 1920

Le 30 août 1920, la direction d’Alfa Romeo de Milan annonce la fermeture de l’usine. Spontanément, les ouvriers l’en empêchent en occupant l’établissement et en étendant, avec la participation de près d’un demi-million de travailleuses et travailleurs, un mouvement de protestation et des occupations dans 280 autres établissements de Milan, pour ensuite atteindre le reste de l’Italie. Les occupations se sont concentrées en particulier dans le "triangle industriel" : Milan-Gênes-Turin.

Dans le chef-lieu piémontais, les anarchistes ont joué un rôle de premier plan, reconnu même par des communistes comme Antonio Gramsci, spécialement grâce au travail de Maurizio Garino, Italo Garinei et Pietro Ferrero. Les anarchistes, comme minorité de la CGL (ils et elles furent surtout présent dans le FIOM, syndicat des travailleurs du métal adhérant à la CGL), étaient rassemblé-e-s au sein de l’Unione Anarchica Italiana et l’Unione Sindacale Italiana, syndicats très différents des organisations syndicales ordinaires en mettant l’accent sur l’éducation et l’instruction du salarié-e-s à l’autogestion et à l’abolition de toute hiérarchie. De fait, l’Union Anarchiste Italienne "U.A.I" (forte d’un demi million d’adhérents) lors de son congrès de Bologne (1er au 4 juillet 1920), préconisait la création de "Conseils d’usine".

Le mouvement prend de l’ampleur début septembre, les patrons sont chassés, l’autogestion se généralise dans les ateliers, mais ne s’étend pas à tout le corps social. En septembre 1920, le mouvement d’occupation des usines s’étend à tous les établissements de la métallurgie des principales villes d’Italie : à Rome, Bologne, La Spezia, Gênes et Turin, les occupations se réalisent dans le plus grand enthousiasme. Selon Paolo Spriano :
«
Entre le mercredi 1er septembre et le samedi 4, les ouvriers métallurgistes occupent les établissements de toute la péninsule. A l’exception de la Vénétie-Julienne - où cependant la situation politique est très tendue en raison des premiers affrontements entre fascistes et socialistes et bien que l’on proclame la grève générale à Trieste - et de quelques autres petits centres où les travailleurs obtiennent immédiatement les augmentations demandées et la signature d’un accord sur la base de la plate-forme de la FIOM, l’occupation est totale. Les occupants sont constitués de plus de 400.000 ouvriers. Le chiffre atteindra le demi-million lorsque les personnels d’entreprise non métallurgistes procèderont eux aussi à l’occupation dans quelques villes. [1]

A la Fiat-Centro, le conseil d’usine déclare
«
"La commission interne ouvrière, en accord avec les commission interne des techniciens invite tous les ouvriers à rester à leur poste en continuant leur tâche comme par le passé dans un respect mutuel. Ouvriers, montrez que même sans patron vous savez parfaitement faire fonctionner l’usine." [2]

L’occupation de Turin se caractérise par un effort pour organiser dès les premiers jours un système de gestion ouvrière des usines métallurgiques qui assure la coordination de la production, des échanges et du matériel, ainsi que l’approvisionnement en matières premières. Des conseils d’usine se mettent en place un peu partout à travers le pays. Au niveau national, les anarchistes cherchent à relier, sur la base d’un fédéralisme structuré horizontalement, tous les conseils d’usines, afin d’échapper au contrôle des partis politiques et des syndicats.

Le débat sur le rôle des conseils d’usine

L’expérience des conseils d’usine donne lieu à de vifs débats au sein mouvement ouvrier sur la fonction que les conseils devraient assumer dans le contexte social, ouvrier et politique.
Se distinguent trois courants de pensée :
- un propre aux réformistes,
- un propre aux socialistes maximalistes [3]
- et un courant anarchiste :

- Le premier désirait que les conseils soient au sein des syndicats, de façon à détruire leur indépendance.
- Le second considérait le conseil comme un organe révolutionnaire amenant à la conquête du pouvoir politique.
- Les anarchistes, au contraire voyaient les conseils d’usines comme des corps révolutionnaires, représentants de tous les travailleuses et travailleurs (et pas seulement ceux et celles qui ont payé leur carte du syndicat) et capable, non de conquérir le pouvoir, mais de l’abolir.

Les conseils d’usine italiens sont ainsi une des matrices du débat théorique entre conseillistes anarchistes, conseillistes marxistes, conseillistes situationnistes, communistes de conseil, etc. [4]
Ce qui est mis en avant, c’est le fait que les conseils ouvriers fonctionnent selon des principes de démocratie directe, en rassemblant l’ensemble des travailleurs dans des assemblées de base.
Les élu-e-s de ces assemblées sont mandaté-e-s, doivent rendre compte de leurs activités devant l’assemblée, et sont révocables à tout moment par l’assemblée. Pour les conseillistes, seules ces assemblées doivent décider des orientations de la révolution, et au-delà, être les structures organisant la société socialiste : ils s’opposent donc aux conceptions de Lénine pour qui seul le parti devait diriger la révolution et la société socialiste. Les conseillistes rejettent également les syndicats, considérés comme des structures essentiellement réformistes. L’ultra-gauche conseilliste critiquera également l’antifascisme en tant qu’alliance avec la bourgeoisie.
Toutefois, la montée du fascisme est une conséquence essentielle de l’échec des conseils ouvriers de 1920 en Italie.

Etouffement de la contestation et conséquences politiques : la montée du fascisme

Le Premier ministre italien, Giovanni Giolitti, n’évacue pas les usines, comme beaucoup lui demandent de faire, mais s’appuie sur la collaboration des réformistes du PSI et de la CGL pour faire perdre au mouvement son caractère révolutionnaire.
Les syndicats réformistes, effrayés par l’ampleur révolutionnaire du mouvement (notamment dans la métallurgie et l’automobile), s’empressent de signer un accord avec le patronat pour mettre fin au mouvement. Tout ceci porte à augmenter la méfiance, la fatigue et la confusion entre les ouvriers et ouvrières, à les convaincre qu’il est nécessaire de se désarmer et d’abandonner les usines occupées, favorisant ainsi la réaction patronale et l’instauration de la dictature fasciste.

La défaite du mouvement ouvrier provoque en effet une réaction de la bourgeoisie qui soutient les fascistes par crainte du bolchévisme et pour réprimer les mobilisations ouvrières. Les Faisceaux italiens de combat, constitués par Mussolini en mars 1919, expriment la volonté de « transformer, s’il le faut même par des méthodes révolutionnaires, la vie italienne » s’auto-définissant « parti de l’ordre ». Ils réussissent ainsi à gagner la confiance des milieux les plus riches et conservateurs qui sont opposés aux manifestations et revendications du mouvement ouvrier. Anciens combattants, futuristes et nationalistes affluent : en quelques mois, les squadristi fascistes se répandent donnant au mouvement une force paramilitaire.
L’Italie est parcourue du nord au sud par des violences opposant les fascistes au mouvement ouvrier, sous le regard d’un État incapable de réagir, mais soutenant de plus en plus les squadristes. Les fascistes sont intégrés à la classe politique bourgeoise, ils figurent ainsi en octobre 1920 sur les listes électorales du « bloc constitutionnel » formé par les partis de gouvernement. [5] Alors que les grèves et les occupations d’usine refluent, Mussolini reçoit également le soutien financier des classes possédantes (en particulier des grands propriétaires fonciers, ainsi que des banques et de la Confindustria).

L’action fasciste, commence alors à se développer avec violence : la composante militaire, largement prévalente dans les squadre, confère à celles-ci une nette supériorité lors des affrontements avec les socialistes. Un « fascisme agraire » se développe au Nord, et réprime violemment les victoires des travailleurs sans terre, les braccianti [6]. La campagne de destruction des bureaux, des bourses du travail, l’intimidation physique et l’assassinat des militant-e-s conduisent socialisme maximaliste et syndicalisme à une profonde crise, tandis que se renforcent les faisceaux.
Dans ce climat de violence, lors des élections du 15 mai 1921, les fascistes, qui ont rejoint la coalition gouvernementale, obtiennent 35 sièges sur les 275 élus de la coalition. Les syndicats proclament une grève générale, mais les fascistes, sur ordre de Mussolini, brisent la grève de manière très violente. Hormis à Parme, les mouvements antifascistes sont vaincus dans les affrontements avec les chemises noires. Les fascistes n’ont que peu de pertes et le parti sort très renforcé, apparaissant comme la seule force politique capable de « remettre de l’ordre ». Après le congrès de Naples, en octobre 1922, un contingent de 50 000 squadristi est rassemblé dans toute l’Italie pour marcher sur Rome. La prise de pouvoir de Mussolini ouvre alors les pages sombres du fascisme italien, de 1922 à 1943.


P.-S.
Sources utilisées ou reprises : Anarchopedia, Ephéméride Anarchiste,Paolo Spriano, L’occupation des usines, Claix, La pensée sauvage, 1978 ; Angelo Tasca, Naissance du fascisme, Paris, Gallimard, 2003.


Notes

[1] Paolo Spriano, L’occupation des usines, Claix, La pensée sauvage, 1978, p. 75.

[2] D’après l’édition piémontaise du 2 septembre de l’Avanti !, le journal du Parti Socialiste Italien.

[3] Le maximalisme, surtout connu comme courant politique au sein du PSI (Parti socialiste italien) représenté en particulier par le Mouvement de l’Ordre Nouveau de Gramsci. Le terme est en particulier utilisé par Bordiga et Gramsci pour renvoyer aux révolutionnaires bolcheviques, la fraction abstentionniste du parti socialiste italien affichant alors son "orientation maximaliste". Ce terme de "maximalisme" a cependant une histoire plus large, il renvoie au découpage des programmes de la IIe Internationale : le programme "minimum" était le programme du réformisme, d’une série d’améliorations et de réformes qui visaient au long terme à arracher le pouvoir à la bourgeoisie ; le programme "maximum" devait en être le couronnement par la réalisation du socialisme.

[4] Pour résumer, on peut dire que les deux autres références principales de ce courant à multiples facettes doivent être cherchées du côté du luxembourgisme allemand et de l’expérience des conseils lors de la révolution russe.

[5] De plus, l’état-major adresse aux commandants d’unité une circulaire exigeant des renseignements sur les fascii, « circulaire en général interprétée comme invite faite aux officiers d’adhérer au mouvement fasciste ». La « circulaire Bonomi », du nom du ministre de la Guerre de Giolitti de juin 1920 à mars 1921, offre les 4/5 de leur solde aux 50 000 officiers démobilisés qui intégreraient les faisceaux.
Plus généralement, le gouvernement Giolitti, officiellement « neutre », soutient en fait les fascistes, espérant les utiliser dans la lutte contre les socialistes. De fait, outre l’assistance plus ou moins passive de l’appareil répressif de l’État, le gouvernement dissout, invoquant l’« ordre public », des centaines de municipalités socialistes, dont Bologne, Modène, Ferrare, etc. À la veille des élections de 1921, il ordonne au pouvoir judiciaire de cesser les poursuites contre les fascistes.

[6] Les agrariens soutiennent, y compris en les payant, les « expéditions punitives » des squadristes et des arditi afin de briser les luttes sociales portées par les travailleurs sans terre qui avaient réussi à obtenir quelques succès. On songe aux pratiques du manganello (le gourdin, symbole de la violence fasciste) et de l’huile de ricin, ainsi qu’aux multiples assassinats qui restent le plus souvent impunis. Angelo Tasca décrit bien cette irruption des ruraux dans les rangs fascistes, dans son ouvrage de référence, Naissance du fascisme (voir en particulier pp. 118-119).

http://paris-luttes.info/31-aout-1920-mouvement-d
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Re: Italie, il y a 90 ans: Le fascisme met fin aux années ro

Messagede bipbip » 04 Jan 2016, 03:31

1919-1920 : le printemps des conseils ouvriers italiens

En novembre 1922, au quatrième congrès de l’Internationale communiste, Léon Trotsky déclare « en 1920, la classe ouvrière italienne avait, en effet, pris le contrôle de l’État, de la société, des usines et des entreprises. En fait, la classe ouvrière avait déjà gagné ou quasiment gagné. » Cette appréciation, un peu exagérée, du mouvement des conseils italiens de 1919-1920 n’est pas totalement erronée car ce à quoi le mouvement des conseils ouvriers s’était porté candidat était tout simplement la gestion de la société pour l’intérêt du plus grand nombre. Ce qu’il a accompli, dans les faits, l’espace de quelques semaines.

... http://www.autogestion.asso.fr/?p=5329
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Re: Italie, il y a 90 ans: Le fascisme met fin aux années ro

Messagede bipbip » 26 Mar 2016, 19:08

Italie 1918-1922 : Les Arditi del Popolo

Une histoire des milices populaires qui ont combattu les fascistes italiens : la naissance, le développement et le déclin du premier groupe anti-fasciste au monde.

https://albruxelles.wordpress.com/2016/ ... #more-1655
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Re: Italie, il y a 90 ans: Le fascisme met fin aux années ro

Messagede Pïérô » 20 Avr 2017, 15:27

Pier Carlo Masini
ANARCHISTES ET COMMUNISTES DANS LE MOUVEMENT DES CONSEILS À TURIN
PREMIER APRES-GUERRE ROUGE 1919-1920

PREFACE A LA PREMIERE EDITION ITALIENNE (1951)

En présentant aux travailleurs italiens, et en particulier aux anarchistes, l'étude que Pier Carlo Masini a bien voulu consacrer au mouvement des Conseils d'usine de l'après-guerre «rouge» 1918-1922, je souhaite qu'à une vaste diffusion corresponde de la part des lecteurs un vif intérêt pour cet organisme typique aux grandes possibilités révolutionnaires, qui a été au cours de ces années l'instrument essentiel et caractéristique de notre lutte.
Le clair exposé et la vaste documentation témoignent de la précision et de l'objectivité de cet exposé qui raconte aux jeunes camarades surtout, ce que le mouvement anarchiste a pu exprimer à l'époque de plus concret, pour accroitre, sur notre propre terrain, les aspirations d'émancipation des travailleurs.

De plus, l'idée de l'auteur de reproposer le thème des Conseils me semble extrêmement utile, en un moment où la situation politique d'un monde hanté par ses propres contradictions, plus que par la volonté des hommes, pourrait ouvrir des possibilités révolutionnaires inattendues.

Il me semble surtout opportun de soumettre à une réflexion attentive les différentes conceptions, que Masini met bien en évidence, de la fonction et du pouvoir des Conseils de la part des différents courants idéologiques.

Malheureusement, aujourd'hui comme alors, la divergence fondamentale entre les marxistes autoritaires et nous sur le caractère étatique ou libertaire des Conseils, reste inchangée.

Et il est évident désormais que, même sur le plan historique, une société de Conseils de producteurs librement élus n'est pas possible, à cause de la contradiction qu'implique un régime de dictature, même prolétaire.

Il est toutefois évident que cela n'est pas suffisant pour démonter que le système des Conseils, tel que nous le concevons, n'est pas réalisable.

Au contraire, même le danger d'une déviation autoritaire de cet instrument de lutte, cellule de la future structure sociale, ne peut nous y faire renoncer.

Nous lutterons donc, si nécessaire, aux côtés des courants politico-syndicaux les plus proches de nous tant que nous le considérerons utile pour le but commun, qui est l'appropriation collective des moyens de production et d'échange. Ensuite - comme je l'ai dit à l'époque à Gramsci lors d'une brève polémique —, une fois atteint le carrefour où se séparent les voies qui conduisent à l'autorité ou à la liberté, au Soviet d'Etat ou au Soviet de la libre communauté humaine, les anarchistes choisiront leur chemin.

MAURIZIO GARINO



ANARCHISTES ET COMMUNISTES DANS LE MOUVEMENT DES CONSEILS À TURIN
PREMIER APRES-GUERRE ROUGE 1919-1920


Ce n'est pas seulement pour satisfaire une curiosité — d'ailleurs vive chez beaucoup de camarades — que nous rappelons aujourd'hui le mouvement des Conseils, mais plutôt pour reproposer un thème de façon critique et polémique, ainsi que sur la base d'une expérience, à la classe ouvrière en général, aux travailleurs communistes en particulier et enfin à nos propres camarades.
En fait, dans la recherche d'une tradition révolutionnaire dans le mouvement ouvrier italien, nous ne pouvons faire abstraction du mouvement des Conseils, de même que nous ne pouvons en faire abstraction dans la revendication et dans la reconstruction d'une «constante historique» de classe du mouvement anarchiste italien.

C'est dans ce but que nous avons commencé cette étude, déficiente et incomplète par beaucoup d'aspects, mais qui dans l'ensemble résume le problème dans ses aspects théoriques et pratiques en tenant compte des éléments contextuels.

Nous sommes certains qu'à peine aurons-nous écrit les derniers mots de cette série de notes, nous sentirons aussitôt le besoin de les revoir, de les compléter et de les amplifier: ce que nous ferons sûrement une autre fois dans la mesure où nous posséderons toujours mieux le sujet et où nous accumulerons une documentation plus abondante.


I
LE CERVEAU DU PROLETARIAT : TURIN


Le mouvement des Conseils, dans ses traits particuliers et distinctifs, a à Turin et seulement à Turin ses fondements historiques basés sur la dure roche d'une organisation industrielle avancée et d'un système capitaliste très concentré.

Turin, qui après l'unification (1), avec le transfert de la capitale à Florence, s'était vidée, providenciellement vidée de toutes ses «toiles d'araignée» bureaucratiques et de tous ses privilèges de courtisans, réagit après une véhémente explosion de colère, impitoyablement réprimée par le gouvernement d'une dynastie qui à ce moment précis cessait d'être «piémontaise». Elle réagit donc à la nouvelle situation par un rapide effort de reconstruction sur le plan économique dont nous avons la première preuve convaincante avec l'Exposition de 1884.

La ville, bien que géographiquement défavorisée par rapport à Milan — centre de la vallée du Po et base des communications avec la Suisse, ou à Gênes — grand port et grande place commerciale, se place bien vite à l'avant-garde du progrès industriel de tout le pays et se développe vigoureusement dans son ossature démographique et urbaine.

La ville double puis triple sa superficie, ses surfaces bâties: elle s'étend dans la plaine, elle assaille les collines environnantes, elle grossit ses faubourgs. Examinons les statistiques de l'ascension démographique: 1808 = 65.000 habitants ; 1848 = 136.849 habitants ; 1868 = 191.500 habitants. La population triple au cours des soixantes premières années. Mais l'augmentation continue avec le même rythme incessant durant les soixantes années qui suivent: 1871 = 212.644 ; 1881=252.852 ; 1901=335.656 ; 1911=427.106 ; 1921 = 502.274.

Dans le premier après-guerre, au temps des Conseils, nous en sommes donc au demi-million (après la seconde guerre, la population approchait le million, elle le dépasse largement aujourd'hui). Le développement de certains quartiers ouvriers est encore plus significatif. En 50 ans, de 1871 à 1921, le quartier de la «Barrière de Milan» passe de 1901 habitants à 39.967 ; le quartier de la «Barrière Saint-Paul» passe de 2.484 à 50.204.

Pourquoi tout cela ? Pourquoi la formation de Turin comme cité moderne dépasse en rapidité et surtout en rationalité «tous les autres centres urbains italiens ? Pourquoi à Turin convergent, venant de toute l'Italie, de grandes masses d'immigrants qui dans un faible nombre d'années se fondent dans le nouveau creuset social jusqu'à l'acquistion de caractéristiques propres et originales ?

Parce qu'il se produisit à Turin un phénomène que nous pouvons indiquer ici à son stade originel : au cours de l'année 1889 naquit à Turin, avec 50 ouvriers et de modestes équipements l'usine Fiat. Le fait, non enregistré par les chroniques de l'époque, aura pour le destin de la cité bien plus d'importance que la concession du Statut advenue près d'un demi-siècle auparavant.

Les 50 ouvriers de la Fiat seront 50.000 après la première guerre mondiale ; au centre de Turin, autour de Turin, la Fiat plantera ses tentes d'acier et de béton armé; autour de ses bâtiments s'établiront d'autres grandes, petites et moyennes entreprises qui, en 1911 atteindront le nombre de 5.151 et en 1927 auront plus que doublé atteignant le chiffre de 11.993. Mais surtout autour de la Fiat et des autres entreprises se densifiera un prolétariat compact et homogène, aussi unifié en son sein que différencié des autres couches et groupes sociaux plus ou moins instables, plus ou moins hétérogènes.

Ce sont la consistance et la cohésion particulières de ce prolétariat qui permirent à Turin de se mettre à l'avant-garde de la révolution ouvrière, comme elle avait été à l'avant-garde de l'unification nationale conduite non tant par la bourgeoisie manufacturière que par des groupes nobiliaires s'étant insérés promptement dans le sillage de la révolution bourgeoise et installés dans la diplomatie, l'armée, la bureaucratie (la «culture piémontaise»), et dans la transformation industrielle (promue avec la contribution prépondérante de la jeune bourgeoisie manufacturière mais toujours avec le patronage du patriciat «progressiste»).

Turin cette fois devient protagoniste de l'histoire par la seule poussée du prolétariat ; les représentants mêmes de la culture bourgeoise «progressiste» rassemblés autour de la «Révolution libérale» de Gobetti sont attirés dans le sillage de la révolution ouvrière incarnée par le mouvement des Conseils.

Le centre même de la «culture nationale», jusqu'alors fixé à Florence, se déplace vers Turin et subit un substantiel changement de direction : c'est encore le prolétariat de Turin qui, à travers ses groupes d'avant-garde, emporte la primauté culturelle et s'en fait une arme contre la fausse culture, contre la vieille culture, monopole d'une «intelligence» bourgeoise dépassée et attardée. Sur le terrain politique, les Conseils sont la formule de cette nouvelle culture.


II
PERIODE DE REVOLUTION


Turin a aussi été durant la première guerre mondiale la seule ville d'Italie qui se soit lancée dans une protestation massive contre la poursuite du conflit au cours de l'année 1917. Le mouvement d'août 1917, à fond internationaliste et antimilitariste, suivi d'une violente répression accomplie par tous les corps de l'armée et de la police (500 morts en août 1917, des centaines d'ouvriers envoyés au front, des milliers d'emprisonnés), porta Turin aux côtés de Kronstadt et de Wilhemshafen, et fit que les ouvriers de la Fiat furent cités dans le courant de l'année à l'ordre du jour de la résistance auprès des ouvriers des usines de Berlin et de Petrograd (2).
C'est peut être la raison pour laquelle, quand de Petrograd et de Berlin se lève à la fin de la guerre la voix des Conseils, des Comités, des Soviets, cette voix a une résonnance immédiate chez les travailleurs de Turin.

Sur le plan international, les Conseils n'ont eu effectivement un contenu révolutionnaire qu'en Russie, Allemagne, Bavière, Hongrie et Autriche ; et encore, seulement dans un premier temps. Une fois clos le cycle révolutionnaire ils perdent leur vraie fonction : ils sont dissous comme en Russie, supprimés comme en Hongrie, transformés en organismes de collaboration de classes et de préservation du système capitaliste comme en Allemagne et en Autriche.

Les Conseils d'usine surgissent en effet partout avec une fonction de contrôle sur la vie productive de l'entreprise, ils se transforment bien vite en instruments d'expropriation pour la conquête de l'entreprise, ils assument enfin la gestion directe de celle-ci tant qu'existent les conditions favorables à l'offensive révolutionnaire. Lorsque ces conditions viennent à manquer, les Conseils retournent aux fonctions de contrôle qu'on leur avait accordé dans la première phase et admises maintenant sous une forme de co-participation «morale» à la vie de l'entreprise, puis on leur ôte même ce droit.

En d'autres termes, la naissance des Conseils, et leur mort, sont étroitement liées à l'extrême radicalisation de la lutte des classes durant le premier après-guerre ; les Conseils sont le produit d'une situation spéciale qui, dans une intense veille de conquêtes, mit les masses ouvrières face à la responsabilité de devoir prendre en mains tout l'appareil économique du pays et de le faire fonctionner.

Par ailleurs, la fin, glorieuse ou non, des Conseils en tant qu'organismes révolutionnaires, ensevelis sous les canonnades de la contre-révolution et sous les décrets lois de la restauration bourgeoise, marque aussi le tragique épilogue du premier après-guerre rouge.

L'expérience devient patrimoine théorique du prolétariat et dans de nombreux pays le drapeau des Conseils sert à rassembler les forces dispersées de la minorité révolutionnaire (surtout en Allemagne et en Hollande, où naissent derrière ce symbole des mouvements organisés). Le mouvement anarchiste, n'étant pas resté indifférent aux expériences concrètes, ne pouvait rester indifférent à la théorie qui se construisait sur ces expériences. Pour cela, il se devait de rechercher les liaisons qui s'étaient établies, ici en Italie, durant l'après-guerre entre l'organisation anarchiste alors présente, l'U.A.I., et le mouvement turinois des Conseils.


III
LES ORIGINES DES CONSEILS D'USINE


A Turin, le 27 octobre 1906 fut signé un contrat collectif de travail entre la F.I.O.M. (Fédération des Ouvriers de la Métallurgie) et l'usine automobile «Itala» qui instituait, pour trancher les éventuelles controverses sur l'application du contrat un organisme d'entreprise appelé: «Commission Interne» : organisme étroitement lié à la vie de l'entreprise composé d'ouvriers de l'usine et élu par le personnel ; la C.I. se plaçait donc dans une position autonome vis à vis des organisations horizontales et verticales du syndicat, même si quelquefois elle assumait un rôle encore plus collaborationniste que le syndicat lui-même.

Toutefois, c'est précisément la C.I. qui devait représenter la base organique sur laquelle se développera ensuite le Conseil d'usine.

Dans l'immédiat après-guerre, en août 1919, à Turin, dans le plus grand établissement de la Fiat, Fiat-Centre, la Commission Interne en fonction démissionne et le problème de sa réintégration se pose.

Au cours des discussions prévaut la proposition d'un élargissement de la dite Commission, réalisable à travers l'élection d'un commissaire pour chaque atelier. A la Fiat-Centre sont ainsi élus 42 commissaires correspondant aux 42 ateliers en activité. Ces 42 commissaires constituent le premier Conseil d'usine.

L'exemple est vite suivi à la Fiat-Brevets et dans toutes les autres usines de Turin. L'expérience des Conseils s'étend presque aussitôt à d'autres centres industriels, hors du Piémont.

A la mi-octobre 1919, à la première assemblée des Comités exécutifs des Conseils d'usine, sont représentés 30.000 ouvriers.

La rapide affirmation des Conseils ne s'explique cependant pas si l'on ne montre pas les principes fondamentaux sur lesquels ils reposent, c'est-à-dire la théorie qui s'échafaude autour d'eux : théorie non inventée par quelque fervent génie, mais germée sur le terrain même des faits comme nous le montrerons pas à pas.

Si, en fait, les Conseils étaient restés des «Commissions internes élargies» avec les mêmes fonctions de coopération et de concordat ils n'auraient pas pu constituer le plus efficient des instruments de classe dans cette période d'extrême tension révolutionnaire qui fut le premier après-guerre.


IV
LA THEORIE DES CONSEILS


Schématiquement, la théorie des Conseils, qui fut élaborée par les groupes d'avant-garde du prolétariat turinois durant l'après-guerre, se fonde sur une série de thèses que l'on peut regrouper ainsi:

a) Le Conseil d'usine se forme et s'articule autour de toutes les structures complexes et vivantes de l'entreprise ; il en fouille les secrets, il en saisit les leviers et les équipements, il en enveloppe le squelette de son propre tissu. Il adhère intimement à la vie de l'établissement moderne, dans les plans et les méthodes, dans les procès de production, dans les multiples spécialisations du travail, dans la technique avancée d'organisation interne.

Par ces caractères qui lui viennent de son expression immédiate dans les secteurs-base de l'entreprise, atelier par atelier, et en plus des fonctions qui lui sont attribuées, le Conseil d'usine, à la différence des organisations syndicales, produit deux faits nouveaux d'une grande force révolutionnaire :

— En premier lieu : au lieu d'élever chez l'ouvrier la mentalité du salarié, il lui fait découvrir la conscience de producteur avec toutes les conséquences d'ordre pédagogique et psychologique que cette «découverte» comporte.

— En second lieu: le Conseil d'usine éduque et entraine l'ouvrier à la gestion, il lui donne une compétence de gestion, il lui donne jour après jour les éléments utiles à la conduite de l'entreprise. Conséquemment à ces deux faits nouveaux, même le plus modeste et le plus obscur travailleur comprend aussitôt que la conquête de l'usine n'est plus une chimère magique ou une hypothèse confuse mais le résultat de sa propre émancipation. Ainsi aux yeux des masses, l'expropriation perd ses contours mythiques, assume des linéaments précis et devient une évidence immédiate, une certitude précise en tant qu'application de leur capacité à s'autogouverner.

b) Les Conseils, à la différence des partis et des syndicats, ne sont pas des associations contractuelles ou au moins à tendances contractuelles mais plutôt des organisations naturelles, nécessaires et indivisibles.

Ce n'est pas un dirigeant ou une hiérarchie qui organise des individus grégaires dans un groupe politique déterminé ; dans les Conseils, l'organisation est ce même processus productif qui encadre fonctionnellement et organiquement tous les producteurs. Pour cela, les Conseils représentent le modèle d'une organisation unitaire des travailleurs, par delà leurs vues philosophiques ou religieuses particulières ; dans ce cas, l'unité est réelle parce qu'elle est le produit non d'une entente, d'un compromis, d'une combinaison mais d'une nécessité.

L'unité interne du Conseil d'usine est tellement forte qu'elle rompt et fond deux résistantes barrières de division entre les travailleurs : celle qui sépare les organisés des inorganisés et celle qui sépare les manuels des techniciens.

Dans le Conseil, chacun a sa place parce que le Conseil rassemble tout le monde, intéresse tout le monde jusqu'à ce qu'il s'identifie avec tout le personnel de l'usine.

C'est une organisation unitaire et générale des travailleurs de l'usine.

c) Les Conseils représentent la réelle préfiguration de la société socialiste ; le mouvement des Conseils constitue le processus de formation moléculaire de la société socialiste.

Ainsi l'avènement du socialisme n'est plus pensé comme une institution bureaucratique pyramidale mais comme une naissante et continuelle création de la base.

Les thèmes traditionnels de la rhétorique socialiste (et bolchévique en l'espèce) comme «conquête du pouvoir politique» ou «dictature du prolétariat» ou «État ouvrier» sont évidés de leur contenu mythique et remplacés par une vision moins formelle, moins mécanique et moins simpliste des problèmes révolutionnaires.

Dans la ligne des Conseils se trouve le réalisme révolutionnaire qui abat l'utopisme de propagande, qui ensevelit la «métaphysique du pouvoir».

Et même quand dans certains groupes survit une nomenclature désormais inadéquate, c'est l'interprétation nouvelle, c'est la pratique nouvelle qui en rompt les schémas, les apriorismes, les fixations logiques et phraséologiques (et ce sont ces mêmes groupes d'éducation anarchiste qui en forcent la répudiation totale). C'est ainsi que les Conseils deviennent en même temps une expérience et un exemple, une enclave dans la société d'aujourd'hui et une semence de la société de demain.

d) Les Conseils, s'ils représentent sur le plan général de la stratégie révolutionnaire l'organisation générale, finale et permanente du socialisme (alors que le mouvement politique vaut seulement comme organisation particulière, instrumentale et contingente, «pour le socialisme»), constituent aussi sur le plan tactique une force complémentaire de masse, un instrument auxiliaire du mouvement politique.

Les Conseils possèdent en fait une grande potentialité offensive comme unités d'entreprises et développent en phase révolutionnaire la même fonction qu'accomplissent, durant une agitation, les commissions internes et les comités de grève.

D'autre part, en phase de repli et de résistance, les Conseils disposent d'une grande capacité de défense. La réaction, qui peut dissoudre sans trop de difficultés les partis et les syndicats, en fermant leurs sièges et en interdisant leurs réunions, se heurte, quand elle se trouve face aux Conseils, aux murs mêmes de l'usine, à l'organisation de l'établissement ; et ne peut les dissoudre sans abattre ces murs, sans dissoudre cette organisation. Les Conseils, sous des noms divers, ou même au stade semi-officiel, survivront toujours.


V
LE MOUVEMENT DES CONSEILS


Deux groupes politiques distincts contribuèrent à l'élaboration de la théorie des Conseils : un groupe de socialistes et un groupe d'anarchistes.

Aucun autre groupe politique ne fut présent dans le mouvement, même si tous les groupes politiques italiens s'intéressèrent au phénomène. Par contre furent présents de larges groupes de travailleurs sans parti, témoins du caractère d'unité prolétarienne du mouvement.

Le groupe socialiste se constitua dans les dernières années de la guerre autour du Grido del Popolo,feuille de la section turinoise du parti socialiste. La figure de premier plan était Antonio Gramsci, qui sera plus tard le leaderd'une des deux fractions qui concourront à la fondation du parti communiste d'Italie. Personnages de second plan: Tasca, Togliatti, Terracini et Viglongo.

Mais si tout ce groupe contribua à la fondation de l'hebdomadaire L'Ordine Nuovo,dont le premier numéro sortit le ler mai 1919, il n'y eut en fait que deux forces animatrices des Conseils du côté socialiste : d'une part l'esprit de Gramsci, de l'autre les groupes d'avant-garde, d'authentiques bien qu'obscurs ouvriers turinois. Et ces deux forces passeront sans tâches dans l'histoire et sauveront le nom des Conseils.

Du côté anarchiste, notons la collaboration assidue et qualifiée de Carlo Petri (pseudonyme de Pietro Mosso (3)) à L'Ordine Nuovo.Carlo Petri, assistant à la chaire de philosophie théorétique de l'Université de Turin est l'auteur d'un essai sur Le système Taylor et les Conseils des producteurs et d'autres écrits défendant le Communisme anarchiste.

Mais la contribution anarchiste se rencontre surtout dans le travail d'organisation pratique des Conseils effectué par deux anarchistes, ouvriers métallurgistes: Pietro Ferrero (4), secrétaire de la F.I.O.M., section turinoise et Maurizio Garino (5) (qui a donné un apport de souvenirs personnels et d'observations critiques à ces notes sur les Conseils), et par tout un groupe: le Groupe Libertaire Turinois (6), dont ils faisaient partie.

Le Groupe Libertaire Turinois s'était déjà distingué non seulement par sa présence dans les luttes ouvrières avant et pendant la guerre mais surtout par les lignes directrices qu'il avait données au problème de l'action des libertaires dans les syndicats. Ce groupe avait en fait soutenu la nécessité d'opérer dans les syndicats fussent-ils réformistes (et peuvent-ils ne pas l'être? se demandait-il) afin de pouvoir y établir les plus larges contacts avec les masses laborieuses.

Sous cet aspect, la critique que L'Ordine Nuovofaisait à l'U.S.I. (organisation syndicaliste révolutionnaire) ne pouvait qu'être approuvée par ces anarchistes même si la forme de cette critique n'était pas la plus apte à convaincre les nombreux groupes d'ouvriers sincèrement révolutionnaires qui étaient à l'U.S.I.

Le Groupe Libertaire Turinois fut ainsi au centre des luttes de classes à Turin durant les quatre années de l'après-guerre et donna en la personne de Pietro Ferrero, assassiné par les fascistes le 18 décembre 1922, un de ses meilleurs militants à la résistance anti-fasciste. Nous verrons aussi plus loin quelle part notable eurent les anarchistes dans l'élaboration de la théorie des Conseils et quelles adjonctions théoriques ils apportèrent aux points énoncés au chapitre IV du présent essai.


VI
LA POLEMIQUE SUR LES CONSEILS


Le mouvement des Conseils se vit barrer la route en Italie par deux forces de l'ordre constitué : les groupes de la grande industrie et les hiérarchies syndicales confédérales. Ces deux forces tendaient à conserverune structure déterminée de la société italienne: les Olivetti, les Agnelli, et les Pirelli tendaient à conserver leurs monopoles, leur prestige, leur hégémonie dans et hors de l'usine; les Colombino, les d'Aragona et les Baldesi tendaient à conserver, grâce à leur médiation, l'équilibre instauré dans les rapports de travail et le droit exclusif de représenter les travailleurs auprès de leurs ennemis de classe et de l'État.

Le mouvement des Conseils rompait cette situation, touchait la coeur plutôt qu'au porte-feuille l'organisation capitaliste, destituait les organisations syndicales en leur substituant une forme d'organisation ouvrière adéquate au moment révolutionnaire.

Nous verrons plus loin combien fut enragée la réaction des capitalistes piémontais et combien fut âpre le ressentiment des cercles confédéraux, inquiets de voir s'écrouler leurs positions au Piémont.

Dans Battaglie sindacali,organe de la C.G.L. (= C.G.T.), le mouvement des Conseils fut soumis à de violentes attaques et fut dénoncé comme un réveil, comme une soudaine éruption «d'anarchisme». C'était alors une méthode assez répandue dans tout le camp social-réformiste européen que d'accuser «d'anarchisme» tout mouvement révolutionnaire, du Spartakisme en Allemagne jusqu'au Bolchevisme en Russie : signe évident du rôle prééminent que jouait alors l'anarchisme dans les luttes de classes.

Même le groupe de L'Ordine Nuovoet avec lui toute la section turinoise du Parti Socialiste fut l'objet d'âpres attaques polémiques dans ce sens, non tant par la présence dans le mouvement des Conseils d'anarchistes déclarés, que par le fait qu'il ait énergiquement défendu le droit pour tous les travailleurs, même les inorganisés, de faire partie des Conseils.

L'Ordine Nuovorépliquait à ces critiques en dénonçant dans ses colonnes les fonctionnaires syndicaux qui cherchaient partout des cotisants, des moutons dociles plutôt que des militants ouvriers décidés à défendre et à affirmer concrètement dans l'usine les droits de leur classe.

Ensuite, avec l'aggravation de la tension entre la droite, le centre et la gauche du Parti Socialiste, la polémique s'étendit et s'approfondit jusqu'au Congrès de Livourne, qui vit toutefois faussé le réel contraste entre gauche et droite par la question formelle de l'adhésion à l'Internationale de Moscou.

La polémique au sein même du mouvement des Conseils ou dans ses environs immédiats fut plus riche. En fait, le débat fut riche et fécond entre les groupes qui avec L'Ordine Nuovode Turin et avec le Sovietde Naples convergeaient vers la fondation du Parti Communiste dItalie et entre les groupes qui se rassemblaient autour de l'U.S.I. (Union Syndicale Italienne ; syndicaliste révolutionnaire) et de l'U.A.I. (Union Anarchiste Italienne ; Communiste Libertaire).

Nous commençons avec L'Ordine Nuovo.

Le journal, dans sa première série — commençée le ler mai 1919 et terminée à la fin de 1920 — [durant la seconde série, il devint quotidien (21-22) et il redevint hebdomadaire durant la troisième (24-25)] présente deux périodes distinctes: la «période Tasca» et la «période Gramsci», c'est-à-dire la période pendant laquelle le journal, dans sa ligne et ses objectifs se ressent de l'influence prédominante de Tasca et la période durant laquelle Tasca étant écarté, il suit une ligne plus résolue imprimée par Gramsci. Ces deux périodes sont historiquement bien différenciées par un incident entre Tasca et Gramsci sur le problème des Conseils qu'il convient de réévoquer ici. Tasca, incertain, confus et peut-être partisan peu convaincu des Conseils, avait lu un rapport sur «les valeurs politiques et syndicales des Conseils d'usine» au Congrès de la Bourse du Travail de Turin et ce rapport avait été publié dans L'Ordine Nuovo(a. II, n. 3).

Dans l'exposé, le verbalisme superficiel et les considérations abstraitement juridiques trahissaient une évidente sous-évaluation de la tâche des Conseils et la tentative d'insérer la nouvelle organisation dans les cadres syndicaux afin de la subordonner à ceux-ci.

Gramsci, dans le numéro suivant (a. II, n. 4), annota soigneusement l'exposé de Tasca et écrivit entre autre, à propos d'un rapport contenu dans celui-ci, un passage qu'il nous plait de rapporter:

«Ainsi Tasca polémique avec le camarade Garino à propos de l'affirmation selon laquelle«la fonction principale du syndicat n'est pas de former la conscience du producteur chez l'ouvrier mais de défendre les intérêts de l'ouvrier en tant que salarié», affirmation qui est la thèse développée dans l'éditorial «Syndicalisme et Conseils» publié dans L'Ordine Nuovodu 8 novembre 1919. Quand Garino, syndicaliste anarchiste, développa cette thèse au Congrès extraordinaire de la Bourse du Travail en décembre 1919, et qu'il la développa avec une grande efficacité dialectique et avec chaleur, nous fûmes très agréablement surpris, à la différence du camarade Tasca, et nous éprouvâmes une grande émotion. Puisque nous concevons le Conseil d'usine comme le commencement historique d'un processus qui nécessairement doit conduire à la fondation de l'État Ouvrier, l'attitude du camarade Garino, libertaire syndicaliste, était une preuve de la certitude que nous nourrissions profondément, à savoir que dans un processus révolutionnaire réel, toute la classe ouvrière trouve spontanément son unité pratique et théorique et que chaque ouvrier, s'il est sincèrement révolutionnaire, ne peut qu'être amené à collaborer avec toute la classe au développement d'une tâche qui est immanente dans la société capitaliste et qui n'est pas une fin librement proposée par la conscience et par la volonté individuelles».
En faisant abstraction des réserves que l'on peut soulever sur certaines affirmations de ce passage, la différence d'attitude entre Tasca et Gramsci est notable par rapport au point de vue illustré par le camarade Garino.
Ceci est tellement vrai que Tasca, répliquant longuement à Gramsci, exprima sa foi fanatique dans la «dictature du prolétariat» et s'opposa à toute forme de démocratie ouvrière ; il demande «des années, de longues années de dictature» et réduit les Conseils d'usine à de simples «instruments» du Parti ; il définit l'idée de Fédération des Conseils comme «une thèse libertaire» et accuse Gramsci de «syndicalisme».

«Le camarade Gramsci nous a donné, dans l'éditorial du dernier numéro, sa théorie des Conseils d'usine comme base de «l'État Ouvrier». Il y a dans cet article une claire description de la thèse proudhonienne: «l'usine se substituera au gouvernement» et la conception de l'État (sic!) qui s'y trouve développée est anarchiste et syndicaliste mais pas marxiste».
Après cette auto-défense Tasca s'éloigna de L'Ordine Nuovoqui entra ainsi dans sa seconde période, en août 1920. Cette période fut inaugurée par un bilan âpre et autocritique écrit par Gramsci lui-même, pour conclure la polémique.
Avant de passer à une illustration de la contribution anarchiste, nous ferons une allusion aux interventions de Bordiga dans le Sovietde Naples au cours desquelles fut soulevé, entre autre, le problème du pouvoir politique, qui intervient et écrase avec son appareil répressif, toute tentative d'édification socialiste à la base comme les Conseils quand ceux-ci ne sont pas simplement incorporés graduellement dans l'ordre bourgeois.

L'objection frappait juste, mais Bordiga, prisonnier de vieilles formules ne réussissait pas à résoudre le problème du pouvoir si ce n'est dans le sens de sa conquête plutôt que dans le sens de sa destruction. Sur ce plan, il ne pouvait comprendre la fonction immédiatement positive des Conseils au cours de la destruction de l'Etat, opérée par le mouvement politique de la classe.


VII
LA CONTRIBUTION DES ANARCHISTES


La contribution des anarchistes à l'élaboration de la théorie des Conseils peut être résumée dans ces deux «adjonctions» théoriques essentielles :

a) Ce n'est que pendant une période révolutionnaire que les Conseils peuvent avoir une efficience révolutionnaire, qu'ils peuvent se constituer en outils valides pour la lutte des classes et non pour la collaboration de classes. En période contre-révolutionnaire les Conseils finissent par être «phagocités» par l'organisation capitaliste qui n'est pas toujours opposée à une cogestion morale de la part des travailleurs. C'est pourquoi avancer l'idée des Conseils dans une période contre-révolutionnaire signifie lancer des diversions inutiles et porter un préjudice grave à la formule même des Conseils d'usine en tant que mot d'ordre révolutionnaire.

b) Les Conseils résolvent à moitié le problème de l'État: ils exproprient l'État de ses fonctions sociales mais ils ne lèsent pas l'État dans ses fonctions antisociales ; ils réduisent l'État à un pléonasme mais ils n'éliminent pas ce pléonasme, ils vident l'appareil étatique de son contenu mais ils ne le détruisent pas. Mais puisqu'on ne peut vaincre l'État en l'ignorant, du fait qu'il peut faire sentir sa présence à tout moment en mettant en marche son mécanisme de contrainte et de sanction, il faut détruire aussi ce mécanisme. Les Conseils ne peuvent accomplir cette opération et pour cela ils demandent l'intervention d'une force politique organisée ; le mouvement spécifique de la classe, qui porte à terme une telle mission. Ce n'est qu'ainsi que l'on peut éviter que le bourgeois, jeté à la porte dans ses vêtements d'industriel ne rentre par la fenêtre déguisé en policier.

La question soulevée dans la polémique entre L'Ordine Nuovoet le Sovietnous semble ainsi résolue. Les «ordinovistes» sous-évaluaient le problème de l'État dans le sens de son «isolement» (7) ; les «soviétistes» le sur-évaluaient dans le sens de son «occupation» ; les anarchistes le centraient correctement dans le sens de sa " liquidation " réalisée sur le terrain politique. Les occasions, les documents, les réunions dans lesquels les anarchistes répétèrent les thèses sur les Conseils, énoncées au chapitre IV, et complétèrent ces thèses avec les «additifs» résumés ci-dessus, furent multiples.

La première occasion fut offerte par le Congrès National de l'U.S.I. qui se tint à Parme en décembre 1919. Déjà avant le Congrès, dans Guerra di Classe(Guerre de Classe), l'organe de l'U.S.I., le problème des Conseils avait été examiné par Borghi, Garinei, et Giovannetti et L'Ordine Nuovosous la plume de Togliatti (p.t.) avait souligné la méthode critique subtile avec laquelle avait été traitée la question dans ce journal.

Au Congrès de l'U.S.I., auquel les Conseils d'usine avaient envoyé leur adhésion et même un délégué, l'ouvrier Matta de Turin, on discuta longuement des Conseils en n'ayant cependant pas toujours une connaissance suffisante du sujet (ainsi les Conseils furent comparés au syndicalisme industriel des I.W.W. ; ce qui ne correspond pas à la réalité, même si théoriquement Gramsci reconnaissait avoir emprunté des idées au syndicaliste nord-américain De Leon) et avec l'intention de faire passer le mouvement des Conseils comme une reconnaissance implicite du syndicalisme révolutionnaire, alors que les Conseils en étaient au contraire une critique et un dépassement.

A la fin du Congrès, cette importante résolution dans laquelle sont condensées les observations positives du débat, fut approuvée :

«Le Congrès salue chaque pas en avant du prolétariat et des forces politiques vers la conception pure du socialisme niant toute capacité de démolition ou de reconstruction à l'institution historique, typique de la démocratie bourgeoise, qui est le parlement, coeur de l'État ;
«Considère la conception soviétiste de la reconstitution sociale comme antithétique de l'État et déclare que toute superposition à l'autonome et libre fonctionnement des soviets de toute la classe productrice, unie dans l'action défensive contre les menaces de la réaction et par les nécessités administratives de la future gestion sociale, sera considérée par le prolétariat comme un attentat au développement de la révolution et à l'avènement de l'égalité dans la liberté ;

«Déclare pour ces raisons toute sa sympathie et son encouragement à ces initiatives prolétariennes que sont les Conseils d'usine, qui tendent à transférer dans la masse ouvrière toutes les facultés d'initiative révolutionnaire et de reconstruction de la vie sociale, en mettant cependant bien en garde les travailleurs contre toutes déviations possibles et escamotages réformistes de la nature révolutionnaire de telles initiatives, contrevenant ainsi aux intentions d'avant-garde de la meilleure partie du prolétariat.

«Invite spécialement cette partie du prolétariat à considérer les nécessités de préparer les forces d'attaque révolutionnaire à l'affrontement de classes, sans quoi la prise en charge de la gestion sociale de la part du proletariat ne sera pas possible» (8).
Le Congrès cerna ensuite dans ces termes les dangers de déviation contenus dans les Conseils d'usine :
a) «Les Conseils d'usine peuvent dégénérer en de simples commissions internes pour le bon fonctionnement de l'usine, pour l'augmentation de la production au profit de la bourgeoisie, pour dénouer les controverses internes ;

b) «On pourrait invertir la logique du processus révolutionnaire, et croire que l'anticipation des formes de la future gestion sociale suffise à faire tomber le régime actuel ;

c) «On pourrait oublier que l'usine appartient au patron parce qu'il y a l'État — le gendarme — qui la défend ;

d) «Il ne faudrait pas tomber dans l'erreur consistant à croire que la question de forme résoudra la question de la substance de la valeur idéale d'un mouvement déterminé».

La discussion fut plus ample au sein de l'Union Anarchiste Italienne qui se préparait à tenir son Congrès National à Bologne du 1er au 4 juillet 1920.

Déjà dans la première moitié de juin, les camarades Ferrero et Garino avaient présenté la motion défendue auparavant à la Bourse du Travail de Turin, au Congrès anarchiste piémontais. Celui-ci l'approuva et délégua le camarade Garino pour la soutenir au Congrès national (9). Le 1er juillet parut dans Umanità Novaun long et exhaustif rapport du camarade Garino, dans lequel sont exposés les principes inspirateurs du mouvement et de l'action des Conseils (10). Au Congrès, le camarade Garino, sur la base du rapport déjà publié illustra la motion approuvée par le Congrès anarchiste piémontais. Après des interventions remarquables de Borghi, Sassi, Vella, Marzocchi, Fabbri, une résolution fut adoptée, qui malgré l'ingénuité de certaines expressions, reprend les thèmes essentiels de la motion de Turin.

En voici le texte:

«Le Congrès — tenant compte que les Conseils d'usine et d'atelier tirent leur importance principale du fait de l'imminente révolution et qu'ils pourront être les organes techniques de l'expropriation et de la nécessaire et immédiate continuation de la production, et sachant que tant que la société actuelle existera ils subiront l'influence modératrice et conciliatrice de celle-ci ;
«Considère les Conseils d'usine comme étant des organes aptes à encadrer, en vue de la révolution, tous les producteurs manuels et intellectuels, sur le lieu même de leur travail, et en vue de réaliser les principes anarchistes-communistes. Les Conseils sont des organes absolument anti-étatiques et sont les noyaux possibles de la future gestion de la production industrielle et agricole ;

«Le considère en outre comme étant aptes à développer chez l'ouvrier salarié la conscience du producteur, et comme étant utiles à l'acheminement de la révolution en favorisant la transformation du mécontentement de la classe ouvrière et du paysanat en une claire volonté expropriatrice ;

«Invite donc les camarades à appuyer la formation des Conseils d'usine et à participer activement à leur développement pour les maintenir, aussi bien dans leur structure organique que dans leur fonctionnement, sur ces directives, en combattant toute tendance de déviation collaborationniste et en veillant à ce que tous les travailleurs de chaque usine participent à leur formation (qu'ils soient organisés ou non)».
En outre, au Congrès de Bologne fut votée une seconde motion sur les Soviets qui réaffirmait selon des principes identiques l'impossibilité historique et politique d'expériences libertaires en phase de ressac contre-révolutionnaire.
Un autre document important se ressentant largement de l'influence des anarchistes est le manifeste lancé dans L'Ordine Nuovodu 27 mars 1920 (11) qui est adressé aux ouvriers et paysans d'Italie pour un Congrès national des Conseils et qui est signé par la rédaction du journal, par le Comité exécutif de la section turinoise du Parti Socialiste, par le Comité d'étude des Conseils d'usine turinois et par le Groupe Libertaire Turinois.

Mais le Congrès n'eut pas lieu car d'autres événements pressaient.


VIII
L'ACTION DES CONSEILS


Nous avons déjà parlé de l'origine des Conseils d'usine à Turin et de leur extension dans le Piémont où ces organismes avaient effectivement atteint un degré d'efficience élevé.

A Turin surtout, chaque usine avait son Conseil, composé de commissaires d'atelier et représenté par un commissariat exécutif d'usine, dont le secrétaire constituait avec les secrétaires délégués par les autres usines, le Comité Central des Usines, et donc le Comité de la Ville.

Mais nous n'avons pas encore parlé de la contre-offensive que le Capital préparait, à Turin précisément.

Déjà au Printemps 1919, sur l'initiative de l'industriel Gino Olivetti, était partie de Turin même, l'idée de la constitution de la Confédération générale de l'Industrie (Confindustria) : initiative qui reçut d'immédiats et larges soutiens dans le monde financier.

A Turin et dans le Piémont existaient dans l'immédiate après-guerre d'autres organisations patronales puissantes: la puissante association des Métallurgistes et Mécaniciens Similaires (A.M.M.A.), dirigée par l'ingénieur Boella et présidée par le «Gran Ufficiale» Agnelli ; la Ligue Industrielle fondée en 1906, dont le secrétaire général était l'avocat Codogni et le président le «Commendatore» De Benedetti; l'Association Piémontaise des Industries du caoutchouc, fondée sur le holding Michelin ; la Fédération Industrielle de Verceil ; la Ligue Industrielle du Val d'Aoste ; etc.

Toutes ces forces tinrent en mars 1920 une conférence à Turin, au cours de laquelle fut élaboré un plan d'attaque contre le prolétariat turinois et contre ses Conseils qui, au mois de février, s'étaient étendus en Ligurie aux chantiers Ansaldo, Odero, Piaggio, Ilva, aux usines Fossati, San Giorgio et qui en mars apparaissaient pour la première fois à Naples, aux usines Miani et Silvestri. Cette dernière usine ne fut reprise aux ouvriers que par l'usage des mitrailleuses et des canons.

Dans la dernière décade de mars, les paysans du Novarais se mettent en grève tandis qu'à Turin, 5.000 ouvriers de la chaussure, les ouvriers du textile et les fonctionnaires font de même. Le 25 mars un incident a lieu à la Fiat, les locaux sont occupés: occupés matériellement parce que les Conseils avaient déjà «envahi» l'usine avant, lui avaient arraché ses secrets, en avaient chassé les espions et les valets des patrons, y avaient dicté une nouvelle discipline interne, s'étaient documentés sur les indices de prix, de productivité, s'étaient liés au personnel technique, avaient organisé des sections armées pour défendre l'usine.

Les industriels réagirent en décrétant le lock-out. 50.000 métallurgistes entrent en grève.

Les tractations traînèrent vingt jours durant lesquels firent grève pour des raisons catégorielles, les ouvriers du papier et les employés des postes et télécommunications. Le 14 avril, la grève générale est déclarée dans tout le Piémont ; Alexandrie, Asti, Novare, Casale, Biella, Vercelli y participent. Le 15, les cheminots de la province de Turin entrent en grève. La grève s'étend jusqu'aux receveurs d'impôts et aux gardes municipaux. Les industriels semblent vaincus.

Mais le gouvernement est de leur côté et il décide d'envoyer des troupes à Turin. Il envoie le 231ème régiment d'infanterie qui sera cependant bloqué par les cheminots. On essaie de transporter des troupes à Gênes à bord d'un navire de commerce mais les marins refusent. Finalement, on les embarqua sur le cuirassé «Caio Duilio», qui une fois arrivé à Gênes trouva la ville et le port en grève générale. La même chose se produisit pour les «Gardes royales» embarquées sur le contretorpilleur «Carini». A terre, les cheminots de Florence, Pise, Lucques imitent leurs camarades de Livourne.

La grève générale s'étend par solidarité jusqu'à Bologne.

Nous sommes désormais à la veille d'une grève générale politique insurrectionnelle. Les Conseils d'usine de Turin, l'Union Syndicale Italienne et les anarchistes l'invoquent concordément. Des accords interviennent entre ces trois forces : socialistes des Conseils, syndicalistes révolutionnaires et anarchistes.

Malatesta, qui était depuis peu revenu en Italie et qui dans un rapide tour de la péninsule s'était voué à préparer dans la conscience des masses le concept de révolution, avait répondu à un groupe de socialistes turinois venu à la rédaction d'Umanità Novapour savoir quelle serait l'attitude des anarchistes : «Quelles que soient les circonstances, les anarchistes feront tout leur devoir». De même, les responsables de l'U.S.I. leur avaient donné l'assurance de leur complète solidarité avec le mouvement.

La délégation des Conseils se rendit également aux réunions que tenait alors à Milan le Conseil National du Parti Socialiste (il aurait dû les tenir à Turin mais à Turin... c'était la grève) mais elle ne trouva là que l'hostilité ouverte des dirigeants du Parti, que des moqueries et des railleries et les membres de la délégation furent traités d'«anarchistes». Ils apportaient la voix de Turin résistante, assiégée par 20.000 policiers et soldats, et l'Avantirefusait de publier l'appel de la section socialiste turinoise.

La trahison de la direction socialiste, incapable de concevoir, d'organiser, de vouloir le passage victorieux de la grève à l'insurrection, marque le sort du mouvement de Turin.

Le 24 avril, trente jours après le début de la grève des métallurgistes, dix jours après le début de la grève générale, c'est la reddition.

La reddition ne signifie pas seulement la capitulation des ouvriers devant les industriels mais le début de la contre-attaque que le patronat lance cette fois avec l'aide des fascistes.

Depuis longtemps à Turin, des rapports étroits s'étaient établis entre De Vecchi (directeur du journal fasciste l'Ardito)et les représentants de la Confindustria en l'espèce avec l'aile «libérale». Comme en témoignent aujourd'hui des documents nombreux dont l'authenticité est indiscutable, ce furent les industriels turinois qui les premiers financèrent les entreprises fascistes et la presse fasciste. Agnelli, De Benedetti, Boella, Codogni, Mazzini, Lancia, Olivetti : voici les parrains du fascisme turinois.

Et le fascisme turinois servit les industriels.

Le 27 avril, deux jours après la fin de la grève, les fascistes turinois lancent un manifeste qui est un abject tissu d'hypocrisie, mais qui mérite d'être lu seulement pour comprendre comment la provocation et le mensonge peuvent se camoufler sous une phraséologie extrémiste et philo-prolétarienne. Le 1er mai, à Turin, durant la manifestation commémorative, le sang de deux travailleurs tués et de trente autres blessés par les balles des «gardes royales », consacre cette page de lutte du prolétariat turinois.

La bataille d'Avril est finie. On se rapproche de celle de Septembre.

En septembre, cependant, l'occupation des usines ne mettait pas en avant les problèmes d'expropriation et de gestion directe mais plutôt la question économique du «contrôle» de l'entreprise. L'action portée sur un tel terrain ne pouvait que déboucher sur des «pourparlers» entre la C.G.L. et la Confindustria, avec la médiation du gouvernement Giolitti. Entre les projets et les contre-projets, l'agitation, démarquée dans de nombreuses villes des plans de la bureaucratie confédérale par des expériences pratiques de gestion directe à la base, était reconduite sur le terrain de la légalité.

Toutefois, la présence des Conseils d'usine au cours de la lutte conduisit à deux résultats importants :

a) Elle accentua le caractère révolutionnaire de l'«occupation», si bien que l'accord survenu sur la base du «contrôle» apparut aux masses laborieuses comme une trahison ;

b) Elle prouva pratiquement que partout où existaient des Conseils d'usine, l'occupation ne fut pas seulement symbolique mais réelle en ce sens que, à travers mille difficultés techniques et financières, un rythme normal ou quasi-normal de production fut maintenu dans les usines. Citons comme exemple, les usines Galileo de Florence (dont le secrétaire de Commission interne était un anarchiste) qui réussirent à maintenir la production à 90% de la normale et à surmonter les énormes difficultés d'ordre organisationnel, technique, financier, militaire et d'assistance.

Ce n'est pas pour rien que la résistance fut la plus tenace et la reddition la plus difficile à arracher dans les usines tenues par les Conseils.


IX
LA TRADITION DES CONSEILS


Il n'existe pas seulement une tradition italienne des Conseils, qui se rattache aux expériences de l'après-guerre rouge. Il existe une tradition européenne, mondiale. En Russie, le mouvement des Conseils eut un large développement durant la période de préparation révolutionnaire jusqu'à octobre puis sur la base des Conseils se développèrent deux courants : celui de l'«Opposition Ouvrière» de Schiapnikov, Lutocinov et Kollontaï et celui du mouvement de Kronstadt qui avançait, entre autres revendications, justement un retour aux Conseils. Et encore dix ans après la révolution de 1917 un courant d'extrême gauche résistait encore dans le parti bolchevik, courant dit de Smirnov, qui revendiquait le retour aux Conseils.

En Allemagne, la révolution brandit le drapeau des Conseils : les Conseils (Raete)constituent la forme de développement de la révolution en 1918, en 1919, en 1921 et en 1923. Le système des Conseils forme en outre le noyau essentiel du programme du «Spartakusbund» et plus tard devait surgir un parti partisan du Communisme de Conseils : le Parti Ouvrier Communiste d'Allemagne (K.A.P.D.) appuyé par une organisation de masse: l'Union Générale Ouvrière d'Allemagne (A.A.P.D.).

En Hollande se développa un important mouvement théorique autour de l'idée des Conseils: ce sont les «tribunistes» qui s'étaient déjà distingués avant la guerre par leur critique de la social-démocratie et au cours de la guerre par leur position internationaliste intransigeante, qui alors recueillirent cette idée, collaborant étroitement avec la gauche allemande. Herman Gorter et Anton Pannekoek devinrent les théoriciens de cette tendance.

En France, dans de nombreux groupes, on accorde une place de choix au problème des Conseils : le groupe « Spartacus» avec René Lefebvre et des noyaux d'exilés italiens et allemands s'en occupent plus particulièrement (en 1951, rappel du T.). Dans la myriade de publications des groupes révolutionnaires, la question des Conseils est soumise à un profond réexamen critique.

En Hongrie et en Bavière, l'expérience des Conseils ne se conclut qu'après le triomphe de la contre-révolution.

Partout, mais surtout en Bavière, en Hollande et en Allemagne, les anarchistes participèrent de façon positive à ce long travail pratique et théorique.


Notes :

1) Unification de l'Italie autour du royaume de Piémont-Sardaigne dont Turin est la capitale. Turin reste capitale du royaume d'Italie de 1859 à 1864, puis ce fut Florence et en 1870, Rome (N.D.T.).

2) La révolte qui dura 4 jours et eut presque les caractères d'une insurrection armée vit les anarchistes au premier plan dans l'organisation du mouvement de contestation. «A Barriera di Milano [un quartier ouvrier de Turin où un des groupes anarchistes de la ville était bien implanté] existait un véritable centre d'organisation de la révolte, qu'un groupe d'anarchistes dirigeait. Ce témoignage est précieux outre que tout à fait digne de foi, vu le caractère des groupes libertaires turinois et l'action déployée au cours des mois précédents». Paolo Spriano: Storia di Torino operaia e socialista, Torino 1972, page 421 (N.D.T.).

3) Pietro Mosso, né à Cerreto d'Asti le 10 janvier 1893, mort dans la zone d'Asti le 29 janvier 1945 au cours d'un bombardement aérien, avait collaboré au début de l'après-guerre à L'Ordine Nuovo(citons entre autres articles Le système Taylor et les conseils des producteurs, du n° du 25 octobre au n° du 22 novembre 1919 ; cette étude aurait dû être éditée comme cahier dans une collection, où l'on annonçait aussi un essai de A. Gramsci sur Le problème du pouvoir prolétarien, mais l'initiative est restée à l'état de projet ; l'article Bougeoisie et production en régime communistedans le n° du 7 juin 1919 ; une intervention dans la polémique entre For Everet le journal ayant comme titre Communisme anarchistedans le n° du 26 juillet 1919, une discussion avec p.t. (Palmiro Togliatti) dans le n° du 30 août 1919 ; une revue de presse à Émile Vandervelde, Le socialisme contre l'Etatdans le n° du 21 juin 1919) à Umanità Nova(Piègesdans le n° du 1er avril 1920), à Volontà(La liberté anarchiste,16 mars et 1er avril 1920 ; Dictature prolétarienne, soviets et anarchie,16 septembre 1919).
Bien que s'étant distingué par sa lucidité et la méthode scientifique avec laquelle il analysait les problèmes, il n'a jamais participé à la vie politique militante du mouvement anarchiste.
Il était connu aussi pour son activité académique à l'Université de Turin où il était assistant du Professeur Annibale Pastore à la chaire de Logique (Cfr. ses oeuvres Principes de logique de l'augmentation de la puissance,Turin, Bocca, 1923, 41 pages ; Hypothèses sur la logique de l'augmentation de puissancein A. Pastore, Logique expérimentale,Naples, Rondinella, 1939) et pour sa compétence technique professionnelle en tant qu'ingénieur mécanique (système Mosso pour la constructions de refuges blindés).

De Carlo Petri, Gramsci a écrit: «Dans la rédaction de l'Ordine Nuovo nous avons un communiste libertaire: Carlo Petri. Avec Petri la discussion est sur un plan supérieur: avec les communistes libertaires comme Petri le travail en commun est nécessaire et indispensable: ils sont une force de la révolution».

4) Pietro Ferrero est né à Grugliasco, (Turin) le 12 mai 1892; en 1918 il est entré chez Fiat. Il a été un des premiers adhérents au Cercle d'études sociales né à Barriera di Milano en février 1905 qui avait pour but de lutter contre le réformisme. Lorsque le cercle s'est transformé en «école moderne» il en est devenu le secrétaire (1911). L'école — qui s'inspirait de l'idéal pédagogique de Francisco Ferrer — avait étendu son activité dans différents quartiers ouvriers de la ville, et avait une véritable fonction d'université prolétarienne. Pendant la guerre Ferrero a fait une propagande active dans les usines et dans l'organisation syndicale pour faire triompher la ligne intransigeante d'opposition à l'entrée des représentants ouvriers dans les comités de mobilisation industrielle. Autour de lui et de Garino s'est réuni un groupe de militants de la FIOM qui s'est engagé dans une forte bataille antiréformiste et anticorporative. Elu secrétaire de la section FIOM de Turin en 1919 au cours d'une assemblée de commissaires d'ateliers, il a laissé son poste de mécanicien chez Fiat et s'est consacré à plein temps à l'organisation des conseils d'usine. Lorsqu'il était secrétaire, la section s'est engagée dans des batailles décisives telles la «grève des aiguilles» (avril 1920) et l'occupation des usines (septembre). Avec Garino, il a rédigé l'appel Pour le congrès des Conseilsparu le 27 mars 1920 dans l'Ordine Nuovo,En juillet, dans la période la plus explosive qui a précédé l'occupation, il a présidé une assemblée de membres de commissions internes au terme de laquelle a été approuvé un ordre du jour qui invitait la FIOM à entreprendre la lutte aux côtés de l'USI et déclarait que «la masse turinoise est prête à tout». Au cours de l'occupation il a déployé une activité très intense, se déplaçant le jour et la nuit d'une usine à l'autre pour maintenir le contact avec les ouvriers armés, soutenant l'action à fond contre tout compromis. Au congrès organisé par la FIOM nationale à Milan pour ratifier la décision d'évacuer les usines à la suite de l'accord D'Aragona-Giolitti, il s'est opposé vigoureusement en adoptant les paroles d'Errico Malatesta: «Si les ouvriers trahis abandonnent les usines, l'on ouvre la porte à la réaction et au fascisme». Il est mort à Turin le 12 décembre 1922. Par «représailles» pour les blessures causées à deux fascistes pour un fait privé les squadristiincendièrent la Chambre du travail, dévastèrent le siège de l'Ordine Nuovo, fouillèrent, frappèrent et finalement massacrèrent 22 personnes, et en blessèrent autant. Parmi les victimes il y avait Ferrero, qui fut blessé par plusieurs coups de feu, puis suspendu par les pieds à un camion et traîné, vivant encore, sur les pavés de l'avenue Vittorio Emanuele. Son cadavre a été retrouvé après minuit, sous la statue de Vittorio Emanuele II, et identifié seulement grâce à une carte de la Croix verte qu'il avait sur lui. (d'après une biographie de A. Andreasi) N.d.T.

5) Maurizio Garino, né à Ploaghe (Sardaigne) le 31 octobre 1892 de mère sarde et de père piémontais, mort à Turin en 1976, a vécu en Sardaigne jusqu'à l'âge de trois ans, quand sa famille s'est installée à Turin. Il a travaillé tout d'abord comme menuisier, puis comme modeleur mécanicien (il a été plus tard dirigeant d'une coopérative de production entre ouvriers modeleurs, la SAMMA). Inscrit en 1908 au mouvement des jeunes socialistes il en est sorti en 1910 pour fonder le cercle d'études sociales «F. Ferrer» de Barriera di Milano. Il a participé à toutes les manifestations prolétariennes les plus importantes : à la protestation contre l'arrestation et l'assassinat de Ferrer, aux agitations contre la guerre de Lybie, à la semaine rouge, aux désordres d'août 1917 contre la guerre mondiale impérialiste, aux Conseils d'usine, à l'occupation des usines, à la lutte antifasciste, etc.

6) Sur le Groupe Libertaire Turinois nous reprenons volontiers ces informations du camarade Garino: «Le Groupe Barriera di Milano qui a tant donné au mouvement ouvrier turinois dans la période 1910-1922 était le plus nombreux et homogène et composé presque exclusivement d'ouvriers. A part moi-même, Ferrero y adhérait et en a été le secrétaire pendant quelques années puis laissa sa place pour devenir secrétaire de la Fiom de la province; et aussi Vianello, Mairone Antonio, interné plus tard dans les camps de concentration nazis, Garino Antonio, Piolatto, Carabba Quirico, Berra, Cocchi, Carrara et beaucoup d'autres tout aussi dignes que l'on se souvienne d'eux mais dont malheureusement je ne sais plus le nom».

7) Nous avons traduit accantonamento(littéralement : cantonnement) par «isolement» qui exprime mieux la thèse défendue par L'Ordine Nuovo: le pouvoir grandissant des Conseils entraîne de fait l'extinction de l'État qui se trouve réduit à une forme sans contenu ni pouvoir (N.D.T.).

8) Guerra di Classe,an VI, n. 1, 1 janvier 1920.

9) Voir Umanità Nova, 18 juin 1920.

10) Voir Annexes.

11) Voir reproduction intégrale en annexes.

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Pïérô
 
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Re: Italie, il y a 90 ans: Le fascisme met fin aux années ro

Messagede Pïérô » 20 Avr 2017, 15:30

ANNEXES

POUR LE CONGRES DES CONSEILS D'USINE AUX OUVRIERS ET PAYSANS D'ITALIE
1

Ouvriers de Turin!
Quelques mois se sont écoulés depuis que grâce à vous le mouvement pour la constitution des Conseils d'usine a pris son essor dans l'industrie turinoise.

Après plus de six mois de discussions, d'épreuves et de dur travail, la nature et les buts de ce mouvement sont désormais clairs. On voit clairement quels sont ses éléments de valeur transitoire, quels sont au contraire ses principes essentiels nouveaux qui inspirent la formation des organismes dans lesquels la vie et la lutte de votre classe trouvent une nouvelle forme. On voit les principes pour lesquels vous vivez et travaillez et pour lesquels vous êtes prêts à lutter. Il faut tirer les conclusions du travail accompli, en extraire une norme sûre pour l'avenir, utiliser les fruits de la précieuse expérience que vous avez recueillie dans la tentativede résoudre les problèmes qui se présentent à l'heure actuelle à quiconque participe à la vie de la classe ouvrière. Vous avez démontré, en vous mettant directement, spontanément au travail, que vous jugez cette méthode supérieure à l'autre, qui conseille d'attendre les enseignements et les plans provenant de haut.

Vous avez démontré que vous voulez vous-mêmes devenir les maîtres de votre destin, que vous comprenez la rédemption de la classe des travailleurs comme une oeuvre que les travailleurs eux-mêmes doivent réaliser. Vous avez démontré qu'une nouvelle conscience est née en vous; conscience qui cherchait une forme et un mode d'action dans lesquels se concrétiser et s'affirmer, et cette forme vous avez su la trouver. Les discussions que vous aurez aujourd'hui, les solutions que vous estimerez bonnes d'adopter, les plans que vous proposerez auront l'inestimable valeur d'être soutenus par une connaissance qui s'est formée dans les faits, par une volonté qui s'est consolidée dans l'action, par une résolution qui s'est renforcée, qui est devenue confiance tenace et inébranlable. Nous jugeons donc que le moment est venu de vous inviter à un congrès qui examine la quantité et la qualité du travail accompli jusqu'à présent et dans quelle direction il faut poursuivre. Nous invitons à y participer à vos côtés les ouvriers des usines et les paysans de toute l'Italie, par l'intermédiaire de leurs représentants directs.

Ouvriers de toute l'Italie.

L'appel à ce Congrès de Turin que nous vous adressons au nom des ouvriers turinois n'est ni un signe de vanité, ni d'orgueil particulier. Les ouvriers turinois sont persuadés que, s'ils se sont trouvés à l'avant-garde du mouvement de préparation prêt à la gestion communiste future de l'usine et de la société, cela ne constitue pas pour eux un titre spécial de fierté si ce n'est parce que c'est le signe qu'ils se sont retrouvés pour vivre et travailler dans des conditions spéciales qui ont favorisé le développement d'une conscience révolutionnaire et une capacité de reconstruction dans la masse des travailleurs.

Mais la concentration industrielle et la discipline unitaire instaurée dans les usines de Turin sont des conditions qui ont tendance à s'étendre à tout le monde de l'économie bourgeoise, ce sont les conditions dans lesquelles la classe des patrons cherche son salut.

Ouvriers, vos patrons, vos ennemis cherchent à résoudre aujourd'hui le problème de la conservation dans leurs mains du pouvoir social, par la création d'un système national et mondial qui garantisse le profit sans travail, qui défende leur activité absolue, qui leur permette de vous repousser, lorsqu'ils en auront la force, dans l'abîme d'obscurité et de misère dont vous voulez sortir à tout prix.

Votre volonté et votre conscience d'hommes se rebellent. Mais cette rébellion restera stérile, s'épuisera en vaines tentatives de révolte sporadique, facilement maîtrisables, difficilement dirigées vers un but durable, si vous ne parvenez pas à renouveler les formes de la lutte que vous voulez entreprendre, qui s'étend toujours plus et devient âpre et difficile. Vous devez passer de la défense à la conquête, tout le monde vous le répète, mais comment? Les organismes de résistance, qui vous ont conduits jusqu'à présent, où vous vous réunissiez par catégorie et par métier, ont-ils en eux-mêmes la possibilité de se transformer valablement vers les nouveaux buts, vers les nouvelles méthodes de lutte? Tout d'abord leur cristallisation dans une forme bureaucratique est très nuisible. Elle les empêche de répondre directement aux besoins, à la volonté, à la conscience des masses, qui aujourd'hui, en période révolutionnaire, se transforment rapidement.

Et de plus: la lutte de conquête doit être menée avec des armes conquérantes et non plus de défense seulement. Une nouvelle organisation doit se développer, comme opposition directe aux organismes de gouvernement des patrons. Elle doit donc naître spontanément sur les lieux de travail, et réunir tous les travailleurs car tous, en tant que producteurs sont soumis à une autorité qui leur est étrangère et dont ils doivent se libérer. Le pouvoir du patron prend sa forme concrète dans les organismes qui règlent la production capitaliste. La volonté de votre classe aussi doit se concrétiser dans une forme d'organisation qui adhère au procès de la production, et dans laquelle chacun de vous soit amené à acquérir la capacité d'auto-gouvernement.

Voilà pour vous l'origine de la liberté: l'origine d'une formation sociale qui s'étendra rapidement et universellement, et vous permettra d'éliminer l'exploiteur et l'intermédiaire du terrain économique, de devenir vous-mêmes les patrons, les maîtres de vos machines, de votre travail, de votre vie, du destin de votre classe, d'être finalement les plus forts, dans la lutte de classes.

Mais même les organismes syndicaux se renforceront au contact intime avec les organismes de représentation des usines. On brisera l'oppression de la structure bureaucratique, l'on cherchera à dépasser même dans le terrain syndical le principe de l'union par métier, pour appliquer le principe nouveau de l'union par unité de production. L'on préparera ainsi des organismes qui auront en eux-mêmes dans un prochain avenir la capacité non plus de régler les conditions du marché de la main d'oeuvre salariée, mais de coordonner l'oeuvre des producteurs associés pour faire valoir, sur le terrain économique, seulement leur volonté.

Ouvriers, l'action des Commissaires d'atelier et des Conseils d'usine est la préparation à la révolution communiste de la société. Le fait qu'elle parte de l'équipe de travail, de l'unité élémentaire de production, ne lui enlève pas ce caractère. Au contraire, ayant en elle tant de force, elle peut espérer triompher avec la conquête de tout le pouvoir social. Les patrons l'ont bien compris, ils dressent l'oreille, ils sont en train de se mettre d'accord pour coordonner leur action, afin de vous livrer bataille lorsqu'ils le jugeront bon. Vous devez aussi vous organiser dans le même but, afin d'être les plus forts à l'heure suprême, pour ne pas disperser prématurément vos forces, pour les accroître dans la concorde, dans l'union, dans un même programme d'action. L'unité des prolétaires, bien que recherchée en vain par des accords entre les différents organismes de direction, entre les chefs, séparés par des rivalités personnelles, est néanmoins nécessaire à votre victoire. Et bien, nous croyons qu'elle naîtra spontanément quand vous vous unirez tous, dans l'atelier où vous êtes tous égaux, pour créer des institutions qui représentent et expriment votre réelle volonté.

Paysans, c'est à vous aussi que nous adressons l'appel à participer aux travaux du Congrès des commissaires d'atelier, parce que vous aussi vous êtes opprimés par la structure capitaliste pesante que les ouvriers veulent briser. C'est ici, dans les villes, que se trouvent le centre des banques qui absorbent vos économies, qui vous les volent pour les consacrer à financer les activités de rapine du capitalisme. C'est ici que se trouvent les représentants du pouvoir d'Etat que vous considérez comme un ennemi, parce qu'il garantit le droit de vos patrons et de vos exploiteurs. Les ouvriers sont vos alliés naturels, mais il vous faut vous mettre sur la même voie qu'eux et préparer dès l'heure tous les organismes aptes à vous donner le pouvoir économique et social.

Travailleurs, camarades:

Le Congrès des Commissaires d'atelier qui aura lieu à Turin avec la participation des ouvriers et des paysans de toute l'Italie va pouvoir marquer une date importante dans l'histoire du développement de la révolution prolétarienne italienne. Nous aimerions qu'il en émerge, si ce n'est une façon de voir explicite nouvelle, tout au moins le premier signe que toute la classe a commencé à s'organiser pour une conquête effective, et que les travailleurs de l'Italie entière se mettent spontanément à étudier les problèmes que la révolution leur présente, et qu'ils cherchent à les résoudre de façon unitaire, concrète, cohérente. Nous voulons que ce Congrès soit une manifestation de force et de sérieux d'une classe qui est à la veille de sa libération. A vous de réaliser ce programme.


RAPPORT SUR LES CONSEILS D'USINE ET ENTREPRISE 2

Le problème des conseils d'usine et d'entreprise revêt en ce moment une importance particulière même en ce qui concerne le mouvement anarchiste communiste. Issu de raisons sociales profondes, il s'est imposé en peu de temps à l'attention des organisations politiques et économiques de la classe ouvrière, apparaissant comme un postulat de premier ordre. Surgi au début d'un centre industriel où l'existence d'établissements énormes avait créé des conditions très favorables, il s'est diffusé dans plusieurs localités. Maintenant, les tentatives de création des conseils sont nombreuses, dans les conditions les plus différentes.
Certes, ce nouvel organisme s'est frayé un chemin à travers des obstacles importants. L'ambiance même de la première expérience où il s'est déroulé, a offert de grandes facilités, et elle a également offert, pour des raisons diverses, de tenaces résistances. Les plus importantes, au début, apparurent sur le plan syndical, mais elles furent dépassées par l'élan des organisés eux-mêmes. D'âpres résistances furent opposées par les patrons de l'industrie, dès qu'ils eurent la certitude que les conseils tels que nous les entendions annonçaient la révolution et non la collaboration; profitant d'une situation qui nous était défavorable, ils donnèrent l'assaut avec l'intention de nous étouffer. Malgré tout cela, les conseils se renforcent aujourd'hui, entraînant dans leur orbite de nombreux éléments qui leur étaient contraires, gagnant chaque jour plus de sympathie dans le milieu ouvrier.

Il est donc opportun de notre part d'examiner cette importante question non seulement pour éclairer et préciser notre attitude à son égard, mais éventuellement pour nous préparer à défendre les conseils contre de possibles déviations, que des organisations ou des hommes de droite pourraient leur imprimer. La conviction que nous sommes finalement à la veille d'une transformation sociale qui, si elle ne nous mènera pas à la réalisation des postulats les plus importants de l'idée anarchiste, déblayera certainement le terrain pour des conquêtes ultérieures, est une prémisse indispensable avant d'affronter l'étude des conseils. La nécessité de forger, dans la recherche de possibilités bien délimitées, des armes mieux adaptées à la poussée révolutionnaire, nous a conseillé de favoriser l'éclosion de ces nouveaux organismes. Ce sont des instruments excellents: d'abord pour l'action immédiate, ensuite pour garantir la continuité de la production dans la période insurrectionnelle et enfin parce qu'ils peuvent être les cellules de base de la gestion communiste.

Le conseil d'usine est un organisme en soi. Il regroupe tous les producteurs manuels et intellectuels sur le lieu même du travail. Etant édifié sur les différents moments de la production, il donne une garantie pour connaître tout le processus de la production. Par conséquent, il a en soi des qualités suffisantes pour assumer l'éventuelle gestion, en se débarrassant de l'enveloppe capitaliste, en rejetant hors du système de production tous les éléments parasites.

En outre, comme moyen de lutte révolutionnaire immédiate, le conseil est parfaitement adapté, tant qu'il n'est pas influencé par des éléments non communistes. Il substitue à la mentalité du salariat la conscience du producteur, en donnant au mouvement ouvrier une tendance claire à l'expropriation. Une des plus grandes qualités des conseils comme moyen de lutte révolutionnaire est précisément celle-ci: il porte la lutte de classe sur son terrain naturel et il la dote d'une grande force.

L'ascendant que la machine possède sur l'ouvrier est immense. Donnez-lui la sensation tangible que la machine, sur laquelle il passe une grande partie de son existence et à laquelle il est indissolublement lié, peut et doit lui appartenir, et vous verrez qu'il demandera son droit sur elle, même s'il n'est pas un ouvrier considére comme " subversif ".

On a confondu le conseil d'usine avec le soviet. Il est utile de répéter que tandis que le premier encadre tous les producteurs sur le lieu de travail, dans le but de gérer les moyens de production, le deuxième est l'organe politique, par lequel les communistes autoritaires entendent exercer leur pouvoir.

Le conseil tel que nous l'entendons, devrait être le travail librement associé et coordonné pour produire les denrées et les objets nécessaires à la communauté. Loin de nous l'intention de dicter a priori une quelconque norme fixe, qui devrait organiser demain les relations entre les personnes. Nous laissons cet objectif à la révolution sociale, qui fera son chemin sans s'occuper des schémas de tel ou tel parti.

Mais comme nous sommes convaincus que la production loin de diminuer doit augmenter le lendemain même de l'insurrection et comme nous jugeons absurde dans les conditions actuelles de détruire et de désorganiser les grands complexes industriels, où se trouvent les systèmes de production les plus avantageux et les plus rapides, nous sommes décidés à nous préserver de toute surprise en constituant dès maintenant une libre confédération de conseils. Au fur et à mesure des besoins, elle formera des bureaux techniques et de statistiques, en étendant un réseau de rapports utiles entre les différentes communautés qui auront indiscutablement intérêt à se mettre d'accord sur un travail d'entraide.

Nous avons parlé plus haut des soviets. Il est bon de préciser les rapports que, d'après les communistes autoritaires, les conseils d'usine devraient avoir avec ces organismes, sans approfondir les raisons qui nous portent à croire que nous ne pouvons pas adhérer au système des soviets et à leur fonction, comme les veulent les socialistes et tels que même la Troisième Internationale les a fixés. Nous jugeons que si nous devrons subir le soviet politique, il ne doit toutefois absolument pas s'introduire dans la vie des conseils d'usine. Voilà pourquoi nous sommes résolument contraires aux superstructures politiques qui enveloppent les organismes de production afin de les maintenir dans l'orbite de l'Etat, même socialiste.

Pour les communistes autoritaires les conseils d'usine de l'entreprise devraient être une partie des éléments constituant le soviet. C'est-à-dire que le conseil devrait nommer ses représentants au soviet de la ville, de la province, etc... lesquels, devraient assumer avec les représentants des conseils des autres fractions productives, la fonction des actuels conseils municipaux, départementaux, etc... jusqu'à remplacer le parlement (représentants des différentes classes sociales, représentants nationaux des seuls producteurs) par le commissariat central des soviets, et le gouvernement actuel par le Conseil des commissaires du peuple.

Il est évident qu'en prenant le premier élément de représentation au soviet dans le conseil d'usine ou d'atelier, les communistes le revêtent d'un mandat politique et jettent ainsi les bases de la dictature prolétarienne au beau milieu d'un organisme qui doit par sa nature rester étranger à toute fonction de gouvernement. Au contraire, cette nature rend d'après nous le conseil un organisme authentiquement anti-étatique.

Les finalités des conseils, tels que les veulent nos " cousins ", divergent donc fondamentalement des nôtres. Tandis que nous visons à abattre tout pouvoir et acceptons le conseil en tant qu'organisme anti-étatique, ils veulent y jeter les bases du nouvel Etat, inéluctablement centralisateur et autoritaire, lui faisant développer sa fonction à travers la hiérarchie représentative des différentes gradations des soviets.

Nous avons dit plus haut qu'à leur naissance les conseils ont trouvé des obstacles de la part d'organismes syndicaux préexistants. Comme ces résistances étaient motivées par de profondes raisons d'ordre public et syndical, il est bien d'en parler.

Les vieilles organisations économiques à système centralisé (conférérales) et leurs dirigeants, ont vu dans l'institution des conseils (tels que nous les entendons) un grave danger, un danger même mortel pour les syndicalistes.

La lutte que les personnes organisées de cette ville ont dû soutenir pour ouvrir une brèche dans la vieille mentalité syndicale a été très dure.

La victoire qu'ils ont remportée correspondait aux besoins de la masse ouvrière, lassée désormais d'une discipline pas toujours nécessaire, et qui aspirait à une plus grande liberté d'action. La transformation de ces organisations fut le premier but des partisans des conseils qui, à travers le syndicat, réussirent par la suite à faciliter le développement des conseils. L'innovation consistait à donner un droit de délibération dans le syndicat à l'assemblée des commissaires d'atelier, qui tout en étant organisés, étaient élus par tous les ouvriers syndiqués ou non, indistinctement - à raison d'un élu pour trente ouvriers -. Il est facile de comprendre pourquoi un tel système était inacceptable pour cette organisation puisque les inorganisés auraient influencé les directives du syndicat.

Les syndicalistes désiraient donc limiter la nomination des commissaires d'atelier par les ouvriers. Cependant le système que nous avons choisi et qui confondait - durant un certain temps - le conseil d'usine avec le syndicat, représentait le seul modus vivendi qui sauvait l'esprit des conseils d'usine et éliminait dans la période de l'action des oppositions trop graves entre les conseils et le syndicat, en fournissant de cette manière une base unique de délibération.

Par contre, en excluant les inorganisés du droit de vote, on ajoutait un nouvel appendice au syndicat. Le contraste entre les deux thèse est évident; l'acceptation de la thèse syndicale aurait complètement dénaturé les conseils.

Une seconde thèse soutenue par les socialistes centristes est l'élection des conseils par tous les producteurs, qui ont droit à élire des commissaires. Cependant ces commissaires sont tenus à l'écart de la direction syndicale et admis uniquement en tant qu'organe consultatif et chargé de certaines tâches syndicales dans les ateliers en attendant que les syndicats prennent la direction des entreprises. Cette thèse est également opposée à l'esprit des conseils en tant qu'elle les soumet à des organismes auxquels - tout en ayant aujourd'hui quelques points de contact - ils ne peuvent en aucun cas être soumis, puisqu'ils tirent exclusivement de l'unanimité des producteurs leur raison d'être, ce qui est profondément différent de ce qui anime les syndicats.

L'accusation de vouloir tuer les syndicats nous a été injustement faite en plusieurs occasions. Nous admettons que l'action des syndicats est en partie absorbée par le conseil, mais nous avons la conviction que ce dernier exerce une influence féconde sur le syndicat, puisqu'il le rapproche des vibrations de la masse, en le mettant en mesure d'interpréter de près les besoins.

Nous reconnaissons donc implicitement que les syndicats ont encore aujourd'hui plusieurs raisons d'exister, d'exercer des fonctions encore nécessaires. Nous leur refusons cependant la possibilité d'aller plus loin - pas de façon absolue naturellement - que la défense des intérêts des ouvriers comme salariés et de créer - comme le conseil le fait avec une relative facilité - une prise de conscience claire de l'expropriation communiste.

Nous reconnaissons cependant que le conseil a aujourd'hui une base commune avec les syndicats. Ces derniers, en tant qu'organes de protection des intérêts ouvriers comme salariat, s'engagent à observer des pactes et des accords pris au nom de la collectivité, pour plusieurs usines. Le pouvoir des syndicats s'étend donc sur de vastes groupements d'usines et, surtout aujourd'hui où la tendance à créer de grands syndicats d'industries, va jusqu'aux catégories les plus récalcitrantes pénètre dans l'usine en tant que contrôle de l'application et du respect des pactes de travail des conseils, composés presque toujours des mêmes adhérents que l'organisation syndicale.

Sur ce terrain le conseil est obligé en fait d'aider le syndicat (dire qu'il ne le fera pas officiellement est un sophisme), sauf dans le cas où cette fonction deviendrait un objectif, ce qui comme nous l'avons vu, dénaturerait le conseil. Trop souvent cette fonction que les conseils acceptent à contrecoeur, leur a donné l'aspect de suite des vieilles commissions internes. Ainsi , on s'est basé sur le fait que dans certaines localités la commission interne exerçait de grandes fonctions dont certaines étaient fusionnée avec les syndicats d'industrie, pour dire que sa structure est identique au... conseil d'usine.

La comparaison n'est valable que superficiellement, mais si nous voulons au contraire approfondir nous trouverons une nette différence, pour les raisons déjà exposées, et non seulement à cause de notre façon de voir les conseils, mais aussi à cause de celle des communistes autoritaires.

Aujourd'hui les différentes thèses tendent à se diviser entre deux conceptions fondamentales: le conseil en tant qu'organisme anti-étatique et le conseil en tant qu'organisme de pouvoir.

Au niveau pratique les partisans de celles-ci appliquent généralement leurs idées fondamentales.

Dans les rapports entre les conseils et les syndicats les éléments socialistes, des centristes aux communistes, se sont mis d'accord en ligne générale sur une plateforme (congrès de la bourse de Turin, motion Tasca), qui tout en voulant laisser aux conseils la possibilité d'un développement, garantit le syndicat contre l'influence des éléments non adhérents, par la création de conseils généraux formés par les comités exécutifs des conseils d'usine des ateliers où les organisés regroupent 75% des ouvriers, et de commissions spéciales nommées par les seuls organisés s'ils sont moins de 75%. L'intention du professeur Tasca est nous le croyons, ainsi que ceux qui ont accepté sa motion (car je suppose qu'elle servira de base pour les discussions ultérieures au congrès socialiste) de suivre les conceptions élaborées à ce sujet par la Troisième Internationale (thèse Zinoviev), qui serait d'après Tasca la voie intermédiaire entre la thèse anarchiste et celle réformiste.

Pour notre part, ayant eu la chance de nous trouver présents à ce congrès et de participer aux discussions, nous avons présenté une motion à ce sujet, conformément à nos conceptions et qui a déjà été approuvée par le congrès anarchiste du Piémont. Et nous vous la soumettons.

Nous n'avons pas la présomption de croire que le problème est résolu. Nous vous avons seulement soumis le matériel à notre disposition à ce sujet et qui est le fruit de la dure expérience des premiers conseils en Italie, de leur naissance à aujourd'hui. Nous vous avons aussi exposé synthétiquement et objectivement quelques-unes des thèses principales.

Pour conclure, nous jugeons souhaitable de la part des anarchistes communistes de favoriser la création et le développement de ces instruments de lutte et de conquête sans en faire toutefois l'unique terrain d'action et de propagande, et comme par le passé sans nous enfermer dans le seul plan syndical, tout en continuant à développer notre plus grande activité sur le terrain politique.

Ainsi, sans nous faire des illusions excessives sur les vertus des conseils d'usine qui ne sont nullement miraculeuses, nous vous invitons à empreigner d'esprit anarchiste ces nouveaux organismes très utiles à la révolution et, si nous savons nous les rendre proches, au communisme anti-autoritaire 3.


AUX OUVRIERS METALLURGISTES ! 4

Vous vous êtes emparés des usines, vous avez fait ainsi un pas important vers l'expropriation de la bourgeoisie et la mise à la disposition des travailleurs des moyens de production. Votre acte peut être, doit être le début de la transformation sociale.
Le moment est plus propice que jamais. Le gouvernement est impuissant et n'ose vous attaquer. Tout le prolétariat, des villes et des campagnes, vous regarde avec une fébrile anxiété et est prêt à suivre votre exemple.

Si vous demeurez unis et fermes vous pourrez avoir fait la révolution sans qu'une goutte de sang ne soit versée 5. Mais pour que cela soit réalité, il faut que le gouvernement sente que vous êtes fermement décidés à résister en utilisant s'il le faut les moyens les plus extrêmes. Si au contraire il vous croit faibles et hésitants, il se tiendra sur ses gardes et tentera d'étouffer le mouvement en massacrant et en persécutant. Mais même si le gouvernement tente de réprimer, en particulier s'il essaie, tout le prolétariat s'insurgera pour vous défendre. Cependant un danger vous menace: celui des transactions et des concessions.

Sachant qu'ils ne peuvent vous attaquer de front, les industriels vont essayer de vous leurrer. Ne tombez pas dans le piège.

Le temps n'est plus aux pourparlers et aux pétitions. Vous jouez le tout pour le tout, tout comme les patrons. Pour faire échouer votre mouvement, les patrons sont capables de concéder tout ce que vous demandez. Et lorsque vous aurez renoncé à l'occupation des usines et qu'elles seront gardées par la police et l'armée, alors gare à vous!

Ne cédez donc pas. Vous avez les usines, défendez-les par tous les moyens.

Entrez en rapport d'usine à usine et avec les cheminots pour la fourniture des matières premières; mettez-vous d'accord avec les coopératives et les gens. Vendez et échangez vos produits sans vous occuper des ex-patrons.

Il ne doit plus y avoir de patrons, et il n'y en aura plus, si vous le voulez.


SANS REPANDRE UNE SEULE GOUTTE DE SANG 6

Nous avons dit que la nouvelle méthode d'action révolutionnaire entreprise par les ouvriers métallurgistes de prendre possession des usines, si elle était suivie par toutes les autres catégories de travailleurs, de la terre, des mines, du bâtiment, du chemin de fer, des dépôts de marchandises de tout genre, des moulins, des fabriques de pâtes alimentaires, des magasins, des maisons, etc., amènerait la révolution, qui se ferait même sans répandre une seule goutte de sang.
Et ce qui semblait être jusqu'à hier un rêve, commence aujourd'hui à être une chose possible, étant donné l'état d'âme du prolétariat et la rapidité par laquelle les initiatives révolutionnaires se propagent et s'intensifient.

Mais cet espoir que nous avons ne signifie pas que nous croyons au repentir des classes privilégiées et à la passivité du gouvernement. Nous ne croyons pas aux déclins paisibles. Nous connaissons toute la rancoeur et toute la férocité de la bourgeoisie et de son gouvernement. Nous savons qu'aujourd'hui, comme toujours, les privilégiés ne renoncent que s'ils sont obligés par la force ou par la peur de la force. Et si pour un instant nous pouvions l'oublier, la conduite quotidienne et les propos exprimés tous les jours par les industriels et par le gouvernement avec leurs gardes royales, leurs carabiniers, leurs sbires soudoyés en uniforme ou non, sont là pour nous le rappeler. Il y aurait là pour nous le rappeler, le sang des prolétaires, le sang de nos camarades assassinés.

Mais nous savons aussi que le plus violent des tyrans devient bon s'il a la sensation que les coups seront tous pour lui.

Voilà pourquoi nous recommandons aux travailleurs de se préparer à la lutte matérielle, de s'armer, de se montrer résolus à se défendre et à attaquer.

Le problème est, et reste, un problème de force.

La phrase sans une seule goutte de sang, prise au pied de la lettre, restera, malheureusement!, une façon de dire. Mais il est certain que plus les travailleurs seront armés, plus ils seront résolus à ne s'arrêter devant aucune extrémité, et moins la révolution répandra de sang.

Cette noble aspiration de ne pas répandre de sang ou d'en répandre le moins possible, doit servir comme encouragement à se préparer, à s'armer toujours plus. Parce que plus nous serons forts et moins de sang coulera.


LA PROPAGANDE DU CAMARADE ERRICO MALATESTA 7

Dans l'après-midi d'hier notre camarade Errico Malatesta a visité les établissements métallurgiques Levi e Bologna, et l'usine de chaussures Bernina, invité par les ouvriers de ces usines.
Dans les trois établissements le travail continue dans l'ordre, malgré l'absence des techniciens et des employés. L'enthousiasme est très vif et tous les ouvriers n'entendent plus céder les usines à l'exploiteur oisif: l'ancien patron.

Errico Malatesta a parlé, et a été applaudi par les ouvriers et les ouvrières de Messieurs Bologna e Levi, à peine la journée de travail terminée. Il a illustré l'importance du mouvement d'expropriation actuel, l'inéiuctabilité de la révolution sociale. " Vous avez commencé - a dit l'orateur - la révolution en Italie. Les révolutions du passé avaient changé de gouvernement, sans détruire le système social bourgeois. Aujourd'hui au contraire les ouvriers ont pris possession des moyens de production, et par cet acte nouveau ils ont commencé la vraie révolution. Les patrons devront travailler comme vous et avec vous, s'ils veulent manger. Le gouvernement est impuissant à arrêter votre marche par la seule force brute. Bourgeoisie et gouvernement tenteront alors de vous leurrer: ils vous promettront beaucoup, tout ce que vous demanderez, les augmentations de salaires et le contrôle d'entreprise qui n'est qu'un piège, tout pour redevenir patrons. Si vous cédez, vous rentrerez à l'usine en esclaves, vos ateliers seront présidés par les gardes royales et les mitraillettes. Tout le prolétariat doit évidemment intervenir, malgré les tâtonnements et les indécisions de vos dirigeants. Vous ne devez céder les usines à aucun prix; vous devez tenir dur. Malgré les décisions des "pompiers" la cause de la révolution n'est pas encore perdue; il faut que les douches froides de vos chefs n'aient pas prise sur vous, si vous voulez que cette fois soit la bonne pour vous émanciper. Rappelez-vous de la noble mission que l'histoire vous a confié: une mission de libération et de progrès ".

A la fin de son discours notre camarade a été vivement applaudi.


TOUT N'EST PAS FINI ! 8

Tout n'est pas fini!
Dans l'après-midi du 20, Errico Malatesta, réclamé avec insistance, se rendait à l'atelier de Fibre Vulcanisée rue Monza à Milan, malgré la " fête nationale " on y travaillait ferme, comme du reste dans les autres ateliers occupés. Aux ouvriers et aux ouvrières réunis dans la cour à l'heure de la sortie, notre camarade tint un bref discours en appliquant notre pensée à la situation créée à la suite de l'accord entre les dirigeants ouvriers et les patrons, conclu à Rome avec l'absence inqualifiable du parti socialiste.

Retraçant à grands traits l'histoire du mouvement parti d'une lutte placée sur un plan purement économique pour aboutir, du fait de l'occupation spontanée des usines, à un véritable mouvement révolutionnaire, notre camarade y voit une des situations les plus favorables aux principes de l'émancipation intégrale, et il met en garde ses auditeurs sur les hésitations, les soucis bureaucratiques des dirigeants des organismes centraux, qui placent leurs calculs mesquins au-dessus du seul objectif que dans cette crise il faut défendre, au dessus des efforts du prolétariat conscient: la révolution sociale.

" Si les circonstances vous imposent - termine-t-il - d'abandonner malgré tout les ateliers, faites-le en sachant que pour le moment par la faute de vos dirigeants ineptes, vous êtes vaincus. Mais bientôt vous reprendrez la lutte et alors ce ne sera pas pour obtenir des concessions qui finissent en mystification, mais pour exproprier définitivement vos exploiteurs, sans aucune collaboration de classes d'aucune sorte ".

Le discours persuasif de notre camarade a été écouté avec la plus profonde attention et sa conclusion a été soulignée par de très vifs signes d'approbations.

Puis Errico Malatesta s'est rendu aussi à l'Atelier mécanique Franco Tosi et y a exposé nos conceptions, tout aussi écoutées. Ensuite il a a eu une discussion brève et aimable sur les possibilités techniques de la révolution. Notre camarade a été l'objet de la plus grande sympathie et aurait dû se rendre aussi chez Pirelli, et dans d'autres établissements, mais l'heure avancée ne le lui a pas permis.


LA PROPAGANDE DE ERRICO MALATESTA 9

Accueilli par la sympathie habituelle des ouvriers, le camarade Malatesta a visité hier après-midi les Ateliers Mécaniques Italiens et l'établissement Moneta à Musocco. Désorientés, trompés et déçus par les tergiversations, les promesses illusoires et les expédients de basse politique de leurs propres dirigeants, les ouvriers attendaient avec anxiété une parole claire et sincère, une parole qui les rassurât et leur redonnât du courage.
" Ceux qui célèbrent l'accord signé à Rome [entre les syndicats et les patrons] comme une grande victoire, vous trompent. La victoire revient effectivement à Giolitti, au gouvernement, à la bourgeoisie qui se sont sauvés de l'abime où ils allaient.

Jamais la révolution n'a été aussi proche en Italie, et n'avait eu autant de chances de réussite. La bourgeoisie tremblait, le gouvernement était impuissant face à la situation. Le pouvoir et la violence ne furent pas utilisés parce que vous avez su opposer au pouvoir du gouvernement un pouvoir supérieur, parce que par la conquête des usines vous aviez préparé votre défense avec les habitudes apprises pendant la guerre, vous aviez démontré que vous opposeriez la violence à la violence et que cette fois ce n'était pas vous, mais vos ennemis qui étaient en situation d'infériorité.

Parler de victoire alors que l'accord de Rome vous soumet de nouveau à l'exploitation de la bourgeoisie que vous auriez pu balayer, est un mensonge. Si vous livrez les usines, faites-le en étant convaincus que vous avez perdu une grande bataille et en ayant la ferme intention de reprendre et de réaliser fondamentalement la lutte, à la première occasion. Vous expulserez les patrons des usines et vous ne leur permettrez de rentrer que comme ouvriers, comme vos égaux, prêts à travailler pour eux et les autres. Rien n'est perdu si vous ne vous faites pas d'illusion sur le caractère trompeur de la victoire.

Le fameux décret sur le contrôle des usines est une plaisanterie, car il fait naître une nouvelle bande de bureaucrates qui, bien qu'ils viennent de vos rangs, ne défendront pas vos intérêts, mais leur place, parce qu'ils veulent combiner vos intérêts avec ceux de la bourgeoisie, ce qui est vouloir ménager la chèvre et le loup. Ne faites pas confiance aux chefs qui vous prennent pour des idiots et qui reculent la révolution de jour en jour. C'est à vous de faire la révolution, si l'occasion s'en présente, sans attendre d'ordres qui ne viennent jamais, ou qui n'arrivent que pour vous demander d'abandonner votre action. Ayez confiance en vous, en votre avenir et vous vaincrez ".

Il est inutile de dire que le discours direct et sincère de notre camarade, suivi attentivement par les ouvriers et les ouvrières, a fait une profonde impression.


DEUX JUGEMENTS HISTORIQUES SUR LES CONSEILS EN ITALIE
ERRICO MALATESTA
10

L'occupations des usines. — Les ouvriers métallurgistes commencèrent le mouvement pour des questions de salaires. Il s'agissait d'une grève d'un genre nouveau. Au lieu d'abandonner les usines, ils restaient dedans sans travailler, en les gardant nuit et jour pour que les patrons ne puissent lock-outer.
Mais on était en 1920. Toute l'Italie prolétarienne tremblait de fièvre révolutionnaire, et le mouvement changea rapidement de caractère. Les ouvriers pensèrent que c'était le moment de s'emparer définitivement des moyens de production. Ils s'armèrent pour la défense, transformant de nombreuses usines en véritables forteresses, et ils commencèrent à organiser la production pour eux-mêmes. Les patrons avaient été chassés ou déclarés en étant d'arrestation. ... C'était le droit de propriété aboli en fait, la loi violée dans tout ce qu'elle a de défense de l'exploitation capitaliste. C'était un nouveau régime, une nouvelle forme de vie sociale qui étaient inaugurés. Le gouvernement laissait faire, parce qu'il se sentait incapable de s'y opposer, comme il l'avoua plus tard en s'excusant de l'absence de répression.

Le mouvement s'étendait et tendait à embrasser d'autres catégories. Des paysans occupaient les terres. C'était la révolution qui commençait et se développait à sa manière, je dirai presque idéale.

Les réformistes, naturellement, voyaient les choses d'un mauvais oeil et cherchaient à les faire avorter. Meme " Avanti! " ne sachant à quel saint se vouer, tenta de nous faire passer pour des pacifistes, parce que dans " Umanità Nova " nous avions dit que si le mouvement s'étendait à toutes les catégories, si les ouvriers et les paysans avaient suivi l'exemple des métallurgistes, en chassant les patrons et en s'emparant des moyens de production, la révolution se serait faite sans verser une goutte de sang. Peine perdue.

La masse était avec nous. On nous demandait de nous rendre dans les usines pour parler, encourager, conseiller, et nous aurions dû nous diviser en mille pour satisfaire toutes les demandes. Là où nous allions c'étaient nos discours que les ouvriers applaudissaient, et les réformistes devaient se retirer ou se camoufler.

La masse était avec nous, parce que nous interprétions mieux ses instincts, ses besoins et ses intérêts .

Et cependant, le travail trompeur des gens de la Confédération Générale du Travail et ses accords avec Giolitti suffirent à faire croire à une espèce de victoire avec l'escroquerie du contrôle ouvrier et à convaincre les ouvriers à laisser les usines, juste au moment où les possibilités de réussite étaient les plus grandes.


LUIGI FABBRI 11

Si elle s'était étendue à toutes les autres catégories professionnelles, et si elle avait été soutenue par les partis et les organisations du prolétariat, l'occupation des usines, en août-septembre 1920, aurait pu entraîner une des révolutions les plus radicales et les moins sanglantes que l'on puisse imaginer.
De plus, en la circonstance la classe ouvrière était pleine d'enthousiasme et efficacement armée. Le gouvernement même a avoué plus tard qu'il n'avait pas à l'époque de forces suffisantes pour vaincre autant de forteresses qu'il y avait d'établissements, où les ouvriers s'étaient barricadés.

Il n'en a rien été, à aucun moment!

Et la responsabilité en retombe un peu sur tous, principalement sur les socialistes qui représentaient le parti révolutionnaire italien le plus fort. En juin 1919 on n'a rien voulu faire, pour ne pas porter préjudice à une manifestation pour la Russie fixée par les socialistes pour les 20 et 21 juillet et qui n'eut finalement aucune efficacité. Au cours du soulèvement d'Ancone en 1920 les communistes qui dirigeaient le parti socialiste ont repoussé toute idée de soulèvement républicain, parce qu'il aurait amené à une république social-démocrate modérée, et ils voulaient la dictature communiste: ou tout ou rien! On sait comment s'est conclue l'occupation des usines: la tromperie de Giolitti sur la promesse du contrôle des usines! Et cette fois-ci ce sont les réformistes de la Confédération du Travail qui se sont opposés à la continuation et à l'extension de la révolte, car ils ont eu peur que le gouvernement n'ait recours à une répression féroce pour vaincre, répression qui aurait brisé, selon eux, définitivement tout mouvement ouvrier et socialiste. Malheureusement l'on a eu tout de même une rupture bien pire et plus violente - comme nous le verrons - justement pour ne pas avoir eu à l'époque le courage d'oser!

La responsabilité la plus grande, je l'ai dit, de ce " dolce far niente " retombe sur les socialistes. Mais une part de responsabilité - moins grande, naturellement, en rapport à leurs forces moins grandes - retombe aussi sur les anarchistes, qui avaient acquis à la fin de la période en question un ascendant remarquable sur les masses et qui n'ont pas su l'utiliser. Ils savaient ce qu'il fallait faire, pour l'avoir dit mille fois auparavant et pour l'avoir répété dans leur congrès de Bologne en juillet 1920. Le gouvernement et la magistrature ont même cru que les anarchistes avaient fait le travail de préparation qu'ils avaient tant propagé. Plus tard, quand la réaction reprit le dessus, une fois Malatesta, Borghi et d'autres arrêtés, on a tenté de bâtir des procès sur cette préparation que l'on supposait avoir été faite. L'on a cherché des preuves dans toute l'Italie, l'on a fait des centaines de perquisitions et d'interrogatoires. Et on n'a rien trouvé. Le juge d'instruction lui-même a dû conclure que les anarchistes n'avaient fait que... des discours et des journaux.

Je parle, naturellement, en ligne générale et pour l'ensemble du mouvement. Cela n'exclut pas que, dans telle localité ou telle autre, spontanément, de différentes manières, des révolutionnaires de différentes écoles aient fait, préparé et agi. Mais tout travail d'ensemble a manqué, tout accord concret, toute préparation un peu vaste qui aurait pu assumer une attitude révolutionnaire, même contre la mauvaise foi et la résistance passive des socialistes les plus modérés. L'abandon des usines, dès la signature de l'accord entre le syndicat et le gouvernement, fut comme le début de la retraite d'une armée. Qui, jusqu'à alors, ne faisait qu'avancer. Aussitôt un sentiment de découragement s'empara des rangs ouvriers. A l'inverse, le gouvernement commença à faire sentir sa force. Ici et là les perquisitions, puis les arrestations ont commencé. Un mois seulement après l'abandon des usines un premier exemple de réaction a été fait au détriment du parti révolutionnaire le moins nombreux, les anarchistes.

Borghi, plusieurs rédacteurs et administrateurs de Umanità Nova (le quotidien anarchiste de Milan), Malatesta et d'autres anarchistes dans plusieurs villes, ont été arrêtés entre le 10 et le 20 octobre avec des prétextes dérisoires (12) ce qui aurait été impossible trois mois auparavant.

L'on a eu quelques démonstrations sporadiques, quelques grèves locales à Carrare, dans le Valdarno, dans la Romagne Toscane, mais les chefs avaient lancé le mot d'ordre de ne pas bouger et en général la masse n'a pas bougé. Les socialistes réunis à Florence ont répondu qu'il n'y avait rien à faire à ceux qui sont allés leur demander un conseil ou un appui. Les anarchistes ont été laissés seuls.

La réaction conservatrice avait désormais la voie libre, et elle a continué son chemin, à petit pas tout d'abord, puis de manière progressivement accélérée.

Je dois dire que beaucoup de camarades anarchistes ne sont pas d'accord pour reconnaitre leur part de responsabilité. A un nouveau congrès anarchiste (Ancona, novembre 1921) j'ai répété ma pensée, et certains de mes amis m'ont reproché de fournir des verges pour nous faire fouetter. Alors que je crois qu'il y a eu des moments où les anarchistes auraient pu prendre l'initiative d'un mouvement révolutionnaire. D'autres, plus nombreux peut-être, soutiennent que cela n'était pas possible: que sans le concours direct et volontaire du parti socialiste et de ses organisations économiques il n'y avait rien à faire; et donc que toute la responsabilité de la révolution manquée retombe sur les socialistes.


Notes :

1- Appel lancé par L'Ordine Nuovo(a. I, n. 42, 27 mars 1920) deTurin et signé, avec le Groupe Libertaire Turinois, par la Commission Exécutive de la Section socialiste de Turin, par le Comité d'études des Conseils d'usine turinois, par L'Ordine Nuovo.

2- Présenté par Maurizio Garino au congrès de l'Union Anarchiste Italienne (Bologne, ler-4 juillet 1920), publié dans le journal Umanità Novadu 1er juillet 192O.

3- Nous avons en partie utilisé la traduction publiée dans Noir et Rouge Autogestion, Etat et Révolution,Paris, Cercle, 1972.

4- Un groupe d'ouvriers anarchistes (Sûrement rédigé avec Malatesta; Umanità Nova, 10 septembre 1920).

5- Quelques jours plus tard, sur Umanità Novaparaissait comme commentaire et précision à cette phrase un article que l'on peut vraisemblablernent attribuer à Malatesta lui-même, bien qu'il ne soit pas signé (voir texte suivant).

6- Umanità Novadu 13 septembre 1920.

7- Umanità Novadu 16 septembre 1920.

8- Umanità Novadu 22 septembre 1920.

9- Umanità Novadu 23 septembre 1920.

10- Umanità Novadu 28 juin 1922.

11- Luigi Fabbri. La controrivoluzione preventiva, 1922, Cappelli Editore.

12- Ces prétextes étaient tellement dérisoires que tous les camarades arrêtés ont été finalement acquittés ou libérés, certains au cours de l'instruction, d'autres au procès.



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Re: Italie, il y a 90 ans: Le fascisme met fin aux années ro

Messagede bipbip » 16 Mai 2017, 14:57

Les origines patronales du fascisme italien

La naissance du fascisme en Italie apparaît comme une conséquence de la première guerre mondiale. A la fin du conflit, frappé par l’inflation et le chômage, le pays est saisi par une forte agitation sociale. Pour se protéger, les industriels et les propriétaires fonciers font appel aux escouades fascistes créées par Benito Mussolini en 1915, lui ouvrant la voie vers la prise du pouvoir.

... http://www.monde-diplomatique.fr/public ... que/a53170
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Re: Italie, il y a 90 ans: Le fascisme met fin aux années ro

Messagede bipbip » 26 Déc 2017, 17:14

Les Anarchistes dans les occupations d'usine en italie

Les Anarchistes dans les occupations d'usine en italie.

Après la fin de la Première Guerre mondiale, il y a eu une radicalisation massive à travers l'Europe et le monde. L'adhésion syndicale a explosé, les grèves, les manifestations et l'agitation atteignant des niveaux massifs. Cela était en partie dû à la guerre, en partie à l'apparente réussite de la Révolution russe. Cet enthousiasme pour la Révolution russe a même atteint des anarchistes individualistes comme Joseph Labadie, qui, comme beaucoup d'autres anticapitalistes, ont vus «le rouge à l'est [donner] l'espoir d'un jour plus lumineux» et les bolcheviks comme faisant «des efforts louables pour au moins essayer Un moyen de sortir de l'enfer de l'esclavage industriel". [Cité par Carlotta R. Anderson, All-American Anarchist p. 225 et p. 241]

Partout en Europe, les idées anarchistes sont devenues plus populaires et les unions anarcho-syndicalistes se sont développées. Par exemple, en Grande-Bretagne, l'agitation produit le mouvement syndical et les grèves sur Clydeside; L'Allemagne a vu la montée du syndicalisme industriel inspiré par l'IWW et une forme libertaire de marxisme appelée «communisme du Conseil»; L'Espagne a connu une croissance massive de la CNT anarcho-syndicaliste. En outre, il a également, malheureusement, vu la montée et la croissance des deux partis sociaux-démocrates et communistes. L'Italie ne fait pas exception.

A Turin, un nouveau mouvement de base se développait. Ce mouvement était basé sur les «commissions internes» (comités de griefs ad hoc élus). Ces nouvelles organisations étaient directement basées sur le groupe de personnes qui travaillaient ensemble dans un atelier particulier, avec un délégué syndical mandaté et révocable élu pour chaque groupe de 15 à 20 travailleurs environ. L'assemblée de tous les délégués syndicaux dans une usine donnée élit alors la «commission interne» pour cette installation, qui était directement et constamment responsable envers le corps des délégués syndicaux, ce qu'on appelait le «conseil d'usine».

Entre novembre 1918 et mars 1919, les commissions internes sont devenues une question nationale au sein du mouvement syndical. Le 20 février 1919, la Fédération italienne des métallurgistes (FIOM) a remporté un contrat prévoyant l'élection de «commissions internes» dans les usines. Les travailleurs ont ensuite tenté de transformer ces organes de représentation des travailleurs en conseils d'usine ayant une fonction de gestion. Au mois de mai 1919, les commissions internes «deviennent la force dominante dans l'industrie des métaux et les syndicats courent le risque de devenir des unités administratives marginales. Derrière ces événements alarmants, aux yeux des réformistes, se trouvent les libertaires». [Carl Levy, Gramsci et les anarchistes, p. 135] En novembre 1919, les commissions internes de Turin se transforment en conseils d'usine.

Le mouvement à Turin est habituellement associé à l'hebdomadaire L'Ordine Nuovo, qui est apparu le 1er mai 1919. Comme le résume Daniel Guerin, il a été «édité par un socialiste de gauche, Antonio Gramsci, assisté d'un professeur De philosophie à l'Université de Turin avec des idées anarchistes, écrivant sous le pseudonyme de Carlo Petri et aussi d'un noyau entier de libertariens de Turin. Dans les usines, le groupe Ordine Nuovo était soutenu par un certain nombre de personnes, en particulier les militants anarcho-syndicalistes de Pietro Ferrero et Maurizio Garino. Le manifeste d'Ordine Nuovo a été signé par les socialistes et les libertaires ensemble, en acceptant de considérer les conseils d'usine comme des «organes adaptés à la future gestion communiste de l'usine individuelle et de la société tout entière» [ Anarchisme, p. 109]

Les développements à Turin ne devraient pas être pris isolément. Partout en Italie, les travailleurs et les paysans ont pris des mesures. À la fin du mois de février 1920, une vague d'occupations d'usines éclata en Ligurie, au Piémont et à Naples. En Ligurie, les ouvriers ont occupé les usines de métal et de construction navale de Sestri Ponente, Cornigliano et Campi après une rupture des négociations salariales. Jusqu'à quatre jours, sous le leadership syndicaliste, ils dirigeaient les usines par l'intermédiaire des conseils d'usine.

Au cours de cette période, l'Union Syndicaliste Italienne (USI) s'est agrandie pour atteindre environ 800 000 membres et l'influence de l'Union Anarchiste Italienne (UAI) avec ses 20 000 membres et son quotidien (Umanita Nova) a augmenté de façon correspondante. Comme le dit l'historien marxiste gallois Gwyn A. Williams: «Les anarchistes et les syndicalistes révolutionnaires étaient le groupe le plus cohérent et le plus totalement révolutionnaire de la gauche ... le trait le plus évident de l'histoire du syndicalisme et de l'anarchisme en 1919-20: rapide et une croissance pratiquement continue ... Les syndicalistes ont surtout capturé l'opinion militante de la classe ouvrière que le mouvement socialiste ne parvenait pas à capturer." [Ordre prolétarien, p. 194-195] À Turin, les libertaires «travaillaient au sein de la FIOM» et avaient été «fortement impliqués dans la campagne Ordine Nuovo dès le début». [Op. Cit., P. 195] Sans surprise, Ordone Nuovo a été dénoncé comme «syndicaliste» par d'autres socialistes.

Ce sont les anarchistes et les syndicalistes qui ont d'abord soulevé l'idée d'occuper des lieux de travail. Malatesta discutait de cette idée dans Umanita Nova en mars 1920. Selon ses propres mots: «Les grèves générales de protestation ne dérangent plus personne ... Il faut chercher autre chose, nous proposons une idée: reprise d'usines ... La méthode a certainement un avenir, parce qu'elle correspond aux fins ultimes du mouvement ouvrier et constitue un exercice préparant l'acte ultime d'expropriation." [Errico Malatesta: Sa vie et ses idées, p. 134] Dans le même mois, pendant «une forte campagne syndicaliste pour établir des conseils à Mila, Armando Borghi [secrétaire anarchiste de l'USI] a appelé à des occupations d'usine de masse. À Turin, la réélection des commissaires d'atelier se terminait après deux semaines de discussion passionnée et les travailleurs ont attrapé la fièvre. dans les [Conseils d'usine] les commissaires ont commencé à appeler à des occupations". En effet, «le mouvement du conseil à l'extérieur de Turin était essentiellement anarcho-syndicaliste». Sans surprise, le secrétaire syndicaliste des métallurgistes «appela à soutenir les conseils de Turin parce qu'ils représentaient une action directe anti-bureaucratique, dirigée vers le contrôle de l'usine et pourraient être les premières cellules des syndicats syndicalistes industriels ...» Le congrès syndicaliste a voté pour Soutenir les conseils ... Malatesta ... les a soutenus comme une forme d'action directe garantie pour générer la rébellion ... Umanita Nova et Guerra di Classe sont devenus presque aussi engagés envers les conseils que L'Ordine Nuovo Et l'édition de Turin d'Avanti." [Williams, op. Cit., P. 200, p. 193 et ​​p. 196]

La recrudescence du militantisme provoqua bientôt une contre-offensive patronale. L'organisation patronale a dénoncé les conseils d'usine et a appelé à une mobilisation contre eux. Les ouvriers se rebellent et refusent de suivre les ordres des patrons - "l'indiscipline" était en hausse dans les usines. Ils ont obtenu l'appui de l'État pour l'application des règlements industriels existants. Le contrat national remporté par la FIOM en 1919 prévoyait que les commissions internes soient interdites de l'atelier et limitées aux heures de non-travail. Cela signifiait que les activités du mouvement des délégués syndicaux à Turin - comme l'arrêt du travail pour tenir des élections de délégué syndical - étaient en violation du contrat. Le mouvement était essentiellement maintenu par l'insubordination de masse. Les patrons ont utilisé cette violation du contrat convenu comme moyen de combattre les conseils d'usine à Turin.

L'affrontement avec les employeurs est arrivé en avril, quand une assemblée générale des délégués syndicaux chez Fiat a appelé à des grèves pour protester contre le licenciement de plusieurs délégués syndicaux. En réponse, les employeurs ont déclaré une fermeture générale. Le gouvernement a soutenu la fermeture avec une grosse manifestation de force et les troupes ont occupé les usines et monté des postes de mitrailleuses pour eux. Lorsque le mouvement des délégués syndicaux a décidé de se rendre sur les questions immédiates en litige après deux semaines de grève, les employeurs ont répondu en demandant que les délégués syndicaux soient limités aux heures de non-travail, conformément au contrat national de la FIOM, et que le controle des gestionnaires soit réimposé.

Ces revendications visaient au cœur du système des conseils d'usine et le mouvement ouvrier de Turin a répondu par une grève générale massive pour la défendre. A Turin, la grève a été totale et s'est rapidement répandue dans toute la région du Piémont et a impliqué 500 000 travailleurs durant son apogée. Les grévistes de Turin ont appelé à la prolongation de la grève à l'échelle nationale et, étant principalement dirigés par les socialistes, ils se sont tournés vers les dirigeants syndicaux et socialistes de la CGL, qui ont rejeté leur appel.

Le seul soutien à la grève générale de Turin provient des syndicats principalement sous influence anarcho-syndicaliste, tels que le chemin de fer indépendant et les syndicats maritimes («Les syndicalistes étaient les seuls à se déplacer»). Les cheminots de Pise et de Florence refusèrent de transporter les troupes qui étaient envoyées à Turin. Il y avait des grèves autour de Gênes, parmi les dockers et dans les lieux de travail où l'USI avait une influence majeure. En dépit d'être «trahis et abandonnés par tout le mouvement socialiste», le mouvement d'avril «retrouvait encore le soutien populaire» avec «des actions [...] directement ou indirectement inspirées par les anarcho-syndicalistes». A Turin même, les anarchistes et les syndicalistes étaient «menaçés de couper le mouvement des conseils par dessous» Gramsci et le groupe Ordine Nuovo. [Williams, op. Cit., P. 207, p. 193 et ​​p. 194]

Finalement, la direction de la CGL mis un terme à la grève acceptant la principale demande des employeurs quant à limiter les conseils des délégués syndicaux aux heures de non-travail. Bien que les conseils aient à ce moemnt déjà beaucoup réduit leur activité et leur présence dans les ateliers, ils auraient encore une résurgence de leur position pendant les occupations des usines de septembre.

Les anarchistes «accusaient les socialistes de trahison, ils critiquaient ce qu'ils croyaient être un faux sens de la discipline qui avait lié les socialistes lachement à leur propre direction, ils ont opposé la discipline qui a placé chaque mouvement sous les calculs, les peurs, les erreurs et les trahisons possibles des dirigeants de l'autre discipline des ouvriers de Sestri Ponente qui ont luttés en solidarité avec Turin, la discipline des cheminots qui ont refusé de transporter les forces de sécurité à Turin et les anarchistes et les membres de l'Unione Sindicale (USI) qui ont oublié les considérations de parti et de secte pour se mettre à la disposition des Torinés"[Carl Levy, op. Cit., P. 161] Malheureusement, cette «discipline» de haut en bas des socialistes et de leurs syndicats se répéterait pendant les occupations des usines, avec des résultats terribles.

En septembre 1920, il y eut des grèves de grande envergure en Italie en réponse à une réduction des salaires et à la fermeture des propriétaires. "Au centre du climat de crise il y avait la montée des syndicalistes." À la mi-août, les métallurgistes de l'USI «ont appelé les deux syndicats à occuper les usines» et ont appelé à «une occupation préventive» contre les fermetures. L'USI considérait cela comme une «expropriation des usines par les métallurgistes» (qui doit «être défendue par toutes les mesures nécessaires») et a vu la nécessité «d'appeler les ouvriers d'autres industries à la bataille». [Williams, op. Cit., P 129]. En effet, «si la FIOM n'avait pas adhéré à l'idée syndicaliste de l'occupation des usines pour contrer la fermeture de l'employeur, l'USI aurait bien pu obtenir un soutien significatif de la classe ouvrière politiquement active de Turin" [Carl Levy, op. Cit., P. 129] Ces grèves ont commencé dans les usines d'ingénierie et se sont rapidement propagées aux chemins de fer, au transport routier et à d'autres industries, les paysans s'emparant des terres. Les grévistes, cependant, ont fait plus que simplement occuper leurs lieux de travail, ils les ont placés sous l'autogestion des ouvriers. Bientôt, plus de 500 000 «grévistes» étaient au travail, produisant pour eux-mêmes. Errico Malatesta, qui a participé à ces événements, écrit:

«Les ouvriers du métal ont commencé le mouvement par rapport aux salaires, c'était une grève d'un genre nouveau: au lieu d'abandonner les usines, l'idée était de rester à l'intérieur sans travailler ... Dans toute l'Italie, il y avait une ferveur révolutionnaire chez les ouvriers et bientôt les revendications ont changé de caractère, les ouvriers pensaient que le moment était venu de prendre possession une fois pour toutes des moyens de production, armés pour les défendre ... et ils commencèrent à organiser la production par eux-mêmes ... C'était le droit de propriété Abolie en fait ... c'était un nouveau régime, une nouvelle forme de vie sociale qui était introduite. Et le gouvernement restait en place parce qu'il se sentait impuissant à s'y opposer. [Errico Malatesta: Sa vie et ses idées, p. 134]

Daniel Guérin fournit un bon résumé de l'ampleur du mouvement:

«La gestion des usines [...] a été menée par des comités techniques et administratifs de travailleurs. L'autogestion a été très longue: au début, l'assistance a été obtenue auprès des banques, mais, lorsqu'elle a été retirée, Le système d'autogestion a émis son propre argent pour payer les salaires des travailleurs. Une autodiscipline très stricte était nécessaire, l'utilisation de boissons alcoolisées interdit et des patrouilles armées ont été organisées pour la légitime défense. Une solidarité très étroite a été établie entre les usines en autogestion. Les minerais et le charbon étaient mis dans un bassin commun et partagés équitablement. [Anarchisme, p. 109]

L'Italie était «paralysée, avec un demi-million de travailleurs occupant leurs usines et y élevant des drapeaux rouges et noirs». Le mouvement s'est répandu dans toute l'Italie, non seulement dans le centre industriel autour de Milan, Turin et Gênes, mais aussi à Rome, Florence, Naples et Palerme. Les "militants de l'USI étaient certainement à l'avant-garde du mouvement", tandis que Umanita Nova a soutenu que "le mouvement est très sérieux et nous devons faire tout notre possible pour le canaliser vers une extension massive". L'appel persistant de l'USI était pour «une extension du mouvement à l'ensemble de l'industrie pour instituer leur« grève générale expropriante »". [Williams, Op. Cit., P. 236 et pp. 243-4] Les ouvriers des chemins de fer, influencés par les libertaires, refusaient de transporter des troupes, les ouvriers allaient en grève contre les ordres des syndicats réformistes et les paysans occupaient la terre. Les anarchistes appuyaient sans réserve le mouvement, sans surprise, puisque «l'occupation des usines et des terres convenait parfaitement à notre programme d'action». [Malatesta, Op. Cit., P. 135] Luigi Fabbri a décrit les occupations comme ayant «révélé un pouvoir dans le prolétariat dont il n'avait pas été informé jusqu'à présent». [Cité par Paolo Sprinao, L'occupation des usines, p. 134]

Cependant, après quatre semaines d'occupation, les travailleurs ont décidé de quitter les usines. Ceci à cause des actions du parti socialiste et des syndicats réformistes. Ils se sont opposés au mouvement et négocié avec l'État pour un retour à la «normalité» en échange d'une promesse d'étendre le contrôle des travailleurs légalement, en association avec les patrons. La question de la révolution a été décidée par un vote du conseil national de la CGL à Milan les 10 et 11 avril, sans consulter les unions syndicales, après que les dirigeants du parti socialiste aient refusé de décider d'une façon ou d'une autre.

Inutile de dire que cette promesse de «contrôle ouvrier» n'a pas été tenue. Le manque d'organisation interindustrielle indépendante a rendu les travailleurs dépendants des bureaucrates syndicaux pour l'information sur ce qui se passait dans d'autres villes, et ils ont utilisé ce pouvoir pour isoler les usines, les villes et les usines les unes des autres. Cela conduisait au retour au travail, «malgré l'opposition des anarchistes dispersés parmi les usines». [Malatesta, Op. Cit., P. 136] Les confédérations syndicalistes locales ne pouvaient pas fournir le cadre nécessaire à un mouvement d'occupation pleinement coordonné, les syndicats réformistes refusant de travailler avec eux; Et bien que les anarchistes fussent une grande minorité, ils étaient encore une minorité:

«Lors de la convention « interprolétaire » du 12 septembre (à laquelle ont participé l'Unione Anarchia, le syndicat des cheminots et des travailleurs maritimes), l'Union Syndicaliste a décidé que « nous ne pouvons pas le faire nous-mêmes sans le parti socialiste et la CGL, on a manifesté notre désaccord contre le "Vote Contre-révolutionnaire" de Milan, on l'a déclaré minoritaire, arbitraire et nul, et on a fini par lancer de nouveaux appels vagues, mais ardents à l'action. [Paolo Spriano, Op. Cit., P. 94]

Malatesta s'adressa aux ouvriers d'une des usines de Milan. Il a soutenu que «ceux qui célèbrent l'accord signé à Rome [entre la Confédération et les capitalistes] comme une grande victoire, vous trompent. La victoire en réalité appartient à Giolitti, au gouvernement et à la bourgeoisie qui sont sauvés Du précipice sur lequel ils étaient accrochés". Pendant l'occupation, «la bourgeoisie tremblait, le gouvernement était impuissant à affronter la situation». Donc:

«Parler de victoire quand l'accord de rome vous renvoie sous l'exploitation bourgeoise dont vous auriez pu vous débarrasser, c'est un mensonge. Si vous renoncez aux usines, faites-le avec la conviction d'avoir perdu une grande bataille et Avec la ferme intention de reprendre la lutte à la première occasion et de la poursuivre d'une manière approfondie ... Rien n'est perdu si vous n'avez aucune illusion sur le caractère trompeur de la victoire ... Le fameux décret sur le contrôle des usines Est une moquerie ... parce qu'elle tend à harmoniser vos intérêts et ceux de la bourgeoisie qui est comme l'harmonisation des intérêts du loup et des brebis ... Ne croyez pas ceux de vos chefs qui vous prennent pour des sots en ajournant la révolution de jour en jour. Vous devez faire la révolution quand une occasion s'offrira, sans attendre des ordres qui ne viendront jamais, ou qui viendront seulement pour vous enjoindre d'abandonner l'action ... Ayez confiance en vous, ayez confiance en votre avenir et vous gagnerez." [Cité par Max Nettlau, Errico Malatesta: La biographie d'un anarchiste]

Malatesta avait parlé vrai. Avec la fin des occupations, les seuls vainqueurs étaient la bourgeoisie et le gouvernement. Bientôt les ouvriers affronteront le fascisme, mais d'abord, en octobre 1920, "après que les usines aient été évacuées", le gouvernement (sachant évidemment qui était la vraie menace) "a arrêté toute la direction de l'USI et de l'UAI, Et ils «ignorèrent plus ou moins la persécution des libertaires jusqu'au printemps 1921, lorsque le vieillard Malatesta et les autres anarchistes emprisonnés firent une grève de la faim dans leurs cellules de Milan». [Carl Levy, op. Cit., Pp. 221-2] Ils ont été acquittés après un procès de quatre jours.

Les événements de 1920 montrent quatre choses. Tout d'abord, que les travailleurs peuvent gérer leur propre lieu de travail avec succès par eux-mêmes, sans patrons. Deuxièmement, sur la nécessité pour les anarchistes d'être impliqués dans le mouvement syndical. Sans le soutien de l'USI, le mouvement de Turin aurait été encore plus isolé qu'il ne l'était. Troisièmement, les anarchistes doivent être organisés pour influencer la lutte des classes. La croissance de l'UAI et de l'USI en termes d'influence et de taille indique l'importance de ceci. Sans les anarchistes et les syndicalistes soulevant l'idée des occupations d'usine et soutenant le mouvement, il est douteux qu'il aurait été aussi réussie et répandue qu'elle était. Enfin, les organisations socialistes, structurées de manière hiérarchique, ne produisent pas l'appartenance révolutionnaire. En cherchant constamment les dirigeants, le mouvement a été paralysé et ne pouvait pas développer son plein potentiel.

Cette période de l'histoire italienne explique la croissance du fascisme en Italie. Comme le souligne Tobias Abse, «la montée du fascisme en Italie ne peut être détachée des évènements du biennio rosso, les deux années rouges de 1919 et 1920 qui l'ont précédé. Le fascisme était une contre-révolution préventive [...] »(« Le soulèvement du fascisme dans une ville industrielle », p. 52-81, Repenser le fascisme italien, David Forgacs (éd.), P.52-81] Le terme «contre-révolution préventive» a été inventé à l'origine par le grand anarchiste Luigi Fabbri, qui qualifiait correctement le fascisme «l'organisation et l'agent de la défense armée violente de la classe dirigeante contre le prolétariat qui, selon eux, Deviennent indûment exigeants, unis et intrusifs." ["Le fascisme: la contre-révolution préventive", p. 408-416, Anarchism, Robert Graham (ed.), P. 410 et p. 409]

La montée du fascisme confirma l'avertissement de Malatesta à l'époque des occupations d'usine: «Si nous ne poursuivons pas jusqu'à la fin, nous paierons avec des larmes de sang pour la peur que nous provoquons maintenant à la bourgeoisie." [Cité par Tobias Abse, op. Cit., P. 66] Les capitalistes et riches propriétaires fonciers ont soutenu les fascistes afin d'enseigner à la classe ouvrière leur place, aidée par l'État. Ils se sont assurés «qu'il a reçu toutes les aides en matière de financement et d'armement, fermant les yeux sur ses violations de la loi et, si nécessaire, couvrant ses arrières par l'intervention des forces armées qui, sous prétexte de rétablir l'ordre, À l'aide des fascistes partout où ceux-ci commençaient à se faire battre au lieu de s'en tirer". [Fabbri, Op. Cit., P. 411] Pour citer Tobias Abse:

«Les objectifs des fascistes et de leurs partisans parmi les industriels et les agrariens en 1921-1922 étaient simples: briser le pouvoir des ouvriers et des paysans organisés aussi complètement que possible, effacer, avec la balle et le baton, Les gains du biennio rosso, mais tout ce que les classes inférieures avaient gagné ... entre le début du siècle et le déclenchement de la Première Guerre mondiale. [Op. Cit., P. 54]

Les escouades fascistes attaquèrent et détruisirent des lieux de rencontre anarchistes et socialistes, des centres sociaux, des presses radicales et Camera del Lavoro (conseils syndicaux locaux). Cependant, même dans les jours sombres de la terreur fasciste, les anarchistes ont résisté aux forces du totalitarisme. «Ce n'est pas par hasard que la résistance ouvrière la plus forte au fascisme était dans ... des villages ou des villes où il y avait une forte tradition anarchiste, syndicaliste ou anarcho-syndicaliste». [Tobias Abse, op. Cit., P. 56]

Les anarchistes ont participé et souvent organisé des sections de l'Arditi del Popolo, une organisation ouvrière consacrée à la défense des intérêts des travailleurs. L'Arditi del Popolo a organisé et encouragé la résistance de la classe ouvrière aux escadrons fascistes, vainquant souvent de plus grandes forces fascistes (par exemple "l'humiliation totale de milliers de squadristes d'Italo Balbo par quelques centaines d'Arditi del Popolo soutenus par les habitants des districts de la classe ouvrière" dans le bastion anarchiste de Parme en août 1922 [Tobias Abse, Op. Cit., P.56]).

L'Arditi del Popolo était en Italie le plus proche de l'idée d'un front unitaire et révolutionnaire de la classe ouvrière contre le fascisme, comme l'avaient suggéré Malatesta et l'UAI. Ce mouvement "s'est développé selon des lignes anti-bourgeoises et antifascistes, et a été marqué par l'indépendance de ses sections locales". [Années rouges, années noires: résistance anarchiste au fascisme en Italie, p. 2]. Au lieu d'être simplement une organisation «antifasciste», les Arditi «ne sont pas un mouvement de défense de la « démocratie » dans l'abstrait, mais une organisation essentiellement ouvrière consacrée à la défense des intérêts des travailleurs industriels, des Dockers et un grand nombre d'artisans et de fabricants. " [Tobias Abse, op. Cit., P74]. L'Arditi del Popolo semble avoir été le plus fort et le plus réussi dans les régions où la culture politique ouvrière traditionnelle était moins exclusivement socialiste et avait de fortes traditions anarchistes ou syndicalistes, par exemple Bari, Livourne, Parme et Rome. [Antonio Sonnessa, «Organisation de la défense de la classe ouvrière, Résistance antifasciste et Arditi del Popolo à Turin, 1919-1922», p. 183-218, European History Quarterly, vol. 33, no. 2, p. 184]

Cependant, les partis socialistes et communistes se sont retirés de l'organisation. Les socialistes ont signé un «pacte de pacification» avec les fascistes en août 1921. Les communistes «préféraient retirer leurs membres de l'Arditi del Popolo plutôt que de les laisser travailler avec les anarchistes». [Années rouges, années noires, p. 17]. En effet, «le même jour que le pacte a été signé, Ordine Nuovo a publié une communication du PCI [parti communiste d'Italie] communiquant que les communistes étaient contre l'implication» dans l'Arditi del Popolo. Quatre jours plus tard, les dirigeants communistes «abandonnèrent officiellement le mouvement. Des mesures disciplinaires sévères furent menées contre les communistes qui continuaient à participer ou à entretenir des liens avec" l'organisation. Ainsi, "à la fin de la première semaine d'août 1921, le PSI, le CGL et le PCI avaient officiellement dénoncé" l'organisation. "Seuls les dirigeants anarchistes, s'ils ne sont pas toujours sympathiques au programme de l'Arditi del Popolo, n'ont pas abandonné le mouvement". En effet, Umanita Nova "l'a fortement soutenu parce qu'elle représentait une expression populaire de la résistance antifasciste et en défense de la liberté d'organisation. " [Antonio Sonnessa, op. Cit., P. 195 et p. 194]

Cependant, en dépit des décisions de leurs dirigeants, de nombreux socialistes et communistes de base ont pris part au mouvement. Ces derniers ont pris part à un «défi ouvert pour l'abandon croissant de la direction du PCI». A Turin, par exemple, les communistes qui participaient à l'Arditi del Polopo le faisaient «moins comme des communistes et plus comme faisant partie d'une auto-identification plus large de la classe ouvrière ... Cette dynamique a été renforcée par un important parti socialiste et une Présence anarchiste" là-bas. L'échec de la direction communiste à soutenir le mouvement montre la faillite des formes d'organisation bolchevique qui ne répondaient pas aux besoins du mouvement populaire. En effet, ces événements montrent que la «coutume libertaire de l'autonomie et de la résistance à l'autorité a également été exercée contre les dirigeants du mouvement ouvrier, en particulier lorsqu'ils ont été considérés comme ayant mal compris la situation au niveau local». [Sonnessa, op. Cit., P. 200, p. 198 et p. 193]

Ainsi, le Parti communiste n'a pas soutenu la résistance populaire au fascisme. Le dirigeant communiste Antonio Gramsci a expliqué pourquoi «l'attitude des dirigeants du parti sur la question de l'Arditi del Popolo [...] correspondait à la nécessité d'empêcher les membres du parti d'être contrôlés par une direction qui n'était pas la direction du parti». Gramsci a ajouté que cette politique "a servi à disqualifier un mouvement de masse qui avait commencé par le bas et qui auraient pu être exploités par nous politiquement". [Sélections des écrits politiques (1921-1926), p. 333]. Tout en étant moins sectaire envers l'Arditi del Popolo que les autres dirigeants communistes, «en commun avec tous les dirigeants communistes, Gramsci attendait la formation des escouades militaires dirigées par le PCI». [Sonnessa, op. Cit., P 196]. En d'autres termes, la lutte contre le fascisme était perçu par les dirigeants communistes comme un moyen de gagner plus de membres et, quand le contraire était une possibilité, ils préféraient la défaite et le fascisme plutôt que de risquer leurs partisans d'être influencés par l'anarchisme.

Comme l'indique Abse, «c'est le retrait du soutien des partis socialistes et communistes au niveau national qui a paralysé « l'Arditi ». [Op. Cit., P 74]. Ainsi, «le défaitisme socialiste réformiste et le sectarisme communiste rendirent impossible une opposition armée, répandue et donc efficace, et les instances isolées de la résistance populaire n'ont pu s'unir dans une stratégie réussie». Et le fascisme aurait pu être vaincu: «Les insurrections à Sarzanna, en juillet 1921, et à Parme, en août 1922, sont des exemples de la justesse des politiques que les anarchistes ont poussées dans l'action et la propagande» [Années rouges, années noires, p. 3 et p. 2] L'historien Tobias Abse confirme cette analyse en affirmant que «ce qui s'est passé à Parme en août 1922 [...] aurait pu se produire ailleurs, si seulement la direction des partis socialistes et communistes jetait leur poids derrière l'appel de l'anarchiste Malatesta Pour un front révolutionnaire uni contre le fascisme." [Op. Cit., P. 56]

En fin de compte, la violence fasciste a réussi et le pouvoir capitaliste a été maintenu :

«La volonté et le courage des anarchistes ne suffirent pas à combattre les gangs fascistes, puissamment aidés par le matériel et les armes, soutenus par les organes répressifs de l'État. Les anarchistes et les anarcho-syndicalistes étaient déterminants dans certaines régions et dans certaines industries, Un choix similaire d'action directe sur les parts du Parti socialiste et la Confédération générale du travail [le syndicat réformiste] aurait pu arrêter le fascisme". [Années rouges, années noires, pp. 1-2]

Après avoir aidé à vaincre la révolution, les marxistes ont contribué à assurer la victoire du fascisme.

Même après la création de l'Etat fasciste, les anarchistes résistaient à l'intérieur comme à l'extérieur de l'Italie. En Amérique, par exemple, les anarchistes italiens ont joué un rôle majeur dans la lutte contre l'influence fasciste dans leurs communautés, pas plus que Carlo Tresca, le plus célèbre pour son rôle dans la grève de l'IWW à Lawrence en 1912, qui "dans les années 1920 n'avait pas d'égal parmi les leaders anti-fascistes, une distinction reconnue par la police politique de Mussolini à Rome." [Nunzio Pernicone, Carlo Tresca: Portrait d'un rebelle, p. 4] De nombreux Italiens, anarchistes et non anarchistes, se sont rendus en Espagne pour résister à Franco en 1936 (voir Umberto Marzochhi's Remembering Spain: Italian Anarchist Volunteers in the spanish civil war pour plus de détails). Pendant la Seconde Guerre mondiale, les anarchistes ont joué un rôle majeur dans le mouvement des partisans italien. C'était le fait que le mouvement antifasciste était dominé par des éléments anticapitalistes qui ont amené les États-Unis et le Royaume-Uni à placer des fascistes connus dans des positions gouvernementales dans les lieux qu'ils «libéraient» (souvent lorsque la ville avait déjà été reprise par les partisans , Ce qui a conduit les troupes alliées à «libérer» la ville de ses propres habitants!).

Étant donné cette histoire de résistance au fascisme en Italie, il est surprenant que certains prétendent que le fascisme italien était un produit ou une forme de syndicalisme. Certains anarchistes l'affirment même. Selon Bob Black, les «syndicalistes italiens se sont surtout tournés vers le fascisme» et se référence de l'étudiant David D. Roberts (1979) sur la Tradition syndicaliste et le fascisme italien pour soutenir sa revendication [Anarchie après le gauchisme, p. 64] Peter Sabatini dans une revue dans Anarchisme social fait une déclaration semblable, en disant que l'«échec ultime» du syndicalisme était «sa transformation en un véhicule du fascisme». [Anarchisme social, no. 23, p. 99] Quelle est la vérité derrière ces revendications?

En regardant la référence de Black, nous découvrons qu'en fait, la plupart des syndicalistes italiens ne passaient pas au fascisme, si par syndicalistes nous entendons les membres de l'USI (l'Union Syndicaliste Italienne). Roberts déclare que:

«La grande majorité des ouvriers organisés ne répondaient pas aux appels des syndicalistes et continuaient à s'opposer à l'intervention [italienne] pendant la Première Guerre mondiale, en évitant ce qui semblait être une futile guerre capitaliste.» Les syndicalistes n'ont pas réussi à convaincre même une majorité Au sein de l'USI ... la majorité a opté pour le neutralisme d'Armando Borghi, le leader des anarchistes au sein de l'USI.Le schisme a suivi comme De Ambris a conduit la minorité interventionniste hors de la confédération. [La Tradition syndicaliste et le fascisme italien, p. 113]

Cependant, si nous considérons le «syndicaliste» comme signifiant certains intellectuels et «leaders» du mouvement d'avant-guerre, c'est que «les syndicalistes de premier plan sont intervenus rapidement et presque unanimement» [Roberts, Op. Cit., P. 106] après la Première Guerre mondiale, beaucoup de ces "syndicalistes de premier plan" devinrent fascistes. Cependant, pour se concentrer sur une poignée de «dirigeants» (que la majorité ne suivait même pas!) Et affirmer que cela montre que les «syndicalistes italiens sont surtout passé au fascisme» titube sur une croyance. Ce qui est encore pire, comme on l'a vu plus haut, les anarchistes et les syndicalistes italiens étaient les combattants les plus dévoués et les plus réussis contre le fascisme. En effet, Black et Sabatini ont calomnié tout un mouvement.

Ce qui est également intéressant, c'est que ces «syndicalistes de premier plan» n'étaient pas anarchistes et donc pas anarcho-syndicalistes. Comme Roberts l'a remarqué «en Italie, la doctrine syndicaliste était plus clairement le produit d'un groupe d'intellectuels opérant au sein du parti socialiste et cherchant une alternative au réformisme». Ils «ont explicitement dénoncé l'anarchisme» et «insisté sur une variété d'orthodoxie marxiste». Les «syndicalistes ont véritablement souhaité - et essayé - de travailler dans la tradition marxiste». [Op. Cit., P. 66, p. 72, p. 57 et p. 79] Selon Carl Levy, dans son récit de l'anarchisme italien, «à l'instar d'autres mouvements syndicalistes, la variation italienne se fondait à l'intérieur d'un second parti international, partiellement tiré des intransigeants socialistes ... les intellectuels syndicalistes du sud ont prononcé le républicanisme. Une autre composante ... était le reste du Partito Operaio". ["Anarchisme italien: 1870-1926" dans Pour l'anarchisme: histoire, théorie, et pratique, David Goodway (Ed.), P. 51]

En d'autres termes, les syndicalistes italiens qui se sont tournés vers le fascisme étaient d'abord une petite minorité d'intellectuels qui ne pouvaient convaincre la majorité au sein de l'union syndicaliste à les suivre, et deuxièmement ils étaient marxistes et républicains plutôt qu'anarchistes, anarcho-syndicalistes ou même Syndicalistes révolutionnaires.

Selon Carl Levy, le livre de Roberts «se concentre sur l'intelligentsia syndicaliste» et «certains intellectuels syndicalistes [...] ont contribué à générer ou sympathiser le nouveau mouvement nationaliste [...] qui ressemblait à la rhétorique populiste et républicaine du Sud des Intellectuels syndicalistes". Il soutient qu'il y a eu «trop d'emphase sur les intellectuels syndicalistes et les organisateurs nationaux» et que le syndicalisme «ne comptait guère sur son leadership national pour sa vitalité à long terme». [Op. Cit., P. 77, p. 53 et p. 51]. Si nous examinons les membres de l'USI, plutôt que de trouver un groupe qui «passait pour la plupart au fascisme», nous découvrons un groupe de personnes qui ont combattu le fascisme à coups de dents et de clous et qui ont fait l'objet d'une vaste violence fasciste.

Pour résumer, le fascisme italien n'avait rien à voir avec le syndicalisme et, comme on l'a vu plus haut, l'USI a combattu les fascistes et a été détruite par eux avec l'UAI, le Parti socialiste et d'autres radicaux. Qu'une poignée de marxistes-syndicalistes d'avant-guerre devienne plus tard Fascistes et a appelé à un «national-syndicalisme» ne signifie pas que le syndicalisme et le fascisme sont liés (pas plus que certains anarchistes devenant plus tard marxistes n'ont fait de l'anarchisme «un véhicule» pour le marxisme! .

Il n'est guère surprenant que les anarchistes fussent les opposants les plus cohérents et les plus réussis du fascisme. Les deux mouvements ne pouvaient pas être plus éloignés, l'un pour l'étatisme total au service du capitalisme, l'autre pour une société libre et non capitaliste. Il n'est pas non plus surprenant que lorsque leurs privilèges et leur pouvoir étaient en danger, les capitalistes et les propriétaires terriens se sont tournés vers le fascisme pour les sauver. Ce processus est une caractéristique commune dans l'histoire (pour ne citer que quatre exemples, l'Italie, l'Allemagne, l'Espagne et le Chili).


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Re: Italie, il y a 90 ans: Le fascisme met fin aux années ro

Messagede bipbip » 01 Jan 2018, 18:34

Histoire de l’anarcho-syndicalisme italien

par I Nuclei Libertari di Fabrica di Milano
Édition du groupe Fresnes-Antony de la Fédération Anarchiste
Dépôt légal: 1978

Brochure en ligne

Image


Extraits :

« Ce numéro 5 de Volonté Anarchiste sur l’anarcho-syndicalisme italien est une traduction de notre groupe d’un texte des noyaux libertaires d’usines et d’entreprises de Milan, paru en avril 1978. Ces noyaux libertaires qui développent une présence anarchiste non négligeable dans les entreprises se sont penchés sur le passé de l’anarcho-syndicalisme italien, partiellement méconnu dans les milieux libertaires italiens, mais nous n’en doutons pas, totalement méconnu en France. Cette publication n’est pas uniquement livré pour l’intérêt de sa connaissance historique mais pour son évocation de l’expérience de la voie anarcho-syndicaliste. »

« Le moment du choix pour les travailleurs libertaires est arrivé: continuer d’être à la remorque des différents partis, mouvements, centrales syndicales ou être à nouveau un élément mobilisateur projeté vers la construction autonome libertaire de classe. Il n’y a pas de doute sur le choix de ce dernier point, il s’exprime depuis longtemps une discussion rigoureuse à propos du moment et des méthodes pour y arriver. Et cette fois on ne commence pas avec le vide mais avec un bagage d’expériences réelles. »

Table des matières
Préface…………………………………………………………………. pages 11
Naissance de l’U.S.I.: 1912-1922……………………………pages 15
Considérations sur l’expérience de l’U.S.I. ………..pages 37
L’U.S.I. au cours de l’après-guerre 1949-1970 …….pages 41

doc PDF : https://cedasasced.files.wordpress.com/ ... talien.pdf

https://cedasasced.wordpress.com/2017/1 ... e-italien/
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Re: Italie, il y a 90 ans: Le fascisme met fin aux années ro

Messagede bipbip » 13 Aoû 2018, 20:45

En souvenir des conseils ouvriers italiens de 1920

De passage à Turin, je suis allé faire un tour sur l’ancien site industriel du Lingotto, là où en 1920 les ouvriers de Fiat ont autogéré leur entreprise pendant plusieurs semaines.

Petit rappel des faits concernant cet épisode de l’histoire ouvrière :

Le 21 août 1920, l’Unione Sindacale Italiana (USI) et le secteur métallurgique de la Confederazione Generale del Lavoro (CGL) appellent à une grève ayant pour objectif une augmentation des salaires. Le mouvement est bien suivi et plusieurs entreprises sont occupées. À partir du 1er septembre, les occupations se multiplient de manière massive (plus de 500 000 ouvriers y participent). À Turin, des assemblées de grévistes décident de créer des conseils ouvriers dans les usines occupées. Le mouvement prend alors une tournure autogestionnaire. Des cheminots solidaires s’occupent du transport des marchandises. Chez Fiat, 35 wagons de matières premières sont livrés au conseil ouvrier et cette livraison permet la production de 27 véhicules par jour. Giovanni Agnelli, le patron de Fiat, demande au gouvernement de bombarder son entreprise pour en finir avec l’occupation. Le gouvernement refuse mais la direction de la CGL prend peur et, le 19 septembre, elle lâche le mouvement. Malgré ses 150 000 adhérents, l’USI (organisation d’inspiration syndicaliste révolutionnaire qui a été très active dans l’émergence des conseils) n’a pas les moyens à elle seule de soutenir le mouvement et celui-ci s’arrête. Si cet épisode de l’histoire ouvrière n’est pas très connu, il fait néanmoins partie de tous ces moments où des travailleurs/euses, en Italie comme ailleurs, ont monté qu’ils étaient capables de faire tourner une entreprise sans avoir de patron sur le dos.


https://ericdussart.blog/2018/07/31/en- ... s-de-1920/
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Re: Italie, il y a 90 ans: Le fascisme met fin aux années ro

Messagede Pïérô » 31 Aoû 2019, 18:31

31 août 1920 : mouvement d’occupation d’usines en Italie

Le 31 août 1920, à Milan, Turin, et dans le nord de l’Italie, débute un vaste mouvement d’occupation des usines et de mise en place de conseils ouvriers. D’un côté, cette expérience est un moment-clé pour qui s’intéresse aux expériences d’auto-organisation. De l’autre, l’étouffement de ce mouvement ouvrira la porte à la réaction fasciste.

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Pïérô
 
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