Russie : Le mouvement anarchiste de 1905 et 1917 à nos jours

Russie : Le mouvement anarchiste de 1905 et 1917 à nos jours

Messagede Pïérô » 26 Sep 2010, 13:55

dans A-Infos, http://www.ainfos.ca/fr/ainfos09063.html :

Le mouvement anarchiste en Russie
De la révolution de 1905 et 1917 à nos jours

S'il est vrai que la Russie a donné au mouvement anarchiste
international de nombreux penseurs intéressants et des organisateurs -
Bakounine et Kropotkine à Makhno, Voline et d'autres - le mouvement
lui-même n'a pas été en mesure de prendre fermement racine dans le pays,
qui dans les derniers siècles a été soumis à un régime, parfois
autoritaires et totalitaires. D'importantes périodes d'exception ont été
les révolutions de 1905-07 et 1917-21, quand les anarchistes connurent
un certain soutien et le mouvement vécurent des moments florissants. Ces
moments, toutefois, étaient assez courts et après la liquidation des
anarchistes dans les années vingt, par les bolcheviks, pendant des
décennies, le mouvement n'était plus présent dans le pays - tous les
anarchistes ont été tués, emprisonnés, forcés à la clandestinité ou à
quitter la Russie.

Nous devons comprendre que la situation du mouvement anarchiste en
Russie et en ex-Union soviétique est très différente de celle des autres
pays européens (alors que nous pouvons la comparer à celle de la Chine
après Mao). Les derniers vestiges du mouvement en URSS avait été
physiquement supprimés dans les années trente. Dans les années soixante
qui ont suivi, chaque percée anarchiste dans le pays fut réduite au
silence par la violence. Alors que dans les pays comme la Bulgarie, les
anarchistes qui avaient émigré après la Seconde Guerre mondiale
pouvaient voir la renaissance du mouvement dans la fin des années, en
Russie, dans les faits, aucun anarchiste n'avait survécu si longtemps. A
La chute de l'URSS, il restait probablement que quatre anciens
anarchistes, qui étaient jeunes dans la vingtaine quand les derniers
groupes ont été emprisonnés et sont maintenant très vieux et en mauvaise
santé (merci au goulag). en 1989-90, lors de la ré-émergence du
mouvement . Pour celui-ci, en substance, il n'y avait aucune tradition
vivante de l'anarchie quand il est reparti de zéro, vingt-cinq ans
auparavant.

Orientations différentes

C'est seulement après la Perestroïka, que les dissidents et des
initiatives sociales indépendantes ripostèrent ouvertement. Le mouvement
anarchiste n'a pas fait exception, en effet, les anarchistes étaient
l'opposition la plus active dans la période 1988-1992. Depuis le début
des années quatre-vingt, il y avait quelques petits groupes clandestins
qui deviendront plus tard le noyau du mouvement résurgent. Un de ces
groupes et probablement le plus influent, l'Obschina (la Communauté),
était basé à Moscou, au cours de la période de la Perestroïka et
publiait un samizdat influents ayant le même nom. Auparavant, il a été
un groupe clandestin marxiste (gardez à l'esprit que dans un état
orwellien qu'est l'Union Soviétique, l'influence de l'idéologie
officielle était énorme, tandis que d'autres opinions et idées ont été
sévèrement censurée), puis depuis 1987, est présenté comme un groupe
« socialiste indépendant ». Cette différence majeure est principalement
attribuable à la connaissance des critiques bakouniniste du socialisme
d'état, ainsi que d'autres tendances socialistes et anarchistes.
L'Obschina faisait partie du mouvement montant « informel », un adjectif
qualifiant des activités non contrôlées par le Parti communiste - des
groupes de défense contre la destruction des monuments historiques
jusqu'aux environnementalistes et les organisations politiques
émergentes. Avec l'avènement de la Glasnost et de la Perestroïka, le
contrôle idéologique a été un peu relâché et a ouvert un espace pour
certaines activités publiques au grand jour.
En 1989, des groupes qui soutenaient les principes d'autogestion, ont
formé une confédération anarcho-syndicaliste (KAS). En 1989-90, la
presse anarchiste en Russie est arrivé à l'occasion à des tirages de
10.000 à 30.000 exemplaires. Pour un temps, la KAS a fonctionné comme
l'organisation des divers groupes anarchistes, pas nécessairement les
anarcho-syndicalistes. Plus tard en 1990-91, sont nés d'autres réseaux
et associations.

Anarchistes aujourd'hui: quelques-uns, mais ...

Après l'échec de la tentative de coup d'état des derniers bureaucrates
communistes en août 1991, l'Union Soviétique a cessé d'exister et les
nouveaux États ont émergé des décombres de celle-ci. Les réformes
libérales - la privatisation, la libéralisation des prix, qui ont
également été caractérisé par une forte inflation - a provoqué une
« insatisfaction politique » dans la majorité de la population.
L'existence dans la nouvelle Russie est maintenant devenu une course
pour la survie dans le capitalisme «sauvage». Cette réalité a également
tué les mouvements démocratiques de masse, qui ont depuis commencé à
décliner. Dans la dernière décennie du XXème siècle, les anarchistes ont
également traversé plusieurs crises. Alors que le mouvement était
l'opposition la plus active et la plus déterminée au communisme
soviétique et au capitalisme à la fois, depuis 1993-94, il a connu une
baisse significative. Dans les dernières années du siècle, un petit
réseau de groupes, principalement actif dans le domaine de
l'environnement et dans les campagnes contre la guerre a résisté. Ce
n'est qu'au tournant du siècle qu'il y a eu une légère augmentation du
nombre, principalement en raison de l'afflux des jeunes venus de la
scène punk émergente et indépendante. Mais le problème demeure: très peu
de jeunes restent dans le mouvement pour pouvoir donner un apport de
maturité, de connaissances et d'expérience. Le renouvellement élevé
reste un problème.

Le plus grand réseau anarchiste présent aujourd'hui est action autonome,
qui sert d'organisation communiste libertaire et est en grande partie
composée de jeunes engagés dans les luttes sociales, écologiques et
antifasciste. En Russie, sont également présentes diverses organisations
anarcho-syndicaliste, de petite taille. En Sibérie, les anarchistes sont
au coeur de le Fédération du Travail de Sibérie (SKT), l'organisation
syndicaliste révolutionnaire qui remonte seulement au années soixante et
est un syndicat minoritaire actif dans diverses régions de la Sibérie.
Le Khraniteli Radugi (les Gardiens de l'arc-en-ciel), qui entre les
années soixante et le début du nouveau siècle a organisé plusieurs
événements pour l'environnement, a été dissous, mais les anarchistes
sont toujours actifs dans diverses batailles sur l'environnement local,
comme dans la campagne anti-nucléaire. Un nombre considérable
d'anarchistes ne font partie d'aucune organisation, d'envergure
nationale, mais il sont actifs dans des collectifs et dans les luttes
locales.


Dans l'ensemble, nous parlons encore de pas plus de quelques milliers de
militants au niveau national, ce qui n'est pas un grand nombre. Mais les
anarchistes sont souvent une voix forte et indépendante dans les luttes
sociales dans le pays. Au cours de la dernière décennie, on a connu une
certaine croissance qualitative et quantitative du mouvement et une
présence vivace d'anarchistes non seulement à Moscou, à
Saint-Pétersbourg et d'autres grandes villes mais aussi dans de nombreux
villages dans la province.

Mikhail Tsovma


(L'article a été publié en italien dans le jounal A Rivista Anarchica,
No.355, été 2010. La version italienne est consultable en ligne:
http://www.anarca-bolo.ch/a-rivista//35 ... ussia1.htm)

Traduit par Nicolas
Relations internationales de la Fédération Anarchiste
http://federation-anarchiste.org/
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Re: Russie : Le mouvement anarchiste de 1905 et 1917 à nos j

Messagede Pïérô » 27 Aoû 2013, 12:05

Commémoration
Commémoration des prisonniers socialistes et anarchistes sur les îles Solovetsky (Solovki) 2013

L'ex-monastère sur les îles Solovestsky, juste au sud du cercle arctique dans la mer Blanche a été utilisé comme prison par le régime bolchevique. ---- Un message de l'Association des mouvements anarchistes: «Cette année marque le 90e anniversaire du transfert de prisonniers politiques anarchistes à Solovki. Les membres de l'Association des mouvements anarchistes (ADA), au meilleur de leurs capacités, a aidé à l'installation de deux panneaux commémoratifs. L'un a été installé dans le village, sur l'Allée de la mémoire, et on se consacre à des prisonniers socialistes et anarchistes à Solovki. L'autre a été installé à Savvatyevo, où les anarchistes ont été effectivement tenus, et est dédié aux socialistes-révolutionnaires qui ont été abattus par les gardes le 19 Décembre 1923 (l'un des blessés était un anarchiste) ".

Quelques photos des monuments:

http://www.flickr.com/photos/77893993 @ N05/sets/72157635018211463 /

Un monument aux prisonniers socialistes et anarchistes a été dévoilé sur
7 août 2013, à l'Allée de la mémoire, qui est un espace commémoratif à l'
site de l'ancien monastère et le camp cimetière de prison (Arkhangelsk
Région, Bolshoy Solovetsky Island, village Solovetsky, Pavel Florensky
Street). Les monuments ont été installés par les participants dans le rapport annuel
Les journées de commémoration à Solovki, représentant Saint-Pétersbourg et Ryazan Memorial
Sociétés, Mémorial de la recherche scientifique et le programme du Centre d'éducation
«Participants socialistes et anarchistes dans la résistance à bolchevique
régime ", et le groupe Saint-Pétersbourg de l'Association des mouvements anarchistes.
Une dalle de granit a été réalisé à Saint-Pétersbourg et emmené au Solovetsky
Îles de la délégation. Une pierre servant à la Fondation pour l'
monument a été découvert à Solovki. L'inscription dit:
«À la mémoire des prisonniers de la Solovki socialistes et anarchistes
skites politiques de Savvatyevo, Muksalma, Anzer ".
Un second monument a été ouvert à la Savvatyevo Skete (située à quelque
14 km nord-ouest de la Solovki Kremlin) sur 8 Août 2013. Il était
produite à Saint-Pétersbourg de granit et de diabase. L'inscription dit:
"Ici, au Skete politique Savvatyevsky, le 19 Décembre 1923, au cours de
Une manifestation protestation des socialistes emprisonnés ont été tués par des gardes "
balles.

Natalya Bauer, 32
Gavriil Bilima-Postrenakov, 26
Meyer Gorelik, 26
Yelizaveta Kotova, 23
Georgiy Kachorovsky, 27
Vsevolod Popov, 27
Ils se sont battus pour la liberté du peuple, pour l'honneur et la dignité de l'
individu. "
Ce sont les premiers monuments de la Russie vers les socialistes et les anarchistes qui
lutté contre le régime bolchevique.
Sources
http://www.cogita.ru/pamyat/kultura-pam ... a-solovkah

http://memorial-nic.org/index.php/novos ... amyat.html
Plus de photos de l'installation et de l'ouverture des monuments

Traduit par: - Szarapow.

Source: http://www.katesharpleylibrary.net/nk9b50

http://www.ainfos.ca/fr/ainfos10402.html
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Résistances anarchistes en URSS dans les années 1920-1930.

Messagede Pïérô » 05 Nov 2016, 19:17

Résistances anarchistes en URSS dans les années 1920-1930.

L'écrasement définitif des anarchistes russes est communément daté de 1921. Cette année-là, le mouvement makhnoviste est vaincu par l'Armée Rouge, et la Commune de Kronstadt, dernier sursaut de l'esprit libertaire de 1917, est noyée dans le sang par Trotsky et consorts. La plupart des ouvrages traitant de l'anarchisme en Russie et de son histoire s'arrêtent à cette date ou ne traitent que très superficiellement les années suivantes, sans jamais aller plus loin que 1937, année qui voit la disparition des grandes figures de la révolution. Mais l'activité des anarchistes en U.R.S.S. n'a jamais cessé jusqu'à nos jours, bien que très réduite et que souvent, de par la nature même du régime soviétique, son théâtre habituel fut la prison ou le camp.

Après 1921, toute propagande anarchiste est sévèrement réprimée, hormis quelques exceptions tolérées par le régime et destinées à lui conférer une image libérale : les librairies et les éditions Golos Trouda de Moscou et de Pétrograd, la Croix Noire anarchiste et le musée Kropotkine. Les éditions Golos Trouda publient ainsi les oeuvres complètes de Bakounine et un livre d'Alexis Borovoï sur l'anarchisme en Russie. Le musée Kropotkine ouvre en 1921, après la mort du célèbre anarchiste, dans sa maison de Moscou, à l'instigation d'un groupe d'anarchistes et de sa veuve. Enfin une organisation, la Croix Noire, qui a pour but de secourir les anarchistes emprisonnés, est, elle aussi, tolérée, mais son activité est très faible. Ces institutions sont autorisées par le pouvoir soviétique uniquement parce qu'il y trouve intérêt. Elles n'existent ou ne sont actives qu'à Leningrad et à Moscou, vitrines de l'U.R.S.S. vers l'étranger.

En province, rien n'est possible : la littérature anarchiste tolérée à Moscou y est interdite. Par exemple, les oeuvres de Kropotkine sont saisies à Iaroslav, des livres de Golos Trouda à Kharkov. La Tchéka puis le G.P.U. les utilisent pour repérer plus facilement les sympathisants anarchistes. Il y a en permanence des indicateurs à la Croix Noire et tous les visiteurs du musée Kropotkine sont photographiés à leur insu (1). Quoi qu'il en soit, leur marge d'action sera toujours limitée. En 1926, Golos Trouda publie une brochure pour le 50e anniversaire de la mort de Bakounine, avec l'autorisation de la censure. Mais à sa sortie, le G.P.U. la confisque et la brûle. Un des membres de Golos Trouda, Oukhine, est arrêté puis relégué à Tachkent pour avoir diffusé des exemplaires de cette brochure (le motif exact de la condamnation est " distribution de littérature illégale ") (2). Avec l'affermissement du pouvoir de Staline, ces institutions légales vont peu à peu devenir inutiles. La Croix Noire est dissoute dès 1925 et ses principaux animateurs sont emprisonnés. Les librairies de Moscou et de Leningrad sont fermées en juin 1929, à l'issue d'une vague d'arrestations qui frappe les milieux anarchistes. Le motif officiel de cette rafle est la publication d'un livre, la Dictature bolcheviste et le point de vue anarchiste (3). Le musée Kropotkine ne ferme qu'en 1938, à la mort de sa veuve. Mais ses principaux animateurs avaient déjà disparu lors des grandes purges (4).

Parallèlement à l'activité légale, une activité clandestine se poursuit malgré la surveillance constante du G.P.U. On en trouve l'écho pour les années 1922-23 et à Petrograd et à Moscou dans les chroniques de la répression, que l'on peut lire dans les journaux libertaires de l'étranger.

En 1924, un groupe anarchiste relativement actif existe parmi les ouvriers de Petrograd, mais il doit cesser son activité quand son existence est découverte par la police politique (5). La même année, Nicolas Lazarévitch organise avec quelques autres ouvriers anarchistes un groupe anarcho-syndicaliste à l'usine Dynamo de Moscou qui publie plusieurs tracts (contre les baisses de salaire, contre l'accord économique entre l'Angleterre et l'U.R.S.S., contre les campagnes tayloristes, en présentant toujours une alternative syndicaliste-révolutionnaire). Les tracts sont semés la nuit sur les établis de l'usine, collés sur les affiches officielles, lus en public ou transmis sous le manteau. Le groupe est finalement repéré et démantelé par les arrestations (6). En province aussi, une activité clandestine persiste. En Ukraine, plusieurs groupes existent à cette époque dans les villes et parmi les paysans. Certains publient des tracts. En 1924, le " Groupe d'anarchistes du sud de la Russie " fait parvenir un long document sur la situation à leurs camarades exilés. C'est leur seule activité connue (7). Cette faible propagande semble pourtant avoir eu quelques résultats : la vague de grèves qui secoue Moscou et Petrograd en août et septembre 1923 est due en grande partie aux mencheviks, mais dans plusieurs cas aux anarchistes.

En règle générale, les groupes dont on apprend l'existence sont ceux qui sont découverts par la police secrète. Elle en démantèlera jusqu'au début des années trente, et il y aura ensuite une interruption d'une quinzaine d'années. En 1925, un groupe anarchiste composé de tailleurs est exilé de Moscou pour avoir mené une lutte contre les " spécialistes " d'une fabrique, protestant essentiellement contre les hauts salaires attribués à ceux-ci (8). A la fin de l'été 1926, un groupe de plusieurs dizaines d'anarchistes est arrêté à Leningrad pour propagande illicite (9). En mai 1928, une cinquantaine d'ouvriers libertaires de la même ville sont arrêtés à la suite de la circulation d'un tract anarchiste (10). En 1930, un groupe anarchiste est démantelé à Tchélianbinsk: il disposait d'une imprimerie clandestine qui éditait des textes anarchistes, étrangers notamment, et entretenait des relations suivies avec l'extérieur (11).

Il y a en outre une notable activité individuelle. A l'occasion de l'affaire Sacco et Vanzetti, exploitée à fond par la propagande communiste, certains anarchistes se manifestent : Nicolas Beliaeff et Artèrne Pankratoff, en exil à Ksyl-Orda au Turkestan, sont arrêtés puis déportés en Sibérie, pour avoir pris la parole à un meeting. Ils protestaient qu'un camp d'aviation fût baptisé des noms de Sacco et Vanzetti, alors qu'en U.R.S.S. aussi les anarchistes étaient emprisonnés et persécutés (12). Un autre anarchiste, Warchavski, est emprisonné à la même époque car il possède des brochures, éditées clandestinement à l'occasion de leur exécution, qui dénonçaient l'exploitation de l'affaire par le régime soviétique. On connaît encore l'activité d'Ivan Kologriv, docker anarchiste condamné en 1930 pour agitation antimilitariste (13). En 1931, Bestoujev, anarchiste bolcheviste (c'est-à-dire apportant un soutien critique au régime) est licencié de son entreprise, parce qu'il refuse, conformément à ses opinions anarchistes, de participer à l'élection du soviet local (14).

L'activité d'anarchistes en liberté ne dépasse pas le début des années 30. Avant même les grandes purges staliniennes qui vont décimer les révolutionnaires (pas uniquement), les seules informations qui parviennent à filtrer d'U.R.S.S. concernent les anarchistes qui sont en prison ou en exil. Et quand, de nouveau, une activité anarchiste aura lieu en dehors des camps, vers la fin des années 40, elle sera non plus le fait de vétérans de 1917, mais au contraire de jeunes nés en Russie soviétique.

Le système répressif mis en place par les communistes a naturellement conduit la plus grande partie des militants anarchistes actifs en prison, en déportation ou en relégation. Mais ils n'ont pas abandonné la lutte, même si le but n'était plus la révolution, mais la résistance à l'arbitraire pénitentiaire. Ils participent, avec les courants socialistes de la Révolution, socialistes révolutionnaires et sociaux-démocrates, à la lutte pour conserver les avantages du statut de prisonnier politique hérité du tsarisme : pas de travail forcé, correspondance libre, circulation libre dans le camp à toute heure du jour et de la nuit.

A partir de 1921, les prisonniers politiques sont internés aux îles Solovki, dans la mer Blanche, dans un ancien monastère. Sont rassemblés là tous les courants politiques persécutés à l'époque, et donc de nombreux anarchistes. Ils ont à cette époque le même statut qu'au temps du Tsar. En décembre 1923, alors que l'archipel est coupé du reste du monde par l'hiver, certains avantages sont supprimés : limitation de la correspondance et diverses autres choses, dont surtout la permission de sortir des bâtiments après 6 heures du soir. En guise de protestation, des volontaires socialistes-révolutionnaires et anarchistes projettent de sortir dès le premier jour après 6 heures du soir. Mais avant même l'heure du couvre-feu, les soldats tirent sur les prisonniers qui se trouvent dehors. Il y a six morts et plusieurs blessés. Après cet " incident ", le régime politique est maintenu. Fin 1924, de nouvelles menaces pèsent sur le statut politique. Toutes les fractions politiques s'entendent de nouveau pour exiger l'évacuation de l'archipel avant l'arrêt de la navigation, en menaçant de faire une grève de la faim collective. Moscou repousse l'ultimatum et la grève commence. Toutes les personnes valides la font. Des médecins choisis parmi les détenus surveillent chaque gréviste de la faim. Mais les autorités qui sont indifférentes à cette grève se contentent d'attendre. Après quinze jours, des dissensions se font sentir parmi les participants qui sont nombreux et les courants qui sont divers. Un vote secret se prononce pour l'arrêt de la grève. Ce n'est pas une victoire, sans être une défaite :
le régime politique sera maintenu (15).

Au printemps 1925, les Solovki sont évacués. En fait, c'est une manœuvre des autorités pour briser la résistance. Les "starostats" (prisonniers élus par chaque fraction politique et chargés de parlementer avec les autorités) sont internés à l'isolateur de Tobolsk, tandis que le reste des prisonniers est incarcéré à l'isolateur de Verkhné-Ouralsk. La Tchéka applique l'adage " diviser pour régner " en multipliant les lieux de détention : outre Tobolsk et Verkhné-Ouralsk, il existe d'autres isolateurs politiques à Iaroslav, Verkhné-Oudinsk Souzdal, de plus les îles Solovki sont réutilisées comme camp dès 1926, sans compter les nombreux lieux de déportation ou de relégation en Sibérie ou en Asie centrale (l6). On possède quelques données chiffrées sur ces prisons : il y avait à Verkhné-Oudinsk, en 1927, 200 prisonniers dont 80 sociaux-démocrates, 60 anarchistes et 38 socialistes sionistes, le reste étant sans parti. A Verkhné-Ouralsk, en 1928, sont internés 189 détenus dont 30 anarchistes. A l'arrivée de Ciliga dans cette prison en 1930, on relève 140 communistes (trotskystes) pour 50 anarchistes et socialistes. A son départ en 1933, il y a 180 communistes pour 80 anarchistes et socialistes (17).

L'histoire de la résistance anarchiste dans les prisons n'est plus qu'une succession de provocations de l'administration pénitentiaire et de répressions. En 1926, Grigoriev, paysan anarchiste, tente de se suicider par le feu parce qu'il ne supporte plus d'être isolé dans une cellule et d'être privé d'activité. Une grève de la faim de sept jours est menée par les autres détenus, en vain, pour qu'il soit mis dans la même cellule que l'anarchiste Kalimassov. Grigoriev réussira sa deuxième tentative de suicide (18). La même année, à Tobolsk, les gardiens provoquent les anarchistes de la cellule N° 6 en refusant de les amener aux lavabos comme chaque matin. Pour protester, ils renversent en milieu d'après-midi leur baquet plein, dans le couloir. La cellule se déclare collectivement responsable de cet acte, tous sont punis et une grève de la faim est entamée. Le neuvième jour, le directeur lève la punition, mais comme il faut des coupables, il fait transférer deux prisonniers à Moscou. Ils paient pour les autres : accusés de désobéissance, ils sont envoyés aux Solovki (19). Ces deux exemples parmi tant d'autres illustrent parfaitement le climat qui régnait alors dans les prisons soviétiques.

La plus grande partie des détenus évacués des îles Solovki en 1925 s'est retrouvée à Verkhné-Ouralsk. La résistance pour le maintien du statut politique se poursuit, malgré les défaites : la circulation entre les cellules est interdite ; les " starostats " sont réélus, mais ils ne peuvent plus entrer en contact avec les détenus d'autres cellules que la leur. Le cloisonnement entrave la lutte. Vers 1928, une nouvelle grève de la faim a lieu à la suite d'un incident. Mais l'atmosphère n'est plus la même qu'aux Solovki. Une intervention des gardiens, qui passent à tabac les grévistes, provoque la fin du mouvement qui n'a rien obtenu (20). En avril 1931, une sentinelle tire sur un détenu trotskyste debout près de la fenêtre de sa cellule et le blesse gravement. Les 150 détenus communistes entament une grève de la faim, et quelques anarchistes se joignent à eux par solidarité. Au bout d'une semaine, la grève est suspendue pour laisser le temps à Moscou de répondre aux revendications. La réponse n'étant pas donnée au bout de deux mois, le mouvement reprend et après onze jours se termine victorieusement. Ciliga, qui a participé à cette grève, mentionne aussi deux autres tentatives de lutte en été 1929 et en février 1930 qui ont été réprimées par la force, et encore une un peu plus tard, en mai 1933, pareillement réprimée. Il parle des anarchistes comme de prisonniers toujours prêts à soutenir n'importe quel groupe pour lutter contre l'administration. C'est parmi eux qu'il y avait le plus de décès lors des grèves de la faim (21).

Les maigres avantages qui restent aux prisonniers politiques s'effilochent progressivement. Dès 1934 par exemple, les livres interdits depuis longtemps en U.R.S.S., mais encore tolérés dans les prisons politiques, sont confisqués : Trotsky, Bakounine, Kropotkine en ce qui concerne les auteurs politiques (22). En janvier 1937 se déroule à l'isolateur de Iaroslav la dernière grève de la faim collective des prisonniers politiques des Solovki. Les ultimes rescapés présentent leurs revendications de toujours : élection de " starostats ", libre circulation entre les cellules, etc. Après quinze jours de grève, ils sont nourris artificiellement, mais obtiennent quelques avantages qui leur seront repris quelques mois après. C'est la dernière manifestation collective des anarchistes, des socialistes-révolutionnaires et des sociaux-démocrates emprisonnés lors de la révolution (23).

La solidarité entre les anarchistes et les courants socialistes est très forte en prison comme en relégation. Cette longue lutte menée unitairement pendant près de quinze ans en est la preuve. Il y a d'autres cas d'entraide : par exemple à Tchimkent, jusqu'au début des années 30, les relégués socialistes-révolutionnaires, sociaux-démocrates et anarchistes alimentent une caisse secrète pour leurs camarades du Nord. En effet, si l'on trouve facilement du travail à Tchimkent, même quand on est relégué, c'est tout différent dans le nord sibérien, où de nombreux déportés n'ont aucun moyen de subsistance (24).


(1) " La situation actuelle ,, Russie ", in Revue anarchiste, 1924.
(2) Le Libertaire, 10-&27.
(3) Le Libertaire, 12-10-29.
(4) " La situation actuelle en Russie ".Paul Avrich, Les anarchistes russes.
(5) " La situation actuelle en Russie ".
(6) Nicolas Lazareviteh, Ce que j'ai vécu en Russie.
(7) " La situation actuelle en Russie ".
(8) Le Libertaire, 9-10 25.
(9) Le Libertaire, 21 4 27.
(10) Le Libertaire. 10 8 28.
(11) Arta Ciliga. Au pays du mensonge déconcertant.
(12) Le Libertaire, 01 5 28.
(13) Le Libertaire, numéro spécial, février 1931.
(14) Le Libertaire, 24 4 31.
(15) Alexandre Soljénitsyne, L'archipel du goulag./ C Millotine at Work.
(16) Le Libertaire, 20.5-27.
(17) Idem et Ante Ciliga, Au pays du mensonge déconcertant.
(18) Le Libertaire, 04 3 27
(19) Le Libertaire, 27-5-27.
(20) L'archipel du goulag.
(21) Au pays du mensonge déconcertant.
(22) Idem.
(23) L'archipel du goulag.
(24) Idem


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Re: Russie : Le mouvement anarchiste de 1905 et 1917 à nos j

Messagede Pïérô » 28 Mar 2017, 07:05

La Grande Révolution russe de 1917-1921 : le regard libertaire

Les 15 et 16 juillet 2017 à Priamukhino, dans le village natal de Mikhail Bakounine, dans la région de Tver, en Russie, aura lieu la conférence annuelle « Les lectures de Priamukhino ».

La Grande Révolution russe de 1917-1921 : le regard libertaire
Великая Российская Революция 1917-1921 гг. : либертарный взгляд


C’est les 15 et 16 juillet 2017 à Priamukhino, dans le village natal de Mikhail Bakounine, dans la région de Tver, en Russie, qu’aura lieu la conférence annuelle « Les lectures de Priamukhino ». Nous vous invitons à y prendre part en tant qu’intervenant ou auditeur actif et intéressé. Le sujet des Lectures de cette année sera :

La Grande Révolution russe de 1917-1921 : le regard libertaire

Commencée il y a cent ans à Petrograd, la Révolution russe est devenue incontestablement un des évènements clé du XXe siècle, qui a non seulement déterminé l’histoire de la Russie, mais aussi influencé le cours de l’histoire mondiale. Tous les chercheurs s’accordent là-dessus, mais c’est ensuite que commencent des débats, des désaccords interminables et des analyses contradictoires des causes, des conséquences et des leçons de la Révolution. En cette année de centenaire de nombreux évènements scientifiques et des commémorations vont sans doute être consacrés à la Révolution russe. Nous ne pouvons, par conséquent, pas manquer cette occasion.

Cependant, prenant en compte la spécificité des intérêts et des points de vue des participants des Lectures de Priamukhino, nous aimerions porter l’attention des intervenants sur l’élaboration d’un « regard libertaire » sur la compréhension de cet évènement majeur et décisif.

Voici quelques questions que nous soumettons à la discussion de ces Lectures :

- La Grande Révolution russe était-elle inévitable et quelle influence a-t-elle eu sur l’histoire du XXe siècle ?

- Pourquoi la potentielle « révolution d’autogestion » (comme l’appellent certains historiens), liée à la tentative de libération et d’autogestion dans diverses sphères de la vie individuelle et collective, est-elle devenue le triomphe d’un système despotique ?

- Quels étaient les scénarios alternatifs de déroulement de la révolution sociale ? Pourquoi ne furent-ils pas réalisés ?

- Quels étaient les rapports entre les tendances libertaires et autoritaires dans les évènements révolutionnaires ? Quels facteurs se sont avérés décisifs dans la révolution ? Quel rôle y ont joué les divers partis, groupes, individus ?

- Quels étaient les rapports entre le mouvement anarchiste, les autres mouvements antiautoritaires et le mouvement populaire pour les Soviets libres, la décentralisation du pouvoir et la socialisation de la terre et de la production ?

- La « Troisième révolution » que prônaient les anarchistes avait-elle des chances de l’emporter, et quel rôle ont joué dans les évènements de la révolution les mouvements de soulèvement populaire ?

- Quelles sont les principales leçons de la Grande Révolution russe pour le mouvement anarchiste ? Comment peut-on appréhender cette expérience source d’inspiration, tragique et porteuse de leçons ?


Tout en invitant les potentiels participants de la conférence à présenter leurs rapports et discuter le thème principal des Lectures , nous sommes prêts, selon nos possibilités, à écouter et discuter d’interventions sur d’autres thèmes dans la tradition des Lectures de Priamukhino comme la lutte révolutionnaire et l’héritage intellectuel de Mikhail Bakounine, la théorie et l’histoire de l’anarchisme, la famille des Bakounine et l’histoire de Priamukhino.

Pour participer à la conférence, vous pouvez vous adresser à l’adresse mail suivante : coord.readings@yandex.ru.

Nous vous demandons de nous envoyer les sujets des interventions avant le 1er mai 2017.

Nous communiquerons des informations plus détaillées sur la participation aux Lectures ultérieurement.

Le Comité d’organisation des Lectures de Priamukhino

Les « Lectures de Priamukhino » sont un colloque ouvert qui se déroule chaque été depuis 2001 dans le lieu de naissance de M. A. Bakounine, à Priamukhino. Les thèmes de la conférence ont trait à l’histoire des idées anarchistes et des problèmes de leur application contemporaine, ainsi qu’à la vie et aux actions des membres de la famille Bakounine et à l’histoire de Priamukhino.

Прямухинские чтения - 2017


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Re: Russie : Le mouvement anarchiste de 1905 et 1917 à nos j

Messagede bipbip » 09 Sep 2017, 17:30

Dossier 1917

Un dossier réalisé par Guillaume Davranche (AL Montreuil) et Pierre Chamechaude (Ami d’AL, Paris nord-est)

Édito : Les anarchistes, leur rôle, leurs choix

De la Révolution russe, les libertaires ne retiennent souvent que deux épisodes épiques et signifiants : la Makhnovchtchina, Cronstadt 1921. La séquence initiale de 1917-1918 est plus mal connue. C’est pourtant là que l’essentiel de la partie s’est jouée pour le mouvement anarchiste.

Quelle était alors sa consistance, quel fut son rôle, quels choix opéra-t-il ?

En février 1917, après l’effondrement des institutions impériales, émergea une administration alternative – les soviets, les comités d’usines –, base d’un possible pouvoir populaire. Possible, mais pas assuré. Beaucoup dépendrait de l’orientation imprimée par les différents courants politiques à l’œuvre.

Or, en février 1917, l’anarchisme était la composante la plus minoritaire du socialisme russe.

Certes, la politisation fulgurante du prolétariat et des conscrits entraîna alors une croissance pléthorique des partis et des syndicats, jusque-là clandestins. Mais comment transformer ce flot de convertis volatils en une force collective, capable de peser sur le cours des événements ?

Toutes les organisations furent confrontées à cet enjeu, auquel le mouvement anarchiste ne put répondre. Par manque de moyens, assurément ; par manque de volonté aussi, du fait d’un reliquat de spontanéisme hérité de la période « terroriste » de 1905-1906.

Des années plus tard, bien des militants souligneront ces lacunes. Voline déplorera le manque de « cadres » pour répandre les idées anarchistes et « contrecarrer la puissante propagande et l’action bolchevistes » [1]. Makhno en voudra aux « anarchistes des villes » de n’avoir pas épaulé ceux des campagnes [2]. Anatole Gorélik jugera qu’« il y avait très peu de militants anarchistes de formation théorique suffisante » et évoquera son angoisse quand, dans le Donbass, il voyait « chaque semaine, des dizaines de représentants et délégués d’ouvriers » qui réclamaient « des orateurs et agitateurs, de la littérature politique, mais surtout une aide morale et théorique » sans que son groupe soit en mesure de répondre à la demande [3].

Le mouvement anarchiste n’ayant pu surmonter à temps son handicap initial, une large part de sa mouvance fut satellisée, puis aspirée par le Parti bolchevik, que sa supériorité numérique et organisationnelle faisait apparaître comme un outil plus efficace pour parer au plus pressé : vaincre la bourgeoisie et la contre-révolution.

Que faire pour échapper à cette fatalité, et créer la surprise ?

Ce dossier raconte comment le ­mouvement libertaire joua sa partition et tenta de rattraper son retard, avant d’être brutalement étranglé par le nouveau pouvoir.




février-mars : Après les tsaristes, chasser les capitalistes

En février 1917, l’autocratie s’est effondrée comme un château de cartes. Joie quasi unanime. Pourtant, cela ne suffit pas à résoudre la détresse sociale et les souffrances d’une guerre inutile. Or l’intelligentsia socialiste, désireuse de « normaliser » la révolution, ne sait que temporiser. Pourtant, dans certains bastions rouges de Petrograd, l’exaspération est palpable.

Quelques années plus tard, les Russes devaient dire de Nicolas II, en plaisantant, qu’il aurait fallu lui décerner une médaille du mérite révolutionnaire à titre posthume, tant il avait œuvré à la chute du régime tsariste par la stupidité de sa politique.

L’histoire ne donne en effet que peu d’exemples d’un gouvernement aussi obstinément attaché à scier la branche sur laquelle il était assis.

L’incompétence et la cruauté de cette monarchie anachronique lui avaient aliéné presque tous les secteurs de la société : l’intelligentsia progressiste évidemment, mais aussi le patronat moderniste et surtout la classe ouvrière et une partie de la paysannerie. C’est par miracle que le régime avait survécu à la révolution de 1905-1906. Son entrée en guerre contre l’Allemagne, en août 1914 devait lui être fatale. Plus que jamais, le conflit mit à nu les tares du régime, incapable de supporter l’effort logistique que représentait la mobilisation de 12 millions de soldats. La campagne qui devait ressouder le peuple autour du triptyque « autocratie-nation-orthodoxie » tourna au désastre.

Dès 1915-1916, la Russie était au bord de la déroute. Discrédité par l’hécatombe, dépassé par les besoins, l’État, en pleine désagrégation, se voyait suppléé, déjà, par les associations citoyennes, patronages et coopératives.

La révolution de février 1917 balaya le régime comme un château de cartes, au soulagement général.

Au terme d’une semaine de grèves, de manifestations et d’émeutes dans la capitale, Petrograd, le tsar, tétanisé, cédait aux suppliques de l’état-major et, sans doute soulagé lui-même, renonçait au trône. Petrograd enneigé accueillit cette abdication par une explosion de joie. Puis, très rapidement, l’opinion publique oublia les Romanov. La page du tsarisme était tournée.

L’intelligentsia socialiste veut apaiser la situation

Pour l’intelligentsia progressiste, c’est un immense espoir, mâtiné d’une sourde angoisse. Espoir de voir la Russie enfin accéder à la « modernité européenne » ; angoisse d’avoir à composer avec un acteur imprévisible, affamé et à bout de patience : le peuple.

Ces troupeaux d’ouvrières et d’ouvriers, vomis par les usines géantes qui ont poussé comme des champignons depuis une vingtaine d’années, que vont-ils exiger ? Ces hordes de soldats mutinés, moujiks affublés d’uniformes que, la veille encore, leurs officiers traitaient comme des chiens, de quoi sont-ils capables ? Ces foules de marins enragés qui, le 1er mars, ont fusillé tout l’état-major de Cronstadt, ont-ils pris goût au sang ? Comment, enfin, va réagir l’arrière-pays et son insondable multitude de va-nu-pieds qui, en 1905-1906, avaient incendié par centaines les manoirs de la noblesse pour s’emparer des terres ?

En ce début mars 1917, pourtant, la foule qui célèbre la révolution en entonnant La Marseillaise est encore bigarrée : dames en chapeau et bourgeois démocrates ; étudiants survoltés ; marins et soldats brandissant leurs fusils ; ouvrières et ouvriers arborant des rubans rouges et qui, déjà, réclament les huit heures ; révolutionnaires quelque peu étourdis par la rapidité des événements et brutalement mis devant leurs responsabilités : que faire à présent ?

Gouvernement et soviet : deux pouvoirs non antagoniques... pour l’instant

À l’issue de Février, deux pouvoirs distincts émergent des ruines de l’État tsariste. D’une part, un groupe de leaders parlementaires constitue un gouvernement provisoire composé de bourgeois modernistes et d’un aristocrate progressiste, le prince Lvov. D’autre part, répliquant l’expérience de 1905, l’intelligentsia socialiste de Petrograd – menchevik, bolchevik et SR – fonde un « soviet [conseil] des députés ouvriers et soldats » et appelle les usines et les casernes à y envoyer des délégués. Miracle : ça marche. Ça marche même au-delà de toute attente. En quelques jours, la salle du palais de Tauride où s’est installé le soviet se remplit de près de 3.000 délégués mandatés. Un Parlement prolétarien est né, mais aussi une administration, qui va veiller au ravitaillement de Petrograd.

Il ne faut pas croire que le soviet et le gouvernement provisoire s’opposent, bien au contraire. Les intellectuels socialistes pilotant le soviet n’ont aucune envie de gouverner un pays en plein naufrage, sous la pression de foules déchaînées qu’au fond d’eux-mêmes ils redoutent. Ils ont été très soulagés que se constitue ce cabinet pour leur servir de paratonnerre, avec un alibi idéologique conforme à la « science marxiste » : la Russie n’est pas mûre pour le socialisme, elle doit au préalable passer par une longue phase de modernisation capitaliste durant laquelle la bourgeoisie doit gouverner.

Dans cette conception, le rôle du soviet se limite à celui d’une « chambre représentative » des intérêts des travailleurs et des soldats auprès du gouvernement… au moins jusqu’à la convocation d’une Assemblée constituante censée définir l’architecture de la Russie nouvelle.

Dans les faits, ce schéma sera intenable. En premier lieu parce que les 250.000 soldats de la garnison de Petrograd envoient des délégués au Soviet et déclarent qu’ils n’accepteront d’ordre que de lui. Idem pour les ouvriers des usines.

La situation est donc paradoxale : le gouvernement émet des décrets mais n’a guère le moyen de les faire appliquer ; le soviet exerce le pouvoir réel, sans en avoir officiellement la responsabilité.

De février à août 1917, il y aura cependant un consensus très net entre le gouvernement provisoire et le soviet de Petrograd : l’urgence à « achever la révolution », à normaliser la situation et à sortir le pays du chaos. Le rôle du cabinet Lvov est donc de gagner la confiance des pays alliés, du patronat, de l’état-major militaire et de l’administration des ministères. Celui du soviet est de modérer les revendications populaires, dont le triptyque fondamental est la terre aux paysans, le contrôle ouvrier sur la production et la conclusion de la paix. Peine perdue. Autant chevaucher un taureau furieux. En remettant sans cesse à plus tard – à la Constituante – la satisfaction de ces revendications, les modérés vont se discréditer en l’espace de six mois, au bénéfice des révolutionnaires.

Dans le reste du pays, parmi les dizaines de soviets qui se sont créés en quelques semaines, la situation est contrastée : certains sont dans la même disposition conciliatrice qu’à Petrograd ; d’autres sont plus radicaux, au premier rang desquels le soviet de... Cronstadt ! Bien que l’île ne soit qu’un district de la capitale, elle se dote de son propre soviet, avant d’accepter son inclusion dans celui de Petrograd [1]. N’empêche : au fil des semaines, Cronstadt deviendra un bastion bolchevik, anarchiste et SR maximaliste.

Guillaume Davranche



Minoritaires mais galvanisés, les anarchistes prônent l’expropriation tous azimuts

En 1917, les groupes anarchistes se multiplient dans toute la Russie. Mais si le cœur battant de la révolution est à Petrograd, c’est la Fédération anarchiste communiste de Moscou qui est la plus solidement implantée.

Comme les autres groupes socialistes, les anarchistes de Petrograd ont pris une part active dans les événements. Durant la semaine de manifestations et d’émeutes sanglantes qui a préludé à la chute du tsar, on a pu les voir défiler avec des drapeaux noirs frappés du slogan « À bas l’autorité et le capitalisme ».

L’anarchisme russe est relativement jeune. Il n’a émergé qu’en 1903 et a connu son apogée dans la foulée de la révolution de 1905, avant d’être presque totalement anéanti par la répression vers 1908. Il a ensuite principalement survécu dans l’exil en Europe et aux États-Unis, introduisant en Russie des journaux diffusés sous le manteau.

Lorsque éclate la révolution de Février, les anarchistes ne sont qu’une petite tendance du mouvement ­socialiste – on les estime à 200 au plus sur Petrograd, contre par exemple 2.000 bolcheviks, eux-mêmes minoritaires face à leurs concurrents mencheviks et socialistes-révolutionnaires.

Leur implantation est maigre mais très prolétarienne, avec des militants actifs dans plusieurs grandes usines comme Metallicheskii, Trubochnyi, Poutilov et l’Usine de tubes [1]. Va bientôt s’y ajouter l’importante Poudrerie de Schlüsselbourg, à 50 kilomètres de la ca­pitale : début mars, à peine libéré de prison, s’y embauche un ouvrier anarcho-syndicaliste de valeur, qui va jouer un rôle de premier plan dans les événéments : Justin Jouk (30 ans) [2].

Audience dans les régiments les plus rouges

L’implantation anarchiste est également conséquente sur le chantier naval et le port de Petrograd, grâce à l’action qu’y mène Iosif Bleikhman (49 ans). Cet orateur électrisant, qui se produit sur toutes les tribunes, est une figure incontournable de l’anarchisme à Petrograd en 1917. Versant volontiers dans la surenchère, glorifiant le massacre des officiers le 1er mars à Cronstadt, appelant à jet continu à l’insurrection et à la terreur rouge contre les bourjouï [3], il colle assez à la caricature de l’anarchiste destructeur et san­guinaire, et c’est sans doute ce qui explique sa relégation aux oubliettes de l’histoire. Visiblement embarrassés, les mémorialistes libertaires de la révolution (Maximov, Voline, Yartchouk, Gorélik) l’ont systéma­tiquement passé sous silence... contrairement à Trotski qui lui a volontiers consacré quelques lignes truculentes [4].

Dans Petrograd en ébullition, où se tiennent quotidiennement des meetings dans les quartiers, les usines et les casernes, Bleikhman et son camarade Shlema Asnine vont en tout cas gagner à l’anarchisme une audience certaine dans les secteurs les plus rouges de la garnison : le 1er Régiment de mitrail­leurs et les marins de Cronstadt, où s’activent également deux bouillants matelots libertaires  : les frères Nikolai et Anatoli Jelezniakov (24 et 22 ans).

La Fédération anarchiste communiste (FAC) de Petrograd, bientôt constituée, se concentre dans les districts populaires que sont Kolpino, Moskovski, Cronstadt et surtout Vyborg, vaste quartier ouvrier toujours braqué comme un revolver sur le cœur bourgeois de la capitale.

Un quartier général dans le quartier ouvrier de Vyborg

C’est de Vyborg qu’est parti Février et que partiront, par la suite, toutes les poussées de fièvre insurrectionnelle. C’est tout naturellement à Vyborg que les anarchistes fixent leur quartier général, en réquisitionnant la datcha Dournovo, propriété d’un ancien ministre de l’Intérieur.

De ce petit palais, ils font une sorte de maison du peuple hébergeant, ou­tre leurs propres activités, un syndicat de boulangers et une unité de la milice populaire, ouvrant le jardin aux familles du quartier, nouant des liens avec les ouvriers des usines alentour.

Dès le 7 mars 1917, la FAC sollicite l’accès aux presses typographiques du soviet de Petrograd pour tirer un journal ; elle essuie un refus [5]. Lot de consolation : elle aura un représentant parmi les 3.000 délégués au soviet de la capitale. Bleikhman viendra donc régulièrement s’y répandre en discours incendiaires [6]. Cependant, l’organisation, réticente envers ce soviet trop modéré, n’en fera pas le centre de son activité, loin de là.

Moscou, capitale de l’anarchisme russe

En dehors de Petrograd, le mouvement anarchiste est actif, en mars 1917, dans une douzaine de villes comme Toula, Odessa et Ekaterinoslav. À Kharkov, animé par les anarcho-syndicalistes Rotenberg et Dodonov, il est influent dans plusieurs usines.

Mais c’est à Moscou qu’il est le plus dynamique, notamment dans les quartiers populaires de Zamoskvorietchié et de Presnia. Une Fédération anarchiste-communiste s’y constitue avec l’aide de Piotr Archinov (30 ans), un révolutionnaire intrépide qui sort de six ans de prison.

La FAC a tôt fait de réquisitionner, rue Malaya Dmitrovka, un bel immeuble doté d’un auditorium et d’une librairie : le Club des commerçants, rebaptisé Maison de l’anarchie. Présents chez les cheminots, les typographes et les tanneurs, les anarchistes s’implantent bientôt parmi les boulangers et autres ouvriers de l’alimentation. Ils sont également influents au sein du régiment de Dvinsk, avec deux vétérans, Gratchov et Fedotov [7].

Fait notable, la FAC de Moscou fonde un quotidien, Arnarkhia, devançant la FAC de Petrograd, qui ne parviendra à se doter, deux mois plus tard, que d’un mensuel : Kommuna (« Commune »).

Idéologiquement, la FAC de Petrograd est l’héritière des courants insurrectionnalistes des années 1905-1907 : spontanéiste, d’un ouvriérisme passablement anti-intellectuel, elle fait de la Commune de Paris un modèle politique quelque peu mythifié, et prône l’expropriation immédiate des moyens de production par les ouvriers et les paysans eux-mêmes, sans attendre l’Assemblée constituante.

Guillaume Davranche (AL Montreuil)



Un tract de mars 1917
de la Fédération anarchiste communiste de Petrograd

(extrait)

La FAC pointe les faux-semblants du double pouvoir gouvernement-Soviet, et appelle à l’action directe immédiate.


« NOS TÂCHES
DANS LA RÉVOLUTION ACTUELLE »

« Nous devons montrer au peuple l’inutilité et l’absurdité de la tactique “pousser la bourgeoisie vers la gauche”. Notre tâche historique est de pousser le prolétariat à gauche pour qu’il pousse la bourgeoisie dans le précipice. [...]

Malgré ses apparences révolutionnaires, le Soviet des députés ouvriers et soldats ne libérera pas les travailleurs si, dans les faits, il ne réalise pas un programme effectivement maximaliste, anticapitaliste.

La libération des travailleurs peut s’accomplir uniquement par une révolution sociale, et sa réalisation constitue la tâche la plus urgente des travailleurs de Russie. […]

Toute la Russie doit se constituer en un réseau de communes révolutionnaires et souveraines qui, en occupant les terres et les usines, exproprieront la bourgeoisie, supprimant ainsi la propriété privée. […]

Vive la révolution sociale ! Vive le communisme anarchiste ! »




LA PREMIÈRE VAGUE LIBERTAIRE (1905-1908)

Quoique les éminents Bakounine et Kropotkine aient été russes, l’anarchisme n’a émergé en Russie même que vers 1903, vingt-cinq ans après l’Europe de l’ouest.

Il a proliféré à la faveur de la révolution de 1905 : de 11 groupes recensés en 1903, on est passé à 255 en 1907. Un mouvement était né, peuplé de jeunes idéalistes prêts au sacrifice, principalement ouvriers, étudiants et intellectuels, parfois paysans. On y trouvait en bonne proportion des Juifs et des transfuges du Parti socialiste-révolutionnaire (SR), très porté sur la lutte armée.

Il faut dire qu’au pays du knout, des pogroms et des gibets, le socialisme dans son ensemble est rompu à l’illégalité : on se finance en braquant des banques, on n’hésite pas à faire couler le sang. En 1906-1907, près de 4.000 patrons ou agents du régime auraient été victimes des anarchistes et des SR, décimés en quantité équivalente : une véritable petite guerre sociale.

Deux principales organisations libertaires ont vu le jour  : Beznatchalié (Безначальи, « Anti-autorité ») et Tchernoe Znamia (Чёрное знамя, « Drapeau noir »). Alors que les SR sélectionnaient leurs cibles, les anarchistes jugeaient que nul riche n’était innocent, et prônaient la terreur « sans motif » (bezmotiv), en jetant des bombes à l’aveugle dans les cafés, théâtres et concerts.

La terreur « sans motif » (Безмотивный террор) a cependant été réprouvée par une partie du mouvement qui, sous l’impulsion de Daniil Novomirski, s’est qualifiée d’« anarcho-syndicaliste » et a voulu importer les méthodes de la CGT française (grèves, boycott, sabotage). Sur cette base ont été impulsés des syndicats en Ukraine, recrutant jusqu’à 5.000 membres.

À partir de 1908, Beznatchalié et Tchernoe Znamia ont été démantelés par la répression et, dès 1914, seuls une demi-douzaine de groupes anarchistes survivaient dans l’empire.

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Re: Russie : Le mouvement anarchiste de 1905 et 1917 à nos j

Messagede bipbip » 14 Sep 2017, 18:53

avril-mai : L’irrépressible montée vers l’explosion sociale

Passée la chute du tsar, l’euphorie se dissipe vite sous la pression des questions brûlantes à résoudre – terminer la guerre, partager la terre, satisfaire les revendications ouvrières. Une alliance se dessine entre les anarchistes et la base bolchevik pour pousser à la révolution sociale.

Quand l’autocratie impériale réprimait aveuglément toute contestation, une sorte de fraternité d’armes liait les différentes tendances socialistes. Mais à présent que le tsar est déchu et que la construction d’une société nouvelle se pose concrètement, les divergences deviennent flagrantes. Le fossé commence à se creuser entre les modérés et les révolutionnaires.

Au soviet de Petrograd, la ma­jorité menchevik et socialiste-révolutionnaire (SR) prône la conciliation, la patience, le res­pect de la propriété bourgeoise, et fait confiance au gouvernement provisoire pour négocier la paix et convoquer une Assemblée constituante.

La Fédération anarchiste communiste (FAC), elle, refuse le statu quo, rejette le gouvernement provisoire, se moque de la Constituante et se défie du soviet. Elle prône la prolongation de la révolution politique par une révolution sociale, la paix immédiate par l’action directe des soldats, ouvriers et paysans.

Pendant les trois ou quatre premières semaines de la révolution, les anarchistes sont les seuls sur cette ligne radicale.

Or, il ont bientôt la surprise de la voir adoptée également par un personnage de premier plan : Lénine, le principal leader du Parti bolchevik, qui à Petrograd compte dix fois plus de membres que la FAC. À peine rentré d’exil, Lénine a publié ses « thèses d’avril » [1] mettant cul par dessus tête le programme social-démocrate du parti, pour lui substituer une doctrine nouvelle, en bien des points analogue à celle des anarchistes : passage sans attendre de l’étape bourgeoise à l’étape socialiste de la révolution ; république des soviets et non république parlementaire ; suppression de la police et du corps des fonctionnaires ; formation d’un « État-Commune » sur le modèle de la Commune de Paris ; remplacement de l’armée professionnelle par une armée de milices populaires. Il va jusqu’à prôner l’abandon du mot « social-démocrate » pour rebaptiser le parti « communiste » – un terme traditionnellement lié à l’anarchisme !

La base bolchevik séduite par la ligne la plus radicale

Ce chambardement politico-culturel scandalise les cadres du Parti bolchevik. L’un d’eux, Goldenberg, dénonce même une dérive de Lénine vers « l’anar­chisme pri­mitif révolu » [2]. En revanche, cette ligne radicale séduit la base du parti, ces milliers de jeunes ouvriers et soldats, adhérents de fraîche date, qui n’ont rien lu de Marx mais sont impatients d’en découdre avec la bourgeoisie. Dans les bastions rouges de Vyborg et de Cronstadt, ils ont rejoint les bolcheviks parce que leur organisation avait plusieurs longueurs d’avance sur celle des anarchistes, mais, dans la pratique, leur proximité saute aux yeux.

La stratégie des anarchistes, trop peu nombreux et structurés pour peser à eux seuls, va donc consister à entraîner la base bolchevik dans l’action insurrectionnelle, en débordant les consignes de la direction du parti. Dès avril, cette solidarité d’action est sensible à l’occasion de la première crise qui secoue le gouvernement provisoire.

Le glas de l’esprit de Février

Le 14 mars, une proclamation du Soviet de Petrograd « aux peuples du monde entier » avait appelé à la paix. Sur le front, l’armée restait désormais l’arme au pied, attendant l’ouverture de négociations. Mais la révélation d’une note gouvernementale adressée à Paris et à Londres, et affirmant que les buts de guerre de la Russie demeuraient inchangés, provoque une éruption de colère : des dizaines de milliers de personnes défilent spontanément dans Petrograd en criant des slogans hostiles à la guerre et au gouvernement provisoire.

Signe d’un divorce, on n’aperçoit plus guère de bourgeois démocrates dans la foule des ouvriers et des soldats qui marchent en armes. Et l’organisation d’une contre-manifestation patriote fait surgir, déjà, le spectre de la guerre civile.

Ce 21 avril 1917 est un premier tournant : le charme de Février est rompu.

Le calme revient cependant dès le lendemain, à l’appel du Soviet. Preuve que son autorité reste incontestée, contrairement à celle du gouvernement provisoire. Pour sauver celui-ci, un compromis est négocié : les ministres compromis dans l’affaire de la note diplomatique sont remerciés, et remplacés par des responsables mencheviks et SR issus du soviet.

Au cours de cette crise d’avril, anarchistes et bolcheviks ont défilé ensemble, les bolcheviks réclamant pour la première fois « Tout le pouvoir aux soviets » sur leurs banderoles. Un mot d’ordre vis-à-vis duquel les anarchistes ne savent trop sur quel pied danser : d’un côté, il implique une décentralisation du pouvoir analogue à leurs « communes révolutionnaires » ; d’un autre côté, à quoi cela rime-t-il d’exalter des soviets dominés par les réformistes ? [3] La FAC va en fait mettre du temps à comprendre que la représentativité populaire du soviet rend cette institution incontournable pour espérer gagner une audience de masse.

Pour le reste, la crise d’avril conforte les anarchistes dans leur conviction d’un divorce imminent entre le peuple et le gouvernement provisoire, et gauchise le Parti bolchevik, dont une conférence fin avril donne raison aux thèses de Lénine.

Bras de fer entre patronat et comités d’usines

Toujours obsédée par son idée de stabiliser la Russie et de normaliser la situation, la coalition gouvernementale bourgeoise-socialiste, soutenue par le soviet de Petrograd, s’enlise de plus en plus en renvoyant toute question sérieuse – la paix, la terre, le contrôle ouvrier… – à la future Assemblée constituante dont ­l’élection est, elle-même, sans cesse différée.

Pendant ce temps, la lutte des classes monte irrésistiblement.

Dans la foulée de Février, le patronat a vu apparaître avec horreur, dans ses entreprises, des « comités d’usines » élus, qui se réunissent pendant les heures de travail et multiplient les revendications.

Ils sont souvent appuyés par des groupes d’ouvriers armés qui prétendent « défendre l’usine » contre d’éventuelles milices patronales. Ces groupes armés bientôt intitulés Garde rouge vont progressivement se structurer. Bolcheviks et anarchistes y jouent les premiers rôles – une « Garde noire » est même créée chez Rousski Renault avant de fusion­ner dans la Garde rouge [4].

Après avoir lâché un peu de lest, le patronat contre-attaque. Pour briser la volonté revendicative, il prend prétexte du marasme économique pour licencier à tour de bras, voire fermer carrément les usines. La famine saura ramener les ouvriers à la raison pense-t-il [5]. Les comités d’usine ripostent. Outre les grèves et séquestrations de cadres, ils instaurent souvent un « contrôle ouvrier ». Cela consiste à ouvrir les carnets de commande et les livres de comptes, à vérifier les affirmations du patron, à surveiller les stocks et les machines pour qu’ils ne soient pas déménagés à la sauvette en province… Dans plusieurs entreprises de taille moyenne – dont, sous l’impulsion de Justin Jouk, la Poudrerie de Schlüsselbourg –, le contrôle ouvrier ira jusqu’à la reprise sauvage en autogestion.

La contre-révolution commence à aboyer

En juin, le pays continue à glisser vers la révolution sociale. En plus des conflits dans les usines que ni le soviet ni le gouvernement ne parviennent à endiguer, les campagnes entrent dans la danse. Les paysans n’ont pas la patience d’attendre qu’une Constituante planche sur la réforme agraire : ils s’emparent des terres des hobereaux et se les partagent. Et, comme en 1905, les manoirs commencent à flamber  ; certains propriétaires terriens sont tués, les autres fuient.

Excédées, les classes possédantes cherchent à réagir. Une véritable campagne contre-révolutionnaire est lancée, orchestrée par l’Église, l’état-major, les atamans cosaques et les journaux conservateurs. On réclame au gouvernement une « reprise en mains ». On glose sur le complot des extrémistes bolcheviks, anarchistes et maximalistes manipulés par « les Juifs » [6]. On exige que soient expédiés sur le front les régiments rouges « planqués » à Petrograd. Dans les dîners en ville, on aspire ouvertement à ce que l’armée allemande vienne rétablir l’ordre [7].

Au gouvernement provisoire, on se convainc qu’il faut ressouder le pays autour d’un projet fédérateur, et ce sera... une grande offensive d’été sur le front autrichien ! Kerenski, avocat socialiste et ministre ambitieux, qui apparaît de plus en plus comme la tête pensante du gouvernement, va se dépenser sans compter dans cette entreprise périlleuse.

Guillaume Davranche (AL Montreuil)


[1] Dans la Pravda du 7 avril 1917.

[2] Nicolas Soukhanov, La Révolution russe 1917, CNLH, 1966

[3] Voline, La Révolution inconnue, tome 2, Entremonde, 2010, p. 47.

[4] Rex A. Wade, Red Guards and Workers’ Militias in the Russian Revolution, Stanford University, 1984, page 183.

[5] Marc Ferro, La Révolution de 1917, Albin Michel, 1997, p. 399.

[6] Marc Ferro, La Révolution de 1917, Albin Michel, 1997, p. 445.

[7] Orlando Figes, La Révolution russe, tome 1, Gallimard, 2009, p. 749.


http://alternativelibertaire.org/?Dossi ... on-sociale


Anarcho-syndicalistes dans les comités d’usines

À partir du printemps 1917, un second pôle libertaire concurrence la Fédération anarchiste communiste. Marqué par la culture syndicaliste révolutionnaire occidentale, il cherche à émanciper les organisations ouvrières de la tutelle sociale-démocrate.

Pendant trois mois, la Fédération anarchiste communiste (FAC) a été le seul groupement libertaire sérieux à Petrograd. Mais à partir de mai, avec le retour des exilés, se constitue un pôle concurrent : l’Union de propagande anarcho-syndicaliste (UPAS).

Ses iniateurs – Efim Yartchouk (31 ans), Bill Chatov (30 ans), Voline (35 ans) et Alexandre Schapiro (35 ans) – sont les héritiers des pionniers anarcho-syndicalistes des années 1907-1908 (lire ci-contre), mais leur vrai dénominateur commun est d’avoir milité dans le mouvement syndicaliste révolutionnaire en Occident.

Plusieurs d’entre eux ont fait vivre Golos Trouda (« La Voix du travail »), organe de l’Union des ouvriers russes aux États-Unis, qui compte environ 10.000 adhérents. Très inspirés par la CGT française et par les IWW états-uniens, ces militants goûtent fort peu le spontanéisme et l’insurrectionnalisme à tout-va de la FAC.

Pour eux, les perspectives ne sont pas encourageantes. Voline est dépité par l’infériorité numérique et organisationnelle des anarchistes par rapport aux bolcheviks. « Notre retard est irréparable, confie-t-il à quelques camarades. C’est comme si nous avions à rattraper à pied un train express qui, en possession des bolcheviks, se trouve à 100 kilomètres devant nous et file à 100 kilomètres à l’heure. » Il faudrait un miracle. « Notre devoir est de croire à ce miracle, conclue Voline, et de travailler à sa réalisation. » [1]

Vite rejoints par le vétéran Daniil Novomirski, les anarcho-syndicalistes se lancent donc dans l’édition en russe des brochures syndicalistes révolutionnaires d’Emile Pouget, Fernand Yvetot ou Christiaan Cornelissen, et vont à la rencontre des comités d’usines. Ils y recrutent un jeune partisan qui a pris part aux Journées de février et jouera bientôt un rôle pivot parmi eux : Grigori Maximov (24 ans). En août, ils lanceront une nouvelle série de Golos Trouda, qui exercera une influence non négligeable dans les milieux ouvriers conscientisés.

L’UPAS suit de près l’action des comités d’usine, dans lesquels elle a identifié une dynamique similaire à celle du syndicalisme révolutionnaire : enracinement sur le lieu de production, action directe, tendance à l’autogestion. C’est là que vit l’activité ouvrière la plus féconde, devant les soviets et, surtout, devant les syndicats que mencheviks et bolcheviks sont en train d’échafauder à toute vitesse sur le modèle social-démocrate : inféodés à leur parti.

L’autogestion ne résout pas le marasme

Le 20 mai, la conférence des comités d’usine de Kharkov, où les anarchistes sont influents appelle à « prendre en main la production, la sauvegarder, la porter à son maximum » [2]. Elle est suivie, du 30 mai au 5 juin, par la conférence des comités d’usine de Petrograd qui, avec 236 entreprises représentées [3], fait le point sur la situation économique.

Celle-ci est alarmante : la pénurie de charbon est générale, les transports ferroviaires sont erratiques, la productivité chute, le patronat licencie et ferme. Dans ce contexte critique, la plupart des usines reprises en autogestion végètent. Pire : elles se font concurrence pour se procurer le peu de combustible dispo­nible.

Seuls les délégués anarchistes – Justin Jouk donne Schlüsselbourg en exemple – exhortent à multiplier les expropriations. La conférence ne les suit pas et se limite à prôner le con­trôle ouvrier, sans remettre en cause la propriété capitaliste. Mais les mencheviks, qui prônent le « contrôle ­d’État », sont également mis en minorité. En conclusion, afin d’encourager l’entraide entre les entreprises sous contrôle ouvrier, la conférence désigne un Conseil petrogradois des comités d’usine. Maximov y est élu, bien entouré de bolcheviks [4].

Guillaume Davranche (AL Montreuil)


[1] Voline, La Révolution inconnue t. 2, Entremonde, 2010, page 18.

[2] Maurice Brinton, « Les bolcheviks et le contrôle ouvrier », Autogestion et Socialisme n°24-25, septembre-décembre 1973.

[3] Marc Ferro, La Révolution de 1917, Albin Michel, 1997, page 956.

[4] Maurice Brinton, « Les bolcheviks et le contrôle ouvrier », Autogestion et Socialisme n°24-25, septembre-décembre 1973.

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Re: Russie : Le mouvement anarchiste de 1905 et 1917 à nos j

Messagede bipbip » 21 Sep 2017, 21:57

Juin-juillet : Provoquer une insurrection ne suffit pas

Durant le mois de juin, alors que se prépare une offensive sur le front pour «  ressouder la nation  », l’exaspération monte dans la garnison et dans les usines en crise. À plusieurs reprises, les anarchistes tentent de fomenter une insurrection contre le ­gouvernement provisoire, quitte à défier le congrès des soviets. Le Parti bolchevik désapprouve et retient ses troupes.


Le Ier congrès panrusse des soviets, qui se réunit à Petrograd du 3 au 24 juin, s’ouvre dans un climat assez tendu. D’une part, le gouvernement, piétinant les espoirs de paix, prépare une offensive d’été sur le front austro-allemand, ce qui exaspère les soldats casernés à Petrograd, qui n’ont aucune envie d’y retourner. D’au­tre part, depuis fin avril, les forces conservatrices d’un côté, l’extrême gauche de l’autre, sont de plus en plus vindicatives.

Il y a là 1.090 délégués, représentant 519 soviets d’ouvriers, de soldats et de paysans. La gauche (bolcheviks, mencheviks inter­nationalistes et une poignée de SR), pèse moins de 15 % des mandats face à la majorité modérée SR-mencheviks. Une instance nationale, le comité exécutif panrusse des soviets (VTsIK) est élue, qui prêche l’apaisement au nom de la patrie et de la révolution.

La FAC estime au contraire qu’il faut riposter aux provocations réactionnaires. Elle espère obliger les congressistes à approuver sa radicalité, en commettant un coup d’éclat.

Deux jours après l’ouverture de ces assises, le 5 juin, 80 anarchistes armés, emmenés par Asnine, investissent l’imprimerie du quotidien réactionnaire Rousskaïa Volia. L’idée est de poser publiquement la question de la réquisition des moyens d’expression de la bourgeoisie au profit des organisations ouvrières. Mais la majorité du congrès des soviets condamne cette initiative et exige l’évacuation. Dans l’imprimerie occupée, Asnine change alors son fusil d’épaule et invite les typographes à s’emparer des machines pour former une coopérative. Raté. Tout au plus acceptent-ils de tirer un tract pour la FAC. Le soir même, dépités, les anarchistes évacuent donc le bâtiment de la Rousskaïa Volia et se replient sur la datcha Dournovo.

L’incident aurait pu se limiter à cet échec. Mais le gouvernement, soucieux de prouver son autorité auprès de la bourgeoisie, commet une erreur. Il lance un ultimatum à la FAC, lui enjoignant d’évacuer la datcha Dournovo dans les vingt-quatre heures. La riposte populaire est immédiate : des grèves éclatent dans 28 usines de Vyborg, dont les rues se peuplent soudain de gardes rouges. Une cinquantaine de matelots de Cronstadt accourent pour défendre la datcha.

De nouveau, le congrès des soviets est appelé à réagir. De nouveau, la majorité cherche l’apaisement, envoie des émissaires auprès de la FAC et auprès du gouvernement, invite les ouvriers à cesser les grèves et les gardes rouges à remiser leurs fusils.

La FAC cherche alors à pousser son avantage. Le soir du 8 juin, elle réclame au congrès des soviets non seulement son maintien dans la datcha, mais la socialisation de trois journaux de droite (Novoïe Vrémia, Rousskaïa Volia et Retch). La gauche du congrès, dont les bolcheviks, appuient ces revendications.

123 délégués votent la manifestation en armes

L’affaire de la datcha Dournovo a créé une atmosphère électrique à Vyborg et à Cronstadt, alors que plusieurs régiments – dont le 1er Mitrailleurs – sont vent debout contre leur envoi au front. À ­Moscou, c’est carrément tout le régiment de Dvinsk, commandé par l’anarchiste Gratchov, qui se mutine et refuse de monter au front. La situation est idéale pour faire éclater les contradictions devant le congrès des soviets, estiment conjointement la FAC et la fédération de Petrograd du Parti bolchevik.

Le 9 juin dans l’après-midi, à la datcha Dournovo, une assemblée réunit 123 délégués d’usines et de régiments et vote, pour le lendemain, une manifestation armée sur les mots d’ordre « contre la guerre » et « tout le pouvoir aux soviets », appelant à chasser la bourgeoisie du pouvoir. Un « Comité révolutionnaire provisoire » est formé, comprenant anarchistes, bolcheviks et SR maximalistes, dont le secrétaire est l’anarchiste Gavrilov [1].

Informé de ces préparatifs, le congrès des soviets s’alarme et, en catastrophe, fait afficher un appel à ne pas manifester, expliquant que ce serait une provo­cation propre à déchaîner la réaction. De grosses pressions s’exercent alors sur les dirigeants bolcheviks pour qu’ils rappellent leurs troupes à l’ordre. In extremis, le comité central du parti, soucieux de ne pas braquer le congrès des soviets, décide de tout annuler.

À 3 heures du matin, il fait prévenir ses militants que le parti se retire du Comité révolutionnaire provisoire. Intimidés, les SR maximalistes annoncent qu’ils se retirent aussi. Les anarcho-syndicalistes de l’UPAS pensent également que c’est un mauvais calcul de défier le congrès des soviet – il y aura à ce sujet, à Cronstadt, un accrochage public entre Yartchouk et Bleikhman [2].

La FAC, isolée, préfère alors renoncer à la manifestation. Elle envoie néanmoins des émissaires dans toutes les usines et les régiments pour prévenir que la manifestation n’est que reportée.

Le 12 juin, les délégués de 150 usines et régiments [3] – dont un certain nombre de bolcheviks, malgré la consigne de boycott du parti – se retrouvent de nouveau à la datcha Dournovo et votent une manifestation armée le 14 juin.

Le soir même, pour leur couper l’herbe sous le pied, le congrès des soviets annonce la tenue, le 18 juin, d’une manifestation publique non armée, devant symboliser l’unité populaire autour du slogan « Par l’Assemblée constituante, vers une république démocratique » et en soutien à l’offensive sur le front.

Faut-il, du coup, maintenir une manifestation armée qui serait aussitôt accusée de saboter l’offensive au profit des Allemands ? Le comité central bolchevik pense qu’il est préférable de manifester en toute légalité le 18 juin, mais sur ses propres mots d’or­dre pacifistes et révolutionnaires.

Sentant venir l’échec de son initiative, la FAC jette l’éponge.

Le tournant du 18 juin  : l’ascension bolchevik

Mencheviks, bolcheviks, SR, anarchistes... tout le monde se prépare donc pour cette journée du 18 juin, qui va donner la température de la situation.

Le jour dit, en scrutant cette manifestation, tous les observateurs saisissent que quelque chose est en train de basculer dans la révolution.

Dans une atmosphère tendue – l’offensive militaire tant annoncée débute le jour même – des dizaines de milliers de personnes défilent dans Petrograd. Mais bien peu de cortèges le font derrière les banderoles mencheviks et SR soutenant l’action du gouvernement. Le gros des manifestants se retrouve sous les mots d’ordre bolcheviks : « À bas les six ministres capitalistes », « Tout le pouvoir aux soviets », « À bas l’offensive », « Vive le contrôle ouvrier sur la production »… Les dirigeants du soviet de Petrograd et la majorité des congressistes sont estomaqués : le désaveu de leur politique est cinglant.

Est-ce le microclimat de Petrograd, ou l’indice d’une tendance plus générale ?

L’assaut contre la datcha Dournovo

Si les anarcho-syndicalistes ont défilé le 18 juin, la FAC a jugé qu’elle avait mieux à faire. Profitant de la diversion, elle a conduit une troupe de 2.000 personnes en armes vers la prison de Vyborg, d’où plusieurs détenus politiques ont été libérés. Cette fois, c’est la goutte d’eau. Dans la nuit, le gouvernement fait encercler la datcha Dournovo par des régiments fidèles, et donne l’assaut. Asnine et tué, et une soixantaine d’ouvriers, de soldats et de marins – dont Anatoli Jelezniakov – sont arrêtés.

De nouveau, Vyborg proteste. Alors que six usines se mettent en ­grève dans le voisinage de la ­datcha, un défilé d’habitantes et d’habitants vient rendre un dernier hommage à Asnine, dont le corps est exposé. Des anarchistes de l’usine Rosenkrantz envoient une délégation au 1er régiment de mitrailleurs pour proposer une manifestation.

Agitation analogue à Cronstadt, où une AG décide de libérer les détenus par la force si nécessaire. Des délégués des usines de Vyborg vont protester au soviet de Petrograd, où ils reçoivent l’appui des députés bolcheviks.

Fidèle à lui-même, le bureau du soviet temporise, appelle à la ­cessation des grèves, fait libérer les personnes arrêtées sans accusation et diligente une enquête. Seul Jelezniakov reste sous les verrous. Condamné à quatorze ans de prison, il s’évadera au bout de quelques semaines.

Guillaume Davranche (AL Montreuil)

http://alternativelibertaire.org/?Dossi ... suffit-pas

Le fiasco des Journées de juillet

Enfin  ! Entraînant la base bolchevik, les anarchistes ont réussi à provoquer une insurrection armée. Hélas, ils n’ont pas les moyens de l’emmener à son terme. Le gouvernement sort renforcé de l’épreuve.

Commencée en fanfare le 18 juillet, l’offensive russe sur le front austro-allemand, conçue comme une opération tant militaire que politique, vire à la catastrophe en une semaine. Les soldats démoralisés désertent en masse ; Kerenski n’obtiendra pas ses lauriers de nouveau Bonaparte.

À Petrograd, les casernes les plus rouges sont de nouveau en ébullition. Le 1er régiment de mitrailleurs a appris que les deux tiers de ses 10.000 soldats devraient partir au front [1]. Lors d’une AG géante, le régiment déclare qu’il n’acceptera cela que quand la guerre aura pris un « caractère révolutionnaire », chose impossible tant que les capitalistes seront au pouvoir [2].

À Cronstadt, l’exaspération est telle parmi les 80.000 matelots qu’une étincelle suffirait à mettre le feu aux poudres.

A la datcha Dournovo, la FAC fomente l’insurrection

Réunis le 2 juillet, une quinzaine de responsables de la FAC estiment que la situation est mûre pour tenter le coup de force qu’ils projetaient en juin. Un plan est dressé : soulèvement des mitrailleurs et des matelots, occupation des gares, du central téléphonique, de la Novoïe Vrémia, arres­tation du gouvernement. Le coup d’envoi doit être donné le lendemain et les anarchistes comptent bien, cette fois, entraîner la base bolchevik, sans laisser au comité central du parti le temps de retenir ses troupes.

Le soir même, la Maison du peuple donne un concert aux soldats devant partir au front. Bleikhman et ses camarades font irruption. Leur harangue contre la guerre et leur appel à l’insurrection immédiate enflamment l’assistance. Le concert vire au meeting antigouvernemental.

Le lendemain matin, rebelote à la caserne du 1er Mitrailleurs : la FAC et l’organisation militaire bolchevik tiennent meeting et font acclamer l’idée de marcher en armes, le jour même, sur le palais de Tauride où siègent le gouvernement et le soviet. On élit un Comité révolution­naire provisoire, dont le ­bolchevik Semachko est secrétaire ; des émissaires partent mobiliser Cronstadt et les usines. Pourtant, le scénario est mince, l’orga­nisation sommaire… « La rue nous organisera ! » balaie Bleikhman, fidèle au credo spontanéiste de la FAC.

En réalité, la rue ne va rien organiser du tout, et l’insurrection de juillet va se terminer en eau de boudin. Les anarchistes pensaient qu’on pourrait rééditer la victoire trop facile de février. Ils paieront cher cette légèreté, et les bolcheviks avec eux.

On piétine devant le palais de Tauride

Le 3 juillet, à 17 heures, venus de Vyborg, 50.000 ouvriers et soldats emmenés par Bleikhman et Semachko marchent sur le palais de Tauride et... rien, ou pas grand chose. Le président menchevik du soviet, sorti pour parler à la foule, se fait huer. En revanche les bolcheviks Trotski et Zinoviev, très applaudis, font acclamer le mot d’ordre « tout le pouvoir aux soviets ». Moment de flottement. On hésite. Puis une averse opportune disperse la foule. Les commandos chargés d’ar­rêter le gouvernement échouent : Kerenski s’est échappé de peu ; les autres ministres se terrent.

Pendant ce temps, à Cronstadt, une délégation de mitrailleurs et d’anarchistes, dont Maria Nikiforova, appellent à la solidarité lors d’un meeting improvisé place de ­l’Ancre. Les leaders SR, bolcheviks (Rochal) et anarcho-syndicalistes (Yartchouk) essaient de temporiser, expliquant que le coup de force est prématuré [3], mais ils se font siffler. Rien ne peut refroidir les marins, qui décident de marcher le lendemain.

Dans la nuit, le comité central bolchevik essaie de statuer. L’insurrection est manifestement ­lancée, et la base du parti y participe. Mais faut-il s’emparer de Petrograd ? N’est-ce pas prendre le risque de constituer un îlot rouge qui sera étouffé par la contre-révolution ? On tergiverse. Rien de clair n’est décidé.

Le lendemain matin, 4 juillet, près de 20.000 matelots armés jusqu’aux dents débarquent dans Petrograd, accompagnés de fanfares jouant L’Internationale, agrégeant des dizaines de milliers d’ouvriers. À leur tête : Bleikhman, la SR de gauche Maria Spiridonova et le bolchevik Raskolnikov.

Sur le chemin, la foule se masse devant le QG bolchevik, l’hôtel Kchessinskaïa, espérant un discours de Lénine. Celui-ci, qui désapprouve l’insurrection, renâcle avant de se montrer au balcon. Il ne le fait que pour appeler au calme, déconcertant les adhérents bolcheviks qui ne comprennent pas pourquoi leurs chefs leur tournent le dos.

La suite de la journée va être aussi confuse que la veille. Au palais de Tauride, la foule insulte le soviet : « Prenez donc le pouvoir, fils de pute, puisqu’on vous le donne ! » vocifère un marin dans les oreilles du chef SR Tchernov, qui manque de se faire lyncher.

Le Kaiser allemand manipule les insurgés  !

L’insurrection n’ira pas plus loin. Les anarchistes n’ont été capables que de donner une impulsion, et la direction bolchevik n’a pas souhaité orienter la suite des événements. Faute d’objectif, la foule tourne en rond, puis achève de se désagréger à l’arrivée des troupes loyales, en début d’après-midi. Ces régiments jusque là restés neutres ont été con­vaincus d’intervenir par des révélations fracassantes du gouvernement sur les financements allemands du Parti bolchevik [4].

C’est le début d’une vague de répression contre l’extrême gauche : tandis que les automitrailleuses loyalistes patrouillent dans Vyborg, on saccage les locaux bolcheviks et anarchistes ; on ferme leurs journaux ; on perquisitionne ; on emprisonne les « traîtres à la révolution et à la nation » ; on désarme les unités qui se sont mutinées. La presse de droite exulte. Le temps de la reprise en mains est venu.

Guillaume Davranche (AL Montreuil)

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Re: Russie : Le mouvement anarchiste de 1905 et 1917 à nos j

Messagede bipbip » 27 Sep 2017, 17:29

Août-septembre : La contre-révolution creuse son propre tombeau

La disgrâce de l’extrême gauche après l’échec de juillet n’aura pas été longue. Dès la fin août, le putsch avorté du général ­Kornilov la remet en selle, et déclenche une vague de terreur ouvrière contre la bourgeoisie. La guerre sociale ne fait que commencer. Pour les bolcheviks et leurs alliés anarchistes, la question du pouvoir est à l’ordre du jour.

L’échec démoralisant de l’insurrectionnalisme durant les journées des 3 et 4 juillet va avoir des conséquences aussi bien sur le Parti bolchevik que sur le mouvement anarchiste. Échaudés par un fiasco qui a fait fuir des milliers d’adhérents, les responsables bolcheviks de base éviteront désormais de se laisser entraîner par les anarchistes, et se montreront plus respectueux des directives de leur comité central.

Quant à la FAC, pourchassée et privée de son QG de la datcha Dournovo, son influence semble reculer au profit des anarcho-syndicalistes de l’UPAS. Du 18 au 22 juillet, une ­première conférence anarchiste se tient à Kharkov, avec des délégués de 12 grandes villes, et marque un tournant en se prononçant clairement pour la participation des anarchistes aux soviets [1].

Dans le même temps, l’UPAS clarifie les divergences avec les bolcheviks lors de la IIe conférence des comités d’usines de Petrograd, du 7 au 12 août.

L’ensemble des délégués veulent limiter la concurrence entre entreprises pour l’approvisionnement... mais pas de la même façon. Les anarcho-syndicalistes estiment que c’est le rôle de fédérations de comités d’usines, à structurer par branche d’industrie ; les bolcheviks estiment que ce sera la tâche d’un « État prolétarien » et déposent une motion en ce sens. Voline, délégué de l’usine Stein, s’y oppose. Mais la majorité bolchevisante des délégués rejette son objection, et vote la motion. Malgré tout, les anarcho-syndicalistes s’accrochent, et Chatov rejoint Maximov au comité central des comités d’usines de Petrograd.

Durant la conférence, les anarcho-syndicalistes ont d’ailleurs distribué le premier numéro de leur hebdomadaire, intitulé Golos Trouda, comme du temps de leur exil états-unien. Ils y défendent une autogestion socialiste fondée sur les comités d’usines, sans tutelle de l’État et, contrairement à la FAC, voient dans les soviets « les seules formes d’organisation de la démocratie révolution­naire », les seules institutions à même de réussir la « décentralisation et la répartition du pouvoir » [2]. Golos Trouda atteindra un tirage de 25.000 exemplaires [3] ; à comparer aux 90.000 exemplaires quotidiens de la Pravda en juin 1917, auxquels il faut ajouter les 60.000 de la Soldatskaia Pravda [4].

S’appuyant sur leur journal, les anarcho-syndicalistes font des progrès. À Moscou, emmenés par un vétéran très influencé par le modèle français, Nicolai Lebedev, ils sont implantés chez les boulangers, les typographes, les postiers, les cheminots, les ouvriers du cuir et ceux du parfum. Plus au sud, ils gagnent les cimentiers et les dockers d’Ekaterinodar et de Novorossiisk. Chez les mineurs du Donbass, dès juin, une conférence a adopté le programme syndicaliste révolutionnaire des IWW. Enfin, fin août 1917, l’UPAS se prépare à inaugurer son premier club ouvrier dans le quartier de Vyborg, à Petrograd.

C’est à ce moment que la Russie est secouée par un événement qui va, de nouveau, accélérer la révolution : la tentative de putsch du général Kornilov.

Malgré lui, Kornilov relance la révolution

Depuis la répression des Journées de juillet, tout le monde s’attendait à un coup d’État pour « terminer le travail », remplacer Kerenski impuissant, liquider le Soviet de Petrograd, fusiller les « tovaritchtchi » menant le pays à sa perte et rétablir l’ordre. La bourgeoisie l’espérait intensément, la presse conservatrice y appelait ouvertement.

Leurs vœux sont exaucés lorsque la nouvelle se répand, le 29 août, que le général Kornilov marche sur Petrogard avec des troupes ramenées du front, dont les Cosaques de la « Division sauvage ». Au gouvernement, Kerenski, soupçonné de complicité avec Kornilov, ne peut faire autrement que de dénoncer cette sédition, et d’appeler à la résistance.

C’est alors que le pouvoir populaire va démontrer toute sa puissance, bien au-delà de ce qu’aurait souhaité Kerenski. Le péril Kornilov provoque un formidable sursaut non seulement à Petrograd, mais dans tout le pays. En Ukraine par exemple, dans une ville de 30.000 habitants comme Gouliaï-Polié, un Comité de défense de la révolution est aussitôt formé et, emmené par l’anarchiste Nestor Makhno, fait désarmer les bourgeois de la ville pour dissuader toute velléité de soutien à Kornilov [5].

Le Soviet de Petrograd, qui a appelé à la mobilisation générale, passe l’éponge sur les Journées de juillet : on libère les militants emprisonnés ; on ouvre les armureries ; on distribue des armes aux ouvriers ; on creuse des tranchées. La Garde rouge prend en mains la défense de la ville. L’anarchiste Justin Jouk, qui appartient à son comité directeur, fait li­vrer par la Poudrerie de Schlüsselbourg, une péniche de grenades que le Comité central des comités d’usines fait distribuer à Vyborg. On attend Kornilov de pied ferme.

En fait, il n’atteindra jamais Petrograd : privées de ravitaillement et de locomotion par les cheminots en grève, ses troupes sont immobilisées et, peu à peu, fraternisent avec les gardes rouges venus à leur rencontre. En quarante-huit heures, Kornilov est contraint d’abandonner la partie. La bourgeoisie est consternée ; les quartiers ouvriers exultent. Anarchistes et bolcheviks ont été au premier rang de la défense révolutionnaire ; pestiférés la veille, leur prestige est à présent au plus haut. Pour tout un chacun, il est clair que l’heure de la revanche a sonné.

La guerre sociale commence

Pour paraphraser Saint-Just en 1794, on pourrait dire que ceux qui font les contre-révolutions à moitié « ne font que se creuser un tombeau ». C’est exactement ce qui va se passer en Russie. Affolé par la tentative de putsch, le prolétariat va se défendre avec férocité. « Plus de sentiment, avait déclaré Jouk début août, plus de temps à perdre. L’heure est venue de frapper la bourgeoisie à la tête. » [6]

Alors que dans les campagnes, le mouvement d’appropriation des terres est allé crescendo depuis juin, c’est à présent dans les villes que les expropriations d’entreprises et de logements se multiplient. Les immeubles des beaux quartiers sont visités par des escouades de la Garde rouge, les bourgeois sont obligés de partager leurs vastes appartements avec des familles nécessiteuses, quand ils ne sont pas, tout simplement dépouillés de leurs biens de façon sauvage. Le Parti bolchevik lance le slogan « Pillez les pillards » véritable incitation à la reprise individuelle [7].

En ratant son putsch, Kornilov a déclenché une vague de terreur contre les classes possédantes en Russie. « C’est bien avant Octobre que les travailleurs révolutionnaires ont détruit la base du capitalisme. Il n’en restait que la superstructure politique », écrira Piotr Archinov dix ans plus tard [8].

De fait, l’existence du gouvernement provisoire ne tient qu’à un fil. Kerenski n’est plus pris au sérieux par personne. D’autant que les soviets l’ont lâché. Dès le 31 août, celui de Petrograd a condamné son ambiguïté vis-à-vis de Kornilov et a, pour la première fois, approuvé le mot d’ordre « Tout le pouvoir aux soviets ». Désavoués, les élus SR et mencheviks démissionnent du comité exécutif et y sont remplacés par une majorité bolchevik, emmenée par un Léon Trotski triomphant.

Dans les jours qui suivent, en province, plus de 50 soviets votent des mots d’or­dre similaires. Le Parti bolchevik, identifié comme le parti de la révolution sociale, enregistre une progression spectaculaire, gagnant la majorité dans les plus gros soviets, mais aussi dans les syndicats où, jusqu’alors les mencheviks dominaient.

L’insurrection se prépare

Ne reste plus qu’à éliminer les modérés du VTsIK élu en juin. Un IIe congrès panrusse des soviets est convoqué pour octobre. Tout le monde pressent que les bolcheviks y seront majoritaires et que le congrès proclamera, enfin, la destitution du gouvernement provisoire. Il ne fait aucun doute que, s’il faut employer la coercition, on pourra compter sur les marins de Cronstadt, les soldats et les gardes rouges. Et que le Parti bolchevik sera le chef d’orchestre de l’opération.

Les militants bolcheviks et anarchistes s’entraînent au grand jour, dans les usines, avec les armes récupérées durant la Kornilovchtichna [9]. C’est de nouveau l’osmose, mais à présent sous le ­commandement incontesté du parti [10].

Dans la presse bolchevik, on débat ouvertement de l’insurrection. La grande question qui divise le comité central est celle du moment. Faut-il la lancer après que le congrès panrusse des soviets aura voté la destitution du gouvernement ? Ou bien faut-il la lancer avant, pour met­tre le congrès devant le fait accompli ? L’enjeu non dit, mais de première importance, est de déterminer à qui échoira le pouvoir : directement au congrès des soviets, ou bien au Parti bolchevik, qui le transférerait ensuite aux soviets. L’enjeu est symbolique car, dans les deux cas, les bolcheviks seront le bras armé du congrès, appuyés par leurs alliés SR de gauche et anarchistes.

Mais le bras armé saura-t-il résister à la tentation de conserver le pouvoir pour lui seul ? Les anarchistes sont conscients du risque, mais pensent que la direction bolchevik n’aurait de toute façon pas les moyens de se maintenir seule au pouvoir.

À l’approche du congrès et de l’insurrection annoncée, Golos Trouda se prononce donc en faveur d’une « victoire des soviets » mais prévient : il faudra que le « parti politique aspirant au pouvoir et à la domination s’élimine après la victoire et cède effectivement sa place à une libre auto-organisation des travail­leurs ». Faute de quoi, le nouveau gouvernement serait inévitablement renversé à son tour. Débuterait alors la « troisième et dernière étape de la révolution » : celle d’une « auto-organisation libre et naturelle des masses » [11].

De son côté, le journal de la FAC, Kommuna, qui souhaite ardemment l’insurrection, publie un programme signé Bleikhman en neuf points essentiellement économiques, mais qui reste vague sur l’exercice du pouvoir populaire – le mot « soviet » en est étrangement absent [12].

Guillaume Davranche (AL Montreuil)

http://alternativelibertaire.org/?Dossi ... re-tombeau


Les autres composantes du socialisme russe

En 1929 les éditions Prolétariï publient à Moscou Quels partis étaient en Russie  : Menchéviks, SR, anarchistes, KD, monarchistes, comme un ultime salut des vainqueurs aux vaincus.

Quelle était l’influence des uns et des autres en 1917  ? Tout au long de l’année révolutionnaire, une double mesure permet d’en juger : leur poids dans les soviets d’une part, et d’autre part le suffrage universel déclenché pour la première et dernière fois en novembre 1917, pour former l’Assemblée constituante. L’ouvrage de Protasov, Juravlev, Repnikov et Chelokhaev, La Constituante panrusse (Rosspen, 2014), en donne les chiffres exacts.

Le Parti socialiste-révolutionnaire (PSR), fondé en 1901, est un parti marxiste hétérodoxe, donnant une grande importance à la paysannerie ; héritier des Narodnikis (« populistes »), il est doté d’une « Organisation de combat » commettant de spectaculaires attentats ciblés. En 1906, il subit une scission d’extrême gauche, l’Union des SR maximalistes (qui en 1917-1918 aura son bastion à Cronstadt) et une scission de droite qui donne naissance au Parti socialiste populiste.

En 1914, sa direction soutient la défense nationale. En 1917, le PSR se taille la part du lion dans les assemblées élues, mais est très divisé entre une aile gauche minoritaire qui combat le gouvernement provisoire et une aile droite, ancrée dans un socialisme rural, convertie sans enthousiasme au parlementarisme.

Tandis que les SR de droite se mueront en rempart de la révolution de Février, les SR de gauche participeront activement, aux côtés des bolcheviks, à la révolution d’Octobre et au gouvernement qui en découlera.

À la Constituante, le PSR se présente encore uni et remporte 19,3 millions de suffrages (39,8 %), faisant élire 340 députés (dont une quarantaine de SR de gauche), terminant en tête dans la plupart des campagnes.

Le Parti bolchevik est issu de la scission, en 1903, du Parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR) fondé en 1898. Dirigé par Lénine, il incarne le marxisme révolutionnaire, ouvriériste, martial voire dictatorial.

En 1914, la majorité du parti refuse la guerre et maintient ses positions internationalistes. En 1917, son influence grimpe rapidement dans les usines et certains régiments des grands centres urbains. Son étiage dans les soviets se situe en moyenne autour de 20%, davantage dans ceux des deux capitales (Petrograd et Moscou) marquées par le prolétariat industriel.

Il réunit près de 11 millions de voix (22,5%) à la Constituante, faisant élire 170 députés et terminant en tête dans une dizaine de régions et dans la moitié des fronts militaires (qui procèdent à des scrutins séparés). Après Octobre, il devient hégémonique dans les soviets, à mesure qu’il interdit tous ses concurrents.

Le Parti menchevik est l’autre moitié de la scission, en 1903, du POSDR. Il incarne un marxisme parlementaire, légaliste, citadin. Très divisé sur l’attitude à adopter en 1914, le parti a compté une minorité internationaliste autour de Julius Martov.

Son influence en 1917 est plus modeste que celle des bolcheviks, mais il garde des places fortes dans l’aristocratie ouvrière et notamment dans les rares branches organisées en syndicats : chemins de fer, postes. Il marque aussi de son empreinte certaines régions périphériques, comme la Géorgie.

Mais à la fin de 1917, résolument hostiles au putsch d’Octobre, son influence est résiduelle : il ne réunit que 1,5 million de suffrages (3,1 %) aux élections pour l’Assemblée constituante et ne fait élire qu’une vingtaine de députés.

D’autres forces révolutionnaires existent, même si leur influence est plus localisée.

Les socialistes nationaux – SR ukrainiens, socialistes polonais, juifs du Bund, arméniens du Dashnak – dominent parfois sur leurs périmètres géographiques. Réunis, ils pèsent près de 15 % des suffrages à la Constituante.

Mais la prévalence de la question nationale dans leur positionnement crée bien souvent d’irréductibles oppositions avec le pouvoir révolutionnaire central.

Pierre Chamechaude (Ami d’AL, Paris nord-est)

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Re: Russie : Le mouvement anarchiste de 1905 et 1917 à nos j

Messagede bipbip » 30 Sep 2017, 14:37

L’assaut dans l’inconnu

Bolcheviks, anarchistes et SR de gauche fourbissent leurs armes. Le putsch est programmé pendant le IIe congrès pan­russe des soviets, dans le but qu’il valide l’opération et lui confère sa légitimité. Mais ensuite  ? Le Parti bolchevik, fer de lance de l’insurrection, conservera-t-il le pouvoir, ou le remettra-t-il réellement entre les mains du congrès  ?

Après quelques semaines de tergiversation quant au meilleur moment pour déclencher l’insurrection, le comité central bolchevik a tranché : on renversera le gouvernement provisoire avant même l’ouverture du congrès des soviets, afin de le mettre devant le fait accompli. Ce timing est tellement nécessaire que le parti, en retard dans les préparatifs du putsch, manœuvre pour retarder de quelques jours l’ouverture du congrès.

Dans la nuit du 24 au 25 octobre 1917, l’opération de destitution du gouvernement provisoire, retranché dans le Palais d’hiver, est lancée. La forteresse Pierre- et-Paul est occupée ; le croiseur Aurore, venu de Cronstadt avec toute une flotille d’insurgés, braque ses canons sur le palais ; les troupes rouges encerclent le bâtiment.

On est très loin de l’insurrection de juillet, populaire et brouillonne ; cette fois la préparation a été minutieuse – même si les cafouillages, à l’heure H, vont être nombreux – et les quartiers ouvriers n’ont pas été sollicités. Selon Trotski, seuls 25 000 soldats, marins et gardes rouges environ participent aux opérations, dirigées par un Comité militaire révolutionnaire (CMR) monté pour l’occasion.

Théoriquement issu du Soviet de Petrograd, théoriquement créé pour dissuader un coup réactionnaire du gouvernement provisoire, ce CMR groupe une soixantaine de militants très majoritairement bolcheviks, mais comptant également des SR de gauche et quatre anarchistes : Bleikhman (FAC), Bill Chatov (UPAS), Yartchouk (soviet de Kronstadt) et Bogatsky (Union des anarchistes indépendants) [1]. Bleikhman estimera par la suite qu’environ 500 anarchistes ont participé aux opérations. Justin Jouk est à la tête d’un détachement de 200 gardes rouges ; Anatoli Jelezniakov de celui d’une unité de matelots [2] ; Bleikhman et Yartchouk participent au commandement de la flottille partie de Cronstadt [3].

Le congrès des soviets approuve le putsch

Le Palais d’hiver est cerné par les insurgés lorsque s’ouvre le IIe congrès panrusse des soviets, l’après-midi du 25 octobre. Signe de la radicalisation de la révolution, on compte désormais une majorité de bolcheviks, de SR de gauche et d’anarchistes parmi les 670 délégués venus de toute la Russie. Les modérés, déjà minoritaires, s’affaiblissent encore plus lorsqu’une partie d’entre eux quittent la salle pour protester contre le putsch en cours.

À 2 heures du matin, on annonce la prise du Palais d’hiver et l’arrestation du gouvernement provisoire. À 5 heures, une large majorité des congressistes approuvent cette destitution et le transfert du pouvoirs aux soviets.

La séance suivante n’est ouverte que le lendemain, 26 oc­tobre, à 20 h 40, après une journée passée en conciliabules. L’assistance s’est enrichie d’un certain nombre de délégués absents la veille, pour la simple et bonne raison qu’ils participaient à la prise du Palais d’hiver. Parmi eux : trois délégués anarchistes : Jouk, Jelezniakov et Yartchouk.

Les débats se con­centrent sur trois décrets solennels satisfaisant les aspirations populaires les plus fondamentales  : le premier annonce l’ouverture de négociations de paix ; le second entérine le partage des terres par les paysans ; le troisième annonce... la constitution d’un nouveau gouvernement !

Sur les bancs des anarchistes et des SR de gauche, c’est la stupéfaction. Dans la journée, le Parti bolchevik a concocté un cabinet, qu’il soumet à présent à l’approbation du congrès. Par un joli tour de passe-passe sémantique, les mots « gouvernement » et « ministre » en sont absents : il s’agira d’un « Soviet des commissaires du peuple » (Sovnarkom), présidé par Lénine, et exclusivement composé de bolcheviks. C’est exactement le scénario que les anarcho-syndicalistes redoutaient. « Quel soviet de commissaires ? Qu’est-ce que cette invention ? s’exclame Yartchouk, provoquant quelque tumulte. Tout le pouvoirs aux soviets ! » [4]. Mais la majorité du congrès approuve sans barguigner.

Le lendemain, des autos sillonnent la capitale, lançant à la volée des tracts annonçant la composition du nouveau gouvernement. Voline, qui passe par là, en prend connaissance. Dans ses Mémoires, il racontera avoir été saisi d’un « sentiment compliqué de tristesse, de colère, de dégoût, mais aussi une sorte de satisfaction ­ironique ».

« Démagogues imposteurs », songe-t-il, ils doivent « s’imaginer qu’ils feront ainsi la révolution sociale ! Eh bien, ils vont voir… et les masses vont prendre une bonne leçon ! » [5]

Trois semaines de combats à Moscou

À Moscou, les choses ne se déroulent pas aussi facilement qu’à Petrograd, et l’insurrection prend une tournure plus populaire. Là aussi, les anarchistes se battent au coude à coude avec les bolcheviks, et un des animateurs de la FAC, Nikitine, y laissera la vie. Son camarade Gratchov, commandant du régiment de Dvinsk, très anarchisant, fera distribuer armes et munitions aux ouvriers de la ville. Mais il faudra au final trois semaines aux insurgés, avec des pertes assez lourdes, pour vaincre les troupes fidèles à Kerenski, retranchées dans le Kremlin et dans l’hôtel Métropole.

Au terme de la bataille, les anarchistes font partie du « camp des vain­queurs » d’Octobre. En conséquence de quoi, ils ont de nouveau pignon sur rue. La FAC se réquisitionne un nouveau QG – le manoir Ginzburg, dans le centre de Petrograd – ainsi qu’une imprimerie, celle du ­journal conservateur Jivoe Slovo, ­désormais interdit. Cela permet à l’organisation de lancer son propre quotidien  : Bourevestnik (« L’Oiseau-tem­pête »). L’anarcho-syndicaliste Golos Trouda va également profiter de ces réquisitions [6].

Une nouvelle phase de la révolution commence donc. Pour les anarchistes, elle va consister à approfondir la révolution sociale, tout en contestant la tutelle gouvernementale croissante sur les soviets et les comités d’usine.

La « troisième révolution » va, très rapidement, devenir le mot d’ordre du mouvement.

Guillaume Davranche (AL Montreuil)

http://www.alternativelibertaire.org/?D ... -l-inconnu


L’anarchiste Jelezniakov disperse l’Assemblée constituante

C’est un épisode historique relativement connu : la dispersion de l’Assemblée constituante russe, le 6 janvier 1918, s’est faite sous la contrainte du matelot de Cronstadt Anatoli Jelezniakov... avec évidemment l’aval du pouvoir bolchevik.

Dans la nuit du 5 au 6 janvier 1918, après seulement douze heures de session, le pouvoir bolchevik, approuvé par ses alliés anarchistes et SR de gauche, fait disperser l'Assemblée constituante. Celle-ci vient d'annuler plusieurs décisions du IIe congrès des soviets, tenu en octobre 1917.

Assemblées concurrentes, la Constituante et le congrès des soviets sont élues sur des bases très différentes : la Constituante l'est au suffrage universel, dans toutes les classes sociales ; le congrès des soviets ne comporte que des députés élus dans les usines et les régiments.

Pour les anarchistes, la légitimité politique revient au congrès des soviets... même si, par la force des choses, il est dominé par le gouvernement bolchevik auquel ils sont hostiles.

Les Parti bolchevik, lui, avait tellement réclamé la convocation d'une Assemblée constituante entre février et octobre qu’une fois au pouvoir, il n'a pu faire autrement que d’en organiser l’élection. Le quotidien anarchiste de Petrograd, « Bourevestnik », avait alors condamné une décision « contradictoire, extrêmement nuisible et dangereuse ».

Sans surprise, le scrutin donne une large majorité de députés modérés, principalement SR et mencheviks.

La Constituante ne siégera cependant qu’une unique journée. Le 6 janvier, à 4h40 du matin, le commandant de la garde du palais de Tauride, l'anarchiste Anatoli Jelezniakov, avec l'aval du chef bolchevik Dybenko, vient donc taper sur l'épaule du président de l'Assemblée constituante, Viktor Tchernov, et lui intime l'ordre de lever la séance.

Le pays se montrant indifférent à ce coup de force, la Constituante ne sera plus autorisée à se réunir. Une semaine plus tard, le IIIe congrès des soviets approuvera ce coup de force, affirmant sa légitimité contre celle de la Constituante.

Dans la réalité, c'est surtout le gouvernement bolchevik qui a désormais les coudées franches.



Video : https://vimeo.com/226503748

http://alternativelibertaire.org/?L-ana ... nstituante


Une révolutionnaire ukrainienne : Maroussia sort de l’oubli

Militante charismatique passée par la prison et par l’exil, formidable oratrice et cheffe de guerre, elle inspirait la terreur aux blancs et la méfiance aux rouges. Devenue, dans la culture soviétique, un personnage interlope et folklorique, elle est ­redécouverte depuis quelques années.

Nestor Makhno, qui fut entre 1918 et 1921 l’âme de l’armée paysanne insurgée d’Ukraine, n’a pas usurpé sa place dans la mémoire de l’anarchisme et de la Révolution russe. Mais il faut savoir que dans la représentation que l’URSS faisait de la Makhnovchtchina, Makhno était souvent flanqué d’un alter-ego féminin : « Banditka Maroussia ». La mémoire collective soviétique les a retenus comme un couple infernal de bandits de grands chemins, avides de sang et de rapines.

Tantôt représentée comme un garçon manqué, tantôt comme une traînée des campagnes, avinée et violente, Maroussia a réellement existé. Son vrai nom était Maria Grigorievna Nikifirova, et sa vie se situe aux antipodes de sa caricature.

Du terrorisme à l’exil

Née en 1885 à Alexandrovsk, dans la région d’Ekaterinoslav, elle passe son enfance à moins d’une centaine de kilomètres de Gouliaï Polié, qui deviendra la « capitale » de la Makhnov­chtchina, en Ukraine méridionale. Fille d’un officier vétéran de la guerre de 1877-1878 contre la Turquie, rien ne la prédispose, en apparence, à devenir révolutionnaire. C’est pourtant ce qu’elle fait, dès ses 16 ans.

Les interprétations divergent cependant sur ce premier engagement. Les historiens proches du courant libertaire [1] le situent au sein de l’anarcho-communisme bezmotivnï (c’est-à-dire « sans motif » : pra­tiquant la violence indifférenciée contre les riches). Les publications issues des Archives russes la rattachent plutôt au courant socialiste-révolutionnaire [2].

Une chose est certaine : Nikifirova pratique la propagande par le fait, et multiplie les actions violentes. En 1908, elle est condamnée à vingt ans de travaux forcés pour l’assassinat d’un fonctionnaire municipal d’Alexandrovsk, mais elle parvient à s’évader de la prison de femmes de Moscou dans la nuit du 30 juin au 1er juillet 1909.

Les chemins de l’évasion conduiront Maria, par étapes, à fuir l’empire russe par l’est. Une période de près de dix ans d’exil s’ouvre alors, des États-Unis à la France en passant par l’Angleterre, l’Allemagne, l’Espagne et la Suisse, au gré des opportunités et des rencontres. Elle forgera dans cette découverte du monde ses convictions politiques profondes, devenant définitivement anarchiste. Elle participe d’ailleurs, fin 1913, à Londres, à la conférence des anarcho-communistes russes en exil, et donne quelques articles à la presse libertaire russe de New York (Golos Trouda) et de Chicago (Vperiod).

Quand éclate la guerre, en 1914, elle se range derrière Kropotkine pour défendre l’Union sacrée de l’anarchisme avec le camp russo-anglo-français contre ce qui est identifié comme le danger suprême : l’impérialisme allemand.

Une cheffe de guerre anarchiste

On peut noter dans ce choix ce qui semble être un trait caractéristique de la personnalité de Maria Nikifirova : le goût pour l’action armée.

À son retour en Russie, en 1917, elle milite à la Fédération anarchiste communiste de Petrograd et, lors des journées de Juillet, elle va haranguer les marins à Cronstadt, pour les inciter à la mutinerie. Après l’échec de ­l’insurrection, elle retourne à Alexandrovsk. C’est là qu’elle apprendra le putsch d’Octobre.

En Ukraine, Maroussia, comme elle se fait appeler, met sur pied un bataillon de partisans anarchistes, la Volnaïa Boevaïa Druzhina (« Détachement militaire libre et volontaire ») qui dispose d’un train blindé orné de drapeaux noirs, affronte les factions contre-révolutionnaires et multiplie les expropriations-redistributions.

Ses qualités d’organisatrice, d’oratrice [3] et son caractère belliqueux sont repérés par Vladimir Antonov-Ovseïenko, qui assure le commandement militaire bolchevik en Ukraine. Il la considère comme bolchevo-compatible et interviendra à plusieurs reprises en sa faveur lors de ses déboires judiciaires. De son côté, Nikifirova et ses hommes s’allient aux gardes rouges pour renverser le soviet pronationaliste d’Alexandrovsk et lui substituer un soviet révolutionnaire.

Avec Nestor Makhno

Le divorce intervient en avril 1918, quand le gouvernement bolchevik brise le mouvement anarchiste. Ses excès – des actes de pillage – sont utilisés contre elle. Elle est arrêtée et l’Armée rouge entreprend de désarmer ses partisans.

L’anarchiste Apollon Kareline prend sa défense au Comité exécutif panrusse des soviets, mais c’est surtout Antonov-Ovseïenko qui la protège. En septembre 1918, au terme de deux procès, elle n’est condamnée qu’à une peine légère : la privation pour six mois de la possibilité d’exercer des fonctions au sein des soviets.

Entre janvier et le printemps 1919, en pleine terreur rouge contre les anarchistes, elle rejoint de nouveau Makhno pour quelques mois, assurant diverses fonctions au sein de l’armée insurrectionnelle qu’il a mise sur pied. Les Archives russes laissent entendre qu’elle aurait pu jouer un rôle intermédiaire entre l’Armée rouge et l’armée noire, et être employée à des missions secrètes et délicates.

C’est au cours de l’une de ces missions risquées en Crimée blanche, pour préparer un attentat contre l’état-major de Dénikine, qu’elle est arrêtée à Sébastopol, le 11 août 1919. Les blancs prennent le temps de la juger avant de la fusiller, à la mi-septembre 1919.

Maroussia n’est donc pas cette harpie caricaturée par la propa­gande soviétique ; elle n’est sans doute pas non plus une sainte (une « Jeanne d’Arc de l’anarchisme » comme la qualifie son biographe anglais). À la lumière des archives russes, une étude historique approfondie reste à mener sur Maria Nikifirova, anarchiste, oratrice et guerrière indomp­table, ballottée par les vents contraires qui soufflaient sur la Révolution russe.

Pierre Chamechaude (Ami d’AL, Paris nord-est)

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Re: Russie : Le mouvement anarchiste de 1905 et 1917 à nos j

Messagede bipbip » 01 Oct 2017, 11:43

Novembre 1917-avril 1918 : Du pluralisme à la révolution confisquée

Le déchaînement de la révolution sociale dans les villes à partir de septembre 1917, puis la destitution du ­gouvernement provisoire en octobre inaugurent une nouvelle phase de la révolution. L’espoir des anarchistes est que le gouvernement bolchevik, intitulé « Soviet des commissaires du peuple » (Sovnarkom), soit in­capable de canaliser le torrent populaire, et se rende insupportable aux soviets.

Dès le 13 novembre, un meeting au Cirque moderne, à Petrograd, range les anarchistes dans l’opposition de gauche [1]. Celle-ci va être menée de deux façons : d’une part, en intervenant au sein des soviets, des syndicats et des comités d’usine, pour les dissocier du Sovnarkom ; d’autre part, en consolidant un mouvement anarchiste autonome, doté de sa propre force armée.

Cette stratégie est réaliste. Les anarchistes sont, comme les SR de gauche, dans le camp des « vainqueurs d’Oc­tobre » et, dans les mois qui suivent, ils se renforcent considérablement. L’année 1918 verra leur apogée, avec des organisations actives dans 150 villes, publiant 55 journaux [2]. Golos Trouda, devenu un quotidien, atteint un tirage de 25.000 exemplaires ; Bourevestnik (qui succède à Kommuna) tire à 15.000 et Anarkhia, à Moscou, à 20.000. À cela, il faut ajouter une quinzaine de maisons d’édition et, pour la seule Petrograd, 17 clubs ouvriers. Piotr Archinov évaluera que l’anarchisme peut alors s’appuyer sur 40.000 militants [3] dans les 20 plus grandes villes [4].

C’est assez pour peser dans le débat public, mais insuffisant pour menacer le Parti bolchevik et ses 400.000 adhérents en totale osmose avec les institutions soviétiques.

Même si, jusqu’en 1922, il y aura toujours au moins un anar­chiste au Comité exécutif panrusse des soviets (VTsIK) – Justin Jouk, puis Alexandre Gué, puis Apollon Karéline et German Askarov –, l’anarchisme ne parviendra jamais à être plus qu’une voix discordante dans les congrès soviétiques. Et encore le Sovnarkom étouffe-t-il cette voix autant que possible : chaque nuit, au moment de mettre sous presse, l’imprimerie de Golos Trouda subit une coupure de courant ; à la Poste, jusqu’à 50% des paquets en partance sont « égarés » ; les vendeurs à la criée sont harcelés et intimidés… [5]

Malgré ces entraves, les anarchistes portent le fer. Les clivages sont nets sur trois questions clefs, plus complexes sur une quatrième :
1. Pouvoir populaire contre pouvoir d’État
2. Socialisation contre nationalisation
3. Milices populaires contre armée hiérarchisée
4. Sur les réquisitions et expropriations


POUVOIR POPULAIRE CONTRE POUVOIR D’ÉTAT

Les anarchistes considèrent que le pouvoir doit s’incarner dans le congrès des soviets, où ne siègent que des députés de soldats, d’ouvriers et de paysans. C’est pourquoi ils sont hostiles au Sovnarkom, le gouvernement bolchevik, mais aussi à la tenue d’une Assemblée constituante : son élection sur une base nationale et interclassiste, serait une régression.

Cependant, le Parti bolchevik a tellement réclamé cette Assemblée constituante entre février et octobre qu’il ne peut faire autrement que d’en organiser l’élection – Bourevestnik condamne alors une décision « contradictoire, extrêmement nuisible et dangereuse ».

Sans surprise, le scrutin donne une large majorité aux SR et aux mencheviks. La Constituante ne siégera cependant qu’une unique journée. Avec le feu vert des responsables bolcheviks [6], l’anarchiste Jelezniakov, qui commande la garde du palais de Tauride, fait évacuer les parlementaires « par la force des baïonnettes ». Le pays se montrant indifférent à ce coup de force, la Constituante ne sera plus autorisée à se réunir.

Passé cet épisode, les anar­chistes ne cessent de contester ­l’existence d’un gouvernement bolchevik dangereusement dictatorial. Dans leurs meetings, Yartchouk et Maximov achèvent invariablement leurs discours par le slogan : « À bas le Sovnarkom ! Vive la fédération des soviets li­bres ! »

Au IIIe congrès panrusse des soviets, fin janvier 1918, le bolchevik Joseph Staline, qui prône la centralisation, s’oppose à l’anarchiste Alexandre Gué qui estime qu’il faut « au contraire décentraliser, construire depuis la base » [7].

Cependant, les appels des anarchistes en faveur d’une « troisième révolution » et du « pouvoir des soviets libres » resteront vains : la majorité bolchevik dans les soviets s’affermira au fil des congrès, à mesure que les partis concurrents seront in­terdits de s’y présenter, et que l’adhésion au parti hégémonique deviendra un passage obligé pour l’action politique, puis pour la promotion sociale.


SOCIALISATION CONTRE NATIONALISATION

Pénurie, coupures de courant, productivité en chute libre, chômage endémique  : l’économie est dans un état désastreux. Pour redresser la situation, Golos Trouda prône la socialisation et l’autogestion ; le Sovnarkom lance au contraire une étatisation progressive. Un débat dans la presse s’ouvre sur le sujet.

C’est au Ier congrès panrusse des syndicats, du 7 au 14 janvier 1918, que la controverse est menée avec le plus d’acuité. Le débat se cristallise sur le rôle des comités d’usines et le contrôle ouvrier de la production. Sur 428 délégués, il y a 6 anarcho-syndicalistes – dont Jouk, Bleikhman, Maximov, Laptev et Chatov. Pour eux, le contrôle ouvrier doit être une école de l’autogestion, et la coordination de la production doit échoir aux fédérations industrielles de comités d’usines.

Les bolcheviks estiment au contraire que le contrôle ouvrier doit se limiter à la vérification que les directives de l’État sont bien appliquées. Comme l’explique un délégué bolchevik, « le contrôle d’État est identique au contrôle ouvrier, puisque le pouvoir est entre les mains de la classe ouvrière » [8].

La motion anarcho-syndicaliste est battue [9] et la majorité vote un texte pré­conisant la fusion des comités ­d’usines au sein des syndicats. Officiellement, parce que les syndicats, exempts de localisme, sont plus efficaces. Officieusement, parce que l’appareil syndical, bâti par en haut sur le modèle social-démocrate allemand, est contrôlé par le parti.

Quinze jour plus tard, à leur VIe et ultime conférence, les comités d’usines de Petrograd, ne voyant pas d’autre issue, approuvent la fusion, mais avec la ferme intention d’importer dans les syndicats leurs pratiques basistes, comme l’élection des délégués et non leur désignation par la bureaucratie. De fait, ils y parviendront pendant deux ou trois ans [10].

Dans les syndicats où ils sont actifs, les anarcho-syndicalistes défendront le modèle fédéraliste et la perspective autogestionnaire. Outre leur bastion des mineurs du Donbass, ils pèseront chez les débardeurs et cimentiers de Novorossiisk et d’Ekaterinodar, chez les cheminots, ouvriers du parfum et boulangers-meuniers de Moscou, chez les postiers de Petrograd. La résistance à la centralisation sera vive chez les traminots, les porteurs, les barbiers, les égoutiers et les cheminots. Au congrès fédéral des postiers, en avril-mai 1918, la motion anarcho-syndicaliste ne sera battue que de peu [11].

Puis, à la faveur de la guerre civile, ces poches de résistance seront évincées, et le processus de transformation des syndicats en simples rouages de l’État deviendra irréversible.


MILICES POPULAIRES CONTRE ARMÉE HIÉRARCHISÉE

Le 15 décembre 1917, l’armistice est signé entre la Russie rouge et les armées ottomane, autrichienne et allemande. Le front est gelé pour la durée des pourparlers de paix. Mais quelle paix ? Avec la révolution d’Octobre, la guerre n’a-t-elle pas changé de nature ?

Pour les anarchistes, les SR de gauche et la gauche du Parti bolchevik, emmenée par Boukharine, l’enjeu est à présent de résister à l’impérialisme allemand par une guérilla populaire. Il faut appeler à la levée en masse, comme en France en 1792 ; il faut compter sur le « général Hiver » et sur l’immensité du territoire qui ont déjà vaincu Napoléon, en 1812 ; il faut répandre de la propagande parmi les soldats turcs, allemands et autrichiens pour propager la révolution.

Mais la majorité du comité central du Parti bolchevik ne croit pas à cette stratégie. Le gouvernement fait donc traîner en longueur les négociations, espérant que la révolution va éclater à Vienne ou Berlin, ou que leurs soldats refuseront de marcher contre une Russie désormais pacifiste. Ce scénario échoue et, fin février, les Austro-Allemands s’apprêtent à relancer l’offensive.

Comme d’autres, Golos Trouda appelle alors à « l’organisation immédiate et active d’une résistance de corps de partisans » [12] mais il est trop tard. Alors que l’armée russe se débande, les troupes austro-allemandes con­quièrent, en trois semaines, d’immenses territoires. Elles ne sont plus qu’à 150 kilomètres de Petrograd quand le Sovnarkom, paniqué, signe la capitulation, le 3 mars 1918, à Brest-Litovsk. « Paix honteuse », dénoncent les anarchistes [13], qui appellent à la résistance à l’occupation [14].

Le IVe congrès panrusse des soviets, du 14 au 18 mars 1918, est invité à approuver Brest-Litovsk. Le délégué anarchiste Alexandre Gué proteste : « En acceptant les conditions de paix allemandes, nous avons remis nos positions révolutionnaires entre les mains des Allemands ; nous périrons par elles. »

À Moscou, des miliciens de la Garde noire, liée à la FAC envisagent de créer une guérilla en territoire occupé [15]. Finalement, c’est en Ukraine que cette stratégie sera mise en application, avec les détachements de partisans dirigés par des nationalistes de gauche, des SR ou des anarchistes comme Maria Nikiforova et Makhno.

Cette conception libertaire ­d’une défense fondée sur des milices populaires, on la re­trouve dans les principes de l’Armée rouge naissante, fin janvier 1918 : des recrues volontaires et recommandées par une organisation ouvrière, des officiers élus par la base [16]. Dès le mois de mars 1918 cependant, sous l’égide de Trot­ski, changement de braquet : on rétablit la conscription, la hiérarchie, et on nomme des officiers issus de l’ancienne armée impériale, sous le con­trôle du parti.

Il y aura des résistances à ce changement, notamment dans les unités issues des gardes rouges où les anarchistes sont in­fluents [17], mais aussi au sein du parti bolchevik, par les militants hostiles au retour des éléments de l’ancien régime. L’anarchiste Bleikhman, qui est élu dans une commission de contrôle de l’Armée rouge en mars 1918, contestera cette politique.

Malgré cette déconvenue, les anarchistes s’engagent en masse pour défendre la révolution con­tre les armées blanches financées par Paris et Londres. Jelezniakov et Jouk, pour les plus connus, y ­perdront la vie en dirigeant des unités combattantes.


SUR LES RÉQUISITIONS ET EXPROPRIATIONS

Le quatrième clivage entre le pouvoir bolchevik et le mouvement anarchiste concerne le rythme et la méthode des expropriations. Mais, cette fois, c’est le gouvernement qui met en difficulté le mouvement anarchiste, sur une question embarrassante pour lui.

En novembre-décembre 1917, anarchistes et bolcheviks se sont retrouvés autour du mot d’ordre « Pillez les pillards » qui, dans un vaste élan de revanche sociale, a conduit à dépouiller les bourjouï de leurs riches demeures, automobiles et autres biens… pour le meilleur et pour le pire.

D’un côté, des milliers de familles nécessiteuses ont, du jour au lendemain, trouvé logement et acquis des biens de consommation jusque-là inimaginables. Ces gains matériels, concrets, n’ont pu que motiver la population à défendre la révolution pour empêcher tout retour en arrière.

D’un autre côté, la corruption a gagné certains révolutionnaires, qui se comportent comme des caïds et s’adonnent au racket. Ces mœurs, qui vont faire des ravages au sein de la Tchéka, touchent potentiellement tous les groupes armés, et n’épargnent pas les anarchistes. Un exemple parmi d’autres : à Odessa, un groupe libertaire se comporte ainsi comme un gang. Claquemuré dans la somptueuse villa qu’il a réquisitionné, il multiplie les rapines sans développer aucun projet social [18].

Le gouvernement bolchevik et le mouvement anarchiste ne vont pas gérer ce problème de la même façon.

Le premier, soucieux de restaurer l’ordre public et d’intégrer la bourgeoisie dans les cadres du nouveau régime, interdit toute expropriation de biens privés.

Le mouvement anarchiste est plus embarrassé : l’action directe est sa base doctrinale ; les déshérités font partie de sa base sociale. Que faire ?

Une possibilité est de revendiquer fièrement l’alliance entre anarchistes et « criminels » au nom de la « destruction de la société actuelle » comme le fait Bourevestnik [19].

Une autre possibilité est de s’en dissocier nettement. C’est ce que font les anarcho-syndicalistes et certains militants historiques qui tirent la sonnette d’alarme sur des pratiques qui « avilissent les meilleurs et attirent des gens sans scrupules et déséquilibrés » [20].

Une troisième possibilité est de « réguler » les expropriations. Le meilleur exemple en est donné à Cronstadt où le soviet, sous l’impulsion des anarchistes, SR de gauche et maximalistes – et malgré l’opposition des bolcheviks et mencheviks –, abolit la propriété privée des habitations, en organise le recensement puis la répartition, sous l’égide de « comités de maison » auto-organisés. Évidemment, cela fait quelques mécontents. Ainsi, le directeur de l’école d’ingénieurs, qui occupait un 20-pièces à lui seul, crie à l’acte de banditisme lorsqu’on lui impose de partager sa demeure avec une famille pauvre [21].

Autre exemple : la FAC d’Odessa, lorsqu’elle se constitue en février 1918, stipule qu’aucune expropriation ne peut être réa­lisée sans son autorisation [22].

Idem à Moscou, où la FAC centralise les biens expropriés et le revend pour financer des soupes populaires, ou bien les redistribue directement. Les œuvres d’art, elles, sont confiées à des musées [23]. Des hôtels particuliers sont également réquisitionnés par la branche armée de la FAC, la Garde noire, pour y installer des familles mal logées, mais hors de tout contrôle du soviet de la ville, ce qui crée des tensions [24]. Malgré tout, des groupes de bandits continuent de ­faire des razzias en se prévalant de l’anarchisme, et la FAC doit s’en dissocier publiquement [25].

Guillaume Davranche (AL Montreuil)

http://www.alternativelibertaire.org/?D ... confisquee
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Re: Russie : Le mouvement anarchiste de 1905 et 1917 à nos j

Messagede bipbip » 02 Oct 2017, 19:59

Épilogue 1918-1921 : Résistance et éradication

En avril 1918, le pouvoir communiste brise les reins du mouvement anarchiste, qui devenait menaçant. Si une bonne partie des militantes et des militants se résigna à la défaite, d’autres résistèrent, voire contre-attaquèrent.

Dans la nuit du 12 au 13 avril 1918, la population de Moscou est réveillée par le crépitement des mitrailleuses. C’est la Tchéka, appuyée par plusieurs unités militaires, qui vient d’entrer en action pour briser la Fédération anarchiste communiste (FAC) et sa branche armée, la Garde noire.

Le Parti communiste – nouveau nom du Parti bolchevik depuis mars 1918 – ne pouvait plus tolérer l’existence de cet ancien allié devenu gênant et même menaçant. Les critiques politiques ou économiques, passe encore – les anarchistes étaient minoritaires dans les con­grès des soviets et des syndicats, et n’y représentaient pas un danger –, mais leur refus de la capitulation de Brest-Litovsk et leur prétention à ­lancer une guérilla contre les troupes d’occupation austro-­allemandes étaient inacceptables. Berlin aurait rendu le gouver­nement bolchevik responsable de cette violation du traité de paix.

Le danger devenait palpable dans la nouvelle capitale, Moscou, où la Garde noire avait déjà formé 50 détachements aux noms poético-guerriers (Ouragan, Avant-garde, Autonomie, Tempête, Fraternité…) regroupant près de 2.000 volontaires [1].

Une campagne de presse pour Préparer les esprits

Le coup de force contre les alliés d’hier, avec qui on avait lutté au coude à coude lors des journées de Juillet, contre Kornilov, pour Octobre, n’allait cependant pas de soi. On a donc préparé les esprits avec une campagne de presse frappant le mouvement libertaire à son talon d’Achille : sa difficulté à « réguler » les expropriations et à se dissocier nettement des malfrats se réclamant du drapeau noir.

La presse SR et menchevik s’est empressée de dénoncer, elle ­aussi, le fléau des « anarcho-­bandits » [2]. Pour couronner le tout, Trotski est allé en personne galvaniser les troupes, les exhortant à sauver le soviet contre un complot de la Garde noire.

La nuit où l’assaut est donné, la police évacue 23 hôtels particuliers réquisitionnés par la FAC pour y installer des mal-logés. Près de 500 personnes sont embarquées, dont la grande majorité seront vite relâchées. Mais trois immeubles résistent, dont la Maison de l’anarchie. Bilan : 30 défenseurs tués et 12 assaillants blessés [3].

Certains militants sont exécutés après s’être rendus, notamment une figure très respectée de la FAC : Mikhail Khodounov. Ce militant ouvrier, président du comité d’usine de la manufacture de téléphones, artisan de sa mise en autogestion, délégué au soviet de Moscou, a combattu en octobre avec les libertaires du régiment de Dvinsk. La Tchéka prétend qu’il a été abattu en fuyant. Mais quand ses camarades de la manufacture récupéreront son corps trois jours plus tard, ils y découvriront des traces de torture, et une balle dans la tempe [4].

Pendant dix jours, les événements de Moscou vont avoir des répliques dans toute la Russie : Petrograd, Vologda, Voronej, Samara, Smolensk, Briansk, Taganrog… les locaux sont mis à sac, les gardes noirs désarmés, les militants emprisonnés, les journaux interdits.

Au comité exécutif panrusse des soviets (VTsIK), le libertaire Alexandre Gué proteste en vain. Le 23 avril, le VTsIK approuve la répression du « banditisme » caché « sous le masque de la phraséologie anarchiste ». Les éléments de langage sont en place. Ils ne varieront plus.

L’opération brise les reins du mouvement. Il n’est cependant pas interdit. Habilement, le ­gouvernement le laisse, comme ­d’autres, en liberté surveillée.

Les anarchistes face à trois options

Pour les anarchistes, désormais, il n’y a le choix qu’entre trois attitudes : primo, accepter et collaborer ; secundo, maintenir une action indépendante au grand jour en bravant la répression ; tertio, passer à la clandestinité armée.

1. Accepter et collaborer

La première option va être incarnée par la majorité de l’Union de propagande anarcho-syndicaliste, avec Bill Chatov et Novomirski, et par deux nouvelles organisations : la Fédération panrusse des anarchistes-communistes (1918-1921) d’Apollon Karéline, et la Section panrusse des anarchistes universalistes (1920-1921) des frères Gordine et German Askarov.

Leur ligne consistera à reconnaître la supériorité organisationnelle du Parti communiste pour défendre la révolution, tout en critiquant les « excès » de la répression d’État et de l’étatisation de l’économie. Ils y gagneront un ou deux sièges au VTsIK, et des places de fonctionnaires, notamment dans la bureaucratie syndicale. En 1921, le régime finira malgré tout par leur interdire de s’exprimer collectivement.

2. Rester indépendant en bravant la répression

Les organisations qui choisiront la seconde option survivront péniblement avec de maigres moyens, des journaux vite interdits, des militants louvoyant en­tre deux incarcérations. Maximov et Yartchouk, qui défendent un anarcho-syndicalisme de combat, dénoncent l’instauration d’un « capitalisme d’État » dans leur journal Volnyi Golos Trouda et animeront une opposition dans les syndicats jusqu’en 1920.

Le courant insurrectionnaliste de Bleikhman déclinera plus vite, ses forces vives ayant été aspirées par l’engagement armé con­tre les blancs, et diluées dans ­l’Armée rouge. Peu formés poli­tiquement, sans référent organi­sationnel, la majorité de ces militants seront « perdus pour l’anarchisme », jugera Anatoli Gorélik quelques années plus tard [5]. Au premier semestre 1919, ­l’Union anar­chiste-syndicaliste-communiste, créée pour coordonner les forces libertaires antibolcheviks, ne survivra pas longtemps à la répression.

C’est en Ukraine que, bénéficiant d’un rapport de forces plus favorable, les anarchistes continueront à agir le plus librement. Ainsi, autour du journal Nabat (« Le Tocsin »), une importante organisation anarchiste sera active de fin 1918 à fin 1920, en lien avec l’armée insurrectionnelle dirigée par Nestor Makhno.

3. Passer à la clandestinité armée

La troisième option sera celle des Anarchistes clandestins, actifs au second semestre 1919. Initié par le cheminot Casimir Kovalévitch et un groupe de vétérans de la Makhnovchtchina, ce réseau, qui se serait implanté dans une douzaine de villes, s’organise comme sous le tsarisme : un groupe de propagande doté ­d’une imprimerie clandestine ; un groupe de combat avec un atelier de fabrication d’explosifs ; un financement assuré par des braquages de banques.

Les Anarchistes clandestins réussiront un attentat spectaculaire le 25 septembre 1919, en lançant deux bombes dans une assemblée de hiérarques communistes à Moscou. Bilan : 12 morts et 58 blessés. Le réseau sera démantelé peu après par la Tchéka.

En mars 1921, la révolution connaîtra son ultime spasme, tragique, avec les grèves de Petrograd et le soulèvement ­solidaire de Cronstadt. Face à un pouvoir communiste déjà bureaucratisé et corrompu, l’insurrection des marins reprendra les mots d’ordre de la « troisième révolution » : pour des soviets librement élus et un socialisme égalitaire, sans privilèges de ­parti.

Mais ce bastion rouge restera isolé dans un pays épuisé par la guerre civile. Avec Cronstadt sera assassinée l’ultime tentative de renouer avec l’esprit révolutionnaire de Février et d’Octobre.

Guillaume Davranche (AL Montreuil)
et Pierre Chamechaude (Ami d’AL Paris nord-est)


[1] Nick Heath, « The Black Guards » https://libcom.org/history/black-guards, Libcom.org, janvier 2011.

[2] P. Gooderham, « The anarchist movement in Russia, 1905-1917 », Bristol University, 1981, page 316.

[3] Alexandre Skirda, Les Anarchistes russes, les soviets et la révolution de 1917, Éditions de Paris, 2000, page 96.

[4] Voline, Gorélik, Konov, La Répression de l’anarchisme en Russie soviétique, 1922 ; Maximov, The Guillotine at Work, ABF, 1940, page 389.

[5] Anatole Gorélik, cité dans Alexandre Skirda, Les Anarchistes russes, les soviets et la révolution de 1917, Éditions de Paris, 2000, page 146.

http://alternativelibertaire.org/?Dossi ... radication



Vidéo : https://vimeo.com/226210260

Reportage d’outre-tombe : « Les obsèques de Kropotkine » (1921)

Ils sont tous là : bolcheviks, mencheviks, socialistes-révolutionnaires et bien sûr anarchistes... partisan du régime ou persécuté par lui, nul ne pouvait manquer cet événement crépusculaire à plus d’un titre : les funérailles du vieux révolutionnaire Kropotkine, en février 1921. Ce document exceptionnel valait bien une nouvelle traduction commentée.

Le 8 février 1921, le vieux révolutionnaire, grand scientifique et principal théoricien de l'anarchisme, Pierre Kropotkine, meurt à l’âge de 78 ans, à Dmitrov, près de Moscou. Le 10 février, le cercueil est acheminé par le train dans la capitale, où le corps est exposé pendant deux jours à la Maison des syndicats. L’enterrement a lieu le 13 février, en présence de 20.000 personnes.

Le Département panrusse de cinéma et de photographie (VFKO) a réalisé un reportage complet sur cet événement.

Aucune tendance libertaire ne pouvait se permettre, politiquement, d’en être absente. Mais d’autres courants ont également tenu à se faire représenter, qu’il s’agisse des socialistes-révolutionnaires, des mencheviks ou des bolcheviks.

Sur ces images exceptionnelles on peut clairement décrypter certaines banderoles. On aperçoit donc :
– les banderoles d'organisations libertaires satellisées par le régime, telles que la Fédération panrusse des anarchistes-communistes et la Section panrusse des anarchistes-universalistes ;
– celle d'une organisation libertaire oppositionnelle : la Confédération anarchiste ukrainienne Nabat (qui, en réalité, a déjà été démantelée à cette date) ;
– l’Union des SR maximalistes, groupement d’extrême gauche prorégime  ;
– un groupement d’anarchistes rapatriés des Etats-Unis, qui en majorité se sont ralliés au régime.

On retrouve une même diversité parmi les anarchistes identifiés à l’écran – dont certains ont été des proches de Kropotkine. Il y a là  :
– des militants qui coopèrent avec le régime soviétique  : German Sandomirski, Alexandre Atabekian, German Askarov, Vladimir Barmach, Alexei Borovoi, Nikolai Lebedev, Tania et Alexandre Schapiro  ;
– d'autres qui, à cette date, sont en train de rompre, comme Alexandre Berkman et Emma Goldman  ;
– des opposants persécutés par le régime, comme Efred Borisovitch Rubinchik-Meyer, Efim Yartchouk, Grigori Maximov, Nikolai Pavlov et Sergei Markus (issus de la Confédération panrusse des anarcho-syndicalistes), mais aussi Lev Tchernyi et Aaron Baron (du Nabat)  ;
– des personnalités indépendantes comme Lidia Gogeliia et Piro ;
– d'autres, enfin, sur lesquels nous n’avons pas d’information : Anosov et la camarade Petrovski.

Devant la tombe, une pléiade d'orateurs et une oratrice prendront la parole : Emma Goldman ; Isaac Steinberg (SR de gauche) ; Alfred Rosmer, syndicaliste révolutionnaire français rallié à Moscou ; Sandomirski ; Nikolai Pavlov ; Aaron Baron, qui retournera en cellule le soir même...

Quelques semaines après ces funérailles, éclateront les grèves de Petrograd et la fameuse révolte de Cronstadt. Le pouvoir communiste décidera alors d'éradiquer tout espace de libre expression. Les organisations anarchistes prorégime en feront les frais, et seront démantelées avant la fin de l'année. Les obsèques de Kropotkine auront donc été la dernière occasion pour elles de manifester publiquement.

http://alternativelibertaire.org/?Repor ... tkine-1921
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Re: Russie : Le mouvement anarchiste de 1905 et 1917 à nos j

Messagede bipbip » 04 Oct 2017, 22:36

Amiens samedi 7 octobre 2017

1917-2017, cent ans de lutte, le 7 octobre à Amiens

Dans le cadre du centenaire de la révolution russe d’Octobre 1917 , LE POING et le Groupe Alexandre Marius Jacob organisent une journée de conférences et de concerts afin d’apporter un autre point de vue sur l’engagement du mouvement libertaire dans ces événements.

PROGRAMMATION

Ouverture des portes à 13h30
• Tables de presse : Alternative libertaire, Confédération nationale du travail, Fédération anarchiste
• Foire aux livres avec des libraires indépendants (nombreux livres anciens) et les Éditions Libertalia
• Sérigraphie des ÉDITIONS DU MONSTRE
• Exposition des peintures et sculptures de BENOÎT DROUART

À partir de 14h00 : Conférences & discussions

ALEXANDRE SKIRDA, « Marcel Body vous parle », GUILLAUME DAVRANCHE, RÉNE BERTHIER, HÉLÈNE HERNANDEZ

À partir de 21 h00 : Concerts
• GEIST BIST DU DA ?
• ciné-concert sur « La Grève » de Sergeï Eisenstein
• RENÉ BINAMÉ

Salle Valentin Haüy
93, rue Valentin Haüy, 80000 Amiens.

http://www.alternativelibertaire.org/?C ... oppression

Image
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Re: Russie : Le mouvement anarchiste de 1905 et 1917 à nos j

Messagede bipbip » 10 Oct 2017, 20:01

Une carte inédite de Petrograd en 1917

Usines en lutte, régiments rouges, sièges d’organisations et lieux de pouvoir... une carte interactive de la capitale des tsars en pleine révolution, avec un éclairage particulier sur l’implantation anarchiste.

On trouvera ici l’emplacement des principaux lieux cités dans le dossier d’Alternative libertaire consacré à la Révolution russe —la datcha Dournovo, le palais de Tauride, l’institut Smolny, l’usine Rosenkrantz, la prison Kresty...

Mais on y découvrira également la répartition (non exhaustive) des usines et régiments rouges, loyalistes ou « neutres » en octobre 1917, des chiffres sur les effectifs, des photos.

... http://www.alternativelibertaire.org/?U ... ad-en-1917
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Re: Russie : Le mouvement anarchiste de 1905 et 1917 à nos j

Messagede bipbip » 11 Oct 2017, 16:44

Petrogradskaja federacija anarchistov

La Fédération Anarchiste de Petrograd

NDT : Les notes entre [ ] du texte sont de Szarapow, le traducteur russe/anglais du texte. Seules les plus longues ont été reportées en notes de bas de pages. Certaines notes avec des liens sur des sites en langue russe ont été supprimés. Se reporter au texte original.

Ce compte rendu a pour but de fournir aux camarades un aperçu général du mouvement anarchiste à Petrograd. Il est très court et nullement exhaustif, faute de ne pas avoir accès à assez de matériaux historiques.

L’histoire du mouvement dans son ensemble peut être divisée en plusieurs périodes :
1. la période de la révolution de 1905–1907 ;
2. la période de la réaction ;
3. la période de la guerre mondiale ;
4. la période de la grande révolution [1917] :
a. avant octobre, et
b. après octobre ; et
5. la période post-révolutionnaire.


Les débuts du mouvement anarchiste à Petrograd pourraient être datés à partir de 1904–1905, bien avant les premiers mois de la révolution de 1905, lorsque les anarchistes russes revenus de l’étranger ont fondé les premiers cercles (dans le sud et le sud-ouest de la Russie, ce mouvement avait commencé avant). Deux groupes furent fondés à l’automne 1905 à Petrograd. L’un comprenait des anarchistes revenus de l’étranger. L’autre incluait des étudiants et des ouvriers. Nous noterons ici que les cercles ouvriers commencèrent à se former à partir de novembre et même de octobre 1905 au-delà du quartier central de Nevskaya Zastava, puis plus tard dans d’autres quartiers. L’agent provocateur Vladimir Degayev, un étudiant, s’y joignit presque immédiatement. Cela entraînait des désaccords au sein du groupe et perturbait le travail. Ce groupe existait depuis environ un an ; Certains de ses membres participaient encore au mouvement anarchiste. Il y eut un essai pour créer une imprimerie, mais sa réalisation fut aussi empêchée par Degayev.

Le second cercle était aussi organisé par un groupe d’exilés revenus de l’étranger (Petr surnommé « Tolstoï » [de son vrai nom Nikolay Divnogorsky, 1882 — 1909], sa femme Marusya, et Nikolay Romanov [alias Bidbey, 1876 — après 1934, aussi appelé Stepan Romanov]), ainsi que de plusieurs intellectuels qui s’étaient joints à aux en Russie. Ce cercle se consacrait principalement à la propagande par le fait,c’est à dire la terreur et les expropriations; ils éditaient des tracts en ce sens.Il n’a existé que pendant une courte période, infiltré par un agent provocateur, Dmitry Dobrolyubov (Yefimov). Après les avoir entraîné dans un projet d’expropriation, il s’était arrangé pour les faire arrêter lors de sa préparation. Quelques membres du groupe furent jugés et condamnés aux travaux forcés et emprisonnés à la forteresse de Shlisselburg, de laquelle ils furent libérés lors de la révolution de 1917 — Mergaling, N. Romanov, étudiant [Boris Fedorovich] Speransky. La femme de Petr “Tolstoï”, Marusya, devint folle lors de son incarcération précédant le procès dans la forteresse Pierre et Paul, fut transférée à l’Hôpital Saint Nicolas, puis relâchée sous caution. Tolstoï lui-même simula la folie alors qu’il était emprisonné à la forteresse Pierre et Paul et fut transféré à l’hôpital Saint Nicolas. Des camarades l’aidèrent à s’évader et il s’enfuit à l’étranger. Il organisa une attaque de banque à Genève, fut arrêté, passa en procès et fut condamné à la prison à vie. En prison, il s’aspergea de paraffine et se fit brûler vif.

Les membres du groupes qui ne furent pas arrêtés continuèrent à travailler. Les deux cercles avaient commencé à communiquer bien avant les arrestations mais n’avaient pas fusionné, du fait, en partie, de la défiance envers Degayev de la part de membres du cercles de Tolstoï. Peu à peu, de nouveaux membres commencèrent à se manifester — des ouvriers et des intellectuels. Un certain nombres de cercles composés d’ouvriers apparurent, et, à l’été 1906, de tels cercles existaient dans presque tous les quartiers ouvriers. La demande pour de la documentation augmenta. Des tables furent installées à l’université de Bestuzhev pour y vendre de la littérature anarchiste. Ces tables devinrent des lieux où se rassemblaient des membres et des sympathisants et où des anarchistes n’habitant pas la ville se rendaient pour lier des contacts. Des tracts hectographiés étaient publiés; les efforts pour créer une imprimerie se poursuivaient; le nombre de membres continuaient à augmenter.

Un intérêt particulièrement grand envers l’anarchisme dans les cercles ouvriers et étudiants était suscité par les conférences de l’orateur Venin (de son vrai nom Olenchikov), qui était revenu de l’étranger en 1906. Kropotkinien dans sa vision, il était un grand conférencier et un homme très érudit. Malheureusement, ses activités ne durèrent pas longtemps. Le gouvernement menait un double jeu à cette époque : n’osant pas encore donner le coupe de grâce à la révolution, il utilisait tous les prétextes pour arrêter et condamner des militants. Le provocateur Degayev, qui avait été arrêté déjà plusieurs fois, était encore entouré d’étudiants qui le croyaient. Il avait organisé, avec ces jeunes, une expropriation réussie (24 000 roubles, autant que je m’en souvienne), et avit donné une toute petite partie de cet argent à Venin qui l’avait accepté,malgré les avertissements de quelques camarades qui se méfient énormément de Degayev. Les participants à l’expropriation furent rapidement arrêtés, ainsi que Venin. Il fut « épinglé » du fait de l’argent accepté; bien sûr, ce n’était qu’un prétexte, la raison principale était ses activités de propagande. Venin s’échappa du tribunal et s’enfuit à l’étranger. Il est maintenant de retour en Russie mais ne participe pas au mouvement.

Avant la fin de sa première année d’existence, l’organisation prit le nom de Fédération Anarchiste de Petrograd [En russe : Petrogradskaya Federatsiya Anarkhistov; un anachronisme évident puisque St Petersbourg ne fut pas appelé Petrograd avant 1914, donc, le groupe initial devait probablement s’appeler la Fédération Anarchiste de St Petersbourg, ou Peterburgskaya Federatsiya Anarkhistov]. Il est, bien sûr, impossible de dénombrer ses membres, puisqu’il était impossible d’en tenir un registre du fait de sa nature conspirationniste ; mais on peut avancer sans se tromper qu’il existait des cercles dans tous les principaux quartiers ouvriers. La demande de documentation était très importante; Il y avait toujours une nombreuse assistance aux conférences de Venin, qui soulevaient beaucoup d’enthousiasme. En 1907, une imprimerie manuelle fut installée pour imprimer des tracts.

A partir d’avril 1907, la réaction commença à s’accélérer et, par conséquent, les partis révolutionnaires à s’enfoncer davantage dans la clandestinité. En 1908, toute trace d’un travail au plein jour avait disparu. Beaucoup de membres de la fédération avait alors été arrêtés et quelques-uns s’en allèrent, mais ceux qui restaient continuèrent à soutenir le mouvement du mieux possible et établissaient même de nouveau contact avec des ouvriers. De temps à autres, des tracts étaient publiés par hectographie (les caractères d’imprimerie avaient été en partie sauvegardés mais il n’y avait nulle part où installer l’imprimerie), et rencontraient un grand succès. The God Pestilence de [Johann] Most fut hectographié en de nombreux exemplaires et fut très populaire parmi les ouvriers. Avec l’aide d’un ouvrier lithographe, nous nous étions débrouillés pour publier une caricature de Nicolas [II] dépeint comme un clown manipulé par un prêtre, un général et un bureaucrate, avec le texte d’un poème humoristique. Trois numéros d’une petite revue furent aussi publiés, deux étaient hectographiés et un lithographié.

Le mouvement n’a jamais cessé de s’étendre, bien que très lentement, et de réunir de nouveaux membres. D’anciens contacts, rompus par les persécutions de la réaction, furent rétablis et maintenus. Des ouvriers des anciens cercles originels s’unirent de nouveau. Les liens avec les nouveaux cercles ne furent jamais rompus. Il y avait peu d’intellectuels dans le groupe initial, seulement quelques personnes; les ouvriers formaient le noyau dur de la fédération. Pendant tout ce temps, Roman Bergold prit une part active dans le mouvement, lui qui fut récemment exécuté par un peloton d’exécution sur ordre des autorités soviétiques pour ses activités comme agent provocateur. Etait-il un agent provocateur alors, ou l’est-il devenu par la suite, pendant la guerre contre l’Allemagne, ce n’est pas clair aujourd’hui; mais, à l’époque, on lui faisait entièrement confiance. De temps en temps, des individus, ou même des groupes de personnes, étaient arrêtés mais il n’était en aucune manière possible de porter ces arrestations au crédit de Bergold. Il fut lui-même arrêté plusieurs fois.

Telle était la situation lorsque éclata la guerre mondiale [en 1914]. Comme on le sait, peu après son déclenchement, le mouvement révolutionnaire commença à s’étendre au sein des masses prolétaires. Le milieu anarchiste fut aussi rajeuni : il y avait plus de cercles, des tracts étaient publiés plus fréquemment. Peu à peu, une imprimerie manuelle entièrement clandestine fut installée. Elle était utilisée pour imprimer des proclamations, des tracts, « Faim — ignorance — mort », une petite brochure sur l’anarchisme, extraite de La Conquête du Pain [de Pierre Kropotkine] et actualisée par un camarade. Les cercles ouvriers se développèrent de manière significative en 1916, ainsi que le travail de propagande, mais Bergold passa alors à l’Okhrana, et, en mars 1916, il trahit le mouvement. Un grand nombre de camarades fut arrêté, à la fois du groupe initial et dans les cercles ouvriers. Les caractères d’imprimerie furent sauvés, car très bien cachés. L’ Okhrana ne saisit que le cadre de la machine à imprimer, durant l’arrestation d’un camarade ouvrier. Après ce coup dur, le travail cessa pratiquement. Les camarades restant essayèrent de rétablir les contacts interrompus et de recommencer la propagande, mais Bergold étant à l’origine de l’affaire, rien ne fonctionnait. Lorsque un des camarades du groupe initial essaya de travailler seul à l’automne 1916, il fut arrêté en même temps qu’une camarade ouvrière avec laquelle il avait l’intention de créer un cercle. Les camarades arrêtés au printemps 1916, furent détenus rue Shpalernaya, en attendant un procès qui, comme cela était alors certain, les condamnerait au moins à être exilés dans le sud de la Sibérie, et pour quelques-uns, aux travaux forcés. Mais la révolution se déclencha en février 1917. Les camarades relâchés commencèrent aussitôt à reconstruire la fédération sur de nouvelles bases.

La revue Commune[1] [En russe : Kommuna] fut créée, une vraie imprimerie fut installée, une librairie fut ouverte et des armes furent distribuées. Plus tard, le manoir Durnovo[2] fut occupé et abrita le quartier général de la fédération. Une masse d’émigrés arrivant d’Europe de l’ouest et d’Amérique rejoignit ses rangs. Tous les membres du groupe anarcho-syndicaliste de Golos Truda[3] arrivés d’Amérique commencèrent à publier le journal du même nom, qui était auparavant édité à New York. Malheureusement, ils restèrent quelque peu à l’écart du travail anarcho-communiste quotidien, désapprouvant les manifestations révolutionnaires radicales et, de ce fait, suscitèrent quelques discordes au sein des rangs serrés des anarchistes. L’influence des anarchistes sur les masses ouvrières était importante à l’époque; les rassemblements où Voline prenait la parole étaient très suivis; le matériel de propagande circulait bien; des piles de livres avaient été emportés sur le front et dans les provinces. En même temps que ces succès, un grand choc atteignit le moral de la Fédération, en avril. A partir de document de Okhrana, il fut établi que Bergold, éditeur de Commune, était un agent provocateur. Des camarades voulaient le tuer, mais il s’échappa, fut découvert en province, arrêté et condamné à la privation de ses droits civiques. Ce fut un choc moral pour la Fédération. Des journaux bourgeois, qui avaient toujours calomnié notre mouvement, se servirent de cette situation pour des attaques diffamatoires avec une joie malveillante. Mais la Fédération s’en remit rapidement, et Commune fut publié par une autre équipe d’éditeurs. Des contacts avec les provinces furent établis et un certain nombre d’organisations et d’imprimeries s’y établirent. D’autres contacts solides furent établis avec l’armée et notamment avec la flotte de la Baltique. Un journal anarchiste spécifique vit même le jour à Kronstadt [Vol’nyi Kronshtadt (Kronstadt Libre) selon Avrich, The Russian anarchists p.126].

La période de la grande révolution.

Comme nous le savons, le gouvernement de [Alexander] Kerensky glissait de plus en plus vite vers la droite, dans les bras de la bourgeoisie et de la réaction. Les ouvriers répondaient en protestant par des manifestations, dirigées à la fois contre la guerre qui traînait en longueur et contre la politique perfide de la droite. Les syndicalistes révolutionnaires et les anarchistes y prenaient une part active; leurs drapeaux noirs flottaient aux premiers rangs. Près au combat, les rangs serrés, chantant des hymnes anarchistes, ils marchaient dans les rues de Petrograd. Naturellement, le gouvernement de [Viktor] Chernov et de Kerensky n’était d’aucun secours, mais ne pouvait que s’inquiéter de la croissance et du développement du mouvement anarchiste, qui unissait des masses toujours plus grandes d’ouvriers, et il décida de les contrer par tous les moyens. A cette fin, les cosaques et les cadets de l’école militaire furent envoyé en juin 1917 pour prendre d’assaut le manoir Durnovo. Celui-ci fut envahi et dévasté. Pendant le siège du manoir, le camarade [Sh. A.] Asin [son nom est également donné comme Asnin ou Askin], qui s’était retranché pendant un long moment dans une pièce barricadée au côté du marin Anatoli Zhelezniakov, fut tué. La presse bourgeoise et menchevique déversait depuis longtemps de la boue sur Asin, le décrivant comme un ancien criminel converti à l’anarchisme alors qu’il purgeait une peine de travaux forcés. Après sa mort, les viles calomnies s’amplifièrent — deux camarades furent obligés de se rendre dans les locaux du journal ô combien socialiste Novaya Zhizn, qui n’avait pas honte de publier toutes sortes de calomnies sur nos camarades décédés, d’appeler son co-directeur Maxim Gorky et de dénoncer les coups bas du journal. Alors seulement, les insinuations cessèrent, du moins celles venant de ce journal.

Aussitôt après la destruction du manoir Durnovo, les cadets de l’école militaires dévastèrent l’imprimerie anarchiste sur les berges du canal Obvodny. Le mouvement redevint alors semi-clandestin mais les manifestations continuaient, rassemblant des masses d’ouvriers, de soldats et de marins.

Puis ce furent les célèbres journées de juillet. Bien sûr, les bolcheviques oublient aujourd’hui de mentionner que les anarchistes se battaient à leurs côtés à l’époque, entraînant des soldats [dans la contestation] et prenaient la parole contre les bandes de Kerensky, puis qu’ils payèrent cela en années de prison. Et seulement les anarchistes, parmi toutes les organisations révolutionnaires. La défaite de juillet contraignit les anarchistes et les bolcheviques à la clandestinité. Commune fut publié clandestinement. Mais Voline continuait à donner ses conférences dans le quartier de Vyborg devant d’immenses audiences d’ouvriers; il était encore possible d’organiser des rassemblements.

Puis arriva octobre. De nouveau, les anarchistes furent aux côtés des communistes, partout, sur la Place du Palais, lors de la mise à sac de l’École Militaire. L’anarchiste Anatoli Zhelezniakov fut l’un des principaux acteurs de la prise de l’assemblée constituante de Chernov, les anarchistes étaient à Tsarskoye Selo, où Kerensky fut finalement repoussé. L’anarchiste [Iustin] Zhuk — un prisonnier politique qui avait purgé une peine de travaux forcés à Shlisselburg — y conduisit un détachement d’ouvriers pour garder le Smolny [quartier général des soviets] puis à Tsarskoye Selo pour rencontrer Kerensky. Puis les communistes furent aimables et attentionnés: les anarchistes obtinrent les locaux d’imprimerie bien équipés de Novoye Slovo;plus tard, ils héritèrent de ceux du journal de droite Zhivoye Slovo [fermé en octobre 1917]. Un nouveau quotidien, Burevestnik, fut publié. Commune cessa de paraître en septembre.

Plusieurs clubs furent ouverts. Sur la Première Ligne sur l’île Vasilyevsky, la maison du baron [David] Ginzburg fut occupée pour héberger le quartier général et le club anarchiste. Le comité directeur [Soviet] nous demanda de fournir des hommes armés pour fouiller les maisons des Gardes Blancs, ou pour organiser des tours de garde dans les quartiers durant les nuits agitées. De tels souvenirs sont aujourd’hui fort déplaisants pour les communistes.

A la même époque, se déclenche la guerre civile, le front militaire encercle la révolution en Russie.Les anarchistes formèrent leur propres détachements, se joignirent aux rangs communistes et nous devons souligner que nous n’avons pas à avoir honte de nos camarades. Ieronim Zhuk laissa sa vie de manière si héroïque sur le front sud que les communistes eux-mêmes, par la plume de [Grigory] Zinoviev, furent obligés de lui écrire un éloge funèbre honorable [peut-être se réfère t-il à Iustin Zhuk, tué en 1919 sur le front de Carélie]. Anatoly Zhelezniakov, combattit près de la frontière roumaine, dans un train blindé et y fut tué. Marusya Nikiforova conduisit un détachement dans le sud et les soldats qui servirent à ses côtés ont parlé de sa bravoure avec admiration. Elle rejoignit plus tard notre détachement à Petrograd qui était principalement composé d’ouvriers du quartier de Vasileostrovsky.

En même temps, les activités littéraires et de publication de la Fédération de Petrograd continuaient à se développer. Burevestnik était publié quotidiennement. Étaient également publiés des tracts et des pamphlets. L’équipe éditoriale de Burevestnik changea plusieurs fois, ce qui eut naturellement une mauvaise influence sur son activité. Les problèmes financiers étaient fréquents mais n’empêchaient pas le journal d’avoir une grande popularité et audience parmi les ouvriers, les marins et les soldats. L’exemple suivant montre combien la popularité du journal était grande. Les typographes devaient être payés 8 000 roubles, mais il restait rarement de l’argent dans les caisses. Les typographes — qui étaient pour la plupart sans conscience politique, issus de l’ancienne imprimerie de Zhivoye Slovo — refusèrent de travailler une seule minute. Alors, un de nos camarades commença à parcourir Petrograd, un quartier après l’autre, en appelant à des réunions d’urgence — et, à la fin de la journée, l’argent avait été réuni.

Le premier éditeur de Burevestnik fut le camarade [Vladimir] Gordin mais les ouvriers furent bientôt insatisfaits des articles quelque peu étranges et incompréhensibles de ce camarade sans aucun doute talentueux. Une autre équipe éditoriale fut élue et fut dirigée par le camarade Ge [Alexandre Golberg (1879 — 1919)], écrivain et ancien émigré. Peu après, Ge s’aliéna de nombreux camarades du fait de son attitude despotique et, surtout, en attirant dans l’équipe éditoriale et dans l’ organisation quelques personnes totalement inadaptées, tel que l’acteur Mamont Dalsky [1865–1918] et plusieurs journalistes de tabloïdes, qui n’avaient naturellement rien en commun avec les ouvriers et les anarchistes, et qui ne faisaient que discréditer le mouvement. Lors d’une réunion en 1918, Ge fut démis de son poste et une nouvelle équipe éditoriale fut élue, dirigée de nouveau par Gordin avec plusieurs autres camarades.

Mais les jours de Burevestnik étaient déjà comptés. A la mi-mai [1918, les événements commencèrent en réalité en avril], les bolcheviques, de plus en plus forts, décidèrent d’arrêter de soutenir leurs frères d’armes d’hier. Le glissement vers un centralisme d’état extrême et l’intolérance envers toute critique avait alors commencé, qui avait conduit peu à peu les bolcheviques à l’état de pétrification, de bureaucratisation et de capitalisme soviétique, que nous observons en ce moment et les avait poussé à embrasser la Nouvelle Politique Économique. les organisations et la presse anarchiste étaient considérées avec méfiance.

En mai [en réalité en avril] 1918, dans de nombreuses villes (Smolensk, Vologda, Moscou), des clubs, des hôtels et des locaux de journaux anarchistes furent attaqués. Ces attaques, par leur abomination et leur violence, pouvaient être souvent comparées à celles des cadets de l’école militaire de l’ère Kerensky. Aucun incident majeur ne survint à Petrograd, mais un détachement letton expulsa néanmoins les anarchistes de la maison de Ginzburg début mai, et, peu après, Burevestnik fut fermé. Les rassemblements et l’organisation furent interdits et, donc, les anarchistes poussés à la clandestinité. L’organisation à Petrograd avait alors perdu une grande partie de ses membres, qui y avaient joué un rôle important. Beaucoup étaient partis au front, d’autres voyageaient en province pour y mener la propagande, et, enfin, un certain nombres de camarades s’étaient rangés du côté des communistes, où ils occupaient des postes importants ([Vladimir] Shatov [alias Bill Shatov, 1887–1943] avait été nommé commissaire du peuple de la compagnie de chemin de fer de Nikolayevskaya), et s’était détourné totalement de ses camarades.

Le plus gros problème était, bien sûr, le manque d’auto-discipline, qui n’avait pas permis à la Fédération de s’unir dans une entité unique capable de résister aux camarades d’hier devenus les exploiteurs d’aujourd’hui. Quoi qu’il en soit, en fin 1918 et début 1919, les anarchistes à Petrograd n’avaient ni journal ni d’actions politiques visibles. En 1919, les prises de paroles d’orateurs anarchistes dans des réunions d’usines, déjà rares auparavant, cessèrent complètement. Le club anarchiste de la rue Zhukovskogo survécut petitement pendant quelques temps mais fut aussi fermé plus tard.

De 1919 à aujourd’hui, c’est à dire durant les cinq dernières années, l’histoire de la Fédération Anarchiste de Petrograd est celle de persécutions non-stop qui font partir les camarades les plus énergiques. Peu après le soulèvement de Kronstadt [en 1921], débuta un procès intenté au camarade [Pavel] Kolobushkin [Victor Serge l’a désigné sous le nom de Kalabushkin] et à quelques autres, dans une tentative pour les impliquer dans le soulèvement, mais les bolchevique échouèrent. Après un long emprisonnement, le camarade Kolobushkin fut exilé dans la province de Orenburg, et les autres relâchés peu à peu.

Un autre procès contre des syndicalistes révolutionnaires et des anarchistes eut lieu au printemps 1923. Plusieurs personnes furent condamnées à la peine de mort, commuée en exil dans les îles Solovetsky. A chaque fois que des troubles se déclenchent à Petrograd, des anarchistes sont couverts d’insultes, arrêtés et bannis. Un grand nombre de camarades ont fait beaucoup de tort en se rangeant aux côtés des bolcheviques et en annonçant leur « épiphanie » dans les journaux. Alors qu’une personne qui ne réussit pas à supporter les persécutions et qui baisse les bras peut être éventuellement pardonnée, les gentlemen qui cachent leurs intérêts personnels sous de belles phrases et qui crachent sur leurs camarades d’hier qui croupissent en prison et en exil, ne méritent rien de moins que le mépris.

Les autorités communistes se sont donc débrouillées, grâce à une terreur injustifiée contre les vieux combattants anarchistes, pour détruire la Fédération comme organisation légale; elles se sont arrangées pour écarter les camarades anarchistes les meilleurs, les plus énergiques, de toute vie sociale, mais ces fous ne devraient pas penser qu’ils ont étranglé l’anarchisme. La graine, semée par les mains des vieux anarchistes compétents et expérimentés, a trouvé un terrain favorable chez les représentant de la génération prochaine, et quelques-uns d’entre eux sont partis en exil et dans les camps de concentration aussi bravement, sans plus de crainte et d’inquiétude que leurs pères spirituels.Les autres, remerciant les vieux combattants pour la graine semée, forgent leurs nouvelles épées en vu de nouvelles batailles et de nouvelles luttes en ces temps de réaction communiste.

[1] Publication de la Fédération Anarchiste-Communiste de Petrograd, édité par I. Bleykhman. Le N°1 a paru 17 mars 1917. Après le soulèvement de juillet, le journal a été interdit par le Gouvernement Provisoire et l’imprimerie de la Fédération des anarchistes-communistes de Petrograd fut saccagée par la troupe. En septembre 1917, fut publié le dernier numéro, le N° 6, et Svobodnaya Kommuna le remplaça. (Note de A. Dubovik)

[2] Ancien manoir aristocratique, propriété pendant un temps, au dix-huitième siècle, de membres de la famille Bakounine.

[3] Golos Truda, publié par les anarcho-syndicalistes en 1917–1918. Le journal succédait à la publication du même nom publié aux USA de 1911 à 1917. Le n° 1 parut le 11 août 1917, édité par V. Rayevsky. Du n° 2 jusqu’en mars 1918 il fut édité par V. Voline. Il parut à l’origine comme un hebdomadaire, puis à partir du 11 novembre 1917, comme un quotidien avec un tirage entre 10 000 et 15 000 exemplaires. 24 numéros ont été publiés avant la fin 1917. Au début avril 1918, la publication fut transféré à Moscou, où le journal fut fermé par la Tchéka le 12 avril 1918. Fin avril 1918, la publication reprit. Le journal fut définitivement fermé le 9 juillet 1918. (Note de A. Dubovik)



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Re: Russie : Le mouvement anarchiste de 1905 et 1917 à nos j

Messagede Pïérô » 12 Oct 2017, 09:08

Montreuil (93) vendredi 13 octobre 2017

Débat
Anarchistes français et russes, et la Révolution russe de 1917

à 18h30, Musée d’Histoire vivante
Parc Montreau, 31 bd Théophile Sueur, Montreuil (93)

Le mouvement anarchiste et libertaire s'est enthousiasmé également pour la situation révolutionnaire qui prévaut en Russie dès février 1917. Quel fut le rôle des anarchistes russes dans les campagnes, dans les quartiers ouvriers, les usines et les casernes, partout où se mettent en place des comités et des soviets ces organismes de bases de la Révolution ? Quelles sont les relations de ces groupements et organisations libertaires avec les autres partis politiques russes ? En France, pour les anarchistes, la révolution est l'œuvre du peuple, paysans-soldats et des ouvriers et doit se montrer vigilante vis-à-vis des volontés d'encadrements des partis politiques. La référence à la Commune de Paris est forte. Le soutien et la solidarité des anarchistes avec cette révolution qui a mis à bas le régime tsariste et qui jette les bases d'un futur État sont entiers. Cependant, les critiques très rapidement se bousculent pour dénoncer un pouvoir révolutionnaire confisqué et contre une répression de plus en plus violente qui s'abat contre tous celles et ceux qui ne sont pas bolcheviks.

Pour évoquer toutes ces questions, le musée de l'histoire vivante a invité deux historiens :
• Éric Aunoble, historien, enseignant à l'université de Genève,
auteur de La Révolution russe, une histoire française, éditions La fabrique
• Guillaume Davranche, historien
auteur de Trop jeune pour mourir. Ouvriers et révolutionaires face à la guerre (1909-1914), éditions Libertalia,
co-réalisateur du dossier avec Pierre Chamechaude « 1917 : les anarchistes, leur rôle, leurs choix » paru dans Alternative libertaire, juillet-août 1917.

https://paris.demosphere.eu/rv/57256
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