Décès de Georges Fontenis

Décès de Georges Fontenis

Messagede berneri » 10 Aoû 2010, 13:08

http://demainlegrandsoir.org/spip.php?article775

"Les Amis de Demain le Grand Soir" ont eu la douleur d’apprendre le décès de Georges Fontenis, ce lundi 9 juillet 2010.

Georges Fontenis a joué un très grand rôle dans le mouvement libertaire français. Sa vie se confond avec les histoires des luttes ouvrières du 20 ème siècle. Il aura d’ailleurs cotoyé de très près des personnages comme Brassens ou Camus.

Localement, une des ces dernières apparition militante, aura été sa participation active au Collectif Contre La Venue du Pape à Tours.

Il aura, avec courage et risque, soutenu les anarchistes espagnols (après la victoire de Franco) et les indépendantistes algériens.

Diabolisé par une partie du mouvement libertaire, il est resté cependant, jusqu’à la fin, fidèle à ses convictions libertaires.

Un documentaire, réalisé en 2008 par franck Wolff, "Parcours libertaire", résume son l’engagement de ce militant sans dieu et sans maître.


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Re: Décès de Georges Fontenis

Messagede RickRoll » 10 Aoû 2010, 13:53

Je n'ai pas connu Georges Fontenis, mais c'est une grande figure de l'anarchisme révolutionnaire, du communisme libertaire, et du mouvement social en général, qui nous quitte.
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Re: Décès de Georges Fontenis

Messagede fabou » 10 Aoû 2010, 13:59

J'en ai vaguement entendu parlé. J'ai aussi lu un truc de lui, pas ininterressant mais pas non plus transcandant.

Berneri, tu le connaissais ??
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Re: Décès de Georges Fontenis

Messagede Pïérô » 10 Aoû 2010, 17:36

Je pense aussi que George Fontenis a été un acteur important du mouvement anarchiste d'après guerre, et de l'affirmation du courant communiste-libertaire, en même temps il faut faire attention à ces épithaphes qui transforment certains morts en héros de la révolution, avec le culte qui peut s'accompagner. Il trimballe des casserolles, comme beaucoup de militants que nous sommes d'ailleurs, des casserolles plus ou moins grosses, liées au fait que l'on est d'une part dans des champs expérimentaux, et des histoires de vie qui ne sont pas linéaires, parce que l'on change, on se tate, on bifurque, on tente, on avance...Et Georges fontenis, comme on le voit dans le DVD, pouvait aussi dire à la fin de sa vie, avec beaucoup de recul, d'humour et de lucidité, qu'il y avait des moments où il avait mis les pieds dans la merde. Du coup je trouve le communiqué de "Demain Le gand Soir" un peu plan-plan, et le fait qu'il ait effectivement cotoyé Camus et Brassens, pas forcément plus important que cela, d'une part parce que ces personnages ne sont pas forcément des militants révolutionnaire, et parce quil a cotoyé à mon sens des personnages dans ce domaine d'avantage conséquents.
Les présent-es aux rencontres d'été d'Alternative Libertaire sont en train de débattre de cela d'ailleurs autour du communiqué qui ne tardera pas à sortir de nos débats très vivants.
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Re: Décès de Georges Fontenis

Messagede sebiseb » 10 Aoû 2010, 21:01

Tu as raison Pïérô mieux vaut éviter la sacralisation en héros des disparus, surtout quand ils sont libertaires. Cependant, on ne peut pas contester son activisme au sein du mouvement libertaire (et c'est un mec de la FA qui le dit).

Par contre je ne savais pas qu'il était sur Tours, il fréquentait encore les réunions d'AL ?
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Re: Décès de Georges Fontenis

Messagede Pïérô » 10 Aoû 2010, 23:05

Non, et depuis longtemps, et d'ailleurs Fontenis dans AL n'avait pas plus de pouvoir qu'un autre militant. Le groupe FA de Tours de l'époque en 90 lors de la dynamique qui allait créer AL "Pour une Alternative Libertaire" était allé aux réunions, et je me rappelle que j'avais été surpris par cela, alors que dans le mouvement anar on en parlait comme d'un "gourou".

Communiqué D'Alternative Libertaire :

Georges Fontenis : une figure internationale du communisme libertaire nous a quittés

C’est une des dernières personnalités du mouvement anarchiste des années 1940-1950 qui vient de disparaître avec Georges Fontenis, décédé à Tours le 9 août 2010 dans sa quatre-vingt-dixième année. Il restera, dans la mémoire du mouvement ouvrier, comme un infatigable combattant du communisme libertaire, un acteur du soutien aux indépendantistes algériens, un syndicaliste de l’École émancipée, un des animateurs de Mai 68 à Tours et un des piliers de la Libre-Pensée d’Indre-et-Loire. Jusqu’à ses derniers jours, il a été adhérent d’Alternative libertaire.

Issu d’une modeste famille ouvrière des Lilas, Georges Fontenis fut projeté dans le militantisme anarchiste par Juin 36 et l’enthousiasme pour la Révolution espagnole. Membre de la CGT clandestine sous l’occupation, ce jeune instituteur à Paris 19e devint, à la Libération, un des militants les plus en vue de la Fédération anarchiste (FA). Dès 1946, il fut élu secrétaire général de cette organisation, véritable pôle de résistance à l’hégémonie stalinienne dans le mouvement ouvrier de l’époque.

Très proche des Espagnols de la CNT-FAI en exil, Georges Fontenis fut, en 1946-1950, un des promoteurs de la CNT française (CNT-F), qui se présentait comme une alternative à la CGT stalinisée et à une CGT-FO atlantiste. Après l’effondrement de la CNT-F en 1950, il rejoignit la Fédération de l’Éducation nationale (FEN) et fut actif au sein de sa tendance syndicaliste révolutionnaire, l’École émancipée.

Georges Fontenis fut ensuite un des principaux protagonistes des luttes d’orientation qui déchirèrent l’organisation anarchiste en 1951-1953, et qui aboutirent à la transformation de la FA en Fédération communiste libertaire (FCL). Il devait en garder, par la suite, une réputation sulfureuse. Il s’en expliqua dans ses Mémoires, publiés une première fois en 1990. Réédités en 2008 par les éditions d’Alternative libertaire sous le titre Changer le monde, ces Mémoires constituent une pièce de premier ordre pour les historiens de l’anarchisme, mais aussi une forme de bilan politique de cette période, non exempt d’autocritique.

Quand éclata l’insurrection algérienne de la Toussaint 1954, la FCL s’engagea dans le soutien aux indépendantistes et Georges Fontenis mit sur pied, avec ses camarades, un des tout premiers réseaux de « porteurs de valises ». Ce n’est cependant pas son action clandestine, mais sa propagande au grand jour qui valut à la FCL d’être démantelée par la répression. Interpelé par la DST au terme de plusieurs mois de cavale, Georges Fontenis passa près d’un an en prison et fut définitivement proscrit de l’Éducation nationale en Région parisienne. Cette période a été racontée dans un documentaire de 2001, Une résistance oubliée (1954-1957), des libertaires dans la guerre d’Algérie.

Après sa libération, Georges Fontenis s’installa dans la région tourangelle, qu’il ne devait plus quitter. La FCL étant détruite, il continua néanmoins son action dans les réseaux de soutien à l’indépendance algérienne.

Il fut de nouveau appelé à jouer un rôle en mai-juin 1968, en étant un des principaux animateurs du Comité d’action révolutionnaire de Tours. Dans la foulée, il tenta de relancer un Mouvement communiste libertaire (MCL), fortement teinté de conseillisme, mais qui fut un échec. Il devait par la suite adhérer, en 1980, à l’Union des travailleurs communistes libertaires (UTCL), puis à Alternative libertaire.

La vie de Georges Fontenis a, pendant plusieurs décennies, été liée au mouvement ouvrier et à son courant libertaire. Il en a partagé les avancées, les reculs et les luttes passionnées. Militant politique, il savait tirer les enseignements des échecs sans céder au découragement. Mais l’itinéraire de Georges Fontenis fut aussi un itinéraire personnel. Façonné par l’anarchisme, il voulut le transformer en profondeur. Pour cela, il fut vivement décrié par certains, et considéré par d’autres, en France et ailleurs, comme une référence. Son bilan forme-t-il pour autant un bloc, à prendre ou à laisser ? Nullement. Mais Alternative libertaire et, au-delà, le courant communiste libertaire international savent ce qu’ils lui doivent, et c’est pour cette raison que nous rendons hommage à un homme qui, désormais, appartient à l’Histoire.

Les militants qui l’ont côtoyé dans ses combats en garderont, pour beaucoup, le souvenir d’un camarade chaleureux, bon vivant, doué d’humour et d’une grande lucidité. C’est encore l’image qu’il laisse dans le documentaire qui lui a été consacré en 2008, Georges Fontenis, parcours libertaire.

AL assure sa compagne Marie-Louise ainsi que sa famille de sa solidarité dans ce moment douloureux. Le mensuel Alternative libertaire saluera longuement Georges Fontenis dans son numéro de septembre. Nous envisagerons également l’organisation d’un événement public en son souvenir à l’automne, probablement à Tours.

Alternative libertaire, le 10 août 2010
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Re: Décès de Georges Fontenis

Messagede sebiseb » 10 Aoû 2010, 23:14

Pïérô a écrit:...d'ailleurs Fontenis dans AL n'avait pas plus de pouvoir qu'un autre militant

Oui, et heureusement. Je posais la question dans ce sens ; participait-il en tant que militant même au vue de son âge (ou peut-être de sa santé, l'âge n'étant pas un critère on en conviendra) ?
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Re: Décès de Georges Fontenis

Messagede Pïérô » 10 Aoû 2010, 23:23

Oui dans les années 80, mais ses activités militantes actives, en dehors de l'écriture se sont peu à peu ralenties, et il était déjà reculé et/ou affaiblis depuis la fin des années 90. Outre dans AL il bossait beaucoup dans le cadre de "Emancipation", courant syndical de l'éducation.
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Re: Décès de Georges Fontenis

Messagede Pïérô » 11 Aoû 2010, 15:11

Message des Alternatifs :

CherEs, camarades,

le chemin de l'émancipation est long, des militants comme Georges Fontenis l'ont suivi, jalonné, éclairé.
Il fut attentif aux mutations de la société, capable d'autocritique, fidèle à son engagement révolutionnaire et libertaire et en assumant les risques aux moments ou ceux-ci devaient être pris.
Au delà des différences, le chemin et le but, une société autogestionnaire, sans exploitation ni oppressions, nous sont communs.
Aux proches et camarades de Georges Fontenis, notre amitié, notre solidarité.

Pour l'Exécutif des Alternatifs
Jean-Jacques Boislaroussie
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Re: Décès de Georges Fontenis

Messagede Phébus » 11 Aoû 2010, 21:25

Pïérô a écrit:Je pense aussi que George Fontenis a été un acteur important du mouvement anarchiste d'après guerre, et de l'affirmation du courant communiste-libertaire, en même temps il faut faire attention à ces épithaphes qui transforment certains morts en héros de la révolution, avec le culte qui peut s'accompagner.


Dans le genre de ça? : http://www.anarkismo.net/article/17294 :prier:
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Re: Décès de Georges Fontenis

Messagede Klément » 11 Aoû 2010, 22:46

Phébus a écrit:
Pïérô a écrit:Je pense aussi que George Fontenis a été un acteur important du mouvement anarchiste d'après guerre, et de l'affirmation du courant communiste-libertaire, en même temps il faut faire attention à ces épithaphes qui transforment certains morts en héros de la révolution, avec le culte qui peut s'accompagner.


Dans le genre de ça? : http://www.anarkismo.net/article/17294 :prier:

C'est sur que le ton CNT-FAI old fashioned est un peu déroutant vu d'ici (et à replacer dans le contexte) mais c'est un bel hommage !
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Re: Décès de Georges Fontenis

Messagede Rocky_Balboa » 12 Aoû 2010, 13:03

Salut!

Voici une biographie de Georges Fontenis tirée vraisemblablement d'une liste Internet de la FA.

C'est une biographie à charge, bien sûr, mais c'est la première fois que je lis, venant de ce courant, un article sur Fontenis qui ne soit pas simplement injurieux ou calomnieux, et qui s'efforce de se fonder sur les faits.

Il y a néanmoins des erreurs factuelles:
- il reprend le mythe de la commission d'autodéfense "creuset de l'OPB" alors que les membres des deux groupes n'étaient pour l'essentiel pas les mêmes, et que l'objet était complètement différent.
- il reproduit le mythe de Joyeux démarché par Fontenis aux Buttes-Chaumont, vivement démenti par Georges Fontenis, arguant qu'à l'époque, un compromis avec Joyeux était déjà exclu, les divergences étant trop profondes. Il faut rappeler que Joyeux, dans ses mémoires, a parfois inventé des épisodes de sa vie (ainsi au moment des grèves Renault de 1947).
- le texte semble attribuer à un complot de l'OPB le fait que le congrès FA de 1950 ait adopté le vote par mandat, alors que c'était une proposition du groupe Louise-Michel, celui de Maurice Joyeux.
- Au 1er congrès de l'ICL, il y avait également le Mouvement libertaire nord-africain.
- En 1956, ce ne sont pas les "derniers militants" de la FCL qui passent à la clandestinité, mais ceux qui sont poursuivis par la justice. Et ils bénéficient de la solidarité des groupes et militants FCL durant leur cavale.
- en 1961, Fontenis a été brièvement franc-maçon, mais il avoue que c'était durant une "crise morale" (qui peut se comprendre), et cela a donc peu à voir avec l'engagement durable dans la franc-maçonnerie des responsables de la FA des années 1960 (Laisant, Bianco...).

Et puis une omission quelque peu malhonnête : c'est que l'OPB a essentiellement été une réaction contre la "fraction épistolaire" constituée par les individualistes et humanistes pour bloquer toute évolution de la FA...

Hormis ces détails, la critique générale que je ferais de cette biographie est qu'elle personnalise trop la crise de la FA des années 1950 autour de Georges Fontenis. Je pense qu'il faut le replacer dans le contexte de la Guerre froide et de la crise plus générale de l'extrême gauche à partir de 1950, qui du coup s'entre-déchire (scission du PCI en 1952, de la FA en 1953). Certes Fontenis avait sa personnalité ; Joyeux aussi (lisez L'Hydre de Lerne, en matière d'élitisme anar, c'est pas mal). Mais il faut savoir "se guérir des individus" et considérer les contextes historiques. Comme le dit le communiqué d'AL, ces personnages appartiennent désormais à l'Histoire !



Georges Fontenis, parcours d'un aventuriste du mouvement libertaire



Il ne suffit pas de désirer une chose : si on veut l'obtenir, il faut certainement employer les moyens adaptés à sa réalisation. Et ces moyens ne sont pas arbitraires : ils dérivent nécessairement des fins que l'on se propose et des circonstances dans lesquelles on lutte. En se trompant sur le choix des moyens, on n'atteint pas le but envisagé, mais on s'en éloigne, vers des réalités souvent opposées, et qui sont la conséquence naturelle et nécessaire des méthodes que l'on emploie. Qui se met en chemin et se trompe de route, ne va pas où il veut, mais où le mène le chemin qu'il a pris.

Errico Malatesta
in Le programme anarchiste



Marcher vers l'anarchie ne peut pas signifier le reniement de l'anarchisme à travers la constitution d'un gouvernement de soi-disant anarchistes. Il faut tendre vers ce que l'on veut en faisant ce que l'on peut.

Errico Malatesta
in Pensiero e volonta # 4, Rome, du 15 février 1924
Citation reprise en conclusion du Mémorandum du groupe Kronstadt




Fût-il un personnage aussi sulfureux que Georges Fontenis dans l'histoire du mouvement libertaire français au 20ième siècle. Celui qui se plaît à se nommer « Satan », « le Prince des ténèbres », celui qui, il y a quelques années encore en visite incognito à la librairie du Monde libertaire tendait un chèque au permanent de la boutique en lui disant : « la main du diable » ! Celui, aussi, qui verra son nom décliné dans de nombreux articles et ouvrages historiques en une sorte d'idéologie, le « Fontenisme », et en adjectif : « fonteniste ».
Evoquer Georges Fontenis n'est pas une affaire facile, une importante littérature aussi diverse que passionnée existe sur le sujet. De nombreux textes autobiographiques et thèses d'universitaires ou bien de militants s'attachant à l'histoire du mouvement abordent le personnage et bien souvent l'argumentation partisane contribue à forger un mythe autour du personnage.
Maurice Joyeux rédigera à ce propos dans le dix-huitième numéro de la revue anarchiste La Rue un long article justement intitulé : « L'affaire Fontenis ».
En introduction, il écrit : « Depuis une trentaine d’années, il existe dans notre milieu un mythe. Ce mythe c’est celui de « l’affaire Fontenis » ! Mythe qui repose sur un seul homme dont la présence parmi nous fut relativement courte, six ou huit ans au plus, et qui n’exerça son autorité que pendant la moitié de ce temps. Pour les militants qui se succédèrent, Fontenis fut le « méchant », le « loup-garou » de la fable, « l’affreux » de la tragédie, « l’Antéchrist » qui épouvanta non seulement une génération mais celles qui suivirent, qui ne l’ont pas connu mais qui l’évoquent chaque fois qu’une querelle idéologique secoue notre mouvement. Le personnage ne méritait ni un tel « honneur » ni une telle constance dans ce rôle « classique » que tous les groupes humains inventent pour se débarrasser du poids de leurs « péchés » et rejeter sur « Satan » celui de leurs erreurs. Je trouve ridicule ce recours à « l’affaire Fontenis » de la part d’un certain nombre de nos camarades pour expliquer ou justifier des désaccords. Le recours au « méchant » n’est rien d’autre que le recours à l’irrationnel, et la philosophie nous a appris que seule la littérature lui donne le visage du Faust de Goethe alors qu’il se trouve en nous et que c’est là qu’il faut le débusquer, plutôt que lui attribuer à la fois un visage séduisant et angoissant. Et si pour exorciser le diable il suffit, disent les bons pères, d’en parler, alors parlons de l’affaire Fontenis ! »
La thèse d'un Georges Fontenis mythifié, sorte de bouc-émissaire des échecs et des divisions d'un mouvement anarchiste, alibi de certains de ses compagnons de route rejetant sur un seul un bilan bien encombrant, parait séduisante. Car si Fontenis tint assurémment le premier rôle dans cette entreprise, rien n'aurait été possible sans l'obéissance aveugle de la part de ses complices et d'autre part de l'inquiétante passivité et légereté des militants d'une organisation se réclamant pourtant de l'anti-autoritarisme. Les anarchistes ne disent-ils pas justement que là où nul n'obéit, personne ne commande ?
Si cet épisode a rencontré autant d'écho et que l'évocation de Fontenis provoque encore chez de nombreux militants un sentiment d'inquiétude et de colère, c'est peut-être que cela renvoit directement à un tabou, celui du danger des comportements autoritaires et bureaucratiques dans le mouvement libertaire.
Sur cette brève considération, et à partir des multiples témoignages plus ou moins partiaux, ou bien encore des travaux d'historiens universitaires ou militants, tentons avec prudence de retracer le parcours de ce Georges Fontenis.
Revenir sur la vie et l'action de Georges Fontenis, c'est aussi et surtout retracer l'évolution complexe de la sensibilité « communiste libertaire » dans le mouvement anarchiste français du lendemain de la seconde guerre mondiale à aujourd'hui.
Georges Fontenis est né le 14 avril 1920 à Paris de parents socialistes et syndicalistes. Dès 1936, il approche le mouvement libertaire à l'occasion des grèves de juin 1936 et de la Révolution espagnole. C'est d'ailleurs à l'occasion d'un meeting sur l'Espagne organisé à Noisy-le-Sec qu'il rencontre ces premiers militants anarchistes. Il rejoint peu après un groupe de jeunes libertaires qui milite sur Noisy. Pendant la guerre, il devient instituteur, réussit à échapper au STO et rejoint la CGT et l'Ecole émancipée. C'est à ce titre qu'il participera aux Commissions d'épuration de l'Education nationale en 1945. C'est à l'Ecole émancipée qu'il rencontrera la militante anarchiste Solange Dumont qui le présentera à la Commission administrative provisoire, chargée de poser les bases de la reconstruction du mouvement anarchiste et d'organiser un congrès national. Intégré immédiatement dans la Commission, il est désigné pour organiser les liaisons parmi les jeunes militants et devient membre du groupe de Paris-Est. Les 6 et 7 octobre 1945 ont lieu les Assises du Mouvement libertaire et le 12 décembre se tient le congrès constitutif de la Fédération anarchiste (FA). Georges Fontenis contribue à la création de la Fédération des jeunesses libertaires et en devient secrétaire à son congrès de fondation. Il est également chargé d'animer les formations théoriques destinées aux jeunes adhérents. La Fédération anarchiste se développe rapidement tandis que le Libertaire, redevenue hebdomadaire tire à plusieurs dizaines de milliers d'exemplaires et caracole en tête des ventes. Les 13, 14 et 15 septembre 1946 se tient à Dijon le second Congrès de la Fédération anarchiste, lequel voit les divisions d'avant-guerre renaîtrent et les conflits entre les tendances s'exacerber. Alors que le Congrès peine à nommer un nouveau secrétariat, Georges Fontenis est contre toute attente proposé au poste de secrétaire général. Homme neuf et irréprochable, sa jeunesse, son statut d'instituteur, comme le fait qu'il n'appartienne à aucun des clans qui s'affrontent, dégage rapidement un large et inespéré consensus : à juste 26 ans, il devient secrétaire général de la jeune Fédération anarchiste et directeur de publication du Libertaire. Ce même congrès décide également la création d'une Commission d'autodéfense. Tenue secrète, celle-ci devait lutter contre les infiltrations et intoxications policières, staliniennes ou fascistes et préparer la lutte clandestine en cas de prise de pouvoir totalitaire ou de troisième guerre mondiale. La commission sera durant toute son existence sous la responsabilité de Fontenis, que celui-ci soit renommé ou pas dans ses fonctions de secrétaire général.
En 1947, George Fontenis est reconduit au secrétariat général à l'issue du troisième congrès qui se tient à Angers. Il est alors en disponibilité (congès sans solde) de l'Education nationale et peut donc donner tout son temps à la FA et au Libertaire dont il devient secrétaire permanent de rédaction.
Le quatrième congrès tenu en 1948 à Lyon le nomme encore une fois secrétaire général, ce congrès décide également de la création de « La Revue anarchiste » dont Fontenis sera également responsable.
Cette même année, Georges Fontenis participe à une tentative d'assassinat contre le Général Franco, avec des anarchistes espagnols en exil. Son rôle se limite à signer l'acte d'achat d'un avion de tourisme Norécrin qui sera transformé en bombardier et piloté par trois militants espagnols dont le fameux « général sans dieu ni maître », Antonio Ortiz. L'attentat échouera de peu : au moment de larguer les bombes volées dans un dépôt de la Luftwaffe sur la résidence de Franco située dans la baie de Saint-Sébastien, deux, puis quatre, puis six avions de chasse se présenteront et contraindront à la fuite le Norécrin. La tentative ne sera pas renouvelée, Fontenis sera plus tard interrogé sur l'affaire par la DST qui décidera de ne pas donner suite.
Lors de l'été 1949 a lieu près de Cannes dans une auberge de jeunesse gérée par le couple José et Renée Salamé un « stage de formation » qui regroupera plusieurs militants communistes libertaires et dont les débats conduiront à la nécessité de se constituer en fraction secrète. L'Organisation Pensée-Bataille (OPB), du nom d'un ouvrage de Camillo Berneri, est créée en janvier 1950. L'OPB est une organisation clandestine à l'intérieur de la Fédération anarchiste, elle est fondée selon Georges Fontenis sur « la nécessité d'une organisation très structurée, alliant unité idéologique, unité tactique et nature de classe », dans le but de « mettre fin à la domination dans la FA des courants individualisants et synthésistes qui faisaient prévaloir un immobilisme et un confusionnisme ». Pour cela il faut combattre et écarter ceux qui seront qualifiés de « vaseux », « nullistes », « puristes », « verbeux », « libéraux »... afin de « transformer les mouvements anarchistes le plus possible dans le sens d'organisations efficaces et sérieuses défendant un corps de doctrine cohérent » (Statuts de l'OPB). Alexandre Skirda dans son ouvrage « Autonomie individuelle et force collective – Les anarchistes et l'organisation de Proudhon à nos jours » (Editions AS - 1987) affirmera que le groupe d'autodéfense se détournant de sa mission originelle et profitant du secret entourant son fonctionnement constituera le creuset de l'OPB.
Fontenis en devient dés sa création et jusqu'à sa dissolution le secrétaire du bureau, dit également « Responsable au plan ». Les adhésions à l'OPB se font par cooptation après enquête sur le passé du futur militant et sur propositions de deux parrains. Ses membres sont tenus au secret et à la plus stricte obéissance, le bureau de l'OPB vérifiant la stricte application des consignes, les Statuts allant jusqu'à préciser de façon sidérante que : «Tout militant en activité, suspendu, exclu ou démissionnaire doit observer le secret absolu sur OPB et les militants qui la composent. Tout manquement à cet égard entraîne les mesures judiciaires adéquates par OPB et pouvant aller jusqu’à la suppression en cas de dénonciation mettant en danger la sécurité des militants » !
L'OPB va rapidement noyauter l'ensemble des postes à responsabilité de la FA, chaque réunion, chaque congrès sont préparés en amont et les décisions de l'OPB deviennent systématiquement les décisions de la FA.
Le cinquième Congrès de Paris en 1950 instaure le vote dans l’organisation sur la base d'un mandat par militant remplaçant le vote par groupe, mais les positions restent indicatives et n’engagent pas les groupes opposants. Georges Fontenis conserve toujours le secrétariat général de la Fédération.
Lors du sixième congrès de Lille de la Fédération anarchiste, Georges Fontenis déclare ne plus vouloir être reconduit dans sa fonction de secrétaire général après cinq années de mandats consécutifs. Prétextant laisser la place aux jeunes, il propose André Moine, adhérent comme Fontenis au groupe de Paris-Est et à l'OPB, qui sera nommé sans le moindre souci. De fait Fontenis ne lache rien, et pour cause, au congrès de Lille, l'OPB est entièrement opérationnelle et a placé et imposé ses partisans dans 8 des 9 secrétariats, tandis que les responsabilités des commissions paysannes, ouvrières et de lecture du Libertaire incombent également à des militants OPB.
En mai 1952 Georges Fontenis demanda une entrevue à Maurice Joyeux, membre du groupe alors le plus nombreux de la FA : le groupe Louise Michel du XVIIIe arrondissement. Le rendez-vous fixé dans une contre-allée des Jardins des Buttes-Chaumont, digne d'un vieux film d'espionnage, visait sans dévoiler l'existence de l'OPB à sonder l'attitude de Joyeux et de l'incontournable groupe Louise Michel en vue du prochain congrès. Fontenis voulait proposer à Joyeux une sorte de double direction de la FA, la direction intellectuelle étant naturellement attribuée à Fontenis, l'autre direction, ouvrière, revenant à Joyeux. Le refus de ce dernier allait, sans qu'il le sache encore, contraindre Fontenis et l'OPB à se débarasser de Joyeux et du groupe Louise Michel.
En juin 1952, au Congrès de Bordeaux, Fontenis et l'OPB profitent de la division pour obtenir à chaque vote une majorité pour l'ensemble des postes et responsabilités tandis qu'une « Résolution sur l'orientation et la tactique préparée par l'OPB, amendée jusqu'au dernier moment » d'une inspiration nettement communiste libertaire, est adoptée. En octobre une première scission des opposants se produit ; en outre des exclusions furent prononcées à l’encontre de Joyeux, Aristide et Paul Lapeyre, Fayolle, Arru, Vincey, etc. Ces militants se regroupent alors à partir d'octobre 1952 au sein de l'Entente anarchiste, « organe destiné à mettre en contact, en dehors de tout exclusivisme, les fédérations, groupes et individus, se réclamant de l'anarchisme. » Dans son premier numéro, Raymond Beaulaton écrira : « L'unité anarchiste du lendemain de la guerre fut vite brisée. Il y a deux ans, au congrès de Paris, le système de consultation par vote fut institué. En deux ans, cette unité fut détruite ».
De 1952 à 1953, Georges Fontenis rédige dans le Libertaire une longue série d'articles sous la rubrique « Problèmes essentiels », tandis que suite à l'éviction de Maurice Joyeux, Fontenis assume désormais l'écriture des éditoriaux du journal.
Le congrès de Paris des 23, 24 et 25 mai 1953 verra l'achèvement de l'opération de prise de contrôle de la Fédération anarchiste et la consécration de la stratégie de l'OPB et de son leader Georges Fontenis. Les derniers groupes refusant de se soumettre à la ligne politique de l'OPB sont exclus (groupes d'Asnières, Louise Michel et de Bordeaux). La FA se transforme en Fédération Communiste Libertaire (FCL) par un vote majoritaire de 71 mandats contre 61 (les autres noms proposés étant « Parti communiste anarchiste » et « Parti communiste libertaire » !). Désormais, les adhérents sont tenus de défendre en public les résolutions de congrès, mêmes s’ils ont voté contre. La FCL récupère ainsi le fruit de l'ensemble des efforts de reconstruction du mouvement anarchiste depuis la Libération : le journal, la boutique du Quai de Valmy et la trésorerie. Le titre du Libertaire désormais devenu « Organe de la Fédération Communiste Libertaire » est désormais imprimé en rouge et non plus en noir, expression symbolique de la rupture avec le « vieux » mouvement anarchiste.
En fait, la FCL ne regroupe que seize groupes et environ 130 à 160 militants placés sous le contrôle de l'OPB. Rapidement le caractère « collégial » de l'OPB a fait place à l'autorité d'un seul, son commissaire au plan, Fontenis. Les premières tensions que d'autres qualifieront de rivalités apparaissent au sein du camp communiste libertaire, des militants du groupe Kronstadt qui protestent contre les excés autoritaires et la « déviation fonteniste » sont exclus en mars 1953 de l'OPB (des 17 membres fondateurs de l'OPB, seuls 6 en sont encore membres en 1954, dont trois sont toujours les 3 mêmes membres du bureau). Le groupe Kronstadt fera paraître en août 1954 un Mémorandum de 82 pages dénoncant publiquement, dans le détail et pour la première fois l’existence de l’organisme secret OPB ainsi que l’orientation léniniste de la FCL. Il sera exclu à son tour de la FCL en mars 1955.
Une compilation des articles de Fontenis publiés dans la rubrique « Problèmes essentiels » est éditée en début mai 1953 dans une brochure intitulée « Manifeste du communisme libertaire ». Une version à peine modifiée de ce texte sera adoptée par le congrès de la FCL quelques jours plus tard sous la forme d'une « Déclaration de principes » de la nouvelle organisation qui consacrera la nouvelle orientation de la FCL : « L’organisation spécifique des militants du communisme libertaire se considère l’avant-garde, la minorité consciente et agissante exprimant dans son idéologie et son action les aspirations du prolétariat... » Jean Maitron dans son ouvrage « Histoire du mouvement anarchiste en France » (Editions Maspéro - 1982) parlera à propos du « Manifeste communiste libertaire » de Georges Fontenis d'un « effort de synthèse entre l'anarchisme et le léninisme ». Roland Biard dans son « Histoire du mouvement anarchiste 1945-1975 » (Editions Galilée – 1976) dira du Manifeste que « ce texte, sous des allures « plate-formistes » était en fait une apologie de l'avant-gardisme et contenait une orientation nettement léniniste ». Alexandre Skirda dans son ouvrage précité s'interrogera si le but du Manifeste n'était pas comme on l'a cru, adressé au mouvement anarchiste, dans une tentative de le « bolchéviser », mais plutôt, orienté vers les militants ouvriers, sympathisants et dissidents du PCF, dans le but de les « anarchiser ». Ce que semble confirmer la stratégie de la FCL qui en janvier 1954, publie un « Programme ouvrier », dénoncé par le groupe Kronstadt comme une « pâle copie » du programme revendicatif de la CGT. Cette tendance à prendre le PCF et la CGT comme modèles deviendra un leitmotiv constant.
Cette orientation est confortée par l'attitude d'un Georges Fontenis, qui dès novembre 1953, n’hésite plus à cacher sa pensée profonde : « La doctrine communiste libertaire est plus réellement basée sur le matérialisme dialectique que ne le sont les positions politiques du marxisme ». Il commence par ailleurs à participer au collectif et revue marxiste proche des communistes de conseil « Socialisme et Barbarie » avec un premier article, « Présence dans les syndicats » dans le numéro d'octobre 1954.
En juin 1954, une éphémère Internationale Communiste Libertaire (ICL) tient son premier et unique congrès à Paris, 3 pays sont alors représentés, la France, l'Italie et l'Espagne mais une seule organisation, la FCL.
La question de l'élaboration d'un nouveau « Front populaire » ou « Front ouvrier » est posée, en mai 1955, le Libertaire ouvre largement ses colonnes à André Marty, député et dirigeant du PCF qui vient juste d'être exclu, tandis qu'en juillet 1956 la FCL participe à un meeting commun avec le député communiste René Bellanger.
Les militants et groupes exclus de la Fédération anarchiste se resaisissent rapidement : du 25 au 27 décembre 1953, se tient à Paris un congrès réunissant 56 groupes qui organisera la reconstruction de la nouvelle Fédération anarchiste, celle-ci reprend le nom délaissé par la FCL et se dote d'un nouveau journal : Le Monde libertaire, dont le premier numéro mensuel paraîtra en octobre 1954.
La FCL qui s'est emparé de la trésorerie de la Fédération anarchiste, de son siège et de sa librairie et surtout du Libertaire hebdomadaire va survivre jusque 1956 et sa participation aux élections législatives de janvier de la même année. En effet, dés février 1955, la question d'une participation aux élections est posée, une motion qui posait la question suivante : « La bataille électorale étant devenue une forme de lutte de classe, ne pourrions-nous pas envisager cette question comme une question de tactique liée aux circonstances et aux faits du combat social ? » est unanimement acceptée. Dans le Bulletin intérieur d’avril, un article de neuf pages signé F. (Fontenis ?) intitulé « Pour le praticisme révolutionnaire » affirme : « Nous pouvons participer aux luttes électorales, (…) nous occuperons alors non des postes de législateurs mais d’agitateurs. Nous voyons là une forme d’agitation qu’on ne peut négliger ». La discussion s’engagea dans les groupes et le congrès de mai accepta à une assez forte majorité la participation aux élections sauf les groupes de Grenoble et Mâcon qui quitteront la FCL. A l'occasion des élections législatives du 2 janvier 1956, la FCL présente dix candidats dont Fontenis et André Marty. Le Libertaire titrera « La FCL entre dans la lutte » tandis que Maurice Joyeux dans le Monde libertaire répliquera par un cinglant « La FCL entre dans la merde » ! Finalement, la liste communiste libertaire récoltera 2219 voix soit près de 0,5% des suffrages exprimés.
Quelques militants du groupe Kronstadt exclus de la FCL fonderont en novembre 1955 le groupe Noir et Rouge et la revue du même nom. Ils créeront en 1956 avec les groupes de Mâcon et Grenoble les Groupes Anarchistes d'Action révolutionnaire (GAAR). Ces mêmes groupes et quelques autres réintégrerons la FA en 1961 au sein d'une tendance organisée, l'Union des Groupes Anarchistes Communistes (UGAC). « Le but de l’UGAC n’est plus d’éliminer comme Fontenis ces tendances par des pratiques secrètes et bureaucratiques, mais d’en prendre la tête, de constituer un noyau actif qui dans la pratique comme dans la théorie devrait le supplanter » (Rolland dans le Monde libertaire d'octobre 1962). Malgré une démarche initiale plutôt louable, les manoeuvres pour accéder aux responsabilités tout comme l'édition d'un bulletin secret vont raviver de mauvais souvenirs et créer rapidement des tensions. Maurice Laisant dénoncera « une UGAC qui se comporte comme une organisation extérieure dont le ralliement n'aurait pour objet que le noyautage et la conquête de la FA ». Qualifiée de « fraction de type léniniste » par Maurice Joyeux, l'UGAC, prenant acte de son échec, quittera la FA en 1964.
La dernière campagne importante de la FCL et qui précipitera sans aucun doute sa fin, fut son soutien sans réserve aux indépendantistes algériens. Dans une sorte de fuite en avant, la FCL se jette à corps perdu dans la lutte, et enchaîne les procès, les saisies du Libertaire et les arrestations de militants dont Pierre Morain qui sera incarcéré. Des militants de la FCL seront des porteurs de valises aux profits du Mouvement National Algérien (MNA) de Messali Hadj et du Front de Libération National (FLN) d'Ahmed Ben Bella (qui deviendra le premier président de l'Etat algérien indépendant). Entre octobre et décembre 1956, Georges Fontenis écope de pas moins de 10 condamnations au tribunal pour complicités d'injures publiques et de diffamation diverses contre la police, l'armée et l'Etat, provocation de militaires à la désobéissance... il totalise déjà 19 mois de prison et près de 900 000 francs d'amende. Le Libertaire épuisé par les saisies quasi systématiques et les amendes et ayant perdu une bonne partie de son lectorat, cesse de paraître en juillet 1956. La FCL se met en sommeil et ne se réveillera plus. Les derniers militants dont Fontenis basculent dans la clandestinité. En juillet 1958, la DST met un terme à la cavale de Georges Fontenis et après quelques semaines de quartier militaire, celui-ci se voit accorder une liberté provisoire avant de bénéficier d'un décret d'amnistie du Général de Gaulle s'appliquant à tous les faits concernant la guerre d'Algérie.
Ainsi donc, sous les effets conjugués des départs et exclusions de plusieurs groupes et militants en désaccord avec les méthodes autoritaires et les dérives léninistes et avant-gardistes ou bien, au contraire, attirés par le trotskysme, de la désaffection causée par le piteux épisode électoral, et enfin de la répression consécutive au soutien aux luttes algériennes, prend fin l'aventure de la Fédération Communiste Libertaire.

Comment expliquer l'ascension d'un Georges Fontenis qui pu aussi facilement cumuler à la fois au sein d'une organisation composée, à priori, de militants anarchistes, les fonctions de secrétaire général pendant cinq années, responsable du groupe d'autodéfense, responsable des cours de formations aux jeunes militants, responsable de la Revue anarchiste, secrétaire de rédaction permanent et directeur de publication du Libertaire, responsable de la commission éducation, secrétaire des Jeunesses anarchistes et par dessus tout secrétaire de l'OPB !
Le Mémorandum du groupe Kronstadt se tente à une explication : « Ainsi, utilisant la passivité de la masse des militants et le noyautage méthodique, une fraction est parvenue à contrôler et à diriger l'ensemble de la Fédération. [...] Son monolithisme de pensée et sa cohésion disciplinée lui ont permis une stratégie et une tactique triomphant aisément des militants dispersés confiants dans le fédéralisme de l'organisation ». Selon le Mémorandum, le succès de l'entreprise de Fontenis tenait surtout au « manque de vigilance révolutionnaire des militants et au renoncement passif d'un grand nombre d'entre eux à exercer leur droit de critique sur les faits qui pouvaient leur paraître sujets à caution ». Enfin, dans sa conclusion, il dénonce : « [...] quelques militants ont organisé une société secrète au sein d'une Fédération anarchiste avec un bureau directeur, répartition des tâches, gestion, discipline quasi-militaire, statuts et objectif, ainsi qu'un but final inavoué et inavouable. Il est difficile, en effet, de prouver péremptoirement que ce but final : la bolchévisation, la prise de direction de la Fédération se trouve à la base de l'O.P.B. pour certains, cela est suffisamment rassurant seulement, il se trouve que dans une question d'ordre idéologique et organisationnel, nous n'avons aucun droit de nous préoccuper des intentions peut-être sincères à l'origine mais qui n'étaient pas pour autant moins déviationnistes dès le départ. On ne peut pas introduire dans une analyse politique la notion sentimentale des « bonnes intentions » et surtout nous ne pouvons pas le faire en tant que militants conscients quand il est question tout simplement des agissements totalement opposés à la base même à la doctrine anarchiste. Croire ou faire semblant de croire qu'on arrivera à mettre sur pied une organisation libertaire et fédéraliste en agissant en cachette et derrière le dos des camarades, en passant par dessus la tête des groupes et assemblées contrairement à tous les principes fédéralistes, s'assurer le contrôle bureaucratique de l'appareil organisationnel, croire qu'en organisant la dictature, on se bat pour la liberté, ne peut avoir d'autre signification que la naïveté ou alors l'absence totale de formation politique anarchiste ».
Maurice Joyeux dans ses mémoires intitulées « Sous les plis du drapeau noir – souvenirs d'un anarchiste » (Editions du Monde libertaire – 1988) propose une autre thèse axée sur la personnalité de Fontenis : « Le secrétariat général de l’organisation n’a pas chez nous l’importance qu’il a ailleurs, dans les partis politiques de gauche. Pour lui donner une importance similaire il faut transformer l’organisation et la faire grandir. En faisant grandir l’organisation, on fait grandir celui ou ceux qui se trouvent à sa tête. Le fossé qui sépare le fédéralisme libertaire de la population est encore trop important pour que l’organisation se développe et acquière un caractère de masse. Une seule solution, y introduire à côté d’un esprit libertaire aimable le matérialisme dialectique issu de Marx et qui, à cette époque, se répand un peu partout à une vitesse de croisière. Seul l’apport du marxisme peut permettre le développement accéléré de la Fédération anarchiste, seule la transformation de la Fédération anarchiste peut donner de l’importance à son secrétariat général d’abord et, par voie de conséquence, à son inspirateur, supposé, tel Lénine, patauger dans le génie.
Pour moi, c’est ça l’affaire Fontenis et les méthodes mises à part bien d’autres par la suite essaieront de barbouiller de marxisme l’idéologie libertaire. Armé de ce corps de “doctrine”, Fontenis ne travaille pour personne d’autre que pour lui-même. Où se trouve la sincérité dans ce mélange d’ambitions qui lie l’homme, qui impulse l’organisation, et l’organisation qui grandit l’homme ? »
Georges Fontenis maintient malgré tout quelques liens avec ses derniers fidèles. Le 22 juin 1958, la liaison des anciens militants de la FCL prend le nom d'« Action communiste », des contacts sont pris avec Voie communiste, opposition interne du PCF qui regroupe des troskystes pablistes et des opposants communistes ainsi qu'avec des militants du groupe Socialisme ou Barbarie. Action communiste se dissout à l'été 1958 et rallie Voie communiste, Fontenis rejoint l'équipe de rédaction de La Voie communiste et continuera d'y militer quelques années.
La même année, Georges Fontenis est réintégré dans l'Education nationale, son activité militante ayant fortement décrue, il peut désormais consacrer du temps pour sa carrière et préparer le concours d'inspecteur de l'Education nationale. A la rentrée 1959, il intègre l'Ecole normale supérieure de Saint-Cloud. Il sera par la suite nommé inspecteur en zone rurale de 1962 à 1967 puis professeur de psycho-pédagogie à l'Ecole normale de Tours.
En 1961, et contre toute attente, Georges Fontenis effectue un bref passage dans la Franc-maçonnerie. Par la suite, il affirmera en éprouver « ni honte, ni regret ».
A partir de 1968, Georges Fontenis reprend contact avec le mouvement libertaire. A Tours, il contribue à créer le Comité d'Action Révolutionnaire (CAR) et le 1er mai, il lance avec Pierre Morain un « Appel aux anciens de la FCL et de l'UGAC » dans lequel il propose aux militants communistes libertaires, aux groupes anarchistes communistes et aux marxistes critiques d'oeuvrer à une « solution commune ». Fontenis constituera très vite à Tours un groupe communiste libertaire, dit « Action Tours » qui adhère aussitôt à l'UGAC.
En 1966, L'UGAC publia une Lettre au mouvement anarchiste international dans laquelle elle affirme sa conviction que l'anarchisme ne peut assumer de leadership dans le mouvement révolutionnaire, et se résigner à n'être qu'une composante d'un mouvement plus large. L'UGAC entama alors une politique frontiste qui la conduit à faire des alliances avec des mouvements maoïstes ou pablistes.
En 1969, l'UGAC qui ne se considère plus comme une union de groupes se transforme en simple tendance et prend le nom de Tendance Anarchiste Communiste (TAC) qui intégrera un éphémère Comité d'Initiative pour un Mouvement Révolutionnaire (CIMR) aux côtés d'Alain Krivine, Daniel Bensaïd et Henri Weber de la Jeunesse communiste révolutionnaire (JCR), des militants du courant pabliste ainsi que des dissidents du PCF
Des militants de la TAC, de la Jeunesse Anarchiste Communiste (JAC) et des anciens de la FCL tiennent à Paris les 10 et 11 mai 1969 le congrès constitutif du Mouvement Communiste Libertaire (MCL). On y retrouvera notamment, outre Fontenis dont la réapparition causera quelques remous, Daniel Guérin (qui vient d'éditer « Pour un marxisme libertaire » (Editions Laffont - 1969) dans lequel il écrit notamment : « En prenant un bain d'anarchisme, le marxisme d'aujourd'hui peut sortir nettoyé de ses pustules et regénéré. »), Alexandre Skirda et Roland Biard. Fontenis est chargé de rédiger le texte de base de l'organisation, il écrira plus tard à propos du MCL que celui-ci était une sorte de « synthèse » de « certains apports du marxisme, du courant ouvrier libertaire, et du conseillisme ».
Outre la présence problématique de Fontenis qui risque par sa seule présence d'hypothéquer l'avenir du MCL et la place en marge du mouvement anarchiste, des tensions apparaissent dès l'origine entre des tendances plateformistes, spontanéistes, conseillistes et néo-situationnistes, le MCL s'étiolera rapidement avant la fin de l'année 1969 sans avoir pu réaliser ni une unité idéologique ni avoir pu capter la jeunesse contestataire.
Le MCL et l'ORA (Organisation Révolutionnaire Anarchiste, autre tendance organisée créée en 1968 au sein de la FA qui s'en détachera et se constituera en organisation spécifique en 1970) tentent un rapprochement qui échouera malgré l'intervention et la médiation de Daniel Guérin. En juillet, un groupe du MCL rejoint l'ORA tandis que quatre groupes de l'ORA rejoignent le MCL et donnent naissance à la première Organisation Communiste Libertaire (OCL-1) lors d'un congrès à Marseille les 10 et 11 juillet 1971. Ce même congrès adopte un texte proposé par Georges Fontenis qui sera publié dans le numéro de novembre de Guerre de classes sous le titre de « Plateforme communiste libertaire de 1971 ».
L'OCL-1 entretient dès sa création des contacts avec un groupe dénommé la Gauche marxiste autour de thèmes favorables au conseillisme. L'OCL-1 aura une existence assez agitée, tiraillée constamment entre des tendances contradictoires. En 1974, Daniel Guérin quitte l'OCL-1 pour l'ORA tandis que Georges Fontenis continue d'y militer, le groupe de Tours auquel il adhère assumant désormais le secrétariat de l'organisation. L'OCL-1, renforcée par la venue de deux groupes scissionnistes de l'ORA, fonde un nouveau Bulletin de discussion et de confrontation, Rupture, qui déclare contribuer à « l'élaboration du projet communiste à l'émergence d'un mouvement communiste radical ». Cette orientation « ultra-gauche-marxiste-luxembourgiste et conseilliste » va les conduire vers ce que l'on appellera « l'Autonomie ». En 1976, l'OCL-1 qui se désagrège progressivement, prononce sa dissolution le 28 novembre.
Après les grèves de 1974 dans les banques, le rail et aux PTT, naît une tendance ouvriériste et syndicaliste révolutionnaire au sein de l'ORA Cette tendance, baptisée Union des Travailleurs Communistes Libertaires (UTCL), critique les dérives ultra-gauchistes de l'ORA (notamment son antisyndicalisme) et sa confusion politique (divergences sur les questions de nationalité, de régionalisme et sur les luttes de libération nationale, départs en 1971 de militants vers des groupuscules maoïstes et exclusions en 1972 de militants qui soutiennent les « candidatures révolutionnaires uniques » et qui rejoindront en majorité Lutte ouvrière ou la Ligue communiste !).
En 1976, le Congrès de l'ORA à Orléans entérine l'exclusion de la tendance UTCL, et se rebaptise Organisation Communiste Libertaire (OCL-2 dite « deuxième manière », dont la filiation actuelle correspond à l'OCL éditant le mensuel Courant alternatif à partir de 1980). L'OCL-2 publie Front libertaire et un premier numéro de Pour l'autonomie ouvrière et l'abolition du salariat.
En avril 1976, les exclus de l'ORA créent un collectif pour une UTCL et se dotent au mois de mai d'un organe de presse : Tout le pouvoir aux travailleurs.
Georges Fontenis assiste en simple sympathisant les 25 et 26 février 1978 au congrès constitutif de l'UTCL qui passe du statut de tendance à celui d'organisation. Daniel Guérin adhère immédiatement tandis que Fontenis donnera son adhésion formelle en novembre 1980 et militera au groupe de Tours.
Au cours des années suivantes, l'UTCL agrégera divers groupes d'obédience communiste libertaire dont le Collectif jeunes libertaires (CJL) issu du mouvement lycéen et étudiant contre les lois Devaquet en 1986. En 1989, un processus d'unification est engagé et un « Appel pour une alternative libertaire » est publié dans le numéro de mai de Lutter et signé par plus d'une centaine de militants.
En 1991, l'UTCL et le CJL s'autodissolvent et fusionnent dans une nouvelle organisation : Alternative libertaire (AL) qui publie un « Manifeste pour une alternative libertaire » et édite le mensuel Alternative libertaire.
Georges Fontenis éditera en 1990 aux éditions Acratie ses mémoires sous le titre L'Autre communisme, histoire subversive du mouvement libertaire. Une édition revue, corrigée et augmentée sera publiée en 2008 aux éditions Alternative libertaire sous le titre de Changer le monde – Histoire du mouvement communiste libertaire 1945-1997.
En 2002, Georges Fontenis publiera à compte d'auteur Non conforme aux Editions Bénévent, accueilli avec « un certain malaise » dans Alternative libertaire de décembre 2002 par Guillaume Davranche et Patrice Spadoni qui écrivent : « Hélas, si Georges Fontenis a toujours le soucis de « briser les tabous », il ne le fait pas dans Non conforme, avec beaucoup de pertinence. L'exercice tourne ici à la recherche d'une posture iconoclaste qui le plus souvent rate sa cible, quand elle ne se fourvoie pas carrément. Le propos est confus, et ambigu sur certaines questions de société. En fin de compte, Georges Fontenis veut poser des questions non conformes mais la rédaction souvent ambivalente de ses réponses risque de conduire des lecteurs(trices) à des conclusions trop conformes... à l'idéologie dominante ». Georges Fontenis communiquera une protestation véhémente dans le numéro suivant de janvier 2003. Il restera adhérent à Alternative libertaire à Tours et, son état de santé se dégradant, se retirera de toute activité militante.
Militant à la Libre-Pensée d'Indre-et-Loire, il participera activement au Collectif Contre La Venue du Pape à Tours en 1996.
En 2008, un entretien filmé de Georges Fontenis réalisé par Franck Wolff est publié au format DVD sous le titre de Parcours libertaire. On le verra une dernière fois publiquement à une projection du documentaire à Tours le 21 février 2009.
Georges Fontenis aura indubitablement constitué une figure marquante et déterminante dans le mouvement libertaire de la deuxième moitié du vingtième siècle. Plus de six décennies de présence et de militantisme de la FA d'après-guerre, puis à l'OPB, la FCL, Voie communiste, l'UGAC, le MCL, l'OCL-1, l'UTCL jusqu'à AL d'aujourd'hui, dessinent un parcours plutôt hors du commun. S'il a largement contribué à l'affirmation et à l'autonomie d'un courant communiste libertaire se « suffisant à lui-même » naviguant entre un mouvement anarchiste et une extrême-gauche, on se rappellera surtout de lui pour ses méthodes autoritaires et dérives idéologiques ayant marquées un épisode des moins glorieux de l'anarchisme français. L'évocation de Fontenis, évoque encore aujourd'hui pour les uns un passé difficile à assumer et un héritage plutôt encombrant, pour les autres, il restera le responsable désigné d'un traumatisme profond qui affectera durablement le mouvement ainsi que le symbole du danger mortel pour l'anarchisme du leadership et de la tentation politique. Malgré de profondes et nombreuses inimitiés aussi bien dans le camp anarchiste que dans sa propre famille communiste libertaire et des désaccords récurrents avec les « historiens » du mouvement anarchiste (Jean Maitron, Roland Biard, Alexandre Skirda, Frank Mintz...)
Pour autant, Georges Fontenis assume, ainsi, dans une lettre à Alexandre Skirda en mars 1987, il affirme que « face à ceux qui condamnaient le mouvement anarchiste à une lente dégénérescence, à l'étiolement, la FCL, grâce à l'OPB, a sauvé l'honneur et permis, à travers maintes vicissitudes historiques, que se constitue un courant communiste libertaire dont la permanence est évidente aujourd'hui ». En juin 2000 dans un entretien avec Gilbert Estève dans l'Ecole émancipée, il affirme que « l'essentiel n'est pas à renier » et insiste « en ce qui me concerne, je persiste et je signe ».
Georges Fontenis s'est éteint dans sa quatre-vingt-dixième année le 9 août 2010 à son domicile d'Esvres en Indre-et-Loire.

Rocky_Balboa
 

Re: Décès de Georges Fontenis

Messagede JPD » 12 Aoû 2010, 14:03

Plutôt que des invectives, des remarques à la con du genre "rien à foutre", ou le délire paranoïaque genre "ce marxisant qui a détruit la FA !" (c'est ce qu'on peut lire dans le forum anarchiste !) mieux valent des textes de fond réfléchissant sur ces épisodes afin de mieux comprendre le présent. Car si Fontenis a pu "s'emparer aussi facilement de la FA" c'est bien qu'il y avait un problème en amont. Et le problème était aussi je crois l'incapacité des anars "classiques" de l'époque à faire face aux nouvelles situations nées des révoltes anticoloniales. La FCL a eu le mérite de tenter de s'atteler à cette question. Mal peut-être, je veux bien, en particulier concernant son choix du MNA lié à une absence de recul vis-à-vis du syndicalisme mais quand même en refusant le "ni-ni" bien pratique, traditionnel chez une partie des anars. Ayant toujours été radicalement opposé aux positions crypto-léninistes de Fontenis je n'ai jamais considéré que, pour autant, tout ce qu'il disait était sans intérêt (c'est pour ça qu'Acratie a publié Pour un autre communisme).

j ajouterai aux remarques de Rocky Balboa sur le texte "parcours d'un aventuriste" que :
- Ce ne sont pas seulement des militants du groupe kronstadt qui fondèrent les gaar mais aussi issus d'autres groupes fcl (st-germain en laye, 18eme, etc.)

Concernant l'épisode électoraliste voici un article publié dans Noir et Rouge en 1957 et qui, me semble-t-il, va plus loin que la simple polémique et la défense des "principes" mais est (du moins était) un élément de discussion.


NOIR & ROUGE N°9 (HIVER 1957/1958)
La F.C.L. et les élections du 2 janvier 1956
par Lagant (Christian)

L’article ci-contre n’est pas une « analyse » aux conclusions définitives, pas plus qu’une polémique destinée à rallumer de vieilles querelles. Depuis le premier numéro de « Noir & Rouge », nous avons toujours dit que les anarchistes devaient, pour se libérer d’un certain complexe « histoire de famille », résolument abandonner dans leurs écrits tout état d’esprit ou ton propres à prolonger indéfiniment des conflits au caractère personnel par trop marqué. Cela ne doit toutefois pas nous empêcher, comme nous l’avons également déclaré au début de notre travail, de revenir sans hésitation sur certains problèmes théoriques ou tactiques de l’anarchisme ayant parfois engendré des erreurs, des déviations et aussi, pourquoi ne pas le dire, des trahisons.
Nous avons pensé que le rappel de l’expérience d’une organisation s’étant réclamée, malgré tout, du communisme libertaire comme l’ex F.C.L. (l’ancienne Fédération anarchiste avait en effet changé son appellation en décembre 1953 pour celle de Fédération communiste libertaire) pourrait contribuer, par son aspect concret et relativement récent, à illustrer d’éloquente façon la pensée parfois contradictoire des anarchistes sur un problème toujours actuel.
Essayons d’y voir clair
Comment l’idée de présenter une liste de « candidats » aux élections législatives du 2 janvier 1956 a-t-elle pu être acceptée par une organisation dont l’organe s’appelait « Le Libertaire » et dont le but officiel, résultat logique de sa position théorique anti-étatique, était le triomphe du communisme, libertaire ? En réalité l’affaire n’est pas si simple, et une étude rapide des faits nous montrera que l’opération « participation » fut l’aboutissement d’un long processus que le congrès F.C.L. De 1955 marquera définitivement de son empreinte en adoptant les thèses « participationnistes-révolutionnaires » développées auparavant dans le bulletin intérieur de l’organisation, après une préparation psychologique des militants que nous suivrons dans ses différentes phases. Les thèses adoptées prévoyaient une participation « conditionnelle » dont les détails sont exposés au cours de cet article. N’importe, le principe était accepté, et de la théorie aux réalités il n’y ’avait qu’un pas, vite franchi avec la tenue des élections anticipées du Jour de l’An 56.
Pour bien comprendre, ou du moins essayer de comprendre les évènements passée, il est nécessaire d’écarter au maximum les éléments subjectifs de notre jugement sur les hommes responsables de l’aventure électorale de la F.C.L. Il n’importe pas en effet de savoir si tel ou tel militant avait certaines arrière-pensées en préconisant la participation, si tel ou tel « candidat » placé sur la liste F.C.L. obéissait plus à un réflexe d’orgueil personnel qu’à ce qu’il croyait être son devoir (tant pis pour l’expression) de militant révolutionnaire. Là-dessus, chacun de nous ne peut que supposer. De la pensée profonde des individus, aucune certitude. Aussi la simple objectivité oblige-t-elle à ne juger que sur pièces, c’est ce que nous tenterons de faire en présentant les arguments politiques avancés par les partisans de la participation. Un peu d’histoire, ou plutôt de petite histoire, auparavant, nous aidera toutefois à y voir un peu plus clair.
Cheminement de l’idée au sein de l’organisation
Depuis déjà plusieurs semaines, les discussions sur le problème circulaient de bouche à oreille, si l’on peut dire, au sein des groupes de la F.C.L. en ce début d’année 1955. À l’origine, le prétexte invoqué fut un rappel de notre [1] prise de position aux élections municipales du 26 avril 1953. À cette époque, la Fédération anarchiste déclarait sur une page affiche (« Lib » 23/4/53, n°357) :
« Ces élections sont une imposture (…) C’est vrai, travailleurs, comme vous le disent tous les partis, tous les partis ayant eu en main une municipalité ont réalisé quelque chose : terrain de sport, salle des fêtes, améliorations des cantines scolaires, etc (…) Mais le chômage, le fascisme, la guerre sont là (…) L’État poursuivant sa politique de guerre a détruit les possibilités réalisatrices des communes (… ) Nous ne marchons pas (…) Aux travailleurs qui malgré cela voudront voter en pensant choisir un moindre mal, nous rappelons que la droite c’est la réaction et la gauche, la trahison. Nous disons : « Votez donc, mais ce ne sera qu’une expérience de plus » (…) Abstention massive ! Non parce que nous nous désintéressons des questions communales, mais au contraire parce que tout le régime est en cause, et que ces élections ne seront qu’une imposture (…) etc. »

Et la F.A. appelait en conclusion à l’action révolutionnaire pour balayer le régime. Certains militants se rappelleront peut-être encore l’opposition acharnée des partis politiques (les staliniens entre autres) dans des secteurs aussi divers que Maisons-Alfort et Ménilmontant-Belleville, à notre campagne anti-électorale. Or, alors que les augures prévoyaient un abstentionnisme encore accru, le pourcentage des non-votants fut au contraire très faible ! Sur le moment, nous fumes assez surpris et certains camarades émirent l’idée qu’il serait bon de réviser notre tactique « anti », en fonction des derniers résultats. Les choses en restèrent toutefois là, sans changer la position officielle de la fédération sur le problème.
C’est en janvier-février 1955 que cette vieille question revient sur la sellette. Rappelant les élections 1953, des camarades disent qu’il serait peut-être préférable de supprimer carrément toute propagande abstentionniste à 100%, que là est la faiblesse des libertaires, qu’on peut nous le reprocher, etc. Et le dialogue s’amorce. Mais les discussions prennent un tour plus particulier très rapidement et certains expriment déjà le vœu que la F.C.L. Adopte une position-tactique plus « souple » en participant à d’éventuelles élections sur le seul plan communal. On n’allait pas en rester là et en mars 1955 l’attaque était officiellement déclenchée dans le « Lien », bulletin intérieur de l’organisation, par une motion du groupe F.C.L. de Maisons-Alfortville (nous précisons, le groupe F.C.L., c’est qu’à cette époque existaient 2 groupes libertaires à Maisons-Alfort. Celui de la F.C.L. et celui de la nouvelle Fédération Anarchiste, reconstituée à Noël 1953). Voici l’intégralité de cette motion :
« Le groupe de M.A.A. demande s’il ne serait pas opportun, à l’occasion du prochain congrès national, d’ouvrir un débat sur les moyens d’amplifier la propagande communiste-libertaire. Nous constatons que nous sommes présents dans la rue, dans les syndicats, pourquoi n’envisagerions-nous pas de faire porter notre action sur le terrain politique proprement dit ? Dans l’éventualité d’une campagne électorale, qu’elle serait l’attitude de la fédération ? Devrons-nous nous contenter de nous réclamer du principe traditionnel et formel de l’abstentionnisme ? Ne conviendrait-il pas, au contraire, de reconsidérer cette notion d’abstentionnisme pour voir dans quelle mesure elle est susceptible de déterminer notre comportement sans nous mettre en contradiction avec les idées-forces qui sont à l’origine de la création de la F.C.L. : lutte de classe à outrance, action directe ? En nous abstenant systématiquement, ne risquerons nous pas de perdre notre influence parmi la classe ouvrière ? Au contraire, la bataille électorale étant devenue une forme de la lutte de classe, ne pourrions-nous pas envisager cette question comme une question de tactique liée aux circonstances et aux faits du combat social ? Dans la crainte de heurter des idées préconçues, devrons-nous nous en tenir à un révolutionnarisme de mauvais aloi qui équivaudrait à une démission pure et simple ? Faudra-t-il, par manque de cohésion, de directive, et par peur des mots, comme par le passé, compromettre la révolution communiste-libertaire ?
Motion votée à l’unanimité le 25/2/55 à M.A »

Nous avons tenu à publier cette motion entièrement, car elle est extrêmement significative sur l’état d’esprit de certains camarades à l’époque, en pleine confusion idéologique.
Dans le même « Lien », le comité national F.C.L. Soumettait une synthèse des propositions d’ordre du jour envoyées par quelques groupes pour le congrès de mai. À l’alinéa 4 de cette proposition de synthèse (orientation et tactique), le point « b » mentionnait : le problème de la participation électorale. D’où la preuve que cette question avait été soigneusement préparée et qu’elle était maintenant lancée en avant. En avril, le « Lien » publiait 1) L’ ordre du jour du congrès, définitif, avec l’adoption du point « B ». 2) Un très long article en 9 pages du camarade F [2], intitulé : « Pour le praticisme révolutionnaire ». Citer l’article en entier serait trop long et quelque peu fastidieux pour le lecteur, voyons-en seulement la conclusion en quatre points :
a) antiparlementarisme et praticisme révolutionnaire.
b) participation électorale lorsque existent des conditions réelles pour l’élection de représentants ouvriers révolutionnaires, donc détermination de notre position suivant chaque situation concrète.
c) contrôle sévère des élus par l’organisation.
d) la participation électorale ne peut être qu’une des formes d’agitation de l’organisation et ne doit en aucun cas prévaloir sur d’autres formes. »

Pour édification des camarades, précisons que par « praticisme révolutionnaire » le rédacteur de l’article entendait répondre à la question : en quoi la participation aux élections n’est-elle pas à confondre avec le parlementarisme, le réformisme ? Après une rapide explication justifiant la lutte des révolutionnaires en faveur des revendications sans que pour cela ceux-ci sombrassent dans le syndicalisme réformiste, il concluait :
« (…) De même, nous pouvons participer aux luttes électorales, avoir des représentants dans les municipalités ou les assemblées en considérant que nous occuperons alors non des postes de législateurs, mais d’agitateurs. Nous voyons là une forme d’agitation qu’on ne peut négliger. On peut dire qu’une telle position n’est nullement du réformisme, mais du praticisme révolutionnaire (…) ».

Enfin, dans ce même « Lien » d’avril, si quelques groupes affirmaient déjà leur accord à une éventuelle participation électorale de la F.C.L. « lorsque existent des conditions réelles » les futurs « oppositionnels », au congrès, manifestaient par contre leur vive hostilité à la motion d’Alfortville, ainsi le groupe de Lyon, celui de Mâcon qui déclarait notamment :
« (…) Le groupe tient à affirmer avec force que le texte M.A.A. (la bataille électorale étant devenue. une forme de la lutte de classes !) est à ses yeux une atteinte à la Déclaration de Principes de la F.C.L. qui déclare : “l’organisation spécifique communiste-libertaire est attachée aux luttes présentes des masses exploitées et opprimées, mais toujours dans le sens de l’action directe”. En conséquence, le groupe demande que le problème de la participation électorale soit retirée de l’ordre du jour du congrès. »

Et ainsi la discussion allait-elle se poursuivre croissant au sein de la F.C.L.. jusqu’au congrès national, sans que le « Lib » aie fait une quelconque publicité à la controverse intérieure au mouvement. Il convient toutefois de rappeler qu’en juin 1953, un article du « Lib » intitulé : « La défaite des démo-chrétiens est un signe de maturité du prolétariat italien. » avait causé quelque inquiétude et surprise aux lecteurs, renforcées les 10 et 24 septembre de la même année par deux articles sur le même thème — Votes ouvriers pour partis de gauche = maturité politique (« Lib » du 10 sept. 1953 — n°372 — article de A.V. correspondant des Groupes Anarchistes d’Action Prolétarienne (Italie) ; « la situation politique actuelle en. Italie » — « Lib » du 24 sep. 1953, n°375, « Halte au fascisme », de P.P.). Quand nous disions au début, qu’après les élections d’avril 1953 et certains reproches exprimés sur notre tactique les choses en étaient restées là au sein du mouvement, avions-nous ainsi négligé de mentionner ces quelques signes inquiétants, mea culpa ! Mais revenons à l’année 1955. Le « LIB » est donc discret sur la question électorale, à part peut-être un articulet (« Lib » du 28 avril 1955 — n°448 — « les élections cantonales » de R.J.) consacré aux élections cantonales et dont la conclusion semblera curieuse :
« (…) le fait qu’il y ait un glissement à gauche, au cours d’élections aussi stériles et après trahisons systématiques auxquelles se sont sont livrés tous les partis qui représentaient la gauche, montre une volonté accrue de lutte des travailleurs, un renouveau de combativité de la classe ouvrière. À nous de savoir permettre à cette volonté de lutte de s’affirmer et de se traduire dans les faits. »

Très curieux était en effet cette « volonté de lutte accrue » des travailleurs, parce que ceux-ci votaient ! Et qui plus est, pour des partis ayant systématiquement trahis !
Le congrès national accepte la participation
Les 28, 29, 30 mai 1955, le congrès F.C.L. se tenait à Paris. Au cours de celui-ci, les thèses de la participation « conditionnelle » (les conditions sont celles déjà mentionnées dans l’article « Praticisme révolutionnaire ») de notre organisation à de futures élections étaient adoptées à une assez forte majorité, malgré le « baroud d’honneur » des opposants à la nouvelle tactique électorale, soit les groupes de Lyon, Mâcon et quelques militants parisiens.
Certains efforts de conciliation avaient pourtant été tentés et nous étions prêts à abandonner la position abstentionniste à tout prix, certains d’entre-nous acceptant même à la rigueur la participation aux élections municipales, ce qui représentait une énorme concession déjà de notre part. L’affaire ayant été soigneusement « épluchée » dans les groupes, nous avions systématiquement amassé tous les arguments « pour » et « contre » et en faisions le décompte : rien à faire, la somme des « contre » était toujours la plus forte ! Le maximum de cas avait été également envisagé, et puisque nous étions sur le question électorale, autant y aller jusqu’au bout ! Pour commencer le principe même de l’antiparlementarisme était examiné : le Congrès fut d’accord dans son ensemble pour conserver celui-ci, encore qu’une certaine contradiction se révélât avec l’adoption des mesures qui allaient suivre. Un autre cas présenté fut la participation aux élections municipales : disons que cet argument était celui ayant le plus de force sur nous, ses partisans exposant le rôle utile aile pourraient avoir des élus F.C.L. sur le plan communal par exemple, l’avantage d’être plus étroitement en contact avec les électeurs qu’au cours d’élections législatives, la propagande pouvant résulter pour les idées communistes-libertaires d’une action énergiquement menée pour certaines réalisations. On nous montrait également la possibilité que nous aurions d’utiliser affiches et panneaux afin de faire mieux connaître nos idées et programmes, enfin et surtout le vieil appel, en définitive, à notre attachement libertaire à l’idée même de commune fut assez habilement utilisé, par des camarades se refusant précisément à tout « sentimentalisme ». Nous devons reconnaître que certains arguments invoqués ne manquaient pas de valeur mais nous ne pouvions nous empêcher de poser ces questions : même sur le plan strict de la commune ou de la municipalité, comment un élu (ou deux à la rigueur) se réclamant du principe anti-étatique aurait-il pu accomplir un travail utile sans être bientôt isolé au milieu de ses « collègues » politiciens, puis bientôt gêné et combattu, voire annihilé ? À cela les partisans répondaient que l’élu F.C.L. ainsi traité pourrait attaquer publiquement ses adversaires du Conseil municipal, en protestant contre leurs méthodes et le régime qui les favorise, et ainsi accroître notre. propagande au sein de la population. Il est toutefois permis de se demander si l’électeur, voyant la déconfiture de son élu « révolutionnaire » n’aurait pas tout bonnement pensé « N’avait qu’à pas y aller, puisqu’il savait ce qui l’attendait ! » d’où une propagande accrue pour l’électeur brutalement conscient d’’être le dindon de la farce (une fois de plus) ? Rien n’est moins sûr.
Un cas assez effarant fut également avancé : participation indirecte par soutien au parti « ouvrier » le plus proche des positions F.C.L. Nous pensons qu’il est inutile de trop s’étendre sur la question, ce que nous fîmes également à l’époque. En effet, demander quel parti « ouvrier » ? équivalait pour certains à répondre par « le plus à gauche » évidement, soit le P.C., le P.S., voire, les trotsystes, pourquoi pas ? Il est vrai que maintenant il y aurait l’Union de la Gauche Socialiste(!) mais encore une fois il s’agit de savoir si des militants anti-étatiques par principe sont prêts à s’engluer au milieu des rouages quelque peu crasseux de la machine d ’État afin de mieux démolit celle-ci de l’intérieur. Là est la seule question, et l’on peut après tout se suicider politiquement de plusieurs manières. Et puisque nous parlons suicide, la participation aux élections législatives proprement dites était enfin abordée. En clair, la possibilité pour un militant F.C.L. d’être présenté sur une liste patronnée par l’organisation, et s’il était d’aventure élu aller ainsi s’asseoir au Parlement au milieu des quelque 600 députés composant l’Assemblée nationale. On voit par là le chemin énorme déjà parcouru par certains camarades qui, quelques semaines auparavant prônaient la seule participation municipale !
Nous pensons qu’il est toutefois inutile de se récrier ou d’ironiser comme quelques anarchistes ont cru devoir le faire. Il est facile d’accuser des camarades qui se trompent de toutes les turpitudes (car cela existe aussi de se tromper) plus difficile déjà d’essayer de comprendre leurs mobiles. Il est permis de dire que beaucoup, parmi ces camarades, pensaient sincèrement (avec quelque peu de naïveté pour certains et un manque évident de formation politique pour d’autres, ce dont nous sommes tous responsables par ailleurs) qu’un ou des militants décidés et honnêtes pourraient sérieusement influer sur le destin des travailleurs en jouant au sein de l’Assemblée le rôle de « commandos de la révolution », ce mot qui allait être repris fréquemment par le « Libertaire » au cours de sa campagne électorale de fin d’année 1955. Ces camarades oubliaient tout simplement que le seul geste que puissent accomplir des révolutionnaires au sein de l’Assemblée, c’est d’y jeter des bombes, et que si l’on n’est pas, ou plus, partisan de cette vieille méthode par principe ou par peur, on n’a rien à y faire d’autre ! Et même en acceptant le côté purement « technique » de l’opération, qu’auraient pu faire quelques députés F.C.L. (et en disant quelques…) en se livrant à des scandales au Parlement ? Est-ce que l’agitation de Marty, avec sa ceinture de cuir, a pu changer quelque chose au sort des exploités, quand aux premières années de son mandat il se faisait « sortir » régulièrement par les huissiers de la Vénérable enceinte ? Et le risque de l’absorption du néodéputé par le système ? À cela on nous répondait que « l’organisation contrôlerait sévèrement ses élus ». De quelle manière ? et pour combien de temps ? Il n’est que de rappeler l’exemple, pénible pour nous tous anarchistes, des « camarades-ministres » pendant la révolution espagnole. Ceux-ci avaient pourtant derrière eux, théoriquement, une organisation autrement puissante que la F.C.L. pour les « contrôler » et on peut se poser cette question : quel a été le plus beau travail accompli à cette époque, celui de nos camarades de la « base » C.N.T.—F.A.I. ou celui des « camarades-ministres » ? On pourra nous répondre qu’il s’agit là d’un cas différent, qu’il y avait la guerre et qu’il est facile de critiquer après coup, c’est vrai. Mais cela ne nous a-t-il pas laissé à nous, libertaires, le même malaise ?
Pour en revenir au congrès, les avantages matériels furent également invoqués : remboursement des frais de propagande pendant la campagne, remboursement des cautionnements pour toute candidature recueillant plus de 5% des voix (c’est nous qui soulignons), indemnités perçues par les élus, etc. À ce dernier argument, l’expérience du 2 janvier 1956 allait répondre par des faits, justifiant les mises en garde les plus passionnées, voire les plus désespérées.
C’est ainsi que repoussant tout effort de conciliation, négligeant d’élémentaires appels à la prudence, le congrès de la F.C.L . acceptait le principe de la participation et courait à son destin.
La campagne électorale de la F.C.L.
C’est le 27 octobre 1955 que la position F.C.L. sur le problème électoral passa du stade intérieur au plan public, par l’entremise du Libertaire. Ce fut d’abord quelque chose d’anodin, bien sûr, un article qui se terminait ainsi :
« Un député ouvrier ne doit pas rentrer dans le jeu parlementariste de la classe bourgeoise. Il sait que ses interlocuteurs sont de mauvaise foi, qu’il n’y a pas de compromis parlementaires, qu’il doit s’appuyer sur l’action directe des travailleurs. » (« Lib » n°450, « Explications de vote et pantomime parlementaire. » M.H.)

En plus d’une incontestable contradiction dans tous les termes de cet épilogue, l’idée du « député ouvrier » était donc avancée. Les « Lib » suivants allaient étoffer tout ça, pour commencer par une suite d’articles « La F.C.L. et le Front Populaire » (« Lib » n° 451, 452, 453 – G.F.) et surtout par les éditoriaux, beaucoup plus directs. Celui du 17 novembre devenait encore plus précis et la future participation électorale de la F.C.L. s’y devinait avec transparence. Après le numéro de 8 décembre où une convocation extraordinaire du Conseil national F.C.L. en raison « de la gravité des circonstances et de la proximité de la campagne électorale » était annoncée, c’était la confirmation officielle du 15 décembre où la « Lib » déclarait : « La F.C.L. entre dans la lutte. » avec présentation d’une liste de 10 candidats et ouverture d’une souscription spéciale pour la campagne qui s’ouvrait ainsi. À partir de ce moment il est évident qu’un processus irréversible allait s’accomplir et la F.C.L. se trouver prise dans le système classique, avec son « programme », ses « réunions », etc. Ajoutons que, par divers camarades, nous apprîmes que la participation à ces élections n’avait pas été décidée sans tiraillements, certains « pour » au congrès brutalement mis au pied du mur par les évènements et commençant à réaliser les difficultés de l’entreprise.
Cependant Le Libertaire, organisait sa campagne. Le 24 novembre Camillo Berneri était appelé en renfort idéologique, et la publication d’un morceau de son article sur la question électorale (Adunata dei Refrattari, 25/4/1936) tendait à justifier la participation. Le 22 décembre les travailleurs algériens du 1er secteur de la Seine étaient appelés à voter pour la liste du « Lib »… par le « Lib » bien entendu. Sur les panneaux électoraux du Boul’ Mich’ ou de la porte de Versailles, l’affiche jaune de la liste, « Le Libertaire » reproduisait, outre les photographies des candidats F.C.L. (dont l’un est présentement membre du Comité de direction de l’U.G.S.) le programme de celle-ci : Lutte pour le niveau de vie, lutte contre la guerre et le colonialisme, lutte pour l’école laïque et les jeunes, lutte pour la femme « pour sa liberté et sa dignité », lutte pour les vieux. Certes, ce programme électoral, comme bien d’autres, paraissait séduisant à première vue et certaines préoccupations étaient même d’excellente facture (entre autres, la préconisation de l’avortement libre dans le cadre médical ainsi que la liberté des moyens anticonceptionnels ne pouvaient qu’avoir la sympathie de tous les gens un peu évolués, sans qu’on soit même « révolutionnaire » pour cela) mais on ne pouvait toutefois s’empêcher d’y relever la démagogie, obligatoire dans ces cas-là. Bien entendu, le « Lib » s’étendait longuement sur le rôle des « élus » à l’assemblée, leur action de « commandos révolutionnaires » etc. Quant aux réunions publiques organisées par la F.C.L., le « Lib » écrit par exemple le 29 décembre :
« (…) Il suffit de voir les réactions de la salle, d’entendre les applaudissements (…) » mais parle assez peu du nombre des assistants ! Comment ces réunions se passent-elles donc, qu’elle ambiance y règne-il ? C’est ce que nous allons voir au cours de deux meetings tenus dans la même soirée du 30 décembre.
Il est 21 heures. Nous sommes dans une petite salle-préau de l’école 36 bis rue Violet (15e). Comptons : il y a exactement treize personnes, dont cinq militants F.C.L. que nous connaissons de vue (il est vrai que nous sommes dans un quartier semi-bourgeois et cela peut expliquer le quasi désert de la salle, et de plus il fait froid). Un orateur, le camarade F., finit de parler avant de foncer à la seconde réunion tenue, elle, 18 rue du Moulin-des-Prés, en plein secteur prolétarien du 13e arrondissement cette fois. Afin de mieux nous rendre compte de la différence, suivons l’orateur itinérant pour nous retrouver peu après lui et vers les 22 heures dans cette modeste salle de gymnastique où nous dénombrons cette fois quinze personnes, dont six militants au minimum. La salle est amorphe, malgré le ton « popu » employé par l’orateur (dans le 15e en effet, les arguments étaient plus subtils, l’expression plus raffinée) et c’est peut-être là que l’on mesure le comique triste d’une telle situation. Les discours terminée, les contradicteurs sont priés d’expliquer leur position. Une fois, deux fois : pas de contradiction. L’électrophone déverse alors une « vibrante » « Internationale » pendant que les auditeurs, suivant l’exemple impérieux des militants, se dressent sur leur siège. Pour réchauffer l’enthousiasme, on aura, au cours d’autres réunions diffusé des chants et marches de guerre soviétiques…
C’était le 30 décembre, dernier jour de la campagne électorale. Le 2 janvier : 1956 la F.C.L. recueillait dans le 1er secteur de la Seine (13e, 14e, 15e, 5e, 6e, 7e arrondissements) 960 voix selon le premier résultat (« France Soir »), 1200 suivant un autre, 1600, 1800 selon le journal. On ne saura jamais au juste combien exactement, et à quelques dizaines près, voire centaines de voix près cela n’a pas une telle importance. Le Libertaire du 5 janvier annonçait, lui, très imprécisément : « Des milliers de travailleurs du 1er secteur de Paris ont manifesté leur accord à notre politique (….) ». Il nous semble logique de remarquer que la F.C.L. aurait dû être la première, elle, à donner un chiffre précis. Pourquoi cette ambiguïté ? Comme il faut toutefois donner un chiffre, et que les lecteurs s’étonnent, le « Lib » du 12 janvier annonce « près de 3000 voix ». En bref, on peut évaluer le nombre des votants F.C.L. à environ 2000 personnes. « VOTEZ EN MASSE » avait dit le Libertaire.
La conclusion
La conclusion ? Elle est assez simple à établir. Des militants se réclamant du communisme libertaire ont tenté l’aventure électoraliste. Quelle propagande anti-étatiste a pu se faire jour au cours de ces quelques semaines ? Et comment l’électeur éberlués, avisant la liste du Libertaire (alors que pour lui, Le Libertaire, c’était des anarchistes, quoi qu’on y fasse !) a-t-il pû faire une quelconque différence avec ladite liste et celles présentées de temps à autres par de petits partis comme les trotskystes et autres, dont le premier soin est de recommander en cas de second tour à leurs électeurs de voter pour le P.C.F. ? Les avantages matériels ? Nous croyons savoir qu’un certains nombre de camarades imprudemment fourvoyés en cette aventure ont eu pendant longtemps à payer, sur leurs économies, les différents frais occasionnés. Ainsi le cautionnement (les 5% n’ayant pas été atteint, et de loin), l’affichage, les multiples dépenses inhérentes à l’organisation d’une telle entreprise (Le « Lib » du 19 janvier mentionnait : la F.C.L. doit plus d’un million pour les frais de la campagne électorale — article de B.D. : « Les élections et la démocratie bourgeoise ») Et qu’ont pu penser ces camarades dont l’enthousiasme et la bonne foi étaient le principal capital ?
Le Libertaire lui-même, devant les résultats disproportionnés aux efforts déployés confessait le 12 janvier :
« (…) Nous ne sommes pas un parti où le bluff est roi, et nous croyons qu’une des conditions essentielles du Progrès est de voir les faits en face, même s’ils ne sont pas toujours de nature à créer l’enthousiasme. Nous ne nous dissimulons pas que le résultat obtenu par la F.C.L. est modeste (…) »

Il est évidemment difficile de se dissimuler ce qui sauté aux yeux, encore que pour les résultat nominaux le « Lib » cherche par une savante dialectique à prouver que les 3000 (mettons !) votants représentent en réalité 20 à 30000 travailleurs de la Région Parisienne influencés par sa propagande ! (« Lib » 461, « les leçons de notre participation »). Aussi les électeurs F.C.L. sont-ils convoqués à une réunion de discussion pour le 25 janvier, afin d’envisager la situation au lendemain des élections. C’était évidemment le moment de voir qui étaient, ce que pensaient les électeurs. Malheureusement, le compte-rendu qui aurait du suivre logiquement une telle réunion ne parut jamais dans le Lib et c’est sur ce dernier signe peu encourageant pour d’éventuels néo-paticipationnistes que nous terminerons la relation d’une expérience dont les anarchistes devraient au moins tirer parti.
Christian
Notes
[1] Le signataire a appartenu à la F.C.L. Jusqu’au congrès de juin 1955, démissionnant de cette organisation après le vote approuvant la participation électorale. D’autres camarades isolés, ainsi que les groupes de Lyon et Mâcon démissionnaient également vers cette époque.
[2] Nous ne pensons pas que le nom, en entier, des camarades mentionnés ait une grande importance, seuls les faits ayant ici leur intérêt.

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Re: Décès de Georges Fontenis

Messagede luco » 14 Aoû 2010, 15:04

"Le manifeste du communisme libertaire" de Fontenis (en réédition bien sûr) a été un de mes premiers texte théorique vers l'âge de 16 ans. Avant le manifeste de Marx je crois.

Et même si j'étais loin d'en comprendre tous les enjeux, les implications... (ça c'est la pratique qui vient en retour éclairer la théorie), il a au moins formé une "sensibilité" qui je crois est restée la mienne depuis, malgré les détours, doutes, aléas militants... : la recherche d'une voie, révolutionnaire, non-institutionnelle, vers un socialisme de liberté.

A sa santé !
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Re: Décès de Georges Fontenis

Messagede berneri » 14 Aoû 2010, 15:15

A son courage, et à tous les non sectaires qui ont le courage d'essayer au risque de faire des erreurs et de mettre les mains dans le cambouis de la réalité pour essayer de la changer, à celles et ceux qui ne voient pas la révolution comme un arrière-monde mais comme un lendemain à bâtir, ... la lutte continue
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