Nestor Makhno BD, film documentaire, archives

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Messagede Pïérô » 04 Juil 2010, 17:38

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A portée de toutes et tous, et des plus jeunes, à emporter en vacances...
Page d'histoire en Bande déssinée, http://labouchedefer.free.fr/spip.php?article5 :


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Re: Nestor Makhno BD et film documentaire

Messagede Pïérô » 18 Sep 2010, 16:22

film documentaire d'Hélène Chatelain

"Nestor Makhno, paysan d’Ukraine"





Entretien avec Hélène Chatelain sur le sujet : http://chroniques-rebelles.info/spip.php?article291
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Re: Nestor Makhno BD, film documentaire, archives

Messagede Pïérô » 24 Fév 2013, 13:53

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Re: Nestor Makhno BD, film documentaire, archives

Messagede indignados » 25 Avr 2013, 22:36

Notre lutte ne doit jamais se faire au profit des hommes qui servent le pouvoir et l'argent.
Nous ne devons jamais charger de notre libération
un homme ou un groupe d'hommes, mais être capables,
en tant que peuple pauvre, d'arracher
aux puissants et aux riches tous nos droits."
Ricardo Flores Magón
Armée révolutionnaire insurrectionnelle ukrainienne - Wikipédia :

L'armée révolutionnaire insurrectionnelle ukrainienne (ukrainien : Революційна Повстанська Армія України, russe : Революционная Повстанческая Армия Украины), aussi appelée de façon péjorative Makhnovchtchina (en cyrilliqueМахновщина), par l'historiographie soviétique, est une armée insurrectionnelle d'inspiration libertaire qui combattit de 1918 à 1921.

Elle doit son surnom à l'anarchiste ukrainien Nestor Makhno qui la leva, en 1918, suite à la signature du Traité de Brest-Litovsk (cession par Lénine de l'Ukraine aux Allemands).

La Makhnovchtchinacombat avec succès les armées blanches de Petlioura, Denikine et Wrangel.
Après la victoire contre les Blancs, l'Armée rouge qui a passé des alliances tactiques temporaires avec Makhno, a désormais les mains libres et se retourne contre la Makhnovchtchina. Makhno est mis hors la loi.
En août 1921, après plusieurs mois de combats acharnés contre les bolchéviques, les derniers partisans de Makhno quittent l'Ukraine et franchissent la frontière roumaine[1].

Pour les anarchistes, la Makhnovchtchina est un symbole du combat pour un communisme non autoritaire. Sa défaite face à l'Armée rouge annonce les dérives à venir du régime soviétique et du stalinisme.

extrait du manfeste des makhnovistes (Projet et objectifs du mouvement):


Nous sommes pour les
bolchéviks, mais contre les communistes » expliquait Makhno. Pour les bolcheviks car ils ne s'étaient pas opposés à la mainmise des paysans sur les terres ; contre les communistes car ils appliquaient les réquisitions, établissaient des « communes » (kolkhozes), et prenaient tout le pouvoir entre leurs mains, au nom des soviets[5]. « Le but n'est plus l'indépendance ukrainienne mais la Révolution sociale »[6].

makhnovistes (Projet et objectifs du mouvement http://l-indigne.skyrock.com/3148770702 ... ement.html
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Re: Nestor Makhno BD, film documentaire, archives

Messagede indignados » 25 Avr 2013, 22:47

Piero, le lien du doc sur Nestor Makhno ne fonctionnant pas, je le remets ici

Durée : 1 h 34 min 23 s Nestor Makhno, paysan d'Ukraine - YouTube
http://www.youtube.com/watch?v=JS255bOrckA

Ni vieux, ni traîtres est un film documentaire français de Pierre Carles et Georges Minangoy, sorti en 2006. Ce documentaire est distribué par des chaînes de cinéma indépendants, notamment Utopia. Les deux réalisateurs Pierre Carles et Georges Minangoy vont à la rencontre d'anciens partisans français et catalans engagés dans la lutte anti-franquiste anarchiste des années 1970. Ils interviewent dans ce film d'anciens membres des GARI et du groupe Action directe ainsi que certains de leurs amis. Le documentaire inclut plusieurs débats au sujet de la légitimité de l'utilisation de la violence afin de résister contre les abus du système capitaliste. Les anciens membres d'Action Directe reviennent sur les actions réalisées en Espagne franquiste et en France dans les années 1970, ils débattent au sujet de la légitimité de leur actions. Ce film a pour but, selon les réalisateurs, d'ouvrir le débat dans les milieux libertaires sur la légitimité de la violence et la fidélité des choix politiques. Ce film est aussi l'occasion pour les réalisateurs de relayer la campagne pour la libération des prisonniers d'Action directe....
suite Ni vieux ni traitres
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Re: Nestor Makhno BD, film documentaire, archives

Messagede Liberté Ouvrière » 25 Oct 2015, 23:29

Voici le lien vers la page web du torrent de la BD sur l'Ukraine libertaire de la Makhnovtchina des Éditions Libertaires / Édition du monde libertaire

http://www.t411.in/torrents/bd-makhno-l ... ome-1-et-2

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liberteouvriere.wordpress.com
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Re: Nestor Makhno BD, film documentaire, archives

Messagede bipbip » 28 Jan 2016, 16:00

Makhno en visite au Kremlin : entretien avec Lénine (juin 1918)

Le jour suivant, à une heure, j’étais de nouveau au Kremlin où je retrouvai le camarade Sverdlov qui me conduisit aussitôt chez Lénine. Celui-ci m’accueillit fraternellement. Il me prit par le bras et, me tapotant doucement l’épaule de son autre main, il me fit asseoir dans un fauteuil. Après avoir prié Sverdlov de s’installer dans un autre fauteuil, il s’approcha de son secrétaire et lui dit :
– « Ayez la bonté de finir ce travail pour deux heures. »
Il vint s’asseoir en face de moi et se mit à me questionner. Sa première question fut :
– « De quelle région êtes-vous ? Comment les paysans de la contrée ont-ils accueilli le mot d’ordre : “Tout le pouvoir aux Soviets dans les villages” et quelle a été la réaction des ennemis de ce mot d’ordre et celle de la Rada centrale en particulier ? Les paysans de votre région se sont-ils levés contre les envahisseurs austro-allemands ? Si oui, qu’est-ce qui a manqué pour que les révoltes paysannes se transforment en soulèvement général et s’associent à l’action des unités de gardes rouges qui, avec tant de courage, ont défendu nos conquêtes révolutionnaires ? »
À toutes ces questions, je donnai à Lénine des réponses brèves. Celui-ci, avec le talent qui lui était propre, s’efforçait de poser ses questions de manière que je puisse y répondre point par point. Par exemple, la question : « Comment les paysans de ma région ont-ils accueilli le mot d’ordre : “Tout le pouvoir aux Soviets dans les villages” ? », Lénine me la posa à trois reprises ; et il fut étonné que je lui réponde :
– « Les paysans l’ont accueilli à leur manière, ce qui veut dire que, dans leur entendement, tout le pouvoir doit, dans tous les domaines, s’identifier avec la conscience et la volonté des travailleurs ; que les soviets de députés ouvriers paysans de village, de canton et de district ne sont ni plus ni moins que des rouages de l’organisation révolutionnaire et de l’autogestion économique des travailleurs en lutte contre la bourgeoisie et ses laquais : les socialistes de droite et leur gouvernement de coalition.
– Pensez-vous que cette manière de comprendre notre mot d’ordre soit juste ? » demanda Lénine.
– « Oui », répondis-je,
– « Dans ce cas, les paysans de votre région ont subi la contagion de l’anarchisme », me dit-il.
– « Est-ce un mal ? » demandai-je,
– « Ce n’est pas ce que je veux dire. Au contraire, il faudrait s’en réjouir, car cela hâterait la victoire du communisme sur le capitalisme et son pouvoir.
– C’est flatteur pour moi », répondis-je à Lénine en me retenant pour ne pas rire.
– « Non, non, je prétends très sérieusement que ce phénomène social dans la vie des masses paysannes hâterait la victoire du communisme sur le capitalisme », répéta Lénine, ajoutant : « Mais je pense que le phénomène n’a pas été spontané ; il est un effet de la propagande anarchiste et ne tardera pas à disparaître. Je suis même porté à croire que cet état d’esprit battu en brèche par la contre-révolution triomphante avant d’avoir eu le temps d’engendrer une organisation, a déjà disparu. »
Je fis remarquer à Lénine qu’un chef politique ne doit jamais se montrer pessimiste ou sceptique.
– « Ainsi, selon vous, dit Sverdlov m’interrompant, il faudrait encourager ces tendances anarchistes dans la vie des masses paysannes ?
– Oh ! votre parti ne les encouragera pas », répondis-je. Lénine saisit la balle au bond :
– « Et pourquoi devrait-on les encourager ? Pour diviser les forces révolutionnaires du prolétariat, frayer la voie à la contre-révolution et en fin de compte monter nous-mêmes avec le prolétariat à l’échafaud ? »
Je ne pus me dominer et, avec un accent de nervosité dans la voix, je fis remarquer à Lénine que l’anarchisme et les anarchistes n’aspiraient pas à la contre-révolution et n’y conduisaient pas le prolétariat.
– « Est-ce vraiment ce que j’ai dit ? » me demanda Lénine et il ajouta : « J’ai voulu dire que les anarchistes, manquant d’organisations de masse, ne sont pas en mesure d’organiser le prolétariat et les paysans pauvres et, par conséquent, de les soulever pour défendre, au sens large du terme, ce qui a été conquis par nous tous et qui nous est cher. »
L’entretien porta ensuite sur les autres questions posées par Lénine. À l’une d’elles : « Les unités de gardes rouges et le courage révolutionnaire avec lequel elles défendirent nos conquêtes communes », Lénine m’obligea à répondre aussi complètement que possible. Manifestement la question le tracassait ou bien lui rappelait ce que les formations de gardes rouges avaient récemment accompli en Ukraine, atteignant soi-disant avec succès les objectifs que Lénine et son parti s’étaient fixés et au nom desquels ils les avaient envoyés de Petrograd et autres grandes villes lointaines de Russie. Je me souviens de l’émotion de Lénine, l’émotion qui ne pouvait se manifester que chez un homme qui vivait passionnément la lutte contre l’ordre social qu’il haïssait et voulait vaincre, quand je lui dis :
– « Ayant participé au désarmement de dizaines de cosaques retirés du front allemand à la fin de décembre 1917 et au début de 1918, je suis bien renseigné sur la “bravoure révolutionnaire” des unités de l’Armée rouge et en particulier de leurs chefs. Or il me semble, camarade Lénine, que, vous basant sur des renseignements de seconde et même de troisième main, vous l’exagérez.
– Comment ça ? Vous la contestez ? » me demanda Lénine.
– « Les unités de gardes rouges ont fait preuve d’esprit révolutionnaire et de courage, mais pas autant que vous le décrivez. La lutte des gardes rouges contre les haïdamaks de la Rada centrale et, surtout, contre les troupes allemandes a connu des moments où l’esprit révolutionnaire et la bravoure, ainsi que l’action des gardes rouges et de leurs chefs, se sont révélés très faibles. Certes, dans bien des cas, il y a lieu, selon moi, de l’attribuer au fait que les détachements de gardes rouges avaient été formés à la hâte et employaient contre l’ennemi une tactique qui ne ressemblait ni à celle des groupes de partisans ni à celles des unités régulières. Vous devez savoir que les gardes rouges, qu’ils fussent nombreux ou pas, menaient l’attaque contre l’ennemi en se déplaçant sur les voies ferrées. À dix ou quinze verstes d’une ligne de chemin de fer, le terrain était inoccupé ; pouvaient y circuler librement les défenseurs de la révolution ou de la contre-révolution. Pour cette raison, les attaques par surprise réussissaient presque à tout coup. Ce n’est qu’au bord des nœuds ferroviaires, des villes ou des bourgs desservis par le chemin de fer que les formations de gardes rouges organisaient un front et de là se lançaient à l’attaque. Mais l’arrière et les environs immédiats de la localité menacée par l’ennemi restaient sans défenseurs. L’action offensive de la révolution en subissait le contrecoup. Les unités de gardes rouges avaient à peine fini de diffuser leurs appels dans une région que les forces contre-révolutionnaires passaient à la contre-offensive et bien souvent obligeaient les gardes rouges à battre en retraite, derechef dans leurs trains blindés. Si bien que la population des campagnes ne les voyait même pas. Et dès lors ne pouvait les appuyer.
– Que font les propagandistes révolutionnaires dans les campagnes ? Ils n’arrivent donc pas à tenir prêts les prolétaires ruraux pour compléter en troupes fraîches les unités de gardes rouges passant dans leur voisinage, ou pour former de nouveaux corps francs de gardes rouges et occuper des positions aux fins de combattre la contre-révolution », me demanda Lénine.
– « Ne nous emballons pas. Les propagandistes révolutionnaires sont peu nombreux dans les campagnes et ne peuvent faire grand-chose. Or, tous les jours arrivent dans les villages des centaines de propagandistes et d’ennemis secrets de la révolution. Dans beaucoup de localités, il ne faut pas s’attendre à ce que les propagandistes révolutionnaires fassent surgir de nouvelles forces de la révolution et les organisent pour les opposer à la contre-révolution. Notre époque, dis-je à Lénine, réclame des actions décisives de tous les révolutionnaires et cela dans tous les domaines de la vie et de la lutte des travailleurs. Ne pas en tenir compte, surtout chez nous, en Ukraine, c’est permettre à la contre-révolution groupée derrière l’hetman de se développer à son gré et d’affermir son pouvoir. »
Sverdlov portait ses yeux tantôt sur moi, tantôt sur Lénine et souriait de satisfaction. Quant à Lénine, il tenait ses doigts entrelacés et, inclinant la tête, réfléchissait. Se redressant, il me dit :
– « Tout ce que vous venez de me dire est bien regrettable. »
Et se tournant vers Sverdlov il ajouta : « En refondant les unités de gardes rouges dans l’Armée rouge nous sommes dans le bon chemin, celui qui mène à la victoire définitive du prolétariat sur la bourgeoisie.
– Oui, oui », répondit vivement Sverdlov. Lénine me dit ensuite :
– « Quel travail comptez-vous faire à Moscou ? »
Je répondis que je n’étais pas là pour longtemps. Conformément à la décision de la Conférence des groupes de partisans tenue à Taganrog, je devais être de retour en Ukraine dans les premiers jours de juillet.
– « Clandestinement ? » me demanda Lénine.
– « Oui », répondis-je.
S’adressant alors à Sverdlov, Lénine fit cette réflexion :
– « Les anarchistes sont toujours pleins d’abnégation, ils sont prêts à tous les sacrifices ; mais fanatiques aveugles, ils ignorent le présent pour ne penser qu’au lointain avenir. »
Et en me priant de ne pas prendre cela pour moi, il ajouta :
– « Je vous considère, camarade, comme un homme ayant le sens des réalités et des nécessités de notre époque. S’il y avait en Russie ne fût-ce qu’un tiers d’anarchistes tels que vous, nous, communistes, serions prêts à marcher avec eux à certaines conditions et à travailler en commun dans l’intérêt de l’organisation libre des producteurs. »
À cet instant, je sentis sourdre en moi un sentiment de profonde estime pour Lénine, alors que récemment encore j’avais la conviction qu’il était responsable de l’anéantissement des organisations anarchistes de Moscou, ce qui avait été le signal de l’écrasement de celles-ci dans beaucoup d’autres villes. Et dans mon for intérieur, j’eus honte de moi-même. Cherchant la réponse que je devais faire à Lénine, je lui dis à brûle-pourpoint :
– « La révolution et ses conquêtes sont chères aux anarchistes communistes ; et c’est la preuve qu’à ce point de vue-là, ils se ressemblent tous.
– Oh, ne venez pas nous dire ça, rétorqua Lénine en riant, nous connaissons les anarchistes aussi bien que vous. Pour la plupart, ils n’ont aucune notion du présent, ou en tout cas, ils s’en soucient très peu ; or le présent est si grave que n’y pas penser ou ne pas prendre position d’une manière positive vis-à-vis de lui est pour un révolutionnaire plus que honteux. La majeure partie des anarchistes ont leurs pensées tournées vers l’avenir et lui consacrent leurs écrits, sans chercher à comprendre le présent : et cela aussi nous sépare d’eux. »
Sur ces mots, Lénine se leva de son fauteuil et, marchant de droite à gauche, il ajouta :
– « Oui, oui, les anarchistes sont forts par les idées qu’ils se font de l’avenir dans le présent, ils n’ont pas les pieds sur terre ; leur attitude est lamentable et cela parce que leur fanatisme dépourvu de contenu fait qu’ils sont sans liens réels avec cet avenir. »
Sverdlov eut un sourire malicieux et, se tournant vers moi, il me dit :
– « Vous ne pouvez le contester. Les réflexions de Vladimir Ilitch sont justes.
– Les anarchistes ont-ils jamais reconnu leur manque de réalisme dans la vie “présente” ? Ils n’y songent même pas », s’empressa d’ajouter Lénine.
Répondant à cela, je dis à Lénine et Sverdlov que j’étais un paysan à demi illettré et que je ne voulais pas discuter l’opinion pour moi trop savante que Lénine venait d’émettre sur les anarchistes.
– « Mais je dois vous dire, camarade Lénine, que votre assertion, à savoir que les anarchistes ne comprennent pas “le présent”, qu’ils n’ont pas de liens réels avec lui, etc., est foncièrement erronée. Les anarchistes communistes d’Ukraine (ou du “sud de la Russie”, puisque vous, communistes bolcheviks, vous efforcez d’éviter le mot Ukraine), les anarchistes communistes, dis je, ont déjà donné un grand nombre de preuves qu’ils sont de plain-pied dans “le présent”. Toute la lutte de la campagne révolutionnaire ukrainienne contre la Rada centrale a été menée sous la direction idéologique des anarchistes communistes et en partie des SR (qui, à vrai dire, assignaient de tous autres objectifs que les nôtres, anarchistes communistes, à leur lutte contre la Rada). Vos bolcheviks n’existent pour ainsi dire pas dans nos campagnes ; ou, s’il s’en trouve, leur influence est infime. Presque toutes les communes ou associations paysannes en Ukraine ont été formées à l’instigation des anarchistes communistes. Et la lutte à main armée de la population laborieuse avec la contre-révolution en général, et la contre-révolution incarnée par les armées d’invasion austro-hongroises et allemandes, a été entreprise sous la direction idéologique et organique exclusive des anarchistes communistes. Certes, il n’est pas dans votre intérêt de parti de mettre tout cela à notre actif, mais ce sont là des faits que vous ne pouvez contester. Vous connaissez parfaitement, je suppose, les effectifs et la capacité combative des corps francs révolutionnaires d’Ukraine. Ce n’est pas sans raison que vous avez évoqué le courage avec lequel ils ont héroïquement défendu nos conquêtes révolutionnaires communes. Parmi eux, une bonne moitié a combattu sous le drapeau anarchiste. Mokrooussov, M. Nikiforova, Tchéredniak, Garine, Tcherniak, Lounev et beaucoup d’autres commandants de corps francs qu’il serait trop long d’énumérer sont tous des anarchistes communistes. Je ne parle pas de moi, du groupe auquel j’appartiens et de tous les autres groupes de partisans et “bataillons de volontaires” pour la défense de la révolution que nous avons formés et qui n’ont pu êtres ignorés du commandement des gardes rouges. Tout cela montre avec une force suffisante à quel point, camarade Lénine, est erronée votre allégation, à savoir que nous, anarchistes communistes, n’avons pas les pieds sur terre, que notre attitude dans « le présent » est lamentable, bien que nous aimions beaucoup penser à “l’avenir”. Ce que je vous ai dit au cours de notre entretien ne peut être mis en doute, car c’est la vérité. L’exposé que je vous ai fait contredit les conclusions que vous émettez sur nous, et tout le monde, vous y compris, peut y voir la preuve que nous sommes de plain-pied dans “le présent”, que nous y travaillons en cherchant en lui ce qui nous rapproche de l’avenir, auquel, en effet, nous pensons et très sérieusement. »
À ce moment, je regardai Sverdlov. Il devint rouge, mais continua à me sourire. Quant à Lénine, il dit, écartant les bras :
– « Il se peut que je me trompe.
– Oui, oui, en l’occurrence, camarade Lénine, vous avez été trop sévère pour nous, anarchistes communistes, simplement, je crois, parce que vous êtes mal informé de la réalité ukrainienne et du rôle que nous y jouons.
– Peut-être, je ne le conteste pas. Qui d’ailleurs est à l’abri de l’erreur, surtout dans la situation où nous sommes ? » répondit Lénine.
Et se rendant compte que j’étais devenu un peu nerveux, il s’efforça paternellement de me tranquilliser en faisant dévier très adroitement l’entretien sur un autre sujet. Mais mon mauvais caractère, si je peux m’exprimer ainsi, ne me permit pas, malgré tout le respect que m’inspira Lénine au cours de notre conversation, de m’y intéresser davantage. Je me serais offensé. Et malgré le sentiment que j’éprouvais d’avoir en face de moi un homme avec qui il y aurait bien d’autres sujets à aborder ou duquel il y aurait beaucoup à apprendre, mon état d’esprit s’altéra. Mes réponses n’étaient plus aussi détendues ; quelque chose en moi s’était rompu et un sentiment pénible m’envahissait. Lénine n’avait pas pu ne pas se rendre compte de ce changement dans mes sentiments. Il s’efforça de le pallier en parlant d’autre chose. Et s’apercevant que je revenais à de meilleures dispositions et que je me laissais gagner par son éloquence, il me demanda soudain :
– « Ainsi vous avez l’intention de regagner clandestinement l’Ukraine ?
– Oui », répondis-je.
– « Puis-je vous apporter mon concours ?
– Volontiers », dis-je.
S’adressant alors à Sverdlov, Lénine demanda :
– « Qui, chez nous, est maintenant à la tête du service chargé de faire passer nos gars dans le Sud ?
– Le camarade Karpenko ou Zatonski », répondit Sverlov, je vais me renseigner.
Pendant que Sverdlov téléphonait pour savoir qui, de Zatonski ou de Karpenko, était à la tête du service chargé de faire passer les militants en Ukraine pour y travailler clandestinement, Lénine essaya de me persuader que je devais conclure de son attitude à mon égard que la position du parti communiste vis-à-vis des anarchistes n’était pas si hostile que je semblais le croire.
– « Si nous avons été obligés, me dit Lénine, de prendre des mesures énergiques pour déloger les anarchistes de l’hôtel particulier qu’ils occupaient dans a Malaïa Dmitrovka et où ils cachaient certains bandits, locaux ou de passage, la responsabilité n’en incombe pas à nous, mais aux anarchistes qui s’étaient installés là. D’ailleurs, nous ne les tracasserons plus. Vous devez savoir qu’ils ont été autorisés à occuper un autre meuble non loin de la Malaïa Dmitrovka et ils sont libres de travailler comme ils l’entendent.
– Avez-vous des indices, demandai-je au camarade Lénine, établissant que les anarchistes de la Malaïa Dmitrovka auraient donné asile à des bandits ?
– Oui, la Commission extraordinaire (Tchéka) les a recueillis et vérifiés. Sinon, notre parti ne l’aurait pas autorisée à prendre des mesures », répondit Lénine.
Entretemps Sverdlov était revenu s’asseoir avec nous et il annonçait que le camarade Karpenko était bien à la tête du service chargé des passages, mais que le camarade Zatonski était lui aussi au courant de tout. Lénine s’écria aussitôt :
– « Voilà, camarade, passez demain, après-demain ou quand vous voudrez chez le camarade Karpenko et demandez-lui tout ce dont vous aurez besoin pour regagner clandestinement l’Ukraine. Il vous donnera un itinéraire sûr pour traverser la frontière.
– Quelle frontière ? » demandai-je.
– « Vous n’êtes pas au courant ? Une frontière a été établie entre la Russie et l’Ukraine. Ce sont les troupes allemandes qui la gardent, dit Lénine énervé.
– Vous considérez pourtant l’Ukraine comme “le sud de la Russie” ? » répondis-je.
– « Considérer est une chose, camarade, et dans la vie avoir les yeux bien ouverts en est une autre », rétorqua Lénine.
Et avant que j’aie eu le temps de riposter, il ajoutait :
– « Vous direz au camarade Karpenko que c’est moi qui vous envoie. S’il a des doutes, il n’aura qu’à me téléphoner. Voici l’adresse où vous pourrez le voir. »
Debout maintenant tous les trois, nous nous serrâmes la main et après un échange de remerciements, apparemment chaleureux, je sortis du cabinet de Lénine.

Nestor Makhno

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Re: Nestor Makhno BD, film documentaire, archives

Messagede Pïérô » 29 Jan 2016, 10:16

"Nestor Makhno, paysan d’Ukraine"

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Re: Nestor Makhno BD, film documentaire, archives

Messagede bipbip » 06 Sep 2016, 02:59

Makhnovchtchina

Makhnovchtchina

Makhnovchtchina est le nom de l'Armée insurrectionnelle d'Ukraine dans les années 1920, nom donné selon le nom de Nestor Makhno.

Makhnovchtchina (en cyrillique Махновщина) est le nom de l'Armée insurrectionnelle d'Ukraine dans les années 1920, nom donné selon le nom de Nestor Makhno.

La Makhnovchtchina prend forme quand Trotsky cède l'Ukraine aux Allemands (traité de Brest-Litovsk, 1918) : les paysans de la région du bord de la mer Noire se rassemblant alors de manière plus ou moins spontanée autour de la personnalité charismatique de Makhno.

La Makhnovchtchina a combattu autant les Armées blanches (partisans du Tsar) de Dénikine, avec succès, que l'Armée rouge, dirigée par les Bolcheviks, sous la forme d'une guérilla. Pendant quatre années, elle combat les forces contre-révolutionnaires, qui voient dans cette région de l'Ukraine un passage vers Moscou. La guérilla s'achève lors de sa victoire à la bataille d'Ekatérinoslav. Énormément d'historiens s'accordent à dire que sans ce soulèvement inattendu, les Bolcheviks n'auraient jamais réussi à tenir la Russie. La Makhnovchtchina est finalement exterminée par les Bolcheviks, plus nombreux et disposant de moyens militaires plus importants. C'est Léon Trotsky lui-même qui commande la répression du mouvement à bord de son train blindé.

La Makhnovchtchina a aussi ébauché une forme nouvelle de société, avec la création de collectivités non-autoritaires comme à Sébastopol, mais les combats incessants auxquels la région fut soumise rendirent impossible la véritable réalisation de ce projet.

Comme les autres forces en lutte dans le cadre de la Guerre civile russe, elle s'est rendue coupable de certaines exactions, cependant des historiens s'accordent à reconnaître l'excellente réputation auprès de la population civile ukrainienne de cette armée composée exclusivement de volontaires, ainsi qu'à séparer les cas d'exactions commis par des officiers isolés, tels Grigorieff, qui fut fusillé, et ceux commis par diverses bandes armées de pillards se réclamant de la Makhnovchtchina sans être reconnue par elle [1].

Pour les anarchistes, elle est le symbole d'un communisme non autoritaire, et sa défaite face à l'Armée rouge annonce les dérives à venir du régime soviétique.

Contexte historique

A la fin du mois de février 1917, excédé par une guerre qui n'en finissait plus et une famine qui s'accentuait, le peuple russe détruisit en moins d'une semaine la domination tsariste. Un gouvernement bourgeois fut constitué, le gouvernement Kerensky, qui réussit tant quoique mal à se maintenir au pouvoir jusqu'en octobre 1917. Reconnu trop timoré, refusant d'arrêter la guerre et incapable de régler les problèmes politiques et économiques, ce gouvernement fut renversé par les masses populaires russes le 25 octobre, et cela sous l'impulsion du Parti bolchevik. Les Bolcheviks bénéficièrent de l'appui de l'armée, des Soviets (conseils d'ouvriers, fonctionnant au début de la révolution sur une base autogestionnaire) et en particulier ont pris le pouvoir politique grâce à des mots d'ordres percutants et libertaires : «À bas la guerre ! Vive la paix immédiate ! La terre aux Paysans ! Les usines aux ouvriers !». Ces deux derniers slogans signifiaient explicitement que la terre et les usines seraient sous le contrôle des paysans et des ouvriers. Cependant, le Parti bolchevik, qui détenait l'appareil d'état, s'affirmant être l'unique représentant de la classe ouvrière et attachant moins d'importance à la classe paysanne, nationalisa et militarisa la production dans les usines et appauvrit les campagnes.

Sous la «dictature du prolétariat», qu'on peut en fait voir comme la dictature du Parti bolchevik sur le prolétariat, la bureaucratie étatique, l'armée et la police furent développées à outrance non pas pour lutter contre les armées contre-révolutionnaires, mais plutôt pour permettre aux nouveaux maîtres «rouges» de juguler les velléités de révoltes populaires. Les travailleurs russes furent ainsi sommés, sous peine de mort, au début de l'année 1918, de remettre leurs armes aux autorités militaires bolchéviques.

Après la signature du traité de Brest-Litovsk (3 mars 1918), qui abandonnait l'Ukraine aux Allemands, les Bolcheviks se sentirent en confiance et débutèrent la répression de leurs opposants politiques. Ils s'attaquèrent aux socialistes-révolutionnaires de gauche, qui avaient été leurs alliés, mais en particulier commencèrent à éliminer physiquement les anarchistes, qui étaient les seuls à prôner la liberté d'action et d'organisation pour le peuple laborieux. C'est dans cette période historique troublée que le mouvement makhnoviste naquit.

Naissance, développement et extinction du mouvement makhnoviste

En Ukraine, dans cette région agricole jadis nommée «le grenier de l'Europe» à cause de ses récoltes abondantes, trois forces politiques complètement différentes étaient présentes.
• Les Bolcheviks, qui après le départ des Allemands en décembre revinrent militairement en Ukraine [2].
• La Pétliourovtchina, un mouvement national-autonomiste et bourgeois qui rencontra énormément de succès à la fin de l'année 1918, mais se désagrégea ensuite. Néanmoins, les «pétliourovtzi» réussirent à se maintenir dans certaines parties de l'Ukraine.
• La Makhnovtchina.

Ce dernier mouvement, composé de paysans indépendants, principalement «actif» dans le sud de l'Ukraine, œuvrait pour l'émancipation totale des travailleurs, tout autant à un niveau économique que politique. Dès octobre 1918, l'Armée insurrectionnelle makhnoviste lutta à la fois contre les Allemands et le gouvernement de Petlioura. À partir de 1919, l'intervention militaire importante du général Dénikine, qui voulait rétablir un dispositif monarchiste, compliqua toujours la tâche révolutionnaire que se fixaient les makhnovistes et qu'ils mettaient en place dans les régions qu'ils libéraient. Les makhnovistes conclurent un accord militaire avec les Bolchéviks, qui commençaient à apparaître militairement dans la région, pour combattre la contre-révolution dénikinienne. Trahis par l'Armée rouge, qui était commandée par Trotsky, les makhnovistes furent obligés, en juin 1919, d'abandonner à Dénikine une partie de l'Ukraine. De juin à décembre 1919, l'Armée rouge ayant quitté l'Ukraine, l'Armée insurrectionnelle makhnoviste se reconstitua, engagea de nouveau le combat contre l'armée de Dénikine et réussit à la vaincre au prix de luttes acharnées. Enfin, pendant toute l'année 1920 et la moitié de 1921, les makhnovistes combattirent en même temps l'Armée blanche de Wrangel, qu'ils vainquirent aussi et l'Armée rouge, qui, trahissant de nouveau un accord militaire parvint à annihiler la résistance paysanne ukrainienne. Les Bolcheviks déclarèrent les makhnovistes «contre-révolutionnaires» et fusillèrent les personnes qui éprouvaient de la sympathie pour la Makhnovchtchina.

Objectifs de la Makhnovchtchina, et les moyens d'actions qu'elle employa

Même si la Makhnovchtchina n'en était pas exclusivement composée, il y eut néanmoins énormément de militants anarchistes (Makhno, Martchenko, Korilenko, Archinoff, Voline…) qui eurent un rôle prépondérant dans le mouvement insurrectionnel makhnoviste. Les makhnovistes propagèrent en conséquence des idées contradictoires à celles qu'imposaient par la force les Bolchéviks dans le reste de la Russie. Ainsi, les makhnovistes refusaient obstinément la dictature d'une organisation politique sur le peuple et préconisaient une auto-administration libre et entière des travailleurs eux-mêmes dans leurs localités. De plus, les makhnovistes désiraient que les Soviets soient complètement indépendants de tout parti politique et qu'ils fassent partie d'un dispositif économique basé sur l'égalité sociale.

Dans la région de Goulaï Polié, de nombreuses communes libres furent organisées ; elles étaient basées sur l'entraide matérielle et morale, et sur les principes non-autoritaires et égalitaires. Malgré une situation militaire complexe, trois congrès régionaux furent organisés du 23 janvier au 10 avril 1919, qui avaient pour fonction de déterminer les objectifs économiques et sociaux que se fixaient les masses paysannes et de coordonner les efforts pour une réalisation rapide de ces mêmes objectifs. La Makhnovchtchina fit tout ce qui était en son pouvoir pour encourager, faciliter cette auto-organisation et permettait même une liberté d'expression et d'association particulièrement importante aux socialistes-révolutionnaires ainsi qu'aux Bolchéviks, quoique ces derniers aient déjà commencé une répression impitoyable contre les anarchistes russes.

Pourtant, le mouvement makhnoviste souffrit de difficultés importantes qui empêchèrent une organisation sociale réellement anarchiste des masses paysannes ukrainiennes.

Dans un premier temps, la liberté des paysans était garantie par une armée, qui d'ailleurs manqua cruellement d'armes et de munitions, ce qui peut devenir un danger du fait de sa puissance. Un autre point faible de la Makhnovchtchina fut ses relations avec les Bolcheviks, qui les trahirent deux fois. Les combats incessants contre les Armées blanches et rouges ont énormément nuit à une nouvelle organisation sociale durable et c'est la défaite, en 1921, de l'Armée insurrectionnelle makhnoviste face à l'Armée rouge qui détruisit totalement l'expérience libertaire de la Makhnovchtchina.

Bibliographie
• Archinov, La Makhnochtchina
• Voline, 1917-1921 : La Révolution inconnue

Notes et références
1.cf. le commentaire de Voline en épilogue de son ouvrage La Révolution inconnue, qui relate l'histoire du mouvement makhnoviste en Ukraine, surtout le passage où il cite le point de vue de M. Tchérikover, historien juif non partisan, sur les allégations d'exactions antisémites supposées commises par l'Armée insurrectionnelle d'Ukraine. Ces allégations ont le plus fréquemment pour origine la propagande bolchevique de l'URSS À ce sujet, on peut citer aussi la brochure Nestor Makhno et la question juive - Samizdat de V. Litvinov - parue aux éditions Tops/Trinquier - 12 av. René-Morin - 92160 Antony
2.il est en effet intéressant de noter que les forces organisées du Parti communiste étaient particulièrement faibles en Ukraine

http://www.socialisme-libertaire.fr/201 ... china.html
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Re: Nestor Makhno BD, film documentaire, archives

Messagede bipbip » 25 Oct 2016, 16:36

Nestor Makhno

Il y a des personnages historiques qui deviennent des légendes. Et les mythes ont la vie dure. Il en est ainsi avec Nestor Makhno, dirigeant anarchiste ukrainien qui, dans années vingt, joua un rôle majeur dans la lutte contre les armées blanches de Denikine. Si les mythes ont la vie dure ils sont rarement l’expression de la vérité mais avec Makhno il y a un double mythe : il y a la version Bolchevik et la version Libertaire. En fait comme le montre la rencontre de Makhno avec Lénine que nous publions à la suite la divergence est stratégique : Lénine appréciait la situation dans le contexte international avec le risque de défaite de la révolution, Makhno réduisait sa conception à la situation des paysans ukrainiens. Mais la réalité de la Tcheka et son rôle néfaste a tranché. La conception même des bolcheviks qui se considéraient comme LES dirigeants de la révolution poussait vers cette issue. Mais sur le terrain la Makhnovchtchina a joué un rôle très positif contre les blancs et a souvent appuyé des mesures autogestionnaires.

Selon la version Bolchevik on parle des bandes de Makhno, qui deviennent avec le temps les bandits de Makhno. Puis on rajoutera antisémites. Bande est un mot quasi neutre mais qui souligne un fonctionnement « désorganisé », en tous les cas non militaire ce qui s’explique par le fonctionnement du système de commandement très éloigné des modèles classiques. (Voir plus loin.)

Il permet surtout de passer de « bandes » à bandits ce qui n’est plus neutre. Quant à « l’antisémite » c’est un qualificatif qui pourrait sembler crédible dans un pays aux très anciennes traditions religieuses et arriérées. Tout juif venant d’Ukraine confirmera le climat antisémite dans les campagnes et même ailleurs. Sauf que pour Makhno c’est faux et la « Makhnovchtchina »a, à plusieurs reprises, condamné et fusillé les manifestations d’antisémitisme sans pour autant perdre sa popularité chez les paysans. On sait aussi qu’il s’est engagé nettement contre Simon Petlioura dont les campagnes antisémites sont notoires.

La Makhnovchtchinafut un mouvement révolutionnaire autonome de paysans largement influencé par les anarchistes dont le plus célèbre est Makhno. Ils ont constitué des entreprises agricoles sur les terres récupérées des Koulaks et pour certaines des entreprises autogérées. Mais leurs appréciations de la situation de l’encerclement de l’URSS étaient faibles et n’entraient pas en considération alors que c’était un des points majeurs des préoccupations de la direction du parti Bolchevik. Il faut dire aussi que les méthodes brutales de la Tcheka ne les aidaient pas.

C’est où, c’est quoi, c’est quand, c’est qui ?

L’Ukraine est alors un pays très différent des autres provinces russes. C’est un pays agricole riche, suscitant la convoitise de ses voisins. Il est marqué par un fort esprit d’indépendance vis-à-vis de ses voisins qui l’ont occupé pendant des siècles (les Polonais et les Russes). Esprit d’indépendance allant parfois jusqu’à un nationalisme exacerbé avec une tradition de « Volnitza » (vie libre) qui freina l’implantation des différents partis politiques.


Image
Carte de la zone d’influence de l’Armée révolutionnaire insurrectionnelle ukrainienne dite « Makhnovchtchina ».


Avec l’abdication du tsar en mars 1917, et alors que Kérensky prenait la tête du gouvernement provisoire en Grande-Russie, on avait vu s’établir en Ukraine un pouvoir parallèle dirigé par la petite bourgeoisie nationaliste, désireuse de recréer un État indépendant.

Ce mouvement, animé par Vinitcheuko et Petlioura, s’établit surtout dans le nord du pays, alors que dans le sud les masses paysannes, sous l’influence des groupes anarchistes, s’en détachaient pour former un courant révolutionnaire qui, en décembre 1917 et janvier 1918, expulsa les gros propriétaires et commença à organiser lui-même le partage et la mise en valeur des terres.

Mais tout fut remis en question lorsque, le 3 mars 1918, les Bolcheviks signèrent le traité de Brest-Litovsk qui permettait aux armées austro-allemandes d’entrer en Ukraine.

Celles-ci rétablirent aussitôt les nobles et les propriétaires fonciers dans leurs privilèges afin de s’assurer la neutralité de la région. La nomination du commandant en chef des armées à la tête de la Rada centrale (Parlement) marqua un véritable le retour au tsarisme. Les propriétaires chassés peu de temps auparavant se hâtèrent, par esprit de vengeance, de resserrer leur étreinte sur les paysans, qui subissaient par ailleurs le brigandage des troupes d’occupation.

Devant cette répression impitoyable, le pays se dresse dans un mouvement insurrectionnel des paysans et des ouvriers et va se déclarer pour la « révolution intégrale » sans que le programme en soit très défini. On assiste à une organisation de corps de francs-tireurs par les paysans eux-mêmes. C’est l’Armée révolutionnaire insurrectionnelle ukrainienne dite « Makhnovchtchina« .

Mais les représailles de la Rada ukrainienne, appuyée par les troupes austro-allemandes, vont être sanglantes (juin-juillet-août 1918). La nécessité d’une certaine unification face à la répression se faisant sentir, ce sera le groupe anarchiste de Goulaï-Polé qui en prendra l’initiative.

Le mouvement prend alors un caractère différent : il se débarrasse aussitôt de tous les éléments non travailleurs et des préjugés nationaux, religieux ou politiques. Non seulement il lutte contre la réaction, mais il s’engage dans une voie antiautoritaire très influencée par les groupes anarchistes et en premier lieu celui de Gouliaï-Polié, duquel va se détacher un animateur de premier ordre Nestor Ivanovitch Makhno.

Makhno est né le 27 octobre 1889 à Gouliaï-Polié dans le Sud de l’Ukraine d’une famille de paysans pauvres. Au lendemain de la révolution manquée de 1905, il intègre un groupe anarcho communiste. Il est condamné à mort en 1910 pour avoir fomenté un attentat contre le poste de police. (Sa peine est commuée en travaux forcés à perpétuité). Durant son incarcération il s’instruit et perfectionne sa formation politique. La révolution de 1917 lui rend la liberté.

De retour à Gouliaï-Polié Makhno fonde une Union paysanne et procède à l’expropriation des grands domaines agricoles et des usines, dans la région qu’il contrôlait, établissant des communes rurales autonomes. Chaque commune était dotée d’une superficie de terre correspondant à ce que ses membres pouvaient cultiver.

Le traité de Brest-Litovsk signé entre l’URSS et l’Allemagne laissait l’Ukraine aux Austro-Hongrois puis, après la chute de « l’entente », aux mains des nationalistes ukrainiens alliés avec les blancs (Denikine), les forces anglaises et les Polonais qui luttaient contre l’armée rouge.

De 1918 à 1921 l’Union paysanne lutta d’abord contre les Allemands (après la signature du traité de Brest-Litovsk), puis contre les blancs de Denikine et leurs alliés anglais après la défaite de l’entente en alliance avec l’armée rouge.

Des combats incessants vont avoir lieu pendant des années au rythme des flux et reflux des divers combattants : troupes d’occupation austro-allemandes, bandes de l’Hetman Skoropadsky, armées blanches de Denikine puis celles de Wrangel, s’emparant des villes, les reperdant, multipliant les massacres, les pogroms, les pillages.

Personnage hors du commun, très controversé, vénéré comme une icône par les anarchistes du monde entier, mais quasiment ignoré de l’Histoire officielle, il reste très difficile à cerner en raison du manque de sources écrites directes et fiables, le concernant. On ne dispose pratiquement que des livres émanant des deux seuls intellectuels de ce mouvement : celui de Pierre Archinov et surtout celui de Voline, La révolution oubliée. Makhno lui-même a entrepris, à Paris, la rédaction de ses mémoires, mais il est mort en 1934 avant d’avoir pu aller au-delà du récit de ses années de jeunesse. Il a, toutefois, laissé un certain nombre d’articles parus dans une revue libertaire publiée à Paris en langue russe.

L’Ukraine et la Russie : une relation coloniale et économique.

La question de l’indépendance de l’Ukraine par rapport à la Russie fut vite un problème. Les bolcheviks ne voulaient pas se séparer de leur grenier à blé et la guerre civile posait durement la question du ravitaillement.

Les éléments d’intervention de l’Armée rouge se livreront dans le pays à de brutales répressions. La Tcheka fit régner un tel régime de terreur chez les paysans ukrainiens que le gouvernement soviétique dut se résoudre à constituer une commission, spécialement chargée d’enquêter sur les agissements en Ukraine de cet organisme policier, sinistre instrument de la terreur rouge qui souvent ne respectait pas les règles fixées par les bolcheviks eux même.

En 1918, le pouvoir bolchevique se sentant assez fort supprime les opposants libertaires puis les socialistes révolutionnaires. Makhno venu s’informer à Moscou (voir le compte rendu qu’il donne de sa rencontre avec Sverdlov et Lénine) de la conduite à tenir dans sa province n’eut pas de réponse satisfaisante. Il résolut donc de mettre en pratique sa propre solution : la guerre des paysans. Si le mouvement Makhnoviste ne pouvait espérer aucun secours du gouvernement de Moscou, en revanche il était en droit de compter sur une aide de la part des groupes anarchistes des villes.

Makhno avait conscience de la difficulté de mettre en place une armée insurrectionnelle. Il savait que l’organisation d’une armée, avec ce que cela entraîne comme structures militaires, constituait un phénomène sans précédent et paradoxal dans la conception et l’application des idées anarchistes. Certes, cette armée avait fonctionné à partir des principes de démocratie directe : volontariat, élection et révocation par la base des responsables et commandants à tous niveaux, autonomie des détachements et des régiments, enfin symbiose totale avec la population laborieuse dont cette armée était l’émanation. Cependant il y avait un État-major central, où Makhno avait joué un rôle primordial, et un noyau dur et dynamique du mouvement, tant politiquement que militairement, composé par des anarchistes et surtout par les membres du groupe communiste libertaire de Gouliaï-Polié et qui formait une avant-garde. Makhno concevait cette avant-garde au sens littéral du terme, à savoir que ses membres devaient se trouver aux avant-postes de la lutte et donner l’exemple.

L’avant-garde des insurgés makhnovistes avait pris l’initiative de la lutte armée et de la détermination de ses objectifs ; les instances suprêmes de la population ayant été représentées par les soviets libres, leurs assemblées et congrès. Cette avant-garde-là était donc placée au cœur même de la masse et non au-dedans ou au-dessus. La différence est de taille.

Durant ses années d’exilés Makhno revint sur le rôle de l’organisation. Il en tira comme conclusion qu’une des grandes raisons de l’échec du mouvement de la Makhnovchtchina était que celle-ci n’avait pas su mettre en place une grande organisation spécifique, capable d’opposer ses forces vives aux ennemis de la révolution. Il conçoit donc un mode organisationnel qui puisse accomplir les tâches de l’anarchisme, non seulement lors de la préparation de la révolution sociale, mais également à ses lendemains. Et il conclut que l’anarchisme ne peut plus rester enfermé dans les limites étriquées d’une pensée marginale et revendiqué uniquement par quelques groupuscules aux actions isolées. L’anarchie doit se munir de moyens nouveaux et emprunter la voie de pratiques sociales. Cette réflexion aura une influence sur les libertaires espagnols de Catalogne et d’Aragon.

Malheureusement, les préjugés anti organisationnels, profondément ancrés dans les milieux libertaires, ne permirent pas à la Makhnovchtchina de sortir de son isolement. Comment faire admettre aux intellectuels et théoriciens anarchistes que la guerre, avec la stricte organisation qu’elle implique, pouvait passer pour un moyen d’action compatible avec les finalités de l’anarchie ?

Makhno pratiqua une guérilla terriblement efficace avec son armée de plus de 20 000 hommes, équipée en partie grâce à des armes prises à l’ennemi contre les armées blanches de Denikine et Wrangel. Malgré cela, l’implantation d’une société paysanne libertaire dans la région contrôlée par Makhno, de même que l’autonomie des makhnovistes, portait trop ombrage à un pouvoir central de plus en plus jaloux de ses prérogatives pour être tolérées plus longtemps.

Un conflit sanglant ne tarda pas à éclater entre les partisans de Makhno et l’Armée rouge. Après la prise de Gouliaï-Polié par les rouges, Makhno s’enfuit avec une poignée de cavaliers. Traqué, malade, blessé il parvint pourtant à échapper à ses poursuivants. Il trouve exil en France ou il mourut en 1934. L’aventure de la Makhnovchtchina subit les condamnations des propagandistes et des historiens soviétiques. L’image de l’anarchiste ukrainien est singulièrement floue. D’autant plus que la Makhnovchtchina, née de la Révolution et de la guerre civile, tient à la fois de la guerre d’indépendance et du mouvement libertaire, deux types d’action difficiles à concilier. Ce qui est sûr, c’est que Makhno, chef de guerre, fut tout autant un anarchiste authentique, conscient de l’importance primordiale de la liberté sociale. À la manière de ce qui se produira plus tard dans l’Espagne de la guerre civile, Makhno réussi à installer en Ukraine un embryon de société rurale libertaire.

Pour poursuivre la lecture:
◾ Mon entretien avec Sverdlov https://www.marxists.org/francais/gener ... makhno.htm
◾ Mon entretien avec Lenine https://www.marxists.org/francais/gener ... makhno.htm

http://www.autogestion.asso.fr/?p=4404
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Re: Nestor Makhno BD, film documentaire, archives

Messagede bipbip » 01 Nov 2016, 18:58

La lutte pour les soviets libres en Ukraine
Tracts makhnovistes

Présentation
I - À toute la population laborieuse de la ville d’Alexandrovsk et de ses environs.
II - Déclaration de l’Armée révolutionnaire insurrectionnelle d’Ukraine (makhnoviste).
III - CAMARADES PAYSANS !
IV - ADRESSE AUX PAYSANS ET AUX OUVRIERS D’UKRAINE
V - QUI SONT LES MAKHNOVISTES ET POUR QUOI COMBATTENT-ILS ?
1. Les makhnovistes
2. Pourquoi nous appelons-nous makhnovistes ?
3. Comment se manifeste selon nous le sens de toute émancipation ?
4. Quelle est la conception du régime soviétique des makhnovistes ?
5. Quels sont les moyens employés par les makhnovistes pour atteindre ces fins ?
VI - AUX CAMARADES DE L’ARMÉE ROUGE DU FRONT ET DE L’ARRIÈRE !
VII - À BAS LE COMBAT FRATRICIDE !
VIII - À TOUS LES TRAVAILLEURS DE LA CHARRUE ET DU MARTEAU !
IX - AUX JEUNES GENS !
X - ADRESSE DES MAKHNOVISTES AUX COSAQUES TRAVAILLEURS DU DON ET DU KOUBAN
XI - CAMARADES SOLDATS ROUGES !
XII - ARRÊTE-TOI ! LIS ! REFLECHIS !
XIII - APPEL !
XIV - OUVRIERS, PAYSANS ET SOLDATS ROUGES !

... https://fr.theanarchistlibrary.org/libr ... en-ukraine
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Re: Nestor Makhno BD, film documentaire, archives

Messagede Pïérô » 01 Nov 2016, 22:51

Résistances anarchistes en URSS dans les années 1920-1930.

L'écrasement définitif des anarchistes russes est communément daté de 1921. Cette année-là, le mouvement makhnoviste est vaincu par l'Armée Rouge, et la Commune de Kronstadt, dernier sursaut de l'esprit libertaire de 1917, est noyée dans le sang par Trotsky et consorts. La plupart des ouvrages traitant de l'anarchisme en Russie et de son histoire s'arrêtent à cette date ou ne traitent que très superficiellement les années suivantes, sans jamais aller plus loin que 1937, année qui voit la disparition des grandes figures de la révolution. Mais l'activité des anarchistes en U.R.S.S. n'a jamais cessé jusqu'à nos jours, bien que très réduite et que souvent, de par la nature même du régime soviétique, son théâtre habituel fut la prison ou le camp.

Après 1921, toute propagande anarchiste est sévèrement réprimée, hormis quelques exceptions tolérées par le régime et destinées à lui conférer une image libérale : les librairies et les éditions Golos Trouda de Moscou et de Pétrograd, la Croix Noire anarchiste et le musée Kropotkine. Les éditions Golos Trouda publient ainsi les oeuvres complètes de Bakounine et un livre d'Alexis Borovoï sur l'anarchisme en Russie. Le musée Kropotkine ouvre en 1921, après la mort du célèbre anarchiste, dans sa maison de Moscou, à l'instigation d'un groupe d'anarchistes et de sa veuve. Enfin une organisation, la Croix Noire, qui a pour but de secourir les anarchistes emprisonnés, est, elle aussi, tolérée, mais son activité est très faible. Ces institutions sont autorisées par le pouvoir soviétique uniquement parce qu'il y trouve intérêt. Elles n'existent ou ne sont actives qu'à Leningrad et à Moscou, vitrines de l'U.R.S.S. vers l'étranger.

... http://ucl-saguenay.blogspot.fr/2016/10 ... es-en.html
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Re: Nestor Makhno BD, film documentaire, archives

Messagede bipbip » 24 Déc 2016, 12:22

Nestor Makhno

L’idée d’égalité et les Bolcheviks

Le XIVème congrès du Parti Communiste Russe à fermement condamné l’idée d’égalité. Avant le congrès, Zinoviev s’était référé à cette idée dans sa polémique contre Oustrialov et Boukharine. Il avait alors déclaré que toute la philosophie de notre époque était nourrie par l’aspiration à l’égalité. Kalinine est intervenu avec force contre cette thèse, en estimant que toute référence à l’égalité ne pouvait être que nocive et intolérable. Il a raisonné de la manière suivante :

"Peut-on parler d’égalité aux paysans ? Non, ce n’est pas possible car, dans ce cas, il se mettraient à exiger les même droits que les ouvriers, ce qui serait en complète contradiction avec la dictature du prolétariat.

Peut-on parler d’égalité aux ouvriers ? Non, c’est pas non plus possible, car, par exemple, si un emploi identique est occupé par un communiste et un sans parti, la différence tient en ce que le premier touche un salaire double du second. Reconnaître l’égalité permettrait au sans parti de toucher le même salaire que celui d’un communiste. Est-ce convenable, camarades ? Non, cela ne l’est pas.

Peut-on encore appeler les communistes à l’égalité ? Non, ce n’est pas non plus possible, car eux aussi occupent des places différentes, tant par leurs droits que par leur situation matérielle."

A partir de toutes ces considérations Kalinine a conclu que l’utilisation du terme "égalité" par Zinoviev ne pouvait qu’être démagogique et nocive. Dans sa réponse, Zinoviev a déclaré à son tour que, s’il avait parlé d’égalité, c’était dans un tout autre sens. Quant à lui, il n’avait dans la tête que "l’égalité socialiste", c’est à dire celle qui devra exister un jour, dans un avenir plus ou moins proche. Pour l’instant, tant que la révolution mondiale n’est pas accomplie et comme on ne sait quand elle se réalisera, il ne saura être question de quelque égalité que ce soit. En particulier, aucune égalité des droits ne pourra exister, car elle risquerait alors de nous entraîner vers des déviations "démocratiques" très dangereuses.

Cette entente sur l’idée d’égalité n’a pas été traduite par une résolution du congrès. Mais, sur le fond, les deux parties qui se sont affrontées au congrès ont estimé également intolérable l’idée d’égalité.

En d’autres temps, il n’y a pas si longtemps, les bolcheviks on tenu un tout autre langage. C’est sous l’étendard de l’égalité qu’ils ont agi pendant la grande Révolution russe, pour le renversement de la bourgeoisie, en commun avec les ouvriers et les paysans, aux dépends desquels ils sont parvenus à la domination politique du pays. C’est sous cet étendard que, depuis huit de règne sur la vie et la liberté des travailleurs de l’ancienne Russie - dénommée désormais "Union des Républiques Soviétiques Socialistes" - les tsars bolcheviks ont voulu convaincre cette "Union", opprimés par eux, ainsi que les travailleurs d’autres pays qu’ils ne domines pas encore, que s’ils ont persécuté, laissé pourrir en prison et en déportation et assassiné leurs ennemis politiques, c’était uniquement au nom de la révolution, de ces fondements égalitaires, introduits prétendument par eux dans la révolution, et que leurs ennemis auraient voulu détruire.

Le sang des anarchistes coule bientôt depuis huit ans, parcequ’ils n’ont pas voulu s’incliner servilement devant la violence et l’impudence de ceux qui se sont emparé du pouvoir, ni devant leur idéologie notoirement mensongère et leur totale irresponsabilité.

Dans cet acte criminel, acte que l’on ne peut qualifier autrement que de débauche sanglante des dieux bolchéviks, meilleurs fils de la révolution ont péri, parcequ’ils étaient les plus fidèles porteurs des idéaux révolutionnaires et parcequ’ils n’ont pu être acheté pour les trahir. défendant honnêtement les préceptes de la révolution, ces fils de la révolution ont aspiré à éloigner la folie des dieux bolcheviks et à sortir de leur cul-de-sac, afin de frayer la voie à la véritable liberté et à une authentique liberté des travailleurs.

Les potentats bolchéviks se sont vites aperçu que les aspirations de ses fils de la révolution signifierait pour eux la fin de leur folie et surtout des privilèges qu’ils ont habilement hérité de la bourgeoisie renversée, puis traîtreusement renforcé en leur faveur. C’est pour cela qu’ils ont condamné à mort les révolutionnaires. Des hommes à l’âme d’esclave les ont soutenus et le sang à coulé. Il continue à couler depuis huit ans et on se demander au nom de quoi ? Au nom de la liberté et de l’égalité des travailleurs, disent les bolcheviks, en continuant à exterminer des milliers de révolutionnaires anonymes, combattants de la révolution sociale, étiquetée "bandits" et "contre révolutionnaires". Par ce mensonge éhonté, les bolchéviks ont masqué aux yeux des travailleurs du monde entier le véritable état des choses en Russie, en particulier leur banqueroute complète dans l’édification socialiste, banqueroute qu’ils ne veulent reconnaître jusqu’à maintenant, alors qu’elle est plus que flagrante pur tous ceux qui ont des yeux pour voir.

Les anarchistes ont signalé à temps aux anarchistes de tous les pays les crimes bolcheviks dans la révolution russe. Le bolchevisme incarnant l’idéal d’un état centralisateur, est apparu comme l’ennemi mortel de l’esprit libre des travailleurs révolutionnaires. Usant de mesures inouïes, il a saboté le développement de la révolution et sali l’honneur de ce qu’il y avait de meilleur en elle. Se masquant avec succès, il a dissimulé au regard des travailleurs son vrais visage, en se donnant pour le champion de leurs intérêts. Ce n’est que maintenant, après huit ans de règne, en se rapprochant de plus en plus de la bourgeoisie internationale, qu’il commence à ôter son masque révolutionnaire et à dévoiler devant le monde du travail le visage d’un rapace exploiteur.

Les bolcheviks ont abandonné l’idée d’égalité, non seulement en pratique, mais aussi en théorie, car la seule expression leur paraît maintenant dangereuse. C’est assez compréhensible, toute leur domination repose sur une idée diamétralement opposée, sur une inégalité criante, dont toute l’horreur et les maux se sont abattus sur le dos des travailleurs. Souhaitons que les travailleurs de tous pays en retirent les conclusions nécessaires et, à leur tour, en finissent avec les bolcheviks, porteurs de l’idée de l’esclavage et oppresseur du Travail.

https://fr.theanarchistlibrary.org/libr ... bolcheviks
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Re: Nestor Makhno BD, film documentaire, archives

Messagede bipbip » 15 Jan 2017, 15:31

Ce dimanche 15 janvier 2017 à Paris

Projection débat
« Nestor Makhno et la révolution en Ukraine »

à 17h, Bibliothèque La Rue, 10, rue Robert-Planquette

Nestor Ivanovitch Makhno vint au monde le 26 octobre 1889 à Goulaï-Polié et mourut à Paris le 25 juillet 1934. Figure de l'anarchisme, il fonda l'Armée révolutionnaire insurrectionnelle ukrainienne qui, après la révolution d'Octobre et jusqu'en 1921, combat à la fois les Armées blanches tsaristes et l'Armée rouge bolchévique.

Parallèlement aux combats, une partie des habitants d'Ukraine s'organisent pour vivre et travailler selon les principes du communisme libertaire. Ce territoire libre dura trois ans et comptait environ sept millions de personnes.

Ce documentaire produit par La Parole Errante revient sur cette épisode, qui reste un moment fort dans l'histoire de l'anarchisme.

https://paris.demosphere.eu/rv/52066
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Re: Nestor Makhno BD, film documentaire, archives

Messagede Pïérô » 29 Jan 2017, 02:03

Souvenirs sur Nestor Makhno
Ida Mett


La veille de la guerre, j’ai mis sur papier mes souvenirs personnels sur Makhno tels que je l’ai connu dans le temps à Paris. Ces souvenirs ont été perdus pendant la guerre. Maintenant, ayant lu ce qu’a écrit à son sujet Voline dans son livre sur la révolution russe, je me décide d’écrire de nouveau ces brefs souvenirs dans l’intérêt de la vérité historique.

Évidemment il aurait fallu connaître Makhno durant l’époque de sa » grandeur » là-bas, en Ukraine, pour donner son portrait complet. Mais en réalité, comment savoir, quand il se présentait sous son jour réel – durant la période de sa gloire pan ukrainienne ou à Paris en tant qu’émigré pauvre dans un pays étranger. Je pense que l’histoire a besoin tout d’abord de vérité, et justement, cette vérité d’une période de sa vie, je vais tâcher de l’exposer.

Dans le temps, durant la guerre civile, quand l’Ukraine était pleine de légendes de toutes sortes sur Makhno et la » makhnovchtchina « , quand l’agence télégraphique » Rosta » annonçait tous les quelques jours qu’il était prisonnier des rouges, moi, jeune étudiante qui rêvais des actes héroïques et de la vie en archi-liberté, je m’imaginais Makhno comme une espèce de bogatyr (héros épique russe) – grand, fort, courageux, sans crainte et sans calcul – lutteur pour la vérité populaire. Je me souviens aussi qu’en Ukraine on disait que Makhno était un ancien instituteur d’école primaire. Et voilà qu’en automne 1925 je viens à Paris et j’apprends que Makhno est à Paris lui aussi, et j’attends avec impatience l’occasion de le voir. Peu de temps après j’ai eu l’occasion de le rencontrer, c’était dans sa petite chambre d’hôtel où il habitait avec sa femme et son enfant. L’impression était totalement contraire à l’image que je me suis faite auparavant : c’était un homme de petite taille, d’aspect malingre, près duquel on pouvait passer sans le remarquer. Plus tard j’ai eu l’occasion de le rencontrer souvent. Et lui-même et son rôle dans la guerre civile devenaient plus compréhensibles quand on le connaissait de près.

J’aurais dit que l’essentiel de son être constituait le fait qu’il était et restait un paysan ukrainien. Il n’était nullement un homme insouciant, au contraire, c’était dans le tréfonds de son âme un paysan économe, qui connaissait parfaitement la vie de la campagne et les espoirs de ses habitants.

Lorsque de sa prime jeunesse, il devint révolutionnaire et terroriste, il exprimait là aussi l’esprit dominant de son époque et de son milieu – il était fils d’une famille nombreuse très pauvre d’un ouvrier agricole. Ensemble avec quelques amis, il se mit à fabriquer des bombes dans le même récipient dans lequel sa mère d’habitude brassait de la pâte. Quelle ne fut l’horreur de sa mère quand elle a vu le récipient faisant explosion et sautant hors du gros four. Bientôt après ce petit incident tragi-comique, le jeune Makhno fait un attentat contre un fonctionnaire de la police locale et est condamné à mort. Mais il n’a que dix-sept ans et les démarches de sa mère aboutissent à ce que cette condamnation soit mutée contre un emprisonnement pour la vie. Ainsi reste-t-il en prison de Boutyrki jusque la révolution de 1917.

Or les Boutyrki étaient à cette époque une sorte d’université révolutionnaire. Souvent de tout jeunes hommes y entraient ignorant presque toutes des théories révolutionnaires et c’est dans cette prison qu’ils acquéraient, des camarades plus âgés et des intellectuels, des connaissances qui leur manquaient. Makhno aussi apprit beaucoup dans la prison, mais ayant un caractère peu conciliant, il était en lutte perpétuelle avec les autorités pénitentiaires ce qui lui valait assez souvent d’être mis au cachot et le rendait encore plus aigri. Il me semble que de la prison de Boutyrki il a apporté aussi une certaine dose d’hostilité envers les intellectuels, envers qui il avait aussi un certain degré de jalousie. Mais il avait en lui une vraie et saine soif du savoir et une estime pour celui-ci. Il racontait souvent la légende qui était répandue en Ukraine à son sujet : il paraissait qu’une fois, en recevant une délégation des cheminots, Makhno leur avait dit qu’il n’en avait plus besoin, car il aurait l’intention de remplacer les chemins de fer par des » tatchankis » (charrettes en usage en Ukraine). Voilà quelles canailles ! qu’est-ce qu’ils ont inventé, s’indignait-il.

Il est entré à Boutyrki en 1908 ou 1909 et vers 1914 il avait déjà eu le temps d’entendre beaucoup de choses et beaucoup réfléchir. Quand la guerre de 14 éclate, la grande partie des prisonniers politiques de cette prison sont devenus partisans de la défense nationale ; alors Makhno avait fabriqué tout seul un tract défaitiste et l’a lancé à travers la prison. Ce tract commençait par les paroles suivantes : « Camarades, quand est-ce que vous cesserez d’être des gredins? ». Cette feuille a eu un certain retentissement et des vétérans de la révolution, comme le socialiste révolutionnaire Minor ont commencé leur petite enquête pour savoir qui a osé rédiger cet appel. Cet épisode m’a été raconté par Makhno lui-même et confirmé par son camarade de prison, Pierre Archinov.

La révolution de février 1917 a ouvert les portes aussi pour ce prisonnier qui se trouve ainsi en liberté à l’âge de vingt-cinq ans. Armé d’un certain bagage
Intellectuel conquis dans l’université révolutionnaire de Boutyrki. Il reste très peu de temps à Moscou et se dépêche à venir dans son village natal Gouliaï- Polié où habitait toute sa famille, et bientôt le jeune révolutionnaire se jette-t-il dans l’abîme radieux de l’Ukraine révolutionnaire.

Il jouit d’une grande autorité parmi les paysans de son village et organise des groupes anarchistes parmi les paysans de la localité, de sorte que quand plus tard il essaie d’écrire une histoire du mouvement makhnoviste, c’est à ces groupes qu’il reconnaît le rôle d’initiateurs du mouvement des partisans et nie l’influence sur ce mouvement d’anarchistes du dehors. Il les appelle des « artistes en tournée » et les accuse de n’avoir rien donné au mouvement. Et si, d’après lui, le mouvement avait quand même un caractère anarchiste, ce cachet lui était donné personnellement par lui Makhno et par les groupes de paysans organisés par lui.

Makhno était-il un homme honnête désirant du bien au peuple ou fut-il un élément fortuit tombé par hasard dans la mêlée? Je pense que sa bienveillance sociale fut sincère et hors de tout doute. Il était un politicien à talent inné et se lançait dans des stratagèmes qui étaient souvent hors de proportions avec ses connaissances politiques limitées. Cependant je crois que dans le rôle de vengeur populaire il fut parfaitement à sa place. Quant à la question de savoir ce que lui et sa classe voulaient et espéraient, cela était en effet le point faible du mouvement makhnoviste. Mais ce point faible était commun à toute la Russie paysanne des camps différents. Ils voulaient la liberté, la terre, mais comment utiliser ces deux choses, c’était plus difficile à établir. Ce même point faible explique en partie le fait que la paysannerie russe n’a pas su plus tard s’opposer résolument au nouveau servage introduit par Staline.

Je me souviens comment Nestor Makhno exprima une fois en ma présence un rêve qu’il aurait voulu voir se réaliser. C’était en automne 1927, pendant une promenade au bois de Vincennes. Le temps était magnifique. Sans doute l’ambiance de la campagne avait poétisé son état d’âme et il improvisa son récit rêve : le jeune Mikhnienko (le vrai nom de Makhno) retourne dans son village natal Gouliaï-Polié et commence à travailler la terre et mener une vie régulière et paisible, il se remarie avec une jeune villageoise. Son cheval est bon, l’attelage également. Le soir il retourne doucement avec sa femme de la foire où ils sont allés pour vendre leur récolte. Maintenant ils sont en train d’apporter des cadeaux achetés en ville. Il était tellement passionné de son récit qu’il avait complètement oublié qu’il n’était pas à Gouliaï-Polié, mais à Paris, qu’il n’avait ni terre ni maison ni jeune femme. En réalité, il ne vivait pas avec sa femme ces années-là, ou plus exactement, ne vivait de nouveau plus, car ils se séparaient plusieurs fois et se mettaient de nouveau à vivre ensemble, Dieu sait pour quelle raison. Ils étaient étrangers l’un pour l’autre moralement et peut-être même physiquement. À cette période, elle ne l’aimait certainement pas et qui sait si elle l’aimait jamais. C’était une institutrice ukrainienne, plutôt apparentée par l ‘esprit au mouvement petlourien, et n’avait jamais rien de commun avec le mouvement révolutionnaire.

J’ai lu quelque part que Makhno devint révolutionnaire sous l’influence d’une institutrice qui est devenue après sa femme. C’ est une invention absolue. Sa femme Galina Kouzmienko, il l’avait connue quand il était déjà le batko Makhno ; elle était tentée par le rôle de femme de l’ataman tout puissant de l’Ukraine. Elle n’était pas d’ailleurs la seule femme qui faisait la cour au batko. Etant à Paris il me racontait qu’à cette période de sa vie, les gens rampaient devant lui et il aurait pu avoir n’importe quelle femme, car grande était sa gloire, mais qu’en réalité, il n’avait pas de temps libre à consacrer à sa vie personnelle. Il me le racontait pour réfuter la légende des orgies qui auraient été soi-disant organisées par lui et pour lui. Voline dans son livre raconte les mêmes bobards. En réalité Makhno était un homme vierge ou plutôt pur. Quant à ses rapports aux femmes, j’aurais dit qu’il se combinait en lui une espèce de simplicité paysanne et un respect pour la femme, propres aux milieux révolutionnaires russes du commencement du siècle. Parfois il se rappelait avec un regret sincère de sa première femme, une paysanne de son village natal qu’il avait mariée après sa libération en 1917. Il a eu même un enfant de ce mariage, mais sous l’occupation allemande il se cachait ailleurs et la femme, étant averti par quelqu’un qu’il était tué, se maria de nouveau. L’enfant était mort et ils ne se sont plus rencontrés.

Sur sa joue droite Makhno avait une énorme cicatrice qui arrivait jusqu’à la bouche même. C’est sa seconde femme, Galina Kouzmienko, qui tentait de le tuer pendant qu’il dormait. C’était encore en Pologne, et il semble que c’était en rapport avec un roman qu’elle aurait eu avec un officier petlourien. J’ignore ce qui a été la cause immédiate de cet acte. Très souvent devant le monde, elle faisait son possible pour le compromettre et le blesser moralement. Ainsi une fois, en ma présence, elle a dit au sujet d’une personne : c’était un vrai général, pas comme Nestor, en voulant souligner qu’elle ne le considérait pas comme tel. Or elle savait que lors de la présence de Makhno en Roumanie, le gouvernement roumain lui rendait des honneurs correspondants à ce rang.

A Paris Galina Kouzmienko travaillait tantôt comme femme de ménage tantôt comme cuisinière et considérait que la nature l’avait créée pour une vie meilleure. En 1926- 1927 elle avait écrit à Moscou en demandant au gouvernement de pouvoir entrer en Russie. Pour autant que je sache Moscou a rejeté cette demande. Il me semble qu’après elle vivait de nouveau maritalement avec Makhno. Je ne crois pas qu’il lui avait pardonné cette demande, je pense plutôt qu’ils ont agi tous les deux en vertu d’une faiblesse morale. Après la mort de Makhno, elle est devenue la femme de Voline et ensemble avec ce dernier, elle avait commis la plus grande saleté morale : tous deux, ils ont dérobé d’en dessous l’oreiller mortuaire de Makhno son journal intime et l’ont fait disparaître. Or ce journal Makhno l’avait écrit durant toute sa vie en émigration et y donnait son avis sur ses camarades d’idée et sur leur activité : je peux l’affirmer, car en 1932 Makhno m’a fait savoir qu’il aurait voulu avoir mon opinion sur un épisode dont j’étais témoin, ceci pour vérifier l’exactitude de son inscription dans son journal intime. Il paraît que sous l’occupation allemande en France, Galina Kouzmienko était devenue intime avec un officier allemand et puis elle est allée avec sa fille à Berlin où elle a été tuée pendant un bombardement. Il se peut que ce n’est pas vrai non plus et qu’elle vit encore quelque part, peut-être même en Russie.

Makhno aimait sa fille passionnément. Je ne sais pas quels étaient leurs rapports à la fin de sa vie, mais quand sa fille était petite et se trouvait sous sa surveillance, il satisfaisait tous ses caprices ; mais parfois, étant énervé il la battait après quoi il était presque malade à l’idée même qu’il l’avait battue. Il rêvait qu’elle devienne une intellectuelle. J’ai eu l’occasion de la voir après la mort de Makhno ; elle avait dix-sept ans et ressemblait physiquement beaucoup à son père, mais elle ne connaissait pas grand-chose sur lui et je ne sais pas si elle était très curieuse de le connaître.

Quant aux rapports de Makhno avec Voline, je peux certifier que non seulement il n’aimait pas Voline, mais qu’il n’avait pour lui aucune estime le considérant comme un homme sans valeur et sans caractère. Il me disait plusieurs fois qu’en Ukraine Voline s’empressait à faire des courbettes auprès de lui et n’osait jamais exprimer une opinion indépendante en présence du batko. Ainsi dans l’état-major makhnoviste fut exécuté un envoyé des rouges, un certain Polonski. Certains membres de l’état-major en furent mécontents. Et voilà que vient de quelque part Voline. On lui raconte cet épisode, mais lui en réplique ne fit que demander : et batko est-il d’accord? Si oui je ne veux même pas discuter la question. Il se trouvait que Makhno était dans la chambre voisine et dans un état de semi-ivresse. En entendant la conversation il entra dans la chambre où se trouvait Voline et lui dit : alors tu es d’accord qu’on avait fusillé un homme sans avoir demandé pour quelle raison il fut exécuté? Et même si le batko était d’accord, ne pouvait-il pas se tromper, et s’il était ivre quand il l’a fait fusiller, alors quoi? Voline n’osa plus rien dire. Par contre à Paris, quand Makhno vivait dans la miSère et dans l’abandon, tout le monde critiquait son passé et son activité en Ukraine, tandis que là-bas les mêmes gens ne trouvaient pas de courage pour exprimer leur opinion. Makhno était assez intelligent pour s’en rendre compte, et payait aux auteurs de ces critiques par une haine implacable. Par ailleurs, quand on lui disait la vérité franchement il semblait être offensé, mais je suis sûre qu’au tréfonds de son âme Makhno estimait de telles gens, car il était capable à une certaine objectivité. Cependant de mon expérience personnelle j’aurais pu déduire le contraire : ainsi il m’est arrivé une fois de copier à la machine ses mémoires. Au cours de ce travail j’ai constaté que des données d’un intérêt historique véritable ont été mélangées avec des textes des discours de meetings prononcés durant les premiers mois de la révolution, ne contenant rien d’original et ne méritant donc pas d’être cité. Qui et comment les avait-on enregistrés en 1917 pour pouvoir être cités textuellement? En ce temps on a prononcé de tels discours par milliers. Je n’ai pas manqué de dire à Makhno que quoique ses mémoires soient très intéressantes, on ne peut pas de cette manière écrire un livre, qu’ il faut choisir les faits et documents les plus importants et les concentrer pour pouvoir en faire un seul livre, tandis que lui avait déjà écrit deux, et avec ça il n’était pas encore arrivé jusqu’au mouvement makhnoviste lui-même, c’était toujours encore les préliminaires. Il m’a écouté attentivement, mais n’a jamais suivi mon conseil. Il est vrai que je n’étais pas grande diplomate : je lui ai dit – vous êtes un grand soldat, mais pas un grand écrivain. Demandez quelqu’un de vos amis, par exemple, Marie Goldsmith de concentrer vos mémoires. Mais non seulement qu’il n’avait pas suivi le conseil, mais il ne m’a jamais pardonné d’avoir donné celui-ci. Il se peut cependant que les dernières années de sa vie il se rappela de mon conseil, car il arriva malheureusement ce que j’ai prévu son livre sur le mouvement makhnoviste n ‘a Jamais été écrit. En effet un ami français avait proposé à Makhno une aide matérielle poUr qu’il puisse écrire ses mémoires, mais vu qu’on ne prévoyait pas la fin de ce travail, l’ami avait coupé l’aide. Alors Makhno était obligé de gagner sa vie et les mémoires n’ont évidemment pas été terminées. Plus tard il vivait dans une misère terrible qui ne le disposait pas à écrire.

Makhno était-il antisémite? (1) Je ne le pense pas du tout. Il croyait que les Juifs étaient un peuple capable et intelligent, peut-être était-il quelque peu jaloux d’eux, mais il n’y avait pas d’animosité dans ses rapports avec les Juifs qu’il connaissait. Il était capable d’être ami d’un Juif sans aucun effort de volonté. Quand on l’accusait d’antisémitisme, cela l’offensait terriblement et le rendait triste, car il était trop lié dans son passé avec l’idéologie internationaliste pour ne pas sentir toute l’importance d’une telle accusation. Il était fier d’avoir fait fusiller l’ataman Grigoriev et considérait que tous les bruits concernant les pogromes qu’auraient soi-disant commis les makhnovistes n’étaient que d’odieuses inventions.

Quand je me demandais pourquoi un homme comme Makhno avait tout d’un coup acquis à son époque une telle puissance, je me l’expliquais surtout par le fait qu’il était lui-même chair de la chair de la paysannerie ukrainienne et aussi parce qu’il était un grand acteur et devant la foule il se transformait et devenait méconnaissable. Au cours des petites réunions il ne savait pas s’expliquer, c’est-à-dire, que sa manière solennelle de s’expliquer était ridicule dans une ambiance intime. Mais il suffisait qu’il apparaisse devant un grand auditoire que l’homme devenait un grand orateur, éloquent et sûr de lui-même. Ainsi j’ai eu l’occasion de le voir à une réunion publique organisée à Paris par le club du Faubourg où l’on discutait la question de l’antisémitisme dans le mouvement makhnoviste. En l’écoutant et surtout en le voyant j’ai compris la force de transfiguration que possédait ce paysan ukrainien.
Il y avait cependant un autre trait de caractère qui expliquait sans doute son influence sur la masse, c ‘est son courage physique. Archinov affirmait encore à Paris, malgré qu’il lui était plutôt hostile, que sous les balles Makhno se promenait comme un autre se promène sous la pluie ; Archinov considérait ce courage comme une espèce d’anomalie psychique.

Pendant les années d’émigration Makhno était atteint d’une maladie propre aux anciens hommes illustres, qui d’habitude sont incapables de se réhabituer à la vie simple et aux conditions ordinaires. Il semblait qu’il était embêté quand personne ne parlait de lui, et il donnait des interviews aux journalistes de toutes sortes en sachant parfaitement l ‘hostilité de la plupart des partis et des hommes envers lui. Une fois un journaliste ukrainien quelconque l ‘avait demandé à interviewer, et c’était par mon intermédiaire. Je lui ai déconseillé de donner cette interview en prévoyant que le journaliste allait défigurer tout et que lui Makhno n’aurait aucune possibilité de défendre ses droits. Mon conseil n’était évidemment pas suivi et le journaliste avait publié ce qu’il avait trouvé commode pour lui et pas du tout ce que lui a dit l’ancien batko. Makhno rageait, mais je ne pense pas que ce cas lui serait de leçon.

Aurait-il pu devenir de nouveau un petit homme inconnu? Il rêvait certainement de cela (c’est-à-dire) de devenir un simple paysan ukrainien, mais je pense qu’il était pour toujours arraché d’une pareille vie.

Je me souviens qu’un jour nous avons parlé avec lui au sujet des carrières des généraux soviétiques Boudienny et Vorochilov. Makhno avait pour eux une estime professionnelle ; il me semblait même qu’il était en quelque sorte jaloux de leur carrière. Il n’est pas exclu que dans son cerveau rôdaient, sans le vouloir, des idées qu’il aurait pu lui aussi être un général de l’armée rouge. Cependant lui-même ne me l’a jamais dit. Au contraire, durant cette conversation il me disait que s’il retournait en Russie il aurait dû commencer à apprendre l’A.B.C. de l’art militaire régulier. Il faut considérer cette conversation comme un rêve exprimé oralement. Cependant je suis sûre que s ‘il retournait en Russie il n’aurait pas pu rester deux jours sans rompre et se disputer avec les gouvernants, car au fond de son âme il était honnête et n’aurait pas pu se soumettre ni aux autorités hiérarchiques ni au mensonge social.

Makhno a connu de son vivant la collectivisation en Russie, mais j’ignore ce qu’il en pensait.

Makhno avait-il vraiment une croyance en l’anarchisme dont il se réclamait comme adepte? Je ne le crois pas. Il avait plutôt une espèce de fidélité aux souvenirs de sa jeunesse, quand l’anarchisme signifiait une croyance que tout peut être changé sur la terre et que les pauvres ont droit aux rayons de soleil. Les anarchistes que Makhno connaissait en Russie pendant la révolution, il les désapprouvait aussi bien parce qu’ils lui semblaient incapables et aussi parce qu’ils venaient dans la makhnovchtchina comme théoriciens en se montrant inférieurs comme courage à ces simples paysans ukrainiens qui peuvent donner à n’importe qui la leçon de courage corporel. Chez Kropotkine il critiquait âprement son patriotisme de 1914. J’aurais pu résumer en disant qu’il sentait parfaitement le manque de coordination de la pensée anarchiste avec la réalité de la vie sociale.

Makhno était-il un ivrogne comme le décrit Voline? Je ne le crois pas. Durant trois années à Paris je ne l’ai jamais vu ivre, et je le voyais très souvent à cette époque. J’ai eu l’occasion de l’accompagner en qualité d’interprète aux repas organisés à son honneur par des anarchistes étrangers. Il s’enivrait du premier petit verre, ses yeux brillaient et il devenait éloquent, mais vraiment ivre je ne l’ai jamais vu. On m’a dit que les dernières années de sa vie il avait faim, se laissa aller et peut-être à ce moment a-t-il commencé à boire, cela ne me semble pas exclu Mais en général à son organisme malade et affaibli il suffisait quelques gouttes d’alcool pour le rendre ivre. Etant ataman il a dû boire dans la même mesure que le fait un paysan ukrainien dans la vie quotidienne.

Comme un trait négatif de son caractère j’aurais pu indiquer son extrême incrédulité et sa méfiance, quoi que je ne pourrais pas affirmer que ces traits ne sont pas un résultat pathologique de son activité militaire pendant la guerre civile. Il était capable parfois de soupçonner même ses amis les plus proches. Aussi il arrivait que dans ses relations personnelles il n’était pas capable de distinguer entre les choses importantes et les petits détails.
Savait-il se reconnaître entre ses amis et ses ennemis? Je pense que quelque part intérieurement il savait les distinguer, mais à cause de son caractère acariâtre il était capable de se disputer avec des gens lui voulaient du bien. Son journal intime après sa qui mort est tombé entre les mains de deux de ses ennemis sa femme et Voline. Malgré sa méfiance il ne pouvait tout de même pas s’attendre à une pareille catastrophe.

Paris, février 1948

Ida Mett, de son vrai nom nom Ida Lazarévitch-Gilman (1901-1973) co-rédactrice de la Plate-forme organisationnelle de l’union générale des anarchistes .

Ce texte est issu du site nestormakhno.info/ aujourd’hui disparu

1. voir La Makhnovchtchina et l’antisémitisme, novembre-décembre 1927 http://fr.wikisource.org/wiki/La_Makhno ... %A9mitisme


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