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Re: Petites histoires de grêves et manifestations du passé

MessagePosté: 04 Mar 2018, 15:08
de bipbip
Trente ans après la grève cheminote de 1986 : quels enseignements ? – PARTIE 2

Interview. Grève des cheminots de 1986 : « Les syndicats ont mal vécu la grève, mais on était tellement fiers d’enfin pouvoir décider de ce qu’on voulait »

Révolution Permanente : Tu disais que la CGT avait organisé des « piquets de travail », quel a été le rôle de la CGT dans la grève ?

Myriam : C’était 86, je pense que toutes les désillusions avaient déjà eu lieu par rapport à la gauche au pouvoir. La première année ça avait peut-être été un peu fabuleux mais après c’était fini. On a eu Fiterman comme ministre du transport, un communiste pour museler la CGT. On savait qu’on avait raison de faire la coordination parce qu’on voyait très bien que la direction de la CGT avait d’autres intérêts que les nôtres. Pour la plupart c’était flagrant, ça a été beaucoup de désillusions, de se dire « qu’est-ce que tu veux qu’on fasse ? La CGT est contre nous ». Pour nous ça a vraiment été une prise de conscience à ce moment-là de la liberté qu’on pouvait avoir en faisant grève et en décidant nous-mêmes ce qu’on voulait faire, mais qu’il fallait se battre, que ça n’arrivait pas d’un claquement de doigts.

À l’époque la CGT, surtout à Austerlitz, c’était de vrais staliniens, il fallait faire ce qu’ils disaient, pas autre chose, comme s’il n’y avait qu’eux qui pouvaient réfléchir. Un mois après mon entrée dans la boite j’étais allée à une réunion CGT, à un moment de la discussion je lève le bras pour poser une question et on me répond « t’avais qu’à être là la fois précédente ». En clair : tu fermes ta gueule, on n’est pas là pour discuter. Je dis « j’aurais bien aimé être là un mois avant, mais je n’étais pas encore embauchée à la SNCF ».

Après, moi je suis rentrée à la CFDT, où il y avait vraiment des gens combatifs à ce moment-là. Mais pour nous c’était un moyen. À l’époque c’était Daniel Vitry qui animait le syndicat sur Paris Sud-Ouest. Pendant toute ma vie de militante c’était ça, un syndicat je m’en tape, même si je suis syndiquée, même si je suis déléguée, ce qui m’intéresse c’est les moyens qu’on a avec un syndicat pour faire des choses, après j’irai pas les défendre. Je me revendique pas syndicaliste pure et dure.

RP : C’est un outil qui peut être au service des travailleurs comme il peut être au service des patrons…

M : Tout à fait. Quand on dit que la CGT est un syndicat de lutte, ce n’est vrai qu’en partie. Après la Libération, en 1945, quand les gens sont revenus de la guerre, ils ont dit « on ne peut pas continuer, on s’est battu pour la France, maintenant on va se battre dans nos entreprises pour que ça se passe mieux ». Et là la CGT a dit non, elle a fait reprendre le travail aux mineurs, à pleins de gens, en disant qu’on ne pouvait pas s’y mettre maintenant, qu’il fallait redresser la France.

En 86, ça a été vraiment violent, en tant que femme, et en tant que jeune. Et c’était vraiment insupportable. Ils me choppaient dans les coins, m’insultaient, pour essayer de me déstabiliser. Pour moi ça a été un choc que le syndicat soi-disant le plus dans la lutte fasse tout pour ralentir le mouvement, qu’ils fassent tout pour nous faire taire, jusqu’à nous frapper. Je me souviens notamment de la manif pour Malik Oussekine, où on était arrivés en tant que comité de grève, avec notre banderole. Il y avait la CGT, dont le permanent d’Austerlitz qui est arrivé vers Daniel Vitry [militant de Lutte Ouvrière] et qui lui a mis son poing dans la gueule en lui disant « On vous fera fermer votre gueule ». C’était vraiment violent, monter un comité de grève c’est pas quelque chose qu’on décide juste comme ça entre militants et on est contents. On savait qu’il fallait qu’on fasse gaffe à tout. C’est Daniel qui a calmé tout le monde, sinon ça partait en baston générale, en disant « on n’est pas venu pour ça, donc on reste digne. Et ça montre qu’ils ont peur ». Ils avaient vraiment peur alors qu’on n’avait même pas commencé. Ça, ça te renforce.

C’est pour ça que j’aime bien la phrase des anars : « ni Dieu ni maître ». Moi je n’ai pas de maître au niveau syndical. Il n’y a pas quelqu’un qui va me dire ce que j’ai à faire. Nous on défendait une autre méthode. Avec Daniel Vitry, j’ai appris plein de choses, c’était un vrai militant, il était permanent CFDT mais il vadrouillait dans tous les secteurs, il organisait partout, en disant aux gens « vous l’avez la solution, c’est vous qui êtes la solution, je suis juste là pour vous aider mais c’est tout ». Il discutait beaucoup avec les gens, il leur faisait comprendre des choses, qu’ils étaient capables, que c’est pas parce que t’es un prolo que tu vaux rien ; tu peux faire des choses, tu peux écrire des tracts, avoir une réflexion. Pour moi ça, ça a été hyper important. C’était pas un gourou au contraire, c’était quelqu’un qui te disait que t’étais capable de tout. Donc c’est génial : tu te dis « si je suis capable de tout, je fais tout ».

RP : Sur le lien avec les syndicats c’est intéressant ce que tu dis, parce que ce qu’il a manqué au mouvement contre la loi travail, c’est ces organismes d’auto-organisation pouvant décider de la suite du mouvement, commander la lutte.

M : Pendant la grève de ce printemps on n’a pas eu le pouvoir de dépasser les directions syndicales. Même si on a fait un comité de grève à Austerlitz et dans quelques gares, ce n’était pas une généralité. On a bien vu que pour avoir la grève reconductible ça a été la croix et la bannière. On a dû attendre de mars à juin. Alors que nous en 1986 on avait décidé qu’on refusait les grèves carrées. Les deux jours où on avait fait grève, les 4 et 5 décembre c’était difficile pour nous parce qu’on avait fait que deux jours, mais on savait qu’on allait partir le 18 décembre tous ensemble. On savait qu’il fallait garder nos forces.

RP : Si on doit comparer la grève de 86 et celle du printemps, notamment sur le fait de dépasser la stratégie et la politique des directions syndicales, on se dit que ce n’est pas pour rien si la grève de 95 est beaucoup plus mise en avant . Alors qu’en terme d’expérience et d’auto-organisation celle de 1986 est bien plus avancée

M : En 86 le monde ouvrier n’avait pas vécu autant de défaites et de désillusions qu’aujourd’hui, on était dans l’après 68, aujourd’hui les travailleurs sont plus fatalistes. Mais surtout en face de nous, du côté du patronat ils nous ont déclaré la guerre, après la grève ils se sont dit « plus jamais ça ». Pareil du côté des directions syndicales. Ce vent de liberté qu’on a connu en 86, on l’a perdu petit à petit, surtout après 95. On a été plus ou moins achetés, Nous, syndicalistes, nous avions quelques réunions rares dans les années 80-90. Aujourd’hui on a des réunions tout le temps. Quand on dit dialogue social c’est aussi qu’on occupe les représentants syndicaux pour qu’ils ne soient pas ailleurs, ils ont beaucoup moins de temps pour être auprès de la base. C’est ce qui faisait notre force à cette époque : on était tout le temps sur le terrain. C’est une méthode pour éviter que la base s’organise.

Alors que les syndicats ont très très mal vécu 86 parce qu’ils se sont fait déborder par la base. Quand ils décidaient quelque chose nous on disait « non, on veut pas et on continue ». Pour eux ça a été une énorme défaite. Ils n’avaient plus aucun poids, on ne suivait pas, même s’ils appelaient à reprendre. Ils se sont rendu compte qu’il fallait être là la prochaine fois, et en 1995 la CGT a repris le pas. Ils ont dirigé la grève en essayant d’intégrer un peu tout le monde, mais malgré tout c’était eux qui tenaient les ficelles. Ils avaient tout intérêt à ce qu’on ne parle plus de 86. Après la grève ils ont entrepris tout un travail de démoralisation, pour convaincre qu’on avait fait grève pendant un mois pour rien. Ça, moi, ça me met en colère. Parce que même si on n’a pas gagné grand-chose en termes de revendications, la fierté qu’on a gagnée, c’est ça qui était incroyable. Ils ont tout fait pour atténuer ce mois de grève qu’on avait fait. C’est vrai que la reprise à été difficile, surtout financièrement, mais on était tellement fiers.


http://www.revolutionpermanente.fr/Inte ... -tellement


Trente ans après la grève cheminote de 1986 : quels enseignements ? – PARTIE 3

Interview. Grève des cheminots de 1986 : « En tant que femme, au début c’était terrible, tu n’étais acceptée ni par la direction, ni par tes collègues »

Être une femme à la SNCF : cheminote, syndicaliste, ...

Révolution Permanente : Est-ce que tu pourrais plus nous raconter ton expérience en tant que femme au sein de la SNCF ?


Myriam : Moi je suis rentrée à la SNCF en 1983 et je faisais partie de la dernière promo de ce moment-là. On était moitié-moitié : cinq filles, cinq garçons, et c’était la première fois qu’il y avait autant de filles. Donc tu pars pour te former, en double avec un autre contrôleur, et on t’explique que ce n’est pas un boulot pour les femmes, qu’en général quand des femmes arrivent dans un boulot qui était fait pour les hommes, le boulot est automatiquement dénaturé. Que les femmes ça ne servaient que pour la cuisine et au pieu. Donc il fallait arriver à s’affirmer. Toutes on avait un caractère assez fort, mais c’est ce qui fallait parce qu’on arrivait dans un monde d’hommes, et ils pensaient que les femmes, les pauvres petites natures ne pouvaient pas s’en sortir. Moi je suis arrivée en 83, Mitterrand était au pouvoir et il avait impulsé qu’il y ait plus de femmes, mais même notre directeur quand il nous a embauché, il nous disait : "les femmes si vous voulez faire ce boulot là, vous n’aurez pas d’enfants". Nous on se disait toutes, "cause toujours, on fera ce qu’on veut". Pendant très longtemps on nous a culpabilisé d’être une femme, d’avoir des enfants. Moi dès que j’ai su que j’étais enceinte j’ai demandé à travailler en dehors des trains parce que j’ai estimé que ce n’était pas bon pour la santé de mon enfant. Mais tous mes collègues me faisaient culpabiliser, en me disant "c’est pas une maladie, tu pourrais bien bosser". Moi je disais "non, c’est mon choix, je fais ce que je veux". Mais il y avait ce poids, donc il y a énormément de femmes qui ont continué à rouler jusqu’à la fin, jusqu’à leur congé maternité. Je trouvais que c’était ignoble, on a vécu des choses terribles, il y a eu beaucoup de fausses couches. Il y en a une il y a quelques années, qui a été agressée pendant qu’elle était enceinte, elle a perdu son bébé. On nous culpabilisait tout le temps, et ça continue aujourd’hui. Il faut qu’on en fasse plus que les hommes pour qu’on nous laisse tranquille. Moi quand je suis partie en congé parental on m’a fait le même cirque. C’est sûr que le fait que je sois enceinte, ça a complètement freiné mon roulement de carrière, qui n’était déjà pas fabuleux comme j’étais syndicaliste. Alors que dans les réglementations tu dois pouvoir dérouler même quand tu es en congé parental, mais ça se fait rarement.

En tant que femme au début ça a été extrêmement dur, il fallait que tu te battes contre la direction déjà, pour avoir des locaux, un espace pour nous, pour ne plus être mélangées avec les hommes. Les hommes ne comprenaient pas, ils disaient : "à cause de vous on refait les foyers". Mais du coup ça s’améliorait ! Nos conditions de travail se sont améliorées car des femmes arrivaient. Par exemple quand je suis arrivée il y avait encore des foyers de découché où ils étaient deux ou trois dans la même chambre. À partir du moment où on est arrivé, ils ont dû faire des chambres individuelles, avec des toilettes et douches individuelles. Mais au départ c’était terrible : tu sentais que tu n’étais acceptée ni par tes collègues, ni par la direction. Et si en plus tu étais une grande gueule, que tu étais syndicaliste alors tu avais gagné le gros lot. Mais d’une certaine manière être syndicaliste m’a protégée aussi : parce qu’à partir du moment où je me suis syndiquée, pour la direction ça devenait sérieux, je n’étais plus seulement une greluche, qui devait avoir ses règles, qui gueulait tout le temps.

... opposée aux bureaucraties syndicales

RP : Et par rapport aux directions syndicales ? C’est déjà dur comme tu le racontais d’être une cheminote, mais si en plus tu contestes la politique des directions syndicales...


M : Déjà moi j’étais bien intégrée au sein de mes collègues, parce que j’étais nette vis-à-vis du boulot, puis progressivement aussi on s’est imposée. Avec mes collègues proches je n’avais pas de souci mais c’était plus avec la CGT : j’accumulais, j’étais gauchiste, comme ils disaient, plus une femme. Or à ce moment-là dans leur secteur ils voyaient les femmes comme des objets qui ne servaient que pour la baise et pour faire à manger. Moi je refusais de me taire, je voulais être partie prenante dans les luttes, et il était hors de question qu’ils m’approchent de façon sexuelle.

RP : Et l’expérience des menaces dont tu parlais ?

M : Pendant la grève dans les Assemblées générales de plus en plus il y avait des copains qui faisaient barrage, pour pas que ça ne dégénère pas, qui me protégeaient. Après c’est sûr que quand eux ils commençaient à me dire "je vais te péter la gueule", moi je leur disais "t’as qu’à venir". Dans les AG c’était vraiment physique, et quand tu étais une femme c’était encore pire, ils se disaient "ça va, je peux lui en mettre une, ce n’est pas grave".

Après les AG dans nos gares, on allait à Ivry pour rapporter les décisions de nos AG à la coordination. Or à Ivry à l’époque, la CGT avait son local juste à l’entrée. Tu étais obligé de passer devant eux et dès qu’ils voyaient une ou un gauchiste ça partait en vrille. Alors les copains venaient me chercher, je ne pouvais pas y aller toute seule. Plusieurs fois les mecs de la CGT m’ont traitée de salope, c’était dur, nous à ce moment-là on faisait des journées qui commençaient à 4 heures du matin, jusqu’à 23h. Tu te battais pour quelque chose, pour un idéal et ça a été un choc : tu te disais mais ils se battent contre qui eux ? Pourquoi ils se battent contre moi ? Toute cette énergie qu’ils mettent contre moi, j’aimerais bien qu’ils la mettent contre un patron.

Mais le plus important c’est que toute cette expérience nous a appris que tout est possible quand on lutte tous ensemble, syndiqués et non syndiqués, que la liberté existe si on refuse d’être un mouton. Je garderai toujours en moi ces moments de lutte, où il y a plein d’échanges d’idées, où on rencontre pleins de gens bien qui luttent pour une société meilleure.


http://www.revolutionpermanente.fr/Inte ... tu-n-etais

Re: Petites histoires de grêves et manifestations du passé

MessagePosté: 06 Mar 2018, 23:08
de bipbip
SNCF: Historique des luttes depuis 1947.

Soutien aux cheminots en grève. Contre la libéralisation des transports. Historique des luttes depuis 1947.

http://linter.over-blog.com/article-sou ... 30761.html

Re: Petites histoires de grêves et manifestations du passé

MessagePosté: 08 Mar 2018, 14:49
de bipbip
Une belle grève de Femmes : Douarnenez (Lucie Colliard, 1925)

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Brochure de Lucie Colliard disponible au format pdf :
https://bsstock.files.wordpress.com/201 ... s-1925.pdf

https://bataillesocialiste.wordpress.co ... iard-1925/

Re: Petites histoires de grêves et manifestations du passé

MessagePosté: 16 Mar 2018, 16:09
de bipbip
Projection-rencontre Avril 50

Projection du film Avril 50 de Bénédicte Pagnot
Rencontre avec Kris, Etienne Davodeau et Bénédicte Pagnot

Angers vendredi 16 mars 2018
à 18h30, Bibliothèque de la Roseraie, 1bis rue Henri Bergson

Exposition Un homme est mort
Exposition du mardi 13 mars au samedi 14 avril

Cette bande dessinée de Kris et Davodeau évoque le cinéaste René Vautier, appelé à Brest au printemps 50 par la CGT pour réaliser un des premiers films d'intervention sociale. Il témoignera des grèves très dures qui touchèrent les chantiers de reconstruction de la ville.

L'exposition s'attache à décrire l'histoire du film par le biais de la BD, détaille les quatre années d'enquête, d'écriture, de dessins, de rencontres qui ont ponctué le travail de Kris et Davodeau. Elle rend également un hommage au cinéaste.

Vernissage de l'exposition : vendredi 16 mars à 17h30

https://alter49.org/rv/5165

Image

Re: Petites histoires de grêves et manifestations du passé

MessagePosté: 18 Mar 2018, 22:54
de Lila
1924 : la grève victorieuse des ouvrières bretonnes

En novembre 1924, les « Penn Sardin » de Douarnenez sont en première ligne pour obtenir une revalorisation de leurs salaires. La grève dure 45 jours et devient un enjeu national.

« Pemp real a vo ! » (« Cinq réaux ce sera ! »). C'est à ce cri qu'en novembre 1924 les femmes des usines de conserve de Douarnenez, en Bretagne, manifestent pour réclamer une revalorisation de leurs salaires. De 80 centimes de l’heure, elles demandent à ce qu'il soit porté à cinq réaux, soit 1,25 franc.

Chaque jour, les sardinières sont en première ligne des manifestations – on compte environ 1600 femmes sur 2100 grévistes.

à lire : https://www.retronews.fr/actualite/1924 ... -bretonnes

Re: Petites histoires de grêves et manifestations du passé

MessagePosté: 20 Mar 2018, 14:43
de Pïérô
SNCF : ces trois grandes grèves qui ont permis aux cheminots d'obtenir gain de cause

Les syndicats de la SNCF ont appelé à une grève de deux jours toutes les semaines du 3 avril au 28 juin. Depuis 1953, la compagnie ferroviaire a été marquée par plusieurs grèves des cheminots, qui voulaient défendre leur statut. Petit rappel historique.

... https://www.francetvinfo.fr/economie/tr ... 61570.html

Re: Petites histoires de grêves et manifestations du passé

MessagePosté: 24 Mar 2018, 19:57
de bipbip
Jeudi rouge en Tunisie

1978 : Jeudi rouge en Tunisie

La date du 26 janvier 1978 est restée et restera longtemps gravée dans la mémoire tunisienne. Ce « Jeudi noir » a été la première grève générale dans l’histoire de la classe ouvrière de la Tunisie indépendante.

Le 26 janvier 1978 marque la fracture la plus profonde entre les deux piliers sociaux et politiques qui ont constitué l’État tunisien moderne, à savoir le parti du Néo-­Destour converti en 1962 en « Parti socialiste destourien » (PSD, constitutionnaliste) et la principale centrale syndicale, ­l’Union générale tunisienne du travail (UGTT).

Depuis sa fondation, l’UGTT a gardé des relations privilégiées avec le parti de la bourgeoisie nationale qui plaidait pour l’indépendance face à la colonisation française installée depuis 1881 sous forme de protectorat. L’UGTT, qui s’est formée dès sa naissance en tant que force nationale anticoloniale, plutôt que simple syndicat ouvrier, a été durant les années 1950 et 1960 le soutien principal au parti de Bourguiba dans sa conquête du pouvoir. Elle était sa force majeure pour écarter ses rivaux politiques, d’abord ceux du même parti, puis les communistes, les nationalistes panarabes et la « nouvelle gauche », surtout maoïste, qui a émergé notamment du mouvement des étudiants et étudiantes (Mai 68).

Entre 1954 et 1962, le pouvoir de Bourguiba n’arrive pas à s’affirmer sans le soutien décisif de l’UGTT acté dans son congrès national de 1955. Le secrétaire Général d’alors, Habib Achour, est le même qui signe en janvier 1978 la décision de la grève générale quelques mois après avoir quitté le bureau politique du parti au pouvoir sous pression de la forte tendance indépendantiste au sein des structures syndicales.

L’État et son syndicat

Sous l’influence du programme de l’UGTT elle-même, le parti de Bourguiba a adopté durant les années 1960 une politique économique appelée « socialisme bourguibien », sorte d’étatisation poussée à l’extrême, où tout le monde se met au service d’un État patron de plus en plus autoritaire et répressif. L’État s’empare de tout et s’occupe de tout, terres, entreprises et services publics. Un arbitraire patriarcal règne et une mainmise totale asphyxie la vie économique et sociale. Le symbole de cette étape, Ahmed Ben Salah, qui cumulait 4 ministères à lui seul entre 1961 et 1969, était un ancien secrétaire général de l’UGTT. Face aux révoltes de la paysannerie, du petit commerce, des manufacturiers et grands propriétaires unis contre l’État. Ce dernier n’a plus que l’UGTT pour le soutenir. Un tournant libéral en 1970, assisté par les États-Unis, et surtout par la Communauté européenne, s’instaure sous la direction du libéral Hedi Nouira, nommé Premier ministre. Dans la foulée, la casse sociale est brutale.

D’autre part, depuis la fin des années 1960 et avec le développement rapide et condensé de l’enseignement public, une main-d’œuvre diplômée arrive massivement sur le marché du travail. Le nombre des adhérents et adhérentes de l’UGTT passe de 40 000 en 1970 à 550 000 en 1977. Une nouvelle génération syndicale plus politisée et plus ouverte aux idées de gauche et d’extrême gauche est injectée par le mouvement estudiantin et lycéen.

La tendance vers l’indépendance vis-à-vis de l’État et du parti au pouvoir, la démocratie et la lutte de classe se développent d’une façon inégale au sein des structures de base et quelques structures intermédiaires surtout dans les plus importantes fédérations du secteur public (enseignement, poste et télécommunications, transports, santé, chemin de fer et transport en commun), et privé tels que les usines de textiles, des électroménagers, et électroniques, tremplins d’une opposition radicale connue sous le nom de « Gauche syndicale ».

Fuite en avant du gouvernement

Le mouvement étudiant a précédé le mouvement ouvrier dans la dissidence. Le congrès étudiant de Korba en 1971 a été rompu par l’intervention policière car la gauche prenait le gouvernail de l’organisation devant les Destouriens.

Depuis, le mouvement étudiant est en lutte ouverte contre les vigiles et les forces de l’ordre qui cernent les universités d’une façon presque continue. Plusieurs militants et militantes de la gauche sont torturées, emprisonnées, ou recherchées par le régime bourguibien. Certains passeront même de longues années en prison.

À cette époque la direction de l’UGTT, Habib Achour en tête, épaule la police dans cette répression et soutient sans réserve le gouvernement de Hedi Nouira. Pire, la même direction rejette la plupart des grèves entamées par ses propres syndiqués. Les briseurs de grèves, les membres des milices de l’UGTT, font la loi dans certaines entreprises et agressent leurs collègues. Plusieurs grèves sont dénoncées comme illégales ou sauvages.

Les hauts cadres de l’UGTT qui siègent alors aux instances dirigeantes du parti au pouvoir et/ou au parlement, commencent à être gênés et même discrédités par leurs collègues à cause de leur incapacité à gérer cette radicalisation au sein de leur organisation.

Selon des sources officielles, on comptait 150 grèves en 1972, 301 en 1975, 373 en 1976 et 452 grèves en 1977. Le gouvernement entame néanmoins une véritable guerre contre les pauvres, limitant au maximum les droits du travail et ouvrant la porte à la précarité et à la misère massive. La grande hausse des prix annoncée en 1977 a suscité une nouvelle vague de grèves et de confrontations. Le gouvernement développe de plus en plus son réseau de milices, appelées « cellules professionnelles », au sein des entreprises. Armées de bâtons, de chaînes et de barres de fer fournis par le parti-État, elles se lancent dans des affrontements avec les grévistes et les manifestantes et manifestants.

Autour de Bourguiba, différents acteurs se partagent et se disputent un pouvoir de plus en plus en crise. L’état de santé du « combattant suprême » est aggravé depuis 1969. Mais il continue à régner à travers sa famille et ses collaborateurs. La guerre secrète des clans a explosé surtout en 1977. Habib Achour, le secrétaire général de l’UGTT prend partie pour le clan pseudo libéral de la femme de Bourguiba, Wassila Ben Ammar, qui incarne une « voie douce » envers les conflits sociaux. Le chef du gouvernement Nouira fait partie de « l’aile dure ». La direction de l’UGTT est de plus en plus visée par une campagne acharnée, surtout suite à la visite d’Achour en Libye et l’accord qu’il a conclu avec Kadhafi en faveur des ouvrières et ouvriers tunisiens en Libye, peu après que Nouira ait obtenu la fin du projet d’union de la Tunisie et la Libye.

La grève est réprimée dans le sang

Le 4 janvier 1978, la fédération de l’Agriculture affiliée à l’UGTT lance un appel à la grève. L’événement provoque un affrontement devant le siège de la centrale syndicale entre les grévistes et les forces de police. La question des provocations policières est discutée lors du conseil national de l’UGTT le 8 janvier. La critique de la dérive du gouvernement est nette et résolue. Le conseil contraint Habib Achour et Kheireddine Salhi de se retirer des instances dirigeantes du parti au pouvoir. Le 20 janvier le comité central du parti au pouvoir dénonce une « déviation » de la direction syndicale quant aux principes de la démocratie interne et le diktat de son secrétaire général. Le 24 janvier, Abderrazak Ghourbel, secrétaire général de l’UGTT de Sfax, deuxième ville tunisienne, est arrêté.

De nouveaux affrontements ont lieu entre syndicalistes de la région et forces de police. Le lendemain, le siège de l’UGTT est encerclé par la police qui empêche près de 200 dirigeants et dirigeantes syndicalistes d’en sortir. La grève générale est annoncée dans la journée pour le lendemain, 26 janvier. Plusieurs locaux syndicaux dans différentes régions sont alors investis par les milices du pouvoir et des syndicalistes sont agressés et arrêtés. C’est dans une atmosphère de terreur et de provocations, que les syndicalistes s’organisent pour réussir cette grève. La police bloque les artères des villes et se disperse un peu partout. Les intimidations se multiplient, les arrestations préventives aussi. L’UGTT est, cette fois, avec les manifestations étudiantes et lycéennes.

L’appel à la grève générale pacifiste n’a pas pu être respecté car le gouvernement et ses sbires font tout pour pousser à la violence et ainsi légitimer la répression. Des affrontements dans la rue, des barricades, des pillages et des incendies se propagent dans toutes les villes. L’armée intervient, sur ordre de Bourguiba, et tire sur la foule à Tunis, tuant plus de 400 personnes et blessant plus de 1 500 autres, selon des estimations indépendantes. Des centaines de syndicalistes ou autres protestataires sont arrêté.es, torturé.es et emprisonné.es. Le soir même Bourguiba annonce l’état de siège et le couvre-feu pour trois mois, étouffant ainsi ce premier acte d’indépendance syndicale.

Janvier rouge

Malgré les efforts du gouvernement de Mohamed Mzali, nommé en avril 1980 pour faire oublier aux Tunisiens et Tunisiennes leur soulèvement de janvier 1978, celui-ci reste dans les mémoires. Cette tentative d’apaisement était, elle-même une suite à un autre 26 janvier, celui de l’année 1980. Un commando nationaliste panarabe financé et entrainé par Kadhafi a provoqué une petite guerre en essayant de s’emparer de la ville de Gafsa connue par sa tradition de rébellion. Mais les insurgé.es ont échoué et plusieurs d’entre eux sont exécuté.es. Néanmoins, ils ont suscité une sympathie parmi les couches populaires qui espéraient en profiter pour se débarrasser du régime dictatorial. Le 27 décembre 1983, suite à l’annonce d’une étape encore plus désastreuse de procédures dictées par le FMI, dont la hausse de 70 % du prix du pain, une insurrection se propage dans le sud tunisien et d’autres régions de « la Tunisie profonde ». Le 3 janvier 1984 la contagion touche les grands cités populaires de Tunis et une fois de plus la confrontation est sanglante. Le gouvernement est allé jusqu’au bout dans sa répression policière et militaire : 143 morts, plus que 1000 blessés et 800 arrestations [1].

En 2011, c’est encore en janvier que la révolution renverse Ben Ali, celui qui était l’un des responsables des services de sécurité le 26 janvier 1978. Le processus révolutionnaire déclenché entre le 17 décembre 2010 et le 14 janvier 2011, a certainement, été détourné vers une réelle régression sociale, compensée par un simulacre de démocratie parlementaire. Mais rien n’est encore joué. En attendant, les janviers continuent à hanter les dictateurs de la Tunisie.

Mohamed Amami (AL Gard)


[1] Selon Jeune Afrique n° 1201 du 11 janvier 1984.


https://www.alternativelibertaire.org/? ... en-Tunisie

Re: Petites histoires de grêves et manifestations du passé

MessagePosté: 06 Avr 2018, 11:55
de Pïérô
Janvier 1870 : Le Creusot en grève !

Désirant eux-mêmes gérer leur « caisse de secours », les ouvriers des usines Schneider du Creusot entrent en grève. Un soulèvement bref, qui aura une influence immense sur les mouvements sociaux à venir.

En 1870, la famille Schneider règne sans partage sur l’économie du Creusot, en Bourgogne. Ses aciéries et ses forges emploient quelque 10 000 ouvriers dans ce qui représente alors la plus grande usine de France.

Au mois de janvier, les ouvriers réclament de pouvoir gérer eux-mêmes leur « caisse de secours », caisse de prévoyance et de sécurité pour les travailleurs et leurs familles pour laquelle ils cotisent à hauteur de 2,5 % de leur salaire (Le Progrès de la Côte-d’Or rédige dès le 17 janvier un dossier complet à ce sujet). Eugène Schneider – par ailleurs ministre du Commerce au même moment – fait mine d’accepter, mais désigne seul les contremaîtres sûrs et dévoués à sa cause pour s’en occuper.

... https://www.retronews.fr/actualite/janv ... t-en-greve

Re: Petites histoires de grêves et manifestations du passé

MessagePosté: 12 Avr 2018, 13:26
de bipbip
La grève du Joint français en 1972 : le poids des maux , le choc de la photo

Il est des photographies qui en viennent à symboliser un événement tout entier. Tel est le cas de celle prise par Jacques Gourmelen, journaliste à la rédaction locale du quotidien Ouest-France, le 6 avril 1972, lors de la grève du Joint français à Saint-Brieuc. « Prise à l’instinct », de l’aveu de l’auteur, cette photo montre un ouvrier gréviste, Guy Burniaux, empoigner un CRS, du nom de Jean-Yvon Antignac, tout en pleurant de rage.

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LA photo iconique de la grève du Joint français. Archives Ouest-France.

Mais loin de n’être qu’un simple affrontement entre grévistes et forces de l’ordre, le cliché met en scène le face-à-face entre deux anciens amis au lycée technique Curie. Toutefois, derrière le choc de la photo, il y a le poids des maux. Les ouvriers du Joint français sont en grève depuis le 13 mars, quand la tension monte d’un cran avec la séquestration dans l’usine de trois directeurs au début du mois d’avril. C’est pour mettre fin à cette situation que les gardes mobiles briochins de la CRS 13 interviennent.

Pourtant, quand elle s’installe dans la préfecture des Côtes-du-Nord au début des années 1960, à la faveur de la politique de décentralisation industrielle, l’usine du Joint français est perçue comme une opportunité de « faire vivre au pays » la jeunesse briochine. Ils sont alors près de 600 ouvriers pour fabriquer quotidiennement environ 1,5 million de joints divers. Mais la crise sociale couve très vite face aux cadences de travail imposées par les « trois huit ». De plus les salaires sont plus faibles que ceux octroyés aux ouvriers de la maison-mère de Bezons dans le Val-d’Oise. C’est pour réclamer un alignement entre les deux usines, soit une hausse de 70 centimes par heure, que les ouvriers briochins se mettent en grève le 13 mars 1972. Face à la sourde oreille de la direction parisienne, le conflit s’enkyste jusqu’à ce coup d’éclat du début du mois d’avril.

Le retentissement de la grève du Joint français prend alors de l’ampleur. Les médias nationaux, dont France Inter par l’intermédiaire de son journal Inter actualités de 13h présenté par Yves Mourousi1, relatent les événements. Un soutien financier parvient aux ouvriers briochins de la part d’usines de toute la France. La photo, qui fait la une du grand quotidien breton le 7 avril, est reprise notamment par Paris Match. Des concerts de soutien sont organisés pour soutenir la grève, autour de Glenmor et Gilles Servat en autres. La municipalité dirigée par le PSU d’Yves Le Foll vote également un soutien à la grève. Le 18 avril, ils sont près de 15 000 manifestants à défiler dans les rues de Saint-Brieuc. Face à la mobilisation, les dirigeants parisiens du Joint français finissent par céder aux revendications des ouvriers briochins. La grève prend fin le 8 mai 1972, comme le raconte un journaliste de l’ORTF :

« Il aura fallu huit semaines de grève, une dizaine d'entretiens avec le Préfet des Côtes-du-Nord, trois négociations avec la direction, des heures et des heures de discussion pour aboutir enfin à l'accord de samedi dernier. »2

Au final, au-delà du symbole d’une photo devenue un cliché pour l’Histoire, le conflit du Joint français soulève la question des réelles motivations de cette décentralisation industrielle : aménagement du territoire ou recherche d’une main d’œuvre moins onéreuse ? Par ailleurs, cette grève du Joint français participe du réveil de l’identité bretonne du début des années 1970, par un jeu d’opposition entre des ouvriers bretons exploités et des patrons capitalistes parisiens.

Thomas PERRONO


1 INA – L’Ouest en mémoire. « A Saint-Brieuc, grève à l’usine du Joint français », Journal de 13h Inter actualités, France Inter, 6 avril 1972, en ligne http://fresques.ina.fr/ouest-en-memoire ... ncais.html.

2 INA – L’Ouest en mémoire. « Fin de la grève au Joint Français à Saint Brieuc », Journal de 20h, ORTF, 8 mai 1972, en ligne http://fresques.ina.fr/ouest-en-memoire ... rieuc.html.


http://enenvor.fr/eeo_actu/apresW/la_gr ... photo.html

Re: Petites histoires de grêves et manifestations du passé

MessagePosté: 16 Avr 2018, 23:50
de Béatrice
SKF à Ivry-sur-Seine : mémoires d’un conflit social ( années 80 ) :

Au début des années 80, le groupe multinational SKF (roulements à billes ) décide de délocaliser en Pologne son site d'Ivry-sur-Seine.
Les salarié-e-s se mobilisent, occupent leur usine et multiplient des actions diverses durant près de deux ans.
Le pouvoir socialiste de l'époque ordonna l'évacuation de l'usine ( le ministre de l'Intérieur était Pierre Joxe ou dénommé alors "Jules Moch"
dans les rangs cégétistes )
dans une répression inouïe.

https://vimeo.com/253221543


La mémoire à demi-mots. Analyses d'une commémoration impossible
( p108 à 110 )

https://www.persee.fr/doc/genes_1155-32 ... _28_1_1465

Re: Petites histoires de grêves et manifestations du passé

MessagePosté: 30 Avr 2018, 15:55
de bipbip
« Frères de classe », un film de Christophe Cordier à visionner en ligne !

En 2004, Christophe Cordier a réalisé Frères de classe, film où il part à la recherche des deux protagonistes, l’un ouvrier, l’autre CRS, d’une photo qui a immortalisé la grève du Joint français de 1972, le « mai breton ».

Rencontré pour notre numéro spécial « Mai 68, ce n’était qu’un début… », Christophe Cordier y revient dans un entretien sur cette grève historique, sur ce qui l’a inspiré, sur le cinéma militant d’hier et d’aujourd’hui.

À l’occasion de la sortie de ce numéro, le film Frères de classe de Christophe Cordier est librement consultable en ligne sur le site des Utopiques :

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http://www.lesutopiques.org/freres-de-c ... e-cordier/

et vimeo : https://vimeo.com/158933061

Re: Petites histoires de grêves et manifestations du passé

MessagePosté: 12 Juin 2018, 21:20
de bipbip
"LONGWY" (1978)

Projection de "LONGWY", un film sur la lutte de siderurgistes Lorrains en présence du réalisateur Steve Bingham ; Mercredi 13 à 19H à Quartier Libre (11 Grande rue - Nancy)

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"LONGWY" (2H)

Réalisé en 1978, “Longwy prend forme au cours de la lutte […] et met l’accent sur les contradictions : divisions syndicales, rôle des partis politiques, coordination des ouvriers à l’échelle nationale et internationale, place des femmes dans la lutte, spécificité de la lutte des travailleurs immigrés.”

Steve Bingham, militant pour la cause des populations afroaméricaines contre la ségrégation, tisse à la fin des années 1960, alors que la gauche radicale est sous la pression du président Nixon, un lien avec les Black Panthers. Avocat spécialiste dans l’aide judiciaire aux personnes démunies, il est poursuivi par les autorités et, craignant pour sa vie, décide de s’enfuir et d’entrer en clandestinité. Via une filière de faux papiers pour les déserteurs de la guerre du Vietnam, il change d’identité et devient Robert Boarts. Traversant l’Atlantique, Steve Bingham/Robert Boarts s’inscrit dans l’école de cinéma de l’Université Paris-VIII et participe à la réalisation de plusieurs documentaires engagés, et notamment de défense de la paysannerie. Il s’oriente ensuite vers d’autres sujets sociaux, dont _Longwy, _projeté quelque fois en 1984, dont une à Longwy. Plutôt que de se lancer dans une diffusion plus large, il prend la décision de retourner aux Etats-Unis pour prouver son innocence et reprendre sa vie d’avocat engagé. Il range alors son travail documentaire dans un tiroir. Il ne le sortira presque plus durant près de 40 ans, jusqu’à aujourd’hui.

ENTRÉE LIBRE

https://manif-est.info/LONGWY-1978-Proj ... e-638.html

Re: Petites histoires de grêves et manifestations du passé

MessagePosté: 12 Juin 2018, 21:50
de bipbip
Longwy power !

1978-1979, l’américain Steve Bingham filme Longwy en pleine effervescence : les mineurs et sidérurgistes luttent contre la suppression annoncée de leurs emplois. Une sacrée bataille, dont la caméra de Steve ne perd pas une miette. Jusqu’à donner un film, Longwy, jamais diffusé en France (l’ancien avocat était en cavale quand il l’a tourné, accusé d’avoir fourni une arme à l’un de ses clients incarcérés, le Black Panther George Jackson). Quarante ans plus tard, Steve remet pour la première fois les pieds sur place.

– « Mais qu’est-ce que c’est que ce truc couché dans la vallée, Michel ? »

– « Un haut-fourneau de l’usine Senelle, dynamité et laissé sur le flanc. Il tombe en ruines, Steve. Si tu savais comme ça nous fait mal au bide... Tu te rends compte du symbole ? » À côté de Michel, Sylvain, ancien ouvrier lui aussi, est en larmes. Il répète, entre deux sanglots, que lui et ses potes cégétistes, anarchistes et autonomes ne se sont pas assez battus. « On aurait dû foutre encore plus le bordel ! »

– « Je savais que les usines avaient fermé, mais je ne m’attendais pas à voir ça, reprend Steve, complètement hypnotisé par le paysage devant lui. Et autour du haut-fourneau, c’est quoi ? L’herbe est vachement bien tondue... »

– « Normal, c’est un golf. Un golf international. 700 adhérents, pour la plupart des banquiers luxembourgeois. Quand on leur demande s’ils aiment bien jouer à Longwy, ils répondent que le cadre est original. Que c’est unique… Après leur partie de golf, ils adorent manger au restaurant du club-house, qui s’appelle Les hauts-fourneaux. Une manière de savourer leur victoire sur la classe ouvrière. »

Le belvédère d’où le quatuor contemple la ville qui produisait jadis, avec deux autres sites lorrains, les trois quarts de l’acier et de la fonte françaises, permet à Steve Bingham, Michel Olmi et leurs amis d’observer un demi-siècle de désindustrialisation et de gestion socialiste et droitière de l’après-mine et de l’après-sidérurgie. Soit une catastrophe sociale et économique, doublée d’une fuite en avant au service de la bourgeoisie.

« C’était le bon temps »

C’est la première fois que Steve Bingham revient à Longwy depuis 1979. Un bail. À tel point qu’il ne reconnaît pas les lieux. Il y a quarante ans, caméra à l’épaule, il s’immergeait dans ce que les médias appelleraient « les événements de Longwy », marqués notamment par la naissance d’une « République populaire » à forte coloration rouge et noire. Toute une population se lève alors contre la décision de fermer les sites de production du Bassin, employant dans ses meilleures années plus de 20 000 personnes. Une décision mettant fin à 2 000 ans du travail du fer et à un siècle de sidérurgie. Et un oukase qui ne passe pas. Résistance. Les opérations coup de poing des sidérurgistes enflamment les autorités. Le commissariat de police est régulièrement attaqué au tractopelle. Johnny Hallyday est même kidnappé par les sidérurgistes [1]. Les premières radios pirates ouvrières de France sont lancées en toute illégalité dans la ville (SOS emploi, puis Radio Lorraine cœur d’acier). Une télé pirate voit le jour, première mondiale. La sous-préfecture, l’agence du journal local ou encore le bâtiment de L’Union des industries et métiers de la métallurgie, symboles des oppresseurs, sont mis à sac. « C’était le bon temps », soupire Sylvain. Le bon temps, sauf pour le pouvoir giscardien, qui craint de voir partir de cette ville du Nord de la Lorraine une révolution. Pas moins.

Devant le golf international ayant remplacé les laminoirs et les gueulards, dans cette vallée autrefois recouverte de la poussière nocive des métaux lourds, illuminée et rugissant même la nuit, le choc est frontal pour Steve Bingham. Ou plutôt  : pour Robert Boarts. Bob, quoi. C’est comme ça qu’il se faisait appeler à l’époque, alors qu’il était en pleine cavale. Parce qu’avant d’atterrir dans le chaudron longovicien, en plein milieu de cette population en fusion, Bob en a parcouru, des kilomètres. Toujours debout, la gueule ouverte. Comme une panthère noire.

Un avocat en territoire panthère

Stephen Mitchell (dit Steve) Bingham naît en 1942 à Salem (Connecticut), dans une famille en vue. Un père sénateur. Et un grand-père sénateur et gouverneur, qui fit aussi partie de l’équipe d’archéologues qui découvrit le Machu Picchu au Pérou. Diplômé des prestigieuses universités Yale et Bekerley, Steve devient avocat en 1970, après avoir travaillé pour le United Farm Workers of America, le grand syndicat des travailleurs agricoles. Il s’est aussi engagé aux côtés de la population afro-américaine du Mississippi, des plus pauvres et des migrants. « Quand vous prenez conscience des réalités et des injustices, et que vous avez des rêves, vous ne pouvez plus jamais faire marche arrière », explique Steve Bingham au journal Libération au début des années 1980. Et d’ajouter  : « J’ai suivi l’exemple de mon père, avocat très riche de la côte Est. J’ai été bouleversé par la lutte contre la ségrégation dans le sud des États-Unis et je suis allé militer dans le Mississippi ».

Après ces diverses expériences engagées, il se rapproche naturellement des Black panthers [2]. Et devient l’avocat de George Jackson, l’un des militants les plus actifs. En 1961, celui-ci, accusé d’avoir commis un larcin d’un montant de 70 dollars, est condamné à un an de prison renouvelable. Il n’en sortira jamais. Car il est ensuite accusé d’avoir assassiné, avec deux autres détenus, un gardien blanc en représailles du massacre de trois activistes noirs par un maton de la prison de Soledad.

Coup monté du FBI ?

Lui, l’un des frères de Soledad [3], se trouve donc incarcéré à San Quentin le 21 août 1971, quand Steve Bingham lui rend visite. Avec l’aide de son avocat, George Jackson souhaite organiser un procès civil contre les conditions de détention des prisonniers dans le pays. Gênant pour le gouvernement de Nixon. « À cette époque, je faisais partie de la National Lawyers Guild, une association nationale d’avocats engagés dans le soutien aux Noirs, migrants, militants, etc. Et J. Edgar Hoover, patron du FBI, nous avait en horreur. Il ne perdait jamais une occasion de dire que les plus dangereux n’étaient pas les ’’ terroristes ’’, c’est-à-dire dans sa tête les Black Panthers, mais leurs avocats. »

Mais ce 21 août 1971, tout se précipite. À en croire la version officielle (qui reste très contestée), une mutinerie éclate à la prison de San Quentin, juste quelques heures après la sortie de l’avocat. Pendant celle-ci, George Jackson aurait sorti un pistolet 9mm. Avant de se faire tuer, de même que deux codétenus et trois gardiens de prison. Steve Bingham en est persuadé  : il s’agit d’un coup (double) monté par le FBI. Pour abattre quelques activistes du Black Panthers Party, lesquels commençaient à organiser les prisonniers. Et pour écarter l’un de ses avocats. Car Steve Bingham est accusé d’avoir introduit l’arme dans la prison pour la remettre à George Jackson. Dans la foulée, il est condamné par contumace. Craignant pour sa vie, il décide de s’enfuir et d’entrer en clandestinité. Via une filière exfiltrant les déserteurs de la guerre du Vietnam, il change d’identité et devient Robert Boarts. Puis traverse l’Atlantique.

Le club des amnésiques

Nous revoilà au pied du haut-fourneau couché de Senelle à Longwy. Michel Olmi, Sylvain Fochesato, Steve Bingham et Françoise Blusseau, la femme de Steve, tentent d’éviter les balles des golfeurs qui déboulent sur eux. L’un des derniers vestiges de la sidérurgie lorraine est donc planté en plein milieu du practice [4].

Alors que les petites sphères fusent à quelques mètres du groupe, comme pour dire « vous n’avez rien à faire là », les deux anciens ouvriers racontent à quoi ce monstre de métal et de briques servait. Et les invités du jour ne peuvent s’empêcher de toucher l’immense objet, recouvert de rouille et d’une inscription  : « Debout, le cri ». Les prolos ont tout tenté pour sauver leur haut-fourneau. En pure perte. « Les socialistes ont choisi de mettre à bas toutes les traces de cette histoire, enrage Michel Olmi. Une destruction qui est toujours en cours  : il y a deux ans, ce sont les tours de refroidissement de l’usine qui ont été dynamitées, alors qu’on avait un projet de rénovation et de mise en valeur. Notre passé disparaît ainsi petit à petit ». Pour liquider un peuple, on commence par lui enlever sa culture. C’est ce qui se joue ici.

L’amour et la révolution

Retour en arrière – les seventies. Pendant quelques années, Steve Bingham, devenu Robert Boarts, vit de différents boulots en Italie et en France. Il est vendeur de parfum ou peintre en bâtiment, avant de bifurquer  : « J’ai finalement eu envie de me poser à Paris et j’ai entamé un cursus de cinéma au Centre universitaire expérimental de Vincennes. » Des années d’errance et d’études pendant lesquelles il tourne plusieurs documentaires engagés, notamment pour le Front paysan [5]. Il s’oriente ensuite vers des sujets plus sociaux. On est en 1978. L’un de ses professeurs lui conseille de s’intéresser à un lieu où les luttes ouvrières explosent. En fin d’année, Bob prend ainsi la direction de Longwy. Une ville en pleine ébullition, suite à l’annonce par le gouvernement de la suppression de 7 800 emplois. Le paternalisme des maîtres des forges, qui se sont enrichis avant de foutre le camp, est pointé du doigt. Les conditions de travail, les morts réguliers, les salaires toujours trop bas sont oubliés : place à la lutte pour « vivre et travailler au pays de Longwy ».

Dans cette aventure cinématographique, Robert Boarts embarque Françoise Blusseau, jeune étudiante de 18 ans sa cadette, rencontrée sur les bancs de l’université de Vincennes. Il lui propose de participer en tant qu’ingénieure du son. Durant plusieurs mois, le duo va filmer l’histoire de cette population en lutte. Françoise et celui qui se fait appeler Bob portent alors des idées proches de celles de la CFDT de l’époque, tendance autogestionnaire ; c’est donc tout naturellement qu’ils se laissent guider par Robert Giovanardi, l’un des hommes forts de la section locale du syndicat. Ce dernier leur ouvre les portes des usines, leur fait rencontrer les ouvriers et découvrir les cités ouvrières, où les femmes prennent une part active aux luttes, ainsi que les foyers d’accueil des travailleurs immigrés, victimes de discriminations. Et le couple se trouve plongé dans une ville en totale effervescence. Les mobilisations se succèdent, des manifestations de grande ampleur sont organisées, des affrontements violents surviennent ici et là dans la cité devenue ingouvernable. La caméra de Robert Boarts filme tout, y compris les divisions syndicales et le rôle joué par les partis politiques, le Parti communiste en tête.

De retour à Paris, il commence à travailler sur le montage de son film, qu’il décide d’appeler Longwy. Mais dans un coin de sa tête, l’envie de retourner aux États-Unis prouver son innocence fait son chemin. À l’été 1984, alors qu’il a fini le montage du film, il se décide. Et traverse l’Atlantique pour affronter son procès, afin de pouvoir construire une vie de famille avec Françoise. « Me rendre fut la décision la plus difficile de ma vie », dit-il à l’époque aux rares médias qui s’intéressent à son cas de notre côté de l’Atlantique. Car de l’autre côté, même s’il est un peu tombé dans l’oubli depuis la fin des années 1970, le fils Bingham, du nom de cette riche et respectable famille, reste une petite célébrité. Une petite célébrité en cavale.

« Pas un boulon ne sera démonté »

– « Vous pouvez m’emmener devant l’entrée de l’usine ? »

– « La porte B, tu veux dire, Steve ? »

– « Oui, c’est ça. Celle où j’ai filmé plusieurs discours. »

Michel Olmi et Sylvain Fochesato s’exécutent, les tripes serrées. On ne revient pas sans souffrance sur son passé de sidérurgiste et sur les trahisons des socialistes, François Mitterrand en tête. Ce dernier avait en effet promis aux ouvriers longoviciens en lutte de les soutenir une fois qu’il serait sur le trône. Mensonges. La mise à mort de la vallée, déjà dans le coma, est définitivement actée en 1984. « Ils nous disaient qu’on n’étaient plus compétitifs, que le minerai mauritanien était plus rentable, que nos machines étaient vieilles... Des conneries, tout ça ! Bon, c’est vrai, ces putains de boulots nous tuaient et empestaient l’air. Mais on en chiait ensemble, tu comprends ? »

Steve Bingham a du mal à se concentrer alors que la voiture se gare à quelques mètres de la porte B. Ici, Antoine Porcu, le député communiste du coin, avait pris l’habitude de parler longuement au micro aux ouvriers quittant leur poste. C’est lui qui, le 24 février 1979, réussit à empêcher l’attaque du commissariat par une foule de centaines de personnes en colère. Il en a même été remercié par des policiers affirmant que leurs armes étaient chargées à balles réelles ce jour-là et qu’ils avaient ordre de tirer. Que se serait-il passé si l’élu n’avait pas calmé les manifestants ? L’étincelle vers cette révolution que les Longoviciens ont manqué ? La fin du mouvement, qui déboucha quelques mois plus tard sur des compensations financières conséquentes et sur la retraite à cinquante ans pour les milliers de licenciés ? L’histoire retiendra que les communistes se rallièrent à Mitterrand. « Pas un boulon ne sera démonté, qu’ils nous disaient... On a reconnu nos amis, les premiers traîtres... », commentent Michel et Sylvain devant la passerelle rouillée.

Retour à la vie d’avant

Au moment de repartir aux États-Unis avec Françoise, Steve Bingham range son film Longwy dans un tiroir. Il ne le sortira plus en public durant près de 40 ans. Sa priorité a changé  : il souhaite retrouver une vie normale. « Mon procès, qui s’est tenu à San Francisco et a duré des mois, a ruiné ma famille. Heureusement, j’ai finalement été innocenté – cette histoire de mutinerie était par trop invraisemblable... George Jackson est mort, mais moi j’ai pu reprendre mon boulot d’avocat, pour les plus démunis, les réfugiés, etc. J’ai finalement retrouvé ma vie d’avant la cavale, qui aura duré treize ans. Treize longues années pendant lesquelles j’ai fait l’expérience de la solitude et de la paranoïa. J’avais tout le temps l’impression d’être suivi par un agent du FBI... C’était très dur. »

Il y a quelques années, Robert Boarts, redevenu Steve Bingham, contracte un cancer. Il vainc la maladie, mais elle lui donne envie de se retourner sur son existence mouvementée. Le désir de revoir cette ville ouvrière de Lorraine, dans laquelle est né son amour pour Françoise et qui l’a marqué par ses engagements, est le plus fort. Été 2017  : deux ans après avoir pris sa retraite, Steve revient à Longwy avec sa douce. Sur les traces de leur passé et des luttes qui ont secoué la ville. Et avec dans leurs bagages, le film, ainsi que des tonnes de souvenirs. « J’aimerais que notre travail d’alors soit vu par le plus grand nombre. Et notamment en Lorraine, où personne n’a pu jeter un œil au film. On reviendra donc en France en juin 2018, pour revoir nos amis lorrains et pour animer des projections. » Michel Olmi, Sylvain Fochesato et les autres seront là. Pas sûr que d’ici là, ils aient pris leur carte d’adhérent au golf.

Notes

[1] Le 7 mars 1979, après un concert à Metz, Johnny Hallyday est « invité » par une centaine de sidérurgistes longoviciens à se rendre, en pleine nuit, sur le site d’Arcelor. Une petite visite du site, et puis il est libéré.

[2] Mouvement révolutionnaire de libération afro-américaine et d’inspiration marxiste-léniniste formé en 1966 en Californie.

[3] George Jackson, Fleeta Drumgo et John Clutchette, les trois activistes accusés du meurtre du maton, sont restés dans la mémoire comme « Les frères de Soledad ». C’est d’ailleurs le titre d’un ouvrage publié depuis la prison par George Jackson (et réédité en France en 2014 par les éditions Syllepse).

[4] Terrain permettant aux golfeurs de s’entraîner.

[5] Organisation du mouvement agrarien français, fondé en défense de la paysannerie.


http://cqfd-journal.org/Longwy-power

Re: Petites histoires de grêves et manifestations du passé

MessagePosté: 14 Juin 2018, 11:51
de bipbip
Projection/discussion de "Longwy"

Strasbourg, jeudi 14 juin 2018

Steve Bingham est né en 1942 aux Etats-Unis. Avocat militant, il soutient notamment George Jackson, membre du Black Panther Party, lequel trouve la mort en 1971 lors d’une mutinerie au Pénitencier de San Quentin. Accusé de lui avoir fait passer une arme, Steve fuit vers l’Europe. Il entame alors un cursus en cinéma à la fac expérimentale de Vincennes. C’est là qu’il rencontre Françoise Blusseau, ingénieure du son, avec qui il se rend en Lorraine et filme avec passion la lutte des sidérurgistes de Longwy en 1978-79 contre la fermeture du site. En 1984, le montage du film est achevé, mais il ne sera que très très peu diffusé en France : après 13 ans de cavale, Steve retourne aux Etats-Unis, et se rend à la Justice. Il est finalement innocenté et reprend aux Etats-Unis ses activités d’avocat. Le film est resté dans l’ombre près de 40 ans. Steve et Françoise viennent aujourd’hui nous le présenter.

18 h : Apéro-rencontre avec Steve Bingham et Françoise Blusseau
19h : Buffet frais
20h : Projection
21h30 : Discussion autour du film en présence des réalisateur.ice.s

ENTREZ LIBRES !

S I M A G O 32 route des Romains, STRASBOURG.

"LONGWY" (2H)
Réalisé en 1978, “Longwy prend forme au cours de la lutte […] et met l’accent sur les contradictions : divisions syndicales, rôle des partis politiques, coordination des ouvriers à l’échelle nationale et internationale, place des femmes dans la lutte, spécificité de la lutte des travailleurs immigrés.”

https://manif-est.info/Jeudi-14-juin-pr ... G-641.html

Re: Petites histoires de grêves et manifestations du passé

MessagePosté: 24 Juin 2018, 18:35
de bipbip
en 1953, en plein mois d'août,

4 millions de travailleurs se mettent en grève

Grève générale
contre la réforme des retrait
es (déjà !)

Août 1953 ; une vraie, grande, belle grève générale. Souvenez-vous. Le gouvernement venait d’être constitué par Joseph Laniel, un patron de droite. Pour faire face aux dépenses de la guerre d’Indochine, il avait inventé un plan d’austérité. C’est-à-dire une réforme du statut de la fonction publique et un recul de l’âge de la retraite de tous les fonctionnaires (qui était alors à 58 ans pour les “services actifs”), soit un allongement de sept ans pour beaucoup d’entre eux. Il annonçait un blocage des salaires, et des licenciements chez les postiers non-titulaires.

Le 4 août, la CGT, la CFTC et le Syndicat autonome de la Poste appellent à débrayer une heure contre les décrets annoncés.

À Bordeaux, dans la cour de la poste principale, de nombreux facteurs expriment leur désaccord avec la mollesse des dirigeants fédéraux. Un militant anarcho-syndicaliste, Jean Viguié, propose aux postiers rassemblés de lancer une grève générale et illimitée qui, seule, peut faire reculer le gouvernement. La grève est votée et aussitôt, les grévistes téléphonent à leurs collègues, dans tout le reste du pays.

Deux jours plus tard, la grève était générale dans les PTT.

La CFTC puis la CGT appellent la fonction publique à une grève d’avertissement de 24 heures, le samedi 8 août.

La SNCF, EDF, les gaziers, Air France, la RATP, suivent massivement cette grève.

Le dimanche 9 août, le gouvernement Laniel publie un décret qui vise le régime particulier de retraites des cheminots.

Les cheminots poursuivent alors la grève.

Le 12, Laniel s’adresse au pays : « Je dis non à la grève ! » Et il pose comme préalable à toute reprise des discussions, la fin du mouvement de grève.

Le 13, la grève s’étend à la métallurgie et aux mines, aux banques, aux assurances, à la construction navale ; le 14, au bâtiment et à l’industrie chimique.

Dans le Midi, les viticulteurs dressent des barrages, menacent de s’emparer des préfectures. Il y a maintenant quatre millions de grévistes. Les ordures ménagères commencent à s’amonceler sur les trottoirs. Laniel reste inébranlable.

Le 17, il réquisitionne les employés des services publics, les cheminots, les postiers. La réaction est instantanée : partout en France, spontanément cortèges ou rassemblements se forment.

Le CNPF, encouragé par le comportement du gouvernement, refuse d’entendre parler d’augmentations salariales dans le secteur privé.

Alors, dans toutes les villes importantes, des milliers de travailleurs se rassemblent chaque jour devant la Bourse du travail où siègent les comités de grève.

Le 17, le chef du gouvernement, par un discours particulièrement agressif, donne une fin de non recevoir aux tentatives de FO et de la CFTC qui cherchent une solution pour terminer ce mouvement qui leur échappe. Car à la CFTC, on redoute que cela n’aboutisse à un triomphe communiste. Et les dirigeants de FO, à l’origine du mouvement, craignent d’être arrêtés.

Finalement dans la nuit du 20 au 21, le ministre des Travaux Publics “capitule” : aucune sanction ne sera prononcée contre les grévistes qui ont refusé d’obéir aux ordres de réquisition sauf pour ceux qui se seraient rendus coupables de fautes graves. Mais les journées de grève ne seront pas payées. Et les salaires seront discutés plus tard.

Le 21 août, à 13 heures, la CFTC ordonne la reprise du travail, suivie à 20 heures par FO. La CGT, ignorant ces mots d’ordre, tente de poursuivre la grève. Mais, finalement, le 25 aout elle invite ses adhérents à reprendre le chemin des usines et des bureaux.


http://canempechepasnicolas.over-blog.c ... 31670.html