Petites histoires de grêves et manifestations du passé

Petites histoires de grêves et manifestations du passé

Messagede Nico37 » 07 Déc 2008, 13:06

Les prud'hommes 60 ans après pour les mineurs grévistes

Vu sur le FMR

Soixante ans après une grève massive et durement réprimée dans les mines de charbon du Nord, d'anciens mineurs ont saisi la justice pour voir leur préjudice reconnu et obtenir des dommages et intérêts.

La première audience de conciliation devant le tribunal des prud'hommes de Nanterre se tient à huis clos ce lundi à 9H00.

L'affaire, qui remonte à l'automne 1948, vise à faire reconnaître comme "discriminatoires ou tout au moins abusifs" les licenciements des mineurs, a expliqué à l'AFP Me Slim Ben Achour, membre d'un collectif d'avocats spécialisé dans les discriminations.

Les dix-sept requérants, dont huit, décédés, sont représentés par leurs ayants droit, réclament 60.000 euros chacun de dommages-intérêts à la société publique Charbonnages de France, à laquelle s'est substituée depuis le 1er janvier 2008 l'Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs (ANGDM).

A l'automne 1948, la grève fut lancée pour s'opposer au démantèlement du statut des mineurs. Devenu rapidement massif, le mouvement suscita une répression d'ampleur, avec des interventions de l'armée et des CRS dans les houillères.

"Plusieurs centaines de personnes furent emprisonnées et 3.000 furent licenciées. Pour les mineurs, être licenciés signifiait qu'ils perdaient leurs indemnités de chauffage et de logement", a raconté Me Tiennot Grumbach.

Les mineurs et leurs familles ont attendu 1981 pour qu'une loi d'amnistie couvre les faits, puis la loi de finances 2005 a prévu une indemnisation couvrant les prestations de chauffage et de logement supprimées, mais pas les salaires non versés suite aux licenciements.

Sur les 17 requérants, environ la moitié ont depuis reçu des indemnités, selon les avocats.

Les anciens mineurs ont alors saisi la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde), qui n'est pas parvenue à trouver une médiation avec la société publique Charbonnages de France.

Selon les avocats, la durée de prescription pour une affaire de discrimination est en théorie de 30 ans, mais la loi d'amnistie de 1981 et d'autres textes "font renaître le droit à agir pour demander réparation".

Contactée par l'AFP, l'Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs (ANGDM) a confirmé l'existence d'un "différend sur les modalités de calcul des indemnités".

"L'objectif n'est pas de défavoriser ces gens, nous souhaitons les indemniser correctement et leur accorder tous les droits prévus par la loi", a indiqué le directeur général de l'ANGDM, Stéphane Layani, qui a précisé que des propositions "extrêmement précises" seront faites lors de l'audience de conciliation.


Un petit peu d'information sur cette grève, trouvé dans "Le mouvement ouvrier de 1815 à 1977" fait par cfdt réflexion...

"C'est le cas principalement de la grève des mines en 1948. RObert Lacoste, ministre du commerce et de l'industrie, publie en septembre 1948 une série de décrets: il entend à la fois lutter contre l'absenthéisme et réaliser des compressions d'emploi. L'émotion est grande dans le monde de la mine; le réponse va être d'autant plus massive que les mineurs ont également des revendications de salaire. A la suite d'un référendum lancé par la CGT, la grève générale se déclenche le 4 octobre; les mineurs FO et CFTC entrent en lutte aux côtés des cégétistes. Cette grève va durer 8 semaines. L'enthousiasme faiblisant et le gouvernement entreprenant de faire dégager par la troupe les puits de Moselle, la CGT réplique par une grève des installations de sécurité, des puits sont noyés. Des incidents se produisent alors entre cégétistes et mineurs des autres centrales qui ne veulent plus suivre dans cette voie et accusent la CGT d'orienter le mouvement vers des objectif politiques et de vouloir rééditer 1947. Cependant, dans les puits occupés, la grève se poursuit et tandis que le gouvernement entreprend par la troupe la 'reconquête' des bassins, la CGT tente de faire appel à la solidarité financière, mais aussi à la solidarité active des autres corporations. Elle y réussi chez les dockers, alors que les métallurgistes renaclent et que, chez les cheminots, le mouvement n'est guère populaire. Finalement, partiellement abandonnée par ses troupes, la fédération CGT donne l'ordre de reprise du travail le 29 novembre"

Dans l'Huma du 29 novembre 1948:
"Les violences et les manoeuvres du gouvernement réactionnaire, ainsi que la famine, sont parvenues à entamer notre bloc et certains des nôtres ont dû, la rage au coeur, reprendre le travail"

Remarque je suis pas sur que ce soit cette grève ...


60 ans après, la grève dans les mines du nord revient devant la justice


Le conseil des prud'hommes de Nanterre se penche mercredi sur la requête atypique d'anciens mineurs des houillères du Nord-Pas-de-Calais, qui veulent voir leur préjudice reconnu soixante ans après leur licenciement à la suite d'un mouvement de grève durement réprimé en 1948.

Dans ce dossier, les dix-sept requérants, dont certains, décédés, sont représentés par leur famille, demandent à la justice de reconnaître le caractère discriminatoire ou abusif du licenciement, intervenu à une époque où le droit de grève était déjà inscrit dans la Constitution.

A l'automne 1948, la grève, lancée par la CGT pour lutter contre une modification du statut des mineurs, allait durer deux mois et faire l'objet d'une dure répression, le gouvernement d'Henri Queuille y voyant un mouvement insurrectionnel dans le climat tendu de la Guerre Froide.

Au-delà des interventions de l'armée et des CRS, autorisés à tirer sur les grévistes, les licenciements massifs eurent pour conséquence de priver les mineurs concernés de leurs indemnités de logement et de chauffage prévues par leur statut. Certains requérants furent licenciés à la suite d'un autre mouvement de contestation, en 1952.

Les mineurs et leurs familles ont dû attendre jusqu'en 1981 et l'arrivée de la gauche au pouvoir pour qu'une loi d'amnistie couvre les faits. La loi de finances de 2005 a ensuite prévu une indemnisation pour les prestations de chauffage et de logement, mais pas pour les salaires non versés à la suite des licenciements.

Les requérants, qui demandent pour chacun 60.000 euros de dommages et intérêts, s'en étaient remis à la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde).

L'autorité n'avait pu trouver une médiation avec l'entreprise publique Charbonnages de France, aujourd'hui dissoute. La première audience devant les prud'hommes, en janvier dernier, n'avait là non plus débouché sur aucune conciliation entre les parties.

Les anciens mineurs, défendus par un collectif d'avocats spécialisés dans les affaires de discrimination, réclament que leur préjudice soit dédommagé par l'Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs (ANGDM), l'établissement public créé en 2004 pour prendre en charge les droits sociaux des mineurs lorsque l'activité de leur entreprise a cessé.

Interrogé par l'AFP, son directeur général, Stéphane Layani, indique que l'Agence a "déjà régularisé la situation de ceux qui devaient être indemnisés" pour les indemnités de chauffage et de logement.

"Et nous ne nous estimons pas concernés par un procès en responsabilité sur ces licenciements. Nous ne sommes pas leur employeur", ajoute-t-il

Devant la justice, se posera également la question de la prescription, en théorie 30 ans pour les affaires de discrimination.

Pour les avocats des anciens mineurs, la loi d'amnistie de 1981 et d'autres textes, intervenus depuis, font renaître le droit à agir.

L'audience est prévue mercredi à 13H30.

AFP 18/11/08
Nico37
 
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Petites histoires des grandes grêves du passé

Messagede Antigone » 08 Sep 2009, 16:00

D'ici la fin de l'année, je vais transformer ce topic en bibliothèque.
Je vais mettre en ligne un certain nombre de textes qui font le récit de grandes grêves qui en leur temps ont marqué les esprits quoiqu'elles soient moins connues que celles de 1936 et 1968.
Avec le temps, ces textes sont devenus des raretés. Ils ont été publiés dans des brochures ou des revues qui ne sont plus disponibles (seule celle de LO a été rééditée il y a... longtemps).

Leur intérêt est qu'ils ont été écrits par des ouvriers révolutionnaires qui ont participé à ces conflits. Ils racontent comment se sont créés les comités de grêve et leur combat contre les manoeuvres, les trahisons, les oppositions des bureaucraties syndicales.
Mis bout à bout, ils montrent comment les expériences servent aux mobilisations qui suivent, racontent la genèse souterraine de 68 dans le monde ouvrier, annoncent aussi les ruptures minoritaires des années 70-80.

- extraits de Grêve Renault d'avril-mai 1947 par Pierre Bois (alias "Vic"), de Union Communiste puis Lutte Ouvrière.
- Les grêves d'août 1953 par Robert Dussart, La grêve des postiers par Daniel Faber, La grêve des cheminots par Georges Petit (alias "Georges Petro"), La grêve chez Renault par Jacques Gautrat (alias "Daniel Mothé"), dans Socialisme ou Barbarie n°13.
- Les grêves de l'été 1955 à Nantes et St-Nazaire par Jacques Simon, dans Socialisme ou Barbarie n°18.
- Juillet 1957 - Grêve des Banques par Henri Simon (alias "Jacques Berthier"), dans Socialisme ou Barbarie n°23.
- Grêve du printemps 1982 à la Société Générale par Gérard Ribou (alias "Hème"), de PIC/L'insécurité Sociale.
S'il me reste encore un peu d'énergie, je joindrai quelques lettres de démission des syndicats datées de l'après 68 et des années 70.

Il faut juste me laisser le temps de reproduire tout ça...

J'invite les membres de ce forum qui auraient des textes provenant de vieilles brochures à moitié déchirées et relatant d'autres grandes mobilisations ouvrières à les poster.
Antigone
 

Re: Petites histoires des grandes grêves du passé

Messagede Antigone » 04 Oct 2009, 13:51

PETIT PREAMBULE

C'est en avril 1947 qu'éclatait aux usines Renault une grève qui, comme l'écrit Pierre Bois ("Vic"), fut “Ia première grande manifestation du prolétariat industriel de l'après-guerre“.
Cette grêve était une renaissance. Interdite pendant les années de guerre et d'occupation, dénoncée par Maurice Thorez comme "l'arme des trusts", la grève reprenait place parmi les modes d'action de la classe ouvrière.
Celle de Renault va avoir un profond retentissement. Au point de vue politique, elle provoquera la fin de la collaboration des ministres PCF mise en oeuvre à partir de septembre 1944 par De Gaulle à la tête du Gouvernement provisoire.

Dès la fin de ce conflit et durant plusieurs mois, une flambée de grêves s'étendra dans tout le pays, paralysant la sidérurgie, la SNCF, les Houillères. Cette fois, le PCF n'étant plus aux affaires, la direction de la CGT ne s'y opposera pas et jouera un rôle de canalisateur pour empêcher la généralisation des conflits. Toutefois cela ne suffira pas. Malgré que le droit de grêve ait été reconnu par la Constitution de la IVe République, le gouvernement décrétera l'état de siège en Lorraine, ce qui donnera lieu à des batailles rangées entre CRS et mineurs et à une répression sanglante. 60 ans après, des familles de mineurs emprisonnés demandent encore réparation à l'Etat...

Plus globalement, la grêve Renault sera le point de départ d'une série de mouvements qui, pendant une décennie, toucheront les principaux secteurs de la vie économique française, transformeront chaque fois un peu plus les capacités de luttte de la classe ouvrière et trouveront leur débouché dans le séisme social de mai 68.

Dans "Nekrassov", une pièce de théâtre montée dans les années 50, Jean-Paul Sartre faisait dire à un de ses personnages "il ne faut pas désespérer Billancourt". En 1968, la réplique était tellement entrée dans le langage public que même Pompidou se plaisait à la reprendre.
Cela illustre l'importance de Renault (entreprise nationale) dans la société française d'alors. Car Renault, c'était le poumon de la classe ouvrière, et ça l'est resté jusqu'à la crise, jusqu'au milieu des années 70.
Les plus anciens se souviennent sûrement des apparitions televisuelles devant une kyrielle de microS d'un petit bonhomme, toujours vêtu d'un bleu de travai sans tâche. Roger Sylvain, le secrétaire de la section CGT de Billancourt était aussi connu que Georges Séguy (le secrétaire général) et presque autant considéré et écouté par le pouvoir gaulliste.

La grêve Renault de 1947 est ce que j'appelle aujourd'hui une grêve "à l'ancienne", c'est-à-dire le genre de grêve qui revêtait un aspect conspirationniste, qui se déclenchait en appuyant sur un bouton et se dirigeait en montant sur une table, en ayant de la gueule, parce qu'on cherchait de cette manière à concurrencer les staliniens dans la direction de la lutte et à les battre en brêche sur leur type même d'intervention.

La plaquette qui lui est consacrée a été publiée par LUtte Ouvrière en 1972, mais cette grêve avait déjà été relatée du temps de Voix Ouvrière, consituant dans les années 56-68 à la fois l'acte fondateur et un élément essentiel de formation des cadres de l'organisation trotskyste.
Lorsque j'étais militant à LO, la référence à la grêve de 1947 était incontournable, quasi-mythique, et le texte de Vic une sorte de guide indispensable à tout militant ouvrier révolutionnaire.

Elle a tellement influencé ma formation que même le groupe anti-syndicaliste "autonome" dont j'ai été à l'initiative dans mon entreprise en 1977-78 s'en inspirait (!) avec un journal, copie presque conforme, tant dans la forme que sur les objectifs, de La Voix des Travailleurs de chez Renault...
Plus tard, lorsque je suis dévenu conseilliste, j'ai proposé cette plaquette à l'étude pour qu'on en ressorte des éléments de ce qu'il vaut mieux ne pas faire, ce qui ést devenu inconcevable voire ridicule avec la mutation culturelle et le changement des comportements constatés dans la classe ouvrière depuis tout ce temps, mais également pour qu'on relève ce qui, depuis, caractérise l'intervention des militants de LO, toujours aussi influents dans les conflits sociaux. Parce que bien connaitre un adversaire, c'est un bon atout pour le combattre.

Cette plaquette a fait récemment l'objet d'une réédition. Celle-ci ne s'explique pas seulement par l'épuisement de l'édition précédente, mais par la nécessité de réalimenter la formation militante d'entreprise à un moment charnière et générationnel de cette organisation.
Je n'ai pas trouvé utile de reproduire la présentation de la situation politique à la veille de cette grêve qui en a été faite par son auteur ni même sa conclusion parce que trop insupportablement trotskystes. Je m'en suis tenu au récit. Ou comment de gentils stals parviennent à supplanter de méchants stals...


Vic (1922-2002)

J'ai bien connu Vic.
Il avait 50 balais et j'étais jeune con.

Quand je suis rentré à LO, je sortais quasiment de mon lycée technique. Les militants avec qui j'avais eu affaire pour ma formation n'avaient pas plus de 30 ans. Avec l'habitude des manifs lycéennes, ça me paraissait aller de soi qu'un révolutionnaire devait forcément être jeune. Je n'aurais pas imaginé qu'il pouvait aussi avoir l'âge de mon père...

Vic était l'archétype de l'ouvrier "qui sait ouvrir sa gueule" tel qu'on l'imagine sorti des années 50.
S'il avait fait un casting pour un film populo avec Gabin, nul doute qu'il aurait été engagé. Son éternel mégot accroché au coin des lèvres, il régnait sur l'organisation technique de la fête de LO. Et quand tout baignait, il sortait d'on ne sait où une trompette et nous régalait de quelques airs. Il était ado quand il avait fait partie d'une fanfare stalinienne dans les années 30.

Il pouvait se permettre de ne pas obéir aux consignes de l'organisation concernant les seconds tours d'élections. Il a d'ailleurs reconnu ne pas avoir voté Mitterrand en 1981. Pas sûr qu'il ait eu une attitude différente en 1965 et en 1974 ? On le considérait comme "quelqu'un d'un peu libertaire"... Mais on le respectait trop pour lui en tenir grief.

Il était devenu membre du groupe Union Communiste (trotskyste) vers de 1941-42. Puis comme tout réfractaire au S.T.O., il avait vécu la fin de la guerre dans la clandestinité.
A la Libération il a d'abord travaillé chez Citroën-Javel avant de se faire embaucher chez Renault à Billancourt en 1946 à la demande de David Korner (alias "Barta", le dirigeant historique). Il faut dire que Renault était un lieu prioritaire d'investissement militant. A la Libération, on y retrouvait toutes les tendances révolutionnaires hostiles au PCF (anarchistes, bordiguistes, trotskystes).

Après cette grêve, Vic fut en quelque sorte contraint de créer un syndicat indépendant, le Syndicat Démocratique Renault (SDR) alors que quelque mois plus tôt il rejetait toute idée de "syndicat rouge". Le SDR se retrouva rapidement dans la même situation d'isolement que la CNT dont Vic avait pourtant dénoncé la création en 1946. La question des tâches nécessaires pour faire fonctionner un syndicat de plus en plus éloigné de la grande masse des travailleurs fut à l'origine d'une engueulade entre Vic et Barta, ce qui provoqua l'éclatement du groupe Union Communiste en 1949.
Pour simplifier grossièrement, Barta était plutôt pour privilégier la survie d'un parti même à l'état groupusculaire, en préservant son avant-garde comme cela fut réalisé pendant la guerre, tandis que Vic, pris au piège du fait accompli, préférait mettre son énergie à tenter de faire vivre un syndicat révolutionnaire.

Sur la lancée de cet engagement, Vic participa au début des années 50 avec Daniel Mothé, fraiseur, et d'autres ouvriers de Renault, proches de Socialisme ou Barbarie, à la publication de bulletins et journaux d'entreprise, Le Tavailleur émancipé puis Tribune Ouvrière. Pour la petite histoire, c'est en hommage à ce journal que l'ex-T2 de la LCR (tendance conseilliste) que je rejoignis, prit le nom de Tribune en 1979.

On ne sait pas grand chose des relations de Vic avec Socialisme ou Barbarie, à part qu'il ne pouvait pas piffer Castoriadis. Une sorte de trou noir dans sa biographie. D'ailleurs, LO a toujours été très discrète au sujet de cette période 1950-55 pendant laquelle s'affrontaient franckistes et lambertistes pour la direction de la IVe Internationale.
Toujours est-il qu'en 1956, Vic referma le chapitre conseilliste. Il se réconcilia avec Barta, on ne sait comment (?), et avec quelques autres, dont le sulfureux Robert Barcia (alias "Hardy"), ils créèrent Voix Ouvrière (troskyste), l'ancêtre de Lutte Ouvrière.

S'il n'y avait eu à LO que des mecs comme lui, peut-être que je serais resté plus longtemps et peut-être même resté tout court (difficile de dire). Mais l'influence grandissante de la petite bourgeoisie salariée (profs pour beaucoup) après 68 a profondément modifié l'identite ouvrièriste intransigeante de l'organisation pour imposer en quelques années Arlette en produit de marketing et le discours parlementariste qui va avec.

Après avoir quitté LO, je n'ai plus jamais revu Vic, mais plusieurs fois, j'ai repensé à lui. en mesurant la distance de plus en plus importante qui m'en séparait désormais.
Modifié en dernier par Antigone le 11 Oct 2009, 00:20, modifié 1 fois.
Antigone
 

Re: Petites histoires des grandes grêves du passé

Messagede Antigone » 04 Oct 2009, 13:55



LA GREVE RENAULT D' AVRIL - MAI 1947 (extraits)
par Pierre Bois (alias "Vic")

.../...
Fin 1946, la CGT, devant le mécontentement grandissant des ouvriers et son impuissance à obtenir quelques revendications pour compenser quelque peu la hausse des prix, essaie de trouver un biais pour réclamer des augmentations de salaires. Elle lance l'idée d'une "prime progressive de production" (PPP).

Au début de l'année 1947, elle annonce un "premier succès". Elle a obtenu une prime progressive de production de 2 francs de l'heure au coefficient 100 avec effet rétroactif en 1946.
Cette prime, loin de satisfaire les travailleurs, les révolte.

Dans le secteur Collas (Départements 6 et 18) à l'initiative d'un militant de la tendance trotskyste Lutte de Classe (Union Communiste) s'est constitué un petit groupe révolutionnaire.
Les ouvriers qui composent ce groupe ne se réclament pas tous du trotskysme. Ce sont des ouvriers qui veulent lutter pour que ça change. Ils sont contre le capitalisme, mais ils ne se disent pas communistes, au contraire, car pour eux le communisme, c'est le PCF qui leur fait retrousser les manches et dont les militants responsables se conduisent en gardes-chiourmes.

L'ACTION SE PREPARE

Ils déclenchent une campagne d'agitation contre la prime progressive de production (PPP qui étant hiérarchisée, accorde davantage aux improductifs qu'aux productifs). Au Département 6 qui comprend 1200 travailleurs, ils lancent une pétition qui recueille 850 signatures, malgré l'hostilité et l'obstruction des dirigeants du syndicat CGT.
Le 15 février 1947, ils publient le premier numéro d'un bulletin intitulé La Voix des Travailleurs de chez Renault.

Ce même 15 février, la section syndicale organise une réunion pour désigner les représentants à une "conférence de production". De la prime et de sa répartition, il n'en est pas question.
Les ouvriers qui sont à l'origine de la pétition invitent les travailleurs à se rendre à la réunion.
Voici le texte de leur convocation:

Camarades des Départements 6 et 18,
Notre section syndicale convoque une réunion pour désigner les délégués à une conférence de production. Mais elle ne nous donne aucune réponse à notre pétition au sujet de la prime.
Nous savons que les représentants syndicaux veulent étouffer notre protestation. Craignant d'avoir à s'expliquer sur la prime devant tout le monde, ils veulent refuser l'entrée de la réunion aux non-syndiqués.
Il ne faut pas nous laisser étouffer par leurs procédés bureaucratiques.
Tous ce soir à la cantine, syndiqués et non-syndiqués, pour imposer l'égalité de la prime.
Des ouvriers du secteur.

Alors que d'ordinaire, les réunions syndicales sont désertées, ce jour-là, c'est plus d'une centaine de travailleurs qui viennent y assister.
Les dirigeants de la CGT ont prévu le coup et ont mis à la porte des militants qui interdisent l'entrée non seulement aux non-syndiqués mais également aux syndiqués qui ne sont pas à jour de leurs cotisations.

Il faut dire qu'à l'époque presque tous les ouvriers étaient "syndiqués" puisque cela était quasiment imposé par l'appareil syndical. Les timbres et les journaux étaient vendus ouvertement dans les ateliers et ceux qui les refusaient étaient vite repérés. Néanmoins depuis quelque temps, certains travailleurs faisaient la grêve du timbre.

Les ouvriers qui étaient à l'origine de la pétition font alors observer que le fait de ne pas être à jour de ses cotisations, surtout pour une période inférieure à trois mois, ne pouvait pas être considéré comme une démission. Et comme ils sont, de loin, les plus nombreux, ils poussent un peu et rentrent dans la cantine qui sert de lieu de réunion.

Après le rapport du délégué sur la fameuse "conférence de production", plusieurs ouvriers interviennent pour s'opposer à la prime de production.
C'est alors que le secrétaire général du syndicat se lève furieux: "Il apparait qu'on veut empêcher la CGT de parler (la CGT, c'est lui, pas les syndiqués) . Il apparait qu'ici on veut faire de la démagogie..."
A ce mot de démagogie, un ouvrier se lève en disant: "On a compris, la séance est levée." Et il sort, suivi de l'assistance, à l'exception de 13 fidèles de l'appareil syndical !

A la suite de cet incident, comme l'a si bien dit notre camarade, on a compris. On a compris que si nous voulions faire quelque chose, il faudrait le faire sans les syndicats et même contre eux.

Les camarades regroupés autour de La Voix des Travailleurs de chez Renault poursuivent leur activité. Ils sortent leur bulletin tous les quinze jours et font des réunions qui regroupent 10, 12, 15 personnes. Leur audience s'accroit. Bientôt des réunions ont lieu avec des membres du MFA (Mouvement Français de l'Abondance), mouvement économiste regroupant surtout de la petite maitrise; avec des anarchistes, des syndicalistes de la CNT, des bordiguistes et des trotskystes du PCI.

Ces assemblées réunissent 50 à 60 personnes mais dans une assez grande confusion, chacun voulant faire prévaloir son point de vue.
- Le MFA critiquent les hausses de salaires qui ne mènent à rien. Mais devant les hausses des prix contre lesquelles ils ne peuvent rien, ils acceptent de rallier la proposition d'une hausse de salaires.
- Le PCI (trotskyste) veut à toute fin baptiser ces réunions "Comité de lutte" pour les plier à une discipline commune tant pour les objectifs que pour l'organisation de l'action.
- Les anarchistes de la CNT discutent sur "l'instinct grégaire des masses". Ils n'ont pas de but. "Ce qu'il faut, c'est la grêve, on verra bien après."
- Quant aux bordiguistes, ils sont divisés en deux tendances. Pour les uns ce qui compte surtout, c'est la "théorie" qu'il faut approfondir en attendant que les ouvriers soient d'eux-mêmes prêts à engager une lutte (sous leur direction évidemment). Les autres sont pour l'action immédiate afin de renverser le pouvoir bourgeois et de le remplacer par un pouvoir ouvrier mais sans la dictature (?) d'un parti. Climat assez peu favorable pour engager une action positive.

Les camarades de La Voix des Travailleurs de chez Renault rétorquent aux camarades du PCI qu'on ne peut pas s'intituler "Comité de lutte" ni agir en tant que tel.
"Nous sommes des camarades de tendances différentes - disent-ils en substance - avec une formation différente, donc avec des idées et des positions différentes. Se mettre d'accord entre nous est une utopie. Ce qu'il faut c'est travailler à organiser les travailleurs. C'est notre droit de chercher à les influencer selon nos convictions, mais c'est notre devoir de se soumettre à leurs décisions collectives.
Les "Comités", ce sont les organes de lutte de la classe ouvrière où les ouvriers élisent les représentants révocables à tout instant pour appliquer les décisions prises à la majorité des travailleurs.
Nous devons aider les travailleurs à constituer leurs comités et non nous désigner nous-mêmes comme "Comité de lutte".

Les camarades de La Voix des Travailleurs de chez Renault proposent donc de cesser les discussions qui ne peuvent qu'être stériles en l'absence du contrôle de la grande masse des travailleurs. Ils proposent que l'on se mette d'accord sur deux objectifs:
1/ face à l'augmentation des prix, de la politique du gouvernement et de la complicité des organisations qui se réclament de la classe ouvrière, proposer aux travailleurs de revendiquer une augmentation de salaires de 10 francs sur le taux de base;
2/ considérant que seule la grêve est capable de faire aboutir une telle revendication, faire de l'agitation pour la grêve.

De fait, seuls les camarades de La Voix des Travailleurs de chez Renault font de l'agitation dans ce sens dans leur bulletin. La CNT, elle, publie des papillons où est inscrit en caractères de plus en plus gros le mot "GREVE" sans autre explication.
Cette agitation se développe dans un climat d'autant plus favorable que depuis quelques jours, en face de la poussée des prix, des réactions spontanées, mais toujours contenues et entravées par l'appareil stalinien de la CGT, se produisent dans différents secteurs de l'usine.

Voici à ce propos, ce qu'écrivait P.Bois, dans un article paru dans La Révolution Prolétarienne et intitulé "La montée de la grêve":

Depuis quelques semaines dans l'usine, se manifestaient divers mouvements qui avaient tous pour origine une revendication de salaire. Tandis que la production a augmenté de 150% en un an (66,5 véhicules en décembre 45 et 166 en novembre 46) notre salaire a été augmenté seulement de 22,5% tandis que l'indice officiel des prix a augmenté de 60 à 80%.

Dans l'Ile, c'est pour une question de boni que les gars ont débrayé; à l'Entretine, c'est pour réclamer un salaire basé sur le rendement. Au Modelage-Fonderie, les ouvriers ont fait une semaine de grêve. Ils n'ont malheureusement rien fait pour faire connaitre leur mouvement parce qu'ils pensaient que "tout seuls, ils avaient plus de chance d'aboutir". Au bout d'une semaine de grêve, ils ont obtenu une augmentation de 4 francs sauf pour les P1.

A l'Artillerie aussi, il y a eu grêve. Ce sont les tourneurs qui ont débrayé les premiers, le jeudi 27 fevrier, à la suite d'une descente des chronos. Les autres ouvriers du secteur se sont solidarisés avec le mouvement et une revendication générale d'augmentation de 10 francs de l'heure ainsi que le réglage à 100% ont été mis en avant. Cela équivalait à la suppression du travail au rendement. Sous la pression de la CGT le travail a repris. Finalement, les ouvriers n'ont rien obtenu, si ce n'est le réajustement du taux de la prime, ce qui leur fait 40 centimes de l'heure.

A l'atelier 5 (Trempe, secteur Collas), un débrayage aboutit à une augmentation de 2 francs.
A l'atelier 17 (Matrices) les ouvriers, qui sont presque tous des professionnels, avaient revendiqué depuis trois mois l'augmentation des salaires. N'ayant aucune réponse, ils cessèrent spontanément le travail.
Dans un autre secteur, les ouvriers lancent une pétition pour demander la réélection des délégués avec les résultats suivants: 121 abstentions, 42 bulletins nuls comportant des inscriptions significatives à l'égard de la direction syndicale, 172 au délégué CGT, 32 au délégué CFTC.

Au secteur Collas, les ouvriers font circuler des listes de pétition contre la mauvaise répartition de la prime de rendement. D'autres secteurs imitent cette manifestation de mécontentement, mais se heurtent à l'opposition systématique des dirigeants syndicaux.
L'atelier 31, secteur Collas, qui avait cessé spontanément le travail par solidarité pour l'atelier 5, n'ayant pu entrainer le reste du Département a été brisé dans son élan par les délégués. On le voit, depuis plusieurs semaines une agitation grandissante se manifestait. Partout volonté d'en sortir, mais partout aussi sabotage systématique des dirigeants syndicaux et manque absolu de direction et de coordination.

UNE TENTATIVE RATEE

Au milieu du mois de mars 1947, les travailleurs de l'atelier 5 (Trempe-Cémentation) débrayent pour réclamer une augmentation de 2 francs de l'heure.
Au Département 6, tout proche, des ouvriers qui publient La Voix des Travailleurs de chez Renault, mais qui ne sont pas officiellement connus en tant que tels, car la moindre "preuve" légale suffirait à les faire licencier, se rendent en délégation auprès des grévistes de l'atelier 5.

Le délégué de cet atelier, stalinien sectaire aussi grand que fort en gueule, les envoie balader. Non seulement il n'a pas besoin d'un coup de main des gars du Département 6, mais de plus il ne veut pas qu'ils compromettent son mouvement en se joignant à eux.
Les camarades du Département 6 n'attendaient rien d'autre de cet individu, mais cela pose un problème. Que devons-nous faire ?

Si on se met en grêve, les staliniens de la CGT vont hurler que l'on sabote "leur grêve". Par ailleurs, il est certain que si nous devons tenter quelque chose nous avons intérêt à le faire pendant que d'autres sont déjà en lutte.
Très rapidement, les ouvriers décident de se mettre en grêve. Cela représente une centaine de personnes sur les 1200 que compte le Département 6 et les 1800 du secteur Collas (6 et 18). Mais il n'est pas question de se mettre en grêve à 100.

Tous les travailleurs en grêve se répandent alors dans les ateliers pour demander aux autres ouvriers de venir se réunir dans le hall de l'atelier afin de décider tous ensemble de la poursuite ou non du mouvement.
A peu près la moitié du Département, soit 5 à 600 travailleurs, rejoignent le lieu de la réunion en arrêtant les moteurs. Mais tandis que se déroule le meeting, les délégués, qui étaient en réunion et qui ont appris la chose, reviennent en hâte, remettent les moteurs en route et engagent leur campagne de dénigrement, de démoralisation et de calomnies.

"Vous n'obtiendrez rien par la grêve" disent-ils en substance. "Les patrons n'attendent que cela pour envoyer la police, et puis une grêve, ça peut durer un mois, peut-être plus - Vous allez crever de faim - Vous vous laissez entrainer par des aventuriers, des anciens collabos", etc., etc.
Les ouvriers ne sont guère sensibles à ces arguments. Seulement ils savent qu'ils ont contre eux la Direction et le gouvernement. Si en plus il faut se battre contre les syndicats, cela leur parait au dessus de leurs moyens.

Le mouvement reflue. Les moteurs retournent, les ouvriers retravaillent. Devant cet effrittement, les camarades qui ont convoqué le meeting le terminent en constatant leur échec et en proposant de mieux s'organiser la prochaine fois.

VERS LA GREVE

Les camarades de La Voix des Travailleurs de chez Renault ne sont nullement découragés et ils continuent leur action.

Au début d'avril, ils font circuler une pétition pour réclamer une augmentation de 10 francs sur le taux de base. Partout où elle peut être présente, cette pétition recueille une grosse majorité de signatures.
Pour faire parvenir les pétitions à la Direction, il faut les faire porter par les délégués. Devant le succès de ces pétitions ceux-ci n'osent refuser mais ils sabotent.
Là, ils font pression sur les ouvriers pour empêcher les listes de circuler, ici ils prennent les feuilles et les font disparaitre.

Personne n'a d'illusions sur la valeur des pétitions, mais les travailleurs les signent d'abord parce que c'est un moyen d'exprimer leur mécontentement et de donner leur accord à une augmentation de salaire qui ne soit pas lié au rendement.
Ensuite parce que c'est un moyen de tester les délégués pour voir jusqu'à quel point ils osent s'opposer à leur volonté.
Enfin pour beaucoup leur signature est un désaveu de l'attitude des délégués voire la marque d'une hostilité qu'ils ne sont pas mécontents de pouvoir manifester.

On parle d'augmentation de 10 francs, on parle de grêve. Il y a bien des bulletins La Voix des Travailleurs de chez Renault qui créent une certaine agitation, il y a bien des pétitions, il y a bien eu la tentative avortée du mois de mars, mais tout cela ne débouche sur rien.
Certains ouvriers sont impatients. "Alors ça vient cette grêve !" Mais d'autres sont sceptiques.

Dans une de leurs réunions, les ouvriers qui font paraitre La Voix des Travailleurs de chez Renault décident d'agir.

Le jeudi 17 avril 1947, ils organisent un meeting à la sortie de la cantine. Evidemment, les ouvriers qui travaillent en équipe ne sont pas là. Mais la grande majorité de ceux qui travaillent en "normale" sont présents.

L'orateur monte sur le rebord d'une fenêtre d'un bâtiment situé juste à la sortie de la cantine.
Il explique la situation aux travailleurs.
"Les prix augmentent, les salaires restent bloqués. Ce qu'il nous faut c'est 10 francs de plus sur le taux de base."
D'ailleurs, ce chiffre, il ne l'invente pas. C'est celui qui a été proposé par le secrétaire général de la CGT, Benoit Frachon, c'est celui qui a été retenu par le Comité confédéral.
"Ce qu'il faut, c'est obtenir cette revendication. Et en fait il n'y a pas d'autres moyens que la grêve. Les dirigeants de la CGT vont contre la grêve, alors il faudra la faire sans eux, peut-être contre eux."

L'orateur réfute les arguments avancés par les délégués lors du débrayage manqué.
"On nous dit que l'on va crever de faim. Mais nous avons crevé de faim pendant cinq ans. On nous dit que le gouvernement va nous faire envoyer des gaz lacrymogènes comme le 30 novembre 1938. Pendant cinq ans il nous a bien fallu résister à autre chose que des gaz lacrymogènes. Les bombes ne nous faisaient pas seulement pleurer les yeux; elles écrasaient nos maisons et nous avec."
"Vraiment, c'est à croire que ceux qui se réclament du "parti des fusillés", qui se disent les "héros de la Résistance" n'ont rien vu pendant les cinq ans qu'a duré cette guerre."

L'orateur montre sans fard les difficultés de la lutte: des privations, peut-être des coups, et en cas d'insuccès des licenciements. Mais parallèlement il rappelle les souffrances cent fois pires que "nous venons d'endurer pour des intérêts qui n'étaient pas les nôtres."
"Malgré des difficultés réelles, nous sommes tout à fait capables de mener une lutte et d'en sortir victorieux."
"Et ceux qui veulent nous décourager en prétendant que nous en sommes incapables nous méprisent ou ont des intérêts différents des nôtres, ou les deux à la fois."

L'orateur termine son exposé en appelant à la lutte.
D'abord il propose le principe de voter une augmentation de 10 francs sur le taux de base. Toutes les mains se lèvent à l'exception d'une trentaine, les irréductibles du PCF.
Ensuite, il propose la formation d'un Comité de grêve et demande des volontaires. Les amis de La Voix des Travailleurs de chez Renault lèvent la main. D'autres suivent.

Les candidats montent sur la tribune improvisée et l'orateur fait ratifier leurs candidatures par un vote.

L'assistance s'attend au déclenchement de la grêve. L'orateur précise alors aux travailleurs que le Comité de grêve qu'ils viennent d'élire va aller déposer la revendication à la Direction. Dorénavant, ce Comité est mandaté pour agir en leur nom. Il le fera. Mais pour l'heure il demande aux travailleurs de regagner leur travail.

Sitôt le meeting terminé, le Comité de grêve se rend à la Direction du Département qui commence par faire des difficultés en prétendant que les membres du Comité de grêve ne sont pas des représentants "légaux".
Les représentants du Comité de grêve lui font observer qu'ils ont été élus non en vertu d'une loi bourgeoise mais par les travailleurs eux-mêmes.
Le refus de discuter avec eux équivaudrait à un camouflet lancé aux travailleurs qui ne manqueraient pas d'en tirer les conclusions.

Le chef du Département change alors sa défense.
Ce n'est pas lui qui peut décider d'une augmentation de 10 francs de l'heure sur le taux de base. Il en référera à la Direction.

Le Comité de grêve lui donne alors 48 heures pour donner la réponse de la Direction en lui rappelant que le principe de la grêve a été voté par les ouvriers.
Manifestement, le chef du Département n'est pas du tout impressionné. Après le meeting il s'attendait à un mouvement de grêve. Dans les circonstances d'alors ce ne pouvait être bien plus grave avec l'hostilité des délégués. Mais c'est toujours ennuyeux pour un chef d'avoir affaire à des conflits sociaux. Or, voilà que tout se termine au mieux par la vantardise de quelques "jeunots". Le travail a repris, pour lui c'est l'essentiel.

Le Comité de grêve se réunit à plusieurs reprises pour essayer de trouver les meilleures conditions du déclenchement de la grêve.

D'abord, il se renseigne sur l'état des stocks. Par des magasiniers, il apprend que les stocks de pignons sont assez faibles. Or c'est le Département 6 qui les fabrique.

Les membres du Comité de grêve sont des O.S. inexpérimentés qui connaissent très peu le fonctionnement de l'usine. Il faut se renseigner sur les moyens de couper le courant à la centrale du Département dans des conditions de sécurité. Mais ils ne connaissent personne.
Les gens qui vont nous renseigner sont-ils avec nous ? "S'ils sont au Parti communiste il y a de fortes chances pour qu'ils vendent la mêche. Par ailleurs donnent-ils de bons renseignements, sont-ils vraiment qualifiés pour les donner ?"

Les membres du Comité de grêve savent tourner des manivelles, appuyer sur des boutons, mais tripoter des lignes de 5 000 volts, manoeuvrer des vannes de distribution de vapeur ou d'air comprimé, cela les effraie un peu. Il faut être prudent. Car ils savent qu'à la moindre erreur les staliniens ne manqueront pas de monter en épingle "l'incapacité de ces aventuriers".

Quand ils retournent voir le chef du Département, celui-ci n'a évidemment aucune réponse de la Direction Générale. Il faut donc agir.

Mais un double problème se pose. Le jeudi, c'est le jour de paye, et de plus, c'est le vote pour élire les administrateurs représentants les ouvriers aux Caisses de Sécurité sociale, organisme nouvellement créé.
Si on veut déclencher une grêve avec le maximum de chances de succès, il est prudent d'attendre que les travailleurs aient la paie en poche. car une paye, c'est un quinzaine d'assurée.

Par ailleurs, déclencher une grêve avant l'élection des administrateurs de la Sécurité sociale, c'est peu souhaitable.
Le Comité de grêve sait que les dirigeants de la CGT et du PCF ne manqueront pas d'exploiter une telle décision en essayant de démontrer que le but des "anarcho-hitléro-trotskystes", puisque c'est ainsi qu'ils les nomment, est de saboter les élections des administrateurs de la Sécurité sociale pour nuire à la CGT.
Attendre le lundi suivant, c'est risquer de voir baisser la température qui est encore chaude.
Il ne reste donc que le vendredi. C'est prendre le risque de voir couper le mouvement par un week-end. Mais d'un autre côté, cela offre l'avantage de vérifier l'ampleur de l'action au cours de la première journée et de permettre un repli sans trop de risques en cas d'insuccès.

Le mercredi 23 avril, le Comité de grêve organise un meeting pour donner le compte rendu négatif de la démarche auprès de la Direction.

Voici le compte rendu de cette réunion fait par un témoin et publié dans La lutte de classe, journal de l'Union Communiste (trotskyste) à laquelle appartient le responsable du Comité de grêve, Pierre Bois:
__________

A 12h30, lorsque j'arrive, le trottoir (large d'au moins 8 mètres) est encombré d'ouvriers qui sont là par dizaines et discutent, tandis que, par paquets, les ouvriers sortant de la cantine continuent d'affluer. Toutes les conversations roulent sur le même sujet: ce qui va se passer tout à l'heure. Et le mot de grêve circule.
Un tract diffusé dans la matinée, de la main à la main, nous a fait savoir que le Comité de grêve, élu à l'Assemblée générale précédente par 350 ouvriers contre 8, a tenu à nous réunir afin de nous mettre au courant des démarches qu'il a effectuées auprès de la Direction.

Une heure donnée doit être respectée, et, à 12h30 précises, un camarade, qui est déjà sur la fenêtre, commence à parler.
Au premier rang de cet auditoire, bien plus nombreux que la fois précédente, où se retrouvent presque tous les ouvriers des deux Départements faisant la "normale", soit quelque 700 ouvriers, des coups d'oeil significatifs s'échangent; les visages sont plutôt gais, quoique les esprits soient tendus.

Le camarade explique brièvement, en termes clairs, l'échec de la délégation, auquel d'ailleurs on s'attendait. Et, devant l'auditoire ouvrier attentif, il démontre que l'arme gréviste reste le seul moyen permettant d'obtenir satisfaction.
Au milieu des cris d'approbation qui fusent de toutes parts, il explique que la grêve à venir sera une lutte des plus sérieuses qu'il faudra mener avec résolution jusqu'au bout.

"Il ne sera plus question de jouer de l'accordéon ou de rester les bras croisés à attendre que ça tombe, mais il faudra s'organiser pour faire connaitre le mouvement dans toutes les usines, faire des piquets de grêve et défendre les issues de l'usine au besoin."

Répondant d'avance aux objections que pouvaient faire certains sur la perte d'argent que cela occasionnerait, et l'intervention toujours possible de la police, il indique que le paiement des jours de grêve sera éxigé.

"Quant aux lacrymogènes de la police, pendant plus de six ans nous avons reçu des bombes sur la gueule et on n'a rien dit. On s'est continuellement serré la ceinture avec les sacrifices que la bourgeoisie nous a imposés pour défendre ses coffres-forts. Et aujourd'hui, nous n'aurions pas la force et le courage d'en faire une infime partie pour nous ?"
Appuyant ces paroles de cris bruyants, les ouvriers marquaient leur approbation.

Passant au vote, le camarade demande aux ouvriers de se prononcer sur la grêve en tant que moyen à envisager dans les délais les plus courts.
Tandis que quelques voix seulement votent "contre", les ouvriers votent "pour".

C'est alors que le délégué cégétiste, littéralement poussé par ses "copains" qui lui ont frayé un chemin, s'avance pour exposer son point de vue, ainsi que le camarade venait de le demander, invitant les opposants à émettre leur point de vue.
Malgré le calme relatif, les ouvriers étant curieux de connaitre ses objections, il ne put éviter de s'attirer la réplique d'un ouvrier: "Tu vois, ici au moins, il y a de la démocratie."

Grimpant sur la fenêtre, parlant à voix basse et ne sachant pas trop quoi dire, le délégué entreprit d'expliquer aux ouvriers la "situation réelle en ce qui concerne les salaires"; pour son malheur, il se mit à parler d'une délégation qui était allée voir Lefaucheux (avec la demande d'établir une égalité de salaires entre les ouvriers d'ici et ceux de chez Citroën, avec effet rétroactif) que d'ailleurs, ajoute-t-il, elle ne trouva pas.

Manifestement, les ouvriers vomissent les délégations et, à peine le délégué achevait-il ses dernières paroles que sa voix était couverte d'exclamations plus ou moins significatives:
"Les délégations, on en a assez". "Jusqu'où comptez-vous nous mener en bateau ?". "On n'en veut plus de tes délégations, maintenant, ce qu'il faut, ce sont des actes". J'ajoute moi-même: "Egalité avec Citroën, mais là-bas ils crèvent de faim aussi".

Abrégeant son exposé, le délégué lança un "appel au calme", et une mise en garde "contre les démagogues" fut non moins huée que les "délégations".
Après quoi, il dut descendre pour céder la place à un ouvrier d'une trentaine d'années qui, grimpé sur la fenêtre, expliqua en quelques mots ce qu'il pensait des délégués et des délégations:
"Camarades, depuis des mois, on nous fait attendre des augmentations qui doivent toujours arriver demain. On nous a déjà fait l'histoire en février et on nous a dit que l'absence de Lefaucheux, à l'époque, avait empêché les revendications d'aboutir. Cela a recommencé hier, une fois encore, il n'était pas là. Et les délégués sont repartis, comme avant. Cela ne peut plus durer. Jusqu'à quand allons-nous nous laisser mener ? Maintenant, ce n'est pas des paroles qu'il nous faut, ce sont des actes."

Complétant dans le même sens ce que l'ouvrier venait de dire, le premier camarade parla du minimum vital qui fut mis à l'ordre du jour de la CGT, en novembre, et qui devait être appliqué avec effet rétroactif également.
"Mais la CGT, dit-il, capitula sur le minimum vital et l'on ne parla plus ni du minimum vital ni de son effet rétroactif. Comment pouvons-nous croire à présent des personnes qui ont capitulé de la sorte ? Qu'est-ce qui nous prouve qu'ils ne capituleront pas de la sorte demain, avec leurs délégations ?"

Cet incident clos de la bonne manière, le camarade demande alors, pour clore la réunion, que les ouvriers manifestent par un second vote leur confiance au Comité de grêve afin de l'habiliter à déclencher la grêve au moment opportun.
Si la grande majorité qui accorda sa confiance au Comité de grêve fut la même que prédédemment, il n'en fut pas de même des "contre" qui voyaient leur nombre ramené à 8. Lorsque la majorité vota, un ouvrier qui se trouvait près du délégué lui cria à l'oreille: "Tu les vois, ceux qui sont pour l'action: rinces-toi l'oeil !"
__________

Ainsi les ouvriers ont de nouveau voté pour la revendication des 10 francs sur le taux de base; ils ont de nouveau voté pour la grêve et dans une proportion plus importante, puisque ce jour-là même des "équipes" ont quitté le travail pour assister au meeting et que le nombre des participants a doublé depuis le 17 avril. De nouveau, les ouvriers ont réélu leur Comité de grêve qui s'est accru de quelques membres.
De plus, estimant que la responsabilité de la grêve incombe à la Direction, ils revendiquent le paiement des heures de grêve.

Bois clôt le meeting en demandant de nouveau aux ouvriers de reprendre le travail en attendant les décisions du Comité de grêve. Il leur rappelle que, dès maintenant, la grêve est décidée et qu'elle sera déclenchée au moment qui paraitra le plus opportun au Comité de grêve.
Certains travailleurs commencent à s'impatienter ou à ironiser. "Ils se dégonflent". Les membres du PCF et de la CGT rient sous cape. Pour eux, ils ont affaire à des petits garçons.

Nous sommes mercredi et les membres du Comité de grêve, eux, savent qu'il faut attendre la paye et l'élection des administrateurs de la Sécurité sociale, donc le vendredi.
Ils ne sont pas mécontents que certains ne les prennent pas au sérieux car ils veulent aussi mettre de leur côté l'effet de surprise et, au fond d'eux-mêmes, ils sont assez satisfaits du bon tour qu'ils vont jouer (du moins ils l'espèrent) à ceux qui les prennent pour des petits rigolos.

Mercredi donc, jour de meeting, le Comité de grêve se réunit le soir après le travail, car tous sont des O.S. et aucun n'a un quelconque mandat officiel. Ils se réunissent dans un sous-sol.
Dans une salle au dessus, se réunit une cellule du PCF, ce qui fait dire à un membre du Comité de grêve: "S'ils savaient ce qu'on fait, ils diraient encore qu'on fait du travail "en dessous."

Pierre Bois rappelle aux membres du Comité de grêve les raisons du choix de la date du vendredi et réclame de tous les membres du Comité de grêve l'engagement de garder le plus grand secret sur nos intentions. Toute indiscrétion sera considérée comme une trahison et traitée comme telle.
Mais les membres du Comité de grêve sentent suffisamment l'importance de leur rôle et ont suffisamment conscience de leurs responsabilités pour ne commettre aucune indiscrétion.

Le Comité de grêve décide donc de déclencher la grêve pour le vendredi matin. Le Comité de grêve se compose de 11 membres. Il faut prévoir des piquets à toutes les portes dès 6 heures du matin ainsi qu'aux postes-clés: Centrale électrique, Transformateur, etc.
Il faudrait une cinquantaine d'ouvriers pour les piquets. Mais en plus, il faut garder le secret de l'opération pour bénéficier de l'effet de surprise. Cela est possible à 11 personnes qui, de plus, se sentent responsables pour avoir été élues par leurs camarades. A cinquante, on prend indiscutablement un risque.

Le Comité de grêve prend donc les dispositions suivantes: la grêve est décidée pour le vendredi 25 avril. Mais seuls les membres du Comité de grêve sont au courant et ils ne doivent sous aucun prétexte donner connaissance de cette décision à qui que ce soit.
Chaque membre du Comité de grêve doit recruter 5 ouvriers pour leur demander de venir vendredi matin à 6 heures en leur expliquant qu'il s'agit de faire une répétition pour préparer la grêve. Mais même à ces camarades qui viennent en principe pour une répétition, il est démandé de ne pas faire savoir qu'ils viendront ce jour-là.

La journée du jeudi 24 avril se passe sans histoire. Les ouvriers touchent la paye, on élit les administrateurs de la Sécurité sociale.
La grêve, on en parle bien sûr, mais on n'ose plus tellement y croire.

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Antigone
 

Re: Petites histoires des grandes grêves du passé

Messagede Antigone » 11 Oct 2009, 00:22

(grêve Renault 1947, suite)

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LA GREVE EST DECLENCHEE

Vendredi 25 avril, les permiers ouvriers qui arrivent à 6h15 pour commencer à 6h30 trouvent un piquet à la porte qui distribue un tract très court. Ce n'est pas un tract ordinaire. C'est un ordre du Comité de grêve. Ordre donné au nom des travailleurs qui ont mandaté ce comité.

ORDRE DE GREVE

Le Comité de Grêve composé des camarades:

Quatrain < atelier 31
Bois
Merlin
Lévêque

Vayer < magasin

Shartmann < atelier 30
Lopez

Alvarez < atelier 101

Faynsilberg < atelier 317

Delaunay < atelier 236
Gadion)

élu démocratiquement à la majorité des ouvriers à la réunion générale du 23 avril et mandaté pour engagé la bataille des 10 francs lance le mot d'ordre de grêve aux ouvriers des Départements 6 et 18 pour le VENDREDI 25 AVRIL à 6h30 du matin.
La revendication présentée est:
1°/ 10 francs d'augmentation de l'heure sur le taux de base.
2°/ Paiement des heures de grêve.
Le Comité de Grêve met en garde les ouvriers contre certains éléments défaitistes qui n'hésitent pas à affirmer à l'avance que nous serons battus. Ces gens ont une telle peur de NOTRE VICTOIRE qu'ils ont déjà tenté des manoeuvres policières de mouchardage pour sabrer l'autorité des membres du Comité.
Le Comité de Grêve invite les ouvriers en grêve à se conformer strictement aux directives qui leur seront données.
Dans le combat que nous engageons, chaque ouvrier aura une tâche précise à remplir. Nous devons être disciplinés et résolus. Ce que chacun fait TOUS les jours pour le patron, nous devons être capables de le faire pour nous-mêmes.
La victoire est à ce prix.

TOUS UNIS DANS L'ACTION, ET NOUS ARRACHERONS NOS LEGITIMES REVENDICATIONS.

Le 25-4-47 Le Comité de Grêve


Les ouvriers arrivent, lisent l'ordre de grêve. La plupart restent habillés et attendent l'arrivée des ouvriers de la "normale" à 7h1/2, puis l'heure de meeting à 8 heures. Quelques uns sont sceptiques. Il leur est difficile de se débarrasser de leurs habitudes. Ils vont au vestiaire, enfilent leur "bleu", lentement se dirigent vers leur machine.

Fin avril, à 6h30, il ne fait pas encore très clair. Ils actionnent l'interrupteur. Tiens ! pas de lumière ! Ils appuient sur le bouton de mise en marche de leur machine. Rien. Cette fois, on dirait bien que c'est la grêve.
Ceux qui y ont cru dès le départ, et ne se sont pas déshabillés viennent les regarder. Ils sourient d'un air narquois.

"Alors, tu n'as pas lu le tract, tu ne sais pas que c'est la grêve. Tu ferais mieux d'aller te rhabiller, le courant n'est pas prêt de revenir. Regarde un peu !"

En effet, au fond de l'atelier, là où se trouve un transformateur sur lequel on lit: "courant 5 000 volts, danger", les grilles de sécurité ont été enlevées, la manivelle est abaissée, le courant coupé et un piquet d'une dizaine de grévistes monte la garde.

A un moment donné, un chef qui vient d'arriver n'en croit pas ses yeux, il s'approche du piquet: "Vous avez coupé le courant, il faut le remettre tout de suite, il y a des appareils de sécurité qui ne peuvent fonctionner sans courant; vous risquez de tout faire sauter."Imperturbable, un membre des piquets de grêve lui rétorque:
"T'en fais pas, papa, on a pris nos précautions et si tu as la trouille tu n'as qu'à retourner dans les toiles retrouver bobonne."

A la porte, les piquets de grêve distribuent l'ordre de grêve à tous les ouvriers qui arrivent. La plupart gagnent le terre-plein oùils sont invités au meeting. Quelques uns, trop heureux de voir que "ça marche", retournent arroser ça au bistrot qui est à l'entrée des ateliers.

A 8 heures, le meeting commence dans le hall. P. Bois rappelle les raisons de cette grêve. Ils expliquent aux grévistes les raisons qui ont amené le Comité de grêve à déclencher la grêve ce vendredi:
"Maintenant l'action est engagée. Elle ira jusqu'au bout."
Il demande une dernière fois aux ouvriers de confirmer leur choix et de s'engager.
"Si nous sommes des mauviettes, il est encore temps de reculer. Sinon, en avant !"

Pour ce dernier vote, P. Bois demande aux ouvriers du Département qui sont pour la grêve de se placer sur la gauche. La grande masse des travailleurs prend place à gauche. Ceux qui sont contre à droite. Les délégués et quelques membres du PC se retrouvent seuls à droite. Les abstentions au fond de l'assistance. L'ensemble des blouses blanches et quelques blouses grises gagnent le fond. Le vote est acquis. La grêve est effective.

Le secrétaire général du syndicat, Plaisance, qui est venu assister au meeting, demande alors la parole. Il n'approuve pas cette grêve des 10 francs sur le taux de base mais en tant que militant responsable de la CGT, il a assisté au vote (sourires de l'assemblée) et il s'incline devant les décisions des travailleurs.
Plaisance, le secrétaire de la CGT, et quelques délégués se joignent à elle.

Les membres de la délégation, des ouvriers du secteur Colas, sont ahuris de voir avec quelle aisance les "responsables" syndicaux se déplacent dans les bureaux, sourient aux grands caïds, leur serrent la main. Vraiment, ils sont bien dans la maison.

Mais malgré leur connaissance des lieux et des personnes, quand la délégation arrive devant le bureau du président-directeur général Lefaucheux, il n'y a personne pour la recevoir. M. Lefaucheux est, parait-il, au Cameroun.
Nous sommes reçus par le directeur du personnel et quelques autres grands "pontes" qui ne peuvent rien faire sans M. Lefaucheux. L'entrevue est vite terminée.

Pierre Bois dit alors au directeur du personnel M. Le Garrec, qui demande aux membres de la délégation de reprendre le travail en attendant le retour du directeur général:
"Nous constatons que vos pouvoirs sont limités. Nous vous aurons prévenu. Si Monsieur Lefaucheux veut voir son usine remarcher, qu'il se dépêche de rentrer pour nous accorder les 10 francs sur le taux de base."

Aux Départements 6 et 18, le Comité de grêve s'organise. Il prend possession d'un bureau. Il reçoit des informations, donne des ordres. Quelques ouvriers en liesse font des stages un peu trop prolongés au bistrot. Le Comité de grêve décide de ne laisser sortir les ouvriers que sur présentation d'un bon de sortie signé par lui. Des consignes sont données aux piquets qui exécutent scrupuleusement.

Au Comité, on est plus large. On délivre facilement un bon de sortie sauf à ceux qui commencent à avoir la langue un peu trop pâteuse. Ils sont peu nombreux et la grande majorité des ouvriers approuvent cette mesure. Ils ont la fièreté de leur mouvement et ils ne voudraient pas qu'il soit entâché des excès de quelques individus qui ne se contrôlent pas. Tout se passe d'ailleurs très bien et sans heurts.

Parallèlement, à la demande du Comité de grêve, se sont constitués des groupes d'ouvriers qui se répandent dans l'usine pour appeler les travailleurs à se mettre en grêve.
Des ateliers entiers débrayent, mais les délégués et les militants de la CGT remettent les moteurs en route, exhortant les travailleurs à ne pas se laisser entrainer.

Il s'ensuit une assez grande confusion. Dans les ateliers, les ouvriers débrayent, reprennent le travail, redébrayent. Ce n'est qu'aux Départements 6 et 18 que la grêve est totale: les ateliers sont fermés, les camions qui doivent passer par ce secteur pour aller d'un atelier à l'autre sont stoppés.

Il n'y a que l'atelier 5 (Trempe-Cémentation), celui qui avait débrayé seul un mois plus tôt, dominé par un stalinien de choc, qui continue imperturbablement son travail.
Les grévistes des Départements 6 et 18 les laissent travailler. Les portes sont bouclées; quand ils n'auront plus de pièces, ils finiront bien par rejoindre le mouvent ou s'arrêter.
D'ailleurs, des femmes de cet atelier qui font un travail absolument épouvantable sympathisent déjà avec les grévistes.

A un moment, le directeur du personnel vient au Département demander au responsable du Comité de grêve de laisser passer les camions. Devant son refus, il menace:
"Vous prenez un gros risque, il y a entrave à la liberté du travail."
--- Pardon, c'est vous qui faites entrave au droit de grêve, mais si vous voulez demander vous-mêmes aux ouvriers de saboter leur grêve, vous avez la parole."
--- Présenté comme cela, vous avez le beau rôle."

Et le monsieur quitte les lieux.

A midi, place Nationale, Plaisance, secrétaire du syndicat CGT, harangue les travailleurs:
"Ce matin, une bande d'anarcho-hitléro-trotskystes a voulu faire sauter l'usine."
Protestation indignée de ceux qui savent. Etonnement de ceux qui ne sont pas au courant.

Ce premier vendredi de grêve se termine sur deux visites.
Plaisance, secrétaire de la CGT, qui le matin avait dit aux ouvriers de Collas que bien qu'il n'approuvait pas ce mouvement il se ralliait aux décisions des travailleurs, se voit vivement reprocher son attitude de midi où il a prétendu que des bandes "d'énergumènes anarcho-hitléro-trotskystes" avaient voulu faire sauter l'usine.

Il est pris sérieusement à partie par des ouvriers et tente de se justifier en prétendant "qu'en 1936, faire sauter l'usine, cela voulait dire la mettre en grêve".
"--- Enfin, les copains, vous ne vous souvenez plus !"

Vieux renard hypocrite va ! il devra quitter l'atelier sous les huées des ouvriers et surtout des ouvrières.

C'est également le directeur du personnel, M. Le Garrec, qui vient voir ce qui se passe et essayer d'influencer les travailleurs.
Il faut signaler que Le Garrec avait pris sa carte du PCF à la "Libération", sans doute pour augmenter son autorité sur le personnel dans cette période délicate, suivant en cela l'exemple du P.D.G. Lefaucheux qui était devenu également président de France-URSS.

Un ouvrier espagnol qui a participé à l'insurrection des Asturies en 1934, qui a fait la guerre d'Espagne à Barcelone et qui est membre du Comité de grêve, le prend alors à partie:
"Monsieur le directeur, hier c'est vous qui commandiez "l'ousine", demain c'est peut-être la police, mais aujourd'hui ce sont les ouvriers. Vous n'avez rien à faire ici."
Interloqué, le directeur du personnel rétorque:
"Je ne discute pas avec les étrangers."
Ce qui lui vaut cette réplique:
"Monsieur le directeur, il y a un étranger ici, c'est vous. Ici il n'y a que des ouvriers et le bourgeois qui se présente. L'étranger, c'est vous parce que vous n'êtes pas de la même classe. Pour les travailleurs il n'y a pas de patrie, il n'y a que des classes. Allez ! Ouste ! Sortez !"
Bonne leçon d'internationalisme donnée au directeur "communiste".


LA GREVE SE DEVELOPPE

Le samedi et le dimanche, les ateliers en grêve sont occupés par quelques piquets, mais rien d'important ne se passe. La décision, c'est lundi que nous la connaitrons. Le Comité de grêve s'y prépare.

Le lunidi matin, il distribue un tract où il demande à tous les travailleurs de l'usine de se joindre à ceux du secteur Collas déjà en grêve. Il les invite à un meeting place Nationale à 12h30.

Des groupes de grévistes se présentent aux portes de l'usine pour distribuer le tract du Comité de grêve. Dans de nombreux secteurs ils sont agressés par des militants du PCF. Cela les rend furieux.
"Quoi, non seulement ils sont contre la grêve, mais en plus ils nous tabassent."

Pendant toute la matinée, les grévistes du secteur Collas préparent le meeting de 12h30. Ils savent que le PCF et la CGT risquent de venir en force avec des voitures munies de haut-parleurs pour saboter le meeting. Ils préparent des porte-voix en carton et en tôle.
Le Comité de grêve décide que si le PCF et la CGT viennent avec des voitures haut-parleurs qui couvrent la voix des orateurs, ils tiendront le meeting à l'intérieur de l'usine.

Dès 11 heures, les grévistes de Collas se répandent dans les ateliers pour appeler au meeting (sauf les piquets qui restent à leur poste). Comme le vendredi, cela entraine des débrayages, des reprises, des redébrayages.

A 12h30, les groupes se rapprochent de la place Nationale qui est déjà noire de monde. Dans la rue, quatre voitures haut-parleurs. Deux des syndicats, une de L'Humanité et une quatrième bien plus puissante.

P. Bois, à la tête du cortège, prend contact avec les groupes qui ont parcouru les ateliers.
"Ca y est, ils ont amené la grosse artillerie. Il va falloir faire notre meeting à l'intérieur de l'usine."
Soudain, un camarade vient vers nous:
"Alors, qu'est ce que vous faites, pourquoi vous vous êtes arrêtés ?"
"Tu n'as pas vu, il va falloir rester à l'intérieur. Avec toutes leurs radios, dehors on ne pourra pas se faire entendre."
"Mais non, venez, la plus grosse c'est à nous. Les Jeunesses socialistes tiennent leur congrès. Ce matin, ils sont venus nous voir. Nous leur avons demandé s'ils ne savaient pas où on pourrait trouver une voiture-radio. Ils ont accepté de nous prêter la leur, et à l'oeil ! Venez dehors, les communistes sont malades."

Et de fait, nous pouvons tenir notre meeting. Notre haut-parleur est plus puissant que les trois autres réunis.

Dès la fin du meeting, nous nous dirigeons vers l'usine O située à 1 km de là. Quand nous arrivons, ça débraye.

A notre retour à Collas, le bureau du Comité de grêve est submergé par des dizaines de délégations. Certains viennent en isolés, d'autres viennent au nom de leur atelier, d'autres encore se sont fait élire et représente un Département entier. Le soir, plus de 10 000 travailleurs sont en grêve.


LA CGT PREND LE TRAIN EN MARCHE

Le lendemain, mardi 29 avril, dès le matin, il y a 12 000 grévistes. La CGT tente alors une manoeuvre. Elle organise un débrayage de 11h à 12h pour soutenir ses revendications. Personne n'est dupe. Ceux qui n'étaient pas encore en grêve débrayent à 11h, mais ils ne reprendront pas le travail. A partir de ce moment, la grêve est totale dans toute l'usine.

Dans l'après-midi, les grévistes de Collas vont manifester à plus de 2 000 à la Direction. Lefaucheux est absent. Il est au ministère. Le soir, à son retour, le nombre de manifestants ayant sérieusement diminué, il refuse de recevoir le Comité de grêve. Il essaye même de jouer au dur:
"Dans la Résistance, on m'appelait le commandant Gildas.", voulant montrer par là qu'il ne se laisse pas influencer.

Le lendemain, mercredi 30 avril, le Comité Central de Grêve qui s'est constitué autour du Comité de grêve de Collas lance l'ordre de grêve générale à toute l'usine.
En fait, la grêve est déjà effective depuis la veille, mais le Comité Central de Grêve en donnant cet ordre, au nom des nombreuses délégations qui ont constitué un Comité Central de Grêve de 105 membres, tient à prendre la responsabilité du mouvement.

La CGT, dans un tract calomniateur, annonce un meeting pour le soir au square Henri-Barbusse. Puis finalement, elle décide de tenir son meeting dans l'Ile dans le but de reprendre la situation en main.

Pendant ce temps, le Comité Central de Grêve délibère. Mais brusquement, on vient l'informer que les commandos cégétistes sont en train de "balayer" les piquets de grêve. Le CCG suspend sa séance et se rend dans l'Ile où il tente sans succès de parler au meeting de la CGT.
Au retour, des énervés de la CGT menacent de liquider des membres du Comité de grêve en les "balançant" dans la Seine. Des ouvriers s'interposent et, finalement; tout rentre dans le calme.

Le soir, les staliniens s'organisent pour venir déloger les grévistes de Collas qui occupent leur Département.
La défense s'organise: caisses de boulons, de pignons, air comprimé pour pulvériser de l'acide, etc. Apprenant que les grévistes de Collas sont prêts à la riposte, les cégétistes renoncent à leur projet.

Jeudi 1er mai, le défilé cégétiste a lieu de la République à la Concorde. Le Comité de grêve tire un tract à 100 000 exemplaires qui sera diffusé sur le parcours du défilé.
Ce tract qui appelle à la grêve générale est tiré aux Entreprises de Presse Réaumur. Les ouvriers de cette entreprise abandonnent leur salaire pour le tirage de ce tract en signe de solidarité.

Sur le parcours de la manifestation du 1er mai, de nombreux accrochages, parfois violents, ont lieu entre les membres du service d'ordre cégétiste et les grévistes auxquels se sont joints des membres des Jeunesses socialistes.

Le 2 mai, le Comité de grêve envoie de nombreuses délégations à la porte des entreprises pour appeler les travailleurs à la lutte.
Partout, ils rencontrent la sympathie des travailleurs qui, dans de nombreux secteurs, se mettent eux aussi en grêve. Mais le plus souvent, les nervis du Parti communiste provoquent des bagarres et le travail reprend. Ainsi, chez Citroën Balard et à la SNECMA Kellermann.

Dans l'usine, la CGT intensifie sa campagne de calomnies. Elle organise un référendum pour ou contre la continuation de la grêve prévenant les travailleurs que la solution du conflit est subordonnée à une décision du gouvernement. 21 286 travailleurs prennent part au vote:
11 354 s'expriment pour la continuation de la grêve.
8 015 s'expriment pour la reprise du travail.
1 009 votent nul.
538 s'abstiennent.
La CGT s'incline devant cette décision des travailleurs, mais elle continue sa campagne de dénigrement.

Le Comité de grêve est informé par l'intermédiaire d'employés travaillant dans les bureaux que des gens "bien placés" pourraient lui ménager une entrevue avec le ministre du travail Daniel Meyer.

Ne voulant négliger aucune possibilité de réglement du conflit, une délégation du Comité de grêve se rend chez un certain M. Gallienne.
Très vite, les délégués se rendent compte qu'ils sont chez un ancien bras droit de Louis Renault qui voudrait essayer de manoeuvrer le Comité de grêve dans une opération anti-nationalisation. Ils arrêtent là toute discussion.

Le 8 mai, le Comité de grêve obtient une entrevue avec un député MRP, Beugniez, président de la Commission du Travail à l'Assemblée Nationale.
Ce monsieur veut surtout voir s'il n'y a pas dans ce conflit des éléments anti-cégétistes qui pourraient favoriser la CFTC.
Nous lui disons son fait et il est vraiment très déçu de constater notre détermination.


C'EST LA REPRISE
COLLAS CONTINUE SEUL


Le vendredi 9 mai, la CGT publie un tract où elle annonce que la Direction a accordé 3 F de l'heure sur la prime de production. Sur cette base, elle appelle les travailleurs à reprendre le travail.
Par 12 075 voix contre 6 866 le personnel décide la reprise.
Mais au secteur Collas d'où est partie la grêve, la grande majorité est pour la continuation de la lutte.

Le lundi 12 mai, le travail doit donc reprendre. Mais le Comité de grêve estime que si la grêve doit cesser, la reprise doit se faire dans l'ordre comme le déclenchement du conflit.
Il convoque donc les travailleurs à un meeting dès le matin à 8h. Mais les travailleurs ne sont nullement décidés à capituler.

Le responsable du Comité de grêve, P. Bois, explique alors:
"Si nous n'avons pas pu faire plier la Direction sur la revendication essentielle des 10 francs sur le taux de base alors que toute l'usine était en grêve, il serait utopique d'espérer une victoire en poursuivant la lutte dans un seul secteur.
Malgré tout, nous ne pouvons accepter une défaite."

Il propose de continuer la lutte jusqu'au paiement des heures de grêve.

L'inspecteur du travail vient essayer de démoraliser les grévistes en leur jouant le petit couplet de l'entrave à la liberté du travail. Rien n'y fait. Les travailleurs votent à une très forte majorité pour la proposition du responsable du Comité de grêve.

La solidarité s'organise. Dans la seule journée du lundi de la reprise, 50 000 francs sont collectés par les autres secteurs de l'usine qui ont repris le travail, faisant par là la preuve qu'ils ne sont nullement hostiles aux grévistes de Collas.

La CGT intensifie sa campagne de dénigrement et de calomnies, traitant les grévistes "d'énervés", "d'agités", "de diviseurs" et exigeant que le ministre du Travail, Daniel Meyer, prenne des mesures pour faire tourner l'usine.

Mais le secteur Collas ne tourne pas, il paralyse le reste de l'usine, et la Direction s'inquiète. Elle fait savoir au Comité de grêve qu'elle est prête à recevoir une délégation du Comité de grêve mais "accompagnée des délégués régulièrement élus". Le Comité de grêve accepte.

Bien sur, la Direction veut sauver la face en recevant d'une façon non officielle le Comité de grêve. Mais chacun comprend cette astuce juridique, et personne ne voit de compromission à se faire accompagner par des délégués qui ont toujours été hostiles au mouvement.
Ceux-ci d'ailleurs non plus ne se sentent nullement gênés de se compromettre avec les "anarcho-hitlero-trotskystes' du Comité de grêve, trop heureux de l'honneur que leur fait le patron en leur demandant, en bons larbins qu'ils sont, d'ouvrir la porte aux "énervés".

Le président-directeur général commence un discours où il met en garde le Comité de grêve contre les dangers de la poursuite du conflit: danger pour l'entreprise, danger pour la nationalisation, danger pour les ouvriers.
Pierre Bois lui fait remarquer qu'au point où en sont les choses, il lui est très facile d'écarter tous ces dangers en accordant le paiement des heures de grêve.
Pierre Lefaucheux essaie alors de jouer la carte sentimentale:
"Je sais, monsieur Bois, que si vous dites à vos camarades de reprendre le travail, ils le feront et je vous demande de le faire."
Pierre Bois bondit à ces paroles:
"Vous me demandez de trahir mes camarades, il est inutile de continuer cette discussion."
--- Ne vous fâchez pas, je ne voulais pas vous offenser.
--- Vous l'avez fait, mais si vous pensez que les travailleurs sont prêts à capituler, vous pouvez vous-même aller le leur demander."

C'est un coup de poker, P. Bois pense bien que Lefaucheux va se dérober.
"Eh bien, c'est entendu, je vais leur parler."
--- Bien, nous allons annoncer votre visite."
Les membres du Comité de grêve sortent suivis de Lefaucheux et de ses directeurs.
Des camarades partent en avant pour préparer une estrade au directeur: la plate-forme bien huileuse d'un camion.

Arrivé au Département, P. Bois monte le premier sur l'estrade improvisée et appelle les ouvriers.
S'adressant à Lefaucheux devant les travailleurs assemblés, il lui dit:
"Monsieur le directeur, vous êtes ici dans un secteur en grêve. En tant que responsable du Comité de grêve, il m'appartient de vous accueillir et de vous présenter à mes camarades.
"Camarades, voici M. Lefaucheux qui vient vous demander de saboter vous-mêmes votre mouvement. Il ne veut pas payer les heures de grêve, mais il voudrait vous voir reprendre le travail. Il a prétendu que vous n'aviez guère envie de continuer la grêve et que si vous ne repreniez pas le travail, c'est parce que je vous influençais. Je lui ai proposé d'essayer de venir vous influencer dans l'autre sens, ce qu'il va essayer de faire. Monsieur le directeur, vous avez la parole."


M. Lefaucheux est blême.
"Ce n'est pas très sport" dit-il.
Puis il a fait son discours dans un silence glacial. Quand il a fini, les travailleurs lui font une conduite de Grenoble pour le raccompagner, chacun lui réclamant le paiement des heures de grêve et les 10 F.


LA DIRECTION CEDE

Le vendredi 16 mai, la Direction, "dans le but de créer un climat favorable à la production", propose une somme de 1 600 francs pour la reprise et une avance de 900 francs pour tous les travailleurs (avance qui, d'ailleurs, sera définitivement accordée par la suite).
C'est en fait, donner satisfaction d'une façon déguisée à la revendication du paiement des heures de grêve réclamé par le Comité de grêve.

Sur cette base, le lundi 19, après une dernière assemblée des grévistes, le Comité de grêve propose la reprise du travail. Celle-ci a lieu après une réunion et un vote.

Les ouvriers du secteur Collas ne se sentent nullement battus.
Ils ont commencé avant les autres, fini après les autres, et par leur tenacité ils ont obtenu le paiement déguisé des heures de grêve pour tous.

En effet, l'ensemble des travailleurs a fait grêve du 29-4 au 12-5, ce qui fait huit jours ouvrables. Alors que le salaire d'un O.S. était d'environ 7 000 francs par mois (20 jours ouvrables) pour un O.S., la reprise s'est faite avec une indemnisation des heures perdues de 2 500 francs.
Pour la majeure partie de l'usine, les travailleurs n'ont rien perdu.

A Collas, évidemment, les ouvriers ont fait grêve depuis le 25 avril jusqu'au 16 mai, ce qui fait 15 jours ouvrables. Ils ont donc perdu un peu d'argent dont une partie d'ailleurs a été rattrapée par les collectes.
Mais les travailleurs de Collas n'étaient pas du tout déçus. Ils avaient mené une grêve eux-mêmes. Malgré l'hostilité de la CGT, ils avaient tenu. Ils avaient même gagné. Bien sûr, les 3 francs de prime étaient, qu'on le veuille ou non, à leur actif. Ensuite, le paiement des heures de grêve, sans être une victoire, c'était un succès. Et cet ouvrier de Collas n'était pas peu fier quand il racontait comment un autre ouvrier de l'usine lui avait dit:
"N'empêche que c'est bien grâce à vous, les gars des Pignons, si on a eu les 1 600 et les 900 balles."

Mais les travailleurs de Collas étaient aussi heureux et fiers d'avoir vaincu les contraintes. A la fois celles de la maitrise et celles de la bureaucratie. Pour eux, leur secteur, c'était une petite République où règnait la liberté et la démocratie.
"Chez nous, il n'y a pas de chefs, c'est nous qui décidons." disait fièrement un ouvrier. Ils étaient fiers de leur mouvement parce qu'ils y participaient vraiment.
Chaque matin et souvent plusieurs fois par jour se tenait une assemblée générale où on décidait de ce qu'on allait faire.
D'abord les piquets, puis les délégations aux autres ateliers dans la première semaine, aux autres entreprises dans la seconde.

Et puis la solidarité. Des groupes partaient dès le matin chez les commerçants ou à la porte des entreprises avec le macaron du Comité de grêve et des trons scellés. Non pas que l'on craignait que certains grévistes mettent de l'argent dans leur poche, mais les ouvriers voulaient que ça soit 'régulier". Le soir, l'argent était compté.

Les délégations d'entreprises apportaient, elles aussi, leur soutien moral et le produit de leurs collectes.
Tout était inscrit et affiché au Comité de grêve. Tout fut distribué équitablement à la fin de la grêve, les travailleurs ayant pu vivre sur leur paye pendant toute la durée du conflit.
Rappelons que le Comité de grêve avait pris la précaution de déclencher l'action le lendemain de la paye.

Du côté cégétiste c'était différent, l'argent rentrait sous forme de collectes ou de dons de syndicats.
Un jour, la CGT annonça que les grévistes pourraient recevoir... 1 kg de morue et 1 kg de lentilles !!! On en parla longtemps à Collas, des lentilles et de la morue de la CGT. La CGT avait aussi demandé aux travailleurs de s'inscrire pour des secours éventuels.
Ce fut un beau tollé quand le responsable du Comité de grêve prit la parole dans une assemblée générale pour dire:
"Ceux qui se sont faits inscrire pour les secours de la CGT ne vont pas tarder à être servis."
En effet, grâce à notre équipe de nettoyage des ateliers, nous avions pu retrouver la liste des inscrits... au fond d'une poubelle.

Petits détails , bien sûr, mais qui montrent bien la différence entre un mouvement conduit par les ouvriers eux-mêmes et une action dirigée bureaucratiquement.


LA CGT CRIE VICTOIRE

La CGT, après avoir violemment dénoncé les "irresponsables" du "comité des provocateurs" qui ont poursuivi seuls la grêve malgré ses appels à la reprise, s'octroie, bien entendu, le bénéfice de la nouvelle victoire. Elle n'hésite pas à écrire que c'est 'la section syndicale" qui "en poursuivant son action" (?), a obtenu les 1 600 francs pour tous. Elle précise même: "CETTE VICTOIRE fut obtenu après deux nouvelles heures de discussion par notre délégation dans le bureau du ministre du Travail, Daniel Meyer, et en présence de la Direction."
.../...

Antigone
 

La grève Renault de 1947, la CNT, la FA, LO...

Messagede Rocky_Balboa » 10 Déc 2013, 14:47

Pour ceux et celles qui s'intéressent à l'Histoire (et ils fourmillent ici), une interview passionnante de Gil Devillard vient d'être mise en ligne.

Gil a été un des animateurs de la grève Renault de 1947 (il était alors militant FA et CNT), puis il fut l'un des fondateurs de VO, avec Pierre Bois, en 1956.

Il raconte un tas de choses sur la CNT, la FA, l'usine Renault, etc. ici : http://www.alternativelibertaire.org/spip.php?article5612

Image
Rocky_Balboa
 

Re: Petites histoires des grandes grêves du passé

Messagede Pïérô » 30 Nov 2014, 17:26

Samedi 6 décembre à Saint-Denis

Plus noir dans la nuit,
la grande grève des mineurs de 1948

Dominique Simonnot sera l' invitée de Radio Libertaire et signera son livre sur les grèves de 1948 : "Plus noir dans la nuit" de 10h à midi à la Librairie "La folie d'encre" 4 Place du Caquet à Saint-Denis (Metro Basilique)

« Reviennent alors la rudesse de ces jours, la cruelle répression, les licenciements, la prison, et ce chef, le congédiant, d'une joie mauvaise [...] : « Moi vivant, t'auras plus de boulot ! » Il revoyait Simone, lui et leur bébé, brutalement expulsés du logement des Mines, empilant leurs biens dans une charrette à bras, et traversant la cité dans cet équipage, puis errant du logis d'un ami à celui d'un parent ; il repensait à la 'Bataille du charbon' gagnée grâce à eux, les ouvriers, il repensait à leur Résistance, ainsi gratifiée. Plus Georges fouillait dans ses papiers, plus il les rassemblait, les relisait, plus le courroux d'alors lui revenait, intact, comme au jour de son arrestation, et plus il y pensait, plus il se disait que, décidément, il lui était impossible d'en rester là. »

Le récit d'une injustice.

Plus noir dans la nuit relate une page oubliée de l'épopée des mineurs : la grande grève de 1948, la répression brutale qui suivit. Six morts, deux mille arrestations, autant de condamnations à la prison et des centaines de vies brisées. Norbert, Colette, Jeanne et les autres, qui ont vécu ces grandes heures de la mythologie ouvrière, racontent ici un monde à jamais englouti, un monde terrible et fraternel, et leur fureur d'en avoir été exclus.


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Re: Petites histoires des grandes grêves du passé

Messagede Pïérô » 02 Déc 2014, 11:18

Il y a 40 ans : Liévin 1974

Durant tout le mois de décembre 2014, le collectif « Liévin 1974 » organise différentes manifestations propres à revisiter la catastrophe minière du 27 décembre. Par-delà les mythologies et les mensonges entretenus depuis si longtemps, cette célébration offrira l’opportunité de se pencher sur le sens d’une commémoration, la confiscation de la parole des mineurs, la justice populaire, la mythologie de la Mine, la désindustrialisation, la notion de « fatalité » en matière d’accidents du travail et sa dénonciation : une série de réflexions abordées dans le cadre de conférences, tables rondes, exposition et concert...

... http://www.lelag.fr/site/nos-projets/il ... evin-1974/


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Re: Petites histoires des grandes grêves du passé

Messagede bipbip » 11 Mai 2015, 12:01

En 1905: Limoges se couvre de barricades

Le vendredi 14 avril 1905, quelques centaines d'ouvriers et ouvrières de la porcelaine partent faire la tournée des usines de Limoges, fermées par les patrons qui ont décidé de réduire à la famine une population ouvrière trop offensive. Pour résister à l'intervention de l'armée, des barricades sont dressées. La lutte, essentiellement dirigée contre l'arbitraire patronal, prend un tour que la presse qualifie de «révolutionnaire». ---- La tension monte depuis quelques années à Limoges, «la Rome du socialisme» qui a été de toutes les révolutions du XIXe siècle et où s'est tenu le congrès de fondation de la CGT en 1895. Depuis 1900, le syndicalisme prend de l'ampleur, encouragé par des grèves, souvent victorieuses. ---- L'Initiative donne le ton ---- En avril 1902, dans le secteur de la porcelaine, qui occupe près de 13 000 ouvriers et ouvrières, une grève de près de deux mois accroît le prestige de l'Initiative, le plus ancien et plus important syndicat du secteur, affilié à la CGT.

Les fabricants ont tenté d'imposer une hausse de la production pour compenser la baisse du temps de travail imposée par la loi des dix heures, votée en 1900. Face à la grève décrétée par l'Initiative, l'Union des fabricants répond par le lock-out et met au chômage des milliers d'ouvriers. Mais du côté patronal, l'unité se fissure: certaines usines rouvrent rapidement pour profiter du contexte international favorable aux exportations. Les ouvriers et ouvrières de ces usines travaillent et cotisent à une caisse de grève. Les grévistes bénéficient des caisses de chômage des syndicats des divers métiers de la porcelaine et des aides de la mairie socialiste. L'Union des fabricants doit mettre fin à son lock-out, acceptant la victoire de l'Initiative, qui enregistre alors 300 adhésions en quelques mois.

Les grèves se multiplient les années suivantes dans divers secteurs (porcelaine et chaussure notamment) , notamment des grèves de solidarité avec des mouvements dans d'autres villes, ce qui indique un haut degré de conscience de classe. En 1904, douze grèves ont lieu, presque toutes victorieuses, et l'année 1905, commence avec seize grèves entre janvier et mai. Les syndicats fédérés dans la CGT ont alors triplé leur nombre d'adhérents en dix ans. Avec 6 000 membres, la CGT comprend alors 20 % de la population ouvrière de la ville, dont 2 600 travaillent dans la porcelaine. Les femmes comptent pour 42 % des syndiqués de ce secteur, où elles représentent 40 % des emplois.

Le 10 février 1905, alors qu'une grève des cordonniers de l'usine Monteux vient de s'achever, un grand meeting rassemble 600 personnes à la bourse du travail pour écouter Auguste Delalé, secrétaire du syndicat parisien des cordonniers. Anarchiste, ancien gérant du Père peinard d'Émile Pouget, plusieurs fois incarcéré pour des articles dans la presse libertaire, il fait entendre un discours offensif, incitant à la solidarité entre les corporations, notamment par l'usage de la grève générale. Si les groupes anarchistes locaux, proche de l'individualisme et de l'illégalisme, jouent un rôle marginal dans les événements, beaucoup de libertaires sont surtout actifs dans les syndicats et propagent notamment l'idée de grève générale. Cette stratégie, qui s'impose alors dans toute la France à la CGT, est défendue à Limoges depuis 1902 par Jacques Tillet, secrétaire de ­l'Initiative. Tillet n'est pas anarchiste mais socialiste allemaniste[1]. Étonnamment, la grève générale est aussi soutenue par les plus radicaux des guesdistes, comme entraînement à la révolution, et donc adoptée au congrès de la CGT de Limoges en 1903.

L'agitateur étranger

Trois jours après le meeting de Delalé, une nouvelle grève démarre dans l'une des usines de chaussures Fougeras. Il n'en faudra pas plus pour que la presse bourgeoise accuse Delalé d'en être à l'origine, de même que pour les conflits suivants. En fait, les ouvriers et ouvrières de Fougeras demandent une augmentation de salaire, mais surtout le renvoi du directeur, de quelques contremaîtres particulièrement autoritaires et d'ouvriers étrangers amenés par le patron lors d'une précédente grève. L'ensemble des cadres exige du patron qu'il ne cède pas et des manifestations sont alors organisées devant les domiciles du patron et de deux des contremaîtres incriminés. Le 18 février, ceux-ci quittent Limoges pour Paris et remettent leurs biens sous la protection de la police.

Les manifestations se rendent alors devant d'autres usines ; où souvent les ouvriers et ouvrières en profitent pour demander le départ de cadres autoritaires et particulièrement zélés dans la répression antisyndicale. À l'usine Denis et Lecointe, la directrice de l'atelier des mécaniciennes, Joséphine Prébosc est molestée car elle a empêché la souscription en faveur des grévistes de Fougeras.

Les meetings tenus par les grévistes font émerger de nouvelles revendications contre les contremaîtres qui généralement embauchent eux-mêmes les ouvriers, puis les rétribuent avec un revenu donné par le patron selon le travail effectué. Le partage de ce revenu se fait bien sûr à l'avantage du contremaître. Cette double exploitation apparaît de plus en plus insupportable. Il faudra attendre le 1er avril pour que Fougeras, récemment rentré à Limoges, accepte de «placardiser» son contremaître le plus haï. Le travail devrait reprendre le 6 avril.

Embrasement général

Pendant ce temps-là, divers mouvements se sont amorcés: le 25 mars, chez Beaulieu (usine de feutres à chapeau), la grève vise à une augmentation de salaire, une baisse du temps de travail et au renvoi d'une contremaîtresse. Le 28 mars, chez Théodore Haviland (l'une des plus grosses usines de porcelaine, fondée par l'américain David Haviland en 1842), les peintres font grève contre le licenciement de trois d'entre eux jugés peu productifs puis contre le «droit de cuissage» que s'arroge le contremaître Penaud. Haviland soutient sans réserve Penaud et refuse de recevoir les grévistes. Le 2 avril, la maison de Penaud est caillassée. Le 8 avril, la grève s'étend chez les mécaniciens de l'usine Charles Haviland (le frère de Théodore), pour obtenir le renvoi du contremaître Sautour, militant catholique, qui avait licencié un ouvrier coupable d'avoir fait enterrer civilement sa fille de 5 ans. Puis, ce fut le tour des typographes le 8 avril.Devant la crainte de l'embrasement, la réponse du patronat est le lock-out: le 13 avril, les vingt et une usines de porcelaine sont fermées, les 13 000 ouvriers et ouvrières sont mis au chômage (alors que près de 10 000 étaient déjà en grève). Les patrons sont décidés à ne plus céder. La multiplication des défilés en ville, au son de ­L'Internationale, derrière le drapeau rouge et le drapeau noir, leur font craindre une remise en cause irrémédiable de leur autorité. De plus, l'armée est de plus en plus ciblée par les slogans des grévistes: l'accueil du général Tournier, nouveau commandant de la région militaire et militant catholique, le 14 mars, a tourné à la manifestation antimilitariste, au point que le général a dû se réfugier dans la Banque de France pour échapper à la foule.

L'insurrection

Dès le lendemain, à l'aube, 400 à 500 grévistes de l'usine Guérin, président de l'Union des fabricants, décident d'aller voir si leurs chefs ne seraient pas en train de préparer des commandes, histoire de continuer à gagner de l'argent pendant le lock-out. Le portail de l'usine est enfoncé. La police municipale, notamment composée d'anciens ouvriers au chômage et d'anciens syndicalistes, négocie leur départ. C'est alors au tour de l'usine Jouhanneaud, puis de Lanternier, de Barnardaud et enfin de la grande usine Charles Haviland, qui est envahie et décorée du drapeau rouge. L'arrivée de Théodore Haviland, dans sa voiture, provoque la colère: la voiture est poursuivie, aux cris de «Mort au voleur». Le patron doit se réfugier dans l'usine. Vers 16 heures, la foule a grossi, et ce sont plus de 1 200 ouvriers et ouvrières qui prennent d'assaut l'usine, chassent la police qui la gardait, brûlent la voiture mais pas le drapeau américain, bien protégé par la police. Après avoir hué le patron, la foule quitte l'usine et continue sa tournée jusqu'à l'usine Touze, lorsque le 21e régiment de chasseurs à cheval charge, sans sommation.

On résiste à coup de pierres, on construit des barricades avec ce que l'on trouve (des rails, un tramway renversé, un cheval mort...). Mais la nuit met fin aux affrontements et les barricades sont abandonnées. Les soldats qui s'apprêtaient le lendemain à charger pour reprendre la place en sont réduits à faire du nettoyage urbain. L'affaire a fait suffisamment peur pour que les autorités déploient les grands moyens: dans la nuit, le préfet retire au maire ses pouvoirs de police, Théodore Haviland hisse le drapeau américain sur sa villa et réclame, vainement, de l'aide à l'ambassade américaine.

Le samedi 15 avril, une manifestation menace de prendre d'assaut la prison pour libérer les prisonniers de la veille. Mais c'est finalement une statue de saint Joseph qui sera brisée, avant que les chasseurs à cheval ne chargent à nouveau, toujours sans sommation. Le lendemain, la tension est à son comble: on apprend que trois armureries ont été dévalisées dans la nuit et qu'une bombe a explosé devant le domicile d'un directeur d'usine. La presse évoque déjà le retour des attentats anarchistes. C'est le dimanche des rameaux mais les églises sont bien vides. Par contre les trains amènent quelques centaines de gendarmes supplémentaires. Le préfet annonce dans l'après midi l'interdiction de toute manifestation.

La force des armes

Le lundi, plus de 3 000 personnes se rassemblent pour un meeting d'Albert Lévy, trésorier de la CGT. Mais dans la nuit, plusieurs ouvriers ont été arrêtés, accusés d'avoir caché des armes... que la police n'a pas trouvées. La foule, toujours munie d'un drapeau noir et d'un drapeau rouge, prend donc le chemin de la préfecture pour demander leur libération dès le début de l'après-midi. Le préfet ne répond que vers 18 heures: le ministre de l'Intérieur refuse la libération. À 19 heures, plus de 5 000 personnes attaquent à la prison. Mais à peine la porte enfoncée, les sinistres chasseurs à cheval, renforcés par des dragons, chargent, sabre au clair. Plus de deux heures d'affrontement suivent, dans tout le quartier. Des dizaines de barricades sont dressées sommairement mais sont peu efficace face aux 1 200 militaires. Beaucoup d'ouvriers et d'ouvrières se réfugient au jardin d'Orsay, dont les pentes paraissent trop raides pour permettre à la cavalerie de charger. Des pierres et des bouteilles pleuvent sur la place du champ de foire, en contrebas du jardin, occupée par l'armée. La nuit est tombée et l'éclairage public a été brisé par les manifestants et manifestantes.

L'infanterie décide alors de nettoyer le jardin de la façon la plus barbare: l'ordre est donné de tirer sur le jardin complètement plongé dans le noir ; 52 balles sont tirées. En quelques minutes, le jardin se vide et les rues alentour aussi. Vers 22 h 30, la nouvelle se répand: il y a un mort. Camille Vardelle, ouvrier porcelainier de 19 ans, a été mortellement blessé par balle. L'hôpital déclare deux autres blessés par balle et un blessé grièvement touché à la tête par un coup de sabre. Tous ont moins de 20 ans.

L'ordre des cimetières règne

Le mardi matin, l'ordre règne: quelques curieux se rassemblent sur la place du champ de foire, aussitôt l'armée charge. Mais mercredi 19 avril, plus de 10 000 personnes sont présentes à l'enterrement de Vardelle: il faut deux chars funéraires pour transporter toutes les couronnes en hommage «à la victime du régime capitaliste», «à notre frère assassiné le 17 avril par les balles françaises». Ce jour-là, des centaines de demandes de protection affluent chez le préfet: tout ce que la ville compte en patrons en tous genres craint une vengeance. Dans les semaines qui suivent, les soldats évitent de se déplacer seuls en ville.

Les négociations reprennent rapidement et dès le 2 avril un accord est trouvé: le contremaître Penaud est renvoyé, mais pas Sautour. Les salaires ne sont pas augmentés mais les grévistes sont tous réembauchés. Les grèves qui suivront les mois suivants seront rarement victorieuses: une discipline militaire est restaurée dans les usines et beaucoup d'ouvriers et d'ouvrières sont encore au chômage du fait du ralentissement de la production. Par contre, la manifestation du 1er mai rassemble plus de 4 000 personnes et les rassemblements ou manifestations se multiplient en hommage aux victimes de la grève: la police et l'armée sont systématiquement repoussées lorsqu'elles tentent de les empêcher. Les rumeurs sur l'armement des syndicalistes et les hordes anarchistes tourneront encore longtemps, pour discréditer le mouvement syndical, mais permettront aussi occasionnellement de calmer les ardeurs de certains patrons.

Loin d'être aussi révolutionnaire que la droite voulait bien le dire, cette grève a tout de même illustré la forte conscience de classe, la volonté ouvrière de maîtriser l'espace de la ville et de s'imposer face à des cadres souvent tyranniques. Il aura fallu l'usage de la force armée pour y mettre fin, mais sans entamer durablement la combativité ouvrière: le 30 juillet 1914, veille de l'assassinat de Jaurès, il y a encore 5 000 à 7 000 personnes qui manifestent à Limoges contre la guerre.

Renaud (AL Alsace)

[1] Les allemanistes sont les partisans de Jean Allemane, ancien communard, porte-parole du Parti ouvrier socialiste révolutionnaire (POSR). Ils répugnent à l'intégration dans les institutions républicaines, cherchent à placer la lutte anticapitaliste entre les mains des travailleuses et des travailleurs eux-mêmes. Ils prônent la grève générale, contrairement aux «guesdistes», militants du Parti ouvrier français (POF) de Jules Guesde, pour qui l'émancipation des travailleurs est du ressort d'un État socialiste qu'il reste à construire. Voir Miguel Chueca, Déposséder les possédants. La grève générale aux «temps héroïques» du syndicalisme révolutionnaire (1895-1906), Agone, 2008.

http://www.alternativelibertaire.org/?I ... -se-couvre
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Re: Petites histoires des grandes grêves du passé

Messagede bipbip » 01 Juil 2015, 02:32

La Ricamarie, 16 juin 1869 : fusillade contre des mineurs en grêve

La Ricamarie fut un haut lieu de la lutte des mineurs français pour l’amélioration de leurs conditions de vie et de travail, avec notamment le motivé Michel Rondet, inspirant Émile Zola pour son roman Germinal. C’est ainsi que le 16 juin 1869 l’armée de Napoléon III, appelée en renfort pour mater la grève des mineurs déclenchée à Firminy le 11 juin, ouvre le feu sur la foule des mineurs de la Ricamarie et des manifestants solidaires rassemblés au ravin du Brûlé : la fusillade fait 14 morts dont une fillette de 16 mois et de nombreux blessés.

... http://www.forez-info.com/encyclopedie/ ... brule.html
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Re: Petites histoires des grandes grêves du passé

Messagede Pïérô » 16 Aoû 2015, 17:51

Août 1935 : émeutes ouvrières à Brest contre les baisses de salaires

Il y a 80 ans Brest était le théâtre de plusieurs journées d’émeutes contre un ensemble de mesures que l’on qualifierait aujourd’hui « d’austérité » ; l’occasion pour brest.mediaslibres de revenir sur un épisode méconnu de l’histoire de cette ville.

Les articles retracent le fil des journées du 5 au 10 août 1935, qui voient une partie de la population ouvrière de la ville de Brest se soulever contre des baisses de salaire imposées par le gouvernement. La lutte, menée par les ouvriers de l’arsenal, se traduira notamment par de violents affrontements avec la police et l’armée, faisant plusieurs morts et des centaines de blessés.

« Ces journées d’émeutes ne sont pas l’histoire d’une autre époque à commémorer tous les ans, c’est l’histoire d’un des nombreux combats contre l’oppression mené par les oppressés eux même, un combat émancipateur, pour une société plus juste, un combat qui est toujours d’actualité, et n’est pas une relique du passé. »

Août 1935 — Émeutes à Brest : Pourquoi en parler ? (Partie 1/6)
http://brest.mediaslibres.org/spip.php?article100

Août 1935 — Émeutes à Brest : Contexte politique et local (Partie 2/6)
http://brest.mediaslibres.org/spip.php?article101

Août 1935 — Émeutes à Brest : La mort de Joseph Baraër (Partie 3/6)
http://brest.mediaslibres.org/spip.php?article102

Août 1935 — Émeutes à Brest : La journée du 7 août (Partie 4/6)
http://brest.mediaslibres.org/spip.php?article103

Août 1935 — Émeutes à Brest : Funérailles, répression et vengeance (Partie 5/6)
http://brest.mediaslibres.org/spip.php?article104

Août 1935 — Émeutes à Brest : Retour sur … (Partie 6/6)
http://brest.mediaslibres.org/spip.php?article105
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Re: Petites histoires des grandes grêves du passé

Messagede bipbip » 21 Aoû 2015, 02:28

Nantes: 19 aout 1955 – 19 aout 2015 : 60 ans après, hommage à Jean Rigollet, tué par la police

Il y a exactement 60 ans avait lieu à Nantes un mouvement social qui a marqué l'histoire par son intensité.

Au beau milieu de l'été 1955, les ouvriers nantais des chantiers navals, à la suite de ceux de Saint Nazaire, se mettent en grève pendant des semaines. Ils seront rejoint par de nombreux nantais solidaires. Le conflit est dur : le 17 aout les manifestants attaquent des locaux du patronat.

Le lendemain, ils s'en prennent à la prison et au tribunal pour faire libérer leurs camarades réprimés. Les manifestations réunissent des dizaines de milliers de personnes à plusieurs reprises…

Le 19 aout, sur le Cours des 50 Otages, un maçon de 24 ans est fauché par une balle tiré par les CRS.

Il y a précisément 60 ans, au cœur de Nantes, la police tuait un manifestant.

Après la fin de la grève, la CGT déplorera « les idées anarcho-syndicalistes très fortes que les mouvements de 1955 ont encore développées » dans la classe ouvrière du département. Cette position des syndicats peut expliquer l'oubli qui frappe cette lutte pourtant historique par son ampleur, son intensité, et ses pratiques.

Et aujourd'hui, en 2015 ? La police continue de tirer sur la foule à coups de grenades et de balles en caoutchouc. Aujourd'hui encore, à Nantes comme ailleurs, la police tue et mutile. Les 5 personnes gravement blessées au visage par la police nantaise ces dernières années en témoignent.

Pour ne pas oublier la mort de Jean Rigollet, lui rendre hommage, et pour lutter aujourd'hui contre la militarisation et l'impunité policière, des personnes étaient réunies ce matin sur le Cours des 50 Otages.

Un bouquet de fleur et deux affiches ont été apposées, à côté de la plaque commémorative officielle, placée à l'emplacement du décès de Jean Rigollet.

La lutte continue !

---

« Il n'y a aucune forme d'organisation plus autonome que quinze mille ouvriers agissant unanimement dans la rue. (…) Nantes a fourni l'exemple [de] formes d'orga­nisation qui s'avèrent déjà les seules efficaces, et qui s'avéreront de plus en plus les seules possibles. »

(Cornélius Castoriadis, Les ouvriers face à la bureaucratie, revue "Socialisme ou Barbarie" n°18, janvier-mars 1956).

https://nantes.indymedia.org/articles/31917

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Re: Petites histoires des grandes grêves du passé

Messagede Pïérô » 26 Sep 2015, 18:10

Paris, vendredi 2 octobre 2015

Ciné Léon - projection rencontre
« Histoires d'images, images d'histoire »
Un film de Moïra Chappedelaine-Vautier

à 20h30, Centre d'Animation Mercoeur, 4 Rue Mercoeur, Paris 11e

En 1950, en pleine reconstruction, les ouvriers de Brest se mettent en grève. Elle durera plus d'un mois et sera sanglante. Edouard Mazé, ouvrier brestois de 26 ans laissera la vie lors de la manifestation du 17 avril, des dizaines de ses camarades seront blessés et l'un d'eux Pierre Cauzien sera amputé cinq jours plus tard. La ville est en état de siège. René Vautier, jeune cinéaste de 20 ans, se rend clandestinement à Brest, à l'appel de la CGT, pour tourner un film sur les raisons de la colère. La trace de ces événements est aujourd'hui ténue et portée par des témoins dont la parole s'éteint petit à petit. Ce film se propose de retrouver les traces de ces évènements, recueillir la parole des témoins, fouiller leurs archives personnelles, exhumer les photogrammes oubliés, ouvrir les dossiers officiels jusqu'alors protégés, fouiller au fond des mémoires individuelles pour comprendre. En 1950, un homme est mort… Mais qui s'en souvient encore ?

Suivi d'une rencontre-débat en présence de la réalisatrice, Moïra Chappedelaine-Vautier

... et de la traditionnelle auberge espagnole pour partager ensemble nos p'tits plats et boissons

http://fetealeon.org/cineleon/

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Re: Petites histoires des grandes grêves du passé

Messagede bipbip » 01 Déc 2015, 19:03

Décembre 1995

En novembre-décembre 1995, la France était paralysée par le mouvement de grève le plus massif enregistré depuis Mai 68. Mais il s’agissait de bien davantage que d’une simple cessation de travail. Le mouvement a été empreint d’une forte dimension politique, symbolique et sociale, et ce n’est pas un hasard si dès les semaines suivantes, on parlait déjà de « Décembre 95 ».

Dossier : http://www.alternativelibertaire.org/?Decembre-95
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Re: Petites histoires des grandes grêves du passé

Messagede Pïérô » 11 Déc 2015, 12:27

Paris, jeudi 17 décembre 2015

Rencontre-débat avec A. Steiner autour du livre Le temps de la révolte

à 19h30, Publico, librairie du Monde libertaire, 145 rue Amelot, Paris 11e

Le temps de la révolte. Une histoire en cartes postales des luttes sociales à la « Belle époque »
(Editions l’Echappée)

Dans les années précédant la Première Guerre mondiale, les conflits sociaux se multiplient dans toute la France, et dans la plupart des secteurs d’activité. Derrière les revendications concernant le temps de travail, le salaire, l’abrogation des nouveaux règlements, la reconnaissance des sections syndicales, c’est toujours d’une lutte pour la reconnaissance du travail et des savoir-faire dont il est question. Un combat pour la dignité que les vignerons du Midi ou de la Champagne mènent aussi en luttant contre les procédés frauduleux qui dévalorisent leur production et les plongent dans la misère.

À l’âpreté de ces combats, souvent comparés aux jacqueries d’antan, répond la brutalité de la répression. La troupe charge, mutile et tue, et les peines de prison pleuvent sur les manifestants et les syndicalistes. Ces années de guerre sociale correspondent à l’âge d’or de la carte postale, dont la production explose entre 1900 et 1914. À une époque où les photographies de presse sont rares et de qualité médiocre, c’est sur ce support, média à part entière, qu’ont été fixés les moments forts de ces révoltes urbaines ou rurales : cortèges, barricades, charges de dragons, machines sabotées, demeures patronales incendiées, mais aussi soupes communistes, fêtes et meetings.

Mettant en regard récits et images, ce livre nous plonge au cœur de ces événements et nous fait découvrir le métier et la vie des femmes et des hommes qui en furent les valeureux protagonistes.
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