Voline

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Messagede kuhing » 16 Juin 2008, 14:55

Il faut l'avoir lue
"La révolution inconnue" de Voline

Un regard et une participation à la révolution russe par un anarchiste.
Texte complet disponible ici :

http://kropot.free.fr/Voline-revinco.htm
kuhing
 

Re: Il faut l'avoir lue

Messagede Chadagova » 16 Juin 2008, 17:31

Oula ça fait beaucoup à imprimer tout ça, je crois que je vais l'acheter.
Chadagova
 

Re: Il faut l'avoir lue

Messagede kuhing » 16 Juin 2008, 17:55

Chadagova a écrit:Oula ça fait beaucoup à imprimer tout ça, je crois que je vais l'acheter.

tu ne le regretteras pas c'est un trés bon investissement :)
kuhing
 

Re: Il faut l'avoir lue

Messagede Harfang » 20 Juin 2008, 18:29

Partiellement lu en ligne.

Bon, mes réflexes d'amateurs d'histoire me diront de me méfier des sources susceptibles d'être partisane... mais mon coeur me dicte le contraire!
Harfang
 

Re: Il faut l'avoir lue

Messagede Olé » 20 Juin 2008, 20:48

Harfang a écrit:Partiellement lu en ligne.

Bon, mes réflexes d'amateurs d'histoire me diront de me méfier des sources susceptibles d'être partisane... mais mon coeur me dicte le contraire!

Quelles sources ne le sont pas;....? :wink:
Olé
 

Re: Il faut l'avoir lue

Messagede Harfang » 20 Juin 2008, 20:51

Disons que certaines le sont moins que d'autres :) ... Des historiens honnêtes par exemple, genre Veynes.
Harfang
 

Re: Il faut l'avoir lue

Messagede Olé » 20 Juin 2008, 21:05

Harfang a écrit:Disons que certaines le sont moins que d'autres :) .

Voila on peut dire ça. Mais concernant l'objectivité de l'historien par rapport à son objet d'étude, ce n'est pas valable pour ma part. Mais bon j'vais pas faire dévier le debat, pis c'est pas vraiment le sujet du topic.
Olé
 

Voline

Messagede digger » 12 Mai 2014, 06:54

Voline – 1882-1945

par Rudolf Rocker


Image


Texte inédit traduit
Texte original : Volin, 1882-1945 http://libcom.org/library/volin-1882-1945-rudolf-rocker

Vsevolod Mikhailovich Eichenbaum est né le 11 août 1882, dans la région de Voronezh en Russie. Un seul de ses ouvrages, à ma connaissance, un petit livret de poèmes, a été publié sous son vrai nom, alors que tous les autres, ses nombreux articles et essais , l’ont été sous son pseudonyme. Il est plus facile de penser et de parler de lui sous le nom de Voline.

Ses parents étaient tous les deux médecins et vivaient confortablement, ce qui leur permettait d’engager des gouvernantes françaises et allemandes pour débuter l’éducation de leurs enfants. Ainsi, Vsevolod et son frère Boris eurent ils l’opportunité de se familiariser avec ces deux langues dès leur prime jeunesse. Voline était capable de parler et d’écrire le français et l’allemand aussi couramment que le russe, sa langue natale.

Il reçut son enseignement général au collège de Voronezh. Après quoi, il fut envoyé à Saint-Pétersbourg pour étudier la jurisprudence. Mais tous ses plans d’avenir furent contrariés par la situation critique qui se développait en Russie à l’époque. Voline se familiarisa avec les idées révolutionnaires à dix neuf ans, alors qu’il était étudiant et se rendit particulièrement utile au sein du mouvement ouvrier à partir de 1901.

En 1905, alors que tout l’empire russe était sous l’emprise du grand soulèvement révolutionnaire qui faillit renverser l’ordre tyrannique des Romanov, le jeune homme de Voronezh rejoignit le Parti Socialiste Révolutionnaire et prit une part active dans cette révolte. Après la répression sanglante de l’insurrection ; il fut arrêté comme des milliers d’autres. En 1907, un tribunal tsariste le bannit dans un des nombreux endroits de Russie pour les exiles politiques. Mais il fut assez chanceux pour trouver un moyen de s’évader et se rendit en France.

Ce fut à Paris que Voline connut les meilleurs conditions pour étudier et comparer les différentes écoles du mouvement socialiste et les multiples aspects des problèmes sociaux en général. Il fréquenta différents libertaires, dont Sébastien Faure, l’orateur éloquent des anarchistes français. Et il établit des contacts avec le petit cercle des anarchistes russes à Paris, dont A. A. Kareline et son groupe, et autres organisations d’exilés russe. Sous l’influence de ce nouvel environnement, il était inévitable que Voline modifie progressivement ses idées politiques et sociales , et ainsi il se sépara des socialistes révolutionnaires et rejoignit le mouvement anarchiste.

En 1913, lorsque le danger d’un conflit armé fit planer son ombre sur l’ Europe, il devint membre du Comité pour Une Action Internationale Contre la Guerre. Cette adhésion irrita les autorités françaises et, en 1915, alors que le front s’étendait sur tout le continent, le gouvernement Viviani-Millerand décida de l’interner dans un camps pour la durée du conflit. Averti à temps, il put, avec l’aide de camarades français, s’échapper à Bordeaux. De là, il embarqua comme magasinier sur un cargo à destination des États-Unis.

A New York, Voline rejoignit la Union of Russian Workers in the United States and Canada, une organisation remarquable avec 10 000 adhérents environ, aux positions semblables à celles de la Confédération Générale du Travail en France, à l’époque. Il trouva donc un riche terreau pour ses activités. Peu après, il rejoignit l’équipe éditoriale de Golos Truda, un hebdomadaire de la Fédération, dont il était un des rédacteurs les plus doués.

Mais en 1917, lorsque se déclencha la révolution en Russie, l’équipe entière de Golos Truda décida d’y partir et de transférer la revue à Petrograd. Arrivés là-bas, ils obtinrent la coopération spontanée de l’Union Anarcho-Syndicaliste Groupe de Propagande créée récemment . Il fut donc facile d’organiser la publication de Golos Truda sur le sol russe. Voline adhéra à l’Union et fut immédiatement élus comme l’un de ses rédacteurs. Durant les premiers mois, la revue apparut sous forme d’hebdomadaire mais après les événements de octobre 1917, elle devint un quotidien.

Entre temps, le gouvernement bolchevique à Moscou avait signé le traité de paix de Brest-Litovsk qui cédait toute l’Ukraine aux armées d’occupation allemandes et autrichiennes. C’est ainsi que Voline quitta Petrograd et rejoignit une troupe de partisans libertaires qui partaient en Ukraine pour combattre les envahisseurs étrangers et leurs partisans russes. Il put ainsi se rendre à Bobrov et rendre visite à sa famille qu’il n’avait pas vu de 1915, lorsqu’il fut obligé de quitter la France pour l’Amérique.

Durant les mois de relative liberté qui s’ensuivirent en Russie, lorsque d’autres mouvements sociaux autres que bolcheviques jouissaient encore de la possibilité de diffuser leurs idées à travers leurs publications et réunions publiques, Voline fut constamment occupés sur de nombreux fronts. Il participa aux travaux du Commissariat Soviétique pour l’Education Publique et l’Edification du Peuple, d’abord à Voronezh et plus tard à Kharkov. A l’automne 1918, il aida à organiser la Fédération Anarchiste d’Ukraine, une organisation puissante pendant quelques mois, connue sous le nom de Nabat (Tocsin), qui publia une importante littérature. A part son journal principal à Koursk, Nabat publiait des journaux régionaux sous le même nom dans différentes régions d’Ukraine. Voline devint membre du secrétariat de Nabat et de l’équipe éditoriale de ses revues. Le congrès de l’organisation à Koursk lui confia la rédaction d’une Déclaration Synthétique de Principes qui serait acceptable par toutes les tendances du socialisme libertaire en Russie et qui leur permettrait de travailler ensemble.

Mais tous les projets d’avenir de Nabat furent réduits à néant lorsque, au printemps 1919, le gouvernement soviétique commença à persécuter les anarchistes en interdisant leurs journaux et en procédant à des arrestations de masse de ses militants. Voline rejoignit alors l’armée révolutionnaire de Nestor Makhno. Makhno avait aussi créé au sein de cette armée une branche spéciale pour l’éducation du peuple afin de le préparer à un nouvel ordre social, fondé sur la propriété collective de la terre, l’autonomie des collectivités locales et la solidarité fédératives. Voline en prit bientôt la direction, poste qu’il occupa durant toute la campagne contre Denikine.(1)

En décembre 1919, le Comité militaire révolutionnaire l’envoya dans la région de Krivoi-Rog pour contrer la dangereuse propagande de Hetman Petlura ; mais en route, il fut victime de la fièvre typhoïde et dut s’arrêter dans la chaumière d’un paysan. Entre temps, l’armée de Denikine avait été défaite et, peu après, il y eut un nouveau conflit entre le gouvernement soviétique et les partisans de Makhno. Encore extrêmement malade, Voline fut arrêté le 14 janvier par des agents militaires de Moscou et traîné de prison en prison. Trotski avait déjà ordonné son exécution et, selon Voline, il n’a échappé à la mort que par pur accident.

Il fut transféré à Moscou en mars 1920, et y resta jusqu’en octobre, lorsqu’il fut libéré en même temps que de nombreux autres anarchistes , suite à un traité signé entre les bolcheviques et l’armée de Makhno. Voline retourna alors à Kharkov, où il reprit ses anciennes activités et participa aux négociations continues entre le gouvernement de Lénine et une délégation de l’armée de Makhno. Mais l’accord obtenu entre les deux parties fut bientôt rompu par les bolcheviques et, en novembre, à peine un mois après leur libération, Voline et la plupart de ses camarades furent à nouveau arrêtés et confinés à la prison de Taganka à Moscou.

Aucune accusation ne pesait sur eux, sinon leurs opinions libertaires. Néanmoins, il ne faisait aucun que, sauf un concours de circonstances, ils auraient été liquidés d’une manière ou d’une autre, comme tant de milliers d’autres avant eux. Ils n’eurent la vie sauve que grâce à une coïncidence.

A l’été 1921, l’Internationale Syndicale Rouge tint son congrès à Moscou. Les délégués comprenaient des représentants d’organisations anarcho-syndicalistes d’Espagne, de France et d’autres pays, venus pour décider si une alliance avec cette nouvelle International était ou non possible. Ils arrivèrent dans la capitale juste au moment où les anarchistes de la prison de Taganka débutaient une grève de la faim qui dura plus d’une dizaine de jours, et furent amenés à obliger les autorités à expliquer pourquoi ils avaient été emprisonnés.

Lorsque ces délégués apprirent ce qui était arrivé, ils formulèrent de véhémentes protestations, demandant la libération de leurs camarades russes. Mais ce ne fut qu’après que l’affaire soit devenue un scandale publique lors du Congrès que le gouvernement consentit à libérer les grévistes de l faim, à la condition, cependant, qu’ils quittent la Russie. C’était la première fois que des prisonniers politiques étaient expulsés de la Patrie Rouge du Prolétariat, tant vantée.

Et le gouvernement soviétique eut l’audace de pourvoir ces victimes de passeports pris à des prisonniers de guerre tchécoslovaques en route vers leur pays natal. Lorsque les expulsés arrivèrent au port allemand de Stettin, ils donnèrent leur vrai nom aux autorités et leur signalèrent que les passeports que leur avaient fourni les bolchéviques n’étaient pas les leurs. Heureusement pour eux, l’Allemagne connaissait elle -même une situation révolutionnaire et ce qui deviendrait plus tard impossible l’était encore.

Bien que le commissaire du port n’avait pas légalement le droit de laisser ce groupe d’une vingtaine de personnes rester sur le sol allemand, il fut sensible à leur situation désespérée et leur permis d’envoyer deux de leurs camarades à Berlin pourvoir si ils pouvaient trouver une organisation amicale qui pourrait se porter garante de leur entretien et de leur bon comportement. Lorsque les deux délégués firent leur apparition à notre quartier général dans la capitale allemande, Fritz Kater, président de la Freie Arbeiter-Union Deutschlands, se rendit avec eux chez le Préfet de Police et signa tous les documents nécessaires, et donc, au bout de quelques heures, ils obtinrent la permission d’amener tout le groupe à Berlin. Ils arrivèrent à la fin de 1921.

Ce ne fut pas facile de subvenir au besoin d’un tel groupe de personnes mais les camarades allemands firent ce qu’ils purent. Il était particulièrement difficile de trouver un lieu de vie pour les nouveaux arrivants, car la question du logement en Allemagne après la première guerre mondiale était tout simplement abominable et resta un des plus gros problèmes de la nation pendant de nombreuses années. Et notre tâche la plus difficile fut de trouver un lieu où la famille Voline pourrait vivre sous le même toit. Le seul abri que notre comité put trouver pour eux était un grenier qui pouvait être chauffé.

Ce fut ma première rencontre avec Voline et ses camarades. Bien qu’il n’eut que quarante et un ans, il paraissait beaucoup plus âgé, avec ses cheveux et sa barbe presque blancs. Mais ses gestes énergiques et ses mouvements rapides corrigèrent mon impression initiale. C’était un homme cordial et intelligent, aux manières douces, attentionnées et courtoises et presque totalement immunisé contre les événements extérieurs et les coups durs personnels. Avec une faculté de concentration hors du commun, il pouvait poursuivre ses travaux d’écriture, sans difficulté apparente, dans le même grenier où sa famille devait dormir, manger et vivre au quotidien.

En fait, Voline a réalisé de nombreux travaux utiles alors qu’ils se trouvait à Berlin. Il écrivit, en allemand, un pamphlet remarquable de quatre-vingt pages, intitulé The Persecutions of the Anarchists in Soviet Russia. C’était la première information authentique et documentée du monde extérieur au sujet de ce qui se passait en Russie. Il traduisit aussi en allemand le livre de Piotr Arshinov, The History of the Makhnovist Movement, et en même temps, il éditait une revue en revue en russe, L’Ouvrier Anarchiste. A côté de cela, il réalisa un gros travail pour le mouvement libertaire allemand, en faisant des conférences et en écrivant des articles pour notre presse.

Voline resta à Berlin deux ans environ, puis reçut une invitation de Sébastien Faure pour venir s’installer à paris avec sa famille, où les conditions de vie à cette époque étaient bien meilleures qu’en Allemagne. Faure était occupé à la préparation et à la publication de son Encyclopédie Anarchiste et avait besoin d’un homme maîtrisant des langues étrangères comme collaborateur régulier. Voline y trouva donc un domaine exigeant et captivant. Il écrivit différents articles pour la nouvelle Encyclopédie, dont beaucoup d’entre eux furent aussi publiés sous forme de pamphlets en plusieurs langues. Il accepta également une sollicitation de la Confederacion Nacional del Trabajo en Espagne pour devenir l’éditeur de sa revue française à Paris, L’Espagne Anti-Fasciste.

Mais si sa situation économique en France était notablement plus favorable qu’elle ne l’aurait été en Allemagne, il subit une succession de coups durs, dont le pire fut la mort de sa femme dans des circonstances douloureuses. Peu après, il quitta Paris pour Nîmes, puis pour Marseille, où le surprit la seconde guerre mondiale. Après l’invasion de la France par les nazis, sa situation devint de plus en plus dangereuse. Allant d’une cachette à une autre, il était obligé de vivre au milieu d’une tragédie continuelle et dans une misère noire.

Lorsque la guerre prit fin, il retourna à Paris, mais seulement pour entrer à l’hôpital, atteint d’une tuberculose incurable et sachant que ses jours étaient comptés. Il y mourut le 18 septembre 1945. Nombreux furent ses vieux amis à l’accompagner dans son dernier voyage, du crématorium au cimetière du Père-Lachaise. Ils pleuraient la perte d’un camarade déterminé qui avait beaucoup souffert sa vie durant, mais qui était resté jusqu’à la fin un combattant vaillant pour un monde meilleur et pour la grande cause de la liberté et de la justice sociale .

Rudolf Rocker.
Crompond, N.Y.,
Mai 1953.

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Re: Voline

Messagede Pïérô » 27 Déc 2015, 13:26

Voline, révolutionnaire de l’ombre

Voline fut l'homme de la synthèse : il proposa un anarchisme à même de rassembler les différentes tendances inhérentes à cette tradition politique et philosophique. Le Russe qu'il était eut à fuir sa terre natale car il n'entendait pas que la révolution sociale pût être capturée — et, à ses yeux, trahie — par le nouveau pouvoir soviétique. L'émancipation de tous ne pouvait être affaire de coercition. Portrait d'un militant et d'un intellectuel aussi actif que prolifique, en lutte jusqu'à ses derniers jours.

... http://www.revue-ballast.fr/voline-revo ... de-lombre/
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Re: Voline

Messagede bipbip » 05 Juin 2017, 14:18

Voline
La Révolution russe

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HISTOIRE CRITIQUE ET VÉCUE

Suivi de l’article « Le fascisme rouge »

« Non, Lénine et ses camarades ne furent jamais des révolutionnaires. Ils ne furent que des réformistes quelque peu brutaux qui, en vrais réformistes, recoururent toujours à de vieilles méthodes bourgeoises. Ils n’avaient aucune confiance dans la vraie révolution et ne la comprenaient même pas. »

Dans La Révolution russe, le théoricien libertaire Vsevolod M. Eichenbaum, dit Voline (1882-1945), brosse un tableau synthétique de l’histoire de la Russie, de 1825 à 1934. En termes simples, il rend toute son ampleur à un processus révolutionnaire complexe dont les grandes étapes, en 1905 et 1917, ont été marquées par la spontanéité et l’intervention populaires.
Également reproduit, l’article « Le fascisme rouge » caractérise le destin d’une révolution manquée qui, dès l’accession au pouvoir des bolcheviks, pratiqua à grande échelle une féroce répression.
Cet ensemble – jamais réédité – combine précocité et lucidité de l’analyse pour comprendre l’échec du « socialisme » autoritaire en Russie et éviter de confondre, comme on l’a fait durant des décennies, le long processus d’émancipation contre l’absolutisme avec le capitalisme d’État qui en a résulté.

L’auteur
Anarchiste russe, Vsevolod M. Eichenbaum, dit Voline (1882-1945), est né dans une famille aisée de Saint-Pétersbourg avec laquelle il rompt en 1901. Après la révolution de 1905, il s’exile en France, puis aux États-Unis. Rapatrié en Russie en 1917, il rejoint les partisans de Makhno en Ukraine. Arrêté à Moscou en 1920, une délégation de syndicalistes étrangers obtient sa libération. Banni d’URSS, il s’exile en Allemagne, puis, en 1925, en France où il participe jusqu’à la fin de ses jours au mouvement anarchiste. Réfugié à Marseille durant la Seconde Guerre mondiale, il y survit difficilement, participe aux activités d’un groupe anarchiste clandestin et termine le manuscrit d’une somme publiée à titre posthume : La Révolution inconnue (1947).

Préface : Charles Jacquier
228 pages — 10 €
Parution : 20 avril 2017
ISBN : 9782377290048

http://www.editionslibertalia.com/catal ... tion-russe
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Re: Voline

Messagede bipbip » 16 Juil 2017, 13:53

Voline, révolutionnaire de l’ombre

Voline fut l’homme de la synthèse : il proposa un anarchisme à même de rassembler les différentes tendances inhérentes à cette tradition politique et philosophique. Le Russe qu’il était eut à fuir sa terre natale car il n’entendait pas que la révolution sociale pût être capturée — et, à ses yeux, trahie — par le nouveau pouvoir soviétique. L’émancipation de tous ne pouvait être affaire de coercition. Portrait d’un militant et d’un intellectuel aussi actif que prolifique, en lutte jusqu’à ses derniers jours.

... https://www.revue-ballast.fr/voline-rev ... de-lombre/
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Re: Voline

Messagede bipbip » 29 Juil 2017, 17:50

LA RÉVOLUTION RUSSE

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Acteur et témoin des révolutions russes, théoricien, Vsevolod M. Eichenbaum, dit Voline (1882-1945) revient sur le processus complexe qui a conduit la Russie aux bouleversements de 1905 et 1917, tout en insistant sur leur spontanéité.

Au XIXe siècle, la Russie est une monarchie absolue, s’appuyant sur une aristocratie militaire et foncière, sur un clergé nombreux et dévoué et sur une masse paysanne de plus de cent millions d’âmes, illettrées et fidèles au Tsar. 90% de la population vit de l’agriculture. Les terres appartiennent à l’État ou aux « pomestchiks ». Les paysans sont leurs serfs. Ils attendent tout du Tsar, de leur « petit père », c’est pourquoi les quelques révoltes sous le règne de Nicolas 1er (1825-1860) sont essentiellement locales, même si elles sont de plus en plus nombreuses. Si le régime, fondé sur un féodalisme agraire, se renforce en État bureaucratique et policier, l’essor de l’industrie et de l’enseignement permet le développement d’une importante classe intellectuelle particulièrement critique vis-à-vis de l’absolutisme et du servage.
Alexandre II, face à la montée des mécontentements, abolit le servage en 1961 et délègue certains pouvoirs aux municipalités. Pourtant, la jeunesse intellectuelle ne peut s’en contenter. De nombreux attentats sont commis contre des hauts fonctionnaires entre 1870 et 1880. Le mouvement Narodnaïa Volia (Volonté du peuple) assassine le tsar le 1er mars 1881.
Alexandre III tente d’étouffer toute contestation en restaurant l’État policier et bureaucratique mais l’apparition du marxisme et d’un prolétariat industriel aboutit à la formation du Parti ouvrier social-démocrate russe en 1898 puis, en 1901, à la naissance du Parti socialiste révolutionnaire qui réclamait la socialisation immédiate et complète des terres.
Le pouvoir fonde un mouvement autour du Pope Gapone pour tenter de canaliser et contrôler la colère des ouvriers à Saint-Pétersbourg mais il fut rapidement débordé : première grève ouvrière dans les usines Poutilov en décembre 1904 qui devient rapidement grève quasi générale. Une pétition est rédigée pour être remise au Tsar le 9 janvier 1905. La foule ne pourra atteindre le palais d’hiver : des milliers de personnes furent tuées. Ce jour-là, le tsar tua lui-même sa « légende », ce que n’avait réussi l’attentat de 1881.
Voline raconte la création du premier soviet ouvrier qu’on lui proposa de diriger en lui fournissant de faux papiers pour le déclarer ouvrier. Ce qu’il refusa. Ce conseil siégea régulièrement, publia une feuille d’information régulière et dirigea le mouvement ouvrier à Saint-Pétersbourg. Trotski y entra rapidement et en devint secrétaire.

La colère grandit, les troubles se multiplièrent pendant le reste de l’année 1905. Début octobre la grève paralysa le pays au point de faire céder le gouvernement. Le 17 octobre, le Tsar publia une liste de promesses : libertés politiques, constitution, création d’un parlement, la Douma, ce qui brisa l’élan révolutionnaire. Puis, trouvant de l’argent notamment grâce à l’emprunt français (emprunt russe), il put réprimer, interdire la presse, arrêter les responsables. Suivirent douze années caractérisées par la dégénérescence du système absolutiste et la rapide et profonde prise de conscience des masses.
Le 25 février, criant « Du pain ! », le peuple descend spontanément et massivement dans la rue à Pétrograd. Le 27, soutenu par l’armée, il déborda la police, pris d’assaut la Douma où se constitua un gouvernement provisoire qui fit signer son abdication au Tsar. De février à octobre, les gouvernements qui se succédèrent, selon un modèle de monarchie constitutionnelle, furent impuissants face aux problèmes économiques et internationaux (la guerre). Des soviets se mirent en place partout.
Voline explique que les bolcheviks l’on emporté sur les anarchistes parce que l’État et le gouvernement paraissaient indispensables aux masses, que la littérature anarchiste était nettement moins diffusée en Russie, que les cadres bolcheviks réfugiés et formés à l’étranger étaient beaucoup plus nombreux, rentrés dès février. Il défend les anarchistes contre le reproche de n’avoir pas, renonçant momentanément à leur négation des partis, de la démagogie, du pouvoir, agit « à la bolchevik », c’est-à-dire de former une sorte de parti politique et de tâcher de prendre provisoirement le pouvoir, pour organiser ensuite l’anarchie. « On est anarchiste parce qu’on tient pour impossible de supprimer le pouvoir, l’autorité et l’État à l’aide du pouvoir, de l’autorité et de l’État et des « masses entraînées ». Dès qu’on à recours à ces moyens - ne fut-ce que « momentanément » et avec de très bonnes intentions -, on cesse d’être anarchiste, on renonce à l’anarchisme, on se rallie au bolchevisme. » Enfin, il accuse les bolcheviks d’avoir emprunté leurs mots d’ordre aux anarchistes : la révolution sociale, l’appel à la paix, la terre aux paysans, les usines aux ouvriers, en les dénaturant, ce qui entretint la confusion.

Les anarchistes envisageaient une transformation en dehors de toute organisation étatiste. Les bolcheviks voulaient au contraire un état omnipotent, un gouvernement tout-puissant, un pouvoir dictatorial.
Les anarchistes pensaient que les masses devaient quitter le front, proclamant leur refus de se battre stupidement pour les intérêts capitalistes, leur dégoût pour cette boucherie, ce qui entraîneraient les soldats des autres pays et la révolution mondiale. Les bolcheviks étatistes voulaient une paix négociée diplomatiquement.
Les anarchistes comptaient mettre à disposition de ceux qui voulaient les cultiver, les terres, et les usines, aux coopératives ouvrières, tandis que les bolcheviks voulaient qu’elles deviennent propriétés de l’État.
Les anarchistes voulaient vraiment donner tout le pouvoir aux soviets.

Assuré du soutien des marins de Cronstadt, des troupes de Petrograd et des masses travailleuses, le Comité central du parti bolchevik fixe la date de l’insurrection au 25 octobre. Sans action ni combat, le gouvernement "provisoire" de Kerenski est cerné puis arrêté. Voline raconte qu’à 11 heures du soir, il se trouvait dans les rues de Petrograd lorsqu’un véhicule jeta devant lui un paquet de tracts annonçant la formation du nouveau gouvernement, Lénine en tête.
Moscou, par contre, connu dix jours de combats acharnés. La guerre civile qui devait durer jusqu’à 1921, venait de commencer, avec les mouvements menés par le général Denikine parti d’Ukraine, du général Wrangel dans le Sud, de l’amiral Koltchak dans l’Est.
Son récit est parsemé d’anecdotes de première main, source historique importante et souvent inédite, comme lorsqu’il révèle que c’est un simple marin de Cronstadt, de garde à l’Assemblée constituante qui provoqua sa destitution, une nuit, en évacuant la salle car le corps de garde était fatigué.
Dès lors, les thèses bolcheviks vont être mises en pratique. L’élite, le gouvernement dit « ouvrier » va exercer la dictature du prolétariat. Lénine, en véritable dictateur, bravant l’opinion des masses et de ses propres camarades partisans d’abandonner le front, accepta la paix offerte. La « dictature du prolétariat » l’emporta sur le prolétariat. Le gouvernement étatisa tout, jusqu’à la parole et la pensée. Le capitalisme d’État devint le système politique, économique, financier et social en URSS. La prétendue industrialisation du pays aboutit à quelques érections et constructions impraticables et inutiles. Le fameux « plan quinquennal » s’effondra en une faillite ahurissante. La prétendue « collectivisation » étatiste de l’agriculture n’était qu’une immense entreprise de servage militarisé.
La condamnation de Voline est sans appel. Il répète qu’il ne faut pas confondre révolution sociale et bolchévisme. Pour lui, plus les difficultés étaient grandes plus il fallait, justement recourir à la libre initiative. « Non, Lénine et des camarades ne furent jamais des révolutionnaires. Ils ne furent que des réformistes quelques peu brutaux qui, en vrais réformistes recoururent toujours à de vieilles méthodes bourgeoises. »
Il s’en prend également à quelques « légendes », affirmant que dans toutes les offensives contre-révolutionnaires importantes, l’Armée rouge était en déroute. C’est le peuple en révolte et partiellement en arme qui battait les Blancs. Il raconte le soulèvement de Cronstadt en 1921 et l’atrocité de la répression, le mouvement makhnoviste en Ukraine, lutte désintéressée, héroïque et inégale pour la vraie révolution sociale intégrale, antiétatiste et antiautoritaire auquel il participa également.

En conclusion, Voline affirme sa conviction que la révolution russe de 1917 n’est pas un événement isolé historiquement ou nationalement mais un processus social d’envergure mondial qui vient seulement de commencer. Le monde actuel est entré dans l’époque de la grande révolution sociale mais se trouve seulement au début de sa période destructrice. Le bolchevisme représente une expérience négative. Le pouvoir ne se maintient qu’à l’aide d’une terreur policière, d’une tromperie, d’une démagogie inouïe et d’une violence armée sans précédent. Il appelle en premier lieu à détruire le préjugé autoritaire et étatiste.

Il explique beaucoup plus en détail que nous ne l’avons rapporté, l’évolution des différents rapports de force, notamment des mouvements anarchistes.
Son exposé, très personnel, doit être lu car il dénote de la plupart des récits habituels.
En cette année anniversaire, cette nouvelle publication d’une analyse lucide de l’échec du socialiste autoritaire, s’imposait.

LA RÉVOLUTION RUSSE
Suivi de LE FASCISME ROUGE
Voline
230 pages – 10 euros
Éditions Libertalia – Paris – Avril 2017
Première publication comme article de L'Encyclopédie anarchiste de Sébastien Faure (1925 à 1934)

https://bibliothequefahrenheit.blogspot ... .html#more



Voline — La Révolution russe [1917-2017]

Les anarchistes aussi ont une idée de la révolution

Cette semaine, nous parlerons de La Révolution russe de Voline, ressorti en avril 2017 aux éditions Libertalia. Voline est un révolutionnaire russe né en 1882 [1]. Il participe à la révolution de 1905 en tant que membre du parti Socialiste-Révolutionnaire. Ce n’est qu’en exil qu’il devient anarchiste. Après la révolution de Février, on le retrouve rédacteur du principal journal anarchiste de Pétrograd, Goloss Trouda (« La Voix du travail »). En 1919, il rejoint le mouvement makhnoviste. En décembre 1920, il est arrêté à Moscou puis, après une grève de la faim, expulsé avec d’autres opposants en Allemagne. A nouveau en exil, il participe au mouvement anarchiste français, essentiellement à travers une activité éditoriale. Il meurt en 1945.

... https://lundi.am/Voline-La-Revolution-russe-1917-2017
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Re: Voline

Messagede bipbip » 18 Aoû 2017, 16:04

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Messagede bipbip » 03 Sep 2017, 15:19

Choses vécues
Première lettre : Après l’orage — Doutes — Hosannah — Terre promise


Par quoi dois-je commencer, amis ? On a tant vécu, tant pensé, tant éprouvé pendant ces années orageuses et surnaturelles… Et comment vécu, comment pensé, comment éprouvé ! Avec tout son cœur et toutes ses pensées, avec tout ses nerfs et son essence, avec tout son être et son sang… Par quoi dois-je commencer ?…

Certainement, vous attendez de moi beaucoup de nouveau, beaucoup de choses intéressantes et importantes, beaucoup d’extraordinaire. Vous chercherez dans ces lignes quelque chose de nouveau et d’extraordinaire. Mais, ne serai-je pas forcé de tromper votre attente ? Ne devrai-je pas vous désillusionner ?…

Je suis comme un voyageur échappé miraculeusement d’une terrible tempête et rejeté — abandonné et brisé — sur des rivages étrangers et inhospitaliers, n’ayant pas de place pour y reposer ma tête et couvrir ma nudité, arraché et du passé et des échos de la lutte et des livres : mes amis, et des amis : les lutteurs… Tout ce qui m’était sacré a été balayé par l’orage, dispersé par les vents, emporté par le torrent. Moi-même, je dois le ramasser miette à miette pour le rassembler…

Pourrai-je même maintenant — abandonné à l’étranger et privé de tout — pourrai-je vous dire des mots nouveaux, des mots nécessaires, des mots ayant un sens, des mots pouvant guider votre pensée vers une nouvelle voie ? Pourrai-je trouver de suite de telles paroles ? Pourrai-je vous aider à apaiser votre soif spirituelle ? Pourrai-je toucher vos cœurs pour vous émouvoir ?

Oh — mes beaux songes passés, mes forces non épuisées, ma parole non éteinte ! Mon âme déborde… Et je sais que je dois vous dire tout ce que j’ai vu et voulais dire avant ; tout ce que j’ai vu et compris maintenant, tout ce qui vit en moi — depuis longtemps, longtemps… Mais, saurai-je, pourrai-je, aurai-je le temps de construire mon autel et rallumer ma flamme sacrée ?… Saurai-je, amis, justifier votre attente ?


* * *

Commençons par l’hosannah à la grande tempête. Commençons par l’hosannah à la révolution !

Oui, je veux vous dire le chant de la victoire. Je veux que parmi nous retentissent sans cesse des hymnes d’allégresse comme jamais il n’en fut…

Parce que, mes amis, une grande victoire a été gagnée par l’Anarchie.

— Victoire — Anarchie ?? Cela va vous étonner. Mais, à vrai dire, il en est fini de la Révolution. La Révolution est éteinte. La Révolution n’a pas atteint son but, n’a pas donné la terre promise… À vrai dire, les anarchistes n’ont pas été à la hauteur de la situation… Les anarchistes n’ont pas pu s’emparer des circonstances… Les anarchistes sont vaincus… À vrai dire — « encore une victoire comme celle-là — et de l’anarchisme… »

Oui, oui… J’entends. Je sais… Ne vous pressez pas…

N’ai-je pas écrit moi-même, aux débuts de la révolution, que si l’action était menée par la politique, l’autorité et l’organisation de nouveaux gouvernements, il n’en sortirait rien et la révolution — la vraie révolution — périrait à nouveau ? Oui, et pour nous tous n’était-ce pas clair auparavant ?

Mais, n’ai-je pas écrit alors que l’action, hélas ! serait menée sûrement et inévitablement par cette voie ? N’ai-je pas prévu l’inévitable (et peut-être plus ou moins prolongée) « victoire », non pas de la révolution, mais de la gauche, social-démocrates, révolutionnaires marxistes, bolcheviks ? N’ai-je pas dit que comme résultat de la lutte politique — lutte pour le pouvoir — ils prendraient sûrement le dessus et seraient au pouvoir ?

Je l’ai prévu, écrit, dit — précisément, clairement.

Donc, l’« insuccès » des anarchistes et la « victoire » des bolcheviks n’était pour moi ni imprévision, ni désillusion. J’ai prévu cela et autre chose. Et tout ce que j’ai vu dans la révolution russe a simplement confirmé — clairement et nettement — mes conceptions et prévisions. (Je remarquerai à propos : ce compte rendu a priori de la situation a probablement été une des raisons qui mont permis de ne pas m’égarer dans la tempête et de rester tel que j’étais alors que tant d’autres n’ont pas pu le faire…)

Réfléchissez maintenant sérieusement à mon aveu.

Prévoir la « victoire » des bolcheviks, signifiait prévoir tout le développement logique de la « révolution bolchevique ». Cela signifiait prévoir que les bolcheviks entraîneraient les masses, domineraient la révolution, s’empareraient de toute la machine gouvernementale, formeraient un gouvernement, établiraient une dictature du parti et d’individus, installeraient une police ouverte et secrète, okhrana, censure, introduiraient l’inquisition et la terreur, détruiraient la personnalité, tueraient l’initiative, rempliraient les prisons, écraseraient tout et tous — et, naturellement, se débarrasseraient des anarchistes…

Et, en effet, j’ai prévu l’inévitable de tout cela.

Déjà, pendant la révolution, les camarades péchaient en attirant exclusivement leur attention sur des facteurs négatifs partiels, en les attaquant furieusement et les critiquant sans éclaircissement approfondi, sans indication claire sur l’étroite dépendance logique de tous ces facteurs dans l’ensemble de la marche des événements — de la direction prise par la révolution…

Les bolcheviks aimant à citer ces exemples de cette menue critique, pour crier hypocritement contre les « critiques creuses », les « attaques démagogiques vides » des anarchistes, etc… Cela va sans dire, ils désiraient encore moins une critique d’ensemble constante et claire. Cependant, plus d’une fois l’occasion leur était favorable pour ces accusations hypocrites et ils l’utilisaient largement.

D’un autre côté, souvent — et encore maintenant — les anarchistes, approchant plus ou moins les bolcheviks, assurent, ainsi que ces derniers, qu’effectivement seuls sont mauvais les individus et exécuteurs, les actions partielles, qu’il y a des « défauts de mécanisme », que ces « défauts » doivent être « surmontés en dedans » etc., mais que tout le mécanisme, dans son entier et sa généralité, était uniquement possible, régulier, indispensable et qu’il fallait justement ainsi « faire la révolution ». Et ils accusent les autres anarchistes « incorruptibles » de mauvaise volonté criminelle », de ne pas comprendre la situation, de se limiter à une « critique démagogique », de ne pas aider l’autorité soviétique par sa participation organique à « combattre intérieurement ».

Ici se cache — c’est l’occasion de le dire — un des grands points obscurs sur lesquels je devrai m’arrêter plus loin en détail.

J’ai dit souvent aux camarades que leur méthode de critique est profondément erronée et stérile ; pour mener à de grands résultats, notre critique doit toujours donner aux choses une clarté générale ; elle doit poser la question dans tout son ensemble ; elle doit nettement indiquer et souligner que de deux choses l’une : ou toute la voie, dans tout son ensemble est réellement sincère, uniquement possible et historiquement indispensable — et alors tout facteur négatif doit être « adopté » par nous comme un mal temporaire duquel on se débarrasse petit à petit — ou toute la voie, dans tout son ensemble, n’est pas sincère, ne conduit pas au but, n’est pas historiquement indispensable et n’est pas uniquement possible, — et alors cette même voie et tous les facteurs qui lui sont liés sont stupides, inutiles, stériles. vraiment effrayants, périlleux et inapplicables. Notre critique disais-je toujours — doit clairement démontrer que toute la voie « bolchevique » est entièrement fausse, inutile, stupide, périlleuse et, pour cela, mène inévitablement à l’erreur ; et nous devons, ici même, établir une autre voie de révolution… Ce n’est que par ce moyen que l’on peut donner à la pensée critique une sérieuse poussée vers la réalité des événements.

Donc, j’ai toujours — avant et après — proposé de peser et résoudre, et moi-même je posais et résolvais la question de toute la voie dans son ensemble avec toutes ses suites logiquement inévitables.

Des conceptions qui m’ont permis d’examiner la voie suivie jusqu’à ce jour par la révolution russe et les suites malheureuses de cette voie ; ensuite, en supposant cette voie concrètement inévitable, pourquoi je ne l’estimais ni sincère, ni historiquement indispensable, ni uniquement possible et par suite considérais nécessaire de ne pas « combattre intérieurement » ses défauts, mais au contraire lutter idéalement de toute sa force et son énergie contre toute cette voie. De tout cela, je devrai parler dans ces « lettres » comme dans d’autres travaux, en liaison avec les nombreuses questions fondamentales et capitales de notre mouvement.

En ce moment, une autre question nous préoccupe.

Prévoyant l’inévitable de la voie « bolchevique » et ses conséquences, — que pouvais-je, amis, escompter pour l’Anarchie ? Quels résultats, quels succès, quelles premières « victoires » pouvais-je attendre pour elle ?

Je ne pouvais compter — et j’ai compté — fortement, stablement, que sur une seule chose : que la sincérité intérieure de l’Anarchisme, son pouvoir ignoré, sa profonde vérité se confirmeront maintenant clairement et définitivement — brilleront enfin par des rayons vivants. Pour cela, j’escomptais que le dernier mur cachant le soleil s’effondrerait, que l’insuccès des idées politico-gouvernementales, l’insuccès du « communisme » marxiste déblaierait et ouvrirait enfin la voie pour une large réception de nos idées anarchistes et, par conséquent, pour l’action fructueuse des masses dans l’avenir. Je n’en attendais pas davantage pour commencer. Je ne comptais pas, pour le moment, sur une grande victoire.

Vous verrez par la suite pourquoi je pensais ainsi. Vous verrez aussi pourquoi tout cela ne m’a nullement empêché de remplir jusqu’au bout mon devoir d’anarchiste et de révolutionnaire. Vous comprendrez bien alors pourquoi j’ai mis soigneusement entre parenthèses et l’« insuccès » des anarchistes et la « victoire » des bolcheviks. <Et cette clarté aura une grande signification pour vos déductions définitives ; autrement, je n’aurais naturellement pas soulevé ces questions.

Mais, dès maintenant, après ce qui vient d’être dit, — réfléchissez, amis, et dites : n’avais-je pas raison d’affirmer que l’anarchisme a remporté une grande victoire dans la Révolution russe ?

Dans notre milieu, — en Russie — on parle beaucoup maintenant de la « crise de l’anarchisme » et des fautes des anarchistes. Ils sont assez répandus, là-bas, les types d’« anciens » ou « anarchistes repentis » faisant leur mea culpa, déchirant leurs vêtements et se couvrant la tête de cendres. Ils vagabondent partout avec des visages attristés et des questions tragiques pour lesquelles ils attendent en vain une réponse d’en haut. En fait — ils n’ont jamais compris la profonde vérité de l’anarchisme, ils n’ont jamais eu sous les pieds une solide base anarchiste et ont actuellement perdu le faible bagage qu’ils possédaient autrefois. Et, saisis par les vents capricieux de la révolution, ces va-et-vient de l’anarchisme tantôt se jettent dans les étreintes attrayantes de la Grande Pécheresse bolchevique, tantôt, n’arrivant pas jusqu’à l’étreinte, reculent, effrayés et déçus, et restent au milieu de la route, puis à nouveau accourent vers l’Anarchie et à nouveau posent leurs questions incompréhensibles.

Maintenant, je dirai directement : personnellement, je ne vois aucune « crise de l’anarchisme ». On peut parler de la crise du marxisme révolutionnaire dont l’essai définitif s’effondre actuellement avec un furieux craquement international… Les bolcheviks peuvent dire d’eux-mêmes : encore une telle « victoire » et du bolchevisme il ne restera rien. L’œuvre anarchiste, pour telles ou telles raisons, ne s’est pas encore réalisée dans cette révolution et n’a donc pas pu amener les idées ni à une incarnation concrète, ni à sa crise.

Oh ! certainement, l’anarchisme a de quoi apprendre dans la révolution russe. L’anarchisme a des dommages qui exigent une réparation, des quadrats qui attendent d’être remplis, des manques qui exigent des pleins. Dans l’anarchisme, il y a de quoi penser, revoir et réévaluer. (Ce serait étrange s’il n’y avait pas cela !) Il est entendu que la révolution a donné une forte poussée à cette œuvre de réévaluation. Mais il y a encore loin de cela à la « crise ». Seuls, les « repentis » et « ex »-anarchistes éperdus, affolés, peuvent poser cette question de « crise ».

Donc, je ne vois pas de « crise de l’anarchisme ». Mais, sans doute, il existe une « crise des anarchistes » en Russie. Ce dernier fait est tout à fait naturel. L’anarchisme n’y perd pas grand chose. Encore une fois, dès le commencement de la révolution, il m’est arrivé de supposer que — en liaison avec les faits à venir — beaucoup d’« anarchistes » se troubleraient et nous quitteraient. Ceci, réellement, est arrivé. Mais, et alors, et maintenant, je ne trouvais et ne trouve ici rien de grave…

Certainement, les anarchistes ont été, dans beaucoup de circonstances, faibles, instables, non préparés. Certainement, il existait chez eux et des faiblesses et des fautes et des défauts. Mais il en était de même, et en aussi grande quantité, chez les bolcheviks ; en somme, il ne pouvait en être autrement, et, après tout, ce n’est pas une préparation et une force spéciales qui ont conduit les bolcheviks à la « victoire ». Certainement, il ne s’en trouvait pas beaucoup de forts et énergiques. (En général, il y a peu de gens forts et énergiques sur terre…) Certainement, les circonstances ont joué un certain rôle et il nous faudra encore en causer… Mais, les causes de la stérilité de la révolution consistent-elles dans cela ? L’anarchisme est-il démoli par cela ? Son incapacité de vivre est-elle démontrée ?

Et si les anarchistes s’étaient montrés plus forts, plus énergiques, mieux préparés ? S’ils avaient commis moins d’erreurs ? L’affaire se serait-elle terminée autrement ? La révolution aurait-elle suivi une autre voie ?

Certainement, non ; les raisons pour lesquelles la révolution a suivi une voie déterminée, raisons multiples et complexes, sont beaucoup plus profondes que la « non préparation » des anarchistes et la « préparation » des bolcheviks. Il nous reste à les approfondir sérieusement… J’ai en ce moment sous la main une de ces raisons — et non la moindre — en liaison avec le contenu de la présente lettre.

Les masses humaines contemporaines (et, à quelques rares exceptions, les individus isolés) vivent encore comme des enfants : elles ne savent pas, ne peuvent pas se guider avec des jugements, principes et idées abstraites ; il ne leur vient pas à l’idée de vivre, d’agir d’une manière ou d’une autre, en vertu de telles ou telles preuves et déductions raisonnables ; elles n’étudient pas les conceptions théoriques, la science, les livres, les pensées. (Et ou peuvent-elles — les masses humaines contemporaines — prendre le temps nécessaire pour s’éduquer et s’habituer, pour apprendre à voir et agir selon les conceptions de la pensée théorique et éducatrice ? Il est déjà bien beau que — sous l’influence du progrès économique, technique et, en général, social — soit passé le temps où les masses pouvaient être guidées par la foi religieuse, foi aveugle et naïve… Et l’époque est encore éloignée de nous où le livre deviendra le maître général de la vie, quand la masse humaine se guidera par une science pure, une idée pure, une prévision théorique consciente… Oh ! longtemps avant cela devra se réaliser la révolution sociale : parce que c’est elle seule qui ouvrira résolument la porte de ce noble avenir humain !

Actuellement, les masses ont besoin de leçons vécues pour leurs recherches et leurs luttes. La vie turbulente, la pratique des choses, l’exemple palpable, l’expérience directe les éduquent… Le front contre le mur et une bosse au front : voilà qui est convaincant et instructif pour les foules contemporaines… On ne peut certainement changer rapidement cet état de choses. (Je remarquerai, en passant, que, par rapport aux capacités créatrices et organisatrices des masses, cette situation n’a aucune relation et que ce serait une erreur grossière résultat d’irréflexion — d’en tirer des conclusions pessimistes par rapport à l’anarchisme. Je traiterai plus tard la question des masses et leur rôle dans la révolution.)

Les idées anarchistes ont été expliquées, développées, répandues pendant 40 ans — il est vrai avec difficulté et pas assez largement. — Les anarchistes ont prouvé pendant 40 ans, avec une étonnante clarté, qu’il ne sortirait rien de l’expérience d’une révolution du parti politico-gouvernemental et du « Communisme » consécutif. Mais, hélas ! sans expérience vive, sans leçons vécues et preuves, les grandes masses ne pouvaient connaître la vérité. Il fallait que, avec l’aide de circonstances favorables, contrainte monstrueuse, pression et hypocrisie, les bolcheviks fissent tour expérience historique pour que les masses, se frappant le front contre le mur, commencent à comprendre toute la faiblesse, toute la stérilité, toute l’horreur d’une telle révolution.

Oui cette expérience devait absolument être faite dans un pays ou un autre. Il fallait passer par cette inévitabilité, par cette expérience. Cette leçon devait être prise… Et la Russie se trouvait dans les meilleures conditions pour cela…

Actuellement, cette expérience est vécue. Elle est en arrière, amis ! Le dernier obstacle est tombé. Le dernier mur s’est effondré. La dernière bêtise est mise à jour. Le dernier mensonge est découvert.

Comme il fallait s’y attendre, le train gouvernemental du « Communisme » nous barrant l’horizon est tombé du remblai et la voie directe vers le but s’est ouverte à nos yeux… Il est vrai que cette voie est encore obstruée par des déchets, de la saleté, des gens estropiés, des cadavres… Mais maintenant il ne sera pas si difficile de la déblayer…

Voilà pourquoi, amis, je parle de la grande victoire de l’Anarchisme,

Certainement, ce n’est encore que la première victoire ; victoire plutôt morale que réelle, plutôt détournée que directe. Mais c’est cependant une victoire. La victoire suivante, réelle de l’Anarchie, il ne sera plus nécessaire de la démontrer. Elle parlera elle-même pour elle. Elle nous ouvrira l’entrée vers la terre promise…

Donc, en avant, en avant, amis, — bravement, courageusement, sûrement. À l’ouvrage, — encore plus chaudement, encore plus amicalement, encore plus gaiement !… Pour le grand, nécessaire et sérieux travail !

Oui, nous ne sommes pas encore arrivés à la terre promise. Nous, — les humains, — nous ne nous sommes pas encore montrés dignes d’elle. Nous. — anarchistes — devrons encore faire beaucoup pour l’atteindre. Mais, nous avons sauté par-dessus le dernier, le plus grand obstacle. Nous nous sommes approchés de cette terre. Son esquisse nous est nettement visible. Et nos poitrines peuvent respirer plus à l’aise. Et nos cœurs peuvent battre plus librement…

Et voilà pourquoi je termine cette lettre comme je l’ai commencée :

Hosannah à la révolution russe !
Hosannah à l’expérience accomplie !
Hosannah à la dernière bêtise humaine puisqu’elle nous était destinée !


Suisse, mars 1922.

https://fr.theanarchistlibrary.org/libr ... ses-vecues
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