Divers militant-es anarchistes dans l'Histoire

Re: Divers militant-es anarchistes dans l'Histoire

Messagede bipbip » 23 Mar 2017, 16:31

Erich Mühsam — la liberté de chacun par la liberté de tous

« Le pire n’est pas la misère, mais son acceptation », lança cet homme dont il est ici fait le portrait. Erich Mühsam, décrit par l’historien anarchiste Rudolf Rocker comme « un adversaire inébranlable de toute injustice et de toute tyrannie », fut poète et militant : il s’opposa, en tant qu’Allemand, à la Première Guerre mondiale et tenta en vain de fédérer l’ensemble des courants socialistes ; il prit grande part à la révolution de son pays, comme libertaire et communiste ; il se plut, en partisan de « l’ordre de la liberté », à refuser les oppositions aux gros sabots — individu ou collectif, liberté ou égalité — et se méfiait de la passion théorique de trop d’intellectuels radicaux ; il fit, à rebours d’un certain cynisme révolutionnaire (la fameuse fin et les fameux moyens), de la morale une catégorie centrale de la politique ; il s’éleva contre le nazisme naissant et en paya cruellement le tribut. « Le but de mon art est celui-là même auquel s’attache ma vie : Lutte ! Révolution ! Égalité ! Liberté ! »

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Re: Divers militant-es anarchistes dans l'Histoire

Messagede bipbip » 26 Mar 2017, 14:57

La dernière entrevue avec Gaston Leval

Gaston Leval passa les quatre-vingt-trois années de sa vie en proie à des difficultés financières continuelles, sacrifiant tout à l'étude et l'action anarchistes, reconstituant sans relâche sa bibliothèque et ses fiches de travail. Cette interview a eu lieu pendant son séjour à Valence tandis que nous parcourions des lieux dont il gardait un souvenir ému. Il s'agit de la suite d'une longue conversation à son domicile parisien d'Edgard Quinet, où Leval travaillait encore sur deux essais sur la pensée anarchiste, ce qu'il menait de front avec son travail de correcteur d'épreuves et d'édition des Cahiers de l'humanisme libertaire, qu'il distribuait lui-même dans les librairies de gauche de Paris.

Gaston Leval, grande figure de l'anarchisme et éminent historien des collectivités libertaires de la guerre civile , est décédé début avril à Paris. Homme à la biographie passionnante, doté de cette vocation universelle et humaniste qui animait les premiers internationalistes, Gaston Leval – de son vrai nom, Pierre [« Philippe » dans le texte] Piller— a été l'un des plus grands connaisseurs de la pensée de Bakounine, tout en maîtrisant la théorie marxiste dont il fit une critique implacable après avoir connu la réalité soviétique et s'être entretenu avec Lénine et Trotsky. Autodidacte, ayant exercé les métiers les plus divers depuis l'âge de douze ans, Leval arriva en Espagne sous le nom de José Benito, fuyant en tant qu'objecteur de conscience, la Première Guerre mondiale. Il intégra immédiatement les groupes anarchistes et plus tard la CNT, jusqu'à ce que la dictature de Primo de Rivera ne l'oblige à s'exiler en Argentine. Il avait auparavant parcouru toutes les régions de la péninsule comme photographe ambulant, afin de recueillir des données économiques pour le livre qu'il devait publier par la suite sous le titre Structure et fonctionnement de la société communiste libertaire.
Après le soulèvement des droites, Leval retourne en Espagne pour se jeter dans la guerre et la révolution. En parallèle à de nombreuses conférences et articles, il démarre une enquête sur les expériences d'autogestion agricole et industrielle menées dans l'Espagne républicaine d'où naîtra son œuvre Ni Franco ni Staline ensuite réédité sous le titre L'Espagne libertaire, référence bibliographique incontournable sur la révolution espagnole et ouvrage fondamental pour l'étude des collectivités.

> Gaston Leval passa les quatre-vingt-trois années de sa vie en proie à des difficultés financières continuelles, sacrifiant tout à l'étude et l'action anarchistes, reconstituant sans relâche sa bibliothèque et ses fiches de travail. Cette interview a eu lieu pendant son séjour à Valence tandis que nous parcourions des lieux dont il gardait un souvenir ému. Il s'agit de la suite d'une longue conversation à son domicile parisien d'Edgard Quinet, où Leval travaillait encore sur deux essais sur la pensée anarchiste, ce qu'il menait de front avec son travail de correcteur d'épreuves et d'édition des Cahiers de l'humanisme libertaire, qu'il distribuait lui-même dans les librairies de gauche de Paris.
— Les idées anarchistes m'ont d'abord été inspirées par mon père, qui avait été combattant de la Commune de Paris. Il était resté, même s'il n'était pas un théoricien, un révolutionnaire et il me montra la voie jusqu'à mes dix-sept ans lorsque je suis entré en contact avec le mouvement anarchiste à Paris, notamment le courant anarcho-communiste. J'avais, contrairement aux individualistes, une tendance au collectif et à la pratique de la solidarité. J'ai commencé à parler en public et à publier des articles dans Le Libertaire, encouragé par son directeur, Pierre Martin. Le journal avait une audience populaire et ouvrière, tandis que Les Temps Nouveaux, dirigés par Jean Grave, était plus intellectuel, tous deux dans le courant anarcho-communiste.

> Avec le déclenchement de la Guerre mondiale, Gaston Leval se déclare « insoumis »…
— Avant que n'éclate la guerre, je me demandais ce que j'allais faire face au service militaire. Je ne me sentais pas disposé à le faire et de ce fait me plaçais hors la loi et réduisais ma marge d'action… La guerre éclata et c'est là que je fus prêt à tout pour ne pas y participer. Je passai de Paris à Marseille où je connus Hilario Arlandis, qui m'accompagnerait ensuite en Russie, et où il y avait nombreux réfugiés anarchistes. Les compagnons espagnols me fournirent des faux papiers et c'est ainsi que je suis passé en Espagne en juin 1915. Avec d'autres insoumis, originaires de divers pays, nous avons alors formé le « Groupe International » à Barcelone. De là je suis passé à Saragosse à pied et j'ai travaillé comme ouvrier du bâtiment dans la distillerie aux portes de la ville. C'est là que j'ai appris le castillan [l'espagnol] au contact pendant les dix heures de la journée de travail et que je me suis vraiment intégré à la vie espagnole. Sept mois après je suis retourné à Barcelone.

> En 1919, Gaston Leval part s'installer à Valence, où il travaillera dans la presse anarchiste, avec laquelle il avait déjà collaboré épisodiquement en Catalogne jusqu'à son arrestation par la police suite à la délation d'un indic.
— A Valence, je suis entré en contact avec les compagnons de La Guerra Social, qui avait été fondé par Eusebio Carbò. Quand celui-ci devint le directeur de l'édition valencienne de Solidaridad Obrera, je me chargeai du journal tout en travaillant comme ouvrier chaudronnier.
J'ai été arrêté dans un café que les compagnons fréquentaient. A la façon des salons traditionnels, il y avait des réunions-débats anarchistes que la police connaissait parfaitement bien. De temps en temps des sicaires du patronat faisaient leur apparition et se mettaient à tirer sur les participants. Le lendemain, la causerie reprenait. Ah ! Ces Espagnols ! Un jour, alors que j'étais en train de lire une lettre que m'envoyait le Secrétaire du Syndicat de la Métallurgie, Joan Miró, et que l'on avait fait passer clandestinement depuis la prison , ils me firent sortir du café sous la menace d'une arme. L'un des policiers avait été assis parmi les anarchistes un instant auparavant. Jouant les idiots, je parvins à faire croire que j'étais Portoricain et que je m'appelais José Benito Gómez, de façon à ce qu'ils ne découvrent pas mon identité véritable et ne me rapatrient en France. Le chef de la police, un certain Sáiz avait la réputation d'être un bourreau, c'était un colosse et quand l'un de nos camarades était en état d'arrestation, son sport favori était de lui enfoncer ses poings dans les flancs jusqu'à l'étouffer. De là on m'emmena à la Cárcel Modelo [Prison Modelo], en entrant dans la cellule commune, appelée le « réduit des guitares », j'eus la surprise de voir ceux qui y étaient me faire une haie d'honneur en entonnant « Enfants du Peuple ». C'était vraiment émouvant, ça te réconfortait…
J'y ai séjourné avec d'autres anarchistes et des prisonniers de droit commun détenus abusivement ; la solidarité y était pratiquée comme seuls savent le faire les Espagnols, du moins ceux que j'ai connus. L'organisation nous faisait parvenir une pièce de cinq pésètes par jour. La nuit étaient organisés des débats et conférences. J'y étais en tant que « prisonnier du Gouvernement » car on ne m'accusait de rien concrètement, il était habituel aux moments culminants de l'agitation de procéder à des arrestations massives de militants pour les mettre en prison pour quelques jours, qui ensuite se prolongeaient indéfiniment. Puis on m'a transféré de Valence à Barcelone parce qu'ils ne savaient pas quoi faire de moi.

> En 1921 se tient à Moscou le Congrès pour la fondation d'une Internationale Syndicale Rouge, auquel assiste Gaston Leval en tant que membre de la délégation espagnole. Comment votre participation s'est t-elle décidée et comment se fait-il que la CNT ait pris part à un Congrès organisé par les syndicats communistes ?
— Au Congrès de 1919, il avait été convenu d'adhérer à la révolution russe. Pestaña s'y rendit l'année suivante pour s'informer sur ce qui s'y passait mais au retour il resta en France et en Italie et près d'une année s'écoula avant qu'il ne rendît compte de son voyage. L'USI, syndicat anarchiste italien mené par les anarchistes, ainsi que des anarcho-syndicalistes d'autres pays adhéraient à l'accord du Congrès de la CNT en vue d'impulser une Internationale Syndicale Révolutionnaire. La répression s’étant abattue sur la centrale espagnole, il n'était pas possible de l'organiser ici, les délégués anarcho-syndicalistes défendirent donc la tenue de ce congrès fondateur en Russie. Lors d'un plénum célébré à Lérida, Andrés Nin, Joaquín Maurín, Hilario Arlandis et Jésús Ibáñez réussirent à se faire élire délégués. Ils étaient tous les quatre communistes, à l'insu de la centrale, et profitèrent d'un moment où régnait une certaine confusion car nous étions hors la loi. C'est pourquoi on parla de faire nommer le cinquième délégué représentant la CNT par les groupes anarchistes comme élément de confiance et comme garantie et c'est ainsi que je fus nommé.
J'avais déjà commencé à participer à des réunions à Barcelone, où il s'agissait de faire une critique du bolchévisme, et de réagir, d'une certaine façon, contre l'enthousiasme des compagnons… On en arrivait à croire que Lénine, Trotsky et tous les autres étaient anarchistes. De toute façon, je dois dire que j'étais moi-même, en partant en Russie, prêt à collaborer avec les bolchéviques, je n'acceptais pas le marxisme dictatorial mais je ne pensais pas non plus que les choses étaient allées aussi loin. Je croyais possible d'établir une collaboration révolutionnaire, de faire ensemble tout le chemin possible.

> A son arrivée en URSS, après avoir franchi les Pyrénées à pied et échappé à un attentat, Gaston Leval prend conscience de la difficile situation que vivaient les anarchistes qui jusqu'alors avaient été des combattants pour la révolution, mais dont les conceptions se heurtaient à la ligne bolchévique. Commence dès lors une guerre sans relâche pour la remise en liberté des prisonniers libertaires, parmi lesquels on comptait Voline, Maximoff et d'autres figures révolutionnaires.
— Je rendis d'abord visite à Victor Serge que j'avais connu pendant son séjour à Barcelone, début 1917. Il avait été une figure intellectuelle du mouvement anarchiste individualiste. Serge écrivait dans la presse révolutionnaire et y proclamait son adhésion à ce nouveau bolchévisme, il le présentait d'une telle façon à ce qu'il nous paraissait aimable et porteur de promesses, mais quand je suis allé le voir à Petrograd avec Arlandis (qui avait également milité dans l'individualisme), il nous ouvrit son cœur, avouant tout le contraire de ce qu'il écrivait dans ses articles. Il nous mit en garde contre la Tchéka, contre la dictature du parti, etc. Il nous expliqua que les Syndicats étaient une caricature fondée sur le piston et la bureaucratie, et qu'il y avait des compagnons en prison. Plus tard, à Moscou, je rendis visite à Emma Goldman, que je devais ensuite rencontrer quotidiennement. Elle me confirma qu'il y avait de nombreux compagnons emprisonnés et je pris l'initiative de mettre sur pied une commission pour intervenir auprès de Lénin ; le reste des membres de la délégation espagnole (ils étaient communistes tous les quatre) rejeta l'idée, même s'ils nommèrent finalement Maurín pour faire partie de la commission. Ils ne voulaient pas que ce fût moi. Maurín revint très satisfait d'une première entrevue avec le secrétaire de la Tchéka, disant qu'il n'y avait pas à faire quoi que ce soit : « Il ne s'agissait pas d'anarchistes mais de simples bandits et contre-révolutionnaires » d'après les informations reçues. Comme nous insistâmes quand même, Maurín abandonna la partie et je fus nommé. Nous nous rendîmes en délégation rencontrer Lounatcharski, commissaire de l'Instruction Publique, qui du reste me sembla très honnête ; il nous renvoya au patron de la Tchéka ; et pendant deux semaines nous avons tourné en rond. Un jour, vinrent au domicile d'Emma Goldman, des compagnes d'anarchistes emprisonnés qui m'apportèrent de nouvelles données sur la répression. Le cas de Voline, qui avait fait partie de l'armée révolutionnaire de Makhno, après s'être battu à Petrograd pour que l'armée blanche ne prît pas la ville, était particulièrement intéressant. Volin était à la tête de la section culturelle. Un jour, il tomba malade et se réfugia chez des paysans ; quand l'armée régulière passa dans cette zone, il alla lui-même à sa rencontre mais, au lieu de l'accueillir les bras ouverts, en tant que compagnons de lutte pour la même cause, ils le firent prisonnier et l'emmenèrent à Moscou où il était en attente d'être fusillé incessamment. Je me souviens aussi de la compagne de Maximoff qui avait fui la déportation en Sibérie par ordre du tsar et se retrouvait lui aussi en prison à présent. C'était une femme de petite taille et, comme elle ne parlait pas français, elle ne faisait que tirer sur la manche de mon blaser : « Compagnon Leval, compagnon Leval ». Il y avait de tels accents dans sa voix que c'en était déchirant. Nous fîmes une série de visites dans les prisons tandis que les anarchistes emprisonnés profitaient de la visite de délégués étrangers pour se mettre en grève de la faim et lancer un appel nous demandant d'intervenir ; mais les délégués commençaient à perdre patience, les bolchéviques nous avaient à l'usure.

> Pendant ce temps se déroule le Congrès pour la constitution de l'Internationale Syndicale et tout paraît perdu pour la cause de Gaston Leval. Il obtient finalement, après les dix premiers jours, que les représentants internationaux prennent une nouvelle initiative pour intercéder en faveur des prisonniers révolutionnaires, cette fois directement auprès de Lénine.
— C'était mon tour de parole cet après-midi-là, je me tournai vers les délégués, je ne me rappelle plus très bien mes paroles mais mon exaltation était telle que je parvins à leur arracher en Congrès d'intervenir une fois de plus : « C'est fini, nous allons voir Lénine ! ».
Arrivés au Kremlin, on nous mena à travers un petit dédale de rues et après l'échec d'une première tentative, Lénine accepta enfin de nous recevoir. Je me souviens que nous sommes montés au premier étage et alors nous étions dans une sorte d'antichambre, il apparut devant nous. Il nous salua en français, un par un ; quand vous lui donniez la main, il vous la serrait et vous regardait pendant trente secondes (trente secondes c'est long quand quelqu'un vous regarde dans les yeux de la façon dont il le faisait), vous demandait qui vous étiez, qui est-ce que vous représentiez, avec beaucoup d'aisance, « sans façon » comme nous disons nous autres Français ; il vous étourdissait presque. Il nous fit passer dans une grande salle avec une table rectangulaire. Le délégué pour l'Angleterre, Tom Mann, qui était un syndicaliste de gauche qui avait beaucoup lutté et qui était celui de nous qui avait davantage de poids, prit place à côté de lui. Il s'exprima en anglais avec Lénine et pendant que celui-ci lui répondait, je voyais Mann changer de mine et le doute se peindre sur son visage au lieu des hochements de tête affirmatifs dont il usait au départ. Tandis que tous deux parlaient, je passai derrière eux et pus m'asseoir au bout de la table. Ensuite Lénine s'adressa à nous tous et nous dit qu'au vu de la façon dont venait de s'exprimer le délégué anglais, nous étions très mal informés parce que les prisonniers qui se trouvaient là n'étaient pas des anarchistes mais des bandits qui avaient pactisé avec les généraux blancs, fait dérailler des trains, assassiné des centaines de personnes… C'est alors que j'intervins : « Excusez-moi, camarade Lénine, mais je me suis rendu à la prison de Taganka et parlé justement avec Voline, et ce qu'il m'a dit ne concorde absolument pas avec tout ceci, voici ce que Voline a fait… » ; Je parlai alors de son journal, ses conférences, son engagement dans la lutte contre le général Dénikine, etc, avec beaucoup de précision, données à l'appui. Je voyais Lénine surpris, je ne dirai pas étonné, mais presque. Il y avait une caractéristique chez lui, quand d'autres parlaient, il regardait au plafond et souriait avec une espèce de cynisme de sorte que l'orateur perdait son inspiration au bout de quelques minutes. Mais moi il m'écouta, et quand j'eus terminé, il resta visiblement décontenancé et se mit à ruminer la question : « S'il en est vraiment comme vous le dites, cela change complètement l'aspect du problème, je demanderai un supplément d'information et nous verrons ce qu'on peut faire, parce que l'information dont je dispose, ne concorde pas… » A ce moment-là il retrouva son point de départ : « … Il faut que vous compreniez que nous nous trouvons dans une situation extrêmement difficile, nous devons lutter non seulement contre les contre-révolutionnaires traditionnels mais aussi contre des révolutionnaires passés à la contre-révolution comme c'est le cas de nombreux anarchistes… ».
Plusieurs délégués et moi-même nous demandâmes alors que fût reconnue la liberté d'expression pour les révolutionnaires à gauche du bolchévisme, Lénine dit alors qu'il ne pouvait pas y satisfaire. Nous demandâmes alors la remise en liberté des prisonniers en grève de la faim, ce à quoi il nous répondit qu'il poserait la question devant le politburo, mais qu'il avait besoin d'une demande officielle de notre part jointe à un document signé de Trotsky par lequel celui-ci en prenait toute la [responsabilité], et nous nous fîmes une comédie mutuelle : lui feignant de ne pouvoir en décider et nous faisant semblant de le croire. Il fut convenu qu'on nous répondrait le lendemain à l'Hôtel Lux, où nous logions. Vers midi on nous apporta une note signée de Trotsky, par laquelle il endossait toute la responsabilité de l'affaire, reprenait les accusations envers les anarchistes et nous répondait que tout ce qu'il pouvait faire c'était de les mettre en liberté à condition qu'ils partent pour l'étranger. Nous avons dû accepter, autrement ils seraient morts en prison.

> Comment s'est passé le Congrès ? Avez-vous pris contact avec d'autres forces politiques de la gauche russe ?
— Le Congrès avait été ainsi arrangé que les bolchéviques gagnaient forcément toujours. On votait en fonction du nombre de membres des organisations représentées. La CNT avait déclaré un million d'adhérents mais les Syndicats russes, nous avait-on dit, avaient huit millions d'adhérents, c'est pourquoi ils avaient toujours une majorité écrasante. De plus, alors que pour les Congrès du PC, la Lituanie, la Géorgie, etc., ne constituaient des partis indépendants, au Congrès syndical de 1921, il y avait une délégation pour chacune de ces républiques, ce qui pesait aussi sur les décisions.
Il arriva une fois, alors qu'on nous avait permis de faire une intervention, suite à une prise de parole intempestive de Boukharine répétant les attaques contre, les anarchistes et nous critiquant nous les délégués qui étions intervenus auprès de Lénine, que nous fîmes un tel scandale que le président fit entrer plusieurs hommes armés de fusils et de baïonnettes. Nous continuâmes malgré tout à parler jusqu'au bout.
Je parlai à Alexandra Kollontaï, qui militait das une fraction gauchiste du PC russe appelée L'Opposition Ouvrière. Je me souviens qu'elle m'avoua amèrement un jour : « Nous ne pouvons faire la moindre propagande, tout nous est interdit, nous ne pouvons publier de bulletin ni nous réunir au-delà d'une demi-douzaine de personnes… ». Et c'était la même Alejandra Kollontai qui avait défendu Lénine quand Kerenski le persécutait !

> A son retour en Espagne et jusqu'à son exil forcé en Argentine, Gaston Leval parcourt la péninsule pour recueillir des données pour son futur ouvrage Structure et fonctionnement de la société communiste libertaire. Sa préoccupation, avec celle du changement social, était la formation des militants cénétistes. Y avait-il une capacité révolutionnaire réelle dans l'anarcho-syndicalisme espagnol ?
— Il faut tenir compte du fait que les luttes menées par notre mouvement au cours des périodes de répression, où tout était objet de poursuites, entravaient souvent ce travail de formation. Mais son salut, malgré les hauts et les bas, vint des compagnons aux idées très fermes qui restèrent sur la brèche. Il y avait la volonté de créer une société nouvelle, on ne savait pas très bien comment, mais la volonté d'y parvenir existait. Il y avait unepratique syndicale importante, un sens des réalités, et également une certaine pratique de l'organisation qui, si elle n'était pas aussi importante que nous l'aurions souhaité, était déjà très utile. En 1872 déjà, à la Conférence de Saint-Imier, il s'était dit au sujet de l'organisation des études statistiques de la Première Internationale, que la centrale espagnole était la mieux préparée. Ensuite il y eut des périodes où presque tout s'était perdu, des périodes de répression pendant lesquelles la forme organique des premiers temps disparut et il ne resta que la lutte plutôt idéologique et faiblement syndicale ; il manquait sans doute un noyau de militants de premier plan comme ceux de la première et deuxième générations internationalistes.

> L'organisation ou non des Syndicats en Fédérations par branches de production fut l'objet de frictions lors de plusieurs Congrès de la CNT. Pour les uns il s'agissait d'articuler l'anarcho-syndicalisme avec efficacité revendicative et révolutionnaire, d'autres pensaient qu'on s'éloignait ainsi de l'orthodoxie anarchiste et que cela conduisait à une dangereuse bureaucratie. Quel est votre avis dans la polémique à propos des Fédérations d’Industrie, qui tend aujourd'hui à se reproduire dans les rangs de la CNT ?
— Pour ma part, si je ne me suis jamais considéré comme un syndicaliste, en effet j'ai toujours été plutôt anarchiste, j'ai été partisan des Fédérations de l'Industrie qui furent préconisées par la délégation des Asturies, menée par Quintanilla, au Congrès de 1919, et rejetées par la majorité du Congrès, sous l'influence des éléments démagogiques, qu'il y a également eu dans notre mouvement. Elles étaient rejetées au nom de la liberté et du fédéralisme. Alors que se fédérer veut dire s'associer, beaucoup étaient d'avis, au contraire, que cela signifiait la dispersion en cellules indépendantes auto-suffisantes. Il y a fatalement un lien, une coïncidence dans les activités, entre un Syndicat de la Métallurgie de Barcelone, Valence, Málaga ou des Asturies, et la coordination est nécessaire. La Fédération apparaît comme une nécessité parce que la vie économique est un tout, un ensemble. Tel a souvent été le point faible des militants libertaires, non seulement en Espagne mais partout ailleurs : ne pas voir l'évolution de la vie économique. Pourtant, à la naissance du mouvement en 1870, Anselmo Lorenzo le rapporte déjà, des Fédérations Nationales des Métiers se constituèrent, il y avait une solidarité indispensable et inévitable.
Pendant la guerre, j'ai été une fois à Alcoy, où beaucoup de choses intéressantes ont été faites, et j'ai appris, par exemple, que le Syndicat des Métallurgistes avait inventé une technique de fabrication des fusils, et pour rayer le canon des fusils, un travail très spécial. Ainsi donc, à Barcelone ils demandaient à cor et à cris de faire la même chose et n'y arrivaient pas. Par ailleurs, à Barcelone nous manquions d'acier rapide et de cuivre électrolytique pour fabriquer les cartouches, et j'eus connaissance qu'il y avait des tonnes ce ces matériaux à Madrid et qu'ils ne savaient pas quoi en faire. Ce sont deux exemples mais on pourrait les multiplier.

> Quel jugement portez-vous sur la fondation de la FAI et son parcours par la suite ?
— Quand la FAI a été créée, j'étais en Argentine, à dire vrai il n'y avait jamais eu d'organisation anarchiste sérieuse, et je crois qu'il n'y en ait jamais existé (spécifiquement anarchiste parce que je crois que la CNT a été une organisation anarchiste à caractère syndical). Il y avait, comme en France, de nombreux éléments rebelles qui venaient à la FAI sans savoir ce qu'était l'anarchie. J'ai moi-même polémiqué dans la presse avec certains rédacteurs qui croyaient être les inventeurs du communisme libertaire et autres choses de ce genre. C'était parfois la formation théorique qui faisait défaut même s'il y avait également des compagnons bien formés, car il y avait de tout. Il faut reconnaître que, quelquefois, certains membres de la FAI, pour avoir adhéré à l'idéal anarchiste en théorie (sans en connaître parfois les théoriciens) se sont trop souvent crus supérieurs parce que l'Anarchie était un idéal supérieur, et, en vertu de cette supériorité , se sont crus en droit d'orienter, presque autoritairement au besoin, le mouvement syndical à caractère libertaire. Mais considérer, comme l'ont fait certains, la FAI comme un parti politique, est une erreur, parce qu'il y avait dans le mouvement une claire connaissance des réalités, un sens responsable du syndicalisme et un esprit vraiment libertaire, il n'était nul besoin de cette semi-dictature que d'aucuns prétendirent à l'occasion exercer.
Puis, quand la révolution eut lieu, je constatai l'incapacité à s'organiser de nombreux éléments de la FAI. Je ne m'en rendis pas compte tout de suite, ce fut surtout plus tard, en récapitulant, en faisant le bilan de l'action de chacun, que j'en vins à cette conclusion qui démentait en partie la thèse que j'avais moi-même soutenue. Parce que moi j'étais partisan de l'organisation anarchiste et qu'elle exerce un rôle actif dans la préparation de la révolution et peut-être pendant celle-ci, j'avais même publié une étude qui s'étendit sur plusieurs numéros d'un de nos journaux qui paraissait à Madrid (je ne me souviens plus s'il s'agissait de Nueva Senda, où je préconisais une structuration organique de la Fédération Anarchiste, divisée en secteurs d'action : travail de propagande, travail anti-militariste, de formation intellectuelle, de formation des militants et autres activités de ce genre ; organisation technique répondant à la complexité des différentes activités devant être déployées, mais pour rassembler les éléments les plus conscients, pas pour exercer une quelconque espèce de dictature sur le mouvement syndical.

> Que pensez-vous du parallélisme qui a été quelquefois établi entre la FAI et l'alliance de Bakounine à l'époque de la I° Internationale ?
— On en a parlé ces dernières années mais pas à l'époque. Il faut tenir compte du fait que la I° Internationale était une organisation qui subissait l'influence de toutes les tendances, depuis l'anarchisme jusqu'au réformisme ou le marxisme, ce qui n'était pas le cas de la CNT. Mais c'est que, de plus, l'Alliance de Bakounine était au départ composée de trente à trente-cinq intellectuels de premier ordre, qui se dispersèrent ensuite découragés par les difficultés de l'œuvre révolutionnaire. L'un deux fut le ministre de l'Education Nationale de la France, celui qui œuvra davantage pour le renouvellement de l'enseignement ; d'autres, comme Élisée Reclus, étaient des figures d'avant-garde dans le domaine scientifique. Cette sorte d'aréopage n'a jamais prétendu commander mais apporter des éléments pour la lutte. Cependant, à la FAI, sauf exceptions, il n'y a pas eu la formation intellectuelle ou idéologique correspondant à l'influence quelle a eu ou cherché à exercer et, ne l'ayant pas, ce qui ne pouvait pas se faire par la conviction, se faisait par l'imposition, et cela l'a rien à voir avec l'anarchie.
Pendant la révolution, le rôle de la FAI revêtit surtout un caractère politique, ils ne participèrent pas aux collectivités ; entendons-nous bien, de nombreux compagnons organisateurs des collectivités appartenaient aussi à la FAI, mais ils le faisaient car ils appartenaient en même temps à la CNT, et c'était celle-ci qui agissait avec son esprit organique et organisateur. A Barcelone, par exemple, la FAI, et moi avec eux, avions des discussions interminables mais il était rare que des solutions soient apportées, on parlait. J'ai écrit plus tard dans Il [« El » dans le texte] Libertario de Milan, que toutes nos séances n'avaient pas contribué faire pousser un petit pois ni à fabriquer une paire d'espadrilles. Le travail se faisait dans les Syndicats et les collectivités.

> Vous ne mettez pas explicitement en relief dans votre ouvrage ces aspects de la révolution espagnole…
— Dame, tout n'a pas toujours été parfait. Je parle dans mon livre, avec conviction et sincérité, de tout ce qui a été bien fait parce qu'on a beaucoup, énormément fait. Mais il y a aussi eu des ratés, pas pour l'ensemble du mouvement anarchiste ni de façon majoritaire. Le sens commun, la haute moralité de nombreux compagnons, l'idéalisme sincère qui les animait, tout cela avait le dessus en fin de compte pendant la révolution, et il ne faut pas oublier que c'est une situation où tout quidam peut laisser libre cours à sa pensée et ses bonnes idées.
En France un certain sens halluciné de l'anarchie exista bel et bien à un certain moment de l'histoire. Ce fut la période appelée « héroïque », le temps des bombes, de Ravachol et autres. En l'examinant avec objectivité, j'en viens à la conclusion qu'elle s'explique en raison des difficultés existantes pour arracher au mouvement ouvrier un sens révolutionnaire, c'est-à-dire par désespoir, au sens espagnol du mot désespoir qui implique aussi de l'exaspération, on attaquait la société à coups d'attentats, ce qui fut plus préjudiciable que favorable…

> Pendant la Dictature de Primo de Rivera, Gaston Leval est obligé de s'exiler en Amérique du Sud ; auparavant il exerce comme instituteur rationaliste dans une école anti-autoritaire créée par le Sindicato del Puerto de La Coruña [Syndicat du Port de La Corogne]. En Argentine il passe deux années qu'il appelle de « lutte pour la vie », il travaillera finalement comme journaliste et obtiendra deux ans plus tard deux postes dans l'enseignement secondaire, dont il est dépossédé en raison de des idées. Entre-temps, il classe du matériel de sociologie et d'économie espagnoles. Avec les moyens que lui fournissent les anarchistes de Buenos Aires et avec de faux papiers fournis par le consul espagnol à Córdoba, impressionné par l'une de ses conférences, il parvient à revenir en Espagne, laquelle est déjà plongée dans la guerre civile.
— Je suis entré par Gibraltar et de là je suis passé à Málaga. Mes premières impressions furent plutôt pessimistes, il y avait trop de triomphalisme et une certaine imprévoyance sur le plan militaire, alors que les fascistes étaient à Antequera et que Franco se trouvait à douze kilomètres de Madrid. Je n'avais rien d'un stratège, il s'agissait de simple bon sens. Il semblerait que Largo Caballero ne voulût pas fournir l'armement dont la ville avait besoin en raison de rivalités politiques. Je me souviens avoir connu de bons éléments, parmi les confédérés un certain Mora, de Séville. Le délégué militaire du gouvernement républicain, qui était déjà à Valence, le colonel Simon, connaissait très bien ce qu'on appelle malheureusement « l'art de la guerre »… ainsi qu'un commandant, Pelayo, excellent artilleur ; c'étaient des gens honnêtes et sincères, antifascistes convaincus. Je partis avec eux pour Valence et ils me demandèrent de les soutenir dans leurs démarches en vue d'obtenir des moyens.
A Valence aussi régnait un certain triomphalisme. Je me souviens que dès mon arrivée je fis une conférence au théâtre sur le sujet «Les tâches immédiates de la CNT », je posai le problème du manque de vivres et de certains aliments de première nécessité et esquissai un plan pour essayer de pallier les insuffisances. Le public m'applaudit mais les compagnons, comme Higinio Noja Ruiz, qui étaient sur l'avant-scène, me dirent que j'étais trop pessimiste.
D'autre part, sur le plan militaire comme politique, j'ai été et je suis en désaccord avec la collaboration avec la République telle que l'a menée la CNT, même s'il faut tenir compte du fait que nous étions seuls et que nous trouvions dans une situation imprévue et imprévisible. De mon point de vue, il aurait été nécessaire de constituer une force militaire propre aux côtés de la force républicaine, pas contre elle, parce que la guerre à l'arrière-garde aurait été un massacre. Conserver notre indépendance, nos méthodes de luttes inspirées par la guerre de guérillas, et ne pas nous soumettre à la stratégie et aux tactiques des professionnels de la guerre, qui là l'emportaient sur nous.

> Quel a été votre premier contact avec les collectivités ?
— Quelques jours seulement après mon arrivée à Valence, en novembre 1936, on me demanda de donner une conférence à Carcagente, où l'affiliation à la CNT était de 41%. A mon arrivée, je tâchai de me renseigner le plus exactement possible sur ce qui avait été fait. C'était extraordinaire. Après la fuite des propriétaires terriens, l'agriculture avait été totalement réorganisée, essentiellement des agrumes, sans qu'il fût nécessaire de recourir en aucun moment à la force. On proposait aux paysans qui tenaient à conserver leur propriété individuelle et dont les terres se retrouvaient au milieu d'une zone collectivisée, des terres meilleures que celle qu'ils possédaient, dans une autre zone, et on les aidait à s'y établir du moment qu'ils n'exploitaient personne. Mais les cas étaient très rares. J'ai parcouru des orangeraies, dont certaines s'étendaient sous la juridiction de cinq villages, le soin apporté aux cultures était parfait, pour certains on avait pris les devants, en cas de guerre prolongée et de pénurie des denrées, en semant entre les orangers des pommes de terre primeurs. Le fonctionnement était à la fois plus simple et beaucoup plus complet que je n'avais imaginé. Il se fondait sur l'assemblée publique des agriculteurs, syndiqués ou non. Un comité qui comptait une section technique composée de six membres chargés de diriger la production (et dont faisaient partie de leur plein gré quelques anciens exportateurs), et une section administrative de cinq membres qui se chargeait de la comptabilité. Quelque temps plus tard se mit en marche la socialisation des diverses industries et quand je revins en février 1937, la section locale de l'UGT avait adhéré aux réalisations révolutionnaires. Après avoir vu tout cela et quand vint l'heure de m'adresser aux paysans qui attendaient mes orientations, j'avouai sincèrement : « C'est moi qui dois apprendre de vous et non vous de moi… ». Tout ce que j'ai entrepris, a été de les pousser à la coordination avec d'autres collectivités, ce qui fut pleinement obtenu, l'exportation d'agrumes finit par fonctionner beaucoup mieux que sous le capitalisme et par constituer une source de devises pour la République. Ces gens simples étaient dans de nombreux cas bien en avance sur ce que je pouvais leur conseiller, et, bien entendu, ils dépassaient par leur pratique révolutionnaire leurs leaders supposés, qui prononçaient pendant ce temps des discours depuis les tribunes des capitales.

> Gaston Leval parcourt à plusieurs reprises les régions non « libérées » par le fascisme, en prenant des notes sur les expériences d'autogestion agricole et industrielle, tout en essayant d'apporter des connaissances techniques qu'il avait déjà couchées sur le papier dans Structure et fonctionnement de la société communiste libertaire. De même il essaye de faire en sorte de rationaliser au maximum la production et la distribution dans la mesure où le permettait la situation.
— J'ai pris contact avec le secrétariat général de la CNT, Mariano Vázquez, et avec un autre membre du Comité National, ayant une solide formation, qui s'appelait Cardona Rosell. Avec lui, avec un autre compagnon qui avait été technicien à la Société des Nations, Higinio Noja Ruiz et avec d'autres, nous avons essayé de constituer une commission de conseil. Vázquez « Marianet » m'envoya chez Juan López qui était alors Ministre du Commerce. Mon impression fut décevante. Quand j'arrivai au Ministère, je trouvai des rangs de tables avec des machines à écrire et des garçons et filles ayant fui la capitale : la bureaucratie de Madrid. Je demandai à voir Juan López et on m'indiqua un escalier ; en arrivant sur le palier, je trouvai un travailleur accroupi installant un tapis, et un monsieur debout discutant de la largeur à poser (moi qui étais venu d'Argentine pour prêter main forte à la révolution et ce type qui parlait tapis) ; je dus attendre qu'il eût fini de parler avant de pouvoir lui demander : S'il vous plaît, où puis-je trouver le compagnon López ? « … ». «C'est moi ». C'était le ministre qui était occupé à discuter de la pose du tapis ! Quand je me présentai, il dit : « Dame, Leval, justement tu tombes bien, parce que ce sont tous des socialistes et ils m'ont fait venir de Madrid, il faut que tu restes au Ministère. » Je m'y refusai absolument, je n'étais pas à la recherche d'un poste dans la bureaucratie. Finalement, une proposition fut adoptée, à Barcelone, pour constituer un Centre d’Études Économiques, afin de préparer les jeunes au travail d'organisation et d'administration de l'économie révolutionnaire. Les dix-sept syndicats soutinrent l'idée, et celui de l'Industrie Chimique nous fournit un local Via Layetana où il y avait de la place pour deux cents jeunes.

> Leval considère l'expérience des collectivités espagnoles comme la plus importante du mouvement ouvrier : « On parle encore de la Commune de Paris et la révolution espagnole est allée incomparablement plus loin ». Pendant les journées de Mai-68, Gaston Leval est appelé plusieurs fois pour expliquer à l'amphithéâtre de la Sorbonne en quoi avait consisté l'autogestion révolutionnaire espagnole devant les étudiants cherchant des formules libertaires pour une société nouvelle.
— Je crois qu'une partie de l'opinion publique, du moins dans les nations occidentales, réagit contre l'Etat, voit bien le danger de cette institution pour la liberté humaine, et cherche un chemin différent. La lutte contre l'État est l'un des éléments les plus importants face à la tendance naturelle de celui-ci à se renforcer et à croître, menaçant de son gigantesque développement l'avenir humain. Quand on commence à prendre conscience à travers l'histoire de toute l'œuvre négative de l'État, on en arrive à la conclusion que nous nous pouvons pas le laisser nous écraser et qu'il est important de s'organiser pour lutter…

> En plus de son œuvre sur les collectivités, Gaston Leval est l'un des meilleurs connaisseurs de Bakounine, et a publié en français sur sa pensée de nombreux ouvrages outre des brochures et des centaines d'articles.
— Bakounine a été désavantagé par rapport à Marx, sans compter son propre manque d'intérêt pour classer ses écrits, car Marx publie ses œuvres de son vivant et un groupe de gens se forme qui n'a de cesse de mettre à jour et systématiser sa pensée. Ce n'est que pas mal d'années après la mort de Mikhaïl Bakounine que Guillaume commence à publier une partie de ses textes. Il y a encore des écrits inédits… C'est un penseur d'une grande profondeur qu'on ne connaît bien que sous l'aspect de combattant sur les barricades, prisonnier évadé de Sibérie, etc. Tout cela est vrai mais c'est aussi un grand théoricien, défenseur des lois de la nature face aux lois humaines, du collectivisme, qui apporte des idées sur la pédagogie, qui défend les droits des femmes et de l'enfant avec un grand sens de la justice qu'on ne trouve pas toujours chez Proudhon ; il y a une grande éthique bakouninienne. Ensuite l'anarchisme a également été interprété à tort comme le rejet de toute forme d'organisation alors que Bakounine était un grand organisateur, à l'instar de Malatesta. Je prépare également un ouvrage qui s'intitulera La civilisation libertaire où j'analyse les aspects constructifs de l'anarchisme. Pour moi, un ouvrage de base est « L'entraide », où l'on trouve un fondement biologique et où sont envisagées les forces constructives de la société. Je tâche de montrer tous ces aspects, tant du point de vue philosophique qu'économique. Mella, Reclus, Malatesta … sont des penseurs qui s' efforcent de démontrer la validité des conceptions constructives pour une société future.


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Re: Divers militant-es anarchistes dans l'Histoire

Messagede bipbip » 28 Mar 2017, 11:35

Marie Collot

COLLOT Marie, Eugénie

Née vers 1858 à Paris (XIe arr.) : tapissière ; célibataire ; anarchiste, féministe, syndicaliste parisienne.

En novembre 1890, Eugénie Collot fit partie d’une liste de candidates, aux élections des prud’hommes, présentée par la Ligue d’affranchissement des femmes, afin de protester contre la loi interdisant aux femmes de voter et de se présenter.
Le 26 février 1891, pour lutter contre les salaires insuffisants, le chômage et le manque d’union des tapissières qui les livrait à la « rapacité patronale », un syndicat fut crée dont Eugénie Collot était la secrétaire.
En juillet 1891, le Comité général de la Bourse du travail, procéda à l’élection de la commission exécutive, Eugénie Collot figura parmi ses membres.
Elle fut déléguée de la Bourse du travail de Paris au congrès de Bruxelles de la 2e Internationale (1891). Elle y rencontra la femme de Liebknecht qu’elle invita à venir visiter la Bourse du travail de Paris. En août 1891, Mme Liebknecht se déplaça à Paris, où elle émit le souhait que « toutes les femmes, toutes les mères s’entendent afin d’empêcher le retour dans l’avenir des hécatombes qui ont coûté si cher à nos deux pays ».
Le 26 septembre 1892 eut lieu, à la Bourse du travail, un meeting organisé en faveur des grévistes de Carmaux : 3.000 personnes se trouvaient dans la salle. Les anarchistes se regroupèrent près de la tribune, guettant le moment de l’envahir. Cette occasion se présenta lorsque Eugénie Collot, qui ne s’était pas inscrite pour prendre la parole, se retourna pour répondre au bureau et fit diversion, laissant libre l’accès à la tribune, qui fut envahie.
En novembre 1892, Eugénie Collot occupa le bureau n°16 de la Bourse du travail, situé au 1er étage, au nom du syndicat des ouvrières tapissières et couturières, dont elle était la secrétaire. Le bureau était fréquenté par des anarchistes, souvent des ébénistes.
En décembre 1892, elle fit partie du Comité féminin, organisateur des soupes conférences de la salle Favier (voir Chatillon), où les anarchistes donnaient à manger aux « meurt-de-faim et de va-nu-pieds », tout en leur faisant écouter des orateurs. Eugénie Collot quitta cette initiative en février 1893, sans en donner le motif.
Le 15 mai 1893, plus de 2.000 personnes assistèrent à un meeting organisé par le Comité de propagande de la Bourse du travail, pour protester contre les propos tenus à la Chambre des députés par Yves Guyot, vis à vis des travailleurs parisiens et des syndicats de la Bourse. La compagne Collot y fit le procès des députés, de la bourgeoisie et termina par « une profession de foi anarchiste », selon un rapport de police du 15 mai 1893.
Le 26 juin 1893, un meeting se tenait dans le grand amphithéâtre de la Bourse du travail, pour protester contre le risque de fermeture de ce lieu. En effet, si les syndicats ne se pliaient pas à la loi du 21 mars 1884, régissant leur organisation, le gouvernement brandissait la menace de fermer la Bourse. À la fin de la réunion Eugénie Collot voulut déposer une motion, pour honorer Ravachol. Un auditeur s’écria : « Occupez-vous donc des vivants, nom de dieu ! ».
Le 3 juillet 1893, 300 personnes assistèrent à la réunion du Comité général, dans la grande salle de la Bourse du travail, Eugénie Collot, essaya de faire rectifier un procès-verbal (sans doute celui de la réunion où elle tenta de rendre hommage à Ravachol) mais elle fut vivement interrompue, des assistants déclarèrent que les demandes de rectification devaient être faites par écrit et inscrites au Bulletin de la Bourse. Un auditeur demanda aux secrétaires, si la décision d’écrire au syndicat des tapissiers, pour lui demander le remplacement d’Eugénie Collot, comme déléguée au Comité général, avait été prise. Quelques-uns demandèrent l’expulsion de Collot, tant elle fit du bruit.
Elle finit par lire son message et l’incident fut considéré comme clos.
Malgré le manque de succès de sa proposition d’hommage à Ravachol, elle fit le même appel lors plusieurs réunions publiques. Les anarchistes finirent par reprendre l’idée à leur compte et publièrent cet appel : « Des camardes, fidèles au souvenir, informent tous ceux pour qui Ravachol n’eut d’autre impulsion que l’amour du mieux, qu’ils ont décidé de ne laisser passer l’anniversaire de son martyr, le mardi 11 juillet prochain, sans lui témoigner leur sentiment de deuil et de solidarité. Or n’étant pas à proximité de la sépulture de l’immense propagateur, pour y déposer l’objet de leur mémoire (soit fleurs ou autres), ils ont choisi le monument Diderot, cet autre illustre précurseur de l’anarchie comme le fut d’ailleurs tout penseur à quelque temps qu’il ait appartenu.
Rendez-vous à la statue du célèbre philosophe, sise boulevard Saint-Germain, dimanche 9 juillet, ceci pour faciliter les camarades que les occupations pourraient retenir le mardi 11 ».
Or, jusqu’à midi, aucun rassemblement ne se forma près de la statue, et ce n’est que vers deux heures que quelques membres des groupes anarchistes s’approchèrent des abords de la place St Germain des Prés. A 15h50, Eugénie Collot, accompagnée de Gaston Dubois, arriva sur la place et sortit d’un papier, une couronne portant l’inscription : « A Ravachol, mort pour la vérité ». Elle voulut la déposer au pied de la statue, mais des agents s’en emparèrent aussitôt et l’arrêtèrent, avec Dubois. Ils furent interrogés par le commissaire de police et remis en liberté.
Le 17 novembre 1893, au café Corraza, galerie Montpensier, ce fut elle qui fit payer, à l’entrée, les 60 centimes de participation aux frais, lors d’une conférence de Bernard Lazare.
Elle fut inscrite sur une liste d’anarchistes célibataires, âgés de moins de 40 ans, au 14 avril 1894. Elle demeurait alors 62 boulevard Beaumarchais et son dossier à la Préfecture de police portait le n° 321381.
Eugénie Collot fut perquisitionnée à son domicile, le 11 mars 1894 et arrêtée le 12 mars par le commissaire Carlier du quartier de l’Arsenal, pour association de malfaiteurs. Elle était encore détenue le 19 mai 1894. Elle fut libérée vers le 16 juin, sans que la date exacte soit connue. Elle écrivit à sa sortie, une lettre au juge d’instruction Henri Mayer, pour protester contre les 3 mois de prison qu’elle venait de subir à St Lazare, l’informant qu’elle venait de déposer une couronne d’épines (celles du martyr) sur la tombe de Vaillant.
Eugénie Collot figurait sur une liste des anarchistes, au 31 décembre 1896, elle demeurait 40 cours de Vincennes.
En 1898, elle relança le projet de L’Idée nouvelle, société organisatrice de conférences qui avait du interrompre ses activités, après la répression qui suivit l’attentat de Vaillant. Des conférences furent organisées : « Au pays de l’Inquisition ; de Montjuich à Cuba », ou contre l’antisémitisme avec Laurent Tailhade, Fernand Pelloutier , Pierre Quillard, Zo d’Axa, Adolphe Retté. Steinlen donna même un dessin La Cage, dont la reproduction vendue 0,50 francs, servit à couvrir les frais d’organisation.
En octobre 1900, l’Ere nouvelle prit le nom de La Rénovation sociale par le travail. A l’ancien comité composé d’hommes de lettres (Paul Adam, Lucien Descaves, etc.. .) se joignirent des « artistes et penseurs » : Eugène Carrière, Elisée reclus, Steinlen, Tolstoï. S’opposant au pouvoir de l’argent, cette société eut pour but de « glorifier, de réhabiliter, de répartir équitablement le travail ».
En 1901, elle reconstitua la chambre syndicale des ouvrières tapissiers en ameublement mais la Bourse du travail lui refusa une salle pour se réunir. Elle écrivit une lettre de protestation au président du conseil municipal de Paris, expliquant que son syndicat avait déjà perdu son bureau à la Bourse, pour avoir refusé « d’opter pour la subvention de son budget » et avoir refusé l’intrusion de la politique au sein de la Bourse.
A partir de 1902, La Rénovation sociale par le travail sembla prendre une orientation moins subversive, en mettant la science au cœur de son projet, comme moyen d’unir les classes sociales. Son activité se poursuivit au moins jusque juillet 1905, où Eugénie Collot remit une pétition au ministre du commerce, demandant la création de l’inspection du travail en Algérie.
Elle fit partie de la Fédération française du Droit humain, obédience franc-maçonne.

SOURCES : Le Rappel 30 août 1891, 21 mai 1898 — Le Radical 27 septembre 1892 — L’Est Républicain du 10 juillet 1893 — Le Temps 23 novembre 1890 et 11 juillet 1893 — Le Journal 27 juin 1893 — Journal des débats 10 juillet 1893 — Le journal 11 juillet 1893 — L’Intransigeant 17 juin 1894 et 21 mai 1901 — La Justice 7 février 1893 — Le Gaulois 18 novembre 1893 — Temps nouveaux 7 mai, 25 juin 1898, 20 octobre 1900 — Le XIXe Siècle 24 juin 1898, 21 mai 1905 — Femmes et franc-maçonnerie : trois siècles de franc-maçonnerie féminine et mixte (1740 à nos jours) par Gisèle et Yves Hivert-Messeca- Dervy. — Arc. Préf. Pol. Ba 1499, 1500, 1603, 1608. — Les anarchistes contre la république de Vivien Bouhey. Annexe 56 : les anarchistes de la Seine.

ICONOGRAPHIE : http://www.metmuseum.org/art/collection/search/306741


https://anarchiv.wordpress.com/2017/03/ ... e-eugenie/
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Re: Divers militant-es anarchistes dans l'Histoire

Messagede Lila » 09 Avr 2017, 21:13

Ecoutez May Picqueray
Film de Bernard Baissat



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Re: Divers militant-es anarchistes dans l'Histoire

Messagede Pïérô » 13 Avr 2017, 20:04

Simón Radowitzky

De la Russie à l’Argentine • Parcours d’un anarchiste au début du XXè siècle

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Simón Radowitzky, né le 10 septembre ou novembre 1891 à Stepanice et mort le 29 février (ou le premier mars) 1956 à Mexico, est un ouvrier argentin d’origine ukrainienne et un militant anarchiste. Il était arrivé en Argentine en mars 1908.

Un petit livre vient de paraître sur son histoire, contenant certains de ses écrits : il est téléchargeable sur ce site qui contient bien d’autres documents : https://nagan.noblogs.org/
Nous relayons cet extrait sur la participation de Simon à la guerre sociale en Espagne.

Espagne, 1936

Depuis la victoire des Républicains en 1936, la situation en Espagne est insurrectionnelle. L’opposition entre, d’une part, les tendances républicaines et révolutionnaires et, d’autre part, les nationalistes espagnols aboutit au coup d’État militaire de juillet 1936, avec à sa tête Francisco Franco. Dans ce contexte, les forces politiques et militaires des républicains socialistes, des communistes et des anarchistes s’unissent dans un large front anti-franquiste  : c’est le début de la guerre civile espagnole. Dans les régions tenues par les anarcho-syndicalistes de la Confédération Nationale du Travail (CNT) ou de la Fédération Anarchiste Ibérique (FAI) de larges réformes sont mises en place et un « pouvoir révolutionnaire » est instauré. Les forces armées nationalistes se lancent dans la conquête totale du territoire, dans une guerre contre toutes les tendances unies dans ce front. Cette situation suscite une vague de solidarité à travers le monde et de très nombreux « internationalistes » rejoignent l’Espagne pour venir en aide aux anti-franquistes, souvent pour prendre part aux combats.

À côté des Brigades Internationales organisées par l’URSS stalinienne et les communistes espagnols, des anarchistes et des communistes anti-staliniens forment leurs propres structures combattantes. Depuis l’Argentine et l’Uruguay, des anarchistes s’organisent pour faire parvenir de l’aide en Espagne et mettent en place un réseau pour envoyer les volontaires sur place. À partir de septembre 1936, les Républicains tentent de militariser les milices (colonnes) anarchistes afin de les intégrer sous le commandement unique de l’Armée Populaire de la République (APR), l’organe militaire regroupant toutes les tendances anti-franquistes. En 1937, les colonnes anarchistes sont fusionnées – malgré les résistances de certains combattants anarchistes – et deviennent des divisions de l’APR.

Radowitzky rejoint en mai 1937 la 28ème Division menée par Gregorio Jover. Il incorpore le 500ème bataillon de la Brigade Mixte 125 composée principalement de combattants des ex-colonnes anarchistes Los Aguiluchos (Les Aiglons) et Ascaso. Radowitzky est chargé de la logistique vers l’Aragon. Daté du 1er septembre 1937, un document signé du chef du 500ème bataillon confirme sa présence sur le front aragonais le 28 août. La dernière mention de la présence de Radowitzky sur le front militaire est un sauf-conduit jusqu’à Barcelone daté du 24 mars 1938. Dans une lettre d’avril adressée à Salvadora Medina Onrubia, Radowitzky explique qu’après dix mois passés sur le front, il n’a été que deux fois à l’hôpital : la première pour une crise de paludisme et la seconde à cause de son état de fatigue.

Il est employé fin avril par le Bureau de Propagande Extérieure de la CNT-FAI, chargé de publier journaux, brochures, livres en différentes langues et situé à Barcelone. Les trahisons successives et les mauvais coups des communistes pour le leadership révolutionnaire, selon les projets de l’URSS, vont entraîner la mort ou l’exécution de nombreux combattants et volontaires, anarchistes et communistes anti-staliniens. L’avancée militaire progressive et inéluctable des nationalistes va, quant à elle, permettre aux franquistes d’instaurer en avril 1939 une dictature, conservatrice et catholique, proche du fascisme italien et soutenue par l’Allemagne hitlérienne. La chute de Barcelone en janvier 1939 et la prise progressive de toute les régions d’Espagne poussent des centaines de milliers de civils et d’anti-franquistes sur les routes de l’exode. Le 23 janvier, le gouvernement républicain déplace son siège à Figueres, dans le nord de la Catalogne, qui devient la nouvelle capitale de la République espagnole.

Le 28, le Comité National de la CNT charge Radowitzky de transférer ses archives à Portbou, un village catalan à la frontière franco-espagnole. Fuyant l’avancée des troupes franquistes, près de 500 000 personnes traversent les Pyrénées pour se réfugier en France : ce que l’histoire officielle retient sous le nom de Retirada. Les autorités françaises sont débordées par l’afflux de réfugiés. Elles décident de désarmer les milices anti-franquistes et de maintenir tous les réfugiés – miliciens, civils ou politiciens – essentiellement dans les Pyrénées-Orientales. Ils sont installés dans des camps répartis dans le département et dans lesquels les conditions sanitaires sont déplorables. Les réfugiés y meurent de dysenterie ou de paludisme. Radowitzky est interné au camp de Saint-Cyprien situé sur la côte méditerranéenne à une dizaine de kilomètres à l’est de Perpignan. Actif entre février 1939 et octobre 1940, le camp de Saint-Cyprien accueille plus de 30 000 personnes. Dans une lettre qu’il adressera en septembre à Luce Fabbri depuis le Mexique, il décrit les conditions d’enfermement dans ce qu’il appelle un camp de concentration :

« Après trois jours avec seulement du pain à manger, nous nous sommes décidés à sortir la nuit pour voler un peu de riz et des pois chiche dans un des camions gardés par les gendarmes. En ce qui concerne le traitement par les gendarmes et les [tirailleurs] sénégalais, il s’est un peu amélioré car l’un d’entre eux s’est fait tuer dans le camp ». Et il ajoute  : « Dès le premier jour je me suis dis que j’allais m’échapper, chercher des relations avec des personnes extérieures et dire la vérité aux trente personnes qui étaient avec moi que s’il y a avait une chance de sortir j’en étais. Mais les jours passaient. Et un jour je rencontre quelqu’un qui a une permission pour une visite. Il me demande si je suis Simon, je lui réponds que oui, ensuite il me dit que si je peux sortir du camp et passer le poste de garde il m’attendra avec une voiture.[…] Je me suis rasé, j’ai nettoyé mes vêtements et… je suis sorti… j’ai passé le poste de garde à un km de là et je suis arrivé au lieu de rendez-vous, et de là ils m’emmenèrent à Perpignan, puis à Montpellier. »

Janvier 2017 by Nagan [1]

Les giménologues 6 avril 2017

[1] https://nagan.noblogs.org/post/2017/01/23/espagne-1936/ et https://nagan.noblogs.org/post/author/nagan/


https://gimenologues.org/spip.php?article715
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Re: Divers militant-es anarchistes dans l'Histoire

Messagede bipbip » 17 Avr 2017, 16:21

Vie et œuvre de Gustav Landauer

Gustav Landauer (1870 - 1919) anarchiste et révolutionnaire allemand trop méconnu en France.
Il fut le principal théoricien du socialisme libertaire en Allemagne.

(Article trop long pour loger en un post, les notes seront mise dans un deuxième post)

1870.– Naissance, le 7 avril, de Gustav, troisième fils d’une famille juive non
religieuse de Karlsruhe ; son père, Hermann Landauer, commerçant, possède une boutique de chaussures.

1875.– Congrès d’unification du Parti
social-démocrate à Gotha.

1878-1890.– Promulgation des lois antisocialistes.

1887.– Ferdinand Tönnies publie Gemeinschaft und Gesellschaft dans lequel il analyse deux grandes formes de
vie sociale : la « communauté », de formation naturelle, et la « société », de composition mécanique.

1888.– Landauer obtient son baccalauréat (Abitur), après avoir suivi un enseignement humaniste classique dans un lycée de Karlsruhe. Il considère rétrospectivement que sa scolarité ne fut qu’un « monstrueux vol de [son] temps ». « Ce qui m’a conduit, écrit-il, à m’opposer à la société environnante et m’a plongé dans le rêve et la révolte, ce n’est pas le sentiment d’appartenir à une classe ni la pitié sociale, mais le heurt continuel de la nostalgie romantique aux étroites limites des philistins. C’est ainsi que j’étais anarchiste sans le savoir, avant d’être un socialiste, et que je suis un des rares à ne pas être passé par la social-démocratie [1]. »

1888-1892.– Il suit des études de germanistique, de philosophie, d’anglais et d’histoire de l’art aux universités de Heidelberg, de Strasbourg et de Berlin. La lecture des pièces d’Ibsen le renvoie à sa propre révolte, celle de l’individu créateur contre les conventions bourgeoises. Il découvre Nietzsche dont il retient le culte de la vie, de la spontanéité et de la volonté ; en novembre 1890, il entame la rédaction de son roman Der Todesprediger (Le prêcheur de mort) dont le titre s’inspire de celui d’un chapitre d’Ainsi parlait Zarathoustra. À côté d’auteurs modernes, il lit aussi des auteurs classiques tels que Spinoza, Fichte et Schopenhauer.

1890.– Il publie ses premiers articles dans la revue Deutschland du philosophe, écrivain et critique Fritz Mauthner, dont un compte rendu du roman Sous-Offs de Lucien Descaves. Il découvre avec enthousiasme le socialisme, notamment par la lecture de La Femme et le socialisme d’August Bebel.

1891.– Landauer fréquente les milieux de la bohème anarchiste et de la colonie littéraire socialiste de Friedrichshagen. Il devient également membre du Freie Volksbühne (Théâtre libre populaire) qui avait été fondé l’année précédente par des sociaux-démocrates dans un but d’éducation ouvrière. Premières activités politiques : à l’occasion du congrès international des étudiants socialistes qui doit se tenir à Bruxelles en décembre 1891, il rédige un manifeste au nom d’un groupe d’étudiants de Berlin. En novembre, pour la première fois, il se définit lui-même comme « anarchiste ». Lecture de L’Unique et sa propriété de Max Stirner.

1892.– Le 24 février, il adhère à l’Union des socialistes indépendants, un groupe de militants radicaux – les « Jeunes » – exclus du Parti social-démocrate au congrès d’Erfurt (14-20 octobre 1891). La violence haineuse avec laquelle la social-démocratie condamne, pour des raisons qui tiennent autant de l’idéologie que de l’opportunisme, les émeutes de chômeurs à Berlin, fait naître en lui une aversion profonde et durable pour tout socialisme de parti. Il participe à la fondation du Neue Freie Volksbühne (Nouveau théâtre libre populaire), scission d’avec le Freie Volksbühne, dominé par la social-démocratie officielle ; il fera partie jusqu’en 1917 de la commission artistique du théâtre. Il y rencontre la couturière Margarethe Leuschner avec qui il se marie à Zurich contre l’avis de ses propres parents. Le couple aura deux filles : Charlotte Clara et Marianne.

Obligé d’abandonner ses études universitaires par manque d’argent, exclu de toutes les universités prussiennes pour « manque de moralité » (activités subversives, en jargon policier), il cherche à s’établir comme écrivain. Il se plonge dans la lecture d’ouvrages d’économie politique ; lit les œuvres d’Eugen Dühring et entre en relation avec l’anarchiste antimarxiste Benedikt Friedländer, un de ses proches disciples. Appelant les marxistes « évolutionnistes » à accepter les dernières conséquences de leur conception matérialiste, il les invite, avec un humour radical, à se laisser « enterrer » ou « mettre dans la saumure » pour « ne pas gêner l’avènement progressif et naturel de la société socialiste ». « Il est bon et utile […] de grouper les hommes en masses. Mais nous ne devons cependant pas oublier le plus important : dissoudre les masses dans les hommes. [2] » Il prononce deux conférences, dans les cercles des socialistes indépendants, sur « Max Stirner et l’individualisme » et sur la question religieuse. C’est à cette époque qu’il décide de sortir officiellement de la communauté religieuse juive.

1893.– Il devient, en février, le rédacteur de Der Sozialist qui, en juin, après une lutte énergique contre la tendance marxiste radicale, se reconnaît officiellement comme anarchiste, en prenant le sous-titre d’ « organe de tous les révolutionnaires ». Landauer est choisi comme délégué des anarchistes et des ouvriers sur métaux de Berlin pour assister au congrès socialiste international de Zurich (6-12 août 1893), mais il ne peut y participer : la majorité socialiste expulse les anarchistes et adopte la résolution de Bebel qui privilégie l’action politique, c’est-à-dire la conquête des pouvoirs publics par la voie parlementaire. Il prend part, alors, à la manifestation au Plattengarten des anarchistes et des socialistes révolutionnaires expulsés du congrès, où il se prononce en faveur de la grève générale. À l’automne, Landauer est emprisonné successivement pour « incitation à la désobéissance civile » et « excitation à la révolte ». En prison, il compose la nouvelle Arnold Himmelheber et se livre à une lecture critique approfondie du Capital de Marx. Parution du roman Der Todesprediger.

1895.– L’essai « Der Anarchismus in Deutschland » (L’anarchisme en Allemagne) paraît dans la revue non anarchiste Die Zukunft (L’avenir). Ce qui importe pour Landauer, ce n’est pas la lutte de classe des prolétaires mais la révolutionnarisation des esprits par les prêcheurs anarchistes qui doivent se consacrer tout entiers à la « diffusion des lumières », une sorte d’anti-autoritarisme rationnel, dans toutes les couches de la société. Il prend ses distances avec la « propagande par le fait » [3], lui qui avait été si fasciné par la figure de Ravachol – au point d’insérer dans le roman Der Todesprediger, sans en citer l’auteur, la déclaration de Ravachol devant la cour de Montbrison, discours qui avait été publié par le Sozialist en août 1892. Rejetant toute forme d’autorité, l’anarchiste ne saurait faire progresser « sa vérité » par l’oppression violente des autres pensées.

Au début de l’année, il participe à la fondation de la coopérative de consommation Befreiung (Émancipation) à Berlin et fait paraître anonymement, à cette occasion, une brochure programmatique : Ein Weg zur Befreiung der Arbeiter-Klasse (Un chemin vers l’émancipation de la classe ouvrière). Il y affirme que ni l’action politique ni la violence révolutionnaire ne conduiront les travailleurs à leur émancipation. La question « réforme ou révolution ? » serait, par ailleurs, mal formulée, elle devrait être « réforme ou phrase ? » puisque les prétendus révolutionnaires ne luttent au fond qu’avec de grands mots. Mais la réforme que propose Landauer, pour qui « le travail positif est nécessaire à la préparation de la société socialiste », n’a rien à voir avec les réformes sociales qui ne font que fortifier l’État moderne et sa police ; il s’agit de réaliser immédiatement un fragment, une forme embryonnaire du socialisme par la création en dehors de l’État, sur les principes de l’auto-assistance et de la coopération, d’organisations ouvrières de consommation et de production. Landauer appelle la classe ouvrière à « refuser ses services économiques à la société bourgeoise, à être une société librement organisée au sein de la société » [4].

Le Sozialist est interdit pendant quelques mois – il reprend sa parution en août, avec pour nouveau sous-titre : « organe pour l’anarchisme-socialisme ». « L’anarchisme est placé en avant, parce qu’il est le but qui doit être atteint : l’absence de domination, l’absence d’État, le libre développement des individus. Puis est indiqué le moyen par lequel nous voulons atteindre et garantir cette liberté des hommes : par le socialisme, par l’entraide solidaire des hommes pour tout ce qui leur est commun, et par le travail coopératif. » [5]

Ses premières traductions de Pierre Kropotkine paraissent dans le Sozialist : il s’agit d’une série d’articles des Temps nouveaux (août-novembre 1895) sur les « expédients économiques ».

Dans un article sur « les démagogues au temps de la Réforme », Landauer exprime sa sympathie à l’égard du hussitisme, de l’anabaptisme et des mouvements de révolte populaire pendant la guerre des Paysans. Il commence également la rédaction d’un long essai intitulé « Zur Entwicklungsgeschichte des Individuums » (Contribution à l’histoire du développement de l’individu), où, déposant le germe des idées qu’il développera au tournant du siècle [6], il interroge la notion d’individu en insistant sur le primat de l’unité de l’espèce humaine. Pour lui, le cri de ralliement des anarchistes ne saurait être « individu », créature – si tant est qu’elle existe réellement et indépendamment de l’espèce – souvent laide, petite et mesquine, mais « individualité ». Dans une perspective qui rappelle Kropotkine, il distingue, en effet, l’individu de l’« individualité » [7] – ce qui dans l’individu, tout en lui étant propre, permet à l’humanité de progresser et de se perfectionner – qu’il « convient de cultiver et de développer, par la lutte contre nos instincts les plus grossiers et les plus bas, par la lutte contre les hommes et les institutions qui oppriment et entravent, par l’union solidaire avec ceux qui partagent nos sentiments, avec nos compagnons de combat et de souffrance » [8]. La société socialiste dépend donc d’un certain degré de développement de l’humanité.

1896.– Landauer soutient activement la grande grève des travailleurs de la confection qui éclate à Berlin. Il est délégué au congrès socialiste international de Londres (27 juillet-1er août), où les anarchistes sont définitivement exclus de la Deuxième Internationale. Lors d’un meeting de protestation, il fait la connaissance de Pierre Kropotkine. Au congrès extraordinaire des anarchistes, il prononce un discours très remarqué, dans lequel il appelle les petits paysans et les ouvriers agricoles à se regrouper pour fonder des coopératives agricoles. Publication en trois langues de la brochure : De Zurich à Londres. Rapport sur le mouvement ouvrier allemand au Congrès international de Londres.

1897.– Landauer prend part, avec l’anarchiste chrétien Moritz Egidy et l’écrivain – et traducteur allemand de Multatuli – Wilhelm Spohr, à une manifestation publique contre les « horreurs judiciaires de Barcelone » (Justizgreuel in Barcelona), commises lors du procès de Montjuich où des anarchistes avaient été mis à la torture avant d’être sévèrement condamnés. En novembre, il prononce une série de conférences à travers le pays contre « l’inquisition en Espagne ».

En raison de désaccords sur l’orientation du Sozialist qu’elle juge par trop théorique, la tendance ouvriériste, majoritaire au sein du journal, qui entend développer un « anarchisme ouvrier de masse », s’organise indépendamment et publie son propre organe, Neues Leben (Vie nouvelle). Landauer s’y oppose catégoriquement : un « anarchisme de masse » ne serait possible qu’à condition de céder à la facilité démagogique et de faire « miroiter la perspective d’un gouvernement des masses, d’une démocratie dissimulée sous le voile anarchiste » [9]. L’anarchisme ne saurait se réduire à quelques slogans d’agitation :

« La liberté ne vient pas si on ne s’octroie pas soi-même la liberté et la manière propre de la vivre ; l’anarchie de l’avenir ne viendra que si les hommes du présent sont des anarchistes et non pas des partisans de l’anarchisme. Il y a une grande différence entre le fait d’être un partisan de l’anarchisme et le fait d’être un anarchiste. N’importe quel philistin ou petit-bourgeois peut être, du reste, le partisan d’un édifice théorique quelconque ; une transformation de l’essence des individus est nécessaire ou, du moins, un bouleversement complet, de sorte que la conviction intérieure finisse par devenir quelque chose de vécu dans la réalité [10]. »

Landauer se voit alors reprocher, avec une certaine malveillance anti-intellectuelle, de manquer d’authenticité populaire, de se complaire dans la théorie et de s’abandonner à des sentiments de fraternité universelle. Il demeure politiquement isolé. Le coup est rude non seulement pour lui personnellement, mais encore pour tout le mouvement anarchiste allemand [11]. Le Sozialist entre en déclin. Landauer se retire de son poste de rédacteur, tout en continuant de collaborer au journal. Dès lors, il se consacre de plus en plus à des travaux personnels d’ordre littéraire et philosophique.

1898.– Il entreprend un cycle de conférences sur l’histoire de la littérature allemande à Berlin. Commence alors pour lui une série de revers et de malheurs personnels. Décès de sa fille Marianne [Annie], âgée de quatre ans, des suites d’une tuberculose et d’une méningite. Le couple ne s’en remet pas. Sa femme, Margarethe, est elle aussi gravement malade depuis plusieurs années. Décès de son ami Moritz von Egidy.

À propos de l’Affaire Dreyfus, dont il ne mésestime pas les aspects humains, il considère qu’il a trois bonnes raisons de se taire : en tant que Juif, à cause du fanatisme de la communauté juive internationale ; en tant qu’Allemand, à cause du patriotisme outrancier de la presse allemande ; en tant qu’anarchiste « anti-politique », parce qu’il s’agit d’ « une sale affaire interne à la classe dominante » [12].

1899.– À la suite de l’Affaire Ziethen, au cours de laquelle il obtient, en organisant une campagne de presse à la manière de Zola, la révision du procès d’un condamné qu’il croit innocent, Landauer est lui-même condamné à six mois de prison pour outrages et diffamation. Au cours de cet emprisonnement (du 18 août 1899 au 26 février 1900), qui marque un tournant dans son existence, s’ouvrent à lui de nouveaux horizons anarchistes dont l’exploration va se poursuivre dans ses écrits ultérieurs. Dans sa cellule, vaillant à la tâche, il révise les travaux de critique du langage de son ami Mauthner, écrit la nouvelle Lebendig tot (Mort vivant), traduit du français la pièce Les Mauvais Bergers d’Octave Mirbeau [13] et du moyen-haut-allemand un choix de sermons de Maître Eckhart. Immergé dans le monde de la mystique médiévale, il écrit à sa future seconde femme Hedwig Lachmann (qu’il avait rencontrée le 28 février 1899) :

« La prison peut être pour nous, modernes, ce que le monastère était au Moyen Âge. Les ânes qui nous prescrivent cette cure ne se doutent pas du bienfait qu’ils ont déjà rendu à quelques-uns. J’ai connu jadis, là entre ses murs, de délicieux moments de solitude sans équivalents, et j’y ai fait l’expérience de la force qui naît de la souffrance. [14] »

Eduard Bernstein fait paraître Die Voraussetzungen des Sozialismus und die Aufgaben der Sozialdemokratie (Les présupposés du socialisme et les tâches de la social-démocratie), point de départ de la « crise révisionniste » au sein de la social-démocratie allemande.

1900.– Landauer contribue à la fondation de la Neue Gemeinschaft (Nouvelle communauté), une communauté d’artistes et d’intellectuels de la bohème de Friedrichshagen. Il y rencontre, entre autres, Erich Mühsam et Martin Buber. Le 18 juin, il prononce la fameuse conférence « Durch Absonderung zur Gemeinschaft » (La communauté par la séparation) dans laquelle il expose les nouvelles conceptions anarchistes qu’il s’est formées, en prison, à partir des écrits de Maître Eckhart et de Fritz Mauthner. Le primat de l’unité de l’espèce, encore et toujours. L’homme ne s’appartient pas : « Le temps est maintenant venu de réaliser que l’individu n’existe pas, que seules existent des appartenances et des communautés. » Les hommes sont capables de communauté, précisément parce qu’ils sont eux-mêmes communauté [15]. Plus ils se séparent des influences extérieures, plus ils s’enfoncent dans les tréfonds intimes de leur vie individuelle et plus ils retrouvent, par cette introspection mystique, « la grande communauté des vivants », l’expérience collective de l’espèce humaine, qui les relie entre eux et au monde : « Ce que nous avons de plus individuel est ce que nous avons de plus universel. [16] » Ceux qui auront connu cette régénération intérieure, possible à tout moment, indépendante de tout développement, seront mûrs, alors, pour rompre définitivement avec les communautés autoritaires fortuites du présent et pour réaliser pratiquement cette communauté immémoriale et universelle qu’ils portent en eux. Pour se passer de la médiation de l’État, en somme, et faire place à l’esprit communautaire.

Paraît également, de lui, dans la revue culturelle viennoise Die Zeit (Le temps), un compte rendu de la réimpression de L’Humanisphère de Joseph Déjacque (Bruxelles, Bibliothèque des Temps nouveaux, 1899), dans lequel il insiste, en particulier, sur le projet que l’utopiste français avait formé de fonder, en lien étroit avec ses conceptions anarchistes, une « cosmologie mystique ». À propos de Déjacque, il évoque, en passant, « sa polémique enflammée contre la conception philistine que Proudhon avait de la question féminine » [17].

1901.– Landauer se détourne de la Neue Gemeinschaft. Cette expérience lui a appris « comment une communauté ne naît pas » (Buber). Tout comme Buber et Mühsam, il refuse de suivre les frères Hart, les principaux initiateurs de la communauté, dans leurs efforts ambitieux de créer une nouvelle religion.

En septembre, il décide de s’installer en Angleterre avec sa nouvelle compagne, Hedwig Lachmann [18], à Londres et à Bromley dans le Kent, non loin de la maison des Kropotkine. Entre les deux hommes, il n’y aura pas de relation durable ni d’échanges intellectuels réels, même si Landauer, profondément impressionné par la figure et la vie du « prince anarchiste », traduit en allemand, dans les années qui suivent, plusieurs de ses œuvres : L’Entraide (1904) ; Champs, usines et ateliers (1904) ; La Grande Révolution (1909). Kropotkine avait tendance à se méfier de tout ce qui venait d’Allemagne, y compris et même en tout premier lieu sous l’étiquette anarchiste : « Pour Kropotkine, tout Allemand était (à part Bernhard Kampffmeyer et Rudolf Rocker) suspect de stirnérisme ou de nietzschéisme [19] ». Landauer, de son côté, lui reproche, outre des sympathies russophiles et slavophiles, son positivisme, hérité des sciences naturelles, qui le conduirait – à l’opposé de Tolstoï – à une forme de relativisme moral, à tout sacrifier au développement historique, sans exclure le recours à la violence si nécessaire [20]. Plus proche du mutualisme et du collectivisme, il ne pouvait évidemment souscrire à certaines affirmations absolues et rassurantes de Kropotkine, à la mode dans les milieux communistes-anarchistes : « Nous maintenons, en outre, que le communisme est non seulement désirable, mais que les sociétés actuelles, fondées sur l’individualisme, sont même forcées continuellement de marcher vers le communisme [21]. »

En Angleterre, Landauer entretient des relations avec Tárrida del Mármol, Max Nettlau et Rudolf Rocker. Importants travaux de traduction, parfois en collaboration avec Hedwig Lachmann, en particulier des œuvres d’Oscar Wilde et de Rabindranath Tagore.

Parution, dans la revue Die Zukunft (L’avenir), d’un article fondamental : « Pensées anarchistes sur l’anarchisme », dans lequel il tire les conséquences politiques de la nouvelle orientation qu’il a imprimée à son anarchisme. Condamnant expressément la tactique de la « propagande par le fait », il estime que l’anarchiste ne saurait exercer la moindre violence, ou que, s’il y en a une, ce ne peut être que la violence contre soi-même, l’anéantissement du moi (« mort mystique ») pour renaître dans la communauté humaine .

« L’anarchie n’appartient pas à l’avenir, mais au présent ; elle n’est pas affaire de revendications, mais affaire de vie. Il ne s’agit point de la nationalisation des conquêtes du passé, il s’agit de la naissance d’un peuple nouveau qui, venant de petits commencements, se forme de tous côtés par colonisation intérieure, au milieu des autres peuples, dans de nouvelles communautés. Il ne s’agit point de la lutte de classes des non-possédants contre les possédants, mais il s’agit du fait que des êtres libres, moralement forts et maîtres d’eux-mêmes, se séparent des masses pour s’unir dans de nouveaux liens. [22] »

1902.– En raison de leur isolement et par manque de possibilités de travail, le couple rentre en Allemagne pour s’installer à Hermsdorf, dans la banlieue de Berlin.

1903.– Landauer se rapproche de la Société allemande des cités-jardins que préside B. Kampffmeyer.

Divorce d’avec sa première femme. En mai, il épouse Hedwig Lachmann – dont il aura deux filles, Gudula Susanne et Brigitte [23].

Outre la traduction des Sermons d’Eckhart et un recueil de nouvelles – Macht und Mächte (Puissance et puissances) –, Landauer publie Skepsis und Mystik (Scepticisme et mystique), texte dans lequel il reprend et retravaille plusieurs essais déjà parus – dont La Communauté par la séparation – pour en faire une sorte de manifeste mystico-philosophique.

1904-1906.– Landauer travaille dans la maison d’édition et de librairie de Karl Schnabel pour subvenir aux besoins de sa famille. Il entre, alors, en relation avec le philosophe spinoziste Constantin Brunner (Leo Wertheimer) dont il médite Die Lehre von den Geistigen und vom Volke (La doctrine des hommes d’esprit et du peuple).

1907.– La Révolution paraît dans la collection « Die Gesellschaft » que dirige Martin Buber aux éditions Rütten & Loening : après une critique mi-sérieuse mi-ironique des sciences historiques, Landauer en vient à décrire la révolution comme un long procès historique non achevé, qui remonte au temps de la Réforme et de la guerre des Paysans, un grand fleuve historique dans lequel il est lui-même plongé et dont il continue de suivre le cours dans le présent. Le Moyen Âge est pour lui une « époque unique de floraison » – ce qu’il ne manque pas d’illustrer par des exemples tirés de L’Entraide de Kropotkine – parce qu’il « consistait en une synthèse de liberté et de sujétion » [24]. Pour mieux se faire comprendre, il se sert de la notion d’ « esprit » (commun, communautaire), qui devient centrale dans ses écrits ultérieurs. L’esprit est la capacité communautaire – enfouie ou révélée, « devenue et en devenir » – des hommes, le sentiment qu’ils ont de leur intime solidarité. Le Moyen Âge est entré en décadence quand le christianisme, dont l’esprit commun avait pris la forme, a été vidé de son pouvoir mythique et surnaturel par la Réforme, sans que lui succède un nouvel ordre communautaire. La « révolution », pour Landauer, c’est donc cette phase de transition qui dure depuis lors, avec des périodes de recrudescence et de déclin. Ce qui est la marque horrible de cette « époque moderne », c’est que l’État, en raison du refoulement de l’esprit, absorbe toutes les fonctions de la communauté : « Quand l’esprit est absent, il y a violence : l’État et les formes d’autorité qui lui sont propres et le centralisme. [25] »

Publication de Peuple et Terre : trente thèses socialistes dans les pages de la revue Zukunft. Landauer y définit ce qu’il entend par « peuple » : une communauté qui ne résulte ni d’une autorité extérieure ni d’une origine commune, mais de l’« esprit » que les hommes doivent laisser grandir en eux et entre eux.

1908.– Retour de Landauer sur la scène politique avec la fondation du Sozialisticher Bund (Ligue socialiste), aux côtés, entre autres, d’Erich Mühsam et de Martin Buber. À Berlin, il prononce deux conférences – dont sera issu, en partie, son Appel au socialisme – devant des anarchistes et des socialistes révolutionnaires, et procède à la proclamation des Douze articles de la Ligue socialiste. Il y exprime le refus de la séparation entre deux temporalités, le présent et l’avenir lointain, à la différence du marxisme (et des anarchismes) qui n’aurait pas d’autre choix que de combler ce vide béant par l’attente passive de la maturité révolutionnaire et le ressassement d’une doctrine toujours plus grise et desséchée. « Nous n’attendons pas la révolution pour que commence le socialisme ; nous commençons par faire du socialisme une réalité pour qu’advienne le grand bouleversement du monde ! » Le but de la Ligue est la réorganisation de la société par la « sortie du capitalisme », par la création de colonies communautaires qui doivent se rattacher à des traditions communales, la commune rurale étant considérée comme le « pont » qui relie l’idéal socialiste à l’histoire humaine. Anticipations du socialisme à venir qui, par l’exemple qu’elles donnent, sont censées faire naître, dans les masses, l’envie et l’imitation, ces communautés – dont Landauer savait le caractère provisoire et limité en l’absence de révolution – tiennent aussi de la « cure de désintoxication » de l’État, de la marchandise et du narcissisme.

Son initiative rencontre de fortes résistances dans les milieux anarchistes berlinois, qui se montrent favorables à la lutte de classes. Il entreprend une tournée de conférences dans le sud de l’Allemagne et en Suisse où il rencontre l’anarchiste Margarethe Faas-Hardegger avec qui il aura une relation amoureuse pendant un an.

1909.– Reprise de la parution du Sozialist. Il prononce plusieurs conférences pour le compte de la Ligue dans l’ouest de l’Allemagne dans le but de fonder des groupes locaux. Nombreuses traductions de Proudhon.

Il est amené à critiquer le mouvement ouvrier organisé de son temps, notamment sous deux aspects qui sont liés entre eux [26]. Ce qu’il appelle, d’une part, la « tactique des apparences » dont le Premier Mai est, selon lui, le parfait exemple : une marche rituelle, piailleuse, stérile, sans idée ni lendemain, déguisement de la faiblesse, simulant aux yeux des maîtres, mais aussi des ouvriers qu’on fait jouer à la Révolution une fois par an, en public et en bon ordre, un pouvoir qui n’existe pas [27]. Et, d’autre part, la « paresse des mains et du cœur », un manque d’effort socialiste, qui très souvent se traduit par une « lutte contre les institutions », aussi spectaculaire qu’elle est improductive.

1910.– La rupture est consommée avec les ouvriers anarchistes qui refusent de le suivre dans son projet d’implantation communautaire au motif que l’émancipation du prolétariat passerait nécessairement par la lutte de classe révolutionnaire et la destruction de l’État, alors que la fondation de communautés ne ferait que renforcer le système économique en place. Dans une lettre qu’il adresse à Max Nettlau, au détour d’une critique de Kropotkine, transparaît le regret de devoir constater le faible écho que rencontre, en Allemagne et à l’étranger, son anarchisme :

« Vous savez que je suis un hérétique. Mais vous ne savez peut-être pas à quel point je le suis. Je vénère notre Kropotkine en tant que puissance intellectuelle, en tant que nature, en tant qu’être humain, en tant qu’homme, en tant que travailleur de l’esprit ; mais je dois pourtant avouer que, pour moi, La Science moderne et l’anarchie ne contient en grande partie que des platitudes et n’est souvent rien de plus qu’une compilation tendancieuse de connaissances mal digérées. Allez-y, lapidez-moi. Dans tous les pays, je trouve que le mouvement anarchiste est un mouvement d’épigones. Pour ma part, je n’ai pas du tout envie de trouver mes conceptions chez les autres ; peut-être avez-vous vu avec quel plaisir, dans les derniers numéros du Sozialist , j’ai traduit les idées de Bakounine sur la philosophie et la science, bien que je désapprouve certains points essentiels de son matérialisme et de son atomisme. Mais c’était un esprit philosophique, tout différent de nos compilateurs d’aujourd’hui.

Compte tenu de cet état de choses – en supposant toutefois qu’il est tel que je le vois – je me dois d’abandonner la réserve que j’observe par décence et de dire franchement que l’on fait du tort au mouvement anarchiste en ne tenant absolument aucun compte de mes conceptions et de mes analyses – ou en les écartant, comme l’a fait Domela Nieuwenhuis, par quelques phrases hors de propos. Je ne veux vraiment pas dire qu’un homme vieux et malade comme Kropotkine doive débattre avec moi. Pour lui, tout cela ne serait qu’une sorte de “kantisme” ou de “mystique”, mais certainement pas du “communisme”. Mais j’ai quelques raisons de penser qu’il devrait bien se trouver, en Angleterre, en Amérique et en France, par exemple, de jeunes camarades qui, comprenant l’allemand, tout en étant productifs dans leur langue, pourraient se fixer comme tâche de traduire certains de mes articles. Ce n’est pas la vanité qui parle ici – j’ai bien trop conscience de ma propre valeur pour cela – mais le désir d’agir selon mes forces. Je suis sur le point de publier mon petit livre Aufruf zum Sozialismus ; ce que je dis dans ce livre, ainsi que dans mon livre Die Revolution , mais aussi dans certains articles que j’ai écrits dans le Sozialist , j’aimerais pouvoir le dire, en effet, aussi à des lecteurs de langue française et anglaise. Le champ d’action est très étroit en Allemagne ; et nous n’avons pas les moyens de l’élargir rapidement. C’est déjà un petit miracle si le Sozialist existe aujourd’hui et que nous puissions, à côté, publier ceci ou cela. [28] »

En octobre, il publie dans le Sozialist un article simple, beau et saisissant, intitulé « Polizisten und Mörder » (Policiers et meurtriers). Commentant un entrefilet qui racontait comment deux policiers qui, alors qu’ils étaient encore prêts quelques heures auparavant à tuer sur ordre des manifestants anti-jaunes, avaient sauvé au péril de leur vie un ouvrier alcoolisé appelant à l’aide dans les eaux sombres d’un canal, Landauer cite ce passage de L’Entraide de Kropotkine : « C’est le fond de la psychologie humaine. À moins que les hommes soient affolés sur le champ de bataille, ils “ne peuvent pas y tenir” d’entendre appeler au secours et de ne pas répondre. [29] » Puis il en vient à décrire en termes forts et expressifs un monde où l’État, la violence et la mort ont remplacé l’esprit communautaire, où des mécanismes aveugles se sont substitués à l’humanité vivante, où les hommes portent des masques, jouent le rôle qui leur est socialement assigné :

« S’il se passe de terribles choses entre nous, cela ne tient ni à notre nature, ni à notre être, ni à notre espèce. La faute de ce qui se passe entre nous vient de ce que nous ne tenons pas ce que nous promettons ; que nous ne sommes pas ce que pourtant nous sommes. Les choses iront mieux quand les hommes ne joueront plus aucun rôle ; quand ils se comporteront les uns envers les autres, c’est-à-dire quand ils ordonneront leurs relations entre eux, tels qu’ils sont en vérité. Aujourd’hui, les habits que nous endossons se livrent un combat à mort, mais ce sont les hommes vivants qui en reçoivent les blessures dans le corps et dans l’âme. L’uniforme militaire et la blouse de travail sont aujourd’hui les dirigeants de la vie ; la chair qui s’y trouve est comme l’automate mécanique et obéissant. Rétablissez l’ordre de la nature ; comprenez bien le mot du sage Socrate : connais-toi toi-même ! Connais-toi toi-même, tel que tu es vraiment, derrière la défroque que tu endosses, et n’agis point selon les lois de la défroque, mais selon l’être des hommes. Connais-toi toi-même, et reconnais ton prochain et ton semblable dans celui qui se tient devant toi. Reconnais-le derrière le masque dont il est affublé tout comme toi. Nous sommes tous ensemble des corps nus d’êtres humains, et nous nous laissons déchirer les entrailles et empoisonner jusqu’à la moelle par les tuniques de Nessus dont nous enveloppe cette odieuse société de mascarade que personne ne veut être et que pourtant nous sommes tous. [30] »

« Les choses iront mieux quand les hommes ne joueront plus aucun rôle ; quand ils se comporteront les uns envers les autres, c’est-à-dire quand ils ordonneront leurs relations entre eux, tels qu’ils sont en vérité » : on retrouve, ici, une idée puissante de Landauer, qu’il exprimera ainsi dans son Appel au socialisme : « Le socialisme doit revenir à ses héritiers légitimes, pour qu’il devienne ce qu’il est [déjà]. » Le socialisme, l’unité de l’espèce, est déjà là, existe déjà comme « fait mystique » [31], atemporel, mais sans apparaître dans la réalité, car les hommes, les individus empiriques, isolés et dispersés, continuent d’ordonner leurs relations selon les règles de l’État et du Capital (qui sont plus que de simples choses puisqu’ils ont « absorbé » les relations humaines). Ce qui permet à Landauer de développer une critique « mystique » – et non pas seulement éthique – de la société capitaliste, en ce qu’elle est un monde du faux et de la séparation auquel se livrent les hommes, de rejeter toute forme d’évolutionnisme (le socialisme n’est pas un futur qui n’existe pas encore, mais quelque chose que l’on transforme en réalité) et d’occuper une position « intempestive », surplombant l’actualité journalière et politique.

« […] Cette odieuse société de mascarade que personne ne veut être et que pourtant nous sommes tous » : dans les écrits de cette époque, en effet, dont ce texte-ci et, en particulier, celui qui s’intitule « Si les hommes d’État sont faibles, le peuple l’est plus encore ! » – dans lequel il développe sa conception de l’État [32] –, on retrouve, souvent, la trace de l’influence de La Boétie, dont il traduit De la servitude volontaire pour le Sozialist.

1911.– Parution de son œuvre majeure, l’Appel au socialisme, qui exercera une profonde influence sur toute une génération d’intellectuels et de militants allemands [33]. Comme l’indique le titre, le socialisme dépend de la volonté des hommes – puisqu’on peut y appeler. Il ne viendra pas automatiquement à partir d’un certain stade de développement des forces productives ; il ne naîtra pas du capitalisme, période non pas de progrès mais de décadence et de maladie morales – dont la description occupe une place importante dans le livre – qui affectent tous les hommes. « Le socialisme est possible à toute époque quand un nombre suffisant d’hommes le veulent. [34] » Landauer règle férocement ses comptes avec le marxisme social-démocrate, « exotérique » dirait-on aujourd’hui :

« Ils n’ont d’yeux que pour les formes extérieures, négligeables, superficielles de la production capitaliste qu’ils se plaisent à nommer production sociale […] Le marxisme est philistin, et pour le philistin, rien n’est plus important, plus formidable, plus sacré que la technique et le progrès […] C’est alors – lorsque nous considérons le culte sans bornes que voue à la technique le petit-bourgeois progressiste – que nous commençons à nous rapprocher de l’origine du marxisme. La source du marxisme, ce n’est pas l’étude de l’histoire, ce n’est pas non plus Hegel, ni Smith ou Ricardo, ni l’un des socialistes d’avant Marx, ni l’époque de la révolution démocratique, et encore moins la volonté des hommes et leur besoin de culture et de beauté. La source du marxisme, c’est la vapeur. Il y a des vieilles femmes qui lisent l’avenir dans le marc de café ; Karl Marx, quant à lui, lit l’avenir dans la vapeur. [35] »

Pour lui, les marxistes, dans leur obsession de la masse et de l’État, sont tout bonnement incapables de voir ce qu’il peut y avoir de socialiste « dans une cité-État du Moyen Âge, un district villageois allemand, un mir russe, une allmend suisse [terre communale] ou une colonie communiste » [36]. Fondé sur la communauté villageoise et familiale, se nourrissant – à l’opposé des révolutionnaires « tablerasistes » (Gross !) qui rejettent en bloc toutes les traditions communautaires de la civilisation occidentale – de certaines expériences historiques populaires comme les ligues de la guerre des Paysans, le socialisme est avant tout une question agraire. La lutte de classes reste évidemment une nécessité vitale pour les prolétaires, tant qu’ils ne sont pas « sortis du capitalisme », mais au prix d’un enfermement toujours plus étroit, plus mortel, dans le cercle infernal du capitalisme, là où, déshumanisés, sans joie (« Qui sait aujourd’hui ce qu’est la joie ? »), ils sont transformés « en numéro », en un « ap-pendice des rouages de la machine ». Car « tout ce qui se passe à l’intérieur de la production capitaliste, nous enfonce plus profondément dans celle-ci… » [37]. Le prolétariat ne saurait en sortir, donc, qu’en s’abolissant lui-même comme classe-du-capital et « en entrant dans d’autres relations » [38].

Le capital, tout comme l’État, est, en effet, pour Landauer un certain type de relation sociale et une « marotte » ou un « spectre » – des abstractions intériorisées et vivantes, donc qu’il convient de démystifier, de dissiper au moyen de la « critique du langage » qui vient ici se confondre avec l’anarchisme et l’individualisme :

« Le résultat fondamental de l’anarchisme ou de l’individualisme est le suivant : il n’y a, dans la société humaine [empiriquement, concrètement] que des individus et que le faire et le laisser-faire des individus. On se fait anarchiste quand on dit que les prétendus rapports sociaux ne sont rien d’autre que le comportement des hommes ; que la société n’est qu’un ensemble de fins humaines ; que la servitude dans laquelle se trouvent les masses est une servitude volontaire qu’elles pourraient secouer si seulement elles avaient l’esprit clair et une volonté ferme ; que l’État n’est point un groupe plus ou moins nombreux de gouvernants, mais un fantôme ou une marotte, un état singulier de l’âme à l’intérieur de l’homme, qui le conduit à se condamner lui-même à la misère et l’asservissement, en acceptant d’être soldat ou autre. Donc l’anarchisme, tel qu’il est apparu dans le monde depuis Étienne de La Boétie et selon l’expression la plus claire que Max Stirner lui a donnée, on pourrait le définir comme l’application pratique de la critique du langage [39] : l’État, cet État dans lequel les hommes habitent, cela n’existe pas ; c’est l’idée d’État qui réside dans les hommes et qui y fait des ravages ; le capital, ce capital dont les hommes auraient besoin pour travailler, cela n’existe pas ; il y a des liens entre les hommes qui leur permettent de travailler et d’échanger – ou il y a absence de liens, ce qui fait naître le parasitisme, l’exploitation et le monopole, etc. Ainsi, on rattache l’autorité, l’oppression et l’exploitation à la domination d’idées ou d’abstractions pétrifiées, considérées comme sacro-saintes et comme réelles, qui se sont naturellement données des formes concrètes, qui se sont développées pour devenir des organismes artificiels, car les hommes, en se rendant eux-mêmes irréels, ont du même coup rendu réel l’irréel ; et l’anarchisme, ou l’individualisme, est la révolte de l’individu singulier vivant contre ces spectres qui se sont fortifiés par l’immobilité et la non-vitalité millénaires des hommes. L’anarchisme est un principe rationnel, anhistorique, c’est le sursaut du droit de raison individualiste contre tout féodalisme sacralisé […]. [Mais] l’anarchie, ou la liberté, n’est qu’un principe négatif. Il rappelle à chaque individu du peuple que sa liberté est toujours indestructiblement présente. Ce principe tue les idoles et détruit les fausses reliques sacrées : État ? Capital ? Oh, il vous suffit de vouloir, vous les individus, de penser et de vouloir ; dès lors, l’État et le Capital n’existent pour vous que dans la mesure où ceux qui refusent de penser et de vouloir peuvent vous faire obstacle. Certes, ils peuvent vous faire obstacle dans bien des cas ; mais, dans certains cas, vous pouvez faire immédiatement usage de votre liberté, en réalisant ensemble, comme un seul homme, ce que vous pensez et voulez tous individuellement de la même manière.

Il n’y a pas que des fausses reliques, certaines sont authentiques. Elles sont fausses quand elles sont imposées de l’extérieur ; elles sont authentiques quand, nées à l’intérieur des individus, elles forment un lien unissant les hommes. […] On fait appel aux individus quand il s’agit de se libérer des idoles et des spectres de ces pouvoirs abstraits qui nous trompent et nous oppriment. Mais, en vérité, il n’y a d’individus ni dans la nature ni dans l’histoire. L’anarchie est seulement la face négative de ce qu’est, positivement, le socialisme . L’anarchie est l’expression de l’émancipation de l’homme par rapport aux idoles de l’État, de l’Église, du Capital ; le socialisme est l’expression de la véritable et authentique union des hommes, authentique parce qu’elle provient de l’esprit individuel, qu’elle s’épanouit dans l’esprit de l’individu comme ce qui reste éternellement un et le même, comme idée vivante, qu’elle naît sous la forme d’une alliance libre entre les hommes. [40] »

Landauer rappelle, alors, l’idée anarchiste fondamentale que la Ligue socialiste a, selon lui, exhumée, sauvée et revivifiée : « La liberté ne peut être créée, elle ne peut être qu’expérimentée. Il ne faut pas dire : aujourd’hui, nous ne sommes pas libres, mais demain, par on ne sait quel coup de baguette magique, nous serons libres ; il faut dire : nous avons tous sans exception la liberté en nous et nous devons seulement la faire passer dans la réalité extérieure. [41] »

Dans un petit article, à l’occasion d’une grève des garçons boulangers à Berlin, il constate une absence totale de forces créatrices dans le mouvement, alors qu’il faudrait, selon lui, au lieu de faire ou de soutenir la grève (« lutte de classes capitaliste »), permettre à la population de cuire elle-même son pain en construisant des fours coopératifs ou communautaires. Ce serait là du véritable socialisme, car, tout en luttant contre l’envahissement du pain chimique et fade de l’industrie alimentaire, on ferait ainsi renaître des traditions et des cultures artisanales englouties par le capitalisme et on favoriserait la diversité individuelle – l’individualité – dans l’unité [42].

Face au danger de guerre (seconde crise marocaine), Landauer renforce son action antimilitariste ; une brochure – La suppression de la guerre par l’autodétermination du peuple –, qu’il rédige sous la forme de questions-réponses, imprimée à 100 000 exemplaires, est interdite et confisquée avant sa diffusion. Il conçoit le plan d’un « congrès ouvrier libre » : il appelle la classe ouvrière à s’auto-organiser, à prendre ses propres affaires en main, à rompre avec les bureaucraties politique et syndicale et à opposer à la guerre la « grève générale active ». Dans son esprit, le « congrès ouvrier libre », une assemblée de délégués ouvriers, sur le modèle des « sections » de Paris pendant la Révolution française, pourrait se substituer au système de gouvernement en place, sous la forme d’un socialisme de conseils.

1912.– Il commence à travailler pour le Börsen-Courier comme critique de théâtre.

En février, il prononce une conférence sur le thème « Judaïsme et socialisme » devant le « groupe local Berlin-Ouest du mouvement sioniste » où, bien qu’il se dise « sioniste aux six septièmes », il s’oppose au sionisme politique, car, rappelle-t-il, il n’existera aucun « peuple », y compris juif, tant que tous les peuples ne seront pas organisés sur la base de communautés socialistes [43].

Parution de l’article « Das Glückhafte Schiff » (La nef fortunée, 15 mai) : la communauté humaine ne vient pas par la voie de la guerre ou de l’État, mais elle naît du travail, de l’entraide, du bon et joyeux voisinage qui soudent ensemble les hommes, les communes et les peuples, en les aidant à surmonter les puissances naturelles hostiles. Landauer fait la proposition de constituer en Europe un vaste territoire neutre et indépendant qui, suivant la ligne des régions-frontières, irait de la Savoie à la mer du Nord, en passant par la Suisse et l’Alsace-Lorraine.

Traduction, et publication dans le Sozialist, d’un extrait des Jours d’exil d’Ernest Cœurderoy : « Une fête universelle à Lisbonne ».

1913.– Il publie, dans le recueil Du judaïsme, édité par l’association des étudiants juifs Bar Kochba de Prague, son texte programmatique : « Sind das Ketzergedanken ? » (Ces pensés sont-elles hérétiques ?) [44]. Combinant anarchisme et judaïsme, repoussant et l’assimilation allemande et le nationalisme juif (« Le fait d’insister sur sa propre nationalité est une faiblesse »), il déclare que la régénération du peuple juif, dont la situation diasporique préfigurerait la communauté qui vient, va de pair avec la régénération de l’humanité tout entière.

Prenant prétexte d’un appel de l’écrivain Paul-Hyacinthe Loyson aux socialistes d’Allemagne et de France, publié dans la revue Les Droits de l’homme, il rédige un essai sur le problème de la guerre franco-allemande. Il critique violemment Gustave Hervé qui vient de retourner sa veste de « sans-patrie » et prend position contre les thèses que Charles Andler avait formulées à propos du « socialisme impérialiste allemand ». L’antimilitarisme et la lutte contre la guerre ne sauraient dépendre des engagements que prendraient les socialistes étrangers d’agir dans le même sens. Et cela, d’autant plus, et de toute façon, qu’on ne peut rien attendre des socialistes de parti, qui ne cherchent qu’à conquérir le pouvoir dans l’État, « régime de violence, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur » :

« Il y a des guerres seulement parce qu’il y a des États ; et il y aura des guerres aussi longtemps qu’il y aura des États. Les pauvres hommes affolés pensent que c’est l’inverse et que les États, avec leur puissance militaire, sont nécessaires pour empêcher l’ennemi de venir et d’assujettir le peuple ; chaque peuple se considère comme pacifique parce qu’il sait qu’il l’est ; et il considère que son voisin est belliqueux parce qu’il croit que le gouvernement du voisin représente l’esprit du peuple. Tous les gouvernements sont belliqueux parce qu’ils ont la violence pour tâche et vocation. Ainsi, celui qui veut vraiment la paix, doit avoir conscience qu’il est, dans chaque pays, pour le moment, seulement le porte-parole d’une toute petite minorité et qu’il ne doit pas subordonner ses résolutions à quelque parti politique que ce soit à l’étranger. Le monde peut sombrer dans la folie la plus folle – du moment que je ne manque pas à mon devoir envers ma conscience. »

Pour Landauer, la lutte contre la guerre doit, donc, se transformer en une lutte pour la réorganisation des peuples dans le sens du socialisme libertaire : « La paix, ce n’est pas l’absence de guerre ; la paix, ce n’est pas une pure négation ; la paix, c’est l’organisation positive de la liberté et de la justice. La paix, c’est l’édification du socialisme. [45] »

En décembre, il participe à la fondation de l’Association d’implantation agricole Communauté à Wittenberg. Mais, déjà, la Ligue socialiste est entrée en déclin.

1914.– En juin, il participe aux activités du Forte-Kreis, cercle de réflexion internationale créé à Postdam dans le but d’empêcher la guerre et d’œuvrer à l’entente entre les peuples (avec Romain Rolland, Walter Rathenau, Martin Buber, etc.). Il se dissout au début la guerre.

Lorsque la guerre éclate – et contrairement à certains de leurs amis, comme Martin Buber, Fritz Mauthner ou Erich Mühsam qui succombent à la fièvre nationaliste –, Gustav Landauer et Hedwig Lachmann restent obstinément fidèles à leurs positions antimilitaristes et pacifistes. Landauer se retrouve de nouveau isolé politiquement.

1915.– Le Sozialist doit suspendre sa parution à la suite de l’incorporation de Max Müller, qui en était l’éditeur, le rédacteur et le compositeur. La diffusion de l’Aufruf zum Sozialismus est interdite. En avril, Landauer se rend en Suisse où il entre en contact avec des écrivains expressionnistes (Ludwig Rubiner, René Schickele) et des socialistes-religieux (Leonhard Ragaz, Jean Matthieu). De retour en Allemagne, un conseil de révision le déclare inapte à la guerre. Il prend part aux activités du Bund Neues Vaterland (Ligue de la nouvelle patrie) qui lutte pour la paix et contre les annexions, et collabore à la revue Der Aufbruch (Renouveau) d’Ernst Joël, organe du mouvement de la jeunesse et d’un socialisme éthique.

En réponse à des critiques qui considèrent que le Sozialist, plutôt que de chercher à découvrir et raviver des manifestations authentiques passées d’esprit communautaire, doit se concentrer sur l’organisation et l’agitation, Landauer écrit :

« Je maintiens que les grands hommes de tous les temps et de tous les peuples doivent nous servir de collaborateurs vivants, et cela surtout tant que les contemporains prétendument vivants ne sont pas à la hauteur de leur tâche. Pour moi, les morts vivent, de même qu’à mes yeux un très grand nombre de vivants sont morts. C’est toujours la malheureuse histoire de camarades qui jugent la feuille non pas par rapport à ce qu’elle leur donne, mais par rapport à la valeur de la propagande qu’offrent les numéros. Le Sozialist est fait pour être lu, pour être lu avec application et réflexion. [46] »

1916.– Dans la Frankfurter Zeitung du 6 février, paraît l’essai « Ein Weg deutschen Geistes » (« Un chemin de l’Esprit allemand »), où il suit la ligne de l’évolution qui mène de Goethe à Georg Kaiser, en passant par A. Stifter.

Il prononce le discours d’ouverture (« Judaïsme et socialisme ») à l’inauguration du Foyer populaire juif où il dispense un cours sur le socialisme.

Au cours de l’été, la Zentralstelle Völkerrecht (Comité central pour le droit international) est fondée par des délégués de la Ligue de la nouvelle patrie et de la Ligue allemande des droits de l’homme. Le Comité entend œuvrer en faveur d’une paix de conciliation. Landauer, qui en dirige la section berlinoise, avait rédigé l’appel constitutif initial avec le libéral Ludwig Quidde.

Il donne plusieurs conférences littéraires sur Shakespeare, Hölderlin, Goethe et Kaiser.

En décembre, il écrit au président américain T.W. Wilson une lettre dans laquelle il avance l’idée d’un nouvel ordre de paix fondée sur une ligue des nations.

1917.– En mai, en raison de la situation du ravitaillement à Berlin, la famille Landauer s’installe à Krumbach, en Bavière.

1918.– Mort de Hedwig Lachmann, le 21 février, d’une pneumonie. Bouleversé, Landauer ne s’en remettra pas. Il se décide, après de longues hésitations, à accepter la proposition qui lui est faite au Théâtre de Düsseldorf d’occuper un poste de dramaturge et de prendre en charge la revue Masken. Mais il n’aura pas le temps de s’installer à Düsseldorf, car la révolution éclate en Bavière le 7 novembre et le nouveau président bavarois, Kurt Eisner, l’invite « aussi vite que sa santé le permet » à venir contribuer à la « révolution des consciences ». Il devient, sur recommandation de Mühsam, membre du Conseil ouvrier révolutionnaire et, ainsi, du Conseil d’ouvriers, de paysans et de soldats de Munich. Il fait également partie du Conseil national provisoire bavarois.

Parution de l’essai Die vereinigten Republiken Deutschlands und ihre Verfassung (Les républiques unies d’Allemagne et leur constitution) : la révolution lui fait entrevoir la possibilité historique d’une Allemagne socialiste, fédéraliste, décentralisée, organisée sur le système des conseils et des corporations, une ligue de républiques allemandes autonomes, chacune enracinée dans sa culture et son histoire propres, en opposition à l’Allemagne prussienne, au jacobinisme bolchevique et à la démocratie parlementaire. Il critique, en particulier, les élections, se prononce contre le vote secret qui, fondé sur l’individu isolé et non pas sur les communautés humaines existantes ou en devenir, parachève, selon lui, l’atomisation des hommes dans la société moderne. Il appelle « à revenir à la démocratie authentique, telle qu’elle est préfigurée dans les assemblées communales et provinciales du Moyen Âge, de Norvège et de Suisse, et en particulier dans les réunions des sections de la Révolution française. [47] »

1919.– En janvier, en faisant paraître ses Briefe aus der französischen Revolution, il s’efforce de recueillir l’expérience de la Révolution française et d’en tirer les enseignements pour la période à venir, en laissant parler les principaux acteurs au travers de leurs lettres. Il publie également une nouvelle édition – dite « édition de la Révolution » – de son Appel au socialisme et un recueil d’articles d’avant-guerre (Rechenschaft). Dans une lettre à son cousin Hugo, il écrit, fidèle à lui-même : « Ce n’est pas la dictature mais l’abolition du prolétariat qui doit être le mot d’ordre » [48].

Le 12 janvier, les résultats de l’USPD d’Eisner aux élections au Parlement régional bavarois sont catastrophiques (2,5 %) ; bien qu’opposé à ces élections, Landauer se présente, à la demande d’Eisner, dans la circonscription de Krumbach, comme candidat « sans-parti » sur une liste de l’USPD : il obtient 92 voix. Le 21 février, Eisner est assassiné alors qu’il se rend au nouveau Parlement pour remettre sa démission à Auer, son successeur – qui est lui grièvement blessé, en représailles, une heure plus tard, en plein Parlement. Landauer prononce le discours funèbre. En réaction, il soumet au Conseil central des propositions visant à prendre des otages pour se protéger et à procéder à des arrestations pour enrayer la « contre-révolution universitaire ». Bien qu’attaché à son idéal de non-violence, il estime que le recours à la force – et à la censure – est parfois nécessaire pour défendre le socialisme des conseils contre les forces de la bourgeoisie.

La classe ouvrière se soulève. La vacance du pouvoir qui s’est ouverte avec les attentats est comblée de nouveau par les conseils. Landauer s’engage, alors, en faveur de la socialisation des moyens de production, ainsi que de la presse, pour briser le monopole idéologique de la contre-révolution. Le 7 avril, le jour de son anniversaire, la « République des conseils » est proclamée à Munich : il devient commissaire du peuple à l’Instruction publique et à la Culture. Les communistes n’y participent pas. Le 13, un putsch des troupes contre-révolutionnaires du gouvernement social-démocrate Hoffmann, réfugié à Bamberg, est repoussé, mais les communistes saisissent l’occasion pour prendre le pouvoir et proclament la deuxième République des conseils (d’Eugen Leviné). Landauer se sent moralement tenu de proposer sa collaboration au nouveau Comité révolutionnaire, qui décline ses services. Il se retire dans la banlieue de Munich, chez la veuve de Kurt Eisner. Le 1er mai, alors que les troupes gouvernementales contre-révolutionnaires reprennent la ville, il est arrêté à la suite d’une dénonciation. « Les gens criaient hourra ! hourra !, tapaient dans les mains et agitaient des mouchoirs. La foule criait : “Réglez-lui son compte à ce chien, ce juif, cette canaille !”. [49] » Le lendemain, il est battu à mort par la soldatesque dans la cour de la prison centrale de Stadelheim. « Tuez-moi donc ! Et vous vous dites des hommes ! » auraient été ses derniers mots [50].

Gaël CHEPTOU

Pour établir ces repères biographiques, nous avons puisé à Ulrich Linse, Gustav Landauer und die Revolutionszeit 1918/1919, Berlin, Karin Kramer, 1974, pp. 269-275 ; Michael Matzigkeit (éd.), « Die beste Sensation ist das Ewige… », Düsseldorf, Droste, 1997, pp. 330-336 ; Margaret Manale et Louis Janover, « Repères biographiques », in : Gustav Landauer, La Révolution, Arles, Sulliver, 2006, pp. 125-141 ; Siegbert Wolf, Gustav Landauer – Ausgewählte Schriften, Band 1 : Internationalismus, Lich, Verlag Edition AV, 2008, pp. 314-322.

Modifié en dernier par bipbip le 17 Avr 2017, 17:13, modifié 1 fois.
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Re: Divers militant-es anarchistes dans l'Histoire

Messagede bipbip » 17 Avr 2017, 16:28

NOTES :

[1] « Vor fünfundzwanzig Jahren » (1913), in : G. Landauer, Zwang und Befreiung, Cologne, Hegner, 1968, pp. 47-53.

[2] « Dühringianer und Marxist », Der Sozialist, 22 octobre 1892, in : Landauer AS 2, pp. 114-121 (ici p. 121).

[3] Encore que, dans le texte « Quelques mots à propos de l’anarchisme » http://www.acontretemps.org/spip.php?article548 (1897), il fasse preuve de compréhension à l’égard des auteurs d’attentats anarchistes et prenne leur défense.

[4] Ein Weg zur Befreiung der Arbeiter-Klasse, Berlin, Adolf Marreck, 1895, p. 6. Voir, dans le même esprit, son texte « Sortir de l’État » http://www.acontretemps.org/spip.php?article550 d’août 1895. Il est à noter que les Œuvres choisies n’ont pas repris la brochure de Landauer. Qui pourrait être rééditée, pourtant.

[5] « Anarchismus-Sozialismus », Der Sozialist, 7 septembre 1895, in : Landauer AS 2, pp. 179-185 (ici, pp. 179-180).

[6] Voir, à ce propos, en particulier, Joachim Willems, Religiöser Gehalt des Anarchismus und anarchistischer Gehalt der Religion ? Die jüdisch-christlich-atheistische Mystik Gustav Landauers zwischen Meister Eckhart und Martin Buber, Albeck bei Ulm, 2001, pp. 23-26, pp. 82-87, et passim.

[7] Plus tard, Kropotkine, à qui Landauer avait fait remarquer la confusion à laquelle pouvait prêter, dans L’Entraide, l’emploi indistinct du mot « individualisme » tout particulièrement en Allemagne [voir plus bas ce que Landauer entend par cette notion], explique qu’il fait une distinction entre l’« individualité », si étroitement liée à l’« entraide », et l’atomisation concurrentielle-capitaliste. Voir la lettre de P. Kropotkine à G. Landauer du 9 novembre 1903, in : Edmund Silberner, « Unbekannte Briefe Peter Kropotkins an Gustav Landauer », Cahiers internationaux d’histoire économique et sociale, n° 9, 1978, pp. 114-115.

[8] « Zur Entwicklungsgeschichte des Individuums », in : Landauer AS 2, pp. 45-68 (ici, p. 68). D’où, par la suite, l’extrême méfiance de Landauer envers toutes les expériences d’épanouissement de la personnalité ; d’où son rejet catégorique tant de la psychanalyse freudienne que des formes de vie nouvelles et sans attaches de la bohème ; d’où, enfin, sa violence polémique à l’égard d’Otto Gross qui, dans le mouvement anarchiste, était la figure où semblaient se rejoindre les diverses tentatives de « réalisation de soi-même ». Sur ce sujet, on lira l’étude de Guillaume Paoli, Landauer, Gross, Mühsam : histoires de famille http://www.acontretemps.org/spip.php?article553 , publiée dans ce numéro.

[9] Cité d’après : Siegbert Wolf, Gustav Landauer zur Einführung, Hambourg, 1988, p. 13.

[10] Ibid., p. 21. Voir aussi « Quelques mots à propos de l’anarchisme » http://www.acontretemps.org/spip.php?article548 (10 juillet 1897), texte reproduit dans ce numéro, où il est dit : « … l’anarchisme ne peut pas, à notre époque, être un mouvement de masse, mais seulement un mouvement d’individus, de pionniers. […] En Allemagne, une grande partie des ouvriers commence à se réjouir plus ou moins ouvertement qu’il y ait des anarchistes dans leur pays, tout en considérant qu’il n’est pas possible pour eux d’être anarchiste ou qu’il n’est pas nécessaire qu’ils le soient. »

[11] Selon Rudolf Rocker, Im Sturm der Zeiten, manuscrit IISG, p. 70.

[12] « Der Dichter als Ankläger », Der Sozialist, 5 février 1898, in : Laudauer AS 1, pp. 62-68. Ce n’est que sous l’impulsion de Buber, vers 1908-1910, que Landauer, redécouvrant son identité juive, va se préoccuper réellement du judaïsme et de l’antisémitisme.

[13] Voir l’étude de Walter Fähnders et Christoph Knüppel « Gustav Landauer et Les Mauvais Bergers » http://www.acontretemps.org/spip.php?article552 – Cahiers Octave Mirbeau, n° 3, 1996, pp. 73-90 –, reprise, en version révisée, dans ce numéro.

[14] Lettre à Hedwig Lachmann du 10 mars 1899 (Landauer Lebensgang, op. cit., tome 1, p. 12). Joachim Willems estime que Landauer tendait alors à s’identifier à Eckhart, cf. Religiöser Gehalt des Anarchismus, op. cit., p. 31.

[15] Kropotkine exprime cette même et grandiose vision unitaire de l’espèce dans son langage scientifique-scientiste : « Quand le physiologue parle de la vie d’une plante ou d’un animal, il y voit plutôt une agglomération, une colonie de millions d’individus séparés, qu’une personnalité unie et indivisible. Il vous parle d’une fédération d’organes digestifs, sensuels, nerveux, etc., tous très intimement liés entre eux, tous subissant le contrecoup du bien-être ou du malaise de chacun, mais vivant chacun de sa vie propre. Chaque organe, chaque portion d’organe, à son tour, est composé de cellules indépendantes qui s’associent pour lutter contre les conditions défavorables à leur existence. L’individu est tout un monde de fédérations, il est tout un “cosmos” à lui seul ! […] Bref, chaque individu est un cosmos d’organes, chaque organe est un cosmos de cellules, chaque cellule est un cosmos d’infiniment petits ; et dans ce monde complexe, le bien-être de l’ensemble dépend entièrement de la somme de bien-être dont jouit chacune des moindres parcelles microscopiques de la matière organisée. » (P. Kropotkine, L’Anarchie. Sa philosophie. Son idéal. Conférence qui devait être faite le 6 mars 1896 dans la salle de Tivoli-Vauxhall à Paris, Paris, Stock, 1896, pp. 11-12.)

[16] « Durch Absonderung zur Gemeinschaft », in : Landauer AS 7, pp. 131-148. L’influence de Maître Eckhart sur sa pensée est ici manifeste : Eckhart considère que tout individu porte en lui une petite étincelle divine, le « fond de l’âme » (Seelengrund), et qu’il peut parvenir à l’unio mystica, à l’union avec Dieu, s’il se concentre tout entier sur ce « Dieu en moi », par le « détachement » (Abgeschiedenheit), par le renoncement au monde et le dépouillement total de soi. Selon Eckhart, seul l’individu vraiment « pauvre en esprit » peut laisser la divinité « percer » en lui. « […] Car il n’y a vraiment de pauvreté en esprit que lorsque l’homme est à tel point libéré de Dieu et de toutes ses œuvres que Dieu, s’Il voulait opérer dans l’âme, devrait être lui-même le Lieu de son opération » (traduction : Alain de Libera, in : Eckhart, Traités et sermons, Paris, Flammarion, 1995, p. 353). Voir Joachim Willems, Religiöser Gehalt, op. cit., pp. 62-67.

[17] Landauer avait déjà traduit des textes de Déjacque, notamment l’article du Libertaire intitulé « L’autorité – La dictature » (connu plus tard sous le titre « À bas les chefs ! ») qui parut dans le Sozialist en octobre 1895.

[18] Le couple part aussi en Angleterre pour échapper au déshonneur social en Allemagne, puisque Landauer est encore marié et qu’un divorce d’avec Margarethe Leuschner est impossible en raison de son état de santé.

[19] Selon Max Nettlau, cité par Heiner Becker, op. cit., p. 112.

[20] « Peter Kropotkin », Der Sozialist, Noël 1912, 15 janvier et 15 février 1913, in : Landauer AS 1, pp.191-204. Bien qu’il l’ait annoncé à plusieurs reprises, il n’est jamais entré dans une critique de fond des idées de Kropotkine.

[21] Pierre Kropotkine, La Conquête du pain, Paris, Stock, 1892 (deuxième édition), p. 34 (souligné dans le texte).

[22] « Anarchistische Gedanken über Anarchismus », Die Zukunft, vol. 37, n° 4, 1901, pp. 134-140, in : Landauer AS 2, pp. 274-281 (ici, p. 277.)

[23] Laquelle est la mère du cinéaste américain Mike Nichols (1931-2014).

[24] G. Landauer, La Révolution, op. cit., p. 39.

[25] Ibid., p. 55.

[26] Voir « Les syndicalistes révolutionnaires français » http://www.acontretemps.org/spip.php?article543, texte représentatif reproduit dans de ce numéro.

[27] « Der erste Mai », Der Sozialist, 1er mai 1909, in : Landauer AS 3, pp. 78-83.

[28] Voir Matzigkeit, op. cit., pp. 130-131 (lettre à Max Nettlau du 10 août 1910).

[29] Pierre Kropotkine, L’Entraide, un facteur de l’évolution, Montréal, Ecosociété, 2001, p. 340.

[30] « Polizisten und Mörder », Der Sozialist, 13 octobre 1910, in : G. Landauer, Der werdende Mensch, Postdam, 1921, pp. 73-77. [Non repris apparemment – la chose est surprenante – par Siegbert Wolf dans les Œuvres choisies].

[31] Voir Joachim Willems, op. cit., p. 178.

[32] « Schwache Staatsmänner, schwächeres Volk ! », Der Sozialist , 15 juin 1910. Texte reproduit dans ce numéro http://www.acontretemps.org/spip.php?article540.

[33] On lit par exemple, en 1925, les lignes suivantes à propos de Landauer dans L’Internationale, l’organe théorique de la FAUD : « Pour nous, il est clair que son Aufruf zum Sozialismus est son œuvre la plus importante ; nous considérons que c’est même ce qu’on a écrit de meilleur en Allemagne sur le socialisme » (Fritz Oerter, « Gustav Landauer », L’Internationale, 1925, n° 4, pp. 23-28, ici p. 25.)

[34] Aufruf zum Sozialismus, Francfort/Main, EVA, 1967, p. 108.

[35] Ibid., pp. 97-98.

[36] Ibid., p. 93. Certains passages du livre rappellent, d’ailleurs, la lettre de Marx à Vera Zassoulitch.

[37] Ibid., respectivement p. 133 et p. 122.

[38] [pour reprendre une expression qu’il emploie dans son article « Schwache Staatsmänner, schwächeres Volk ! » http://www.acontretemps.org/spip.php?article540.

[39] Pour Stirner, on sait que, par exemple, « le droit est une marotte dont nous a gratifié un fantôme » (L’Unique et sa propriété, traduction de Robert L. Reclaire, Paris, Stock, 1900, p. 251.)

[40] « Individualismus », Der Sozialist, 15 juillet 1911, in : Landauer AS 2, pp. 83-89.

[41] Ibid.

[42] « Brot », Der Sozialist, 1er juin 1911, in : Landauer AS 3, pp. 83-86.

[43] « Judentum und Sozialismus », in : Landauer AS 5, pp. 347-351.

[44] « Sind das Ketzergedanken ? », Ibid., pp. 362-368.

[45] « Deutschland, Frankreich und der Krieg », Der Sozialist, 1er mars 1913, in : Landauer AS 4, pp. 153-164.

[46] Ulrich Linse, Organisierter Anarchismus im deutschen Kaiserreich von 1871, Berlin, 1969, pp. 298-299.

[47] « Die vereinigten Republiken Deutschlands und ihre Verfassung », in : Landauer AS 4, pp. 254-260, ici p. 256.

[48] Lettre de Gustav Landauer à Hugo Landauer, du 29 janvier 1919, in : Lebensgang, op. cit., tome 2, p. 369.

[49] D’après une lettre d’Else Eisner, citée par S. Wolf, Landauer AS 4, p. 40.

[50] Rocker, op. cit., p. 123.


http://www.socialisme-libertaire.fr/201 ... dauer.html
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Re: Divers militant-es anarchistes dans l'Histoire

Messagede bipbip » 11 Mai 2017, 20:22

Valence (26) vendredi 12 mai 2017

Lecture-débat autour de l’œuvre d’Armand Robin au Laboratoire Anarchiste

Lecture-débat au Laboratoire anarchiste, 8, place Saint Jean, à Valence, le vendredi 12 mai 2017 à partir de 20h

Lecture de textes choisis d’Armand Robin, précédée d’une présentation de sa vie et de son œuvre, par Jean-Marie Sauvage, enseignant à l’École supérieure d’art et design Grenoble-Valence.

Armand Robin (1912-1961) est né dans une très modeste famille de cultivateurs bretons dont il est le huitième et dernier enfant. Très doué dans l’apprentissage des langues étrangères, il traduira en français une centaine d’auteurs à partir d’une vingtaine de langues différentes (allemand, russe, arabe, chinois, etc.).

Grâce à ce fabuleux bagage, il va pouvoir se mettre, à partir de 1941, à l’écoute des radios étrangères et rédiger des bulletins spécialisés dans l’analyse de la situation politique internationale.

En 1945, il adhère à la Fédération anarchiste et collabore jusqu’en 1955 au journal Le Libertaire. Figure importante du groupe du XVe arrondissement, il y fait la connaissance de Georges Brassens.

Sa définition de l’anarchie sera : être « purifié volontairement, par une révolution intérieure, de toute pensée et de tout comportement pouvant d’une façon quelconque impliquer domination sur d’autres consciences ».

Arrêté le 28 mars 1961, il est conduit au commissariat de son quartier, puis à l’infirmerie du dépôt de la préfecture de police, et meurt le lendemain dans des circonstances qui n’ont jamais été élucidées.

Jean-Marie Sauvage

Bibliographie sommaire :
- « Ma vie sans moi » suivi de « Le monde d’une voix » et de « Le programme en quelques siècles », aux Éditions Gallimard, 1970, et Poésie/Gallimard, 2004, 254 p.
- « La fausse parole », Éditions de Minuit, 1953 et Le temps qu’il fait, 1979, 143 p.
- « Expertise de la fausse parole », Éditions Ubacs, 1990, 163 p.
- « Françoise Morvan : Armand Robin : bilan d’une recherche, thèse d’Etat », Université de Lille III, 1990, 3 tomes,2685 p.

https://grenoble.indymedia.org/2017-05- ... aboratoire
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Re: Divers militant-es anarchistes dans l'Histoire

Messagede bipbip » 10 Juin 2017, 17:01

Mollie Steimer : Une vie Anarchiste
de Paul Avrich.

Mollie Steimer : Une vie Anarchiste

Le 23 juillet 1980, Mollie Steimer est morte d’une crise cardiaque dans la ville mexicaine de Cuernavaca, mettant fin à une vie d’activité ininterrompue au service de la cause anarchiste. Au moment de sa mort, Steimer était une des dernières figures connues étroitement liée avec Emma Goldman et Alexander Berkman. Elle était aussi une des dernières anarchistes d’une époque révolue avec une réputation internationale, la survivante d’un groupe remarquable d’exilés politiques russes au Mexique qui comprenaient des personnalités aussi différentes que Jacob Abrams, Victor Serge et Léon Trotsky.

Lorsque son cœur a lâché, Steimer avait quatre-vingt deux ans. Née le 21 novembre 1897, dans le village de Dunaevtsy au sud-ouest de la Russie, elle a émigré aux États-Unis en 1913 avec ses parents et cinq frères et sœurs. Âgée seulement de quinze ans à son arrivée, elle a commencé immédiatement à travailler dans une usine de confection pour aider financièrement sa famille. Elle a commencé aussi à lire de la littérature radicale , commençant avec Women and Socialism de Bebel (1) et Underground Russia de Stepniak (2) avant de découvrir les œuvres de Bakounine, Kropotkine et Goldman. En 1917, Mollie était devenue une anarchiste. Avec le déclenchement de la révolution russe, elle a plongé dans l’agitprop, en rejoignant un groupe de jeunes anarchistes réuni autour d’un journal clandestin yiddish intitulé Der Shturm (La Tempête). Déchiré par des dissensions internes, le groupe Shturm s’est réorganisé vers la fin de l’année, adoptant le nom de Frayhayt (Liberté) et lançant un nouveau journal du même nom, dont cinq numéros parurent entre janvier et mai1918, avec des dessins de Robert Minor (3) et des articles de Maria Goldsmith (4) et Georg Brandes (5), entre autres. Pour devise, les éditeurs avaient choisi la célèbre maxime de Henry David Thoreau, « Le gouvernement le meilleur est celui qui ne gouverne pas du tout » (en yiddish: « Yene regirung iz dibeste, velkhe regirt in gantsn nit »), une prolongation du « Le gouvernement le meilleur est celui qui gouverne le moins » de Jefferson

Le groupe Frayhayt était constitué d’environ une douzaine de jeunes hommes et femmes, ouvrier-es juifs originaires de l’Europe de l’est, qui se réunissaient régulièrement au 5 East 104th Street dans Harlem, ou plusieurs d’entre eux, dont Steimer, partageaient un appartement de six pièces. La figure la plus active de groupe, mise à part Mollie elle-même, était Jacob Abrams, 32 ans, qui avait immigré de Russie en 1906. En 1917, comme secrétaire du syndicat des relieurs, Abrams s’était efforcé d’empêcher l’ extradition de Alexander Berkman à San Francisco, où les autorités cherchaient à l’impliquer dans la célèbre affaire du dynamitage Mooney-Billings (6). Une autre membre du groupe était Mary, la femme de Abrams, une survivante de l’incendie tragique du Triangle Shirtwaist de 1911 (7) , dont elle réussit à s’échapper avec des blessures mineures en sautant par une fenêtre. Le reste du groupe comprenait Hyman Lachowsky, un imprimeur, Samuel Lipman, 22 ans et plus marxiste qu’anarchiste, Ethel Bernstein la compagne de Lipman, sa sœur Rose Bernstein, Jacob Schwartz, Sam Hartman, Bernard Sernaker (dont les filles, Germinal et Harmony, étaient à la Ferrer School de Stelton), Clara Larsen, Sam et Hilda Adel (oncle et tante de l’écrivain Léon Edel), et Zalman et Sonya Deanin.

Le groupe, comme collectif, éditait et distribuait clandestinement ses journaux. Par nécessité car il avait été déclaré illégal par le gouvernement fédéral pour son opposition à l’effort de guerre américain, pour ne pas parler de ses orientations anti-capitaliste, pro-révolutionnaire et pro-soviet (Son en-tête proclamait « la seule guerre juste est la révolution sociale »). Imprimant le journal sur une presse à main, le groupe le pliait serré et le glissait de nuit dans les boîtes aux lettres à travers la ville. Les autorités locales et fédérales eurent bientôt vent de leurs activités mais étaient incapables de remonter jusqu’à ses membres jusqu’à ce que survienne un incident qui catapulta Abrams, Steimer et leurs camarades dans les unes des journaux – et les fit atterrir en prison.

Ce fut le débarquement des troupes américaines en Russie durant le printemps et l’été 1918 qui provoqua cet incident. Considérant cette intervention comme une manœuvre contre-révolutionnaire, les membres du groupe Frayhayt décidèrent de l’arrêter. Pour cela, ils rédigèrent deux tracts , un en anglais, l’autre en yiddish, appelant les ouvriers américains à déclencher une grève général. « Permettrez-vous que la révolution russe soit écrasée ? » demandait le tract en anglais. « Oui ; vous, c’est à vous que l’on s’adresse, le peuple d’Amérique ! LA RÉVOLUTION RUSSE APPELLE A L’AIDE LES OUVRIERS DU MONDE. La révolution russe crie : ‘OUVRIERS DU MONDE ! RÉVEILLEZ-VOUS ! LEVEZ-VOUS ! ABATTEZ VOTRE ENNEMI ET LE MIEN !’ Oui, les amis, les travailleurs à travers le monde n’ont qu’un ennemi et c’est le CAPITALISME » Le tract en yiddish contenait un message semblable: « Ouvriers, notre réponse à l’intervention barbare doit être une grève générale ! Une contestation publique fera savoir au gouvernement qu’il n’y a pas que les ouvriers russes qui combattent pour la liberté , mais que l’esprit de la révolution vit aussi ici, en Amérique. Ne laissez pas le gouvernement vous effrayer avec ses peines de prison démentes, ses pendaisons et ses fusillades. Nous ne devons pas trahir, et ne trahirons pas, les magnifiques combattants de Russie. Ouvriers, battons-nous ! »

Chaque version du tract fut tiré à cinq mille exemplaires. Steimer en distribua la majeure partie à travers. Puis, le 23 août 1918, elle emmena le restant à l’usine dans lower Manhattan où elle travaillait, en distribua un certain nombre et jeta le reste d’une fenêtre des toilettes à l’étage. En atterrissant dans la rue en dessous, ils furent ramassés par un groupe d’ouvriers qui prévinrent immédiatement la police. Celle-ci, à son tour, alerta les services de renseignements de l’armée qui envoyèrent deux sergents à l’usine. En se déplaçant d’un étage à l’autre, ils rencontrèrent un jeune ouvrier, Hyman Rosansky, une récente recrue du groupe Frayhayt, qui avait aidé à la distribution des tracts. Rosansky avoua sa participation, se transforma en indic et impliqua le reste de ses camarades .

Steimer fut rapidement placée en détention préventive, avec Lachowsky et Lipman. Le même jour, la police fit une descente au quartier général du groupe au East 104th Street, saccageant l’appartement et arrêtant Jacob Abrams et Jacob Schwartz, frappés à coups de poings et de matraques sur le chemin du commissariat. Lorsqu’ils arrivèrent, ils furent frappés à nouveau. Schwartz crachait du sang. Peu après, Lachowsky fut amené, couvert de contusions et en sang, avec des poignées de cheveux arrachés. Durant les jours suivants, le reste du groupe fut arrêté et questionné. Quelques-uns furent relâchés, mais Abrams, Steimer, Lachowsky, Lipman et Schwartz, avec un ami du nom de Gabriel Prober, furent accusés de conspiration ayant pour but de violer le Sedition Act (8), voté par le Congrès plus tôt dans l’année. Rosansky, qui avait coopéré avec les autorités, eut droit à l’ajournement de son procès.

La cas Abrams, nom sous lequel il allait être connu, constitue un fait marquant dans la répression des libertés civiles aux États-Unis. Comme la plus importante poursuite judiciaire sous le Sedition Act, il est cité par toutes les sources historiques sur le sujet, comme l’une des violations les plus flagrantes du droit constitutionnel durant l’hystérie de la Peur Rouge qui suivit la première guerre mondiale.

Le procès, qui dura deux semaines, s’ouvrit le 10 octobre 1918, au Tribunal Fédéral de New York. Les accusés étaient Abrams, Steimer, Schwartz, Lachowsky, Lipman et Prober. Schwartz, cependant, n’apparut jamais lors du procès. Sévèrement battu par la police, il avait été transféré à l’hôpital de Bellevue, où il est mort le 14 octobre, pendant le déroulement du procès. Les compte-rendus officiels attribuent son décès à la grippe espagnole, une épidémie qui faisait alors rage. Pour ses camarades, néanmoins, Schwartz avait été brutalement assassiné. Ses funérailles se transformèrent en manifestation politique; et le 25 octobre, une manifestation à sa mémoire, présidée par Alexander Berkman, fut organisée en son honneur au Parkview Palace. Mille deux cents personnes en deuil y assistèrent et entendirent des discours par John Reed (9), qui avait été lui-même arrêté pour avoir condamné l’intervention américaine en Russie , et Harry Weinberger, l’avocat de la défense dans le cas Abrams, qui avait précédemment représenté Berkman et Goldman dans leur procès de 1917 pour leur opposition au service militaire (10). Il servira peu après de conseiller juridique à Ricardo Flores Magon (11) dans sa tentative pour sa libération de prison.

Le cas Abrams a été jugé par Henry DeLamar Clayton, qui avait été député de l’Alabama pendant dix-huit ans au Congrès. Clayton a démontré être un autre Gary ou Thayer, les juges dans les cas Haymarket et Sacco-Vanzetti. Il a posé des questions sur « l’amour libre » des accusés et s’est moqué d’eux et les a humilié à chaque occasion. « Vous parlez sans cesse de producteurs, » avait-il dit à Abrams. « Alors puis-je vous demander pourquoi vous ne partez pas pour produire ? Il y a un tas de terres non cultivées qui ont besoin d’attention dans ce pays. » Lorsque Abrams, à un autre moment, s’est qualifié d’anarchiste et a ajouté que le Christ était aussi un anarchiste, Clayton l’a interrompu : « Notre Seigneur n’est pas en procès ici . Vous, si. » Abrams a commencé à répondre : « Lorsque nos ancêtres de la révolution américaine »- mais il ne put aller plus loin. Clayton : « Vos quoi ? » Abrams : « Mes ancêtres. » Clayton : « Voulez-vous dire que vous faites référence aux pères de cette nation comme étant vos ancêtres ? Je pense que vous pouvez laisser tomber aussi parce que Washington et les autres ne sont pas en procès ici. » Abrams expliqua qu’il y avait fait référence parce que « J’ai du respect pour eux. Nous sommes une grande famille humaine et j’ai dit ‘nos ancêtres’. Ceux qui se rangent du côté du peuple, je les appelle pères. »

Weinberger, l’avocat de la défense, s’efforça de démontrer que le Sedition Act avait pour but de pénaliser les activités qui entravaient la conduite de la guerre et que, puisque l’intervention américaine n’était pas dirigée contre les allemands et leurs alliés, alors l’opposition des accusés ne pouvait pas être interprétée comme une interférence avec l’effort de guerre. Cet argument fut cependant rejeté par le juge Clayton avec la remarque que « les fleurs qui s’épanouissent au printemps, tra la, n’ont rien à voir avec le cas. » Le New York Times, louant les « méthodes à demi humoristiques » du juge, écrivit qu’il méritait « les remerciements de la ville et du pays pour la façon dont il avait conduit le procès. » Upton Sinclair (12), au contraire, affirma que Clayton avait été importé d’Alabama pour protéger la démocratie contre Hester Street. (13)

Avant la conclusion du procès, Mollie Steimer prononça un vibrant discours où elle expliqua ses opinions politiques. « Par anarchisme, » déclara t’elle « j’entends un nouvel ordre social, ou aucun groupe humain ne sera gouverné par aucun autre humain. La liberté individuelle, dans tous les sens du terme, prévaudra. La propriété privée sera abolie. Chaque personne se verra offerte l’opportunité de se construire, aussi bien intellectuellement que physiquement. Nous n’aurons plus à lutter pour notre vie quotidienne comme nous le faisons maintenant. Personne ne vivra sur le travail des autres. Chacun produira du mieux qu’il le peut et en profitera selon ses besoins. Au lieu de nous échiner à gagner de l’argent, nos efforts porteront sur l’éducation, la connaissance. Alors que actuellement les peuples du monde sont divisés en différents groupes, qui se nomment nations, et que les nations se défient les unes les autres – se considérant comme concurrentes – les travailleurs à travers le monde se tendront les mains avec un amour fraternel. Je consacrerai toute mon énergie et, si nécessaire, donnerai ma vie pour l’accomplissement de cette idée. »

Avec Clayton aux manettes, la conclusion du procès était prévisible. Le jury déclara tous les accusés coupables, sauf un (Prober fut acquitté de toutes les charges). Le jour de la sentence, le 25 octobre, Samuel Lipman s’avança et commença à s’adresser à la cour au sujet de la démocratie. « Vous ne savez rien de la démocratie, » l’interrompit le juge Clayton, « et la seule chose que vous comprenez c’est le cauchemar de l’anarchie. » Clayton condamna les trois hommes, Lipman, Lachowsky et Abrams, à la peine maximale de vingt ans de prison et à 1 000 $ d’amende ; Steimer fut condamnée à quinze ans et à 500$ d’amende. (Rosansky, dans un procès séparé, s’en sortit avec trois ans.)

La barbarie des sentences pour une distribution de tracts choqua à la fois les libéraux et les radicaux. Un groupe de membres de la faculté de droit de Harvard, conduit par Zechariah Chafee (14), protestèrent contre le fait que les accusées avaient été condamnés uniquement parce qu’ils plaidaient pour une non-intervention dans les affaires d’une autre nation, en clair, pour avoir exercé leur droit à la liberté d’expression. « Après s’être enorgueillis depuis plus d’un siècle d’être un asile pour tous les opprimés du monde, » déclara le professeur Chafee, « nous ne devons pas soudainement adopter l’idée que nous ne sommes qu’un asile pour les hommes moins radicaux que nous. Supposons que l’Angleterre monarchiste ait adopté une telle position envers le républicain Mazzini ou l’anarchiste Kropotkine ! »

« Tous les membres de la faculté de droit » se joignirent à Chafee pour rédiger une pétition demandant l’amnistie, y compris de distingués juristes comme Roscoe Pound et Felix Frankfurter. Des pétitions semblables furent signées par Norman Thomas, Hutchins Hapgood, Neith Boyce, Leonard Abbott, Alice Stone Blackwell, Henry Wadsworth Longfellow Dana, et Bolton Hall. A Detroit, Agnes Inglis, la future conservatrice de la Labadie Collection à l’Université du Michigan (15), prit la défense des accusés. Un anarchiste italien de la même ville écrivit une pièce de théâtre et la joua avec ses camarades.

En outre, deux organisations de New York vinrent à l’aide des prisonniers, qui firent appel devant la Court Suprême des États-Unis. La première était la League for the Amnesty of Political Prisoners (16), présidée par Pryns Hopkins, avec M. Eleanor Fitzgerald pour secrétaire et Leonard Abbott, Roger Baldwin, Lucy Robins, Margaret Sanger et Lincoln Steffens comme membres du conseil consultatif, publia un tract sur le cas Is Opinion a Crime ? Le second groupe, le Political Prisoners Defense and Relief Committee, fut organisé par Sam et Hilda Adel, avec d’autres anciens membres du groupe Frayhayt, soutenu par le Fraye Arbeter Shtime, (17) le Workmen’s Circle (18), et la Bookbinders’ Union, dont Abrams avait été secrétaire. En 1919, il publia un pamphlet de vingt-deux pages intitulé Sentenced to Twenty Years Prison, qui constitue une source d’information précieuse sur le cas. (Une traduction russe a été publié par la Union of Russian Workers aux Etats-Unis et au Canada.)

Pendant ce temps, les quatre anarchistes avaient été libérés sous caution en attendant le résultat de leur appel. Steimer avait repris immédiatement ses activités militantes. Pendant les onze mois suivants, elle fut arrêtée pas moins de huit fois, placée en garde à vue au commissariat pendant de courtes périodes, libérée puis arrêtée de nouveau, parfois sans aucun prétexte. Le 11 mars 1919, elle est arrêtée à la Russian People’s House au East 15th Street lors d’une descente de la police locale et fédérale qui prit 164 militants dans ses filets, certains d’entre eux étant emprisonnés sur le Buford avec Goldman et Berkman. Accusée d’incitation à l’émeute, Steimer fut détenue pendant huit jours dans les célèbres Tombs (19) avant d’être libéré avec une caution de 1 000$, seulement pour être arrêtée de nouveau et déportée sur Ellis Island. Enfermée vingt quatre heures sur vingt quatre, privée d’exercices et de plein air et du droit de rencontrer les autres prisonniers, elle commença une grève de la faim jusqu’à ce que les autorités changent ses conditions d’emprisonnement. Emma Goldman se désola que « Tout l’appareil du gouvernement américain a été utilisé pour écraser cette femme pesant moins de 37 kilos ».

Le gouvernement, cependant, n’était pas prêt à déporter la prisonnière de vingt et un an, dont le cas était encore examiné par la justice. Libérée de Ellis Island, Mollie fut gardée sous surveillance constante. A l’automne 1919, Lorsque Goldman revint à New York après avoir accompli une peine de deux ans au pénitencier fédéral de Jefferson City, Missouri, Mollie saisit l’occasion de faire appel à elle. Ce fut le début d’une amitié durable. Mollie rappelait à Emma les femmes russes révolutionnaires, sous le tsar, solides, ascétiques et idéalistes, qui « sacrifiaient leur vie presque avant même d’avoir commencé à vivre. » Selon la description de Emma, Mollie était « minuscule et d’un aspect étrange, japonais par sa stature et son apparence. » C’était une femme merveilleuse, ajoutait Emma, « avec une volonté de fer et un cœur tendre, » mais » aux idées terriblement ancrées. » « Une sorte de Alexander Berkman en jupe, » disait elle en plaisantant à sa nièce Stella Ballantine.

Peu après sa rencontre avec Goldman, Steimer fut de nouveau arrêtée. Elle fut emprisonnée sur Blackwell’s Island, où elle resta six mois, du 30 octobre 1919 au 29 avril 1920. Confinée dans une cellule immonde, isolée une fois de plus de ses camarades prisonniers et privée de tout contact avec le monde extérieur, elle protestait en chantant à tue-tête « The Anarchist March » et autres chants révolutionnaires et en commençant une autre grève de la faim.

Pendant ce temps, la Cour Suprême avait confirmé le jugement de Mollie et de ses camarades. Deux de ses membres néanmoins, Louis Brandeis et Oliver Wendell Holmes, avaient émis fortement une opinion différente, en convenant avec les accusés que leur but avait été d’aider la Russie et non de gêner l’effort de guerre. « Dans ce cas, » écrivit Holmes, « les peines de vingt années d’emprisonnement ont été prononcées pour la publications de deux tracts que les accusés avaient autant le droit de publier que le gouvernement ne l’avait pour la Constitution des États-Unis qu’ils invoquent aujourd’hui en vain. »

Lorsque la Cour Suprême annonça sa décision, Abrams, Lipman et Lachowsky essayèrent de s’enfuir et de gagner le Mexique via New Orleans. Repérés par des agents fédéraux, leur bateau fut arraisonné en mer, les hommes capturés et conduits à la prison fédérale de Atlanta, d’où Berkman venait juste d’être libéré, en attente de son extradition en Russie. Comme lui, Abrams et ses camarades passèrent deux années dans la prison de Atlanta prison, de décembre 1919 à novembre 1921. Steimer, qui avait été informée de leurs plans d’évasion, avait refusé de coopérer parce que cela signifiait perdre les 40 000$ de caution réunie par des ouvriers ordinaires. Elle pensait que ce serait peu honnête de décevoir des femmes et des hommes qui leur étaient venus en aide. En avril 1920, elle fut transférée de Blackwell’s Island à Jefferson City, Missouri, où Goldman avait été emprisonnée avant sa déportation avec Berkman en décembre 1919.

Mollie resta à Jefferson City pendant dix huit mois. Depuis son procès, sa vie était pleine d’événements tragiques. En plus de ses incarcérations répétées, un de ses frères était mort de la grippe et son père était mort à la suite du choc provoqué par sa condamnation. Elle refusait néanmoins de sombrer dans le désespoir. Dans une lettre à Weinberger, elle citait un poème de Edmund V. Cooke :

« You cannot salt the eagle’s tail, Nor limit thought’s dominion ; You cannot put ideas in jail, You can’t deport opinion. » (20)

Pendant ce temps, Weinberger, avec le soutien du Political Prisoners Defense and Relief Committee, avait essayé d’obtenir la libération de ses clients en échange de leur expulsion vers la Russie. Abrams et Lipman étaient en faveur d’un tel arrangement, mais Lachowsky et Steimer étaient opposés au principe. Mollie était particulièrement inflexible. « Je pense, »dit elle à Weinberger, « que chaque personne devrait pouvoir vivre là où elle le choisit. Aucun groupe ou individu n’a le droit de m’expulser de ce pays ou de tout autre ! » En outre, elle était préoccupée au sujet des autres prisonniers politiques qui restaient derrière les barreaux, en Amérique. « Ce sont aussi mes camarades et je pense qu’il est profondément égoïste et contraire à mes principes d’anarchiste communiste de demander ma libération et celles de trois autres alors que des milliers d’autres prisonniers politiques croupissent dans les prisons américaines. »

Abrams, exaspéré par l’attachement entêté de Steimer à ses principes, donna un conseil à Weinberger . « Elle doit être approchée comme une Bonne Chrétienne, » écrit il, « avec une bible de Kropotkine ou Bakounine. Sinon, vous échouerez. » Finalement, un accord fut trouvé et Weinberger obtint la libération des quatre prisonniers, avec la condition qu’ils partent pour la Russie à leurs propres frais, et ne reviennent jamais aux États-Unis. Le Political Prisoners Defense and Relief Committee entreprit une souscription pour payer leur voyage et le 21 novembre, Steimer et les autres arrivèrent à Ellis Island pour attendre leur expulsion. Ils étaient loin d’être fâchés de quitter l’Amérique. Au contraire, ils étaient impatients de retourner dans leur pays natal et de travailler à la révolution. Comme l’a écrit leur camarade Marcus Graham : « Leur énergie est encore plus utile en Russie. Car là-bas, un gouvernement fait sa loi en se cachant derrière le nom de ’prolétariat’ tout en faisant tout ce qui est imaginable pour le réduire à l’esclavage. »

Bien que tous ses amis et sa famille entière restaient aux États-Unis, Mollie avait le cœur léger à l’idée de retourner en Russie. « Je défendrai mon idéal, l’anarchisme communiste, quel que soit le pays où je me trouverai » dit elle à Harry Weinberger cinq jours avant son expulsion. Deux jours après, le 21 novembre 1921 un dîner d’adieu fut organisé au restaurant Allaire au East 17th Street en honneur des quatre jeunes anarchistes, avec des prises de parole de Weinberger, Leonard Abbott, Harry Kelly, Elizabeth Gurley Flynn, Norman Thomas, parmi d’autres. De sa cellule sur Ellis Island Mollie envoya un appel à tous « les amoureux de la liberté américains » pour qu’ils se joignent à la révolution sociale.

Le 24 novembre 1921, Mollie Steimer, Samuel Lipman, Hyman Lachowsky et Jacob Abrams, accompagné de sa femme, Mary, partirent pour la Russie sur le SS Estonia. Le Fraye Arbeter Shtime publia un avertissement. Malgré leur opposition à l’intervention américaine et leur soutien au régime bolchevique, prédisait le journal, ils pouvaient bien ne pas recevoir l’accueil qu’ils attendaient, car la Russie n’était plus un havre pour les révolutionnaires sincères mais plutôt un pays autoritaire et répressif. La prédiction devait se réaliser bientôt. Victimes de la Peur Rouge en Amérique, ils devinrent les victimes de la Terreur Rouge en Russie. Arrivés à Moscou le 15 décembre 1921, ils apprirent que Goldman et Berkman étaient déjà partis pour l’occident , ayant perdu leurs illusions suite à la tournure prise par la révolution. (La déception de Steimer de les avoir ratés fut « extrême », écrivit-elle à Weinberger). Kropotkine était mort en février et la révolte de Kronstadt avait été réprimée en mars. L’armée insurgée de Makhno avait été dispersée, des centaines d’anarchistes croupissaient en prison et les soviets des ouvriers et paysans étaient devenus les instruments de la dictature du parti, cache-sexe d’une nouvelle bureaucratie.

Il y avait cependant quelques rayons de lumière à travers cette obscurité. Abrams créa la première blanchisserie à vapeur de Moscou, dans le sous-sol du ministère des affaires étrangères soviétique. En même temps, il put travailler avec ses camarades anarcho-syndicalistes à la maison d’édition Golos Truda (21), qui n’avait pas encore été interdit. Lipman retrouva sa compagne Ethel Bernstein, qui avait été expulsée avec Berkman et Goldman sur le Buford. Toujours plus proche du marxisme que de l’anarchisme, il suivit une formation en agronomie et rejoignit le Parti Communiste en 1927. Lachowsky, malheureux à Moscou, repartit dans sa ville natale de Minsk et trouva un travail d’imprimeur. Et Steimer rencontra Senya Fleshin, qui devint son compagnon à vie.

De trois ans plus âgé que Mollie, Senya était né à Kiev le 19 décembre 1894 et avait émigré aux États-Unis à seize ans, où il avait travaillé pour Mother Earth de Goldman, jusqu’à ce qu’il retourne en Russie en 1917 pour participer à la révolution. Il a été membre du groupe Golos Truda à Petrograd, puis dans la Confédération Nabat en Ukraine. Écrivant dans le journal de la confédération en mars 1919, il y fustige les bolcheviques pour avoir ériger une « muraille de Chine » entre eux et le peuple. En novembre 1920, la confédération est dissoute et Senya, avec Voline, Mark Mratchny, Aaron et Fanny Baron, furent arrêtés et transférés dans une prison de Moscou. Libéré peu après, il retourne à Petrograd où il travaille au Musée de la Révolution. C’est là qu’il a rencontré Steimer peu après son arrivée d’Amérique, et ce fut le coup de foudre.

Profondément perturbés par l’interdiction de leur mouvement, Senya et Mollie organisèrent une Société Pour Aider Les Prisonniers Anarchistes, voyageant à travers le pays pour assister leurs camarades incarcérés. Le 1er novembre 1922, ils furent eux-mêmes arrêtés, accusés d’avoir aidé des éléments criminels en Russie et de garder des liens avec des anarchistes à l’étranger (ils avaient correspondu avec Berkman et Goldman, alors à Berlin). Condamnés à deux d’exil en Sibérie, ils commencèrent une grève de la faim le 17 novembre dans leur prison de Petrograd et furent libérés le lendemain. On leur interdit cependant de quitter la ville et ils furent obligés de se présenter devant les autorités toutes les quarante huit heures.

Senya et Mollie ne tardèrent pas à reprendre leur activité envers leurs camarades emprisonnés. Le 9 juillet 1923, leur appartement fut perquisitionné et ils furent à nouveau arrêtés, accusés de propagation des idées anarchistes, en violation de l’Article 60-63 du Code Criminel. Isolés de leurs camarades prisonniers, ils commencèrent une nouvelle grève de la faim. Des protestations auprès de Trotsky de la part de délégués anarcho-syndicalistes étrangers présents à un congrès de l’Internationale Syndicale Rouge (ISR ou Profintern) entraina bientôt leur libération. Cependant, cette fois, on leur notifia leur prochaine expulsion du pays. Jack et Mary Abrams ainsi que Ethel Bernstein vinrent de Moscou pour leur dire adieu. Le 27 septembre 1923, ils furent placés à bord d’un navire à destination de l’Allemagne.

Aussitôt à terre, Senya et Mollie se rendirent tout droit à Berlin, où les attendaient Alexander Berkman et Emma Goldman. Ils arrivèrent à moitié morts de faim, sans un sou et sans passeport permanent. Durant les prochaines vingt cinq années, ils vivront comme des citoyens « Nansen » (22), anarchistes sans pays, jusqu’à ce qu’ils acquièrent la nationalité mexicaine en 1948. De Berlin, Mollie envoya deux articles à Freedom à Londres, « On Leaving Russia » (Janvier 1924) et « The Communists as jailers » (Mai 1924), dans lesquelles elle décrit son expérience récente.(23) Lorsqu’elle fut expulsée d’Amérique, son « cœur était léger, » dit elle, mais elle avait été « profondément peinée » d’être expulsée de Russie, même si « l’hypocrisie, l’intolérance et la trahison » des bolcheviques « avaient éveillé en moi un sentiment d’indignation et de révolte. ». Dans son pays natal, déclare t’elle, une grande révolution populaire a été usurpée par une élite politique impitoyable « Non, Je ne suis PAS heureuse d’être hors de Russie. Je préférerais y être pour aider les ouvriers à combattre les actes tyranniques des communistes hypocrites. »

A Berlin, et ensuite à Paris, Senya et Mollie reprirent le travail humanitaire qui les avaient conduit à la déportation. Avec Berkman, Goldman, Alexander Schapiro, Voline et Mratchny,ils participent au Comité de défense des révolutionnaires emprisonnés en Russie (1923-1926) et au Fonds d’aide de l’Association internationale des travailleurs anarchistes et anarcho-syndicaliste emprisonnés en Russie (1926-1932), n’épargnant aucun effort pour maintenir un flux continu de colis et de messages d’encouragement pour leurs camarades exilés et emprisonnés. Leurs archives, conservées à l’Institut International d’Histoire Sociale à Amsterdam (24), débordent de lettres arrivées de Sibérie, de la Mer Blanche et d’Asie Centrale et d’endroits aux noms exotiques comme Pinega, Minusinsk, Ust-Kulom, Narym et Yeniseisk, qui constituèrent l’Archipel du Goulag. Certaines de ces lettres provenaient d’anarchistes qu’ils avaient connu en Amérique.

A Paris, où déménagèrent Senya et Mollie en 1924, ils vécurent dans un appartement avec Voline et sa famille, avant de partir vivre avec un autre exilé anarchiste russe, Jacques Doubinsky. En 1927, ils se joignent à Voline, Doubinsky et Berkman pour former le Comité d’entraide de Paris, qui aide des camarades anarchistes exilés, non seulement de Russie mais aussi d’Italie, d’Espagne, du Portugal et de Bulgarie, sans le sou ni aucun document légal, et en danger constant d’expulsion, synonyme dans certains cas de mort.

Au même moment, ils s’associant avec Voline, Berkman et d’autres pour dénoncer la Plateforme Organisationelle rédigée par un autre exilé russe, Piotr Arshinov, avec le soutien de Nestor Makhno (25). Pour Senya et Mollie, celle-ci, avec son appel à un comité central exécutif, contenait les germes d’un autoritarisme et était incompatible avec le principe anarchiste fondamental d’autonomie locale. « Hélas, » écrivait Mollie en novembre 1927, « l’esprit entier de la ’plateforme’ est imprégné de l’idée que les masses DOIVENT ÊTRE POLITIQUEMENT DIRIGÉES pendant la révolution. C’est la racine du mal, tout le reste … en découle principalement. Elle se prononce pour un Parti Anarchiste Communiste des Travailleurs, pour une armée … pour un système de défense de la révolution qui conduiront inévitablement à la création d’un système d’espionnage, d’investigations, de prisons et de juges, une TCHEKA par conséquent. »

Pour gagner leur vie, Senya était devenu entre temps photographe, en démontrant un talent remarquable ; il devint le Nadar (26) du mouvement anarchiste avec ses portraits de Berkman, Voline et de nombreux autres camarades, connus ou inconnus, ainsi que avec la reproduction de collages dans la presse anarchiste internationale. En 1929, Senya fut invité à travailler dans le studio de Sasha Stone à Berlin. Il y resta, assisté de Mollie, jusqu’en 1933, lorsque l’accession au pouvoir de Hitler les obligèrent à regagner Paris, où ils continuèrent à vivre jusqu’au déclenchement de la seconde guerre mondiale.

Lors de cette période d’exil dans les années 1920 et 1930, Senya et Mollie reçurent un flot continu de visiteurs -Harry Kelly, Rose Pesotta, Rudolf et Milly Rocker, entre autres – dont certains écrivirent leurs impressions sur leurs vieux amis. Kelly, par exemple, trouva Mollie « d’apparence plus que jamais enfantine et tout autant idéaliste aussi ». Goldman, cependant, la jugeait « rigide et fanatique, » alors que Senya était toujours « malade et fauché ». Emma comparait encore Mollie à Berkman lorsque il était un jeune militant et « un fanatique au plus haut point. Mollie est son reflet en jupe. Elle est terriblement sectaire, ancrée dans ses idées, avec une volonté de fer. Dix chevaux ne la feraient pas bouger de ce qu’elle croit. Mais cela dit, elle est un des esprits les plus sincèrement dévoués qui vit avec la flamme de notre idéal. »

La réunion la plus émouvante de ces années eut lieu en 1926, lorsque Jack et Mary Abrams arrivèrent de Russie, ayant perdu leurs illusions quant au système soviétique. Pendant plusieurs semaines, les quatre vieux camarades partagèrent la chambre de Senya et Mollie dans l’appartement de Voline, parlant du passé et se demandant ce que l’avenir avait en magasin, jusqu’à ce que les Abrams partent pour le Mexique, où ils vécurent le reste de leur vie. En ce qui concerne les autres accusés du procès de 1918, Lachowsky s’était installé à Minsk et l’on entendit plus parler de lui, alors que Lipman travailla comme agronome jusqu’à la grande purge stalinienne, où il fut arrêté et fusillé. Sa femme Ethel fut envoyée dans un camps en Sibérie pendant dix ans et réside maintenant à Moscou, seul et pauvre. Leur enfant unique, un garçon, est mort sur le front durant la guerre contre Hitler.

Le déclenchement de la guerre en 1939 surprit Senya et Mollie à Paris. Au début, ils ne furent pas inquiétés , mais leurs origines juives et leurs convictions anarchistes ne tardèrent pas à les rattraper. Le 18 mai 1940, Mollie fut placé dans un camp d’internement alors que Senya, aidé par des camarades français, réussit à s’échapper pour gagner la zone non occupée. Mollie réussit à se faire libérer et les deux se retrouvèrent à Marseille où ils virent pour la dernière fois leur vieil ami Voline à l’automne 1941. Peu après, ils traversèrent l’Atlantique et s’installèrent à Mexico. « Comme mon cœur souffre pour nos bien-aimés abandonnés, » écrit Mollie à Rudolf et Milly Rocker en décembre 1942. « Qui sait ce qu’il va advenir de Voline, de tous nos amis espagnols, de notre famille juive ! C’est frustrant ! »

Pendant les vingt années suivantes, Senya travailla dans son studio de photographe à Mexico, sous le nom de SEMO – pour Senya et Mollie. A cette époque, ils établirent des liens étroits avec leurs camarades espagnols de Tierra y Libertad, tout en restant en bons termes avec Jack et Mary Abrams, malgré l’amitié de Jack avec Trotski, qui avait rejoint la colonie d’exilés au Mexique. Peu avant sa mort en 1953, Abrams fut autorisé à retourner aux États-Unis pour y être opéré d’un cancer de la gorge. « C’était un homme mourant qui pouvait à peine bouger, » se souvient son amie Clara Larsen , « et cependant, il était gardé par un agent du FBI vingt quatre heures sur vingt quatre ! »

Mollie ne retourna jamais aux États-Unis. Ses amis et sa famille devaient traverser la frontière pour lui rendre visite à Mexico ou à Cuernavaca, où elle et Senya se retirèrent en 1963. Lorsqu’elle avait été expulsée des États-Unis, Mollie avait juré de « défendre mon idéal, l’anarchisme communiste, quel que soit le pays où je serai . » En Russie, en Allemagne, en France, et maintenant au Mexique, elle a tenu sa promesse. Parlant couramment le russe, le yiddish, l’anglais, l’allemand, le français et l’espagnol, elle correspondait avec des camarades et lisait la presse anarchiste à travers le monde. Elle recevait aussi beaucoup de visiteurs, comme Rose Pesotta et Clara Larsen de New York.

En 1976, Mollie fut filmée par la télévision hollandaise qui travaillait sur un documentaire sur Emma Goldman, et au début des années 1980, par le Pacific Street Collective de New York, à qui elle parla de son anarchisme bien-aimé en termes élogieux. Durant ses dernières années, Mollie se sentait usée et fatiguée. Elle fut profondément attristée par la mort de Mary Abrams en janvier 1978. Deux ans après, peut après son interview avec Pacific Street, elle s’effondra et mourut d’une crise cardiaque dans sa maison de Cuernavaca. Jusqu’à la fin, sa passion révolutionnaire avait brûlé d’une flamme intacte. Senya, faible et souffrant, fut anéanti par son décès soudain. Lui survivant moins d’une année, il décéda à l’hôpital espagnol de Mexico le 19 juin 1981.

NDT

1. August Bebel (1840 – 1913) La femme et le socialisme 1891

2. Sergueï Mikhaïlovitch Stepniak-Kravtchinski 1851 -1895 La Russie Souterraine 1885

3. Robert Berkeley Minor (1884 – 1952) caricaturiste politique, membre du parti socialiste américain, puis du parti communiste américain à partir de 1920.

4. Maria Goldsmith 1873 -1933 (Pseudos Maria Korn, Isidine Corn) a collaboré à de nombreux journaux et revues La Libre Fédération , les Temps Nouveaux , la revue Plus Loin

5. Georg Brandes (1842 – 1927) Critique et universitaire danois

6. Thomas Joseph « Tom » Mooney (1882– 1942) et Warren K. Billings (1893 – 1972) étaient deux militants politiques et syndicalistes. Lors de la Preparedness Day (Journée de Préparation) du 22 juillet 1916, une parade célébrant la prochaine entrée en guerre des États-Unis, eut lieu un attentat à la bombe qui tua dix personnes.

Billings fut condamné à la prison à perpétuité et Mooney à la pendaison. Sa peine fut commuée par la suite, à la prison à vie. Il n’y a jamais eu de preuves évidentes contre eux. Alexandre Berkman fut soupçonné mais le doute subsiste encore aujurd’hui sur l’(les) auteur-s de l’attentat

7. L’incendie de l’usine Triangle Shirtwaist le 25 mars 1911 à New York a causé la mort de 146 ouvrières de l’usine de confection. Les gérants avaient fermé les portes de la cage d’escalier et les sorties

8. Le Sedition Act, voté par le Congrès et entré en vigueur le 16 mai 1918 était une loi qui étendait le Espionage Act de 1917, pour couvrir un plus large éventail d’activités, notamment l’expression d’opinions qui nuiraient à l’effort de guerre

9. John Silas Reed (1887 – 1920) journaliste et militant communiste américain, connu surtout pour son ouvrage sur la révolution bolchévique, Ten days that shook the world (1920) Dix jours qui ébranlèrent le monde. (Éditions sociales, 1986) Voir aussi Le Mexique insurgé (1914)

10. Voir R&B Prise de paroles devant les jurés Emma Goldman

11. Ricardo Flores Magón (1874 -1922) Révolutionnaire mexicain, fondateur du Parti libéral mexicain qui utilisera le slogan « Tierra y Libertad » En 1918 , il est condamné à 20 ans de prison pour sabotage à l’effort de guerre des États-Unis. Il meurt à la prison de Leavenworth le 21 novembre 1922

12. Upton Beall Sinclair, (1878 – 1968), écrivain américain, proche des idées socialistes

13. Hester Street Rue dans le Lower East Side à Manhattan qui fut un centre de la culture juive ashkénaze

14. Zechariah Chafee, Jr. (1885 – 1957) Professeur de droit, défenseur des droits de l’homme et de la liberté d’expression. En 1921, il évita de peu la révocation suite à la défense des accusés du procès Abrams .

15. Joseph A. Labadie Collection. Le plus vieux centre de documentation des Etats-Unis réunissant des documents sur les mouvements sociaux et les groupes politiques marginalisés, du dix-neuvième siècle à nos jour.

16. Voir The League for the Amnesty of Political Prisoners Its Purpose and Programme. Emma Goldman

17. Fraye Arbeter (Arbeyter) Shtime (FAS) – Le journal de langue yiddish le plus important et à la plus longue parution (1890-1977) des États-Unis, publié à New York et Philadelphie.

18. The Workmen’s Circle ou Arbeter Ring est une organisation sociale juive américaine qui fournit une aide et des services sociaux à la communauté juive et ashkénaze.

19. The Tombs, surnom donné au Manhattan Detention Complex

20. Vous ne pouvez pas mettre du sel sur la queue de l’aigle, ni brider la domination de la pensée ; Vous ne pouvez pas mettre les idées en prison, vous ne pouvez pas déporter une opinion.

21. Golos Truda. Journal fondé à New York en 1911 et poursuivit à Petrograd à partir de 1917. Il fut interdit en août 1918 par les bolchéviques, mais survécut tant bien que mal sous le nom de Volny Golos Truda jusqu’en 1929.

22. Le passeport Nansen, crée en juillet 1922 à l’initiative de Fridtjof Nansen, Haut-commissaire pour les réfugiés de la Société des Nations, permet à des exilés apatrides de voyager

23. On leaving Russia Voir traduction R&B ci-dessous

24. Site de l’IISH Les documents sur Mollie Steiner ne sont pas accessibles en ligne, à cette date, contrairement à ceux de Alexander Berkman ou Max Nettlau, par exemple

25. Voir sur R&B À propos de la Plateforme

26. Alias Gaspard-Félix Tournachon (1820 – 1910), caricaturiste et photographe.


Texte original
Extrait de Anarchist Portraits ,Paul Avrich, Princeton University, New Jersey, 1988.


https://racinesetbranches.wordpress.com ... e-steimer/
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Re: Divers militant-es anarchistes dans l'Histoire

Messagede bipbip » 13 Juin 2017, 08:21

Rouen jeudi 15 juin 2017

Itô-Noe - Trajectoire politique et sociale d’une féministe anarchiste de l’ère Taishô

Née à Fukuoka en 1895, dans le contexte de l’émergence mondiale du Japon, Itô Noe sort totalement des normes imposées aux femmes de son époque. Mariée trois fois, diplômée de l’école pour filles de Tokyo, cette jeune femme atypique prendra part à la rédaction du journal féministe Seitô ainsi qu’à de nombreuses actions menées par des mouvements anarchistes de cette période. Son dernier époux fut d’ailleurs un anarchiste de premier plan, Ôsugi Sakae, avec lequel elle fut assassinée par l’armée à la suite du chaos créé par le tremblement de terre du Kantô, en septembre 1923. Cet assassinat eut un impact retentissant dans tout l’Archipel et choqua profondément une large frange de l’opinion, allant jusqu’à être nommée "l’incident Amakasu" du nom du général à l’origine de ce crime. La mémoire d’Itô Noe demeure ainsi un phénomène controversé au sein de la société japonaise d’aujourd’hui.

La trajectoire singulière d’Itô Noe, figure reconnue de l‘histoire du féminisme au Japon, s’inscrit d’abord dans l’histoire de la construction du genre. Mais elle contribue aussi à l’histoire du socialisme et plus exactement de l’anarchisme au XXe siècle. Elle s’inscrit, enfin, à l’histoire des transferts culturels à l’échelle mondiale qui constitue une des composantes majeures de l’histoire de la mondialisation. L’objet cette conférence est de revisiter cette trajectoire à la lumière des transferts culturels nombreux, aussi bien dans le champ politique que genré.

Cette conférence est proposée par Marine Simon, doctorante en Histoire, le jeudi 15 juin 2017 à 19h à la Conjuration des fourneaux, 149 rue St Hilaire à Rouen.

https://a-louest.info/Ito-Noe-Trajectoi ... -l-ere-116
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Re: Divers militant-es anarchistes dans l'Histoire

Messagede Pïérô » 25 Juin 2017, 11:19

In memoriam Joaquina Dorado Pita

Survenue le 14 mars 2017 à Barcelone, la mort de Joaquina Dorado Pita clôt une lumineuse séquence de l’histoire populaire. À presque cent ans, les sentiments de révolte de sa petite enfance contre l’injustice l’habitaient toujours intensément. Née le 25 juin 1917 dans un quartier de pêcheurs de La Corogne, en Galice, elle eut très tôt conscience du malheur réservé aux classes laborieuses. En voyant aller pieds nus la plupart des enfants du quartier, puis en assistant un jour du haut de son balcon à la féroce répression qui s’abattait sur des travailleurs en grève.

Émigrée à Barcelone en 1934 avec ses parents, elle a tout juste dix-sept ans quand, immédiatement après son embauche comme tapissière, elle est la première dans l’entreprise à adhérer au syndicat CNT du bois et de la décoration. À partir du coup d’État militaro-fasciste de juillet 1936, elle passe à l’action révolutionnaire. Quelques semaines avant de s’éteindre, son regard flambait encore quand elle évoquait les jours qui suivirent la victoire du peuple des barricades, dont elle fut. Elle fit alors partie d’une délégation du syndicat qui faisait le tour des usines et ateliers. Elle adorait raconter... « Qui est le patron ? » « Moi ! » s’écriait quelque vanité. « Eh bien, hors d’ici ! s’entendait-elle répondre, le temps des maîtres est terminé ! » La toute jeune Joaquina n’allait pas tarder à se voir confier les fonctions du secrétariat de l’Industrie du bois socialisée.

Un mélange de courroux, de regrets et de nostalgie marquait son visage à l’évocation des événements de mai 1937 au cours desquels « sans l’appel au cessez-le-feu des “camarades ministres” nous aurions écrasé les mal nommés communistes. Ça aurait changé pas mal de choses... ». Il fut question un moment de former des pilotes de chasse. Joaquina se porta candidate, mais Moscou veillait. Jamais les avions n’arrivèrent.

En février 1939 elle traverse les Pyrénées parmi les centaines de milliers de gens qui fuient la barbarie, bombardés et mitraillés au long des routes par l’aviation franquiste. Internée dans un camp de concentration du côté de Briançon, elle réussit à s’en évader. Elle demeure alors quelque temps à Montpellier dans le château où le botaniste Paul Reclus, neveu d’Élisée, offre refuge à bon nombre d’anarchistes arrivés d’Espagne. Elle fait là la connaissance de Simon Radowitzky, avec qui elle établit rapidement des liens d’amitié.

Ensuite c’est Toulouse puis à nouveau l’internement ; dans deux camps dont celui du Récébédou (Portet-sur-Garonne) d’où encore elle s’évadera. À la Libération elle prend une part très active dans la réorganisation de la CNT et de la FIJL (Fédération ibérique des jeunesses libertaires) avant de retraverser clandestinement les Pyrénées avec Liberto Sarrau Royes, depuis quelques mois son compagnon, pour continuer à combattre la dictature. C’est à cette époque qu’elle, Liberto, Raúl Carballeira Lacunza, trois autres compagnons et une camarade forment le groupe d’action Tres de Mayo. Le 24 février 1948 Joaquina et Liberto sont arrêtés puis torturés au cours des dix-huit jours pendant lesquels ils restent aux mains de la police. Condamnés, puis relâchés en liberté conditionnelle suite à l’invalidation du Conseil de guerre, ils sont repris le 11 mai 1949 alors qu’ils s’apprêtent à repasser en France.

Condamnée à douze ans de prison, Joaquina est transférée à l’hôpital fin 1950 et doit subir l’ablation d’un rein gravement détérioré par les tortures auxquelles elle fut soumise dans les locaux de la police. Devant un diagnostic de mort imminente, l’administration pénitentiaire s’empresse de l’envoyer décéder chez elle, afin de s’éviter d’éventuelles tracasseries. Un médecin naturiste lui sauve la vie grâce à de très onéreux achats de pénicilline financés par les compagnons du syndicat clandestin du textile. Une fois sa santé récupérée, Joaquina réintègre la prison pour en finir avec sa peine dont, à la suite d’amnisties générales, il ne lui reste plus que trois mois à accomplir. Le 13 février elle sort en liberté conditionnelle, pour aussitôt rejoindre la clandestinité, aux côtés de Francisco Sabaté Llopart, qu’elle secondera dans ses activités de propagande et pour qui elle se chargera de trouver des planques. C’est avec lui qu’elle rejoint la France, à pied une fois de plus en 1956. Après avoir combattu la dictature elle devra encore se frotter aux penchants légalistes des bureaucratiques continuateurs de « l’anarchisme » de gouvernement. Elle et quelques autres irréductibles devront en effet faire montre d’une ferme résolution à l’encontre des autorités cénétistes de Toulouse pour que Francisco Sabaté obtienne un aval de la Confédération destiné à lui éviter d’être extradé en Espagne. Elle militait au sein de la deuxième union régionale de la CNT de France quand en 1977 un secrétaire général s’arrogea la luxueuse prérogative d’exclure de son propre chef cette union, alors la plus nombreuse. Union dont le congrès qui suivit refusa d’entendre une délégation. A-t-on jamais rien vu d’aussi furieusement décadent en terrain antiautoritaire ? Les luttes intestines qui déchiraient la CNT d’Espagne en exil n’y étaient sans doute pas étrangères.

Son insuffisance rénale devant être palliée par dialyse, Joaquina se fixa définitivement à Barcelone où elle pouvait profiter de meilleures conditions d’habitat qu’à Paris. C’est avec grand courage, le même que face à la dictature et à toutes les adversités, qu’elle affronta sa maladie. « Avec du courage les choses finissent par s’arranger ! » aimait-elle à rappeler.
Article extrait de la revue Régénération n° 21 du printemps 2017
En hommage au journal fondé en 1900 au Mexique par Ricardo Flores Magon.
Trimestriel aléatoire édité par l’association Germinal
30 rue Didot 75014 Paris

Peu de temps avant sa mort le périodique Diagonal lui avait consacré un article :
https://www.diagonalperiodico.net/blogs ... -pita.html

Joaquina – La Nuri – fut très discrète sur ses activités de guérilla entre avril 1955 et décembre 1956, quand elle soutint les actions des groupes armés, en compagnie notamment de Francisco Sabaté. On trouve quelques éléments de ses activités dans cet article en catalan :
https://directa.cat/cent-anys-de-lluita ... -llibertat

Les Giménologues 30 mai 2017


http://gimenologues.org/spip.php?article723
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Re: Divers militant-es anarchistes dans l'Histoire

Messagede Lila » 02 Juil 2017, 17:03

Emma Goldman, anarchiste et féministe

Emma Goldman (1869 – 1940) est une anarchiste et féministe russe, meneuse du mouvement anarchiste aux Etats-Unis, connue pour ses écrits et travaux.

La fuite aux Etats-Unis

Née le 27 juin 1869, Emma Goldman nait dans une famille juive à Kowno en Lituanie, alors part de l’Empire russe. Après l’assassinat d’Alexandre II, empereur de Russie, le 13 mars 1881, une période de répression politique force sa famille à déménager à Saint-Pétersbourg. A 13 ans, pour des raisons économiques, elle est forcée de quitter l’école pour travailler à l’usine. Là, elle découvre les idées révolutionnaires et lit Que faire ? de Tchernychevsky, oeuvre qui a une grande influence sur les jeunes révolutionnaires russes.

A 15 ans, son père veut la marier et Emma s’enfuit aux Etats-Unis avec sa demi-sœur. En mai 1886, les affrontements de Haymarket Square, lors de la grève de l’usine McCormick de Chicago, mènent à la mort de sept policiers. Sept anarchistes sont arrêtés pour meurtre et quatre sont exécutés le 11 novembre 1887. Très marquée, Emma rejoint le mouvement anarchiste. Mariée quelques mois avec un immigrant russe, elle quitte Chicago et part s’installer à New York.

Condamnations

A New York, Emma rencontre l’écrivain et militant russe Alexandre Berkman, avec qui elle a une relation. Elle devient la principale meneuse du mouvement anarchiste américain. En 1892, Alexandre Berkman essaie d’assassiner Henry Clay Frick, riche industriel qui avait fait appel à des casseurs de grève armés pour briser un mouvement social dans son aciérie. Frick survit à l’attaque et Alexandre Berkam est condamné à 22 ans de prison ; il en fera 14.

En 1893, Emma est emprisonnée pour un an pour avoir incité publiquement des chômeurs à se révolter. Pendant son emprisonnement, elle développe un grand intérêt pour l’éducation des enfants et en fait son principal champ de lutte. Le 10 septembre 1901, Emma est brièvement détenue pour des soupçons de complicité à l’assassinat du président William McKinley. Le 11 février 1916, elle est à nouveau emprisonnée pour avoir distribuée des écrits sur la contraception.

« L’une des femmes les plus dangereuses d’Amérique »

Lorsque la Première guerre mondiale se déclare, Emma Goldman et Alexandre Berkman organisent des réunions contre la guerre et militent contre l’enrôlement des soldats au front. En 1917, considérée par le directeur du FBI « l’une des femmes les plus dangereuses d’Amérique », Emma est de nouveau emprisonnée deux ans avant d’être exilée en Russie. Témoin de la révolution russe, Emma souhaite soutenir les Bolcheviks mais la politique menée en Russie bolchévique la fait rapidement déchanter. Devant les violences utilisées par l’Armée rouge contre des grévistes, elle revisite ses idées sur la violence dans un autre cadre que la légitime défense. En 1936, elle soutient la révolution espagnole et lutte contre les nationalistes de Franco.

Emma Goldman meurt à Toronto le 14 mai 1940, à 70 ans. Elle laisse six livres dont une autobiographie, ainsi que des écrits anarchistes et féministes.


https://histoireparlesfemmes.com/2013/0 ... feministe/
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Re: Divers militant-es anarchistes dans l'Histoire

Messagede Pïérô » 09 Juil 2017, 02:01

Aux origines du syndicalisme manceau, des anarcho-syndicalistes :

hommage à Séraphine PAJAUD, une militante anarchiste et syndicale de la fin du XIXème siècle

Le syndicalisme manceau nait, comme dans beaucoup de villes ouvrières françaises, à la fin du XIXème siècle. La CGT se créé officiellement en 1895 alors qu’une bourse du travail existait déjà localement. Entre 1895 et 1906, pendant 10 ans, la CGT mancelle va se constituer peu à peu, ce lui permettra d’envoyer un délégué signataire de la charte élaborée pendant le congrès d’Amiens, en la personne de Narcisse Richer. C’est dans cette période de constitution que les militant-e-s anarchistes locaux vont fortement intervenir et investir le champ syndical. Parmi eux-elles, une femme d’exception : Séraphine Pajaud. En ce 8 mars, à l’heure où bon nombre de syndicats oublient de considérer et de combattre réellement l’infériorisation des femmes dans le monde du travail, ainsi que leur prise en charge disproportionnée des tâches domestiques utiles à la reproduction des forces de travail, voici un court rappel et un hommage pour son parcours et son rôle.

Séraphine Pajaud arrive au Mans en décembre 1892 à l’âge de 34 ans en provenance de Londres, c'est-à-dire bien avant l’amnistie de 1895 pour les anarchistes. Que faisait elle à Londres ? Beaucoup d’anarchistes françai-se-s s’étaient exilé-e-s en Angleterre entre 1880 et le début des années 1890 afin d’échapper à la répression et d’obtenir un droit d’asile. Cette émigration atteindra son niveau le plus important en 1893-1894 au moment de la vague d’attentats anarchistes. L’essentiel de la propagande écrite en langue française provient alors de Londres (où les textes sont rédigés puis imprimés) pour être ensuite diffusée illégalement sur le territoire national. A noter aussi les activités illégales de cambriolages politiques préparés à partir de Londres pour financer la propagande. C’est dans ce contexte particulièrement dangereux que S. Pajaud décide de rentrer en France, probablement dans un but militant de propagandiste dans les milieux d’ouvrier-e-s, faute de pouvoir opérer ouvertement dans des conférences publiques. Rappelons que la troisième loi scélérate, votée le 28 juillet 1894 est probablement la plus hostile pour les anarchistes car elle les vise directement en les nommant et en leur interdisant tout type de propagande. Ce contexte coercitif pose question sur les intentions véritables de militant-e-s qui ont choisi la tactique syndicale : s’agissait-il uniquement d’utiliser opportunément le syndicat comme lieu de propagande caché faute de mieux plutôt que de le considérer avec les syndicalistes révolutionnaires comme un outil de lutte et d’organisation pour la société future ? Le parcours de S. Pajaud pourrait le laisser penser mais elle subît aussi la vindicte patronale, ce qui a pu la dissuader de poursuivre dans la voie syndicale.

A son arrivée, S. Pajaud est alors concubine de Marie-Georges Sandré , veuf également, avec qui elle se maria en juillet 1893 et eu un enfant. Ils habitaient au 40 rue du Port au Mans. En octobre 1896, elle créé le syndicat professionnel des tailleuses, culottières, pompières et parties similaires, adhérent à la bourse du travail. Elle y devient secrétaire le 22 août 1896 et délégué au comité général de la bourse.

Son mari devient quant à lui secrétaire de la chambre des galochiers, puis secrétaire adjoint de la bourse du travail. Ainsi, les époux Sandré et les travailleurs du secteur textile et de la confection ont joué un rôle essentiel à la naissance de la bourse du travail mancelle qui s’organise à partir de 1895. Cet engagement syndical lui vaut comme son mari, de perdre

son emploi. Elle assiste ensuite avec Léon Boudier (artisan galochier anarchiste, actif militant qui réunissait les anarchistes chez lui au 18 rue de la Calandre, sans doute pour des « réunions de familles », moments de sociabilité spécifiquement anarchiste, sensé renforcer les liens entre militants) à deux conférences de Sébastien Faure en décembre 1896 et à une réunion anarchiste alors tenue le 17 janvier 1897 contre les condamnations des anarchistes de Barcelone. Son mari décide le 24 janvier 1897 de rejoindre Faure à Paris pour l’assister dans ses tournées. Il y rejoint L. Boudier, également sans travail, ruiné et suicidaire, qui était en relation avec Faure depuis 1893. S. Pajaud demande alors à rejoindre son mari dans le courant de l’année 1897 pour les mêmes raisons que lui.

La suite est bien connue et décrite dans l’éphéméride des militants anarchistes.

« En mars 1898, avec son compagnon et leur enfant âgé de 5 ans, elle fit une série de conférences dans l’Aube (Troyes, Evry, Croutes, Saint Florentin, Tonnerre...). Selon la police, le couple voyageait à pieds "avec une cage en osier renfermant deux colombes".

Le 1er mars 1902, à la suite d’une conférence sur « l’inexistence de Dieu », elle fut condamnée par défaut par le tribunal correctionnel de Boulogne-sur-Mer, à 6 mois de prison et 100f d’amende pour « excitation au meurtre, pillage et incendie ». En 1904 elle participait à une nouvelle tournée de conférences ; elle était alors domiciliée à l’île de Ré en tant que veuve Sandré. En 1906 elle fut arrêtée à Alès (gard) sous la double inculpation « d’apologie de crime et insultes à l’armée ». »

Elle semble toutefois avoir gardé des contacts dans les milieux syndicaux et libertaires locaux car, lors de l’affaire de Boulogne sur mer, elle revient se réfugier au Mans le 13 novembre 1901 avant d’être condamnée en Mars 1902.

« Martial Desmoulins, qui la prénomme Amélie et l’avait rencontré au début des années 1930 chez un vieux compagnon d’origine juive, ami d’Alexandre Jacob, qui l’avait recueillie chez lui à Nice, l’évoquait en ces termes : "...Ce fut une des propagandistes les plus fameuses de l’anticléricalisme après la Commune et jusqu’en 1914. Elle faisait ses conférences de ville en ville, souvent n’ayant pas d’argent pour aller à l’hôtel et prendre le train, couchant dans des granges et sur le trimard. J’ai connu des camarades de Périgueux et de Bordeaux qui avaient organisé des conférences avec la camarade Pajaud, ils en faisaient des éloges. Moi, jeune anarchiste, lorsque je la rencontrai, je ne la trouvai pas extraordinaire, brave femme que le copain gardait parcequ’il la connaissait depuis très longtemps. Donc Amélie Pajaud faisait chez le copain un peu la femme de ménage. Sébastien Faure descendait chez ce copain avant de descendre chez Honorée Teyssier, qui fut à partir de 1936 la compagne de Louzon. Je me souviens que tous les deux racontaient leurs souvenirs. A. Pajaud avait parcouru toute la France sauf deux départements. Elle avait assisté avec émerveillement à la naissance de la CGT, à son organisation, et croyait que la révolution était une question de jours et de mois. En 1934, il me semble qu’elle se retira en Charentes Maritimes dont elle était originaire". En effet, en 1934 André Lorulot l’avait rencontrée à la Rochelle. »


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Re: Divers militant-es anarchistes dans l'Histoire

Messagede bipbip » 16 Juil 2017, 13:49

Autour d'une vie, autobiographie de Kropotkine

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