1968 dans le monde

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Messagede bipbip » 12 Mai 2018, 21:02

Mai 68 : tour du monde des principales révoltes étudiantes

La France n’a pas le monopole de Mai 68. Il y a cinquante ans, les étudiants se sont rebellés sur presque tous les continents. En Allemagne de l’Ouest ou aux Etats-Unis, par exemple, où leurs revendications étaient similaires : l’assouplissement de la société. En Tchécoslovaquie, le mouvement se greffe sur celui du printemps de Prague, qui critiquait la dureté du régime. La réponse de Moscou est brutale et le mouvement est étouffé.

Au Mexique et au Brésil, la répression des manifestations d’étudiants est violente : plus de deux cents personnes sont tuées, à Mexico, le 2 octobre 1968.

Et puis, il ne faut pas oublier le Mai 68 japonais, quand la jeunesse nippone se rebelle contre l’emprise américaine sur l’archipel. Les affrontements entre les forces de l’ordre et le syndicat étudiant Zengakuren ont duré plus d’un an.

En images ... http://www.lemonde.fr/histoire/video/20 ... kgYzHXx.99
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Re: 1968 dans le monde

Messagede bipbip » 26 Mai 2018, 22:14

Les années 68
ARTE

Du Brésil au Japon, de la Californie à l'Europe, Don Kent fait revivre la vague contestataire qui, de 1965 à 1975, a ébranlé le monde. Un voyage impressionniste porté par de vibrants témoins. Premier volet.

En 1968 et 1969, alors qu'au Sud-Viêtnam les États-Unis s'engagent de plus en plus massivement dans la guerre, une vague de contestation déferle sur la planète. Dans des pays aussi différents que les vieilles nations européennes, le Japon, les États-Unis, le Mexique, le Brésil sous dictature militaire, la Tchécoslovaquie communiste ou le Zaïre de Mobutu, la jeunesse étudiante constitue souvent le fer de lance de cette révolte multiforme et globale. Alors que les atrocités perpétrées contre les populations civiles vietnamiennes par la puissance américaine – au nom de la défense de la liberté et de la démocratie – jouent un rôle déclencheur, de multiples facteurs, comme le combat pour les droits civiques des Noirs et le mouvement hippie aux États-Unis, le poids de la tutelle soviétique à Prague ou la dénazification inachevée de la RFA, cristallisent aussi la révolte. Partout, la génération issue de la Seconde Guerre mondiale descend dans la rue pour rejeter les modèles politiques, économiques et familiaux qu'on lui enjoint de reproduire. Dans ce maelström d'événements, les deux mois de troubles et de grèves qui, de Paris, gagnent toute la France semblent presque anecdotiques.

Pas de côté
Ayant vécu à Paris ce que l'on appelle alors les "événements", "comme Fabrice à Waterloo" (le héros de Stendhal perdu au cœur d'une bataille historique sans le savoir ni en percevoir l'ampleur), le réalisateur britannique Don Kent a choisi d'élargir son champ de vision pour évoquer Mai 68. Celui qui était alors étudiant à l'Idhec, l'école de cinéma, se fait le narrateur modeste d'un voyage impressionniste à travers le monde, non sans rendre hommage à ses anciens condisciples en mêlant aux riches, et parfois rares, archives du film certaines de leurs images devenues fameuses (une séquence de La reprise du travail aux usines Wonder). Sans prétendre penser un mouvement déjà analysé tant de fois, et dont l'héritage continue de diviser, il donne la parole à une foule de témoins, aussi divers que pertinents, rencontrés du Brésil au Japon, de la Californie à l'Italie. Certains sont célèbres internationalement (l'ex-guérillera et présidente brésilienne Dilma Rousseff, les philosophes Régis Debray, Toni Negri et Judith Butler, l'ex-Panthère noire Kathleen Cleaver, les écrivains Hélène Cixous, Erri De Luca, Alain Mabanckou et Viet Thanh Nguyen, l'ancien batteur des Doors John Densmore…), d'autres beaucoup moins, à l'instar de ces extraordinaires activistes japonaises (l'une pacifiste, l'autre féministe), animées d'une foi restée intacte au fil du demi-siècle.
Quarante ans après Chris Marker (Le fond de l'air est rouge, 1977), Don Kent fait revivre ce basculement planétaire en évitant l'hommage commémoratif empesé. Car il ne cesse de bifurquer avec ses interlocuteurs dans des directions inattendues, au gré de rafraîchissants pas de côté. Par exemple, quelques notes de Bach égrenées par la pianiste chinoise Zhu Xiao-Mei, rescapée de la Révolution culturelle, un ahurissant diagramme politique esquissé par le ludion brésilien Tom Zé, ou l'amertume obscurément touchante de l'écrivain américain David Horowitz, ex-gauchiste radical reconverti en néoconservateur…

Documentaire de Don Kent (All/France/Norvège, 2018, 1h30mn) ZDF



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Re: 1968 dans le monde

Messagede bipbip » 02 Juin 2018, 19:27

1968 au Brésil : ouvriers et étudiants contre la dictature

En 1968 nous avons été témoins de multiples explosions et révoltes : ouvrières, étudiantes, des féministes, des noirs, des mouvements écologistes, des homosexuels, parmi tant d’autres formes d’indignation et de mécontentement social et poli- tique. C’était la « fin des années dorées ».

Si tant de mouvements de protestation sociale et de mobilisation politique ont agité le monde entier – le mai libertaire des étudiants et des travailleurs français, le « Printemps de Prague » contre le « socialisme réel » sous domination soviétique, le massacre d’étudiants au Mexique, les manifestations aux États- Unis contre la guerre du Vietnam, les actions révolutionnaires armées dans de divers pays, les mouvements de contre-culture – et parmi tant d’autres exemples, le Brésil a aussi tenu sa place dans cette année emblématique.

Outre l’influence des évènements internationaux et l’identification avec les mouvements contestataires d’autres pays, le 68 brésilien a eu ses spécificités. Par exemple, notre mouvement étudiant, éclos dès le mois de mars, avant même le célèbre mai français, a suivi une dynamique de lutte spécifique et un calendrier politique propre. De même, les grèves métallurgiques d’Osasco (région industrielle à São Paulo), qui ont explosé en juillet et celles de Contagem (région industrielle à Belo Horizonte à Minas Gerais) en avril et octobre de la même année, trouvent leurs origines et racines très marquées par la particularité brésilienne, et par l’essor de la lutte contre la dictature militaire.

Cela ne veut pas dire que les Brésiliens se désintéressaient des manifestations qui ont eu lieu partout dans le monde cette année-là, d’autant plus qu’une série d’aspects communs, accentués par le « climat politique » propre du pays, existaient sur le scénario mondial. Nous pouvons relever ainsi quelques conditions structurelles répandues dans diverses sociétés, en particulier celles du centre de l’accumulation capitaliste, mais également présentes dans les pays du dit « Tiers-monde », comme le Brésil, le Mexique, l’Argentine… Dans différentes mesures, il y avait une similitude de conditions telles que l’industrialisation avancée, la croissante urbanisation et la consolidation des modes de vie et de la culture des métropoles, la massification de l’industrie culturelle, le développement du prolétariat et des classes moyennes salariées, l’importance des jeunes dans la pyramide démographique de la population, l’accès croissant à l’enseignement supérieur, et aussi l’incapacité du pouvoir en place à représenter des sociétés en plein renouvellement. Si ces conditions plus structurelles n’expliquent pas à elles seules les vagues de révolte et d’agitation, elles ont offert le terrain où ont fleuri les diverses actions politiques et culturelles qui caractérisent 1968 au Brésil. Et, pour le comprendre, il faut rappeler deux mouvements – relativement distincts dans leurs origines, mais assez articulés dans leur processus : le mouvement étudiant et les grèves ouvrières.

... http://www.contretemps.eu/1968-bresil-o ... etudiants/
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Messagede bipbip » 14 Juin 2018, 21:09

Les années 1968-1969 au Pakistan

Après une introduction inédite – publiée initialement dans le n°22 de Contretemps en 2008 – évoquant l’image de 68 et son impact dans le monde, l’article de Tariq Ali constitue une reprise des passages essentiels de l’introduction à son livre sur le Pakistan écrit quelques mois après les événements de 1968-1969, Pakistan : dictature militaire ou pouvoir populaire ?, publié en 1971 aux éditions Maspero. Il y décrit les spécificités, notamment par rapport à la France, du soulèvement pakistanais, ses forces, ses faiblesses et les espoirs dont il était alors porteur.

... http://www.contretemps.eu/1968-1969-pakistan-tariq-ali/
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Re: 1968 dans le monde

Messagede bipbip » 14 Juil 2018, 15:34

Pologne, Tchécoslovaquie, Yougoslavie : 1968 aux antipodes de 1989

Je me réjouis de m’inscrire dans un “décentrage” international sur 1968. Il est essentiel. Et je pense important d’apporter l’éclairage qui m’a été proposé sur “l’Europe centrale et orientale”. Il est évidemment spécifique et à première vue on a du mal à le « situer »... dans un panorama sur “1968 vu des SudS” - c’est-à-dire, au plan géo-politique, des pays colonisés et néo-colonisés ! Et pourtant, il trouve sa place dans les vues d’ensemble présentées lors du premier forum introductif : outre le décentrage – par rapport au Mai 1968 français -, les mouvements dont je vais parler (concernant la Pologne, la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie) partagent deux aspects généraux transversaux aux « années 1968 » dans le monde, en dépit de contextes différents à spécifier : le premier est la radicalisation politique d’une nouvelle génération, partout constatée ; le second est la dynamique révolutionnaire de 1968, sans pour autant qu’elle relève de « projet » clair et encore moins unifié. Comme l’a fort bien souligné Luciana Castellina, cette dynamique contestataire, critique de l’ordre existant et de ses rapports de domination, n’épargne pas les régimes issus des révolutions du XXème siècle et s’inscrit dans la recherche d’une alternative socialiste plus émancipatrice et démocratique – c’est précisément ce qu’on va voir en Pologne Tchécoslovaquie et Yougoslavie. Leur place dans le débat des années 1968 est « géo-politique ». Je voudrais la préciser, dans une vue d’ensemble, avant de décrire les mouvements de 1968 dans ces trois pays .

... https://intercoll.net/Pologne-Tchecoslo ... es-de-1989
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Re: 1968 dans le monde

Messagede bipbip » 13 Aoû 2018, 21:02

Mexico 68 : des Jeux olympiques très politisés

L’image est aujourd’hui célèbre : sur le podium, deux athlètes noirs américains le poing levé, en référence au Black Panther Party. Elle intervient dans un contexte politique très particulier.

C’est à Baden-Baden, en 1963, que l’histoire s’est noué. Le 18 octobre, le Comité international olympique, réuni dans la ville allemande où se réfugie le général de Gaulle lors des événements de Mai 68, décide que les J.O. auront lieu pour la première fois dans un “pays en voie de développement”. La capitale mexicaine devance Détroit, Lyon, mais aussi Buenos Aires. Cependant personne ne peut anticiper à ce moment le contexte politique national et international et son poids dans la compétition.

... https://lemediapresse.fr/sport-fr/mexic ... politises/
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Re: 1968 dans le monde

Messagede bipbip » 16 Aoû 2018, 20:34

Le long mai 68 dans l’État espagnol

Dans la décennie 1964-1974, juste avant la mort du dictateur, le temps s’est accéléré dans l’État espagnol. C’étaient les années de la fin du régime de Franco. Une époque où les changements dans le monde se multipliaient ; une époque où proliféraient de nouvelles expériences, dirigées par la gauche politique et sociale.

L’Espagne a connu dans les années soixante un développement économique important et l’apparition des courants politiques liés à l’Opus Dei ou autour de gens comme Manuel Fraga Iribarne (années leader plus tard dans la démocratie du Parti populaire) au sein du régime qui, à travers des changements cosmétiques très limités, cherchaient gagner une nouvelle légitimité pour la dictature auprès des puissances occidentales en tant que régime autoritaire acceptable.

De nombreuses années ont passé avant que le mouvement ouvrier ne se remette de la défaite de 1939. Il est très important de garder à l’esprit que l’un des succès de la dictature a été de rompre la transmission des idées, des traditions et des expériences des organisations de la gauche vers les générations suivantes. Il n’y avait pas une mémoire vivante de son histoire. L’histoire hégémonique (et presque unique) était celle des vainqueurs, celle du régime de Franco. De même, le régime autarcique franquiste a rendu très difficile l’accès à la production littéraire, au débat économique et aux conceptions politiques socialistes et antifascistes, mais en vérité il n’a jamais réussi à imposer l’isolement intellectuel et l’autarcie. Il y avait plusieurs canaux qui permettaient l’osmose des idées et des courants.

Grâce à l’élection des commissions des travailleurs dans les entreprises, de nouvelles structures ont été créées pendant la montée prolongée des luttes sociales de 1965 à 1970. Ce mouvement a brisé le moule de la Centrale syndicale nationale – l’union verticale fasciste de l’adhésion obligatoire - et débordé le contrôle de la hiérarchie phalangiste sur les principaux noyaux ouvriers. Des dizaines de milliers de jeunes travailleurs et travailleuses ont connu un important processus de politisation dans les écoles professionnelles, les ateliers, les usines et les quartiers ouvriers.

Au cours de ces années, un mouvement étudiant a paru capable de renverser l’Union universitaire espagnole (UES), une organisation fasciste d’adhésion obligatoire, et a construit l’Union démocratique des Étudiants d’Université (SDEU) dans les facultés et écoles techniques. Une expérience unique sous la dictature parce qu’un syndicalisme démocratique, de rassemblement et d’étudiant.e.s a été construit de manière ouverte et publique, en défi ouvert aux autorités académiques, policières et politiques. Le mouvement étudiant a conquis pendant quelques années des « espaces de liberté » dans les centres d’études dans une sorte de « double pouvoir » étudiant.

Dans le chapitre intitulé « Enrique Ruano. Mémoire vivante de l’impunité du franquisme » dans le livre collectif Les années soixante : le monde aurait pu changer la base, j’avais écrit que les révoltes des années soixante étaient l’expression du profond mécontentement que suscitait le modèle d’exploitation et de consommation dans les couches de la jeunesse de l’État espagnol et de plus en plus dans le prolétariat industriel. Ils ont également exprimé l’inconfort et la distance des secteurs importants de la gauche sociale concernant les propositions d’intégration dans un franquisme « réformé », de l’opposition socialiste fantomatique et même, dans certains secteurs, la méfiance envers les propositions eurocommunistes, majoritaires dans le mouvement d’opposition au franquisme.

Tout cela a rendu possible la croissance spectaculaire du Parti communiste d’Espagne (PCE), mais aussi d’une nouvelle gauche, embryon de la gauche révolutionnaire des années soixante-dix, avec une importante influence dans la jeunesse ouvrière – en particulier dans le secteur étudiant. Maoïstes, anarchistes et trotskystes ont constitué diverses organisations. La Ligue communiste révolutionnaire (LCR) - IVe Internationale -, ancêtre des Anticapitalistas actuels, est créée en 1970. Elle provient du Front populaire de Libération (FLP) quin jusqu’à sa dissolution en 1969n a eu un grand rôle dans la direction du mouvement étudiant.

Mai 68 en Espagne a commencé en octobre 67

Dans les universités espagnoles en 1967-1968, le mythique mois de mai 1968 s’est passé sans aucun événement particulièrement saillant à mentionner. En effet, comme l’ont signalé André Lwoff (Prix Nobel de physiologie et médecine, 1965) et Jacques-Lucien Monod, quand tous les deux ont refusé leur nomination comme docteur honoris causa par l’Université de Madrid, toute l’année était exceptionnelle. Lwoff a déclaré : « En d’autres termes, en Espagne, l’Université n’existe pas ». En effet, le fossé ouvert entre le corps étudiant et le régime franquiste a mis l’institution universitaire en banqueroute. Dans la plupart des universités, en particulier celle de Madrid, le cadre c’était des salles de classe fermées par arrêté ministériel et occupé par la police, et des mobilisations en permanence des étudiants, avec leurs dirigeants sanctionnés et jugés par la Cour de l’ordre public (TOP) ou activement recherché pour être arrêté. Nous pouvons affirmer que les universités espagnoles ont connu un petit, mais long, Mai en 1968.

Le 68 espagnol trouve sont origine dans les années précédentes, très agitées. En 1965 s’est tenu la 1re Assemblée libre des Étudiants de Barcelone et l’Union universitaire espagnole (SEU – syndicat officiel), s’est effondré. La tentative du régime de créer des Associations professionnelles d’Étudiants (APE), pour substituer le SEU, a aussi échoué. A Barcelone, l’Union démocratique des étudiants universitaires de Barcelone (SDEUB) est née dans le couvent des moines capucins de Sarriá, après des élections libres et un débat auquel ont participé des milliers d’étudiants. Plusieurs leaders étudiants ont été expulsés de l’université. A partir de là, les organismes qui sont créés dans le reste de l’État se sont appelés SDEU en ajoutant l’acronyme de la ville. Le 23 mars, des représentants étudiants des universités de cette ville et de Bilbao, Séville, Valence, Oviedo, Valladolid, Saragosse et Madrid se sont réunis à Barcelone pour signer un pacte de solidarité et déclarer : « Face à toute mesure répressive mis en place contre n’importe quel district, tous les autres se sentiront affectés ».

En 1966, se poursuivent des assemblées et mobilisations syndicales libres et massives. À Madrid, les professeurs Tierno Galván (plus tard maire de Madrid), Aranguren et trois autres professeurs ont été expulsés de l’université ; ainsi qu’à Barcelone celle de Manuel Sacristán et 68 professeurs non numéraires (PNN). La Cour (TOP) a multiplié les procès contre les représentants des universités de Catalogne et de Madrid. La longue et exemplaire grève des travailleurs de Laminación de Bandas à Frío de Echevarri [petite ville près de Bilbao] a eu un grand écho auprès des étudiants de tout l’Etat espagnol, qui ont développé de nouvelles formes de solidarité. Le régime a tenté de sceller sa continuité « constitutionnelle » à travers la loi organique de l’État, première pièce à institutionnaliser le régime franquiste sans Franco, qui a été accompagné l’année suivante par la Loi Fondamentale du Royaume.

Le 7 janvier 1967, il y avait une forte présence étudiante dans les manifestations organisées par CCOO [Commissions ouvrières] à Madrid, Barcelone et dans d’autres villes. Le 26 avril, à Madrid, le SDEUM (Syndicat démocratique d’étudiants de Madrid) a été créé. Le 27 octobre, les étudiant.e.s ont de nouveau participé massivement dans les manifestations organisées par CCOO dans des nombreuses villes. En octobre, dans tout le pays ont eu lieu des élections libres appelées par le SDEU pour élire des délégués et les imposer contre la volonté des autorités académiques. Lors la première réunion de coordination préparatoire du Congrès national des étudiants (RCP) à Valence, il y a eu la tentative de coordonner toutes les universités. La répression menée contre elle a provoqué la première grève générale des étudiants sous le régime de Franco. L’assassinat par défenestration de l’étudiant valencien Rafael Guijarro a été le fait de la brigade de police sociale (BPS). Le 26, le gouvernement a ordonné la fermeture du siège des étudiants de Sciences à Madrid, ce qui a provoqué une vague de grèves et de manifestations en signe de protestation. En décembre, le gouvernement a tenté, en vain, de « supprimer » la direction du mouvement étudiant à travers une sanction sévère : l’expulsion de l’université de tous les élus de la faculté de Sciences politiques et économiques de Madrid.

En janvier de 1968, la Faculté de Sciences politiques et économiques de Madrid est fermée. Tous les étudiants sont sanctionnés par la perte de leur inscription. Il y a 39 expulsions dans les facultés des Sciences et Philosophie - qui est également fermée - de Madrid et 137 expulsions à Barcelone, la plupart dans des écoles techniques. Les assemblées, les manifestations et les affrontements avec la police s’étendent à Madrid, Barcelone, Séville, Oviedo, Malaga, Valence, Valladolid. Le 26 février, le VIe et dernier RCP a lieu à Séville. Les représentants de Madrid ne sont pas venus à cause d’un désaccord avec l’orientation modérée que le PCE essaie d’imposer. Plusieurs représentants des étudiants sont détenus. Le 27 février, les universités de Madrid et de Valence sont fermées. Les affrontements des étudiants avec les fascistes de Defensa Universitaria de Madrid sont durs et se poursuivront les jours suivants. Le Conseil des ministres met en place une force de police universitaire pour occuper les campus et nomme un juge spécial pour les « crimes d’étudiants ». Le 6 mars, l’Université de Séville et fermée et de grandes manifestations se déroulent à Saragosse, Bilbao, Grenade, Pampelune, Santiago et Barcelone. Le même jour, à Madrid, l’éviction de cinq facultés a entraîné la poursuite de l’activité syndicale, malgré les fermetures académiques, et des activités culturelles, notamment des « classes parallèles » auto-organisées, des sit-in et des manifestations à l’intérieur et en face des bâtiments universitaires.

Le 26 mars les étudiants obtiennent une première victoire : la démission de la ministre de l’Education Lora Tamayo ; elle est remplacée le 14 avril par Villar Palasí (Opus Dei), pour promouvoir une réforme universitaire qui rende possible la rentabilité de l’enseignement et la pacification des campus. Son plan repose sur deux mesures qui ont rapidement fait faillite : l’émission de la dette universitaire (instrument financier public) et le décret-loi qui met en place des associations étudiantes. Ce même jour, les autorités sont obligées de fermer l’Université de Santiago.

Le 30 avril 1968, les étudiants de différentes villes adhèrent aux manifestations de CCOO du 1er mai. Tout au long du mois, les étudiants ont montré leur solidarité avec les travailleurs de Standard (métallurgie) et Pegaso (fabriquant des camions) à Madrid et SEAT (automobile) à Barcelone. De même, ils ont boycotté la conférence à la Faculté de Droit de Madrid de Servan-Schreiber (libéral néo-capitaliste) aux cri de « À bas l’Europe des monopoles », « Vive l’Europe socialiste ».

Le 14 mai, on assiste à la réouverture de l’Université de Valence et de Madrid. Dans celle-là le jour même de la réouverture a lieu une assemblée de district qui finit par une manifestation massive en demande de l’annulation des sanctions des représentants des étudiants. Le 18 mai, à la Faculté d’économie de Madrid a lieu le récital en catalan de l’auteur-compositeur-interprète et poète Raimon. La mobilisation ultérieure déborde le contrôle de la police qui escorte la princesse (aujourd’hui reine) Sofia. Les étudiants partent vers le centre de la ville, après 3 heures de barricades dans la ville universitaire et dans la route nationale VI, avec slogans comme « Amnistie et Liberté », « Les étudiants avec les travailleurs, la police avec les banquiers », « Commissions au pouvoir », « Madrid avec Paris », « Paris avec Madrid » et l’habituelle « Une seule solution : la Révolution ».

En octobre et après les changements de perspective, des activistes qui ont tiré des enseignements du Mai français refusent une forme d’organisation qui avait été très utile dans le passé, mais qui a facilité la répression du régime dans la nouvelle étape, et les élections de la SDEU échouent. Ils n’ont pas le même écho que dans la période précédente. En outre, des centaines d’étudiants et d’opposants sont en prison ou dans la clandestinité, voire obligés de s’exiler. Dans ces conditions, le SDEUM s’est vraiment vidé de sa substance et a implosé.

La plupart des étudiant.e.s d’avant-garde, stimulé.e. par la répression, ont essayé de nouvelles formes d’organisation sur la base de l’exemple français. Ils initient les « procès critiques » aux enseignant.e.s et mettent en place une politique basé sur « l’action exemplaire » avec une orientation antihiérarchique et antiautoritaire. Un grand secteur des étudiants influencé par le FLP développe des comités d’action clairement anticapitalistes. Pour sa part, le PCE tente de renouveler la formule des conseils d’élèves et de la plate-forme des syndicats avec une politique plus académique et subordonnée au projet réformiste d’« Alliance des forces du travail et de la culture ». Le 1er décembre, les affrontements massifs avec la police rebondissent à Barcelone et à Madrid.

En janvier 1969, le Rectorat de Barcelone est envahi par les étudiants. Le drapeau « national » est brulé et le buste de Franco détruit. Le rejet du drapeau rouge et or monarchique avec l’aigle impérial se répandra dans d’autres universités tels que Valence.

Le 20 janvier, Enrique Ruano, étudiant de Droit à Madrid, membre d’une famille bourgeoise et activiste du Front de Libération populaire (FLP), arrêté quelques heures auparavant, est assassiné par défenestration par des membres de la police politique - Brigade politique sociale. Au-delà des manifestations d’étudiants, d’autres secteurs de la société se mobilisent et une grève générale prend place dans toutes les universités.

La réaction du régime ne se fait pas attendre. Il met fin à la période des politiques (timides) d’« ouverture » et de « libéralisation ». Le 24 janvier, l’état d’urgence est déclaré sur tout le territoire de l’État espagnol. Ceci prolonge la mesure en vigueur à Guipúzcoa depuis août 1968 après l’exécution par l’ETA du chef provincial du BPS, Melitón Manzanas, en réponse à l’assassinat du dirigeant de l’ETA Txabi Echebarrieta. Manuel Fraga Iribarne, ministre de Franco et plus tard « démocrate », déclare après le meurtre de Ruano par la police et la déclaration de l’état d’urgence, et en craignant que l’Espagne reproduise des situations comme celle de France : « Mieux vaut prévenir que guérir. Nous n’allons pas attendre un jour de mai pour que plus tard le retour à l’ordre soit plus difficile et plus coûteux ».

En février, il y a des déportations de professeurs de gauche et de membres de l’opposition. Plus de 500 arrestations d’étudiants et de travailleurs. 230 activistes des CCOO et des militants étudiants sont traduits en justice. Le régime met à terme sa phase de libéralisation technocratique. Le deuxième paquet de mesures visant à renforcer le régime est en cours : le renouvellement de l’accord militaire avec les États-Unis (utilisation des bases sur le territoire espagnol) et la nomination de Juan Carlos Borbón comme futur successeur de Franco dans la direction de l’État à la mort de ceci.

Caractéristiques spécifiques

Le mouvement étudiant en Espagne s’est développé dans des conditions et de manières très différentes du mouvement de Mai en France. D’abord, les conditions imposées par la dictature rendaient difficiles la politisation et la conscience des étudiants et de leur organisation, mais elles étaient un catalyseur de rébellion. Le mouvement étudiant espagnol était dirigé par une jeunesse qui se sentait mal à l’aise dans les limites culturelles étroites et appauvrissantes imposées par la dictature et avec les coutumes et les mœurs répressives et asphyxiantes du national-catholicisme au pouvoir.

Deuxièmement, le poids numérique des étudiants espagnols était inférieur à celui des étudiants du reste des pays industrialisés. Selon l’Institut national de la statistique (INE), le nombre d’étudiants inscrits dans l’enseignement supérieur s’élevait à 160.008 en 1967-1968, dont 115.590 dans des facultés, 38.695 dans les écoles techniques supérieures, 4.005 dans l’enseignement artistique et 1.718 dans l’enseignement militaire. Par conséquent, les étudiants universitaires « civils » de l’État espagnol étaient 158.000 contre 550. 000 en France ou 413.000 en Italie.

La majorité des étudiants venait de familles bourgeoises ou de la classe moyenne professionnelle, et les étudiants universitaires provenant des familles de travailleurs n’étaient que le 4%. Par conséquent, les étudiants, principalement des hommes, étaient les enfants des vainqueurs de la guerre civile et, en tout cas, appartenaient à la bourgeoisie et aux classes moyennes professionnelles qu’était la base sociale du régime.

L’enseignement universitaire dans l’Espagne franquiste était un objectif secondaire. Selon UNESCO, pour l’année académique 1964-65 l’État a dépensé 2,7 dollars US per capita pour l’éducation universitaire ; le Ghana 4,2 ; le Portugal 4,3 ; l’Italie 12,8 ; les USA 92 ; l’URSS 113 et le Japon 137,6. Cela signifiait que dans l’année universitaire 1964-65, les étudiant.e.s universitaires qui bénéficiant d’une certaine aide pour acquérir des livres n’étaient que 14% et ceux qui avaient une bourse pour couvrir leurs dépenses ne représentaient que 1,4% des étudiant.e.s. En 1967, le budget de l’État a consacré 1,13% à l’université et 22,5% à l’armée, à la garde civile et à la police.

Éléments communs avec révoltes dans d’autres pays

La dictature a mis au premier plan la question des libertés et a encouragé les aspirations démocratiques, mais logiquement les dégâts du capitalisme ont généré une conscience et une lutte sociale anticapitalistes. Le mouvement étudiant a exprimé le rejet d’une génération envers l’une des fonctions fondamentales de l’université dans la société : la formation de classe et la reproduction des élites dominantes. Rejet qu’à son tour le mouvement lui-même a nourri.

La dimension démocratique du mouvement étudiant l’a amené de manière élémentaire à critiquer l’organisation territoriale associée au régime franquiste. Les étudiants universitaires de tout l’État espagnol étaient réceptifs et solidaires des aspirations démocratiques des nationalités historiques. Le questionnement du franquisme devenait aussi la mise en question de l’État unitaire et centraliste espagnol. Par pure cohérence démocratique, le mouvement a très vite mis en cause le modèle et la fonction assignés à l’Université par le système capitaliste. D’où les slogans pour l’« Université populaire » ou l’« Université Démocratique ». De la critique au rôle de l’institution, elle devient bientôt à la critique du système capitaliste lui-même au service duquel elle est conçue.

L’intérêt qu’a suscité le mouvement étudiant en France en Mai 1968 dans un large secteur s’est multiplié de façon exponentielle dans le secteur étudiant du Front de Libération populaire, organisation dans laquelle militaient de nombreux leaders étudiants à l’époque. Le festival de Raimon du 18 mai 1968 à la Faculté d’Economie et la mobilisation subséquente de plus de 6.000 étudiant.e.s qui pendant des heures se sont confronté à la police dans les rues de Madrid, ont été l’expression de la « majoration » de l’université de Madrid, que le chanteur a rappelé dans « 18 de maig à la villa » au moyen de versets « Per unes quantes hores/ ens vàrem sentir lliures,/ i qui ha sentit la llibertat/ té més forces per viure » (Pendant quelques heures / nous nous sentîmes libres / et qui a senti la liberté / a plus de forces pour vivre).

Les objectifs des étudiant.e.s et de la jeunesse ouvrière française étaient des objectifs, des formes d’organisation et de lutte que de nombreux militants de l’Etat espagnol avaient cru devoir mettre en place. Le FLP, dont la Fédération pour les affaires étrangères était investie dans les mobilisations ouvrières parisiennes et dans les barricades étudiantes, était l’organisation la plus perméable aux nouvelles approches, notamment dans le secteur étudiant. Les textes de Daniel Bensaïd et de la JCR vinrent s’ajouter aux écrits qui circulaient déjà d’Ernest Mandel. À partir d’une expérience vivante, nous avons intégré dans nos rangs le discours du courant qui, à notre avis, avait mieux interprété l’évènement et proposait la démarche stratégique plus attrayante.

Une gauche à la gauche du très puissant PCE émergeait. Une nouvelle gauche qui donnait un contenu politique démocratique à sa lutte contre le franquisme, mais qui a surmonté l’étroitesse du regard réformiste limité à la « récupération des libertés » au travers d’un pacte interclassiste et avec les secteurs réformistes du franquisme. Cette gauche a posé la nécessitée de la lutte pour le socialisme et la révolution socialiste.

Très vite, les vecteurs antiautoritaires et antihiérarchiques présents à Berlin, Rome et Paris, ont imprégné le mouvement. Et avec eux aussi la nécessité de prendre en compte ensemble le modèle de vie et le modèle de société. De même, dans l’État espagnol le mouvement d’étudiant du franquisme tardif fut l’embryon de derniers développements des dits nouveaux mouvements sociaux : le féministe, l’écologiste, le pacifisme.

Les propos de Hannah Arendt sur l’attitude des jeunes à Berkeley, Rome ou Paris dans les années soixante sont également applicables à la nouvelle génération de militant.e.s de l’Etat espagnol : ils ont montré « la détermination à agir, leur joie dans l’action et leur confiance dans le capacité à changer les choses avec leurs propres efforts. »

Conséquences politiques

Le mouvement étudiant sous le régime de Franco était un élément de politisation de la jeunesse et un catalyseur pour les processus sociaux plus larges, comme cela s’était déjà produit auparavant dans la Deuxième République, ce que Trotski a magistralement décrit avec la métaphore de la pièce de théâtre dont le premier acte est ouvert par les étudiant.e.s, mais demande que les classes ouvrières soient présentes dans le second.

La dictature a perdu sa légitimité face aux enfants des secteurs qui constituaient sa base sociale, ce qui a rendu très difficile le renouvellement des cadres politiques du régime et a contribué à l’érosion de son soutien au sein des classes moyennes. Le mouvement étudiant sous le régime de Franco était un acteur politique particulièrement important dans le processus de la mise en question de la dictature militaire fasciste. Il a contribué à perturber les opérations cosmétiques du régime favorisées par les secteurs dits d’« ouverture » et a dynamité les diverses manœuvres pour maintenir des institutions d’encadrement et de contrôle des étudiants universitaires.

Nous pouvons affirmer que le franquisme a perdu l’université et a commencé à perdre les usines, ce qui a entravé sa légitimation, mais aussi le recrutement de nouvelles élites. 1968 a marqué la fin d’une période d’ouverture du régime et le début d’un autre : la sénilité du franquisme tardif.

15/06/2018

Manuel Gari, membre du Conseil d’Édition de Viento sur et militant d’Anticapitalistas.


http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article45568
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Re: 1968 dans le monde

Messagede bipbip » 23 Oct 2018, 18:30

« Fue el Estado » 1968, Octobre noir mexicain

Nous publions ici la traduction d’un texte de Benjamin Fernandez à propos du massacre de Tlatelolco au Mexique en octobre 1968. L’occasion de revenir sur le 68 mexicain ainsi que sur les débuts de la « guerre sale » en amérique latine. La disparition forcée comme modèle de répression des mouvements d’oppositions, seront les méthodes des forces paramilitaires mexicaines bien inspirées par la doctrine contre-insurectionnelle française developpée en Algérie. Il y a tout juste quatre ans au Mexique, 43 étudiants d’Ayotzinapa disparaissaient. L’article est suivi de la traduction de deux extraits d’ouvrage, l’un sur le massacre de Tlatelolco, l’autre sur les femmes dans le mouvement de 68 au Mexique.

... https://lundi.am/Fue-el-Estado-1968-Oct ... r-mexicain
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Re: 1968 dans le monde

Messagede Pïérô » 28 Oct 2018, 16:51

2 octobre 68: la dictature ouvre les jeux de Mexico avec un massacre

Pendant deux mois, la dictature prépare les jeux olympiques en réprimant le mouvement de la jeunesse, jusqu'à massacrer des centaines le 2 octobre sur la Place Tlatelolco. Le geste des athlètes afro-américains, brandissant les symboles des Black Panthers, leur rendra le plus bel hommage.

Le 2 octobre 1968, près de 200 000 manifestants emplissent l’immense Place Tlatelolco, dite aussi des Trois Cultures, après deux mois de manifestations d’étudiants, contre la dictature du président Gustavo Diaz Ordaz et son parti, le Partido Revolucionario Institucional (PRI), au pouvoir depuis 1929…Un régime de corruption allègre et de répression sauvage.

Depuis des mois, la police réprime les mobilisations sociales et étudiantes. Elle prépare le terrain pour les Jeux Olympiques de Mexico qui doivent ouvrir le 12 octobre. Le 6 juillet, la police affronte une manifestation qui combat jusqu’au petit matin. Le 30 juillet elle envoie contre les manifestants les parachutistes, un bataillon d’infanterie, des jeeps armées de de 101 mm, des tanks. La riposte est immédiate: grève et occupation par la jeunesse de centaines de bâtiments et création d’un Conseil national de grève comprenant trois délégués par établissement. En août, 300 000 manifestants défilent à Mexico. En septembre, 3 000 personnes sont arrêtées et la police occupe la Cité Universitaire et l’Université Autonome. Des barrages sont érigés à Tlateloco, sur la place des Trois-Cultures, avec la solidarité de la population.

Arrive le 2 octobre, soit dix jours avant les Jeux Olympiques. Des chars et trois bataillons de l’armée encerclent l’immense Place Tlatelolco. Les mitraillettes crépitent et font un massacre. Puis la police, avec parfois l’appui de l’armée attaquent plusieurs établissements scolaires. Le Comité National de Grève annonce 500 morts, puis 6000 disparus. Le dictateur déclarera en 1976: « Des étudiants ont ouvert le feu sur les soldats et sur leurs propres compagnons. L’armée n’a fait que riposter ». En fait, les vidéos, rassemblées dans le documentaire Tlatelolco, la claves de la massacre (Les clés du massacre) montrent l’arrivée de policiers en civil qui tirent au hasard sur la foule, rapidement rejoints par les trois bataillons de l’armée. Puis les archives publiées dans Excelsior ont révélé qu’il travaillait avec la CIA à l’élimination pure et simple des leaders révolutionnaires.

Le président du Comité international olympique, Avery Brundage déclare: "Les jeux de la XIXe Olympiade, cet amical rassemblement de la jeunesse du monde, dans une compétition fraternelle, se poursuivront comme prévu…" Les jeux se déroulent sous la menace de nouvelles exactions.

Parmi les sportifs des états-uniens, des afro-américains et beaucoup aussi blancs portent le macaron "Olympic project for human rights" (Projet olympique pour les droits humains). La cérémonie du podium du 200 mètres marque l’apogée de cette contestation.

Le 16 octobre, Tommie Smith, afro-américain, fils d’un cueilleur de coton, arrive en tête du 200 m, battant le record du monde. Il est le seul athlète à avoir cumulé onze records du monde en même temps. Peter Norman, australien, est deuxième, John Carlos, afro-américain, est troisième.

Alors qu’ils attendent la remise des médailles, les deux athlètes afro-américains demandent à Peter Norman: « Tu crois aux droits de l’homme ? » qui répond: « Oui, j’y crois… ». Ils lui expliquent leur plan. Et Norman propose la paire de gants noirs et les trouve lui-même. La Tommie prend la main gauche et John la droite. Et pour symboliser la pauvreté de leurs conditions, les athlètes se présenteront pieds nus.

Au moment où retentit l'hymne américain, ils baissent ostensiblement la tête et lèvent leur poing ganté de noir. Leur geste, qui affichent leur soutien au mouvement des Black Panthers, leur coûtera la fin de leur carrière, et leur entrée dans l’histoire. L'Australien Peter Norman, sur la deuxième marche du podium, manifeste son soutien avec un badge du mouvement de protestation des droits civiques. Exclu des Jeux suivants, il sera porté en terre par ses deux amis afro-américains à sa mort en 2006.

Le président du CIO, comme les officiels sont catastrophés. Une deuxième surprise les attend. Les athlètes américains Lee Evans, Larry James et Ronald Freeman, après avoir battu le record du monde du 400 m, montent sur le podium avec un béret noir.

On peut lire en complément dans Inprecor « Mai 1978: la lutte des étudiants » http://association-radar.org/IMG/pdf/16-040-00029.pdf, l’article « Chronique et symbole au Mexique en 1968 » http://journals.openedition.org/amerika/2034, de Françoise Lévirat, « L'automne de Mexico (crépuscule à Tlatelolco) http://www.persee.fr/doc/mat_0769-3206_ ... 1_1_403828 de Jacques Lafaye, et surtout « 68 » de Paco Ignacio Taibo (Éd. L’Échappée, Montreuil 2008, poche, 126 pages), à la fois témoignage, roman et essai.

Documentaire El Grito réalisé par l’Université Autonome de Mexico (en espagnol) :




https://blogs.mediapart.fr/jean-marc-b/ ... n-massacre
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Re: 1968 dans le monde

Messagede Pïérô » 31 Oct 2018, 14:36

11 Août 68: Opération Teresita à Santiago du Chili

Après l’occupation de l’Université Catholique de Santiago du Chili (11 août 1967), le mouvement universitaire reprend de l’ampleur à partir de la rentrée (avril 1968). Les croyants, comme ailleurs- nous le verrons aussi pour la France- sont touchés par ce contexte.

Ce 11 août 68, les secteurs progressistes des croyants catholiques, que l’on retrouvera dans la défense de l’Unité Populaire de Allende, organisent dans le plus grand secret l’occupation de la cathédrale de Santiago. En voici un récit , par Elodie Giraudier:

« Le dimanche 11 août 1968, 9 prêtres, 3 religieuses et 200 laïcs occupent la cathédrale de Santiago, un fait inédit au Chili et en Amérique latine et minutieusement préparé. Seuls quelques prêtres connaissaient la date et l’heure du déroulement de l’opération « Teresita ». L’enjeu était de se faire entendre et d’obtenir un maximum d’appui, à partir du lieu de culte le plus important du pays.

Le samedi 10 août après-midi, une partie du groupe reste secrètement dans la cathédrale après la messe. À 4 heures du matin, ils ouvrent les portes aux fidèles qui les soutiennent. Pendant 14 heures, ils restent à l’intérieur de la cathédrale, donnent une conférence de presse et réfléchissent collectivement. Les pères Diego Palma, Paulino García et Francisco Guzmán célèbrent une messe et prient pour le peuple du Biafra, les victimes de la guerre du Vietnam, la classe laborieuse exploitée en Amérique latine, ceux qui sont poursuivis pour raisons politiques au Brésil, ainsi que les morts pour la libération de l’Amérique latine.

L’influence marxiste est très nette : au lieu d’utiliser l’autel principal de la cathédrale et de disposer parallèlement les chaises, on utilise une simple petite table et les chaises sont disposées tout autour. Dans l’après-midi, Ángel et Isabel Parra chantent « Oratorio para el pueblo ». Sur le pupitre où ils chantaient étaient accrochées, comme des images de saints, les portraits de Camilo Torres et du Che Guevara.

À l’intérieur de la cathédrale, circule un document « Por una Iglesia servidora del Pueblo ». À l’extérieur, est accrochée une banderole « Por una Iglesia junto al pueblo y su lucha ». Le groupe ne manifeste pas contre le pape ou le cardinal et il ne cherche pas à diviser l’Église, mais il entend dénoncer « la estructura de poder, de dominio y de riqueza en la que se ejerce a menudo la acción de la Iglesia ». Les occupants sont sortis à 18 heures de la cathédrale, à l’heure qu’avait fixée le président Frei pour les déloger.

Les membres d’Iglesia Joven sont de jeunes clercs qui ont, en majorité, une trentaine d’années et ont été ordonnés dans la seconde moitié des années 1950. Ainsi, Francisco Guzmán, curé de la paroisse La Barrancas, a été ordonné en 1956. Se trouvent aussi dans ce groupe des prêtres marxistes espagnols comme Paulino García (Las Barrancas), ou Antonio Pastigo (Medalla Milagrosa, Santiago). Du côté des laïcs, se détachent deux grandes figures, Miguel Ángel Solar, et Clotario Blest. À 68 ans, ce dernier a été président de l’Agrupación Nacional de Empleados Fiscales (ANEF) et président de la CUT. Il se joint au mouvement de l’Iglesia Joven pour lutter contre le capitalisme.

La hiérarchie a vu avec terreur cet événement qu’elle rejette vivement :

« Se ha profanado nuestra Iglesia Catedral, se ha profanado hermosas tradiciones de nuestra patria en materia religiosa (…). La Iglesia de Santiago no merecía este trato (…). Queremos que nuestros fieles sepan que condenamos con toda energía estos hechos y que los sacerdotes que han intervenido en ellos, se han separado de la comunión con su Obispo. »


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