La Fédération Communiste Libertaire (F.C.L.)
Posté: 19 Fév 2009, 09:29
La Fédération Communiste Libertaire (F.C.L.)
La Fédération Communiste Libertaire (F.C.L.)
Histoire du mouvement anarchiste 1945-1975 de Roland Biard
Editions Galilée pages 117-124
Dès le congrès de la F.A. de 1951, l'Organisation Pensée Bataille s'était emparé de la majorité du Conseil national. La mainmise fut définitive au Congrès de 1953 qui vit l'exclusion des derniers opposants : les groupes d'Asnières et du dix-huitième (Louise Michel) ainsi que celui de Bordeaux.
Un « référendum » organisé après le Congrès entérine le changement de nom. Par 71 mandats contre 61, la F.A. devient Fédération Communiste Libertaire. Le terme de « mandats » ne doit pas tromper, il s'agit en fait de vote exprimés par militant. La nouvelle F.C.L. compte donc dans les 130/160 militants, compte-tenu de ceux qui n'ont pas participé à la consultation. Le Mémorandum du groupe Kronstadt déjà cité permet de localiser ces militants pour l'année considérée. La F.C.L. compte seize groupes répartis de la façon suivante :
Région parisienne, neuf groupes : Paris -centre, Paris-18ième, Paris-14ième, Paris-Nord, Paris-19/20ièmes, groupe d'entreprise Thomson, Choisy, Boulogne, Aulnay-sous-Bois.
Province, sept groupes : Toulouse, Mâcon, Clermond-Ferrand, Thiers, Lyon, Narbonne, Villeneuve-sur-Yonne.
L'O.P.B. « contrôle » un certain nombre de groupes (le nombre de ceux-ci varie suivant les sources !), particulièrement dans la Région parisienne. Cette majorité lui permet de faire adopter un certain nombre de documents dont le principe est le Manifeste communiste libertaire de Georges Fontenis.
L'élément le plus controversé de ce texte est celui concernant la définition du rôle de l'organisation. Il apparaît à la lecture que le rôle essentiel, dans la Révolution, est dévolu à l'organisation spécifique :
« ... également éloignés du spontanéisme, de l'empirisme et du volontarisme, nous fondons la nécessité de l'organisation anarchiste révolutionnaire conçue comme l'avant-garde consciente et active des masses populaires... »
L'avant-garde a deux tâches principales : celle de développer la capacité d'auto-organisation des masses, et une fonction de direction :
« Ainsi, la minorité en participant à toutes les formes de résistance et d'action (qui peuvent aller, suivant les conditions, de la revendication au sabotage, de la résistance sourde à la révolte) garde la possibilité d'orienter et de développer les moindres mouvements... »
« Son rôle de guide doit se concevoir comme consistant à formuler, à exprimer une orientation idéologique, organisatrice et tactique, orientation précisée, élaborée, adaptée sur la base des aspirations et des expériences de masse... »
L'ensemble de ces thèses font de l'organisation libertaire à la fois l'expression idéologique et la direction politique des masses en lutte.
Mais ceci n'empêche l'auteur du Manifeste d'inscrire son texte dans la tradition libertaire :
« (on trouvera) l'essentiel de la pensée des premiers fondateurs et des meilleurs théoriciens du communisme anarchiste : Bakounine, Kropotkine, Malatesta... on y retrouvera, parfois presque mot pour mot, des passages des « Statuts de l'Alliance » de Bakounine, on y retrouvera ce qui peut être retenu de fondamental dans les idées de la « Plate-Forme » de Makhno et de ses compagnons... on y retrouvera les points principaux et l'esprit du Pacte d'Alliance et du Programme qui présidèrent à la naissance en 1920 de l'Union Anarchiste Italienne, on y retrouvera les thèses défendues aujourd'hui en Italie par les Groupes Anarchistes d'Action Prolétarienne, l'esprit et les conceptions du mouvement espagnol et de ses expériences de 1936... On y retrouvera enfin le développement des principes qui animent le mouvement communiste anarchiste révolutionnaire en France, tel qu'il s'est dégagé des luttes de tendances, sutout depuis 1913... »
La multiplicité des références traduit surtout la volonté de l'auteur de se concilier certaines tendances du mouvement anarchiste international. Il n'ya en effet que fort peu de points communs entre les textes et les hommes cités dans ce texte. En tout état de cause, aucun d'entre eux n'avoue une orientation aussi avant-gardiste que celle du Manifeste. La définition de l'organisation est plus léniniste qu'anarchiste. Jean Maîtron parlera à propos du Manifeste communiste libertaire d'un « effort de synthèse entre l'anarchisme et le léninisme », ce qui semble, en effet, en caractériser parfaitement l'esprit !
L'orientation de plus en plus léniniste de la F.C.L. s'accentue à partir de 1953.
En 1954, sera publié le « Programme ouvrier » de la F.CL. dénoncé par le groupe Kronstadt comme une pâle copie du programme revendicatif de la C.G.T. Cette tendance à prendre le P.C.F. et la C.G.T. comme modèles sera un leitmotiv constant. Dès 1953, la F.C.L. reprend à son compte le mot d'ordre de « convocation extraordinaire du Parlement »... à propos des grèves de l'été. À plusieurs reprises, les groupes F.C.L. proposent « l'unité d'action » aux cellules du P.C.F. Ou de l'U.J.R.F. (cas du groupe du 19ième, de celui d'Elbeuf...).
La rupture avec le mouvement anarchiste international allait intervenir dès 1954. Devant l'inefficacité – voire la quasi-disparition de l'Internationale anarchiste - , la F.C.L. crée sa propre Internationale : L'Internationale communiste libertaire.
Du 5 au 7 juin, un Congrès est réuni à Paris. Trois « pays » sont représentés : la France, l'Italie et l'Espagne, mais une seule organisation participe à l'I.C.L. : la F.C.L., les autres participants ne représentent qu'eux-mêmes. Par la suite, une « section espagnole » sera mise sur pied et les G.A.A.P. Italiens rejoindront l'Internationale. Il ne semble pas qu'il y ait eu un deuxième Congrès. Le « Conseil » de l'I.C.L. a tenu, quant à lui, deux réunions (septembre 1955 et avril 1956) et publié dans Le Libertaire deux longues déclarations.
En 1955, un texte intitulé « Zimmerwald 1915-1955 » met l'accent sur les « mots d'ordre » de l'« I.C.L. » :
l'« Unité » ;
l'« Opposition ouvrière » (opposée à l'opposition légalitaire constitutionnaliste « constructive » à l'Etat capitaliste) ;
« Direction révolutionnaire » : « Pour que se lève une direction révolutionnaire, il faut un long et patient travail, et l'I.C.L. appelle tous les travailleurs à contribuer à cette oeuvre. »
En 1956, le Conseil publie un document intitulé « L'I.CL. et le Xxième Congrès du P.C. Russe » qui contient des appréciations étonnantes du genre :
« La bureaucratie russe liquide le stalinisme pour s'éloigner plus encore des positions d'octobre 1917... »...
« (les décisions du Xxième Congrès)... entraînet le passage OFFICIEL des partis communistes dans le camp du réformisme... »
« ... (Le Xxième Congrès)... ouvre une crise de transition à l'intérieur de la société soviétique et des partis communistes... »
Le texte conclut en indiquant que le rôle de l'I.C.L. est le « travail normal d'éclaircissement », et la « récupération des militants communistes-révolutionnaires ».
La F.C.L. passera de la théorie à la pratique. En 1956, elle contacte André Marty qui vient d'être exclu du P.C.F. Celui-ci collaborera à quelques uméros du libertaire... mais sans rien renier de son action passée ! Tout au plus apporterat-il quelques éléments critiques sur le P.C.F. en dénonçant les pratiques bureaucratiques de l'appareil dirigeant de celui-ci. André Marty, après quelques trente-cinq années de participation à ces hautes sphères, n'accouche que d'une souris !
Ce ne seront pas ces prises de position qui provoqueront la crise finale de la F.C.L. l'élément fondamental de désagrégation de cette organisation fut, sans aucun doute, la participation de cette organisation aux élections législatives de 1956. Cette participation ne peut être évidemment dégagée de son contexte politique. L'orientation de la F.C.L., ses prises de position tout au long des années 1955 et 1956, pouvaient permettre de déceler les justifications théorico-politiques de la présentation de candidats. De 1953 à 1956, l'évolution est cependant brutale. En effet, à l'occasion des élections municipales de 1953, la Fédération anarchiste avait publié un manifeste condamnat celles-ci sans appel :
« ... Ces élections sont une imposture... »
« Aux travailleurs qui ... voudront voter en pensant choisir un moindre mal, nous rappelons que la droite c'est la réaction et la gauche, la trahison. Nous disons : votez donc, mais ce ne sera qu'une expérience de plus. Abstention massive ! Non parce que nous nous désintéressons des questions communales, mais au contraire parce que tout le régime est en cause et que ces élections ne sont qu'une imposture... »
L'appel à l'abstention n'eut jamais beaucoup d'écho en France lorsqu'il n'émane que des minorités révolutionnaires. En 1953, le taux d'abstention ne fut ni plus faible ni plus fort que d'habitude. Certains interprétèrent ce résultat comme un échec et commençèrent à préconiser une « tactique plus souple ». A partir de 1955, et en fonction de l'échéance de janvier 1956, la question des élections commence à être débattue dans les bulletins intérieurs. En mars 1955, le groupe de Maisons-Alfort-Alfortville publie une motion destinée à « ouvrir la discussion ». Le Congrès de 1955 entérine une prise de position dans le même sens.
Un des opposants à la majorité de la F.C.L., qui s'en retirera en 1955 pour rejoindre ce qui formeront les G.A.A.R., raconte dans Noir et Rouge le cheminement politico-idéologique qui devait conduire à la présentation d'une liste de candidats dans la première circonscription de la Seine.
« C'este le 27 octobre 1955 que la position F.C.L. sur le problème électoral passa du stade intérieur au plan public, par l'intermise du Libertaire. Ce fut d'abord quelque chose d'anodin, bien-sûr, un article qui se terminait ainsi : « Un député ouvrier ne doit pas entrer dans le jeu parlementariste de la classe bourgeoise. Il sait que ses interlocuteurs sont de mauvaise foi, qu'il n'y a pas de compromis parlementaire, qu'il doit appuyer l'action directe des travailleurs. » (Le Libertaire numéro 450, Explication du vote et pantomime parlementaire M.H.)
« en plus d'une incontestable contradiction dans tous les termes de cet épilogue, l'idée du « député-ouvrier » était donc avancée. Les Lib suivants allaient étoffer tout ça, pour commencer par une suite d'articles : « La F.C.L. et le Front populaire (Lib numéros 451-452-453 G.F.) » et surtout par les éditoriaux beaucoup plus directs. Celui du 17 novembre devenait encore plus précis et la future participation électorale de la F.C.L. s'y devinait avec transparence. Après le numéro du 8 décembre où une convocation extraordinaire du Conseil national de la F.C.L. en « raison de la gravité des circonstances et de la proximité de la campagne électorale » était annoncée, c'était la confirmation officielle du 15 décembre où le Lib déclarait : « la F.C.L. entre en lutte » avec une présentation d'une liste de dix candidats et ouverture d'une souscription spéciale pour la campagne qui s'ouvrait ainsi.
...
« Ajoutons que, par divers camarades, nous apprîmes que la particpationà ces élections n'avait pas été décidée sans tiraillements, certains « pour » au Congrès (Congrès de mai 1955 où la discussion sur ce problème avait été abordée d'une façon théorique) brutalement mis au pied du mur commençaient à réaliser les difficultés de l'entreprise. »
Les résultats électoraux de la F.CL. furent maigres. La liste « présentée par le Libertaire » obtient 2219 voix (moyenne de la liste) sur 457 266 suffrages exprimés, soit 0,5% de ceux-ci. Elle arrive en dixième position sur dix-neuf listes présentées (dont quatre listes « bidons » destinées au « jeu des apparentements »)... juste avant celle des « Amis du Christ » (1132 voix).
La F.C.L. pavoise cependant en déclarant trimphalement que plus de 3000 suffrages ouvriers se sont portés sur ses candidats !
Mais l'échec est patent et provoque la désaffection croissante des militants. De 1956 à 1958, la F.CL. Participera activement aux luttes contre l'envoi du contigent en Afrique du Nord. Le Libertaire sera plusieurs fois saisi et Georges Fontenis condamné à de fortes amendes. La crise de conscience des militants communistes libertaires après les élections, la répression, les difficultés financières ont bientôt raison de la F.C.L. En juillet 1956, la publication du Libertaire est suspendue,la F.CL. abandonne ses locaux. Réduite à l'état d'un groupe, elle fera encore paraître deux numéros d'une revue Le Partisan, pour disparaître définitivement au début de 1958.
Les militants de la F.CL. à cette date ont déjà rejoint d'autres organisations. Les communistes libertaires et les anarchistes ont rejoint soit les groupes d'« exclus » (groupe Kronstadt, groupe de Mâcon) qui fonderont en 1956 les Groupes Anarchistes d'Action Révolutionnaire. D'autres, recrutés au moment de la « campagne électorale » déçus par l'inefficacité chronique de la F.C.L. rejoindront le P.C.F. Enfin, beaucoup d'autres disparaîtront dans la nature. Certains d'entre-eux reparaîtrons en 1968 et seront à l'origine du Mouvement Communiste Libertaire.