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Re: 1936, une révolution sociale et libertaire en Espagne

MessagePosté: 29 Déc 2017, 02:04
de Pïérô
« Mai 1937 Barcelone »

Le Centre toulousain de documentation de l’exil espagnol (CTDEE) a consacré, en juillet dernier, un excellent numéro de sa revue, Les Cahiers du CTDEE , aux événements de mai 1937 à Barcelone. Nous avons rencontré Amado Marcellán, l’un des animateurs de la revue, qui a accepté de nous présenter ce numéro 7 intitulé Mai 1937, Barcelone .

CAD - Pourrais-tu rappeler, tout d’abord, ce qu’est le CTDEE, et quelles sont ses activités ?

Amado Marcellán – Ce centre de documentation sur l’exil espagnol est né, en 2007, comme une suite des rencontres qui se produisaient annuellement à Toulouse, le 19 juillet à partir du milieu des années 40, et cela jusqu’à la fin de la dictature franquiste. En effet, le 19 juillet, les exilés libertaires se réunissaient tous les ans pour commémorer la date de la révolution espagnole avec un meeting, des prises de paroles, des spectacles de musique, de chant ou de théâtre. Si la date du 19 juillet tombait un dimanche, c’était tant mieux, sinon on choisissait le dimanche le plus proche du 19 juillet. Seule la date du 18 juillet était bannie puisque que c’était la date du coup d’état franquiste.

Avec la fin de l’exil, des enfants de militant-e-s libertaires – j’en suis – ont créé ce centre de documentation afin de continuer à organiser cette commémoration. Ils y ont réuni des archives, des journaux et des publications militantes liés à l’histoire de l’exil libertaire de leurs parents. C’est ainsi que le CTDEE a aujourd’hui un local situé à côté de la gare Matabiau, non seulement pour fêter le 19 juillet, mais aussi pour développer d’autres projets mémoriels et culturels.

Puis il nous est apparu que ce centre devait aussi être un lieu de création ou de production de textes, d’analyses. Voilà comment sont nés les Cahiers du CTDEE : une revue semestrielle qui essaie d’apporter des témoignages et des regards susceptibles d’éclairer les mémoires de l’exil en référence à l’histoire de la guerre et la révolution espagnoles.

D’une manière générale, nous voulons éviter d’entrer dans une logique mémorielle qui se contente de faire appel à la mémoire affective, en procédant à la victimisation des acteurs de l’histoire. Nous voulons aussi travailler sur les faits historiques, sur l’écriture des événements et réfléchir à la mémoire qu’on en a conservée.

CAD - C’est donc une démarche qui part de la mémoire individuelle et familiale de cette expérience d’exil des libertaires à Toulouse mais qui développe aussi un travail critique de confrontations de débats sur l’interprétation de cette histoire : c’est cela ?

A. M. : Oui. En histoire comme toutes choses, il y a des hégémonies. Or ce que nous souhaitons faire au CTDEE, c’est précisément contester ces hégémonies pour montrer qu’il y a eu d’autres regards, d’autres possibles, qui ont perduré dans l’exil et qui gardent une actualité. Autrement dit, nous cherchons à rendre compte des conceptions du monde qui se sont affrontées. On pourrait croire que les conflits de représentations qui ont agité les Espagnols durant les années 30 et les années 40-60 en exil, font partie du passé. Nous pensons au contraire que les enjeux de ces conflits sont restés actuels et qu’il est important de croiser les regards. Aussi, au-delà de ce premier groupe toulousain qui était à l’origine du projet, Les Cahiers du CTDEE ont fédéré des personnes soucieuses de dépasser les représentations officielles de l’histoire contemporaine de l’Espagne.

C’est le cas des membres du ReDHiC, une association qui, en région parisienne, travaille sur ces sujets, et qui a en particulier oeuvré pour le film documentaire Un autre futur, réalisé par Richard Prost.

CAD - Comment avez-vous conçu ce numéro sur les journées de mai 1937 ?

A. M. : Nous avons considéré qu’il était absolument nécessaire de rendre compte de cet événement car Mai 1937 marque une date incontournable de la révolution sociale.

Il nous semble important d’analyser ce moment clé qui est un coup d’arrêt dans ce processus. Nous avons tenté d’éclairer comment s’affrontent : d’une part la voie révolutionnaire qui est celle des libertaires, des « poumistes », de l’aile gauche du parti socialiste et d’autre part, la voie réformiste : celle de la conservation de la République bourgeoise, dans laquelle sont impliqués les partis républicains, les partis régionalistes – aussi bien basques que catalans – et le parti communiste espagnol (PCE).

CAD - Pour éclairer la compréhension des journées de mai 1937, vous avez adopté une perspective diachronique : vous avez fait un travail de montage de témoignages contemporains de l’événement et de témoignages rétrospectifs comme celui de Manuel Cruells. Vous appréhendez ici l’événement à partir de différentes échelles : allant du très local à l’international. Enfin, vous proposez une approche « par le bas », en nous donnant accès à la parole des acteurs et des actrices direct-e-s de ces mouvements sociaux. Comment s’est fait le travail sur ces sources : avez-vous utilisé des archives privées conservées au sein des collections du CTDEE ?

A. M. : Pas seulement, les sources que nous avons utilisées sont dispersées.

Par exemple, en ce qui concerne les écrits de Georges Orwell, nous avons cité des articles et des lettres absolument magnifiques qui ont été reprises par les éditions Ivrea & les éditions de l’Encyclopédie des nuisances entre 1995 et 2001.

Par ailleurs, nous avons consulté la presse de l’époque.

L’Humanité entre autres. On peut y lire, au mois de mai 1937 un texte de Gabriel Péri absolument glaçant, puis à l’automne 1938, au moment du procès du POUM, des textes de Georges Soria qui sont à vomir. Il faut rappeler que le PCE est à ce moment là, complètement isolé. Les républicains se sont retournés contre lui alors qu’il était leur principal allié. Lors du procès du POUM, les plus grandes personnalités du camp républicain vont témoigner en défense de ce dernier : désavouant le PCE.

Nous avons aussi travaillé sur les archives du journal Le Populaire, les articles de Marceau Pivert et Daniel Guérin qui sont en tribunes libres. C’est particulièrement intéressant car à l’époque Marceau Pivert est un personnage d’un poids énorme. L’Humanité essaye de l’écorcher mais on ne peut pas l’attaquer comme on attaque à l’époque les trotskystes ou les prétendus « hitléro-trotskystes ».

Donc nous essayons d’aller aux sources primaires, d’analyser les archives internes aux organisations mais surtout la parole publique des partis politiques qui façonne la construction médiatique de l’événement.

La suite ici : http://ascaso-durruti.info/legrainducad ... suite.html

Re: 1936, une révolution sociale et libertaire en Espagne

MessagePosté: 01 Jan 2018, 19:43
de bipbip
Les comités de défense de la CNT à Barcelone (1933/1938)
Éditions Le Coquelicot

Image

Texte de la présentation du livre "Les comités de défense de la CNT à Barcelone (1933-1938)", publié en espagnol, réalisée le 3 décembre 2011, Salle du Sénéchal à Toulouse.

1. Introduction

La thèse fondamentale du livre Barricades à Barcelone (traduit en français à Spartacus, 2009) affirme que l’idéologie d’unité antifasciste a conduit la CNT à accepter le programme politique de la bourgeoisie républicaine et par conséquent à collaborer avec l’État capitaliste, en ayant pour seul objectif celui de gagner la guerre contre le fascisme, en renonçant au préalable à tout programme révolutionnaire.
La situation révolutionnaire en juillet 36 se caractérisait par un pouvoir atomisé en multiples comités révolutionnaires, qui fut asphyxié par le Comité Central des Milices (CCMA), qui ne fut qu’un organisme de collaboration de classes, et qui a vu le jour parce que la CNT a renoncé à prendre le pouvoir.
L’idéologie antifasciste et la participation de la CNT au pouvoir à divers niveaux, responsabilités municipales, ministères de la Généralitat (gouvernement autonome de Catalogne) et même ministères du gouvernement central, ont créé une bureaucratie de comités supérieurs, ayant des intérêts distincts et opposés à ceux des comités révolutionnaires qui s’étaient créés dans les quartiers de Barcelone. Alors que pour les comités supérieurs tout dépendait de la victoire militaire sur le fascisme, les comités de quartier continuaient à faire ondoyer le drapeau du programme de la révolution ouvrière.
Le processus d’institutionnalisation de ces comités supérieurs de la CNT-FAI en a fait des serviteurs de l’État qui considéraient les comités révolutionnaires de quartier comme leurs pires ennemis. La thèse naïve et simpliste qui divise les leaders anarcho-syndicalistes en traitres et en héros, comme si la masse militante était amorphe et sans volonté, n’explique rien. L’affrontement entre les comités supérieurs et les comités révolutionnaires a été un chapitre de plus de la lutte de classes, qui a été sur le point de se terminer par une scission, que la répression sélective stalinienne a finalement résolue par l’anéantissement des révolutionnaires et l’intégration des comités supérieurs dans l’appareil de l’État.
Dans le livre Les Comités de Défense de la CNT (en espagnol à Aldarull, 2011), j’essaie d’expliquer ce qu’étaient ces comités de défense, comment ils ont vaincu l’armée dans les rues de Barcelone les 19 et 20 juillet, comment ils se sont transformés en comités révolutionnaires, comment ils se sont affrontés aux comités supérieurs libertaires, comment ils se sont affrontés au stalinisme en mai 1937. J’essaie également d’expliquer leur évolution postérieure jusqu’à leur dissolution définitive.

2. Qu’était un Comité de défense (CD) ?

Les comités de défense étaient l’organisation militaire clandestine de la CNT, financés par les syndicats de la CNT et leur action était assujettie à ces derniers.
En octobre 1934, le Comité National des Comités de Défense a abandonné la vieille tactique des groupes d’actions pour une préparation révolutionnaire sérieuse et méthodique. Il a élaboré un rapport où il affirmait :
"Il n’y a pas de révolution sans préparation. Il faut en finir avec le préjugé des improvisations. Cette erreur, qui est de croire en l’instinct créateur des masses, nous a coûté très cher. On n’obtient pas, comme par génération spontanée, les moyens de guerre nécessaires pour combattre un État qui a de l’expérience, qui est fortement armé et qui a une plus grande capacité offensive et défensive”.
Le groupe de défense de base devait être constitué de peu de personnes, pour faciliter la clandestinité. Il devait être formé de six militants ayant des fonctions spécifiques :

. Un secrétaire, chargé du contact avec d’autres groupes de défense, de la création de nouveaux groupes et de l’élaboration des rapports.
. Un deuxième militant chargé d’enquêter sur les personnes, d’évaluer le danger des ennemis, tout particulièrement des curés, des militaires et des pistoleros du patronat.
. Un troisième militant se chargeait de repérer les bâtiments, de tracer des plans et d’élaborer des statistiques.
. Un quatrième militant étudiait les points stratégiques et tactiques de la lutte dans les rues.
. Un cinquième se consacrait à l’étude des services publics : électricité, eau, gaz, égouts.
. Et un sixième militant était chargé de trouver des armes, de l’argent et du ravitaillement.

Six était un nombre idéal, mais certains membres pouvaient s’y rajouter pour accomplir des tâches “relativement importantes”. La clandestinité devait être absolue. C’étaient les noyaux de base d’une armée révolutionnaire, capable de mobiliser des groupes secondaires plus nombreux, et ces derniers de mobiliser le peuple dans son ensemble.
Le cadre où chaque groupe de défense devait agir était bien délimité dans chaque quartier et signalée sur un plan de la ville. Le Comité de défense du quartier coordonnait tous ces cadres de défense et recevait un rapport mensuel de chaque secrétaire de groupe.
L’organisation des comités de défense à l’échelle régionale et nationale comprenait entre autres les secteurs de travailleurs des chemins de fer, les conducteurs d’autocar, les travailleurs de la compagnie téléphonique et du télégraphe, les facteurs et enfin, tous ceux qui, par les caractéristiques de leur profession ou organisation, sont présents au niveau national, en soulignant l’importance des communications dans une insurrection révolutionnaire. Une attention toute spéciale était donnée au travail d’infiltration et de propagande pour gagner des sympathisants dans les casernes.
Les comités de défense avaient deux fonctions essentielles : les armes et l’intendance, dans le sens le plus large.
Les Comités de Défense pouvaient être considérés comme la continuité, la réorganisation et l’extension des groupes d’action et d’auto-défense armée des années du pistolérisme (1917-1923).

3. Comment est-on passé des groupes d’action aux comités de défense ?

Les groupes anarchistes Indomables (indomptables), Nervio (Nerf), Nosotros (Nous), Tierra libre (Terre libre) et Germen (Germe), ont fondé à Barcelone le Comité Local de Préparation Révolutionnaire en janvier 1935 à la réunion plénière de la Fédération des Groupes Anarchistes de Barcelone.
Dans un contexte historique vraiment effrayant, la montée du fascisme en Italie, du nazisme en Allemagne, du stalinisme dans la soi-disant Union Soviétique, de la dépression économique avec un chômage massif et permanent aux États-Unis et en Europe, le rapport élaboré à cette réunion plénière présentait l’espoir du prolétariat révolutionnaire.
Ce rapport disait : « Face à la faillite universelle des idées, des partis, des systèmes, il ne reste que le prolétariat révolutionnaire avec son programme de réorganisation des bases du travail, de la réalité économique et sociale et de la solidarité ».
Ce rapport critiquait la vieille tactique de la gymnastique révolutionnaire (LE FAIT DE S’ENTRAÎNER À LA PRATIQUE INSURRECTIONNELLE) et les insurrections improvisées de janvier et de décembre 1933 de cette façon:
« La révolution sociale ne peut être interprétée comme un coup audacieux, dans le style des coups d’État du jacobinisme, elle sera la conséquence et le résultat du dénouement d’une guerre civile inévitable et dont on ne peut prévoir la durée ».
18 mois avant le 19 juillet, la préparation révolutionnaire en vue d’une longue guerre civile devait faire face à de nouveaux défis, impensables pour la vieille tactique des groupes de choc. Le rapport disait :
« Comme il est impossible de disposer à l’avance des stocks d’armes nécessaires à une lutte soutenue, il faut que le Comité de Préparation étudie la façon de transformer, dans certaines zones stratégiques, les industries […] en industries pouvant fournir du matériel de combat pour la révolution».
Là est l’origine de la Commission des industries de guerre, constituée le 7 août 1936 et qui a constitué, du néant le plus absolu, une puissante industrie de guerre grâce aux efforts des travailleurs coordonnés par les militants de la CNT Eugenio Vallejo, travailleur de la métallurgie, Manuel Martí, du syndicat du secteur chimique et Mariano Martín, même si plus tard ce sont des politiciens bourgeois comme Josep Tarradellas qui s’en sont appropriés le succès.
Des groupes d’action et de choc d’avant 1934, pratiquant la gymnastique révolutionnaire, on était passé à la formation de comités d’information et de combat, considérés comme les cellules de base d’une armée révolutionnaire capable de vaincre l’armée et de mener une guerre civile.

4. Les anarchistes pouvaient-ils prendre le pouvoir ?

Au cours des six premiers mois de 1936, le groupe Nosotros s’est affronté aux autres groupes de la FAI en Catalogne dans des débats très durs sur deux conceptions fondamentales, à un moment où l’on savait pertinemment que les militaires se préparaient à un coup d’État sanglant. Ces deux concepts étaient « la prise du pouvoir » et « l’armée révolutionnaire ». Le pragmatisme du groupe Nosotros, plus préoccupé par les techniques insurrectionnelles que par les tabous, se heurtait de plein front aux préjugés idéologiques des autres groupes de la FAI, c’est-à-dire qu’il se heurtait au refus de ce que ces groupes qualifiaient de « dictature anarchiste » et il se heurtait à leur profond antimilitarisme, eux qui subordonnaient tout à la spontanéité créative des travailleurs.
Ce net rejet des « pratiques anarcho-bolcheviques » du groupe Nosotros s’est largement reflété dans la revue Más Lejos (Plus Loin) qui publia les réponses à une enquête qu’elle avait réalisée dans son premier numéro, en avril 1936, et où les lecteurs devaient répondre à deux questions sur l’acceptation ou le refus de l’abstentionnisme électoral et à une troisième question sur la prise du pouvoir ainsi formulée : « Les anarchistes peuvent-ils, suivant les circonstances, et en faisant fi du moindre scrupule, se disposer à la prise du pouvoir, de n’importe quelle façon, afin d’accélérer le rythme de sa marche vers la réalisation de l’Anarchie ? »
Pratiquement tout le monde a répondu négativement. Mais aucune réponse ne proposait d’alternative pratique à ce refus généralisé de la prise du pouvoir. Théorie et pratique anarchistes semblaient en plein divorce, à la veille du coup d’État militaire.
À la réunion plénière des Groupes Anarchistes de Barcelone de juin 1936, García Oliver défendit que l’organisation des groupes de défense, coordonnés en comités de défense de quartier, à Barcelone, était le modèle à suivre, en l’étendant à l’ensemble du territoire espagnol, et en coordonnant cette structure au niveau régional et national, pour constituer une armée révolutionnaire du prolétariat. Cette armée devait être complétée par la création d’unités de guérillas de cent hommes. De nombreux militants se sont opposés aux conceptions de García Oliver, bien plus enclins à la spontanéité des travailleurs qu’à l’organisation révolutionnaire disciplinée. Les convictions antimilitaristes de nombreux groupes d’affinité entraînèrent un refus quasi unanime des thèses du groupe Nosotros, et particulièrement de celles de García Oliver.

5. Comment ces Comités de Défense se sont-ils transformés en Milices Populaires et en Comités révolutionnaires de quartier ?

Le 19 juillet 1936, la garnison militaire de Barcelone comprenait environ six mille hommes, face aux presque deux mille de la Guardia de Asalto (Garde d’assaut) et aux deux cents « mossos d’escuadra » (police catalane). La Guardia Civil, dont personne ne savait avec certitude en faveur de qui elle se décanterait, comptait sur environ trois mille hommes. La CNT-FAI était formée d’environ vingt mille militants, organisés en comités de défense de quartier, prêts à prendre les armes. Elle s’engageait, devant la commission de liaison de la CNT avec la Generalitat et les militaires loyaux à la République, à arrêter les factieux avec seulement mille militants armés.
Ces groupes de défense subirent une double transformation en donnant d’une part les milices populaires qui ont constitué au cours des premières journées le front d’Aragon qui instaura la collectivisation des terres dans les villages d’Aragon libérés ; et, d’autre part, les comités révolutionnaires qui, dans chaque quartier de Barcelone, et dans chaque village de la Catalogne, ont imposé un « nouvel ordre révolutionnaire ». Comme les milices populaires et les comités révolutionnaires provenaient tous deux des groupes de défense, ils furent toujours très unis et en interaction. Ces comités locaux, dans certains villages, étaient le fruit du rapport de forces existant dans chaque localité, et parfois ils pouvaient être purement front populiste, sans aucune aspiration révolutionnaire.
Les comités révolutionnaires assumaient une importante tâche administrative, très variée, de l’émission de bons, de tickets pour la nourriture, de sauf-conduits, de laissez-passer, l’approvisionnement et l’entretien des hôpitaux à l’expropriation de la nourriture, des meubles et des bâtiments, le financement des écoles rationalistes et des ateneos (centres culturels) gérés par les Jeunesses Libertaires, la paie des miliciens ou de leur famille, etc.

6. Les Comités de Défense se sont transformés, à Barcelone, en comités révolutionnaires de quartier

Le vrai pouvoir exécutif était dans la rue, c’était le pouvoir du prolétariat en armes, exercé par les comités locaux, de défense et de contrôle ouvrier, qui expropriaient spontanément les usines, les ateliers, les immeubles et les propriétés ; qui organisaient, armaient et menaient au front les groupes de miliciens volontaires qu’ils venaient de recruter ; qui brûlaient les églises ou les transformaient en écoles ou en magasins ; qui formaient des patrouilles pour étendre la guerre sociale ; qui protégeaient les barricades, véritables frontières de classe contrôlant les allées et venues et représentant le pouvoir des comités ; qui faisaient fonctionner les usines, sans maîtres ni dirigeants, ou qui les transformaient en usines de guerre ; qui réquisitionnaient les voitures et les camions ou la nourriture pour les comités d’approvisionnement ; qui « promenaient » (liquidaient) les bourgeois, les fascistes et les curés ; qui percevaient les impôts révolutionnaires ou qui finançaient des travaux publics pour réduire le chômage ; qui substituaient les mairies républicaines totalement obsolètes en imposant partout leur autorité absolue dans tous les domaines, en ignorant les ordres de la Generalitat et du Comité Central des Milices Antifascistes (CCMA). La situation révolutionnaire se caractérisait par une atomisation du pouvoir.
À Barcelone, les comités de défense, transformés en comités révolutionnaires de quartier, n’ont suivi les consignes d’aucune organisation, quelle qu’elle soit et ont pris les initiatives que chaque situation exigeait. Ils ont organisé les hôpitaux, débordés par l’avalanche de blessés, ils ont créé des cantines populaires, ils ont réquisitionné des voitures, des camions, des armes, ils ont exproprié des usines, des immeubles, ils ont détenu des suspects et ont créé un réseau de Comités d’approvisionnement dans chaque quartier, qui se sont coordonnés en un Comité Central d’Approvisionnement de la ville, au sein duquel le Syndicat de l’Alimentation de la CNT a joué un grand rôle. La contagion révolutionnaire touchait tous les secteurs sociaux et toutes les organisations, qui se décantaient sincèrement en faveur de la nouvelle situation révolutionnaire. Cela a été la seule force réelle du Comité Central des Milices, qui apparaissait aux yeux du prolétariat armé comme l’organisme antifasciste qui devait diriger la guerre et imposer le nouvel ordre révolutionnaire.
Le 21 juillet, une séance plénière des syndicats locaux et régionaux avait renoncé à la prise du pouvoir, comprise comme une dictature des leaders anarchistes, et non point comme l’imposition, la coordination et l’extension du pouvoir que les comités révolutionnaires exerçaient déjà dans la rue. Fut décidée la création d’un Comité Central des Milices Antifascistes, ORGANISME DE COLLABORATION DE CLASSES, formé par l’ensemble des organisations antifascistes.
Le 24 juillet a lieu le départ des deux premières colonnes anarchistes dirigées l’une par Durruti et l’autre par Ortiz. Durruti prononça un discours à la radio où il prévenait qu’il fallait être vigilant face aux tentatives contre-révolutionnaires. Il fallait contrôler la situation révolutionnaire à Barcelone et aller « jusqu’au bout » après la prise de Saragosse.
À la Réunion plénière régionale du 26, il fut confirmé à l’unanimité que la CNT maintiendrait la même position que celle défendue le 21 juillet, celle de participer à l’organisme de collaboration de classes appelé CCMA. Lors de cette réunion du 26 fut créée une Commission d’Approvisionnement, dépendante du CCMA, à laquelle devaient se soumettre les différents comités d’approvisionnement qui avaient surgi un peu partout, et en même temps l’arrêt partiel de la grève générale fut aussi exigé. Le résumé des principaux accords qui se sont conclus à cette réunion plénière fut publié sous forme d’arrêté pour qu’il soit connu de tous et respecté.
Le Comité Central d’Approvisionnement était une institution fondamentale qui jouait un rôle indispensable par rapport aux ouvriers volontaires qui quittaient leur poste de travail pour aller combattre le fascisme en Aragon : assurer en leur absence la nourriture de leurs familles qui ne percevraient plus le salaire hebdomadaire avec lequel elles vivaient.
Ainsi, les comités révolutionnaires de quartier, à Barcelone, étaient formés de deux sections : la section de défense et la section d’approvisionnement, qui répondaient aux deux besoins essentiels du moment : les armes et la nourriture.

7. Qu’étaient les Patrouilles de Contrôle ?

Entre le 21 juillet et la mi-août 36, les patrouilles de contrôle se sont constituées comme police « révolutionnaire » qui dépendait du Comité Central des Milices Antifascistes (CCMA).
Seule la moitié environ de ceux qui faisaient partie des patrouilles de contrôle possédait la carte de la CNT ou faisait partie de la FAI ; l’autre moitié était affiliée aux autres organisations formant le CCMA : fondamentalement le POUM, Esquerra Republicana de Cataluña (ERC) et le PSUC. Sur les onze délégués de section, il n’y en avait que quatre de la CNT : ceux de Pueblo Nuevo, Sants, San Andrés (Armonía) et Clot : quatre étaient de ERC, trois du PSUC et aucun du POUM.
Les patrouilles de Contrôle dépendaient du Comité d’Enquête du CCMA, dirigé par Aurelio Fernández (FAI) et Salvador González (PSUC). Sa section centrale était dirigée par deux délégués de Patrouilles, José Asens (FAI) et Tomás Fábrega (Acció Catalana). Le salaire des membres des patrouilles, de dix pesetas par jour, était payé par la Generalitat. [...].

8. Quel a été le bilan du Comité Central des Milices Antifascistes ?

Le 26 septembre fut formé un gouvernement de la Generalitat auquel participaient des « consellers » -des ministres- anarchistes. Le 1er octobre, le CCMA fut dissous.
Les décrets du 9 et 12 octobre déclarèrent que tous les comités locaux qui avaient surgi le 19 juillet étaient dissous et qu’ils devaient être remplacés par de nouvelles mairies. La résistance des militants de la CNT, qui ne faisaient aucun cas des consignes des comités supérieurs ou des ordres du gouvernement de la Generalitat, menaça le pacte antifasciste. Les dirigeants anarchosyndicalistes subissaient la pression de leurs militants qui n’avaient aucune envie de leur obéir et celle des forces antifascistes qui leur exigeaient de respecter et de faire respecter les décrets du gouvernement et de faire entendre raison aux « incontrôlés ».
Voilà quel était le véritable bilan du CCMA après neuf semaines d’existence : la dissolution des comités révolutionnaires locaux qui exerçaient tout le pouvoir dans la rue et les usines en faveur du rétablissement complet du pouvoir de la Generalitat. Il faut ajouter au bilan désastreux du CCMA les décrets signés le 24 octobre sur la militarisation des Milices et le décret sur les Collectivisations, c’est-à-dire la suppression des Milices ouvrières formées de volontaires révolutionnaires et leur transformation en armée bourgeoise classique. Et d’autre part, la transformation des expropriations et du contrôle des usines par le prolétariat en une économie tendant à être entièrement contrôlée et dirigée par la Generalitat.

9. L’hibernation des comités de défense en décembre 1936 et leur réorganisation en mars 1937

Début décembre 1936, la Fédération Locale des Syndicats Uniques de la CNT de Barcelone a débattu du rôle que devaient jouer les comités de défense à Barcelone.
La Fédération Locale imposa une vision strictement syndicale, qui ne voyait pas d’un bon œil l’importance qu’avaient acquise, dans les quartiers, les comités de défense et les comités d’approvisionnement. Elle considérait que leurs fonctions, un fois conclue et l’insurrection révolutionnaire et l’étape immédiatement postérieure, étaient provisoires et qu’elles devaient désormais être assumées par les syndicats.
En décembre 1936, les comités de défense étaient une entrave pour la politique gouvernementaliste des comités supérieurs de la CNT ; ils devaient donc hiberner et se soumettre aux syndicats, comme simples appendices, quelque peu gênants et inutiles.
Ce qui était en jeu, c’était le degré d’autonomie des comités de défense de quartiers par rapport aux syndicats. Il y avait ceux qui pensaient que les Comités Locaux de Défense devaient avoir leur propre personnalité et être totalement indépendants, en les considérant comme LA MILICE DE LA CNT, alors que d’autres pensaient qu’ils devaient entièrement se soumettre aux décisions de la Fédération Locale des Syndicats qui non seulement devait discuter de la situation et décider de comment agir, mais devait en plus garder les armes, contrôler les hommes et financer les Comités de Défense.
Le problème fondamental, d’après le Comité Régional de Catalogne, était le refus généralisé de la consigne de désarmement, de telle sorte qu’il en est arrivé, selon ses propres mots, à constater que « les quartiers sont nos pires ennemis ». Les comités de défense entrèrent alors dans une période d’hibernation.
L’entrée de la CNT dans le gouvernement de la Generalitat avait entraîné, début octobre, la création d’une Assemblée de Sécurité Intérieure, qui se caractérisait par une dualité conflictuelle de pouvoir sur les forces de l’ordre entre la CNT et le gouvernement de la Generatitat. Les Patrouilles de Contrôle perdirent leur autonomie et leur pouvoir de décision, alors que le Commissariat de l’Ordre Public, contrôlé par le PSUC et ERC, voyait son pouvoir de coercition augmenter, grâce au renforcement des corps des Gardes d’Assaut et de la Garde Nationale Républicaine (ancienne Garde Civile).
À la fin du mois de janvier 1937, les miliciens du PSUC-UGT abandonnèrent les Patrouilles de Contrôle et furent substitués par des membres de la CNT, d’ERC et du POUM. La perspective de la fin des Patrouilles de Contrôle, remplacées par un nouveau Corps Unique de Sécurité, ce qui fut décrété le 4 mars 1937, entraînait la fin de l’hégémonie de la CNT sur les tâches policières et répressives à l’arrière.
Les syndicats comprirent qu’il fallait absolument réorganiser les comités de défense, dans les quartiers, pour organiser l’affrontement qui semblait alors inévitable.

10. Pourquoi le contrôle de l’approvisionnement a-t-il été perdu ? Que fut la « guerre du pain » ?

Le 20 décembre 1936, le stalinien Comorera, Conseller (Ministre) de l’Approvisionnement, prononça un discours important, en catalan, à Barcelone.
Comorera défendit le besoin d’un gouvernement fort, ayant pleins pouvoirs, capable de faire appliquer les décrets pour qu’ils ne restent pas lettre morte, comme cela avait été le cas avec le premier gouvernement Tarradellas, auquel avait participé Nin comme représentant du POUM. Un gouvernement fort, capable de mener à bien une politique militaire efficace, regroupant toutes les forces existantes sur le front.
Comorera attribuait le manque de nourriture et l’augmentation de son prix aux Comités de défense, et non au fait que les grossistes et les commerçants s’en accaparaient et spéculaient. C’était le discours qui justifiait et expliquait le mot d’ordre sur les pancartes et les tracts des manifestations de femmes fin 36, début 37 : « plus de pain et moins de comités », manifestations organisées et manipulées par le PSUC. C’était l’affrontement entre deux politiques d’approvisionnement opposées, celle du PSUC et celle du Syndicat de l’Alimentation de la CNT. Ce dernier, par le bais des treize magasins d’approvisionnements des quartiers, gardés par les comités révolutionnaires de quartier (ou plus exactement par leur section de défense) fournissait gratuitement de la nourriture aux cantines populaires où pouvaient se rendre les chômeurs et les membres de leurs familles. Il s’occupait également de centres d’attention aux réfugiés dont le nombre tournait autour de 220 000 personnes en avril 1937 à Barcelone. C’était un réseau d’approvisionnement qui faisait concurrence aux détaillants qui n’obéissaient qu’à la loi de l’offre et de la demande afin d’éviter surtout l’augmentation du prix des produits qui auraient été alors inaccessibles pour les travailleurs et, cela va de soi, pour les chômeurs et les réfugiés. Le marché noir était la grande affaire des détaillants qui faisaient bombance grâce à la faim de la majorité de la population. La guerre du pain de Comorera contre les comités d’approvisionnement de quartiers ne visait qu’à enlever aux comités de défense toute parcelle de pouvoir, même si cette guerre impliquait le désapprovisionnement de Barcelone et la pénurie alimentaire.
Comorera conclut son discourt par un appel à la responsabilité de toutes les organisations afin d’obtenir une forte unité antifasciste. Pour bien comprendre le discours de Comorera, il faut tenir compte de la stratégie, défendue par Gerö (LE DÉLÉGUÉ DE MOSCOU DANS LE PSUC), de mener une politique SÉLECTIVE par rapport au mouvement anarchiste, qui consistait à intégrer les dirigeants anarchistes dans l’appareil d’État, tout en réprimant de façon terrible les secteurs révolutionnaires qualifiés de façon infamante d’incontrôlés, de gangsters, d’assassins, d’agents provocateurs et d’irresponsables ; secteurs que Comorera identifiait très clairement aux comités de défense.
Les magasins d’approvisionnement des comités de quartier contrôlaient ce que les détaillants allaient recevoir comme marchandises et leur prix de vente au public, après que les besoins « révolutionnaires » du quartier aient été satisfaits, celui, donc, des malades, des enfants, des chômeurs, des cantines populaires, etc.
Comorera défendait le marché libre et la disparition de ces comités révolutionnaires de quartier. Il savait de plus qu’une chose allait de pair avec l’autre et que sans supprimer les comités de défense, le marché libre n’était que chimère.
Un approvisionnement rationnel, prévoyant et suffisant de Barcelone et de la Catalogne aurait signifié l’acceptation des prétentions du Conseller –ministre- de l’économie de la CNT, Fábregas, qui, entre le mois d’octobre et de décembre a bataillé inutilement, dans les réunions ministérielles de la Generalitat, pour obtenir le monopole du commerce extérieur, face à l’opposition des autres forces politiques. Pendant ce temps-là, sur le marché des céréales de Paris, dix ou douze grossistes se faisaient concurrence et faisaient monter les prix. Mais ce monopole du commerce extérieur, qui n’était même pas une mesure de caractère révolutionnaire, mais seulement une mesure adaptée à une situation urgente due à la guerre, allait à l’encontre de la philosophie du marché libre, défendue par Comorera.
Il y avait un lien entre les queues pour acheter du pain à Barcelone et la concurrence irrationnelle des grossistes sur le marché des céréales à Paris. Lien qui aurait été brisé avec le monopole du commerce extérieur. Avec la politique du marché libre de Comorera, ce lien s’est renforcé. Mais qui plus est, le PSUC a encouragé la spéculation des commerçants, qui ont implanté une véritable dictature sur le prix de tous les aliments, en s’enrichissant sur le dos des travailleurs affamés.

11. Comment et pourquoi ces Comités de Défense se sont-ils radicalisés en avril 37 ?

Le dimanche 11 avril, au meeting de l’arène de La Monumental de Barcelone, il y avait des pancartes qui exigeaient la liberté des nombreux prisonniers antifascistes, la plupart de la CNT. Federica Montseny (dirigeante de la CNT) fut huée et sifflée. Les cris favorables à la liberté des prisonniers redoublèrent. Les comités supérieurs accusèrent de « sabotage » le Regroupement des Amis de Durruti. Federica, très offensée, menaça de ne plus faire de meeting à Barcelone.
Le lundi 12 avril 1937 eut lieu à la Casa CNT-FAI une réunion plénière locale des Groupes Anarchistes de Barcelone, à laquelle assistèrent les groupes de Défense de la confédération et des Jeunesses Libertaires.
Le groupe 12, du quartier de Gracia, présenta une proposition par écrit qui disait :
« La réunion, qui a pris en compte, après une large discussion, les résultats de neuf mois de politique ministérielle, qui a constaté l’impossibilité de gagner la lutte armée sur les fronts contre le fascisme sans faire dépendre tous les intérêts particuliers, économiques, politiques et sociaux, de l’objectif suprême de la guerre, qui considère que seule la socialisation totale de l’industrie, du commerce et de l’agriculture permet d’écraser le fascisme, qui considère que n’importe quelle forme de gouvernement est par essence réactionnaire, et donc opposée à la révolution sociale a décidé de :

1. Retirer tous les hommes qui occupent actuellement une place dans les instances antifascistes gouvernementales.
2. S’engager à constituer un comité révolutionnaire antifasciste pour coordonner la lutte armée contre le fascisme.
3. Socialiser immédiatement l’industrie, le commerce et l’agriculture.
4. Implanter une carte de producteur, (carte de rationnement prétendant favoriser les travailleurs au détriment des rentiers et des bourgeois). Mettre en route la mobilisation générale de tous les hommes capables de manier une arme et les instruments de travail sur le front et à l’arrière.
5. Et enfin, faire sentir à tout le monde le poids inflexible de la discipline révolutionnaire pour bien montrer que l’on ne plaisante pas avec les intérêts de la révolution sociale ».
La bureaucratie s’était vue débordée par cette réunion. À cette réunion plénière étaient intervenus les Comités de Défense de Barcelone, ou ce qui revient au même, la délégation des comités révolutionnaires de quartier, ainsi que les Jeunesses Libertaires, qui radicalisèrent, sans aucun doute, les accords qui avaient été pris.
Et cette FAI de Barcelone, avec les sections de défense des comités révolutionnaires de quartier et les Jeunesses Libertaires, malgré la scandaleuse et hystérique opposition de certains bureaucrates, avait décidé d’en finir avec le collaborationnisme, de retirer les ministres anarchistes du gouvernement de la Generalitat et de constituer un Comité révolutionnaire qui dirigerait la guerre contre le fascisme. C’était un pas décisif vers l’insurrection révolutionnaire qui éclata le 3 mai 1937.
La réunion plénière constatait, d’autre part, qu’il y avait un fossé idéologique, pas tant entre la CNT et la FAI, mais entre révolutionnaires et collaborationnistes pouvant aboutir à une scission organisationnelle au sein du mouvement libertaire et qui se manifestait par l’opposition croissante entre les comités de quartier, certains groupes anarchistes et les Jeunesses Libertaires, d’une part, et les comités supérieurs, dont les objectifs étaient totalement différents, d’autre part.
Cette radicalisation était le fuit d’une situation de plus en plus insoutenable dans la rue. Le 14 avril, une manifestation de femmes, qui cette fois n’était pas manipulée par le PSUC, partit de La Torrassa (un quartier d’Hospitalet, banlieue de Barcelone de tradition anarchiste) pour parcourir les différents marchés des quartiers barcelonais de Collblanc, Sants et Hostafrancs, pour protester contre le prix du pain et de la nourriture en général. Cette manifestation s’adressa au Comité Révolutionnaire de la Place España pour qu’il intervienne dans l’affaire. Les manifestations et les protestations s’étendirent à presque tous les marchés de la ville. Plusieurs boutiques et plusieurs boulangeries furent pillées. Les quartiers ouvriers de Barcelone, affamés, étaient sortis dans la rue pour manifester leur indignation et pour exiger des solutions.

12. Quel rôle ont joué les Comités de Défense en mai 1937.

Le lundi 3 mai 1937, vers 14h45, trois camions de gardes d’assauts, armés jusqu’aux dents, s’arrêtèrent devant le siège de la centrale téléphonique, place Catalogne. Ils étaient dirigés par Eusebio Rodríguez Salas, militant du syndicat UGT, stalinien convaincu, responsable officiel du commissariat de l’ordre public. Le bâtiment de la centrale téléphonique avait été exproprié par la CNT le 19 juillet 1936.
Le contrôle des appels téléphoniques, la surveillance des frontières et les patrouilles de contrôle étaient le cheval de bataille qui, depuis janvier, avait provoqué divers incidents entre le gouvernement républicain de la Generalitat et la CNT.
Rodríguez Salas voulut prendre le bâtiment de la centrale téléphonique. Les militants de la CNT des premiers étages, pris par surprise, furent désarmés ; mais les militants de la CNT des étages supérieurs organisèrent leur résistance grâce à une mitraillette placée à un point stratégique. La nouvelle se répandit très rapidement. EN MOINS DE DEUX HEURES, des barricades furent dressées dans toute la ville.
On ne peut pas parler de réaction spontanée de la classe ouvrière de Barcelone, parce que la grève générale, les affrontements armés avec les forces de police et les barricades furent le fruit de l’initiative prise par les comités de défense, qui furent rapidement suivis vu le mécontentement généralisé, les problèmes financiers croissants de la population causés par la vie chère, les queues et le rationnement, et vu les tension chez les militants de base de la CNT entre les collaborationnistes et les révolutionnaires. La lutte dans les rues fut impulsée et menée par les comités de défense des quartiers, sans aucune intervention des COMITÉS SUPÉRIEURS.
Les comités de quartier déchaînèrent et dirigèrent l’insurrection du 3 au 7 mai 1937 à Barcelone. Et il ne faut pas confondre les comités de défense des quartiers avec une « spontanéité des masses » ambigüe et imprécise, dont parle l’historiographie officiel.
Andrés Nin, secrétaire politique du POUM, dans un article écrit le 19 mai 1937, en parle ainsi:« Les journées de mai à Barcelone ont fait revivre certains organismes qui, au cours de ces derniers mois, avaient joué un certain rôle dans la capitale catalane et dans certaines villes importantes : les Comités de Défense. Il s’agit d’organismes de type technico-militaire, formés par les syndicats de la CNT. Ce sont eux, en réalité, qui ont dirigé la lutte, et qui étaient, dans chaque quartier, le centre d’attraction et d’organisation des ouvriers révolutionnaires ».
Les Amis de Durruti n’ont pas initié l’insurrection, mais ils furent les combattants les plus actifs sur les barricades, ils distribuèrent un tract qui exigeait la substitution du Gouvernement de la Generalitat par une Junte Révolutionnaire. Les travailleurs de la CNT, désorientés par les ordres de « cessez-le-feu » de leurs dirigeants (les mêmes dirigeants que le 19 juillet ! ! !), abandonnèrent finalement la lutte bien qu’au début ils n’avaient fait aucun cas des appels à l’entente et à l’abandon de la lutte, sous prétexte d’unité antifasciste.

13. Comment furent dissous les Comités de Défense ?

Les comités révolutionnaires de quartier, à Barcelone, sont apparus le 19-20 juillet et ont perduré au moins jusqu’au 7 juin 1937, lorsque les forces de l’ordre restaurées de la Generalitat ont dissous et occupé les divers centres des Patrouilles de Contrôle, et en passant, plusieurs sièges des comités de défense, comme celui du quartier des Corts. Malgré le décret qui exigeait la disparition de tous les groupes armés, la plupart a résisté jusqu’en septembre 1937, lorsqu’ils furent systématiquement dissous et que les bâtiments qu’ils occupaient furent pris d’assaut, un par un. Le dernier siège, le plus important et le plus fort, fut le siège du comité de défense du Centre, aux Escolapios de San Antonio, qui fut pris d’assaut le 20 septembre 1937 par les forces de l’ordre public, avec tout un arsenal de mitrailleuses, de grenades, de tanks et de canons. Cependant, la résistance des Escolapios n’a pas pris fin à cause des coups de feu, mais parce que le Comité Régional leur donna l’ordre de déloger le bâtiment.
Dès lors, les Comités de Défense, camouflés sous le nom de Sections de coordination et d’information de la CNT, se consacrèrent exclusivement à des tâches clandestines d’enquêtes et d’information, comme avant le 19 juillet, mais à présent, en 1938, dans une situation nettement contre-révolutionnaire.
Ils eurent également une publication clandestine, Alerta... ! Entre octobre et décembre 1937, 7 numéros furent publiés. Ce qui revenait dans cette publication, c’était la solidarité avec les « prisonniers révolutionnaires » en exigeant leur libération ; l’information sur les abus staliniens à la Prison Modelo de Barcelone ; la critique du collaborationnisme et la politisation de la FAI ; la dénonciation de la désastreuse politique de guerre du gouvernement Negrin-Prieto et de la prédominance stalinienne au sein de l’armée et des appareils de l’État. Dans cette publication, il y a eu des saluts fraternels envers les Jeunesses Libertaires et le regroupement Les Amis de Durruti. L’une des caractéristiques indélébiles de cette publication était les appels constants à la Révolution et à ce que les comités supérieurs abandonnent tous leurs postes parce que, disait-elle, :
« La révolution ne peut se faire depuis l’État, mais contre l’État ». Le dernier numéro, datant du 4 décembre, dénonçait les Tchekas staliniennes et la persécution brutale des militants de la CNT en Cerdagne.

14. Conclusion

En 1938, les révolutionnaires étaient sous terre, en prison ou dans la clandestinité la plus absolue. Ce n’est pas la dictature de Franco qui a mis un terme à la révolution, mais la République de Negrin.
Les révolutions sociales, les tentatives de réorganisation de la production et de la société sur de nouvelles bases, sont extrêmement rares dans l’histoire. Au-delà des circonstances dans lesquelles elles ont surgi, elles nous apportent toujours une expérience irremplaçable, tant par leur succès que par leur échec. Le grand enseignement de la révolution de 1936 a été le besoin incontournable de détruire l’État et de réprimer la contre-révolution. En reprenant la terminologie des Amis de Durruti : « les révolutions sont totalitaires ou sont défaites ».

Agustín Guillamon
Traduit en Français par Eulogio Fernández


https://liberteouvriere.wordpress.com/2 ... -19331938/

Re: 1936, une révolution sociale et libertaire en Espagne

MessagePosté: 03 Jan 2018, 12:30
de Pïérô
La Révolution s'arrêta en Mai.Vostfr

Printemps 1937, la guerre civile espagnole est à son apogée. L’armée républicaine et les milices des partis et des syndicats, luttent contre les troupes franquistes. À des centaines de kilomètres à l’arrière du front, le gouvernement ordonne l’assaut du Central téléphonique de Barcelone qui est géré par la CNT. Les anarchistes résistent et une grève générale éclate. C’est le début d’une guerre civile au sein de la Guerre civile. Cinq jours qui cèlent l’épitaphe de la révolution.


Re: 1936, une révolution sociale et libertaire en Espagne

MessagePosté: 16 Jan 2018, 18:28
de Pïérô
La tragédie des Brigades Internationales

L’histoire poignante des 35 000 volontaires étrangers venus combattre le franquisme en Espagne.

L’histoire poignante des 35 000 volontaires étrangers venus combattre le franquisme en Espagne.

À travers de poignantes archives, Patrick Rotman retrace l’histoire des trente-cinq mille volontaires venus du monde entier combattre le franquisme dans la guerre civile espagnole.

Réalisation : Patrick Rotman
Documentaire de Patrick Rotman (France, 2015, 1h41mn)

http://demainlegrandsoir.org/spip.php?article1797

à voir sur vimeo :
https://vimeo.com/189433158

Re: 1936, une révolution sociale et libertaire en Espagne

MessagePosté: 29 Jan 2018, 04:01
de Pïérô
L’Espagne révolutionnaire une utopie réalisée

Pour défendre l’ordre des choses, il suffit souvent de prétendre que toute tentative de s’en éloigner aurait débouché sur la tyrannie ou sur le chaos.
L’histoire est riche d’exemples contraires, qui ont établi le caractère éternel de la révolte, de l’aspiration à la démocratie et à la solidarité. Pendant quelques mois, au moment de la guerre civile espagnole, certaines régions du pays défendirent ainsi un mode de gouvernement inédit, qui remettait à la fois en cause le pouvoir des possédants, des notables et des bureaucrates. Des historiens et des réalisateurs nous rappellent cette parenthèse livrée à l’utopie.

Quand l’Espagne révolutionnaire vivait en anarchie
par Frédéric Goldbronn et Frank Mintz ±

A l’heure où les apôtres du Saint Bénéfice se parfument volontiers d’un
soupçon d’ « Anarchiste » (1), il est difficile d’imaginer l’ampleur de la
révolution libertaire conduite par les travailleurs espagnols dans les zones
où ils mirent en échec le pronunciamento des généraux contre la République, le
18 juillet 1936. "Nous les anarchistes, n’étions pas partis faire la guerre
pour le plaisir de défendre la république bourgeoise (...). Non, si nous
avions pris les armes, c ’était pour mettre en pratique la révolution sociale"
(2) rappelle un ancien milicien de la Colonne de Fer (3).

La collectivisation de très larges secteurs de l’industrie, des services et de
l’agriculture constitua en effet l’un des traits les plus saillants de cette
révolution. Ce choix prenait racine dans la très forte politisation de la
classe ouvrière espagnole, organisée principalement au sein de la
Confédération Nationale du Travail (CNT, anarcho-syndicaliste) et de l’Union
Générale des travailleurs (UGT, socialiste).

Dans une Espagne qui comptait alors 24 millions d’habitants, le syndicat
anarchiste avait plus d’un million d’adhérents et - fait unique dans
l’histoire du syndicalisme - un seul permanent rémunéré au plan national.
Quelques mois avant le coup d’État militaire du 18 juillet 1936, le congrès de
Saragosse (mai 1936) de la CNT avait adopté une motion ne laissant aucun doute
sur sa conception de l’action syndicale : « Une fois conclue la phase violente
de la révolution, seront déclarés abolis la propriété privée, l’Etat, le
principe d’autorité, et par conséquent les classes qui divisent les hommes en
exploiteurs et exploités, oppresseurs et opprimés. Une fois la richesse
socialisée, les organisations de producteurs enfin libres se chargeront de
l’administration directe de la production et de la consommation (4). »

Un tel programme fut mis en œuvre par les travailleurs eux-mêmes, sans
attendre aucune sorte de commandement de leurs « chefs ». La chronologie des
événements en Catalogne en offre un bon exemple. À Barcelone, les comités
dirigeants de la CNT avaient lancé l’appel à la grève générale le 18 juillet
1936, mais sans donner la consigne de collectivisation. Or, dès le 21 juillet,
les cheminots catalans collectivisaient les chemins de fer. Le 25, ce fut le
tour des transports urbains, - trams, métro et autobus, - puis le 26, celui de
l’électricité et le 27, des agences maritimes. L’industrie métallurgique fut
immédiatement reconvertie dans la fabrication de véhicules blindés et de
grenades pour les milices qui partaient combattre sur le front d’Aragon. En
quelques jours, 70% des entreprises industrielles et commerciales furent
saisies par les travailleurs dans cette Catalogne qui concentrait à elle seule
les deux-tiers de l’industrie du pays (5).

George Orwell, dans son fameux Hommage à la Catalogne a décrit cette liesse
révolutionnaire : « L’aspect saisissant de Barcelone dépassait toute attente.
C’était bien la première fois dans ma vie que je me trouvais dans une ville où
la classe ouvrière avait pris le dessus. A peu près tous les immeubles de
quelque importance avaient été saisis par les ouvriers et sur tous flottaient
des drapeaux rouges ou les drapeaux rouge et noir des anarchistes (...) Tout
magasin, tout café portait une inscription vous informant de sa
collectivisation ; jusqu’aux caisses des cireurs de bottes qui avaient été
collectivisées et peintes en rouge et noir ! (...) Tout cela était étrange et
émouvant. Une bonne part m’en demeurait incompréhensible et même, en un sens,
ne me plaisait pas : mais il y avait là un état de choses qui m’apparut sur le
champ comme valant la peine qu’on se battît pour lui (6). »

Nombreux sont les étrangers qui, à l’instar de Franz Borkenau, ont éprouvé ce
« formidable pouvoir d’ attraction de la révolution ». Dans Spanish Cockpit
(7), il rapporte le cas d’un jeune entrepreneur américain, dont l’ affaire est
pratiquement ruinée par la révolution, et qui néanmoins reste très favorable
aux anarchistes, dont il admire en particulier le mépris de l’ argent. Il
refuse de partir car « il aime ce sol, il aime ce peuple et peu lui importe
dit-il, d’avoir perdu ses biens si le vieil ordre des choses s’écroule pour
faire place à une cité des hommes plus haute, plus noble et plus heureuse. »

Le mouvement des collectivisations aurait concerné entre un million et demi et
deux millions et demi de travailleurs (8), mais il est difficile d’en faire un
bilan précis : il n’existe pas de statistiques globales et beaucoup d’archives
ont été détruites. On peut toutefois s’appuyer sur les données fragmentaires
publiées dans la presse, en particulier syndicale, et sur les nombreux
témoignages d’acteurs et d’observateurs du conflit.

Efforts de guerres

Dans les entreprises collectivisées, le directeur était remplacé par un comité
élu, composé de membres des syndicats. Il pouvait continuer à travailler dans
son ancienne entreprise, mais avec un salaire égal à celui des autres
employés. L’activité de certaines branches comme le bois, fut unifiée et
réorganisée, de la production à la distribution, sous l’égide du syndicat de
branche. Dans la plupart des entreprises à capitaux étrangers (le téléphone,
certaines grosses usines métallurgiques, textiles ou agro-alimentaires, si le
propriétaire américain, britannique, français ou belge- demeura officiellement
en place pour ménager les démocraties occidentales, un comité ouvrier prit en
main la gestion. Seules les banques échappèrent au raz de marée «
collectiviste » et passèrent sous le contrôle du gouvernement. Celui-ci
disposait ainsi d’un important moyen de pression sur les collectivités
connaissant des difficultés de trésorerie.

Le mode d’organisation du syndicat inspira celui des branches socialisées :
comité d’usine élu par l’assemblée des travailleurs, comité local réunissant
les délégués des comites d’usine de la localité, comité de zone, comité
régional, comité national. En cas de conflit à l’échelon local, l’assemblée
plénière des travailleurs tranchait. En cas de conflit à un niveau plus élevé,
les assemblées de délégués ou les congrès le faisaient. Mais du fait de sa
présence et de sa puissance, la CNT détenait de facto le pouvoir en Catalogne.
Le fonctionnement des collectivités apparaissait donc très hétérogène. Dans les
chemins de fer de Catalogne par exemple, où l’ensemble des salariés
percevaient une rémunération annuelle de 5000 pesetas, on décida néanmoins que
les personnels les plus qualifiés recevraient un supplément de 2000 pesetas
par an. En 1938, le salaire unique était de règle à Lérida dans le secteur du
bâtiment, mais à Barcelone un ingénieur continuait de toucher dix fois plus
qu’un manœuvre. Une des plus importantes industries de Catalogne, le textile,
promulgua la semaine de quarante heures, réduisit les écarts de salaire entre
techniciens et ouvriers et supprima le travail aux pièces des ouvrières - mais
la différence de revenus entre hommes et femmes persista dans la plupart des
cas.

La situation se dégrada au fil des mois, malgré tous les efforts des
collectivités pour moderniser la production. Dans le domaine économique comme
dans les autres, la guerre dévorait la révolution. Les matières premières
manquaient et les débouchés devenaient de plus en plus rares, du fait de la
progression territoriale des militaires insurgés. Par ailleurs, l’effort se
concentrant sur l’industrie militaire, la production s’effondra dans les
autres secteurs, entraînant avec elle une flambée de chômage technique, une
pénurie de biens de consommation, un manque de devises et une inflation
galopante.

Face à cette situation, toutes les collectivités n’étaient pas égales. Fin
décembre 1936, une déclaration du syndicat du bois, parue dans le Bulletin
CNT-FAI, s’en indigna réclamant « une caisse commune et unique entre toutes
les industries, pour arriver à un partage équitable. Ce que nous n’acceptons
pas, c’est qu’il y ait des collectivités pauvres et d’autres riches (9). » Un
article de février 1938 donne un aperçu de cette disparité : « Les entreprises
collectivisées payent 120, au maximum 140 pesetas par semaine, et les
collectivités rurales 70 en moyenne. Les ouvriers de l’industrie de guerre
touchent 200, plus même, par semaine (10). » Ces inégalités allaient conduire
certains révolutionnaires à évoquer la menace d’un « néocapitalisme ouvrier
(11). »

En octobre 1936, la Generalitat (gouvernement catalan) entérina par décret
l’existence des collectivités et tenta ... ;en planifier l’activité. Elle décida
de nommer des « contrôleurs » gouvernementaux dans les entreprises
collectivisées. Avec l’affaiblissement politique des anarchistes, ces derniers
allaient bientôt servir au rétablissement du contrôle de l’État sur
l’économie.

Sans que « personne, aucun parti, aucune organisation ne donne de consignes
pour procéder dans ce sens (12) » des collectivités agraires se formèrent
également. La collectivisation concerna surtout les grands domaines, dont les
propriétaires avaient fui en zone franquiste ou avaient été exécutés. En
Aragon, où les miliciens de la colonne Durruti (13), dès la fin juillet 1936,
impulsèrent le mouvement, ce dernier toucha presque tous les village : la
fédération des collectivités regroupait un demi-million de paysans.

Rassemblés sur la place du village les actes de propriété foncière étaient
brûlés. Les paysans apportaient tout ce qu’ils possédaient à la collectivité :
terres, instruments de travail, bêtes de labour ou autres. Dans certains
villages, l’argent fut aboli et remplace par des bons. Ces bons ne
constituaient pas une monnaie : ils permettaient l’acquisition, non de moyens
de production, mais seulement de biens de consommation - et encore en quantité
limitée.

L’argent qui avait été stocké par le comité était utilisé pour acheter à
l’extérieur, les produits qui faisaient défaut et qui ne pouvaient être
troqués. Visitant la collectivité d’Alcora, un gros bourg de 5000 habitants,
l’historien et journaliste Kaminski remarque : « Ils détestent l’argent, ils
veulent le bannir, par la force et par l’ anathème, [mais c’est] un pis aller,
valable tant que le reste du monde n’aura pas encore suivi l’exemple
d’Alcora."

Assemblée générale des paysans

Contrairement au modèle étatique soviétique, l’entrée dans la collectivité
perçue comme un moyen de vaincre l’ennemi, était volontaire. Ceux qui
préféraient la formule de l’exploitation familiale continuaient à travailler
leur terre, mais ne pouvaient exploiter le travail d’autrui, ni bénéficier des
services collectifs. D’ailleurs, les deux formes de production coexistèrent
souvent, non sans conflits, comme en Catalogne, où les métayers devinrent
propriétaires de leur lopin. La mise en commun permettait d’éviter le
morcellement des terres et de moderniser l’exploitation de celles-ci.
Les ouvriers agricoles, qui quelques années plus tôt cassaient les machines
pour protester contre le chômage et la baisse des salaires, les utilisèrent
volontiers pour alléger leur tâche. On développa l’utilisation d’engrais et
l’aviculture, les systèmes d’irrigation et les voies de communication. Dans la
région de Valence, on réorganisa sous l’égide des syndicats, la
commercialisation des oranges, dont l’exportation fournissait une appréciable
source de devises. Les églises qui n’avaient pas été brûlées furent
transformées en bâtiments civils : entrepôts, salles de réunion, theâtres ou
hôpitaux (14).

Et puisque le credo anarchiste faisait de l’éducation et de la culture les
fondements de l’émancipation, des écoles, des bibliothèques et des clubs
culturels furent créés jusque dans les villages les plus reculés.
L’assemblée générale des paysans élisait un comité d’administration, dont les
membres ne recevaient aucun avantage matériel. Le travail était effectué en
équipes, sans chef , cette fonction ayant été supprimée. Les conseils
municipaux se confondaient fréquemment avec les comités, qui constituaient de
fait les organes du pouvoir local. Généralement le mode de rémunération était
le salaire familial, sous forme de bons là où l’argent avait été aboli.

A Asco, en Catalogne, par exemple, les membres des collectifs recevaient un
carnet de famille. Au verso de la carte, il y avait un calendrier pour cocher
les dates d’achat des vivres, qui ne pouvaient être reçus qu’une fois par jour
dans les différents centres de ravitaillement. Ces cartes étaient de
différentes couleurs afin que ceux qui ne savaient pas lire puissent
facilement les distinguer. La collectivité rémunérait à la fois l’instituteur,
l’ingénieur et le médecin, dont les soins étaient gratuits (15).
Ce mode de fonctionnement n’était dépourvu ni de pesanteurs ni de
contradictions. Kaminski raconte comment à Alcora, un jeune qui voulait rendre
visite à sa fiancée vivant dans le village d’à côté devait obtenir l’accord du
comité pour échanger ses bons contre l’argent lui permettant de payer le car.
La conception ascétique que les anarchistes avaient de la société nouvelle,
faisait souvent bon ménage avec la vieille Espagne puritaine et machiste. D’où
sans doute le paradoxe du salaire familial, qui laissait « l’être le plus
opprimé d’Espagne, la femme, sous l’entière dépendance de l’homme (16) ».
Les collectivités allaient se heurter aux forces politiques hostiles à la
révolution, y compris à l’intérieur du camp républicain. Faible en juillet
1936, le Parti communiste d’Espagne (PCE) vit croître son importance avec
l’aide soviétique. Il appliqua la stratégie, prônée par Moscou, d’alliance
avec la petite et moyenne bourgeoisie contre le fascisme. Comme le remarque
Borkenau : « les communistes ne sont pas avec les travailleurs contre le
koulak », mais avec le « koulak » contre les syndicats ».

Ainsi, dans le Levant, le ministre communiste de l’agriculture Vicente Uribe
n’hésita pas à confier la commercialisation des oranges à un organisme à la
fois rival du comité syndical et lié, avant guerre à la droite catholique,
régionaliste et conservatrice.

Après les journées de Mai 1937, durant lesquelles les staliniens et le
gouvernement catalan tentèrent en déclenchant des affrontements sanglants à
Barcelone, de s’emparer des positions stratégiques occupées par les
anarchistes et le Parti Ouvrier d’Unification Marxiste (POUM
anti-stalinien),le gouvernement central annula le décret d’octobre 1936 sur
les collectivisations et prit directement en mains la Défense et la Police en
Catalogne. En août 1937, les mines et les industries métallurgiques passèrent
sous contrôle exclusif de l’État. Au même moment, les troupes communistes
commandées par le général Lister tentèrent de démanteler par la terreur les
collectivités en Aragon. Réduites et assiégées de toutes parts, elles
survivront néanmoins jusqu’à l’entrée des troupes franquistes.

Au moment de l’entrée des anarchistes dans le gouvernement républicain,
Kaminski s’interrogeait sur les risques de « l’éternelle trahison de l’esprit
par la vie (17) ». La victoire du général Franco coupa court à ces
interrogations. Drapée de rouge et noire, l’Espagne libertaire est entrée dans
l’histoire, rescapée des désillusions de ce siècle. Un jour, un peuple sans
dieu ni maître a fait des feux de joie avec les billets de banque. En ces
temps d’argent roi, voilà de quoi en réchauffer quelques-uns.

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Ce texte est la version remaniée par Frank Mintz d’un article paru dans Le Monde
Diplomatique Décembre 2000 (p.26-27). Voir aussi dans ce numéro, p. 27, "Filmer
l’histoire collective", par Carlos Pardo.
± Respectivement réalisateur et historien auteur de L’Autogestion dans l’Espagne
révolutionnaire, La Découverte, Paris, 1976.

(1) Dernière création d’un parfumeur parisien.
(2) Patricio Martínez Armero, cité par Abel Paz, La Colonne de Fer, Editions
Libertad-CNT, Paris, 1997
(3) Cette milice anarchiste, connue pour son intransigeance révolutionnaire,
combattit notamment sur le front de Teruel.
(4) Motions du congrès de Saragosse de la CNT, mai 36 (brochure)]
(5) [Carlos Semprun Maura, Révolution et contre-révolution en Catalogne.
Editions Mame, 1974.
(6) Georges Orwell, Hommage à la Catalogne. Editions Champ libre, 1982.
(7) Franz Borkenau, Spanish Cockpit. Editions Champ libre, 1979.
(8) Frank Mintz, Autogestion et anarcho-syndicalisme, Editions CNT, 1999.
(9) Carlos Semprun Maura, op. cit.
(10) Article d’Augustin Souchy dans Solidaridad Obrera (journal de la CNT),
février 1938.
(11) Gaston Leval, Espagne libertaire, Editions du Cercle, Editions de la Tête
de feuille, 1971.
(12) Abad de Santillan, Por qué perdimos la guerra, Buenos Aires, Iman, 1940.
(13) [Né en 1896, militant de l’ UGT puis de la CNT, Buenaventura Durruti prend,
lors du coup d’État franquiste, en 1936, la tête d’une milice qui joue un rôle
important dans les combats à Barcelone, puis en Aragon et enfin sur le front de
Madrid. C’est là, le 20 novembre, qu’il est mortellement blessé dans des
circonstances controversées.
(14) Selon l’historien Burnett Bollotten, « des milliers de personnes
appartenant au clergé et aux classes possédantes furent massacrées » le plus
souvent en représailles aux massacres franquistes (in La révolution espagnole,
Éditions Ruedo Ibérico, Paris, 1977.
(15) H. E. Kaminski, Ceux de Barcelone, Éditions Allia, Paris 1986.
(16) Ibid.
(17) Ibid.


http://www.fondation-besnard.org/spip.php?article32

Re: 1936, une révolution sociale et libertaire en Espagne

MessagePosté: 03 Fév 2018, 20:14
de bipbip
La radio de la CNT et comment la République fit taire la voix de la révolution

Ferran Aisa est l’un des meilleurs historiens de la Catalogne et de la Barcelone contemporaines, lauréat du prix Ville de Barcelone en Histoire, documentaliste, professeur, auteur de nombreux livres, parmi lesquels La culture anarchiste en Catalogne ou Voyage dans l’Espagne franquiste. Nous parlons ici avec lui de son nouveau livre, ECN1 Radio CNT-FAI Barcelona. La voz de la revolución, et de la propagation des idées libertaires, un épisode très souvent occulté par l’« histoire officielle » de la guerre civile.

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Aisa vient de publier ECN1 Radio CNT FAI Barcelona. La voz de la revolución (Ed. Entre Ambos), un parcours à travers l’histoire d’une station de radio qui surgit de la nécessité de faire connaître au monde ce qui s’est produit dans la capitale catalane le 19 juillet 1936, de propager les idées libertaires et faire se lever l’enthousiasme tant chez les miliciens qui luttent sur le front que chez les militants et la population en général, qui restent à l’arrière-garde, et, à travers plusieurs langues étrangères, porter la voix de la révolution aux confins de la planète. Le livre compte 750 pages et se divise en deux parties : la première portant sur l’histoire de la station elle-même ; la seconde, pour rendre la parole à ceux qui intervinrent à l’antenne, au travers d’allocutions, d’entretiens, de reportages et de conférences, aussi bien des personnalités espagnoles que des étrangers de passage à Barcelone, solidaires d’un processus unique, composant un échantillon documentaire historique jamais compilé par écrit jusqu’à présent.
Le soulèvement fasciste fut vaincu à Barcelone par les forces populaires, entraînées par les anarcho-syndicalistes. Le mouvement eut une telle force qu’il aurait pu développer son idéal libertaire dans la ville ; malgré cela, il décida de pactiser avec la Generalitat et le Front populaire en acceptant de faire partie de divers gouvernements (locaux, autonomes et nationaux). Dans le même temps, les ouvriers s’emparèrent des usines et des entreprises pour les autogérer, ainsi que des services publics (transports, eau, gaz, électricité, spectacles, etc.).
Une révolution impulsée par la CNT-FAI, le POUM, secondée par l’UGT, qu’en dehors de ces organisations on était peu enclin à voir triompher et qui trouva ses principaux ennemis chez les communistes, les catalanistes radicaux, les forces républicaines, socialistes, la majorité des nations capitalistes, principalement l’URSS, et qui se termina par un échec. Peut-être est-ce pour cela que cette partie de notre histoire a été occultée par l’historiographie et les historiens officiels de l’Université. L’anarchisme et son œuvre constructive sont demeurés longtemps sous la seule protection de quelques historiens étrangers qui étudiaient avec romantisme l’étape révolutionnaire de la guerre civile espagnole. De tout cela, nous avons conversé avec l’auteur d’un livre indispensable pour mieux connaître ces événements.

Qu’est-ce qui amène à publier « ECN 1 Radio CNT-FAI Barcelona » ?

Pendant que je faisais mes recherches antérieures sur le mouvement anarcho-syndicaliste et libertaire en général, je trouvais toujours dans les journaux, au côté des annonces des cinémas et des théâtres, la programmation des stations de radio, parmi lesquelles ECN 1 Radio CNT-FAI Barcelona.

Quels étaient ses objectifs ?

Les principaux consistaient à diffuser les communiqués confédéraux, provenant aussi bien des comités que des syndicats, à informer de ce qui se passait sur les différents fronts ou à l’arrière-garde, à la formation militante avec la participation d’intellectuels libertaires ou de professeurs de l’Ecole des militants, à donner la parole à divers collectifs ou organisations, à des membres des milices, des Jeunesses libertaires ou du groupement Femmes libres. On y diffusait aussi des allocutions, depuis la station même ou enregistrées lors de meetings et conférences où s’exprimaient les leaders les plus en vue de la CNT-FAI. Un autre des objectifs était de distraire les auditeurs avec des programmes sur des curiosités locales quotidiennes, des lectures d’histoires, des récitals poétiques ou des émissions musicales.

Et ses animateurs ?

Le principal animateur était le journaliste Jacinto Toryho, secrétaire du Bureau de propagande, directeur du journal Solidaridad obrera et de la station confédérale. Ensuite, parmi la liste des animateurs, on trouve Ada Martí, Joaquín Montero, Jaime R. Magriñá et la majorité des rédacteurs de la Soli (Carlos Sirval, Francisco Pellicer, Jaime Balius, etc). Parmi les collaborateurs sur des sujets spécifiques, Joan Puig Elias, Joan P. Fàbregas, Alberto Carsí, Félix Martí Ibáñez, Mercedes Comaposada, Violeta Baget, Gonzalo de Reparaz, Federico Urales, Lucía Sánchez Saornil, etc. Divers collaborateurs étrangers, qui faisaient part de leurs opinions dans leur propre langue, collaborèrent également, parmi lesquels Emma Goldman, Camilo Berneri, Sébastien Faure, Gaston Leval et beaucoup d’autres.

Y avait-il d’autres stations impulsées par d’autres partis et syndicats ?

A partir de septembre 1936, d’autres stations virent le jour, comme celles du PCE et de l’UGT à Madrid, celles du POUM, du PSUC et de l’ERC à Barcelone. Mais de toutes, celle de la CNT-FAI, qui émettait en ondes courtes et extracourtes, était la plus puissante, couvrant toute la péninsule Ibérique, l’Europe, l’Amérique et l’Afrique du Nord.

Où en était la radiodiffusion en ce temps-là ?

La radiodiffusion en Espagne était récente. La première station était entrée en fonction en 1924, mais en peu de temps elle acquit une grande notoriété, et ce fut le début de l’industrie radiophonique. Avant le début de la guerre, il existait en Espagne 67 stations et un total de quelque 300000 appareils de réception, mais en 1936 on comptait près d’un million de récepteurs radio. En Catalogne se détachaient EAJ 1 Radio Barcelona, la doyenne des stations espagnoles, et Ràdio Associació de Catalunya, qui émettait dans la seule langue catalane. Il existait d’autres stations à Lérida, Tarragona, Sabadell, Badalona… En Espagne, la principale était Radio España Madrid, qui impulsa la création de Unión Radio (ancêtre de la chaîne SER), dont faisaient partie Radio Barcelona, Radio Cádiz, Estación Castilla, Radio Club Sevilla, Radio San Sebastián, Radio Valencia…

La radio, outil de propagande ou pédagogique ?

Les stations idéologiques ou politiques utilisaient la radio à des fins propagandistes, mais, surtout dans le cas confédéral, comme on peut le voir avec les allocutions sélectionnées dans le livre, étaient aussi en grande partie culturelles et pédagogiques. Par exemple, sur la radio CNT-FAI on parlait de thèmes tels que le féminisme, la sexualité, l’éducation de l’enfant, l’économie, la santé, l’urbanisme, la science, les nouvelles techniques, l’astronomie, l’histoire du mouvement ouvrier, l’art, la littérature révolutionnaire, etc. Les principales personnalités confédérales vinrent parler au micro : Marianet, Federica Montseny, Durruti, García Oliver, Joan Peiró, Combina, Abad de Santillán, Juan López, Pere Herrera, Manuel Muñoz Díez… la majorité d’entre eux non seulement responsables de divers comités de la CNT et de la FAI, mais aussi représentants du gouvernement de la République, de la Generalitat ou de la mairie de Barcelone.

La guerre aussi sur les ondes ?

La guerre était présente sur les ondes. Leur mission en ce sens belliqueuse était de retransmettre une sensation d’optimisme et d’éliminer de leur contenu tout défaitisme. En ce sens, on tentait d’arriver jusqu’à la zone ennemie pour montrer une solidarité avec le peuple opprimé et montrer le désir de liberté de ceux qui luttaient contre le fascisme. La radio confédérale recueillait la voix d’intellectuels renommés de passage par Barcelone, comme John Dos Passos, Erwin Piscator, Thomas Mann, H. G. Wells…

Quelles différences y avait-il entre les stations fascistes et les républicaines ?

La différence était notable dans le sens où les stations de l’Espagne fasciste maintenait une censure féroce et que ses animateurs utilisaient un langage belliqueux, comme ce fut le cas notamment de Radio Séville avec les allocutions du général Queipo de Llano.

Comment se passa et quel niveau atteignit la répression contre les stations anarchistes ?

Le gouvernement de la République, après les événements de mai 37, a voulu contrôler, à travers une commission de censure, tout ce qui se publiait dans la presse et, naturellement, tout ce qui se transmettait par les ondes. La presse semblait plus facile à contrôler par une censure préalable ou le biffage in situ parmi les informations ou les articles d’opinion. Les stations, au contraire, étaient plus difficiles à contrôler, et il fut décidé pour cela de fermer celles qui étaient politiques ou syndicales. Les autres, c’est-à-dire les commerciales, restaient sous l’égide de la République, comme ce fut le cas pour celles qui appartenaient à Unión Radio. L’autre station qui existait à Barcelone, Ràdio Associacio de Catalunya, était déjà contrôlée depuis le début de la guerre par la Generalitat de Catalogne.

Quelles stations furent les plus atteintes ?

Le gouvernement républicain, à la mi-1937, ferma les stations politiques de Catalogne :Radio CNT-FAI, Radio POUM, Radio PSUC, Radio ERC. Ensuite, les stations Radio PCE et Radio UGT cessèrent d’émettre également. Seules restèrent les stations qui existaient déjà avant la guerre.

Les événements de mai 1937 servirent de justification, mais y avait-il d’autres motifs pour justifier une censure comme celle qui s’exerça, si éloignée des principes républicains ?

Les événements de mai 1937 influèrent notablement sur ces décisions du nouveau gouvernement républicain présidé par Negrín, dans lequel il n’y avait plus alors aucun membre de la CNT-FAI. D’un autre côté, les événements de mai furent aussi le prétexte pour en finir avec le pouvoir de la Generalitat de Catalogne. En réalité, c’était un retour en arrière effectué par le gouvernement républicain. Avec le contrôle des moyens de communication, la création de l’armée républicaine à la place des milices populaires, le renforcement de la police républicaine à la place des patrouilles de contrôle, en supprimant les conseils de défense et de l’intérieur, en prenant en charge l’industrie de guerre et en récupérant le contrôle des frontières et des douanes.

Une partie fondamentale de ton livre consiste en la reproduction de bon nombre d’allocutions diffusées sur les ondes de la radio CNT-FAI. Comment as-tu procédé pour leur recueil ? Lesquelles s’en détachent selon toi ?

Dans ce livre, j’ai voulu donner directement la parole aux protagonistes de cette révolution qui, de nombreuses fois auparavant et aujourd’hui encore, a été dédaignée. A la lecture des allocutions, on peut comprendre beaucoup de ces choses qui se sont passées durant ces journées tragiques où une guerre a mis fin aux espoirs d’une grande partie du peuple espagnol de vivre dans une société beaucoup plus libre et socialement avancée. Le bureau de propagande de la CNT-FAI faisait veillait à ce que les allocutions et les principales interventions émises par la radio ne se perdent ; aussi disposait-on de sténographes qui recueillaient le texte et de mécanographes qui le passaient en machine. Ensuite, selon leur intérêt, les textes étaient publiés dans le bulletin CNT-AIT-FAI ou sur feuilles libres, et, par l’intermédiaire de l’agence d’informations confédérale, ils étaient adressés aux journaux pour publication. C’est ainsi que nous sont parvenues les allocutions radiodiffusées, principalement parce qu’elles furent publiées dans Solidaridad Obrera, mais aussi dans des journaux comme Treball, La Batalla, La Vanguardia, El Diluvio, Las Noticias, etc. Des brochures reproduisant les textes des conférences prononcées dans la salle du cinéma Coliseum de Barcelone furent également publiées.
La majorité d’entre elles sont intéressantes, mais j’en détacherais principalement celle de Jacinto Toryho, d’une actualité brûlante sur le problème de la Catalogne, les discours de Durruti, y compris le dernier, prononcé trois jours avant sa mort), ceux d’Emma Goldman ou par exemple celui de Berneri évoquant la mort de Gramsci quelques jours avant d’être lui-même assassiné à Barcelone.

Cette année est célébrée le cinquantenaire de la mort de Leon Felipe. Censuré par la station ?

La censure concernant Leon Felipe est en rapport avec la décision du comité de censure de guerre qui a lu la conférence du poète avant qu’elle le soit en public, et a vu qu’il s’agissait d’une critique féroce de l’absence d’union entre forces républicaines et des querelles qui s’étaient produites entre communistes et anarchistes après la chute de Malaga. Le manque d’enthousiasme et plus encore le pessimisme quant à une victoire républicaine possible furent les raisons qui amenèrent à la suspension de la diffusion de la conférence. Mais la conférence elle-même ne fut pas suspendue. Au contraire, son allocution fut suivie avec intérêt par un public immense qui remplissait le cinéma Coliseum. Par ailleurs, les bureaux de propagande de la CNT-FAI publièrent la conférence dans Solidaridad Obrera et, peu après, la CNT-FAI de Valence la publia sous forme de brochure.

Quelle est selon toi la raison pour laquelle des réalités éloignées du récit officiel n’ont aucune ou en tout cas que de très maigres reconnaissance et/ou diffusion ?

La CNT et la FAI, avec le POUM, furent les grandes vaincues de la guerre. Le POUM fut mis hors la loi déjà par la République, son journal interdit et ses principaux dirigeants poursuivis, détenus, séquestrés et assassinés, comme ce fut le cas pour Andreu Nin. La CNT-FAI est un cas différent, car sa force était très supérieure à celle du POUM et aussi à celle des communistes. Nous devons tenir compte du fait qu’au début de la guerre la CNT comptait plus d’un demi-million d’adhérents dans la seule Catalogne. Dédaigner cette force et ses réalisations a été la tendance de l’historiographie officielle de la guerre d’Espagne. Mais les collectivisations industrielles et agricoles existèrent, tout comme fut bel et bien réelle la proclamation du communisme libertaire dans de nombreux villages d’Aragon. Autant de réalités dont la station et la presse confédérales rendaient compte.

Rubén Caravaca Fernández


https://florealanar.wordpress.com/2018/ ... evolution/

Re: 1936, une révolution sociale et libertaire en Espagne

MessagePosté: 06 Fév 2018, 11:34
de bipbip
Docu Espagne 1936 | « La Révolution s’arrêta en Mai » vostfr

Ce documentaire est riche d’images d’archives, de témoignages d’historien-ne-s et de militant-e-s de l’époque… et surtout de tragiques leçons pour le mouvement anarchiste.

L’importance de ce documentaire est mis en évidence à la fin du film avec ce commentaire tiré des mémoires de Victor Serge, à savoir que la république a perdu la guerre en mai 1937 car on ne peut pas gagner la guerre en enfermant les éléments révolutionnaires les plus convaincus. En effet après que les anarchistes aient été réprimés, il ne restait plus de résistance concrète contre l’arrivée de Franco à Barcelone.

Le film porte donc sur « la guerre civile dans la guerre civile »; sur la « scission de fait » entre la tête de la CNT et la base (comités de défense, comités de quartier, milices populaires); de comment la république a liquidé la révolution en collaboration avec les staliniens.

Il y a une grande place accordée au rôle des organes de la base de la CNT dans la mise en place des changements révolutionnaires… changements qui – le film le montre bien – seront trahis par les organes dirigeants de la CNT qui ont rejoint le gouvernement de Caballero, Companys et Negrin. L’exemple le plus flagrant est le retour de la faim dans les rues de Barcelone en 1937 après que le ministre Comorera, leader du PSUC (stalinien), ait interdit l’approvisionnement gratuit par les comités de quartiers, et ce, dans le but d’instaurer le libre marché.

C’est toujours démoralisant de voir les appels des dirigeant-e-s de la CNT à baisser les armes et du coup à abandonner le réel pouvoir que la CNT avait à Barcelone.

Quelques espoirs se retrouvent pourtant ici et là dans le film : il est rapidement question de la région de l’Aragon où les anarchistes ont aboli les instances républicaines pour mettre en place une organisation anarchiste intégrale; il est question des Amis de Durruti, groupe dissident dans la CNT.

Ce qui est vraiment intéressant aussi de voir en image dans ce documentaire, c’est à quel point les staliniens ont réprimés les anarchistes de la base (et aussi le POUM) sous le gouvernement de Negrin.

Un documentaire à voir pour haïr tant la collaboration de classe de l’anti-fascisme bourgeois que le stalinisme. Et pourquoi par haïr par le fait même les instigateurs de l’entrée de la CNT au gouvernement ( lire ici Horacio Prieto et autres « possibilistes libertaires » de la CNT).


https://liberteouvriere.wordpress.com/2 ... ai-vostfr/


Re: 1936, une révolution sociale et libertaire en Espagne

MessagePosté: 12 Fév 2018, 12:05
de Pïérô
Levés avant le jour

Des brigades Internationales de l’Espagne à la résistance.

Saint Pierre Des Corps (37) du 13 au 24 février 2018

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http://demainlegrandsoir.org/spip.php?article1809

Re: 1936, une révolution sociale et libertaire en Espagne

MessagePosté: 16 Fév 2018, 12:46
de Pïérô
la révolution espagnole ; 1936-1939.

En juillet 2006, l’émission "Demain Le Grand Soir" a décidé de commémorer à sa façon la révolution espagnole de 1936.

A cette fin, elle a invité à l’antenne Edouard Sill, un ancien étudiant en DEA d’histoire contemporaine, qui a particulièrement travaillé sur la question des volontaires internationaux lors de cette révolution.

Les quatre émissions qui suivent permettent de retracer une épopée dont l’histoire a été régulièrement cachée ou calomniée par les tenants de "l’histoire officielle", qu’ils soient de gauche comme de droite.

Elles sont illustrées par une quinzaine de chansons de l’époque, en versions originales ou retravaillées par des groupes rock.

Ont Participé à ces émissions Stéphane Auger, Céline Gil, Magali Sabio, Edouard Sill et Eric Sionneau.

Bonne écoute !

http://demainlegrandsoir.org/spip.php?article1538

Re: 1936, une révolution sociale et libertaire en Espagne

MessagePosté: 25 Fév 2018, 13:34
de Pïérô
Les volontaires internationaux anarchistes en Espagne en 1936.

Conférence d’Édouard Sill, à la bibliothèque de Saint Pierre des Corps, le vendredi 16 février 2018 (108 participant-e-s).

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à écouter : http://demainlegrandsoir.org/spip.php?article1826

Re: 1936, une révolution sociale et libertaire en Espagne

MessagePosté: 17 Mar 2018, 09:01
de Pïérô
Retour sur l’énigme de la mort de Durruti

Quand nous avions émis l’hypothèse selon laquelle Manzana aurait pu être, pour le compte du gouvernement républicain, le bras armé ayant causé la mort de Durruti, nous avions versé au dossier, entre autres éléments, les affirmations de García Oliver concernant les conditions de la création du Conseil supérieur de guerre. Nous n’avons jamais franchement opté pour cette thèse, mais nous avions pensé que cela valait la peine de l’émettre, afin de susciter des réflexions qui pourraient, soit l’étayer, soit la réfuter.

Nous accueillons donc avec plaisir l’effort produit par un lecteur assidu de nos ouvrages, Tomás Mera, qui a cherché, à partir de la lecture attentive de la presse madrilène de l’époque, à reconstituer pas à pas le parcours des principaux protagonistes de cette ténébreuse affaire.

Sans vouloir déflorer les conclusions auxquelles parvient l’auteur, qui penche plutôt pour la thèse de l’accident provoqué par Manzana, nous pouvons rassurer les chercheurs du futur : la question reste ouverte…

Les Giménologues, 12 février 2018

Retour sur la chronologie des événements

entourant la mort de Durruti

Introduction


Dans cette recherche sur les circonstances de la mort de Durruti, il m’est apparu important de vérifier la pertinence des différentes propositions de « mando » faites à Durruti, durant la période qui va des tractations pour faire entrer la CNT au gouvernement à la date de sa mort à Madrid. Miguel Amorós [1] et Abel Paz [2] sont les plus précis sur les dates et le déroulé des événements à Madrid. Dans cette tentative d’être au plus près de la chronologie des faits, le travail a été facilité par l’accès aux sources digitalisées [3] de la plupart des journaux madrilènes ABC, La Voz, La Libertad et El Sol.

Si l’on arrive à reconstituer le plus fidèlement possible la chronologie et la présence des uns et des autres dans les différents endroits où tout se joue, Barcelone, Aragon, Madrid et Valence, on pourra tenter de démêler l’enchevêtrement des faits qui ont conduit Durruti à Madrid. L’ordre des événements aura conduit successivement Durruti à devenir potentiellement… ministre, ensuite generalísimo del Sector Centro, suivi de mayor de 3 Brigades mixtes (BM) et enfin remplaçant de Miaja à la tête de la défense de Madrid.

Rien ne permet de dire que sa mort était prévue, à défaut d’être prévisible, et encore moins planifiée et qu’il ne pouvait pas en être autrement. Le rabaisser et le tuer politiquement en lui faisant quitter l’Aragon étaient principalement les buts recherchés. Ses ennemis connaissaient sa détermination sans faille mais savaient aussi qu’il avait subi depuis la fin de l’été 36 toute une série de revers. Plus précisément, la colonne Durruti (comme les autres) piétine devant Saragosse, mais, comme on le sait, du fait du manque d’équipement et par la volonté du gouvernement central de ne pas renforcer les anarchistes.

Il y a aussi l’emballement des événements à l’automne 36. Durruti a le désir de venir à Madrid montrer ses réelles capacités sur le terrain à partir du moment où on lui donne les moyens en armes pour combattre les « fascistes ». Durruti s’exprime ainsi dans une lettre à Liberto Callejas, reproduite en première page de Solidaridad Obrera du 17.11.36 sous le titre :

« El compañero Durruti a dicho… » :

He venido de las tierras de Aragón a ganar la lucha para lo que es un problema de vida o muerte, no sólo para el proletariado español, sino del mundo entero. Todo se ha centrado en Madrid y no te oculto que me gusta verme cara a cara con el enemigo, siquiera porque se enoblece más la lucha. Antes de marchar de Cataluña pedí conciencia en los que están interesados por lo mismo. No me refería a los pobres de alma y de energía. Me referí a los que estamos empeñados en dar un empujón postrero. Los fusiles no hacen nada si no hay una voluntad y un cálculo en el disparo. En Madrid no hay duda de que no entrarán los fascistas, pero es que hay que echarlos pronto porque a España hay que volverla a reconquistar.

Estoy contento en Madrid y con Madrid, no te lo oculto, que me gusta verlo ahora con la seriedad del hombre grave que conoce su responsabilidad, que no con la frivolidad y encogimiento del hombre cuando amenaza la tormenta. [4]

Plus que les titres et les effectifs pléthoriques, c’est surtout la qualité des moyens en armement qui le préoccupe. Il connaît le prix humain payé par les miliciens dans les combats en Aragon face à un ennemi surarmé. Sa venue à Madrid survient, il faut bien le dire, après l’échec de la conquête de Saragosse.

C’est dire comme il est attendu au tournant.

Durruti misait sur le crédit politique que lui aurait gagné, auprès de Largo Caballero, le statut de sauveur de Madrid, susceptible de lui ouvrir, pensait-il, le robinet de l’armement des milices. Il ne pouvait méconnaître la volonté politique de Largo Caballero de créer son « Ejército Popular de la República », en poussant à la militarisation des milices intégrées au sein des futures Brigades mixtes.

Mais sa volonté farouche de repartir conquérir Saragosse l’emporte sur le reste. Il a déjà subi un revers cuisant, qu’il partage avec Santillán, au sujet du transfert de l’or de la Banque d’Espagne. Il ne dispose pas d’assez d’argent pour acheter des armes modernes à l’extérieur et cette question de l’armement des milices l’obsède à juste titre. Pour que la « revolución » ne soit pas enterrée par les impératifs de la guerre, il doit ouvrir un axe allant de la Catalogne au Pays basque, où se trouvaient les usines métallurgiques et surtout celles d’armement. C’est l’un des enseignements majeurs du livre d’Abel Paz.

Durruti sait l’importance, indépendamment des partis, clans et cliques, d’avoir les moyens de sa propre politique. Sa disparition prématurée en aura voulu autrement.

Avant son départ de Madrid pour Valence, le soir du 6 novembre, Largo Caballero convoque dans l’après-midi un conseil des ministres consacré à la situation militaire. Il laisse deux missives destinées aux généraux Miaja et Pozas avec des consignes claires : ces lettres ne devaient être impérativement ouvertes que le lendemain matin, 7 novembre, à 6 h. Abel Paz nous raconte comment il en fut autrement. Les deux généraux le firent vers minuit et s’aperçurent alors que l’ordre des destinataires avait été inversé. Pour l’anecdote, les généraux Pozas et Asensio [5] se retrouvent bloqués à Tarancón, sur la route de Valence, suite aux consignes de Cipriano Mera de bloquer tous les fuyards de la capitale, y compris les ministres et officiels. Au point que Federica Montseny pestera contre le refus de la laisser passer et qu’il faudra les interventions d’Eduardo Val et d’Horacio Prieto pour faire lever les barrages et libérer les ministres détenus.

Une fois le nouveau dispositif de défense mis en place, Pozas devient « general jefe del Ejército del Centro » et le supérieur hiérarchique de Miaja, qui, lui, va présider la junte de Défense de Madrid. El sector Centro correspond maintenant à la ville de Madrid et sa proche ceinture. Pour le cas où la capitale viendrait à tomber entre les mains de Franco, Largo Caballero avait prévu de faire replier les troupes de Madrid sur Cuenca pour y établir un nouveau centre de commandement sous la direction de Pozas.

Très pessimiste quant à la suite des événements, Largo Caballero avait pronostiqué – d’après Bolloten – que Madrid n’allait tenir que trois à six jours maximum. Valence avait été choisie comme point de chute, alors que le président de la république, Manuel Azaña, avait choisi, lui, de se réfugier à Barcelone. Ces deux villes ont en commun d’être ouvertes sur la mer !

Ne voulant pas donner raison aux détracteurs accusant les ministres de fuir, García Oliver, une fois son ministère installé sommairement à Valence, met un point d’honneur à revenir à Madrid le plus vite possible. Il prend au mot le président du conseil qui annonce à la fin du conseil des ministres, le 7 novembre, qu’il va retourner lui aussi à Madrid. García Oliver le prend de vitesse et semble être le premier [6] à se présenter à Madrid, probablement le 8 novembre dans l’après-midi où il se rend directement au ministère de la Justice. García Oliver dit dans ses mémoires avoir rencontré le lendemain Miaja au ministère de la Guerre, mais la presse madrilène, qui suit les différents déplacements des membres du gouvernement, n’en fait pas état.

Le 10 novembre [7], Montseny et Durruti arrivent à Madrid en provenance de Barcelone. À 15 h, Montseny parle au peuple madrilène sur les ondes de Unión Radio (cité par l’ABC du 11.11.36). García Oliver dit avoir rencontré Durruti à son arrivée à 9 h. La presse n’évoque pas la présence de Largo Caballero ni celle de García Oliver à Madrid ce jour-là. Les deux ex-compères vont ensuite rencontrer Largo Caballero pour évoquer la nomination de Durruti comme mayor en charge du commandement de 3 Brigades mixtes. La proposition est faite par García Oliver à Largo Caballero, qui l’accepte avec un délai de 10 jours. García Oliver agit ainsi dans l’optique de donner à Durruti les moyens militaires de sa présence à Madrid, et de justifier auprès de Buenaventura son poids politique et celui de la CNT-FAI, renforcés par leur entrée au gouvernement. García Oliver se voit comme l’interlocuteur privilégié du président du conseil et ministre de la Guerre. Ce dernier, dans l’optique de la chute imminente de Madrid, pense plutôt au repli des forces militaires sur Cuenca. Ce temps supplémentaire permettra de décanter la situation.

Une fois la proposition faite de le nommer mayor, Durruti sait que court un délai de 10 jours avant sa nomination. De retour à Valence, si on s’en tient à son récit [8], García Oliver dit ensuite avoir revu Montseny et Durruti. La discussion pourrait se situer le 12.11, tôt dans la matinée, avant le départ de Montseny et García Oliver pour Madrid, où ils assistent tous les deux à une réunion de la junte de Défense dans l’après-midi [9]. D’après García Oliver, Federica Montseny ne l’entend pas de cette oreille. Elle ajoute que la proposition faite par García Oliver à Largo Caballero de nommer Durruti mayor n’est pas ce que demande la CNT de Catalogne. Il ne faut pas que Durruti attende mais qu’il aille tout de suite à Madrid. Durruti assiste à la conversation et évoque une réunion à son retour à Barcelone après sa visite express du 10 novembre à Madrid. Durruti, pressé par García Oliver de prendre position sur le poste de mayor, répond avoir rendu compte de la proposition des 3 BM à Federica, Marianet et Santillán. Le débat pourrait ainsi se résumer à un détachement de 1000 miliciens d’Aragon et à une proposition d’unir les forces de Mera et de Durruti sous le commandement de ce dernier.

À Barcelone, le 12.11 dans la journée, Durruti prendra la décision finale de venir à Madrid. Il téléphone ensuite à Bujaraloz pour désigner les bataillons qui vont aller à Madrid et participe le soir « a la luz de los faroles » [10] au chargement d’armes pour la colonne sur le port de Barcelone.

Avant même qu’il ne soit question d’un poste de mayor, Durruti avait clarifié sa position en se prononçant clairement, lors d’un discours le 4 novembre à la radio CNT de Barcelone, contre la militarisation décrétée par la Generalitat. Il observait la pression de plus en plus forte des Prieto, Montseny et consorts pour le pousser inexorablement vers Madrid. Cependant, Durruti désirait ardemment montrer l’étendue de ses capacités à en découdre sur tous les fronts. Il ne pouvait pas méconnaître les risques de sa venue à Madrid mais il pensait qu’empêcher les « fascistes » d’entrer dans la capitale était très important pour entreprendre la reconquête de l’Espagne.



On ne sait pas si García Oliver et Durruti ont revu Largo Caballero le 13 ou le 14 novembre à Madrid. C’était possible techniquement au vu de la présence des trois à Madrid.

Les 13 et 14 novembre, Largo Caballero et Del Vayo sont en tournée d’inspection et constatent la réalité des combats sur le front sud de Madrid. Le délai initial de trois à six jours que Caballero avait pronostiqué pour la chute de Madrid est désormais caduc. Il n’a pas revu Durruti pour avoir sa réponse. Peu importe, l’essentiel est là : Durruti a finalement dit oui pour venir combattre dans la capitale et il est déjà en route avec ses miliciens pour Valence destination Madrid. Ricardo Sanz évoque un échange téléphonique [11] entre Durruti et Largo Caballero, avec une vague proposition de lui donner les « pleins pouvoirs ». La date du 13 novembre paraît probable, car Largo Caballero fait aussi référence à l’arrivée de nouvelles Brigades internationales. Les 2 BI, la XI et la XII, prennent progressivement position à Madrid à dater des 9 et 12 novembre.

Quant à la CNT du comité national, la donne a changé depuis la création de la junte de Défense de Madrid. Le plan initial échafaudé avant la réunion CNT du 8 novembre prévoyait de nommer le tandem Durruti-Casado à la tête de la défense de Madrid. À cette date-là, Durruti n’a pas encore donné son aval pour venir à Madrid… comme « generalísimo del sector Centro », et des émissaires sont en route pour le convaincre. Pensant prendre de court le gouvernement et le PCE, la CNT Madrid monte tout un scénario s’appuyant sur 10 000 miliciens, et se rabat sur une proposition faite, on ne sait pas vraiment par qui et comment, de nommer Durruti grand chef militaire de la défense de Madrid. Est-ce en remplacement du général Asensio nommé le 4 septembre ? Est-ce la « proposition faite par le gouvernement », comme il a été dit par González Inestal le 8 novembre ? Cette nomination figurait-elle dans la « corbeille de mariage » lors des tractations finales portant sur l’entrée de la CNT au gouvernement, comme le suggèrent les termes « hizo por el Gobierno hace unos ocho días », qui pourrraient ainsi renvoyer à la date du 1er novembre ?

L’acte final de la réunion est rédigé en ces termes, et c’est González Inestal qui intervient :

« Se da cuenta de la negativa de Durruti a la propuesta de nombramiento de Generalísimo del sector del Centro que se le hizo por el Gobierno hace unos ocho días, y de la situación de las fuerzas que manda a Madrid y del viaje de dos miembros del Comité Nacional para verle y convencerle de la necesidad de su presencia aquí.

Ante la competencia que parece pudiera existir entre Casado y Durruti de venir éste, se estimando todos no habrá ninguna cuestión ya que el uno es técnico militar y puede figurar a los órdenes del otro, que ha de ser quien con su presencia levantará la moral de todos los combatientes de éste Sector. [12] » [13]

González Inestal (dont on ne sait pas s’il parle en son nom propre ou s’il se fait le porte-parole de la majorité des membres réunis) propose de fixer un ultimatum de 4 heures au gouvernement pour que Largo Caballero signe un décret nommant Casado chef des opérations. Il ajoute qu’il faudra passer par dessus le président du conseil en cas de refus. González Inestal a bien compris que Miaja et Rojo, nommés respectivement chef de la junte de Défense de Madrid et chef d’état-major de Miaja, sont entre les mains des Russes, et que Casado – plus capable militairement, selon lui, et de plus très hostile aux communistes – serait une garantie pour la CNT. Le 8 novembre est aussi le jour où le PCE, avec son Ve régiment, tous ses commandants et militaires russes, leurs tanks et avions courent comme un seul homme dérouler le tapis rouge à Miaja. Tous aux ordres de Miaja pour commencer la bataille de Madrid, comme nous le rapporte Bolloten.

Que peut alors valoir la proposition de nommer Durruti « generalísimo del sector Centro » discutée le 8 novembre à la réunion CNT à Madrid ?

Dès sa nomination le 4 septembre 1936, suite à la chute la veille de Talavera de la Reina, Largo Caballero remplace Giral comme président du conseil et prend la charge de ministre de la Guerre. Il nomme le jour même par décret, paru dans la Gazeta de Madrid, le colonel Asensio Torrado au grade de général du Théâtre des opérations militaires de la zone centre (TOCE). Il est chargé de déployer les milices à l’ouest de Madrid et d’empêcher l’avancée sur Madrid des troupes de Yagüe. Dans un deuxième temps, le 23 octobre 1936, le général Asensio est nommé sous-secrétaire du ministère de la Guerre, Pozas prend la direction du TOCE et Miaja celle de la 1ère division organique [14] de l’armée. L’ensemble de ces trois postes stratégiques est déjà pourvu de fait quand a lieu la réunion des instances de la CNT le 8 novembre à Madrid.

Cette première réorganisation de l’armée du Centre ne sera que provisoire. Le front au sud-ouest de la capitale craque déjà de partout et fin octobre, les « nationaux » sont aux portes sud de Madrid. Ils n’auront été retardés dans leur avancée que par la décision politique de Franco le 20 septembre de déplacer des troupes de Yagüe et de les porter au secours de l’Alcazar de Tolède. Yagüe est furieux car il sentait Madrid largement à sa portée par une offensive éclair dans la foulée de la prise de Talavera. Cette incartade lui coûtera son poste et il sera écarté par Franco de la bataille de Madrid qui s’annonce.

Tout ce qui touche de près ou de loin à la question du « generalísimo del sector Centro », évoquée par Montseny [15] ou lors de la réunion de la CNT du 8 novembre, est déjà remis en question le 6 novembre avec la seconde réorganisation militaire de Madrid et les rôles attribués respectivement à Miaja et à Pozas. Miaja récupère la défense de Madrid et Pozas dirige la zone Centre.

La même réunion du 8 novembre convoquée à 10 h 30 avalise l’entrée de la CNT dans la junte de Madrid, donc sous l’autorité de Miaja… et propose d’en changer le chef. L’ABC du 8 novembre confirme la tenue la veille d’une première réunion de mise en place de l’organisme. La liste des présents donnée par El Sol du 8.11.36 indique que la CNT était absente. Le PCE, présent en force, en profita pour s’arroger les postes les plus importants politiquement. L’ABC du 9 novembre donne la liste de tous les membres de la junte de Défense où apparaissent les noms des conseillers CNT, Amor Nuño et le jeune libertaire Mariano García Cascales, et signale qu’ils se sont réunis dès le 8 novembre… dans l’après-midi.

Pendant ce temps, au comité national de la CNT à Madrid, « los distintos miembros de Comités responsables de la Organización confederal en Madrid » vont discuter doctement d’une proposition concernant Durruti… qui n’est plus d’actualité.

C’est le prolongement des manœuvres directes et indirectes visant à faire venir Durruti à Madrid à tout prix comme signe de bonne volonté et de ralliement politique au gouvernement de Largo Caballero.

Concrètement, le comité national de la CNT renonce à prendre la tête de la défense de Madrid et à utiliser tous les moyens, y compris extra-légaux, pour imposer sa politique. Les milices se trouvent mises de facto à la disposition de Miaja. Mera, qui rencontre Miaja, le juge plutôt honnête mais il se rend compte rapidement qu’il n’est entouré que de communistes et d’assesseurs soviétiques, prêts à tout pour envoyer les milices confédérales dans les zones les plus exposées.

Le champ est libre pour Miaja et le PCE. Celui-ci accapare les postes stratégiques et les plus importants de la junte de Défense comme l’Ordre public avec Carrillo, le Ravitaillement avec Yagüe, et la Guerre avec Mije. Et on ne compte pas les philocommunistes déguisés comme le socialiste Frade, sans oublier le propre Miaja dont on dit qu’il a déjà en poche la carte du PCE. Amor Nuño et Mariano García occupent des postes sans commune mesure avec l’influence réelle de la CNT à Madrid, tels que conseillers à l’Industrie de guerre – Madrid est faiblement industrialisé – et à l’Information et liaisons, même si ce dernier poste permet d’avoir la haute main sur le renseignement.

Dès le 13 novembre au soir, l’arrivée de Durruti dans la capitale est suivie le lendemain de celle des miliciens en provenance de Barcelone via Valence. Les milices en provenance d’Aragon et de Catalogne représentent en réalité un effectif de 2200 hommes pour la colonne Libertad-López Tienda et la colonne Carlos Marx auto-proclamée division, les deux à majorité PSUC-UGT et arrivées à Madrid dès le 13 novembre. L’effectif de la colonne Durruti est de 1800 miliciens. Solidaridad Obrera, dans un élan lyrique et dithyrambique, voit déjà l’ombre de Durruti à Madrid dès le 11 novembre et va jusqu’à annoncer le 12 novembre 1936 en pages intérieures : « ¡ Durruti, con 4.000 hombres, llega a Madrid ! »

À la tête d’une colonne faible numériquement, sans les moyens promis sur place par Largo Caballero et peu soutenu par la CNT Madrid, Durruti arrive en terrain miné. Mera dit ne l’avoir rencontré que vers le 16 novembre. Miguel Amorós donne une date plus conforme à la réalité en la situant dans la soirée du 13 novembre au comité de Défense de la CNT avec Val. Cipriano lui propose de joindre ses forces aux siennes et de placer l’ensemble sous la direction de Durruti. Cette option qu’il veut imposer à Miaja s’avérera impossible car la colonne de Mera a été déjà engagée par Miaja sur un autre secteur. Mera et Durruti essaient de peser ensemble sur les décisions militaires mais ils se retrouvent souvent isolés, sans réelle marge de manœuvre, quasiment pieds et poings liés sous les ordres directs et non négociables de Miaja.

Cela devient une habitude, Durruti doit se débrouiller seul avec ses miliciens et sans l’aide de troupes supplémentaires sous ses ordres. C’est ce qu’il va faire en se jetant à corps perdu dans la bataille, dans l’un des secteurs les plus exposés de Madrid.

Chronologie

Période du 8 au 10.11.36


Présence le 10.11.36 à Madrid de García Oliver, Durruti et Largo Caballero qui se voient ensemble [16].

10.11.36

Montseny et Durruti, sortis la veille de Barcelone, arrivent à Madrid le 10.11.36, d’après El Sol et La Voz du 10.11.36.

Montseny parle à Unión Radio à 15 h à Madrid, selon La Voz du 10.11.36.

Durruti passe par Valence où il assiste à un Pleno devant décider de la création d’une armée populaire et de militariser toutes les milices. Le soir, il arrive à Barcelone.

11.11.36

Montseny voit à Madrid le général Miaja dans la matinée, d’après l’ABC du 12.11.36.

Álvarez del Vayo assiste dans l’après-midi du 11.11.36 à la réunion de la JDM, selon l’ABC du 12.11.36 et El Sol du 12.11.36.

12.11.36

García Oliver est revenu à Madrid, probablement le 12.11.36.

García Oliver et Montseny sont à la réunion de la JDM le 12.11 dans l’après midi, selon El Sol du 14.11 qui parle du jueves (jeudi), qui ne peut être que le 12.11 et ils seront aussi présents à la réunion du 13.11 avec Durruti, comme l’atteste aussi La Libertad du 14.11.36.

García Oliver rentre probablement à Valence pour attendre Durruti.

13.11.36

Largo Caballero et Álvarez del Vayo sont à Madrid le 13.11, en visite sur les différents secteurs du front.

Durruti arrive avec Manzana et Yoldi à Valence en avion pour rejoindre García Oliver. Ils arrivent le 13.11 dans l’après-midi.

García Oliver visite à son tour le front, selon l’ABC du 14.11.36, qui précise qu’il doit rentrer à Valence le dimanche 15.11 pour assister à la séance de clôture du plénum régional de la CNT.

Durruti, García Oliver et Montseny assistent le soir à une réunion de la JDM.

14.11.36

García Oliver et Durruti visitent le front de Madrid.

Del Vayo reste à Madrid le 14.11.

Largo Caballero et Del Vayo rentrent à Valence le 14.11.36 vers 19 h pour le conseil des ministres et font un compte-rendu de leur visite madrilène.

16/17.11.36

García Oliver et Federica Montseny auraient été présents à Madrid, d’après Mera. Cela pose le problème de la présence de García Oliver au conseil supérieur de Guerre (CSG) le 16.11.36 à Valence.

La proposition de nommer Durruti à la place de Miaja

À la lecture des journaux de Madrid, dont l’ABC monarchiste devenu républicain de gauche, il est possible de retrouver les passages à Madrid de García Oliver, Álvarez del Vayo et Largo Caballero. Tous les trois sont membres du conseil supérieur de Guerre depuis le 9 novembre. Cela permettra ainsi de suivre en parallèle les informations des mêmes journaux sur les réunions de ce conseil.

En novembre 36, la presse de la capitale ne donne quasiment aucun détail sur les miliciens de la CNT et n’a d’yeux que pour les républicains et surtout le PCE. Les premiers jours de la bataille de Madrid coïncident avec l’anniversaire de la révolution russe d’Octobre 1917. L’arrivée à Madrid des milices de Catalogne le matin du 12 novembre et de celles d’Aragon le 14 au soir sera à peine évoquée. Il faudra attendre la mort de Durruti plusieurs jours après pour apprendre dans la presse madrilène qu’il y a combattu, alors que les journaux regorgent des « exploits » des unités communistes.

Pour revenir au conseil supérieur de Guerre où aurait été décidé le remplacement de Miaja par Durruti, les réunions se déroulent après le conseil des ministres, et ce tous les deux jours.

Dans ses mémoires, García Oliver dit qu’il a élaboré l’idée d’un conseil supérieur de Guerre [17] lors d’une réunion des quatre ministres cénétistes avec Horacio Prieto, afin de ne pas laisser toute la conduite de la guerre à Largo Caballero et Indalecio Prieto. L’annonce aurait pu avoir lieu le 7 novembre à Valence lors d’un conseil des ministres précédant le départ de García Oliver et Largo Caballero pour Madrid. Un passage dans l’article d’El Sol du 9.11.36, p. 4, fait référence à un communiqué en date du 8.11, entérinant le principe d’un conseil de Guerre. Le président du conseil en accepte le principe et laisse aux autres ministres 48 h pour donner leur accord et celui de leurs partis.

Créé lors de la réunion [18] du conseil des ministres à Valence qui débute le 9 novembre à 16 h, il se réunit dans la foulée de celui-ci. García Oliver, ministre CNT de la Justice, en fait partie et en sont membres, pour les plus connus, outre Largo Caballero qui le préside, le ministre PCE de l’Agriculture Uribe et le ministre d’Etat et commissaire général à la Guerre Del Vayo. El Sol du 10.11 annonce qu’il se réunit après le conseil des ministres. Largo Caballero a pu le présider avant son départ pour Madrid. García Oliver est le seul ministre cénétiste à y participer. La réunion se termine à 20 h 15.

Évoquer, dès le 9 novembre, le remplacement de Miaja, nommé trois jours plus tôt, peut sembler étrange. Mais, nous le verrons plus tard avec le refus de Miaja de venir à Valence rendre des comptes, c’est peut-être une hypothèse à considérer, en liaison avec le témoignage du journaliste Chaves Nogales.

Le conseil des ministres ne se réunit probablement pas le 11.11 à Valence, vu le nombre d’absents et la présence de trois ministres à Madrid.

Álvarez del Vayo se trouve à une réunion de la junte de Défense à Madrid le 11 novembre 36.

García Oliver est aussi annoncé à Madrid le 12, sans plus de précision, par La Voz et El Sol du 12 novembre 36, qui signalent les deux ministres présents à Madrid.

Le conseil des ministres se réunit à nouveau le 14 novembre à Valence. Largo Caballero et Del Vayo rentrent de Madrid vers 19 h, mais García Oliver et Montseny sont absents car restés à Madrid. Même si le conseil supérieur de Guerre s’est réuni malgré les absents, ce n’est de toute façon pas la réunion évoquée par García Oliver dans ses mémoires.

Le conseil des ministres, suivi d’un conseil supérieur de Guerre, se réunit à nouveau le 16 novembre à Valence, mais sans donner lieu à compte rendu dans la presse. Le fait est rapporté par le journal El Sol du 17 novembre, mais il est aussi certifié par La Libertad du même jour.

Le conseil des ministres, suivi d’un conseil supérieur de Guerre, se réunit ensuite le 18 novembre à Valence, mais on ne trouve pas dans la presse d’informations précises sur l’ordre du jour.

Au-delà de la date supposée, 9, 14, 16 ou 18 novembre, cette proposition concernant Durruti intervient sur fond de rivalité récurrente entre Largo Caballero et Miaja. Le journaliste espagnol Manuel Chaves Nogales, auteur d’une série d’articles – regroupés dans La Défense de Madrid [19] – écrits et parus en 1938 dans la presse mexicaine, l’évoque dans ses articles.

Chaves Nogales ne cesse de faire un éloge appuyé de Miaja, mais il raconte aussi divers épisodes du conflit latent entre les deux hommes, en partie sur fond de jalousie de voir Miaja couvert de gloire. Ecrit dans un style romanesque, on y voit Miaja tancer Durruti et traiter les miliciens de lâches pour s’être retirés de positions stratégiques dans le secteur de la Cité universitaire. Cet épisode est connu et relaté par M. Amorós. Il est à mettre au passif des miliciens des colonnes du PSUC, la Carlos Marx et la Libertad-López Tienda [20], le 15 novembre. Des incidents s’en suivirent avec les miliciens de Durruti, qui dûrent décrocher à leur tour, et Miaja menaça d’éliminer la colonne Durruti, après avoir retiré à la colonne PSUC son autonomie en tant qu’unité. Prise en tenaille entre la colonne du PSUC Libertad-López Tienda et la IXe BI du général communiste Kleber, la colonne Durruti est quasiment seule au combat et sort pratiquement anéantie le 18 novembre au matin. C’est le traitement infligé par les soviétiques à Durruti pour le déconsidérer et casser son prestige.

Chaves Nogales, dans un élan lyrique, finit par voir Durruti mourir au combat, une balle lui traversant le cœur !

Dès le départ, Miaja n’a guère apprécié les conditions dans lesquelles il a été désigné président de la junte de Défense. Persuadé que Largo Caballero lui tend un piège et que ce dernier a élaboré un plan destiné à le sacrifier, Miaja se voit conforté et ragaillardi par l’adhésion des partis et syndicats à sa junte et l’appui inconditionnel du PCE. Dans un climat d’abandon et de panique, Miaja voit d’un bon œil que les staliniens fassent office de garants du maintien de l’ordre et prennent de fait le contrôle de la défense de la capitale.

Si on suit la chronologie, ce récit évoque au moins deux, voire trois, tentatives de faire venir autoritairement Miaja à Valence, dont la première pourrait se situer vers le 9 novembre, et une nouvelle le 17. À chaque fois, Miaja refuse d’obéir ou s’arrange pour ne pas venir.

La première fois, Miaja refuse d’aller à Valence rendre des comptes à Largo Caballero, pour ne pas être ensuite accusé de fuite. La deuxième fois, Miaja, légèrement blessé, refuse de se déplacer. Largo Caballero voit que Miaja prétexte une perte de temps trop importante pour ce déplacement. Alors, il lui répond deux jours après en mettant un petit avion à sa disposition. Miaja juge alors sa taille peu digne de son rang et craint pour sa propre sécurité. Les échanges auraient eu lieu à coups de télétypes. Selon M. Amorós, le texte des entretiens entre Miaja et le gouvernement se trouverait aux archives militaires d’Ávila. Il serait ainsi possible de retrouver la trace de ces différents incidents, tels que relatés par Chaves Nogales.

Le premier refus pourrait expliquer le départ de Valence, dès le lendemain, de plusieurs ministres à Madrid, dont Álvarez del Vayo, mandaté par Largo Caballero. Del Vayo assiste dès son arrivée le 11 novembre à une réunion de la junte de Défense.

Le compte rendu de cette réunion dans la presse madrilène fait allusion en filigrane à ce conflit de pouvoir où il est nécessaire de réaffirmer que « la junte de Défense n’est que le prolongement du gouvernement » et de couper ainsi court aux propos du ministre de la Guerre, qui voyait Miaja décider seul de tout et se prendre pour le gouvernement :

« El ministro de Estado, que asistía a la reunión, expuso el estado en que se encuentra la situación internacional con respecto a los sucesos de España, y dijo que desde el traslado del Gobierno a Valencia la opinión internacional se había inclinado favorablemente hacia el Gobierno legítimo de España. Estimó el general presidente, y su opinión la compartieron todos los reunidos, que la Junta de Defensa de Madrid no es más que una prolongación del Gobierno legítimo de la República española. » [21] (La Voz du 12 novembre 36.)

À partir de ce premier acte d’insubordination de la part de Miaja, le ministre de la Guerre réfléchit à sa destitution pour affirmer sa volonté de rester le seul chef de l’armée. Toujours dans un souci de ménager ses arrières, et connaissant probablement le désaccord d’Azaña sur le sujet, Largo Caballero va encore demander un délai de huit jours en le justifiant par le temps nécessaire pour Durruti de se faire connaître à Madrid. Il ajoute qu’il ira lui-même à Madrid parler avec Durruti et lui transmettre le poste de commandement.

Le second refus réitéré de Miaja de venir les 17 puis 19 novembre à Valence peut avoir irrité au plus haut point Largo Caballero. Miaja voyait son sort définitivement scellé et Largo Caballero en profita pour accéder à la demande de García Oliver. Durruti étant déjà à Madrid depuis 4 jours, on ne voit pas trop pourquoi Largo Caballero demande le 18 novembre un délai de 8 jours pour qu’il se fasse connaître ?

La guerre de tranchée n’étant pas terminée, il reste encore à venir l’incident le plus tendu, qui va se produire le 19 novembre [22], avec la tentative par Largo Caballero de retirer 3 BM et d’autres bataillons du front de Madrid. Le but était de lancer une offensive sous les ordres de Pozas dans la province de Tolède afin de dégager la pression sur Madrid, offensive qui s’avérera finalement un échec car Franco ne mordit pas à l’hameçon.

Largo Caballero voyait en Miaja un rival qui lui faisait de l’ombre. Il l’accusa de décider seul à la place du gouvernement, voire de se prendre pour le gouvernement : « Caballero aspire à être le libérateur de Madrid – bien que ce soit de l’extérieur – et ses ordres sont impératifs, » ajoute le journaliste.

En résumé, que reste-t-il de cette proposition de remplacer Miaja par Durruti ? Juste une rodomontade dont Largo Caballero est familier ? Une tentative de mettre Miaja au pas, sûrement, mais qui ne sera pas suivie d’effet ! Nommer Durruti, c’était déjà entrer en conflit avec Azaña qui désapprouvait le remplacement de Miaja. Azaña avance qu’il n’ose pas imaginer ce qui se passerait dans ce cas, car « les gens et l’armée l’adorent », selon le témoignage de son neveu [23] qui fut son aide de camp. Mais c’était à coup sûr se mettre à dos tout l’état-major, ainsi que les partis républicains modérés, les secteurs hostiles du PSOE, et le PCE. Il s’en serait suivi, dès novembre 1936, une crise politique et gouvernementale sonnant le glas de ses ambitions de président du conseil et ministre de la Guerre.

Largo Caballero a tout intérêt de profiter des bonnes relations avec ses nouveaux amis de la CNT. L’objectif est d’aller vite vers la militarisation des milices et de réorganiser ainsi l’armée rebaptisée EPR, Ejército Popular de la República. Il va donc imposer la création d’un état-major central, confié le 27 novembre au général Martínez Cabrera et placé sous les ordres du ministre de la Guerre. La priorité était d’avoir des officiers sûrs qui ne seraient plus sous la férule du PCE comme l’étaient Miaja et Rojo. Ce plan prévoyait en parallèle la militarisation des milices des partis, syndicats et organisations via la constitution de Brigadas Mixtas (BM) en préparation depuis la mi-octobre 36.

Entre la fin octobre et le début novembre 36, quatre BM, soit les 2, 3, 5 et 6, sont réellement formées et vont participer à la bataille de Madrid au fur et à mesure de leur constitution dès le 5 novembre 36, sans compter la 1ère BM déjà en place au nord-est de Madrid.

Si l’on en revient à l’idée première du 10 novembre de García Oliver de confier trois BM à Durruti, il n’y a que trois BM, soit les 2, 3 et 5, qui soient susceptibles d’être dirigées par Buenaventura. Les trois autres, les 1, 4 et 6, sont sous contrôle direct du PCE, qui aurait refusé de le céder en hurlant à la mort.

« Las seis primeras Brigadas Mixtas fueron creadas el 18 de octubre, aunque su organización tardaría un tiempo en completarse. La 1.ª estuvo liderada por Enrique Líster, la 2.ª por Jesús Martínez de Aragón, la 3.ª por José María Galán, la 4.ª por Eutiquiano Arellano, la 5.ª por Fernando Sabio y la 6.ª por Miguel Gallo Martínez. De los seis primeros mandos de las Brigadas Mixtas, tres de ellos tuvieran el carné del PCE (Líster, Arellano y Gallo). Muchos de estos mandos comunistas procedían del Quinto Regimiento, que se había destacado en los combates alrededor de la capital durante los primeros meses de la guerra. [24] » [25]

Ces six BM seront les seules à être constituées fin 1936, et les autres ne seront progressivement mises en place que durant l’année 37 et suivantes.

Nommer Durruti mayor à Madrid pour prendre la tête des trois BM aurait été plus grandiose, de la part de Largo Caballero semble-t-il, que de le nommer à la place de Miaja. Chaque BM dispose en effet d’un effectif moyen de 4000 hommes. Trois BM forment une division pouvant être commandée par un mayor, grade le plus élevé pouvant être obtenu par un civil issu des milices. Durruti serait alors devenu mayor chef de division avec 12 000 hommes sous ses ordres. C’est, ni plus, ni moins, ce qu’obtient Mera par la suite en tant que commandant de la XIVe division puis lieutenant-colonel du IVe corps d’armée. Yoldi ou Ricardo Sanz suivront la même trajectoire.

Largo Caballero était un politicien habile et manipulateur. Il connaissait très bien la CNT pour l’avoir farouchement combattue lorsqu’il était conseiller sous la dictature de Primo de Rivera. Durruti pouvait penser que l’objectif de vaincre le fascisme était en mesure de l’emporter sur toutes les autres considérations partisanes et partidaires. C’est le sens de son discours du 4 novembre à Barcelone. Durruti et ses « folies révolutionnaires » n’étaient pas du goût de ses ennemis. Cette puissance militaire ainsi octroyée lui aurait permis d’être le sauveur de Madrid et de disposer enfin des moyens militaires permettant à ses colonnes de reprendre l’offensive sur Saragosse dans de meilleures conditions.

Dans ses Mis recuerdos. Cartas a un amigo [26], Largo Caballero ne fait pas état d’une quelconque proposition de nommer Durruti successivement ministre puis mayor et enfin generalísimo à la place de Miaja. C’est dire tout le « respect » qu’il avait pour Durruti qu’il savait intransigeant. Il est à noter que, dans son livre, Durruti n’est cité qu’une seule fois, le jour de sa disparition et García Oliver quatre fois ! C’est maigre comme bilan pour la CNT et pour García Oliver qui se voyait comme l’interlocuteur et partenaire privilégié de Largo Caballero, croyant s’en être fait un allié contre l’hégémonie rampante du PCE.

Le piège se referme sur Durruti

Dans ces conditions, l’organisation par Miaja de l’assassinat de Durruti à la charge de Manzana doit être reconsidérée en fonction de nouvelles dates. Ce n’est plus le 14 mais dès le 9 novembre que flotte dans l’air le remplacement de Miaja. Le conseil supérieur de Guerre se réunit aussi les 16 et 18 novembre et, là, on sait que García Oliver est bien présent à chaque fois à Valence.

Bien sûr, tout est encore possible, y compris la fuite de l’information organisée sciemment par le PCE dans les jours précédant ladite réunion du GSG. Miaja aurait alors eu vent de la volonté de Largo Caballero de le remplacer, et un délai supplémentaire aurait été octroyé à Miaja pour mettre en place le scénario macabre de l’élimination de Durruti.

À l’allure où vont les événements, et après la détermination de Miaja assuré du soutien du PCE et se permettant l’audace de désobéir, est-il judicieux de courir le risque énorme d’éliminer Durruti ? Ses ennemis communistes et moscoutaires savent que les menaces et promesses de Largo Caballero ne sont pas toujours suivies d’effet. Sa préoccupation d’organiser le nouvel état-major central et l’EPR lui permet d’avoir un coup d’avance pour passer à l’étape suivante. La décision de nommer García Oliver pour organiser les futures Ecoles populaires de guerre [27] et le développement des Brigades mixtes avait pour but de former les officiers le plus loin possible de l’orbite du PCE.

Durruti restera finalement à la tête de sa seule colonne. Malgré les ordres donnés par Miaja et Rojo de mettre la colonne Libertad-López Tienda, renforcée par des bataillons issus de la division Carlos Marx, sous les ordres de Durruti, les officiers PCE refuseront d’être commandés par lui. Il ne sera pas nommé à la place de Miaja, ni mayor ni encore moins generalísimo.

Durruti a bien failli être ministre dans le gouvernement du Lénine espagnol quand celui-ci lui fit la proposition lors d’une conversation téléphonique à Madrid. C’est Antonio De La Villa qui rapporte cette curieuse offre de Largo Caballero à Durruti que l’auteur situe au moment de la création du gouvernement incluant les nouveaux ministres de la CNT. Cette allégation est citée dans Le bref été de l’anarchie [28].

La bataille de Madrid est loin d’être achevée. L’imprévisibilité de Durruti ne permet pas d’organiser facilement son élimination physique. Il n’y a qu’un proche qui puisse le faire, et Manzana aurait pu être la bonne personne, retournée par les soviétiques. Le conseiller russe et agent du GRU collé aux basques de Durruti dès son arrivée pouvant alors être l’officier traitant de Manzana, chargé de la sale besogne.

Mais quel intérêt pour le PCE de précipiter les affaires et d’ouvrir à ce moment-là les hostilités avec la CNT ? Le triomphe en cas de victoire à Madrid était assuré pour le PCE et Miaja serait élevé au titre de héros national ! Malgré les manœuvres de Largo Caballero pour freiner son ascension dans l’état-major, le PCE progresse dans l’EPR et, via le rôle trouble joué par Del Vayo, il pourra accéder à des postes de commandement dans les mois qui suivent. La vraie cible du PCE, c’est le Lénine espagnol qui refuse la fusion des deux partis socialiste et communiste, et n’est plus l’instrument docile que souhaiteraient les soviétiques.

Mais les « chinos », comme on surnomme les Russes en Espagne, et en particulier Staline, se déterminent toujours selon leurs propres intérêts. Ils ne se soucient pas d’avoir l’aval de leur allié local pour agir. Il suffit de mettre le PCE devant le fait accompli et d’exiger l’obéissance aux ordres venant de Moscou. Parmi les anarchistes qu’ils ont eu l’occasion de côtoyer durant le bref été de l’anarchie, ils ont vite séparé le grain réformiste de l’ivraie révolutionnaire et catalogué Durruti comme irrécupérable. Une partie de la réponse sur la mort de Durruti réside sûrement dans les rapports envoyés par les services secrets à Moscou. Ils sont toujours inaccessibles et leur contenu pourrait indiquer ce qui était connu des agents du NKVD, à commencer par celui qui servait d’assesseur militaire [29] à Madrid lors de son arrivée le 13 novembre à Madrid.

La décision, alors, d’éliminer Durruti ne pouvait venir que du plus haut sommet de la pyramide en la personne de Staline. En Espagne, à l’automne 36, les soviétiques sont déjà à l’œuvre tout en y allant patiemment et par étapes. Au Levant, il reste le « point dur » de la colonne de Fer, véritable obssession du PCE. Paz et Amorós relatent que le 30 octobre, lors des funérailles d’un délégué de la colonne assassiné la veille à Valence, des tireurs embusqués tirent du siège du PCE vers les miliciens venus en nombre à l’inhumation, faisant plus d’une centaine de morts. L’écrivain José Roblès, devenu interprète du général russe Gorev, disparaît lui aussi à Valence, fin novembre, dans des conditions jamais élucidées, probablement exécuté par les sicaires du NKVD.

Au vu de la situation sur le terrain, les Russes ont estimé, à partir des rapports transmis par leurs conseillers militaires, que Durruti n’arriverait pas à prendre Saragosse, faute d’un armement conséquent, et que le conseil d’Aragon et la collectivisation ne pourraient pas s’exporter pour le moment au-delà de cette province. Des ordres ont été transmis par les soviétiques aux services secrets sur place pour empêcher Durruti d’accéder aux armes modernes envoyées dans le port de Barcelone. Walter Krivitsky, espion du NKVD opérant en Europe occidentale, sentant venir le vent des purges en 1937, décide de déserter à Paris puis rejoint New York. Il relatera dans ses mémoires parues en 1939 que des ordres lui furent transmis de Moscou en ce sens. C’est le sabotage organisé du front d’Aragon.

Il faut savoir être patient et garder un œil sur Durruti. Il sera grand temps de s’en occuper le moment venu, à la manière dont Mera le raconte quand il décrit la tentative de l’assassiner en juillet 37 [30]. Barcelone et la Catalogne sont les objectifs numéro un et il importe plus d’y installer durablement le PSUC et ses succursales.

La reprise en main de l’Aragon passera d’abord par la prise du pouvoir à Barcelone. Les mois suivants auront raison du POUM et mettront au pas la CNT, ouvrant la porte dès le début août 37 à la reconquête de l’Aragon par Líster.

La journée du 19 novembre

Ce jour-là, Manzana conseilla à Durruti de rester dans la caserne, puisqu’il devait participer à la réunion des militants prévue pour l’après-midi – selon Mera dans son témoignage direct fourni à Paz. Mais Durruti, après avoir entendu le rapport de Bonilla, décida de prendre la voiture et d’aller voir sur place avec Manzana.

Toutes les suspicions convergent sur Manzana ce 19 novembre.

Malgré son bras droit en écharpe, aurait-il pu se servir de son arme personnelle, un pistolet 9 mm en usage dans l’armée espagnole, pour exécuter froidement Durruti ? Pour cela, il devait tirer de sa main gauche valide et, même s’il était apte à le faire, le geste devait être précis et à une courte distance. Il pouvait le faire dans la Packard, soit du côté opposé, en entrant de face, soit par derrière tandis que Durruti entrait en lui tournant le dos. Dans ce cas, il fallait viser juste et de telle façon que cela apparaisse comme un accident. Si l’on se souvient de la veste en cuir décrite par Ortiz et vue chez Mimi, la trajectoire était quasiment à plat et du haut vers le bas. L’entrée de la balle se situait en haut de l’omoplate gauche et la sortie sur le devant de la veste toujours côté gauche. Sur la photo de Durruti sur son lit de mort, on voit du sang couler du côté droit, au niveau des côtes. Ortiz fait l’hypothèse d’un tir de près, à même la veste, exécuté par derrière, quand Durruti avait posé un genou à terre pour ne pas se trouver dans la ligne de mire de tireurs embusqués.

Une seconde version évoque un tir accidentel de Durruti ou de Manzana avec un naranjero. Le naranjero, ou subfusil Schmeisser MP28, est une mitraillette connue pour son instabilité légendaire, et pour se déclencher au moindre choc. Peu de témoins ont vu Durruti avec un naranjero car il avait toujours un Colt 45 sur lui. Bonilla affirme que seul Manzana est sorti ce jour-là avec le sien. Quand on observe à quoi ressemble une Packard des années 30, véhicule qu’utilisait Durruti pour ses déplacements, on peut observer deux détails intéressants : les portes arrière s’ouvrent vers l’extérieur auquel s’ajoute ce grand marchepied. Durruti était plutôt grand de taille si l’on compare à la taille moyenne, comme on le voit sur plusieurs photos de l’époque. Pour entrer, donc, par l’arrière dans ce type de véhicule, il faut quasiment, une fois hissé sur le marchepied, se mettre à plat pour s’y glisser avant de faire une rotation du corps et venir s’y asseoir. Il n’est pas improbable que, Manzana faisant de même, côté opposé, le bras droit en écharpe et le naranjero dans la main gauche, il se soit produit cet accident devenu au fil du temps une sous-version de l’accident qui voyait Durrruti se blesser mortellement avec son propre naranjero. Ceci pourrait à la fois expliquer la trajectoire à plat de la balle et surtout son entrée par le dos, en réalité le haut de l’omoplate gauche, et rendre crédibles les observations d’Ortiz sur la veste de cuir, sans pour autant devoir partager son hypothèse d’un acte délibéré de Manzana.

Est-il concevable de se servir dans des conditions plus que périlleuses de son propre pistolet de service et ce avec la main droite blessée ? Manzana avait été blessé sur les combats de la colonne dans la zone de la Casa de Campo. La « fenêtre de tir » qu’il obtient le 19 novembre, quand Durruti décide au dernier moment de sortir la Packard, est tout de même un sacré coup de chance ! N’aurait-il pas été plus plausible et judicieux de le faire assassiner de loin par un tireur embusqué quand il se rendait sur le front avec tous les assesseurs militaires ?

La situation ne s’éclaircit pas plus, une fois Durruti entre les mains des médecins. Le Dr Santamaría préfère requérir l’avis d’un chirurgien réputé, le Dr Bastos, pour une expertise. Ce dernier racontera dans ses mémoires [31] avoir ressenti une ambiance très lourde à son arrivée. Bastos comprend qu’on lui cache des choses et croît deviner que ce sont « ses propres acolytes qui sont responsables de sa blessure ». On apprend que la balle a traversé la partie haute de l’abdomen et a occasionné de profondes lésions au niveau des viscères. Bastos rapporte, toujours dans ses mémoires, qu’il avait rencontré des années plus tard des médecins (ils ne sont pas moins de huit médecins, dont Bastos, cités par Llarch [32]) ayant assisté à la scène, et qu’ils en tremblaient encore. Personne n’osait en dire plus, s’en tenant à la version connue. Pour les besoins de son livre, Llarch écrit avoir cherché à rencontrer le Dr Santamaría à Lérida et que « le silence fut l’unique réponse ». Santamaría acceptera ensuite de répondre, deux mois après, à un questionnaire par écrit.

En ce qui concerne la blessure, il y a clairement deux versions contradictoires sur l’entrée et la sortie de la balle. Le Dr Santamaría, qui a procédé à une autopsie, déclarera une entrée de balle du côté du thorax. Le Dr Fraile parle d’un orifice situé au niveau de la cage thoracique. Llarch écrit que la balle est entrée sous le sein gauche puis est sortie dans le dos avec un orifice de sortie plus grand que celui de l’entrée de balle. Mais rien du côté des médecins ne va dans le sens de l’observation faite par Ortiz sur la veste de Durruti vue chez Mimi après la guerre. Ortiz dit clairement qu’il s’agit d’une entrée de balle côté omoplate gauche et d’une sortie sur le devant, vu l’état du cuir déchiré vers l’extérieur. La trajectoire est à plat et du haut vers le bas. Le coup de feu a été porté à courte distance. Dans le questionnaire de Llarch, le Dr Santamaría estime qu’il est médecin et pas un juge instructeur. Il n’en dira pas plus sur qui pourrait être responsable de la blessure, continuant à s’en tenir à la version du naranjero porté par Durruti. Llarch ignore la version d’Ortiz sur la veste de Durruti au moment où il écrit son livre. À l’image de Santamaría, on peut deviner la gêne des médecins ayant approché Durruti. Il s’en dégage une impression de voir ces médecins faire bloc tous ensemble, ne voulant pas être accusés de la mort de Durruti en cas d’intervention.

Les éléments biographiques manquent sur Manzana et sur les circonstances dans lesquelles il est devenu assesseur militaire et proche de Durruti. Lors des journées de juillet 36 à Barcelone, le sergent José Manzana Vivó participe aux combats de rue avec deux autres sergents, Valeriano Gordo Pulido et Martín Terrer Andrés, tous à l’œuvre dès les premiers jours du Golpe. Abel Paz, dans son livre sur Durruti dans sa version espagnole [33], donne plus de détails que dans l’édition française parue Quai Voltaire.

García Oliver confirme la présence des sergents Manzana et Gordo dans les combats livrés près du secteur des Ramblas les 19 et 20 juillet [34]. Il explique qu’avec l’aide du caporal Soler et d’une poignée de soldats ils s’étaient emparés de deux mitrailleuses confisquées à un détachement dont les officiers avaient été neutralisés. García Oliver décrit Manzana comme un « homme serein et capable à la tête d’un petit détachement ». Le 24 juillet, lors du départ de la colonne Durruti de Barcelone, García Oliver, présent en tant que chef du département de la Guerre du comité des milices, dit sa préférence pour le sergent Manzana comme assesseur militaire au lieu du commandant Pérez Farras.

Il a été dit et écrit que Manzana se serait joint aux anarchistes, une fois sorti de la caserne de Las Atarazanas. D’autres voient en lui le redoutable tireur qui aurait tué aussi Ascaso d’une balle en pleine tête à partir de cette même caserne de Las Atarazanas. Théorie séduisante, certes, mais il faut aussi se souvenir que Enrique Obregón Blanco, secrétaire de la Federación Local de Grupos Anarquistas de Barcelona, mourut le 19 juillet de la même manière devant la Telefónica. Des tireurs d’élite dans l’armée, ce n’est pas ce qui manquait et ce malgré les médailles olympiques gagnées au tir par Manzana. Des récits font état de sa présence avec Gordo aux réunions du comité de Défense CNT de Barcelone de la Plaça Arc del Teatre.

Ortiz fait partie de ceux qui affirment ne pas avoir vu Manzana dans les combats à Barcelone durant ces journées de juillet. Mais cet « oubli » à propos de Manzana et la haine qu’il lui voue pourraient remonter à la découverte par Ortiz de la veste de Durruti, et au fait qu’il pense alors que le sergent Manzana a commis un acte délibéré. Dans la biographie qui lui est consacrée, Ortiz general sin dios ni amo, Ortiz présente Manzana comme détenu parmi d’autres prisonniers au siège du POUM où Gordo vint le chercher.

Si ce dernier fait s’avérait exact – car on peut imaginer que Manzana était resté bloqué dans la caserne ou fut retrouvé prisonnier dans une cellule, jusqu’à la reddition des insurgés, et fut ensuite embarqué avec d’autres prisonniers vers le local du POUM –, la venue rapide de Gordo pour le libérer serait alors encore des plus étranges. Gordo devait vraiment bien le connaître pour être venu si vite le chercher !

Le sergent Gordo Pulido est de la caserne de Las Atarazanas et il connaît le sergent Manzana. Les deux ont collaboré pour sortir des armes clandestinement de la caserne afin d’armer les militants confédéraux. Manzana n’était pas anarchiste ni membre de la CNT, il pouvait très bien être un républicain légaliste et hostile au coup d’État. Piégé dans la caserne avec les officiers factieux, il ne devait pas être le seul dans ce cas-là parmi la troupe. Combien de soldats pensaient ce jour-là venir en défense de la République, comme le proclamèrent les officiers nationaux félons pour les faire sortir dans la rue et contrôler les points stratégiques de Barcelone ?

Il faut aussi se rappeler que si Ortiz se souvient bien de Gordo et Terrer, c’est que ces deux militaires CNT furent affectés à sa colonne en Aragon et qu’ils se retrouvent tous plus tard en exil au Venezuela, tandis que Manzana rejoint la colonne Durruti comme conseiller militaire. Paz s’appuie aussi sur le récit de Luis Romero, Tres días de julio.

Un film soviétique [35] très troublant montre ce 19 novembre Manzana avec sa main blessée en gros plan, affublé du titre ronflant de chef d’état-major de Durruti, alors que c’est un illustre inconnu pour 99% des Espagnols. Le film suggèrerait insidieusement que c’est un « ami » car on le met presque plus en valeur que Durruti lui-même. Ces actualités seront vues par des millions de personnes à travers le monde. Dans un extrait d’une quarantaine de secondes et tourné quelques heures avant sa mort, on voit apparaître Durruti accompagné de Manzana. C’est à partir de la minute 2 et 23 s : Durruti y est présenté comme un « militant du front populaire » et Manzana y apparaît comme « son chef d’état-major », un titre purement militaire et peu conforme à la tradition des milices et colonnes. Le film reprend aussi la version officielle cénétiste de la balle fasciste. On peut y voir, avec un luxe de détails, les blessures à la main droite et ensuite un gros plan sur Manzana.

Sur des photos prises le jour de l’enterrement de Durruti, on peut voir Manzana tenant le bras d’Emilienne Morin. Il est là, près des « officiels » de la CNT et des membres de la colonne. Ce jour-là, la seule version ayant droit de cité est celle de la balle fasciste. Mais après ? Il y a eu l’enquête officielle de Sanz, bâclée et indigne de ce qu’a été la vie de Durruti au service de la cause. Manzana rejoindra la colonne qui sera finalement militarisée…

Depuis 80 ans, une chape de plomb continue d’entourer la mort de Durruti. En un sens, Manzana sera resté fidèle à la CNT par son silence assourdissant. Il se tait définitivement après avoir raconté autant de versions que d’interlocuteurs. Est-ce que cela en fait un bourreau pour autant ? García Oliver vivait lui aussi au Mexique, et il n’a visiblement jamais cherché à le revoir. Après tout, García Oliver savait depuis le début et il a menti par omission. Quant Mera lui demande de prendre la tête de la colonne et du combat, il refuse et restera… ministre, préférant que soit désigné Sanz pour diriger la colonne. Sa décision est prise dès la première minute après que Mera lui a annoncé la nouvelle : l’organisation doit être préservée et ne doit pas sortir humiliée par la mort accidentelle de Durruti. Avec la version du héros mort au combat, Durruti sera transformé en icône… C’est déjà la fin.

Durruti achèvera à Madrid une vie entière dédiée à la révolution. Ni abattu ni découragé, il représentait l’ultime espoir que la cause ne soit pas enterrée avec les impératifs de la guerre. En épilogue, disons que la notion de labyrinthe, de Miguel Amorós, et celle de bref été de l’anarchie, de Hans Magnus Enzensberger, résument fidèlement ce que fut le destin tragique de ce révolutionnaire libre de ce siècle…

Tomás Mera, le 12 février 2018


notes à suivre

Re: 1936, une révolution sociale et libertaire en Espagne

MessagePosté: 17 Mar 2018, 09:03
de Pïérô
Notes :

[1] Miquel AMORÓS, Durruti en el laberinto, Barcelone, Virus editorial, 2014 / Miquel AMORÓS, Durruti en el laberinto, Ciudad Autónoma de Buenos Aires, Libros de Anarres (Utopía libertaria), 2016.

[2] Abel PAZ, Durruti en la Revolución española, Madrid, Fundación de Estudios Libertarios Anselmo Lorenzo, 1996.

[3] http://hemerotecadigital.bne.es/index.v ... ha&lang=fr
NB : La Voz est un quotidien du soir qui peut annoncer des nouvelles connues en fin de matinée ou début, voire fin, d’après midi !!!
ABC.es Hemeroteca - Navegar por fecha

[4] « Le camarade Durruti a dit… » :
Je suis venu des terres d’Aragon pour gagner la lutte pour ce qui est une question de vie ou de mort, non seulement pour le prolétariat espagnol mais encore celui du monde entier. Tout s’est focalisé sur Madrid et je ne te cache pas que cela me fait plaisir de me retrouver face à face avec l’ennemi, au moins parce que cela rend la lutte plus noble. Avant de quitter la Catalogne, j’ai demandé une prise de conscience à ceux qui poursuivent le même but. Je ne visais pas les couards et les faibles. Je visais ceux d’entre nous qui sont prêts à en mettre un dernier coup. Les fusils ne font rien s’il n’y a pas une volonté et un calcul au moment de tirer. À Madrid personne ne doute que les fascistes n’entreront pas, mais il faut les repousser au plus vite parce qu’il faut repartir à la conquête de l’Espagne.
Je suis content d’être à Madrid et avec Madrid, je ne te le cache pas, et j’aime le voir maintenant avec le sérieux de l’homme réfléchi conscient de sa responsabilité, dépourvu de la frivolité et du découragement de l’homme devant l’orage qui menace.

[5] Le général Asensio est l’homme de confiance de Largo Caballero dans l’armée. Nommé sous-secrétaire au ministère de la Guerre en octobre 1936, il dirigeait auparavant les opérations militaires de la défense de Madrid.

[6] García Oliver est cité par El Sol du 9.11 comme étant encore présent à son ministère le 8.11 au matin. Dans ses mémoires, García Oliver dit qu’il rencontre Villanueva à Tarancón, sur le trajet vers Madrid, pour avoir sa version sur le blocage des ministres le 6 novembre.

[7] L’hypothèse d’un premier départ le 8 novembre de Valence en fin de matinée n’est pas à exclure. García Oliver fait un arrêt à Tarancón puis arrive à Madrid dans l’après-midi du 8 novembre pour régler des affaires en cours au ministère de la Justice à Madrid. Le lendemain 9 novembre, Miaja peut avoir été vu à Madrid par García Oliver sachant qu’il devait être de retour à Valence pour 16 h où commence le conseil des ministres suivi du conseil supérieur de Guerre qui se termine à 20 h 15. Ce bref déplacement à Madrid aurait permis à García Oliver de sonder Miaja avant de faire la proposition des trois BM à Durruti.

[8] Juan GARCÍA OLIVER, El eco de los pasos, Paris et Barcelone, Ruedo ibérico, 1978, chapitre « ¿Queréis matar a Durruti ? ».

[9] El Sol et La Libertad du 14.11.36.

[10] Mathieu CORMAN, Salud, camarada !, Paris, Tribord, 1937.

[11] Hans Magnus ENZENSBERGER, El Corto Verano de la Anarquía ( Vida y muerte de Durruti ), Ediciones HL, 2006.

[12] « Il est rendu compte du refus de Durruti opposé à la proposition de le nommer généralissime du secteur Centre qui lui a été faite par le gouvernement il y a environ huit jours, ainsi que de la situation des forces qu’il envoie à Madrid et du voyage de deux membres du comité national pour le rencontrer et le convaincre de la nécessité de sa présence ici.
Sur la rivalité qui pourrait, paraît-il, exister entre Casado et Durruti à cause de la venue de ce dernier, tous estiment qu’il n’y aura aucun problème vu que l’un est un technicien militaire et qu’il peut être placé sous les ordres de l’autre, qui doit être celui qui, par sa présence, relèvera le moral de tous les combattants de ce secteur. »

[13] « Acta de la reunión celebrada el día 8 de noviembre de 1936, en el local del Comité Nacional de la C.N.T. entre distintos miembros de Comités responsables de la Organización confederal en Madrid. »

[14] Organigramme à la veille du coup d’Etat :
La I División tenía su cabecera en la villa de Madrid, abarcando la región de Castilla La Nueva y parte de Extremadura con las provincias de Badajoz, Madrid, Toledo, Ciudad Real, Cuenca y Guadalajara. Estaba al mando del general de división Virgilio Cabanellas Ferrer.
Source : https://es.wikipedia.org/wiki/Organización_territorial_del_Ejército_español_en_1936
Le 18 juillet, Azaña destitue les géréraux félons, dont Virgilio Cabanellas Ferrer, qui commandait Madrid et la 1ère région militaire. C’est le frère du Cabanellas de Saragosse. Miaja devient ministre de la Guerre !

[15] M. Amorós pense qu’il s’agit d’une pure spéculation de Federica Montseny car le poste est déjà occupé par Pozas. Cf. AMORÓS, op. cit.

[16] GARCÍA OLIVER, op. cit., chapitre « Madrid sin gobierno ».

[17] Publication officielle in Gaceta de la República le 10.11.36.

[18] El Sol du 10.11.36, p. 3.

[19] Manuel CHAVES NOGALES, http://lelibros.online/libro/descargar- ... eer-online

[20] Le capitaine López Tienda meurt accidentellement le 25.10.36 en manipulant son naranjero. Voir La Voz du 27.10.36, qui relate son enterrement à Madrid, mais sans donner de détails sur les circonstances de sa mort. Au passage, l’article dit deux contre-vérités en désignant López Tienda comme lieutenant-colonel alors qu’il n’était que capitaine et Virgilio Llanos (Manteca) comme délégué du POUM de la colonne López Tienda alors qu’il était membre du PSUC. C’est peu de dire que la presse madrilène est largement sous influence communiste.

[21] « Le ministre d’Etat, qui a assisté à la réunion, a fait un exposé sur la situation internationale en relation avec les événements d’Espagne, et a dit que depuis le transfert du gouvernement à Valence l’opinion internationale s’était ralliée au gouvernement légitime de l’Espagne. Le général président a estimé, et son opinion a été partagée par tous les participants, que la junte de Défense de Madrid n’est rien de plus qu’un prolongement du gouvernement légitime de la république espagnole. »

[22] CHAVES NOGALES, op. cit.

[23] http://www.levante-emv.com/comunitat-va ... 07536.html

[24] « Les six premières Brigades mixtes ont été créées le 18 octobre, même si leur organisation tardera un certain temps à se finaliser. La 1e était dirigée par Enrique Líster, la 2 e par Jesús Martínez de Aragón, la 3 e par José María Galán, la 4 e par Eutiquiano Arellano, la 5 e par Fernando Sabio et la 6 e par Miguel Gallo Martínez. Des six premiers commandants des Brigades mixtes, trois possédaient la carte du PCE (Líster, Arellano et Gallo). Plusieurs de ces commandants communistes provenaient du Cinquième régiment, qui s’était distingué dans les combats autour de la capitale durant les premiers mois de la guerre. »

[25] https://es.wikipedia.org/wiki/Brigada_Mixta

[26] Francisco LARGO CABALLERO, Mis recuerdos. Cartas a un amigo, Mexico, Ediciones unidas, 1976.

[27] Les Ecoles populaires de guerre seront réorganisées le 24.05.37 par Indalecio Prieto, nouveau ministre de la Guerre de Negrín qui les fera passer sous le contrôle direct du PCE.

[28] Hans Magnus ENZENSBERGER, Le bref été de l’anarchie, Paris, Gallimard, 1975, p. 259.

[29] Il s’agit du colonel Xanti, de son vrai nom Mamsurov Jadzhi-Umar, qui était membre des services secrets militaires soviétiques. En 2015, une mairie communistre proche de Madrid lui érigea une statue !
https://mundo.sputniknews.com/espana/20 ... 034395628/

[30] Dans ses mémoires, Mera évoque une tentative d’assassinat sur lui,Verardini et un secrétaire. Suite à une première altercation avec Líster qui ment sur la prise de Brunete, Mera le confond auprès de Miaja et Indalecio Prieto. C’est fin juillet 37 lors de la bataille de Brunete. La riposte de Líster ne tarde pas. Deux jours après, le soir à son poste de commandement, Mera essuie une rafale de mitraillette. Lui et Verardini en réchappent mais pas le secrétaire qui sera amputé du pied. Mera appele le commuiste Modesto qui minimise l’incident. Modesto n’informe pas Miaja et parle d’une « balle perdue ». Le lendemain, Mera va voir Modesto et, la main sur son pistolet, lui demande des explications sur cette « balle perdue » provenant d’une rafale de mitraillette à huit kilomètres des lignes ennemies ! Miaja, qui sera finalement prévenu par Modesto, ne peut que constater…

[31] Manuel BASTOS ANSART, De las Guerras Coloniales a la Guerra Civil. Memorias de un cirujano, Barcelone, Editorial Ariel, 1969.

[32] Joan LLARCH, La muerte de Durruti, Barcelone, Ediciones 29, 1983.

[33] http://durrutisangreanarkista.blogspot. ... anola.html

[34] GARCÍA OLIVER, op. cit., chapitre « El anarcosindicalismo en el Comité de Milicias ».

[35] https://www.youtube.com/watch?v=zysd62N ... e=youtu.be


http://gimenologues.org/spip.php?article785&lang=fr

Re: 1936, une révolution sociale et libertaire en Espagne

MessagePosté: 22 Mar 2018, 23:42
de bipbip
Projection débat « Federica Montseny, l'indomptable »

Documentaire de Jean-Michel Rodrigo - 52min

Mantes-la-Ville (78) vendredi 23 mars 2018
à 20h, Salle Jacques Brel, 21 rue des Merisiers

Projection en présence du réalisateur, Jean-Michel Rodrigo

Association Tous au ciné !

Programme de la soirée :
• Ouverture 20 h 00,
• Démarrage du film 20 h 30. Le film dure une heure
• Ensuite débat avec le réalisateur
• Suivi d'un pot auberge espagnole.

> Une table avec des livre et des Dvd présentés par La Nouvelle Réserve

Le film:

Dirigeante anarchiste, Federica Montseny est élue ministre de la Seconde République espagnole en 1936. Pendant son mandat, elle tente d'instaurer un système de santé pour tous, ose des projets de lois sur la contraception, le contrôle des naissances, les droits des mères célibataires, des prostituées… Elle impose le droit à l'avortement 40 ans avant Simone Veil en France.

Après la Guerre d'Espagne, elle prend le chemin de l'exil vers Toulouse où elle poursuivra sans relâche son combat en faveur des idées libertaires, des « mujeres libres » et de l'éducation.

Vingt ans après sa disparition, sa pensée et son audace demeurent des références pour de nombreuses générations… jusqu'à Ada Colau, l'actuelle mairesse de Barcelone.

http://www.forumdumantois.fr/spip.php?evenement66

Re: 1936, une révolution sociale et libertaire en Espagne

MessagePosté: 14 Avr 2018, 15:26
de Pïérô
Tournée bretonne des giménologues

Les 18, 20 et 21 avril 2018

En hommage à la Commune de Notre Dame des Landes

Nous évoquerons la radicalité des luttes anticapitalistes

grèves communautaires et grèves générales, travail de fond des groupes d’affinités, et le projet communiste libertaire dans l’Espagne des 19&20è siècles


Elle commencera

Le mercredi 18 avril à 19h
À l’invitation des Ateliers d’Histoire Populaire
Les paysans et l’anarchisme dans l’Espagne de 1936
Maison d’Ernestine à Concoret 56430

Le vendredi 20 Avril à 20h
À l’invitation du Collectif Monts d’Arrée
L’évolution des mœurs et la place des femmes
Hangar associatif kadhangar à Saint Cadou 8 Streat Kergudon. Sizun 29450

Le samedi 21 avril à 19 h à Douarnenez
L’Anarchisme en Andalousie.
Le Local 5-7 rue Sébastien Velly. Douarnenez 29100


« Les anarchistes qui se veulent conséquents […] ne doivent pas oublier que les organisations économiques du prolétariat ont un caractère transitoire, et ne répondent qu’aux « nécessités » créées par le développement capitaliste. […] Nous ne croyons pas que les organisations ouvrières doivent suivre le processus de développement industriel ni copier les formes extérieures du capitalisme en cherchant dans la structure économique actuelle des éléments constitutifs de la future organisation des peuples. […] L’important est de maintenir latent l’esprit d’indépendance des prolétaires et opposer une force consciente au pouvoir asservisseur du capitalisme, en minant son formidable organisme économique pour le rendre inutilisable et sans espérer se servir de lui pendant ou après la révolution. De la même manière que nous ne devons pas viser la conquête de l’État, […] nous ne devons pas souhaiter celle du système économique du capitalisme, mais plutôt son abolition dans la vie sociale. […] Si nous devions planifier l’organisation libertaire future, nous donnerions toujours l’avantage à la commune plutôt qu’à la base industrielle. »

López Arango&Abad de Santillán, L’anarchisme dans le mouvement ouvrier, 1925

Personnellement, c’est sur le rôle des femmes que j’aimerais plus de lumière. Elles manquent au tableau de cette Andalousie anarchiste. Çà et là apparaissent de pauvres « casseuses » de grève qui acceptent de remplacer les hommes, comme le font les enfants ou les soldats, à vil prix. Faut-il en conclure que dans les milieux anarchistes andalous les femmes sont restées les éternelles « mineures » alors qu’à Madrid ou Barcelone leurs « sœurs », elles, se revendiquent « majeures » ? Une grève agricole dure et qui dure ne peut se concevoir, à mon sens, sans une synergie masculine-féminine au cœur de chaque maison, de chaque groupe. Les sources documentaires sont-elles à ce point silencieuses ?

Rose Duroux, Notes de lecture sur le livre de Jacques Maurice, El anarquismo andaluz, una vez más. http://journals.openedition.org/ccec/863, 2008.

La conscience de classe ouvrière se forge au travers des conflits avec la bourgeoisie, mais son histoire ne se limite pas à l’étude des revendications des prolétaires sur le lieu de travail. Elle tire ses origines des luttes de la communauté ouvrière. Celle-ci s’étend bien au-delà de l’atelier et comprend le quartier, les femmes au foyer, les jeunes, les personnes âgées, les chômeurs, ainsi que certains petits commerçants et domestiques. Même si leurs rapports à la production diffèrent, ces groupes s’unissent souvent pour défendre leur communauté contre les menaces liées dans leur esprit au développement du capitalisme. La riche vie associative qui naît de ces conflits crée les bases d’une tradition politique autonome. De nouvelles formes de conscience de classe ouvrière émergent des luttes menées par ces associations communautaires.
Temma Kaplan, « De l’émeute à la grève de masse : conscience de classe et communauté ouvrière en Andalousie au XIXe », 1979.

De 1808 à 1868, toutes les terres espagnoles devinrent propriété privée. La grande majorité de la population, trop pauvre, fut exclue de la propriété des terres auxquelles elle avait auparavant eu accès. Ceci fut le début d’un processus qui engendra une lutte anticapitaliste en Andalousie. La destruction de l’organisation précapitaliste des municipalités mit en lumière les différences flagrantes entre les riches et les pauvres. Au cours de ce processus de consolidation d’une nouvelle communauté, les pauvres en Andalousie commencèrent leur longue lutte contre le capitalisme.
Les gens étaient pauvres, mais la campagne riche ; aussi est-ce bien la richesse, et non pas la pauvreté, qui constitue un début d’explication de la puissance de la conscience de classe en Andalousie. Kaplan (Ibid.)

Le 4 février 1888, une grève commença dans le bassin minier du Rio Tinto (Province de Huelva en Andalousie), premier producteur mondial de cuivre de 1877 à 1891.
Peu après l’arrivée du nouveau directeur général, l’Anglais William Rich, une manifestation pacifique de 12.000 mineurs et agriculteurs, hommes femmes et enfants, protesta contre les fumées des teleras (système de calcination du minerai en plein air), et contre les conditions de travail misérables : « ¡humos no ! » « ¡viva la agricultura ! ». L’ordre fut donné aux soldats d’ouvrir le feu sur la foule, les soldats ayant ensuite achevé les blessés à coups de baïonnettes. On ne sait pas ce que sont devenus les corps, vraisemblablement ensevelis sous des décombres de la mine. Des auteurs chiffrent le total des licenciés, tués et disparus à un millier. Ces faits sanglants sont connus dans la province sous le nom d’« année de la fusillade ». Ce mouvement fut parmi les premiers dans les mines au niveau national.

Les Giménologues, 9 avril 2018

http://gimenologues.org/spip.php?article792&lang=fr

Re: 1936, une révolution sociale et libertaire en Espagne

MessagePosté: 20 Sep 2018, 17:16
de bipbip
Projection débat « Un Autre futur »
« Je demande la parole" & "Sous le signe libertaire"

Paris vendredi 21 septembre et 18 octobre 2018
à 18h15, Centre d’animation Place des Fêtes, 2-4 rue des Lilas, Paris 19e

Voici l'automne et son cortège d'événements.
Nous vous proposons une rentrée « éducative »
Pour connaître d'où vient et ce que réalisa d'incroyable, le mouvement syndical et social espagnol, il nous faut plonger dans l'histoire de son mouvement libertaire.

C'est plus que nécessaire pour comprendre l'assise populaire au coeur du monde ouvrier mais aussi du monde paysan de ce mouvement qui prône, le respect de l'individu au sein d'une communauté partageuse, et éducative où les grandes orientations se décident en assemblées générales et où les délégués sont désignés par la base et révocables par elle à tous instants.

C'est ce parcours et cette découverte que nous vous proposons cet automne en deux séances/débats : les 21 septembre et 18 octobre.
Nous projetterons les 4 épisodes de Un Autre Futur, film réalisé par Richard Prost, qui vous permettra d'entrer, de comprendre et de débattre en connaissance de cause du mouvement libertaire espagnol et de son implication dans la révolution espagnole à partir de 1910 à aujourd'hui.

Les parties 1 et 2, le vendredi 21 septembre :
« Je demande la parole" & "Sous le signe libertaire"
Les parties 3 et 4, le 18 octobre.

Attention compte tenu de la longueur de cette projection (120mn) nous commencerons à 18h30 précises pour avoir le temps indispensable du débat

Paris'Anim ; Centre Place des Fêtes
2/4 rue des Lilas
75019 Paris

Entrée gratuite

https://paris.demosphere.eu/rv/64027

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