1936, une révolution sociale et libertaire en Espagne

Re: 1936, une révolution sociale et libertaire en Espagne

Messagede Pïérô » 08 Juil 2017, 23:35

Élie CEBRIÁN, mon oncle Républicain

Albert Rico, généreux bonhomme de 78 ans, à l’accent bien marqué et au rire communicatif, est bien connu à Pézilla-la-Rivière pour être le poète local. Il fut un appelé du contingent en 1959, lors de la guerre d’Algérie avec cette « […] philosophie propre à ceux qui obéissent aux ordres, s’accommodent des contre-ordres, et n’ont, en fait, que la responsabilité de leur importante personne ». Le soldat de 2ème classe Rico, sujet à une obéissance somme toute très mesurée, et refusant l’école d’officiers de réserve EOR fera 27 mois et 27 jours de service national militaire, dont 27 jours de prison, avant de reprendre sa profession d’ambulant ferroviaire poste. C’est là qu’il sera toute sa carrière durant, militant syndicaliste et à la fois joueur de rugby et éducateur pour des jeunes, dans des équipes corporatives des PTT du Nord et de l’Est. Loin d’être inactif à la retraite, il s’occupe entre autre de rendre visite à ses aînés dans les maisons de retraite et reste à ce jour président de la FNACA de Pézilla. Comme le chanteur Leny Escudero, (notre point commun de départ à tous les deux pour une longue conversation au sujet du franquisme), il continue d’apprendre encore et toujours de tout et de tous.
C’est ainsi que je reçus un jour un courrier de sa main évoquant la branche espagnole de sa famille.

Bautisto Sarganella condamné à mort dans la prison forteresse de Santa Bárbara puis assigné à résidence à vie sous contrôle de la Guardia Civil à Castalla (province d’Alicante).
Élie Cebrián interné au camp du Barcarès dont voici ici l’histoire sous les mots et avec l’aimable autorisation de son neveu Albert Rico.

Émile Itant.

Élie Cebrián est né en 1906 à Castellón de la Plana (province d’Alicante). Il a 30 ans ; la guerre civile le surprend dans le haut Aragon où, avec un groupe anarchiste, il essaie de mettre en place des cultures en fermes collectives.

Il s’engage dans l’Armée Républicaine et fait partie de la glorieuse colonne Durruti qui sera le dernier rempart d’une résistance acharnée sur les bords de l’Èbre. De cette bataille décisive qui voit leur défaite il retiendra, outre la perte de nombreux camarades, d’avoir traversé le fleuve à deux reprises et à la nage, de nuit, parfois sous la mitraille. Après avoir fait sauter le dernier pont, afin de retarder l’armée franquiste, blessé à la jambe et à demi noyé, dans un combat d’arrière-garde trop inégal en nombre et en matériel, sa section sera encerclée et en partie décimée. L’oncle est fait prisonnier. Le petit groupe avec ses blessés est ramené dans une bâtisse délabrée au premier étage de laquelle ils sont entassés, et doivent être fusillés le lendemain. Ils sont attachés, pieds encordés, mains dans le dos, jetés pèle-mêle sur le plancher, évidemment sans manger ni boire.

L’oncle Élie est un costaud (petit et trapu), il a réussi à dissimuler son Albacete (couteau à cinq crans d’arrêt) sous les lambeaux de pansement tachés de sang de sa jambe blessée, échappant ainsi à la fouille. Par chance, son meilleur camarade est encordé avec lui et tous les deux, foutu pour foutu, tentent l’impossible évasion. Dos à dos certes, mais avec l’énergie du désespoir, le copain réussit à dégager la navaja et à couper les liens qui les entravent. Ils restent longtemps immobiles, volontairement figés l’un contre l’autre, dans une demi-obscurité sous la garde d’une sentinelle qui n’hésiterait pas à tirer au moindre mouvement. Résignation ou épuisement du groupe, hors les gémissement des blessés, il ne se passe rien d’alarmant. Les seuls bruits, cliquetis des armes ou éclats de voix proviennent de la troupe franquiste qui bivouaque en bas. À croire que dans toutes les armées du monde la relève de la garde se fait toutes les deux heures. Effectivement, quelques mots échangés, « RAS », une clope allumée mutuellement ; un moment d’inattention qui permet de se rapprocher un peu plus de la nouvelle sentinelle de faction à l’entrée, puis à nouveau de se figer dans une posture, comme deux moribonds enlacés. Sans trop d’insistance, un rayon de lumière a balayé le plancher et ainsi rassuré le soldat franquiste, lequel s’est adossé au montant du chambranle de ce qui, à l’origine, était une porte de palier. Une lune blafarde par les deux seules trouées béantes qui furent jadis fenêtres a été le témoin de la scène et complice silencieuse du violent coup porté, rapide et mortel. Tout alla très vite, l’approche, le bond, la sentinelle qui s’écroule sans un cri. Ils sautent aussitôt par la première ouverture de l’étage, donnant heureusement sur l’arrière, se réceptionnant tant bien que mal et s’enfoncent dans la nuit, mus par l’instinct de survie et au hasard, droit devant. Ils marcheront longtemps vers l’Est et la Méditerranée avant de se retrouver, et se fondre dans une immense colonne de réfugiés qui se dirige vers la France.

Cet exode sans précédent dans l’histoire moderne, des confins de l’Andorre à Cerbère, entre le 27 janvier et le 9 février 1939, est un long fleuve de misère qui s’épanche des flancs des Pyrénées et converge vers le Roussillon voisin et frère, l’ultime espoir. Un exode que l’on connaît depuis sous un nom écrit en lettres de sang noyées dans les pleurs du désespoir et de l’humiliation : LA RETIRADA. Dans cette interminable cohorte de réfugiés, talonnés par l’avancée inexorable des troupes du Général Franco, dans le froid de ce février 1939, ils seront environ 500 000 à se diriger vers la France.

L’Oncle Élie et son camarade Guilhem, dans cette déroute, se joignent à un groupe de soldats en piteux état, rescapés de la bataille de l’Èbre. L’oncle a l’agréable surprise de retrouver un copain de Castellón de la Plana : fulgurance d’un petit bonheur recouvert aussitôt d’un voile de tristesse ; ce pote catalan blessé quelques kilomètres plus loin va mourir dans ses bras. Élie récupère son arme : une mitraillette allemande Sten et quelques munitions, ajoute une maigre nourriture dans sa besace afin de continuer sur cette interminable route étroite encombrée d’un charroi indescriptible. Le jour et la nuit sont semblables lorsqu’ils traversent des villages et villes fantomatiques telle Gérone (qui chute le 5 février), puis Figueras (9 février). Peut-être avant la Jonquera, se souvenant qu’il y a dans l’Aude (Moussan) et l’Hérault (Mauguio) des familles espagnoles susceptibles de les accueillir, le duo quitte la colonne de l’exil avant le Perthus. Mauvais pressentiment ou pas, appréhension quant à l’accueil en France, d’un commun accord ils s’écartent de l’interminable file pour se diriger vers la montagne des Albières. L’oncle se souvient avoir vu au loin la mer. Les deux copains se perdent plusieurs fois. C’est peut-être une des raisons qui les pousse à se séparer « chacun sa route, chacun son destin », comme le dit la chanson. L’oncle Élie ne reverra jamais plus son copain Guilhem.

Comme pour chasser le souvenir de cette séparation, il aimait à raconter avec un large sourire cette anecdote : tenaillé par la faim il avançait sur un sentier escarpé quand un marcassin sur ses gardes qui avait entendu un bruissement de branchage, a déboulé devant lui. D’une courte rafale de mitraillette il l’abat. Il n’aura pas le temps de s’appesantir sur le trophée car grognements et craquements s’amplifient. Un chêne liège, peut être centenaire, lui fait un signe salvateur. Le temps de grimper sur la branche maîtresse et voilà que la laie, puis un mâle et une horde de sangliers cernent son perchoir improvisé, jusqu’à la tombée de la nuit, essayant de le secouer avec leur hure, le lardant à grand coups de broches. Cet épisode non guerrier, il l’a raconté plusieurs fois. En revanche, quasiment rien au sujet de la guerre ou des péripéties douloureuses de l’exode ! Reconstituer le puzzle de sa Retirada n’a pas été facile, mais possible grâce à ma tante, aujourd’hui 92 ans (août 2008), maman, 90 ans (septembre 2009), et quelques souvenirs de mes 12 et 13 ans en vacances d’été à Quillan (pour fortifier par un salutaire changement d’air ma maigrichonne silhouette).

Oncle Élie ne le sait pas encore, car la végétation est identique de part et d’autre de la frontière, mais il est en France. Il s’approche prudemment d’un mas. Des bribes de conversation en catalan d’un couple qui travaille dans une vigne en contrebas lui parviennent. C’est rassurant, tellement serein dans cet environnement campagnard que, l’espace d’un instant, les souffrances des jours passés sont atténuées. Tout de même, le soldat Républicain est méfiant et continue d’observer les allées et venues autour du mas. Entre-temps, il cherche un endroit sûr pour planquer son arme. Une anfractuosité de rocher à fleur de terre cachée par des arbousiers est le lieu idéal. Puis, d’un coup d’œil circulaire, il fixe le décor champêtre pour l’ancrer dans sa mémoire et s’assurer qu’il retrouvera facilement la cachette. Fin d’après-midi d’hiver, il fait déjà nuit quand il se présente à la porte de la ferme. La cuisine est éclairée avec une famille à l’intérieur laquelle, à la vue du soldat étranger sorti d’on ne sait où, ne manifeste aucun étonnement. Élie apprend qu’il est en France. Une conversation s’engage en catalan, on désinfecte sa jambe à l’alcool et on refait le pansement. Bonheur suprême il dormira au chaud sur une paillasse avec couvertures, enfin un vrai lit. De grand matin il déjeunera, on lui préparera une saquette afin qu’il puisse continuer sa route vers Perpignan et Narbonne. D’après ses dires, on pense qu’il s’est dirigé vers Maureillas las Illas. C’est à l’entrée d’un village, qu’un comité d’accueil de la Police Française le contrôle, et l’embarque aussitôt sans grands ménagements. Tonton Élie ira grossir les rangs de ceux et celles qui sont déjà internés au camp du Barcarès.

Le Barcarès : un seul mot à l’arrivée : « Al Campo ! » Comme Argelès ou Saint Cyprien, le Barcarès est un camp de concentration des réfugiés. Côté terre, la plage est délimitée par des poteaux reliés par des barbelés. Côté Est, c’est la mer glaciale. Et sur le sable de ce no man’s land, les internés se débrouillent comme ils peuvent, construisant des huttes de torchis, des cabanes avec des roseaux et des couvertures. Certains cohabitent dans des véhicules enfoncés dans le sable. Les conditions d’hygiène sont rudimentaires (trou dans le sable pour faire ses besoins, avant de construire des latrines en planches). La nourriture était exécrable et je me souviens avoir recueilli de l’oncle que quand il était trop tenaillé par la faim : « je suçais des cailloux dans ma bouche pour saliver et déglutir. Des docteurs ont fait l’impossible notamment contre la déshydratation soignée avec du jus de tomates ; nous partagions la nourriture, on tirait au sort les morceaux de pain, parce qu’il était impossible de faire quatre parts égales. Pareil pour la soupe, le fond de la marmite ne contenant plus que du jus et pas de patates. » Malgré ces conditions inhumaines ils s’efforçaient de retrouver les gestes d’une ébauche de vie quotidienne faite de solidarités, d’un semblant de vie sociale. Le plus terrible pour le soldat républicain Élie Cebrián c’était ce refus d’acceptation des gardes militaires du camp, hostiles à toute possibilité de communication. C’était l’infanterie territoriale et coloniale qui montait la garde, appuyée par des spahis algériens, rappelant aux internés le spectre des troupes coloniales de Franco durant la guerre civile. (Oncle Élie crachait son dégoût par terre rien que d’y penser). Le camp du Barcarès se monte à partir de la mi-février afin de désengorger Argelès sur Mer et Saint Cyprien. Ils sont structurés en fonction de caractéristiques identiques chez les civils et les militaires et constitués en îlots. Chacun de ces îlots est placé sous la surveillance du commissariat du camp, qui y interdit notamment la tenue de réunions à caractère politique, et filtre les entrées de la presse. Le camp du Barcarès sert de centre de regroupement pour les Espagnols versés dans les Compagnies de Travailleurs Étrangers (CTE) et pour les engagements dans les Régiments de Marche Volontaire Étrangers (RMVE). Certains de ces soldats s’illustreront dans la bataille de France à Narvik en Norvège et, bien entendu, lors de la Libération au sein de la 2ème division blindée du Général Leclerc, et sa fameuse Nueve (9ème compagnie, constituée d’Espagnols issus de la Retirada). Permettez que j’ouvre cette parenthèse. En vacances à Pézilla (années 1980/90) avec mon fils Vincent, nous allions à la mer, plage du Barcarès. Justement, le lieu de rendez-vous était le parking du mémorial avec cette inscription sur sa colonne : « aux 10 000 volontaires engagés aux côtés de l’Armée Française » !

Mais retrouvons oncle Élie au Barcarès ! On comprend mieux l’arrivée d’un propriétaire Français venu chercher de la main d’œuvre pour son exploitation agricole à Bouriège (Aude) près de Limoux et plus précisément au hameau de Saint-Sernin. C’est une nouvelle épreuve qui attend le tonton ; trop heureux de quitter le camp. Bien qu’il soit vaillant et endurant jusqu’aux limites extrêmes, les conditions dans lesquelles il était exploité par ce propriétaire étaient moyenâgeuses, c’est à dire qu’il devait être serviable et corvéable à merci. Ce patron est un facho qui, plus tard, sera milicien et collabo. Mais ce jour-là de mars 1939, il dut y avoir un sacré accrochage entre le bon tonton Élie et cette brute de patron, car la police française, aux ordres du propriétaire esclavagiste, ramène manu-militari Élie à la case départ, au camp du Barcarès. De ce fait, il est classé « forte tête » et « indésirable », et doit être transféré au Château Royal de Collioure. Cette forteresse du XIIIème siècle a été choisie, au début du mois de mars, par les autorités militaires pour y interner les réfugiés considérés comme extrémistes et dangereux. Le destin en a décidé autrement. Élie avait sympathisé à Saint-Sernin avec une famille d’ouvriers espagnols, résidant en France depuis les années 1920. Bien sûr, il n’avait pas été sans remarquer une jolie cousine germaine, du nom de Conchita, laquelle, étant de Quillan, venait les aider aux divers travaux agricoles. C’est sûrement par l’intermédiaire de cette famille, les Ruiz, qu’un nouveau et gros propriétaire, usant de son influence est venu récupérer pour son compte le tonton républicain, et ce, à la veille de son transfert au camp disciplinaire de Collioure.

Le voici de retour au hameau, ouvrier agricole dans les vignes et les champs et, malgré les restrictions dues à la guerre (année 1940), sa nouvelle vie n’est nullement comparable avec les souffrances endurées au camp ! J’ai su par la suite que, malgré l’occupation allemande, il s’était créé des réseaux parallèles qui pensaient, dès la guerre finie avec l’Allemagne, retourner en Espagne pour combattre le franquisme. Ce qui explique ce mystérieux coffre dans un angle du pallier au Gall, qui intriguait mes 12 ans en 1950, avec cette interdiction ferme de l’approcher, mille fois répétée par la coalition familiale. Au cours de l’été 2008, en visite chez la tante, j’apprends avec surprise que le coffre est toujours à sa place, les toiles d’araignées le protégeant. Son contenu : une mitraillette et quelques balles, un blouson militaire en piteux état. C’était ça, le trésor de famille, jamais dévoilé, jalousement conservé.

Tata Conchita reviendra plus souvent au hameau où oncle Élie l’épousera à la fin de la guerre. Il se fixera à Quillan, le Gall, petite ferme avec cheval, vache, cochon, couvées, qu’il fera prospérer car il était, aux dires de mon père, une brute de travail ! Pour preuve, cette anecdote : pour aller aider son beau-père en vendanges à Moussan (près de Narbonne) soit 80 km par les Corbières, l’attelage ne faisait qu’une halte à mi-distance (Vignevieille), Élie marchant autant que le cheval. Bref, de cette union Élie-Conchita naîtra Marie-Bel fille unique, bien sûr mariée, maman, et aujourd’hui grand-mère. Ainsi va la vie, et nul ne peut prétendre être maître de son destin car le tonton Élie résidera en France jusqu’à la fin de ses jours. Sa mère restée en Espagne fut emprisonnée sous Franco, souvent molestée pour obtenir des renseignements qu’elle était bien incapable de fournir sur son fils. Grâce à un stratagème familial en 1953, dans une camionnette d’artisan maçon elle sera emmenée au Perthus. Ainsi pourra avoir lieu l’émouvante et unique rencontre : pour Élie enfin revoir sa mère, et pour elle embrasser son fils.

Albert Rico


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Re: 1936, une révolution sociale et libertaire en Espagne

Messagede bipbip » 18 Aoû 2017, 16:07

Révolution et contre-révolution en Espagne
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Re: 1936, une révolution sociale et libertaire en Espagne

Messagede bipbip » 22 Aoû 2017, 14:37

Emma Goldman

Persécution politique dans l’Espagne républicaine

Lors de mon premier séjour en Espagne en septembre 1936, rien ne m’a autant surpris que la liberté politique visible partout. Certes, elle ne s’étendait pas aux fascistes, mais, à part ces ennemis déclarés de la révolution et de l’émancipation des travailleurs, tout le monde au sein du front anti-fasciste jouissait d’une liberté politique qui n’avait jamais existé dans aucune soi-disant démocratie européenne. Le parti qui en a fait le meilleur usage était le PSUC [Parti socialiste unifié de Catalogne], le parti stalinien. Leur radio et leurs hauts-parleurs remplissaient l’air. Ils exhibaient quotidiennement aux yeux de tous leurs défilés en formation militaire et leurs drapeaux flottant au vent. Ils semblaient prendre un malin plaisir à défiler devant les bâtiments du Comité Régional comme si ils voulaient démontrer à la CNT-FAI leur détermination à lui porter le coup fatal lorsqu’ils auraient obtenu les pleins pouvoirs. C’était l’évidence pour tous les délégués étrangers et les camarades venus soutenir la lutte anti-fasciste. Ce ne l’était pas pour nos camarades espagnols. Ils prenaient à la légère les provocations communistes. Ils affirmaient que tout ce cirque n’influerait pas la lutte révolutionnaire, et qu’ils avaient des choses plus importantes à faire que de perdre leur temps pour des exhibitions sans intérêt. Il m’avait semblé alors que les camarades espagnols n’avait que peu de compréhension de la psychologie des masses qui a besoin de drapeaux, de discours, de musique et de manifestations. Alors que la CNT-FAI, à l’époque, était concentrée sur des tâches plus constructives et combattait sur différents fronts, ses alliés communistes préparaient les lendemains qui chantent. Ils ont démontré depuis ce quelles étaient leurs intentions.

Durant mon séjour de trois mois, j’ai visité beaucoup de lieux de propriétés et usines collectivisées, des maternités et des hôpitaux à Barcelone, et, enfin et surtout la prison « Modelo ». C’est un endroit qui a hébergé quelques uns des révolutionnaires et anarchistes les plus distingués de Catalogne. Nos camarades héroïques Durruti, Ascaso, Garcia Oliver et tant d’autres, ont été les voisins de cellule de Companys,[1] le nouveau président de la Generalitat. J’ai visité cette institution en présence d’un camarade,35 un médecin spécialisé en psychologie criminelle. Le directeur m’a laissé libre accès à tous les secteurs de la prison et le droit de parler avec tous les fascistes sans la présence des gardes. Il y avait des officiers et des prêtres parmi les admirateurs de Franco. Ils m’ont assuré d’une seule voix du traitement juste et humain dont ils bénéficiaient de la part du personnel pénitentiaire, dont la plupart était membre de la CNT-FAI.

J’étais loin de penser à l’éventualité que les fascistes seraient bientôt remplacés par de révolutionnaires et anarchistes. Au contraire, l’apogée de la révolution à l’automne 1936 laissait percevoir l’espoir que la salissure que représente la prison serait effacée lorsque Franco et ses hordes seraient vaincus.

La nouvelle du meurtre odieux du plus doux des anarchistes, Camillo Berneri et de son colocataire, Barbieri, fut suivi par des arrestations, des mutilations et des assassinats de masse. Cela semblait trop démesuré, le changement de la situation politique trop incroyable pour y croire. J’ai décidé de retourner en Espagne pour voir de mes propres yeux jusqu’à quel point la liberté nouvellement acquise du peuple espagnol avait été annihilée par les hommes de mains de Staline.

Je suis revenue le 16 septembre de cette année. Je me suis rendue directement à Valence et j’ai découvert là que 1 500 membres de la CNT, des camarades de la FAI et des Jeunesses Libertaires, des centaines de membres du POUM et même des Brigades Internationales, emplissaient les prisons. Durant mon court séjour ici, j’ai retourné chaque pierre pour obtenir la permission de rendre visite à quelques-uns d’entre eux, parmi lesquels Gustel Dorster que j’avais connu en Allemagne alors qu’il militait principalement dans le mouvement anarcho-syndicaliste avant que Hitler n’accède au pouvoir. J’avais obtenu l’assurance que l’on me le permettrait, mais au dernier moment, avant mon départ pour Barcelone, on m’informa que les étrangers n’étaient pas admis dans la prison. J’ai découvert plus tard la même situation dans chaque ville et village où je me suis rendue. Des milliers de camarades et de révolutionnaires intègres emplissaient les prisons du régime stalinienne de Negrin-Prieto.

Lorsque je suis revenue à Barcelone, au début octobre, j’ai immédiatement cherché à voir nos camarades à la prison Modelo. Après de nombreuses difficultés, le camarade Augustin Souchy a réussi à obtenir la permission d’avoir un entretien avec quelques camarades allemands. A mon arrivée à la prison, j’ai retrouvé, à ma grande surprise, le même directeur encore en fonction. Il m’a reconnu aussi et m’a, à nouveau, donné libre accès. Je n’ai pas eu à parler avec les camarades à travers les horribles barreaux. J’étais dans la grande salle où ils se rassemblent, entourée de camarades allemands, italiens, bulgares, russes et espagnols, essayant tous de parler en même temps et de me raconter leurs conditions de détention. J’ai découvert que les accusations portées contre eux n’auraient tenu devant aucun tribunal, même sous le capitalisme, et qu’on leur avait préféré celle stupide de « trotskisme ».

Ces hommes de toutes les régions du globe qui avaient afflué en Espagne, souvent en faisant la manche en chemin, pour aider la révolution espagnole, rejoindre les rangs des anti-fascistes et risquer leur vie dans la lutte contre Franco, étaient maintenant détenus prisonniers. D’autres avaient été arrêtés en pleine rue et avaient disparu sans laisser de traces. Parmi eux, Rein,[2] le fils du menchevique russe internationalement connu, Abramovich.

La victime la plus récente était Kurt Landau un ancien membre du Comité Directeur du Parti Communiste Australien, et lors de son arrestation, du Comité Directeur du POUM.[3] Toutes les tentatives pour le retrouver avaient été vaines. Suite à la disparition de Andrés Nin 38 du POUM et de nombreux autres, il est raisonnable de penser que Kurt Landau a connu le même sort.

Mais revenons à la prison Modelo. Il est impossible de donner tous les noms parce qu’ils sont trop nombreux à être incarcérés ici. Le plus extraordinaire est un camarade qui, en charge de hautes responsabilités avant les événements de mai, avaient remis des millions de pesetas, trouvés dans des églises et des palaces à la Generalitat. Il est détenu sous l’accusation absurde, d’avoir détourné 100 000 pesetas.

Le camarade Helmut Klaus, un membre de la CNT-FAI. Il a été arrêté le 2 juillet. Aucune accusation n’a été prononcée contre lui à ce jour et il n’a pas comparu devant un juge. Il était membre de la FAUD en Allemagne (une organisation anarcho-syndicaliste). Après avoir été arrêté plusieurs fois, il a émigré en Yougoslavie à l’été 1933. Il en a été expulsé en février 1937 à cause de ses activités anti-fascistes et est venu en Espagne en mars. Il a rejoint le service frontalier de la FAI, dans le bataillon « De la Costa ». Après sa dissolution, en juin, il a été démobilisé et est entré au service de la coopérative agricole de San Andres. A la demande de son groupe, il a entrepris plus tard la réorganisation de la coopérative de confection du Comité des Immigrés. L’accusation de la Tchéka, selon laquelle il aurait désarmé un officier alors qu’il était en service sur la frontière à Figueras est sans aucun fondement.

Le camarade Albert Kille. Il a été arrêté le 7 septembre. On ne lui a donné aucune raison. En Allemagne, il était membre du Parti Communiste. Il a émigré en Autriche en 1933. Après les événements de février, il s’est enfui à Prague puis retourna plus tard en Autriche d’où il fut expulsé et partit pour la France. Là, il rejoignit un groupe d’allemands anarcho-syndicalistes. En août 1936, il arriva en Espagne où il fut immédiatement dirigé vers le front. Il fut blessé une fois. Il a appartenu à la colonne Durruti jusqu’au moment de sa militarisation. En juin, il a été démobilisé.

J’ai aussi visité la section du POUM. Beaucoup de prisonniers sont espagnols mais il y a aussi un grand nombre d’étrangers, italiens, français, russes et allemands. Deux membres du POUM m’ont approchée personnellement. Ils ont peu parlé de leurs souffrances personnelles mais m’ont demandé de délivrer un message pour leur femme à Paris. C’était Nicolas Sundelwitch – le fils du célèbre menchevique qui avait passé la plus grande partie de sa vie en Sibérie. Nicolas Sundelwitch ne m’a certainement pas donné l’impression d’être coupable des accusations sérieuses portée contre lui, notamment d’avoir « communiqué des informations aux fascistes », entre autres. Il faut un esprit communiste pervers pour emprisonner un homme parce qu’il a fuit illégalement la Russie en 1922.

Richard Tietz a été arrêté alors qu’il sortait du Consulat d’Argentine à Barcelone où il s’était rendu après l’arrestation de sa femme. Lorsqu’il a demandé le motif de son arrestation, le commissaire lui a nonchalamment répondu « Je la considère justifiée ». C’est évidemment suffisant pour garder Richard Tietz en prison depuis juillet.

Pour autant que les conditions carcérales puissent être humaines, la prison Modelo est certainement supérieure à celles de la Tchéka introduites en Espagne par les staliniens d’après les meilleurs modèles en Union Soviétique. La prison Modelo conserve encore ses privilèges politiques traditionnels tels que le droit des détenus de se rassembler librement, d’organiser leurs comités pour les représenter auprès du directeur, de recevoir des colis,du tabac, etc., en plus des maigres rations de la prison. Ils peuvent aussi écrire et recevoir des lettres. En outre, les prisonniers éditent des petits journaux et bulletins qu’ils peuvent distribuer dans les couloirs où ils s’assemblent. J’en ai vu dans les deux sections que j’ai visité, ainsi que des affiches et photos des héros de chaque partie. Le POUM avait même un joli dessin de Andres Nin[4] et une photo de Rosa Luxembourg, alors que la section anarchiste avait Ascaso et Durruti sur les murs.

La cellule de Durruti qu’il a occupé jusqu’à sa libération après les élections de 1936 était des plus intéressantes. Elle a été laissée en l’état depuis qu’il en a été le locataire involontaire. Plusieurs grandes affiches de notre courageux camarade la rendent très vivante. Le plus étrange, cependant, est qu’elle est située dans la section fasciste de la prison. En réponse à ma question sur ce point, le garde m’a répondu que c’était comme « exemple de l’esprit vivant de I’esprit de Durruti qui détruira le fascisme ». Je voulais photographier la cellule mais il fallait l’accord du ministère de la justice. J’ai abandonné l’idée. Je n’ai jamais demandé aucune faveur au ministère de la justice et je demanderai encore moins quoi que ce soit au gouvernement contre-révolutionnaire, la Tchéka espagnole.

Ma visite suivante fut pour la prison des femmes, que j’ai trouvé mieux tenue et plus gaie que celle du Modelo. Seules, six prisonnières politiques s’y trouvaient à ce moment. Parmi elles, Katia Landau, la femme de Kurt Landau,qui avait été arrêtée quelques mois avant lui. Elle ressemblait aux révolutionnaires russes d’antan, entièrement dévouée à ses idées. J’étais déjà au courant de la disparition de son mari et de sa possible mort mais je n’ai pas eu le cœur d’aborder le sujet avec elle. C’était en octobre. En novembre, j’ai été informée par quelques-uns de ses camarades à Paris que Mrs. Landau avait commencé une grève de la faim le 11 novembre. Je viens juste de recevoir un mot selon lequel Katia Landau a été libérée suite à deux grèves de la faim.[5]

Quelques jours avant mon départ d’Espagne, j’ai été informée par les autorités que l’affreuse vieille Bastille, Montjuich, allait être utilisée à nouveau pour loger des prisonniers politiques. L’infâme Montjuich, dont chaque pierre pourrait raconter l’histoire de l’inhumanité de l’homme envers l’homme, celle des milliers de prisonniers conduits à la mort, rendus fous ou poussés au suicide par les méthodes de tortures les plus barbares. Montjuich, où en 1897, l’Inquisition espagnole avait été réintroduite par Canovas del Castillo, alors premier ministre d’Espagne. Ce fut sous ses ordres que 300 ouvriers, parmi lesquels d’éminents anarchistes, ont été gardé pendant des mois dans des cellules humides et sales, régulièrement torturés et privés d’assistance juridique. Ce fut à Montjuich que Francisco Ferrer fut assassiné par le gouvernement espagnol et l’Église catholique. L’année dernière, j’ai visité cette forteresse terrifiante. Il n’y avait alors aucun prisonnier. Les cellules étaient vides. Nous sommes descendus dans les profondeurs sombres avec des torches éclairant notre chemin. Il me semblait entendre les cris d’agonie des milliers de victimes qui avaient poussé leur dernier souffle dans cet épouvantable trou. Ce fut un soulagement que de retrouver la lumière du jour.

L’histoire ne fait que se répéter, après tout. Montjuich remplit à nouveau son effroyable rôle. La prison est surpeuplée d’ardent révolutionnaires qui ont été parmi les premiers à se précipiter sur les différents fronts. Les miliciens de la colonne Durruti, offrant librement leur force et leur vie, mais pas disposés à être transformés en automates militaires ; des membres des Brigades Internationales venus en Espagne de tous les pays pour combattre le fascisme, seulement pour découvrir les différences flagrantes entre eux, leurs officiers et les commissaires politiques, ainsi que le gaspillage criminelle de vies humaines du à l’ignorance du domaine militaire et au nom des objectifs et de la gloire du parti. Ceux-ci, et d’autres encore, sont de plus en plus emprisonnés dans la forteresse de Montjuich.

Depuis la boucherie mondiale et l’horreur perpétuelle sous les dictatures, rouges et brunes, la sensibilité humaine a été atrophiée; mais il doit bien en exister quelques-uns qui ont encore le sens de la justice. Certes, Anatole France, George Brandes et tant autres grands esprits, dont les protestations ont sauvé vingt-deux victimes de l’état soviétique en 1922, ne sont plus parmi nous. Mais il y a encore les Gide, Silone, Aldous Huxley, Havelock Ellis, John Cowper Powys, Rebecca West, Ethel Mannin et d’autres, qui protesteraient certainement si ils avaient connaissance des persécutions politiques systématiques sous le régime communiste de Negrin et Prieto.

Je ne peux rester silencieuse d’aucune façon face à de telles persécutions politiques barbares. Par justice envers les milliers de camarades en prison que j’ai laissé derrière moi, je dois et vais dire ce que je pense.

[1] Luis Company a été emprisonné de 1934 à 1936 pour avoir été à la tête de la rébellion séparatiste catalane contre le gouvernement madrilène de droite.

[2] Il s’agit ici de Marc Rein, un correspondant à l’époque d’un journal social-démocrate suédois, arrêté au début d’avril 1937. Rafail A. Abramovich, une figure éminente des exilés mencheviques après la consolidation du pouvoir par les bolcheviques en Russie, écrivant encore et toujours en contact avec les clandestins anti-bolcheviques russes, fut une des cibles principales des purges staliniennes lors des procès des années 1930.

[3] Kurt Landau (1905- 1937?) était devenu un dirigeant de la gauche allemande pro-trotskiste opposée aux communistes, en 1923 et secrétaire de la vague organisation internationale rassemblant cette tendance. En 1931, il avait formé son propre groupe politique avant que de fuir le régime nazi deux ans plus tard. Il était arrivé en Espagne en novembre 1936 pour aider le POUM – bien que apparemment il n’était pas membre du Comité Directeur, comme le suggère ici Goldman. Néanmoins, les agents soviétiques et les communistes en général le décrivaient comme un acteur majeur de la « conspiration internationale trotskiste-fasciste ». Il a été enlevé le 23 septembre 1937 et assassiné par la suite par la police stalinienne. Pour plus de détails, voir le récit de sa femme Katia Landau, « I.e Stalinisme: Bourreau de la révolution espagnole, 1937- 1938 » Spartacus (Paris), n°40 (Mai 1971).

[4] Andrés Nin (1892- 1937) fut d’abord un dirigeant de la CNT qu’il représentait lors du congrès fondateur du Komintern en Russie. Après son adhésion au communisme, il forma avec d’autres le Parti Communiste Espagnol et fut le secrétaire de l’Internationale Syndicale Rouge. A ce poste, il se rangea du côté de Trotski contre Staline et retourna en Espagne en 1931 pour organiser la gauche communiste d’opposition. En 1935, son groupe fusionna avec un autre pour former le POUM, avec Nin comme l’un des deux principaux dirigeants. Arrêté le 16 juin 1937, avec d’autres dirigeants du POUM dans une tentative communiste pour briser le parti en prouvant sa « responsabilité » dans les événements de mai et, pire encore, son rôle comme agent de la Gestapo, Nin fut exécuté le 20 juin 1937. Étant donné ses nombreux contacts à travers le monde et son prestige, sa disparition et le crime stalinien causèrent un scandale international.

[5] En fait, la libération que Goldman mentionne ici n’a duré qu’une semaine. Elle fut arrêtée et emprisonnée de nouveau avant d’être expulsée d’Espagne.


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Re: 1936, une révolution sociale et libertaire en Espagne

Messagede Pïérô » 25 Aoû 2017, 01:15

1937, la Tchéka staliniene à l’œuvre en Espagne

À la Prison modèle

Le dimanche 28 novembre, nous allâmes à la Prison modèle de Barcelone, et présentâmes nos autorisations au directeur de la prison des hommes. Il fut très courtois et nous conduisit chez le médecin de la prison. On nous apprit qu’il y avait dans cette prison 1 500 prisonniers, dont 500 antifascistes, 500 fascistes et 500 délinquants de droit commun.
C’était dimanche, et l’heure des visites, aussi nous nous trouvâmes en présence de 500 à 600 visiteurs demandant à entrer afin de voir leurs amis. Comme il convient, c’était l’aile gauche de la prison qui était attribuée aux prisonniers de gauche !
Nous entrâmes dans une grande salle par une immense porte de fer de 6 mètres de large sur 3,5 mètres de haut. Les prisonniers avaient appris que nous allions venir et nous firent une chaude réception. La difficulté était que c’était à qui nous parlerait le premier des brutalités qu’il avait endurées de la part de la Tchéka avant d’être entré dans cette prison-ci.
Un prisonnier italien nous fit une remarquable description des tortures qui lui avaient été infligées dans une cellule souterraine. Il fut attaché au mur, les mains au-dessus de la tête, avec deux gardes à ses côtés, baïonnette au canon, pendant qu’un jeune officier de la Tchéka tenait des papiers de la main gauche et de la main droite un revolver dirigé sur sa poitrine.
L’officier de la Tchéka le soumit à un interrogatoire du troisième degré prétendant qu’il avait de faux papiers, le sommant de dire où certains de ses camarades pourraient être trouvés, le menaçant de le tuer et de jeter son corps dans un égout qui passait dans la cellule. Cet Italien fut soumis à cette torture, durant cinq à six heures chaque fois, avant d’être finalement transféré à la Prison modèle.
Challaye et moi-même interrogeâmes également un Français, qui appartenait auparavant à l’armée française, et qui avait abandonné sa situation pour venir en Espagne combattre le fascisme. Il avait été nommé officier dans l’armée espagnole gouvernementale et avait combattu sur le front de Madrid pendant plus de cinq mois. La seule raison pour laquelle il se trouvait dans la Prison modèle était qu’il avait franchement exprimé son opinion sur le Comintern et les méthodes de la Tchéka. Il me donna l’impression d’un homme splendide.
Il ressentait comme un outrage effroyable d’avoir été gardé en prison pendant plus de quatre mois ; il insistait sur ceci : « Qu’on me fasse un procès si j’ai commis quelque faute ; sinon qu’on me rende ma liberté ! » Il y avait également un bon nombre de ces prisonniers qui avaient été blessés au cours des combats contre Franco, et cependant on les gardait en prison sous le prétexte qu’ils étaient des alliés de Franco !
Notre délégation fut spécialement bien accueillie par les prisonniers du Poum, et nous passâmes une heure dans la cellule de Gironella. Plusieurs prisonniers étaient d’ailleurs incarcérés dans cette même cellule. C’était une véritable Internationale de prisonniers que cette prison.
Il y en avait de France, de Grèce, d’Allemagne, d’Italie, d’Autriche, de Belgique, de Hollande, de Suisse et d’Amérique autant que d’Espagne. Tous ces prisonniers nous pressèrent de faire connaître les brutalités de la Tchéka, avec ses tortures, son troisième degré et ses meurtres des militants socialistes combattant en Espagne.
Lorsque nous décidâmes de quitter l’aile antifasciste de la prison, il y eut un rush spontané de tout le monde vers la porte. Les prisonniers chantèrent deux hymnes de la CNT, puis l’Internationale, et terminèrent avec des vivats à l’adresse de la CNT, de la FAI et du Poum.
Le délégué de l’ILP fut spécialement l’objet de la reconnaissance internationale ; enfin il y eut des cris de « À bas la Tchéka du Comintern ! » et, à son adresse, de violents sifflets. C’était une vue très émouvante que celle de ces 500 prisonniers antifascistes, la plupart jeunes, qui remplissaient les galeries, les escaliers et la grande salle, le poing fermé, l’œil brillant, la tête rejetée en arrière en une attitude de défi.
Notre dernière vision fut celle de centaines d’hommes applaudissant, de l’autre côté de l’immense porte de fer. Cette porte de fer était pour nous comme le symbole de la Tchéka du Comintern. C’est par des moyens pareils qu’elle entend supprimer le mouvement révolutionnaire en Espagne afin de substituer au mot d’ordre de « Pouvoir ouvrier » celui de « Démocratie bourgeoise ».
L’Internationale communiste et son organisation d’assassins sont en train de faire naître contre eux une haine formidable. Un jour, la tempête éclatera et détruira leur effroyable gangstérisme. Ce sera un désastre pour tous ceux qui y auront participé.

À la prison secrète de la Tchéka

Notre dernière visite fut pour la prison secrète de la Tchéka à la place Junta : Adraine Bonanova. Nous avions été avisés de l’existence de cette prison par plusieurs bons camarades. Lorsque nous eûmes monté les marches qui mènent à la prison, nous trouvâmes le chemin barré par deux gardiens, armés de fusils et baïonnette au canon.
Nous présentâmes notre autorisation du directeur des prisons et du ministre de la Justice pour visiter les prisons et un mot fut envoyé à l’intérieur. Alors un officier apparut, qui regarda nos autorisations avec un mépris évident. Il nous informa qu’il ne recevait pas d’ordres du directeur des prisons ou du ministre de la Justice, car ce n’étaient pas là ses patrons.
Nous lui demandâmes alors qui était son patron, et il nous donna une adresse, celle du quartier général de la Tchéka. Son refus de nous permettre de visiter la prison et les prisonniers était total et définitif. Nous allâmes donc au quartier général de la Tchéka, Puerta del Angel 24.
Nous entrâmes dans une cour et par un couloir dans une pièce intérieure qui avait toute l’apparence d’un lieu de détention. Nous remarquâmes qu’il y avait sur la table un grand nombre de livres de propagande russes et de journaux communistes, et aucune autre sorte de livres ou de journaux. Après un court délai, une jeune femme entra, qui nous demanda ce que nous voulions. Elle ne nous cacha pas qu’elle savait qui nous étions, et qu’on l’avait prévenue, de la prison, que nous étions en train de venir. Elle prit les pièces qui nous autorisaient à visiter les prisons.
Ensuite apparurent deux jeunes hommes dont ni l’un ni l’autre n’étaient espagnols. Notre interprète, qui connaît un grand nombre de langues et de pays, fut convaincu par leur accent que l’un était Russe et l’autre Allemand.
Le Russe nous informa que nous ne pouvions ni voir l’intérieur de la prison ni causer avec les prisonniers. Je répondis que nous avions des autorisations du directeur des prisons et du ministre de la Justice, et nous demandâmes si notre interlocuteur était plus puissant que le gouvernement, en ajoutant que si on nous refusait l’entrée, nous serions obligés, comme de juste, d’en tirer des conclusions.

John Mac Govern
Le Monde libertaire n°228 (déc. 1976)


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Re: 1936, une révolution sociale et libertaire en Espagne

Messagede bipbip » 09 Sep 2017, 17:03

Épreuve de l’anarchisme
{Révision} n°2 - Mars 1938

Épreuve de l’anarchisme

La péninsule ibérique n’est pas seulement un champ d’essai pour tanks et avions ; les différents secteurs du mouvement ouvrier sont obligés d’y prouver par le fait leurs capacités de réalisation, et cela sous peine de périr. Parmi ces secteurs l’expérience des organisations anarchistes et anarcho-syndicalistes force l’attention. En effet, socialistes et communistes ont déjà eu l’occasion, dans une certaine mesure de mettre la main à la pâte sociale : les premiers à travers les gouvernements de coalition en Allemagne, en Autriche, en Belgique ou encore dans des gouvernements plus strictement socialistes en Angleterre et au Danemark ; les seconds donnent leur mesure depuis vingt ans sur l’immense territoire russe.

Par contre, les anarchistes, partout sur la terre, avaient été réduits à un rôle d’opposition (pratiquement l’expérience de Makhno en Ukraine pouvait être négligée à ce point de vue, en raison de ce que ses plus longues occupations de régions se chiffraient par semaines).

Enfin en Espagne et surtout en Catalogne, depuis 1936, les anarchistes purent jouer un rôle extrêmement important (dominant en Catalogne au début de la période considérée) ; ils ont pris part au pouvoir ; ils comptaient et comptent sur l’appui d’énormes masses ouvrières et paysannes (dont la partie organisée, notamment dans la C.N.T., doit dépasser largement un million et demi). Leur participation au pouvoir (avec des tonalités diverses) a duré 10 mois ; leur attitude actuelle en face du gouvernement est encore celle d’une neutralité plutôt bienveillante et en tout cas d’appui absolu par les armes.

L’étude de leur activité peut être faite sans la moindre crainte de leur porter préjudice dans la guerre civile : leurs militants eux-mêmes le proclament (Ex. discours de Galo Diez, prononcé à Valence, été 1937) :

"… La C.N.T. a estimé que le moment était arrivé où plus rien ne pouvait être caché, et cela pour le bénéfice de la guerre et de la révolution".

(Brochure de la C.N.T. sur les événements de mai).

D’un autre côté le scrupule de porter un jugement sur des hommes en pleine action, tout en restant soi-même dans une inactivité partielle, n’a rien de commun avec la logique. Le courage et l’intelligence sont deux domaines distincts ; il est indispensable pour le révolutionnaire qu’il participe aux deux. Mais cela ne peut amener à considérer tous les actes courageux comme servant toujours le but poursuivi.

On peut et on doit donc en réfléchissant à l’activité des anarchistes, par delà leur courage, savoir comprendre ce qu’ils ont fait et où ils vont.

Ces points d’interrogation méritent d’être considérés par l’ensemble du mouvement ouvrier. Mais en particulier les ouvriers écœurés du reniement social-démocrate, allant vers l’union sacrée au profit du capitalisme ; les prolétaires découragés par le reniement communiste se transformant en nationalisme de l’État-patron russe ; bref tous les révolutionnaires hérétiques et mécontents des partis dits révolutionnaires ont un intérêt spécial à se pencher sur l’expérience anarchiste en Espagne. Avant de se remettre à nouveau en route et sur une route nouvelle, ils ont un intérêt à connaître les tentatives de ceux qui, comme les anarchistes espagnols, ont cherché avant eux des voies propres ; ils doivent surtout le faire pour ne pas finir par être ramenés vers des obstacles qu’ils ont connus dans leurs propres organisations.

Anarcho-patriotes

La guerre civile en Espagne s’est presque, dès les premières semaines, compliquée d’une guerre extérieure ; les interventions des gouvernements italien et allemand datent des premières semaines (le rôle des gouvernants anglais, français et russes, fut plus camouflés et s’exerça dans un domaine autre que celui des opérations militaires proprement dites). Aussi les anarchistes durent très rapidement prendre position en ce qui concernait la défense de la « "patrie" et de la "nation". Sans hésiter ils acceptèrent cette défense ; leurs journaux, leurs discours, leur propagande sont farcis des termes la race, l’Ibérie, nous les vrais Espagnols, la patrie et autres clichés ; c’est par dizaines qu’on pourrait citer pareils exemples.

Parfois il subsiste dans ce procédé une mince surface de classe : l’Espagne que les anarchistes défendent serait l’Espagne des ouvriers, des producteurs. Ex. : Federica. Montseny après avoir souligné sa qualité de membre du Comité régional de Catalogne (organisation de la C.N.T., organisation anarcho-syndicaliste) et du Comité péninsulaire de la F.A.I. (organisation politique anarchiste) proclame dès la fin d’août 1936 :

"L’Espagne grande, l’Espagne productrice, l’Espagne vraiment rénovatrice, c’est nous qui la faisons : républicains, socialistes, communistes et anarchistes, quand nous travaillons à la sueur de notre front.

Mais de ce patriotisme prolétaire au patriotisme tout court il n’y a qu’un pas à faire ; la militante anarchiste le franchit aisément ; au cours du même discours, elle affirme :

"Nous sommes tous unis sur le front de la lutte ; unité sacrée, unité magnifique, qui a fait disparaître toutes les classes, tous les partis politiques, toutes les tendances qui nous séparaient avant."

Il importe de remarquer que ceci est dit en pleine apogée de l’anarchisme, moins de six semaines après le 19 juillet ; les communistes russes ont commencé, assez timidement d’ailleurs, à prôner le patriotisme russe vers 1930 ; c’est-à-dire 13 ans après le grand Octobre ; les libertaires espagnols clament leur espagnolisme un mois après le grand juillet. Aucun souci de conservation ne saurait expliquer cette "évolution" si rapide ; leur influence est à son maximum ; le chantage de la fourniture des armes par le gouvernement russe ne s’exercera qu’à partir d’octobre 1936. Non, ce patriotisme est dû à la force morale d’une propagande séculaire du chauvinisme, s’éveillant à l’improviste, dans les secteurs où l’on s’y attendrait le moins. Puis il y a aussi le mépris du ’bétail humain’, de la masse à gagner, par n’importe quel slogan ; pourvu qu’elle s’enivre et suive, les militants libertaires se feront patriotes ; en fin de compte, ne faut-il pas battre Franco… et cela à tout prix.

Mais qui a dit A finira bien dans l’alphabet patriotique par prononcer B, le bon patriote non seulement est fier de son "pays", il est amené à mépriser les autres "nations" ; aussi, toujours dans la même logique les anarcho-syndicalistes espagnols remettent en honneur le terme de "boches" que nous avons vu apparaître clans Solidaridad Obrera, un des organes principaux (voyez S.O. du 10-1-37).

Un autre exemple du même mépris chauvin est celui fourni par un appel de la Solidarité internationale Antifasciste, publié dans Solidaridad Obrera du 25-9-1937 disant textuellement ceci :

"La S.I.A. est un organisme de base solidaire qui répond aux sentiments du peuple catalan, qui sont supérieurs aux peuples châtrés d’Italie et d’Allemagne."

Ces citations seront sans doute suffisantes pour juger de la persistance du nationalisme chez les anarchistes espagnols ; la "France libre, forte et heureuse" du communiste Thorez se trouve singulièrement dépassée !

Le Problème colonial

Pénétrés de l’idée de ne rien faire pouvant nuire à l’unité du front antifasciste, craignant de soulever la colère des gouvernements français et anglais, en déchaînant la révolte dans l’Afrique du Nord, les anarchistes ont évoqué le moins possible l’idée de l’indépendance des colonies, et en particulier du Maroc espagnol. Tandis que Franco démagogiquement encourageait les institutions culturelles arabes, les libertaires consacraient à ce problème quatre on cinq articles de journaux en dix-huit mois de guerre civile et quelques appels par haut-parleur aux troupes marocaines au-delà des tranchées. Mais jamais une décision prononcée par les Comités national ou péninsulaire de la C.N.T. ou de la F.A.I.

Au contraire parfois dans les discours de certains militants en vue, quelque mépris pour les Maures, réminiscence de l’éducation catholique développé pendant des siècles. Ex. F. Montseny parlant le 31 août 1936, d’après Solidaridad Obrera du 2-9-1936 :

"La lutte contre le fascisme sur les fronts de bataille se terminera bientôt, parce que de nombreuses forces sont mises en jeu, et parce que l’Espagne, pays habitué à la guérilla, qui s’est habitué à la lutte pour l’indépendance, et qui s’est habitué à cette guerre civile, la plus triste, la plus fratricide, la plus criminelle, est préparée pour en finir bientôt avec cet ennemi intérieur, avec cet ennemi sans dignité, ni conscience, sans sentiment d’Espagnol, car s’ils étaient Espagnols, s’ils étaient patriotes, ils n’auraient pas lancé sur l’Espagne les "regulare" » et les Maures, imposant la civilisation du fascio, non pas comme une civilisation chrétienne, mais comme une civilisation mauresque, des gens que nous sommes allés coloniser pour qu’ils viennent nous coloniser maintenant, avec des principes religieux et des idées politiques qu’ils veulent maintenir enracinés dans la conscience des Espagnols."

Anarchistes et Impérialisme

L’appui accordé par les gouvernements allemand et italien aux partisans de Franco, l’attitude passive des prolétaires français, anglais et belges ne tentant aucune action directe contre leurs maîtres parallèlement à la lutte des ouvriers espagnols ont amené les libertaires espagnols à espérer leur salut de l’intervention des impérialismes anglais, français et russe. Cet espoir est toujours masqué du manteau de préférence pour les démocraties ; il se confond parfois avec des appels à la révolution sociale, mais pratiquement il consiste en une excitation continuelle à la lutte armée dans le sens de l’intervention, voire au vœu de la guerre mondiale.

Cette propagande est extrêmement tenace : jour par jour, manchettes, articles, discours, demandent pourquoi la France et l’Angleterre manquent d’énergie envers les fascismes. Quelques exemples : au moment où la C.N.T. participe encore au pouvoir, ses représentants écrivent :

"L’Espagne libre fera son devoir. Face à cette attitude héroïque, que vont faire les démocraties ? Il y a lieu d’espérer que l’inévitable ne tardera pas à se produire. L’attitude provocatrice et grossière de l’Allemagne devient déjà insupportable. Visiblement, l’Italie ne joue pas non plus un jeu propre. Il s’agit de gagner du temps, et comme les uns et les autres savent que, finalement, les démocraties devront intervenir avec leurs escadres et avec leurs armées, pour barrer le passage à ces hordes d’insensés, ceux-ci se dépêchent de détruire Madrid et réaliser des actes de guerre leur assurant une situation plus favorable que celle dans laquelle ils se trouvent actuellement."

Le même point de vue de solidarité et d’appui aux gouvernements démocratiques s’affirme dans un éditorial récent, appelant pourtant dans son titre les travailleurs européens à se dresser contre leurs bourgeoisies. En voici des extraits édifiants d’après Solidaridad Obrera du 10-11-37 :

"Il y deux façons de mener une guerre qui reflètent deux aspects de la lutte de classes : la guerre financée et articulée pour les buts spécifiques, impérialistes et agressifs du capitalisme qui entraîne les prolétaires au massacre et cache nécessairement, derrière les grands mensonges historiques, les véritables objectifs du montage belliqueux des États agresseurs. Il y a aussi la guerre régie par les impératifs révolutionnaires de la lutte des classes, les conquêtes sociales ou l’intervention prépondérante dans la formation et le développement des armées nationales, dans ces pays où la question de l’indépendance se pose, en face d’États impérialistes aux prises avec les convulsions et des événements sociaux profonds.
…Nous n’avons pas de raison de cacher que nous nous situons aux côtés des pays démocratiques, où la démocratie ouvrière, les institutions syndicales, politiques, culturelles et coopératives de la classe travailleuse occupent le premier plan de la vie civile, et saturent, à leur tour, malgré la pression d’en haut les institutions militaires elles-mêmes et les cadres de l’armée."

Autrement dit, d’après les anarchistes espagnols, en France, dans cette démocratie, les "cadres" de l’armée républicaine, sont d’ores et déjà, avec nous !

Envers l’impérialisme russe, les libertaires espagnols durent prendre une attitude bien plus soumise encore ; en effet, à partir d’octobre 1936 et jusqu’au début de 1938 les gouvernants russes étaient les seuls fournisseurs d’armes sérieux et pouvaient ainsi pratiquer un chantage efficace.

Naturellement la propagande anarchiste ne put se permettre en aucune façon l’analyse de l’État-patron russe ; jamais les organes de la C.N.T. ne critiquèrent les "procès de Moscou". Mais le silence ne suffit pas à Staline. Il lui faut de la louange et les anarchistes le servirent que de manchettes célébrant la magnifique attitude de l’U.R.S.S. dans la S.D.N., que de flatteries pour Litvinov. Mais voici un éditorial de Solidaridad Obrera du 10-11-37 plus précis à cet égard :

"Les gouvernements alliés, avec plus ou moins de formalités, à l’U.R.S.S. le sont pour des raisons strictement stratégiques, pour les nécessités politico-militaires ; ils se seraient passés de l’U.R.S.S., comme ils se hâteraient de s’en débarrasser à un moment quelconque, s’ils ne voyaient pas dans le grand pays européoasiatique, le précieux allié militaire qu’il fut toujours, même avant la révolution. Si, en cas de force majeure, l’U.R.S.S. se voyait entraînée dans une guerre aux côtés des états capitalistes, elle la ferait, sans doute, pour défendre son existence. Mais ce serait là une éventualité nullement désirable.
Pour le prolétariat mondial, la Russie représente quelque chose de plus et de très différent d’une force militaire qui allège la pression exercée par l’Allemagne et l’Italie sur la France et l’Angleterre. C’est le berceau de la révolution sociale, de cette révolution qu’une guerre capitaliste, certes, n’impulserait pas. Le prolétariat international peut combattre contre le pacte anticommuniste en luttant déjà pour la paix. Il peut combattre pour l’U.R.S.S. en luttant pour la révolution dans le monde ; cela donnerait à la Russie un appui immense, étant donné que seule une lutte révolutionnaire peut neutraliser les succès de la lutte contraire : celle du fascisme.
Nous autres, peuple en révolution, nous voudrions que les peuples du monde n’abandonnent pas aux attaques des fascistes, étroitement unis en un programme d’action, le pays qui nous a précédés dans la voie de la rédemption sociale. Nous voudrions que le prolétariat fixe, immédiatement, son plan et son orientation à ce sujet. Contre l’anticommunisme du Japon, de l’Italie et de l’Allemagne, la solidarité révolutionnaire du prolétariat mondial…"

Anarcho-militarisme

Les anarchistes espagnols après avoir arrêté dans des conditions extrêmement dures la tentative fasciste le 19 juillet, prolongèrent leur effort de lutte armée en constituant les premières milices.

Celles-ci différaient du tout au tout des armées régulières ; constituées, contrôlées et animées par les organisations syndicales, elles ne reconnaissaient comme commandement que celui qu’elles avaient librement choisi.

Ces formations souffrirent du désordre inhérent à la propagande désordonnée et chaotique des libertaires ; mais les conditions de la guerre firent qu’elles s’imposèrent à elles-mêmes une discipline qui atteignit dans certains détachements (Groupe anarchiste international) une grande valeur.

Militairement parlant et en considérant les conditions désastreuses d’armement, l’absence d’expérience et d’entraînement, les milices syndicales ont largement rempli leur tâche. Si elles ont à leur passif les pertes d’Irun, de Saint-Sébastien, de Badajoz, de Tolède, ce sont par contre surtout les milices de la C.N.T., de l’U.G.T. (avec les Brigades internationales, très différentes au début, d’une armée régulière) qui assurèrent la défense de Madrid et de l’Aragon, il ne faut tout de même pas oublier en faisant la comparaison que l’"armée populaire" a laissé échapper Bilbao, Santander, Gijon et les Asturies ; quant à ses offensives les succès de Belchite et de Teruel apparaissent comme étant très ... partiels.

Évidemment les milices prêtaient le flanc à la critique par leur manque de coordination ; toute la question est de savoir si le militarisme professionnel en leur donnant cette coordination n’en tuait pas la force vive : l’esprit de classe. Tel semble être l’avis de la plupart des volontaires qui, à des époques diverses, quittèrent l’armée populaire fidèles à l’esprit de juillet 1936 : "Miliciens, oui ! soldats, jamais !", même ceux d’entre eux qui continuent à chanter à l’étranger les louanges de la direction C.N.T , ont bel et bien voté contre la militarisation "avec leurs pieds" en se retirant de la guerre civile après que les milices furent enrégimentées.

Mais si les miliciens anarcho-syndicalistes allemands et italiens furent très précis à cet égard, défendant avant tout le droit d’élire leur commandement, les anarchistes espagnols acceptèrent très aisément la transformation des milices en divisions et régiments, sans s’occuper de savoir qui désignerait les grades et comment.

Ils sont très fiers de ce qu’un certain nombre de leurs militants se soient transformés en officiers, voire en généraux. Ils ont admis qu’avec leur fonction ces militants acquièrent la mentalité du militariste.

Ainsi Garcia Oliver, membre du Comité péninsulaire de la F.A.I., à l’époque secrétaire de la Consejeria catalane à la guerre, passant en revue les élèves officiers d’une école militaire populaire disait (Bulletin français de la Généralité, 30-III-37) :

"Vous, officiers de l’armée populaire, devez observer une discipline de fer et l’imposer à vos hommes, qui, une fois dans les rangs, doivent cesser d’être vos camarades et constituer l’engrenage de la machine militaire de notre armée.
Votre mission est d’assurer la victoire sur les envahisseurs fascistes et de maintenir ensuite une puissante armée populaire sur laquelle nous puissions compter pour répondre à toute provocation fasciste, ouverte ou déguisée, d’une puissance étrangère, et qui sache faire respecter le nom de l’Espagne, depuis si longtemps déconsidéré dans les sphères internationales."

Cette idée d’humains à transformer en engrenages est parfaitement assimilée par les officiers anarchistes.

"Nous renonçons à tout… sauf à la victoire."

Avec pareille maxime formulée par Durruti, à la veille de sa mort, tous les exemples de transformations anarchistes sont admis par les dirigeants de la F.A.I.-C.N.T. comme des concessions douloureuses mais inévitables. Parfois, néanmoins, sentant une réminiscence de leur attachement aux doctrines d’hier, et surtout redoutant une opposition des ouvriers venus confiants en ces théories, la direction anarchiste déclame : "gagner la guerre et faire la révolution". Il y a là une nouvelle justification du renoncement : la presse libertaire espagnole invoque les entreprises industrielles et agricoles collectivisées obtenues en échange du sacrifice des doctrines.

Incontestablement, le fait d’avoir su occuper les usines, de s’être emparé des services publics, d’avoir réuni en communes de nombreux petits propriétaires paysans, et d’avoir su faire rendre économiquement les nouvelles unités économiques fut une grande conquête.

Le malheur est que l’absence de démocratie ouvrière a apporté un germe de gangrène intérieure dans les collectivités et les a entourées de menaces extérieures, faisant graduellement reculer le domaine collectif et faisant prévoir même sa disparition proche.

Il n’existe pas encore de témoignage d’ouvrier ayant vécu dans les collectivités espagnoles ; quant aux comptes rendus officiels où, dans de longues tirades littéraires, nagent quelques chiffres dont le contrôle est extrêmement difficile, ils répandent une odeur "retour d’U.R.S.S." montrant que dans la besogne d’information les "délégués" libertaires sont aussi imbus d’espoir paradisiaque que leurs confrères stalinisants (Ex : les reportages de Blicq dans le Libertaire 1936).

Aussi les plaintes des ministres anarchistes Federica Montseny et Peiro, parlant des nouveaux bourgeois constitués par les membres des comités des collectivités, ne sont pas exclusivement dues à la méfiance envers la gestion ouvrière directe. Il est vraisemblable que les anarchistes espagnols qui n’ont pas respecté la démocratie ouvrière ni dans les milices, ni dans les municipalités, ni même dans leurs propres organismes où l’élection et le congrès sont de plus en plus écartés, ont agi de même dans les usines et domaines "incautados". Un autre symptôme du même ordre est l’abandon par la C.N.T. du salaire unifié et familial, la création de sept catégories de salaires, et cela dans les entreprises collectivisées. Motif exposé par Vasquez au dernier Plenum de la C.N.T. : "Le salaire familial est anti-humaniste parce qu’il porte préjudice à l’économie".

Mais bien pire que la menace intérieure, se dresse autour des collectivités l’étreinte de l’État. Les dirigeants anarchistes devraient connaître cet ennemi. Envers lui ils ont adopté une tactique louvoyante : au nom des réalités, de l’antifascisme, de l’opportunisme, du moindre mal ils ont renoncé tout au moins provisoirement à le briser ; une de leurs raisons essentielles est qu’ils ne veulent pas eux, anarchistes, exercer de dictature et remplacer l’État. En attendant ils ne demandent que s’incorporer à lui. Dès les premiers jours, sans consulter la masse ouvrière pour savoir quelle représentation celle-ci entendait confier aux divers secteurs politiques et syndicaux dans le comité de milices antifascistes, arbitrairement ils établirent la parité entre toutes les organisations, petites ou grandes, bourgeoises ou ouvrières, anarchistes, socialistes ou stalinisantes. Lorsque les partis bourgeois de l’Esquerra et fasciste-communiste furent installés et rassurés, ils imposèrent le retour à un gouvernement "régulier". Les anarchistes les suivirent et eurent non seulement leurs ministres dans la Generalidad et dans les cabinets de Madrid ; mais encore ils entrèrent partout (en minorité et cerné d’ennemis) dans la police, les tribunaux, les municipalités, les gardes d’assaut, les gardiens de prison, sans rien changer à la nature de l’appareil étatique acceptant de faire appliquer les vieux codes militaire et civil, et tolérant même la détention "gubernativa" (sans jugement) d’ouvriers, absolument lutte de classe (voir le premier emprisonnement de Francisco Maroto).

Un dernier degré de concession leur avait été épargné : d’octobre 1936 à mai 1937 il y eut bien des ministres et des policiers anarchistes au service de l’État bourgeois antifasciste, mais les syndicats de la C.N.T. restaient autonomes sans s’étatiser, d’une façon directe.

Actuellement ce stade est franchi. Chassés du conseil des ministres et des diverses filiales étatiques après les événements de mai, les dirigeants libertaires ont senti leur fringale de carrière grandir. Aussi dans la récente réponse de la C.N.T. À l’U.G.T. ces dirigeants proposent que :

"L’U.G.T. et la C.N.T. s’engagent à réaliser l’inclusion effective du prolétariat dans le gouvernement de l’État espagnol, sans exclure les forces non prolétariennes suivant les proportions qui correspondent à celles-ci.

(Solidaridad Obrera du 13 février 1938.)

Cette intégration des syndicats dans l’État est organisée par la création de comités tripartites comprenant des représentants des deux centrales syndicales, mais aussi ceux de l’État. La propriété même des grandes industries telles que mines, chemins de fer, industrie lourde, banques, téléphones, télégraphes, navigation maritime est nationalisée, c’est-à-dire confiée à l’État. Les transports eux-mêmes sont militarisés, en employant la formule camouflée de "mis à la disposition du gouvernement". Ainsi il ne restera plus grand-chose des collectivités industrielles ; mais celles qui subsisteront ainsi que les collectivités agraires seront cernées par le collier des grandes entreprises, des banques, de l’appareil policier et judiciaire qui lui appartiendra à l’État. Paradoxal aboutissement pour des anarchistes.

Pouvaient-ils faire autre chose ?

Le plus grave dans cette évolution est qu’elle ne soulève presque aucune protestation dans l’ensemble du mouvement anarchiste international. La première période du ministérialisme anarchiste est marquée par les applaudissements des libertaires français, anglais, italiens, qui font pudiquement quelques réserves sur l’accroc aux doctrines, réservant l’examen de celui-ci pour plus tard. Dès novembre 1937 (NdE : sic !, il s’agit de 1936) s’élève la courageuse voix de Camillo Berneri qui dut payer de sa vie son audace de critiquer la mainmise de Staline sur un gouvernement anti-fasciste — anarchiste. C’est vers la même époque quand il est trop tard pour recourir à la volonté ouvrière que les Sébastien Faure commencent à parler de "pente fatale", oubliant les reportages "enthousiastes" de la première heure. Un Rudolf Rocker écrit une brochure de 48 pages sur la "Tragédie de l’Espagne" sans évoquer en une ligne les concessions anarchistes. Quant au Libertaire c’est en vain qu’on y chercherait des données sur l’inégalité des salaires, les inspecteurs-entraîneurs au travail ou "l’inclusion du prolétariat" dans l’État ; l’information est faussée et unilatérale.

Mais plus un anarchiste est sincère, plus il a cru à la vitalité de son idéal, plus il souffre devant ce bilan et plus il se demande s’il était possible d’agir autrement que ne le firent ses compagnons d’idées en Espagne.

Laissons à ce sujet la parole à un opuscule des Amigos de Durruti faible minorité anarchiste qui, avec les Jeunesses Libertaires de Catalogne a réagi contre la collaboration des classes organisée par les anarchistes officiels. Ce témoignage est d’autant plus précieux qu’il émane d’hommes connaissant les conditions de la lutte et y ayant mis directement la main.

"On n’a pas su utiliser la valeur de la C.N.T. On n’a pas su faire avancer la révolution avec toutes ses conséquences. On a eu peur des flottes étrangères, en alléguant que des unités de l’escadre anglaise auraient bombardé le port de Barcelone.
S’est-il jamais fait une révolution sans affronter d’innombrables difficultés ?
S’est-il jamais fait dans le monde une révolution de type avancé en évitant l’intervention étrangère ?
… Quand une organisation a passé toute sa vie en propageant la révolution, elle a le devoir de le faire précisément quand il se présente une conjoncture pour cela. Et en juillet, il y eut une occasion pour cela. La C.N.T. devait s’accrocher en haut de la direction du pays, en donnant un solennel coup de pied à tout ce qui était archaïque, vétuste ; de cette façon, nous aurions gagné la guerre et fait la révolution.
Mais on agit d’une façon opposée. On collabora avec la bourgeoisie dans les institutions étatiques au moment même où l’État se crevassait aux quatre coins. On renforça Companys et sa suite. On insuffla un ballon d’oxygène à une bourgeoisie anémiée et apeurée."

(Brochure clandestine des Amigos de Durruti : Vers une nouvelle révolution.

Conclusion

De ce pénible bilan, une seule chose ressort avec certitude : les anarchistes espagnols et avec eux l’immense majorité des anarchistes dans le monde, mis par la réalité en demeure d’appliquer leur doctrine en Catalogne et en Espagne y ont renoncé ; plus encore ils ont donné leur adhésion effective à un État comportant la collaboration avec la bourgeoisie et opprimant les ouvriers.

Ont-ils agi ainsi parce qu’ils ne pouvaient agir autrement ? Une conclusion absolument claire à ce sujet ne peut être déduite. Nous avons cité les possibilités d’autres solutions. Mais s’il fallait conclure à l’inéluctabilité de leur recul, il faudrait en général poser la question, si dans n’importe quel coin du monde l’anarchisme est applicable : en effet, en Espagne étaient réunies les meilleures conditions de développement de ce mouvement.

D’autre part, il faudrait conclure à ce que les dirigeants anarchistes ont simplement utilisé la doctrine comme un slogan, quitte à l’abandonner dès qu’ils entrevirent la possibilité d’une participation à la hiérarchie sociale, un nouveau problème se poserait. Le 4 août 1914 marque le reniement socialiste ; mars 1921, par le massacre de Cronstadt, peut pratiquement être considéré comme l’époque initiale du reniement communiste, entrant dans les voies de la N.E.P. pour déboucher dans le nationalisme russe ; septembre 1936, avec la dissolution du Comité des Milices, symbolise le renoncement anarchiste. Des analogies existent entre ces reniements : ils se produisent lorsque les mouvements considérés acquièrent une grande extension ; ce développement entraîne la séparation d’une caste supérieure ; celle-ci renie la doctrine pour retourner dans les sentiers battus de l’humanité. Pour l’anarchisme, ce phénomène apparaît très nettement ; c’est après un succès important qu’il se produit ; la doctrine anarchiste a connu une série de réalisations partielles : l’arrêt du soulèvement fasciste, la résistance des milices, la mise en route des usines occupées. Ce n’est pas la vie qui a mis en échec ces réalisations, c’est le renoncement des dirigeants anarchistes eux-mêmes.

Il faut donc pour le mouvement ouvrier trouver une forme d’expression autre que la protestation anarchiste ; en effet, celle-ci, nourrie en grande partie par la haine de la combine politicienne, s’est révélée empoisonnée presque dès le début par celle-ci.

Toute la question est de savoir s’il n’y a pas là une fatalité historique, si toute forme de mouvement ouvrier — et de mouvement humain — à peine grandie, commence à pourrir ; la marche en avant du prolétariat (actuellement avant-garde de l’humanité) n’est-elle pas condamnée à suivre une courbe sinueuse d’avancement et de recul sans jamais arriver au « paradis » ? Ou bien dans la période historiquement très brève de vie du prolétariat industriel les trois reniements ne sont-ils que des épisodes ? Peut-être cette classe absolument nouvelle finira-t-elle par trouver le type d’organisation où l’élite ne se séparerait pas de la masse (des syndicats, perfectionnés sans bureaucratie) ?
La recherche de ce type d’organisation s’impose, qu’il s’agisse simplement de freiner la dégénérescence des organisations ouvrières ou d’empêcher définitivement cette dégénérescence.

L. Nicolas.


http://archivesautonomies.org/spip.php?article2182
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Re: 1936, une révolution sociale et libertaire en Espagne

Messagede Pïérô » 10 Sep 2017, 04:07

Angers samedi 16 septembre 2017

Espagne 1936 : les milices anarchistes et les volontaires internationaux

Après le coup d'État militaire des 17 et 18 juillet 1936 contre le gouvernement républicain, les milices anarcho-syndicalistes et anarchistes de la Confédération nationale du travail et de la Fédération anarchiste ibérique jouent un rôle déterminant dans la défense de la République durant les premiers mois de la guerre civile. Elles prennent également une part active à la Révolution sociale espagnole de 1936.

Dans ces milices, les volontaires refusent l'uniforme, le salut militaire et autres marques de respect à la hiérarchie. Les officiers, élus, pouvaient se succéder rapidement à la tête d'un groupe et les hommes s'estiment en droit de discuter les ordres et de ne les appliquer que s'ils sont d'accord.

Des volontaires internationaux vont rejoindre les milices anarchistes, c'est leur histoire qui sera abordée par les Giménologues lors de cette conférence à la librairie Les Nuits Bleues.

à 19h, La Tête dans le Guidon, Les Nuits Bleues, Le 21
21, rue Maillé, 49100 Angers

http://lesnuitsbleues.blogspot.fr/2017/ ... ogues.html
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Re: 1936, une révolution sociale et libertaire en Espagne

Messagede bipbip » 08 Oct 2017, 17:34

Paris mercredi 11 octobre 2017

Projection débat « La tragédie des Brigades internationales »

Film de Patrick Roman

Image

À commencer par les sportifs des Olympiades de Barcelone, plusieurs milliers de réfugiés antifascistes: italiens, allemands, autrichiens, polonais; mais aussi africains, asiatiques… passent les frontières pour se battre aux côtés des miliciens. Ils sont anarchistes, socialistes, communistes, démocrates…- Ils se sont incorporés aux milices existantes sous l'étiquette de leur choix : CNT, UGT, FAI, PCE, POUM, PSOE…

Début octobre 1936 c'est la constitution des Brigades internationales contrôlées par le Komintern, organe de l'internationale communiste. Leur siège se trouve à Albacete.

Des volontaires de dizaines de nationalités différentes sont exposés à tous les dangers. Ceux jugés « dangereux » par les dirigeants communistes sont envoyés en première ligne ou éliminés purement et simplement. Il y a des tensions parmi ces formations d'étrangers, dues aux méthodes utilisées et aux brimades. Certains récalcitrants sont mis en camp pour « rééducation politique ».…

Venez leur rendre hommage et suivre leur histoire et ses contradictions. Venez en débattre avec Patrick Rotman et l'équipe du 24 août 1944.

La tragédié des Brigades Internationales
Mercredi 11 octobre à 18h précises (arrivée à 17h30)
Auditorium del'Hôtel de Ville de Paris
5 rue Lobau,75004

https://paris.demosphere.eu/rv/56919
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Re: 1936, une révolution sociale et libertaire en Espagne

Messagede Pïérô » 12 Oct 2017, 09:01

Tours, samedi 14 octobre 2017

[Conférence-débat] Guerre d’Espagne : le scandale de la non-intervention

Conférence autour du livre Un été impardonnable : 1936 la guerre d’Espagne et le scandale de la non intervention, organisée par l’association Retirada 37.

L’association Retirada 37, dont le but est de « faire vivre les mémoires et les valeurs des républicains espagnols exilés », vous invite le samedi 14 octobre au Centre de vie du Sanitas, salle Frédéric Maurice, à la conférence de Gilbert Grellet, journaliste à l’AFP au sujet de son livre : Un été impardonnable : 1936 la guerre d’Espagne et le scandale de la non intervention.

« Ce livre est le récit de cette faute impardonnable qui allait meurtrir le peuple espagnol et accroître l’appétit d’Hitler et de Mussolini, préfigurant Munich et la seconde guerre mondiale. A l’heure où se repose la question des interventions extérieures, cette leçon d’histoire sonne comme un avertissement. »

Samedi 14 octobre 2017, de 14h30 à 16h30, Centre de vie du Sanitas, 10 place Neuve à Tours. Entrée libre.

http://larotative.info/conference-debat ... -2442.html
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Re: 1936, une révolution sociale et libertaire en Espagne

Messagede bipbip » 15 Oct 2017, 14:32

La CNT-FAI en 1936-1939

partie sur un évènement fort pour l'anarchisme. La terre promise de l'anarchie était l’Espagne, depuis longtemps les espagnoles se préparaient et face au fascisme, les anarchistes passent à l'action. Une expérience riche pour le mouvement, autant du point de vue de l'organisation des communes, que pour la défense de la révolution. Malgré tout, les anarchistes seront réprimé-e-s, la collaboration avec les républicains les fragilisera et la révolution échouera. Ce qui fut réalisé restera dans les mémoires.

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Re: 1936, une révolution sociale et libertaire en Espagne

Messagede bipbip » 23 Oct 2017, 19:57

« Il était plus confortable d’être un ministre anarchiste qu’un anarchiste révolutionnaire. »

Traduction de l’article d’Agustin Guillamón « El grupo franco-español de Los Amigos de Durruti », publié dans Balance. Cuadernos de historia n° 32 (novembre 2008). La traduction en français est de Michel Roger, elle a été publiée dans La Lettre Internationaliste n° 10 (nov. 2008) et révisée à l’occasion de la republication par la BS wordpress.com/2010/09/24/le-groupe-franco-espagnol-les-amis-de-durruti-guillamon-2008/

Introduction (1).

Le belge Charles Cortvrint (2) et Charles Carpentier (3), du nord de la France, tous deux militants anarchistes ont traversé la frontière franco-espagnole le 29 juillet 1936. Charles « Ridel » était déjà venu en Espagne pour le congrès de la CNT de Saragosse en Mai 1936, il en a rédigé un rapport, qui a été publié dans La Révolution Prolétarienne. Les jours après le passage de la frontière, ils se réunirent à Barcelone avec Abad de Santillan, qui leur fournit un laissez-passer de journaliste ce qu’ils refusèrent parce qu’ils voulaient se battre sur le front d’Aragon. Ils se joignirent à Louis Berthomieux, ancien capitaine d’artillerie, maintenant à la misère et vivant dans le quartier des cabanes, avec les tziganes. Ce trio, avant l’arrivée de nombreux anarchistes étrangers volontaires pour combattre en Espagne, eut l’idée de se regrouper pour fonder le groupe international de la Colonne Durruti. Ils participèrent à la prise de Pina de Ebro et d’Osera, ainsi qu’à une tentative avortée pour créer une tête de pont sur l’autre rive de l’Èbre. En Septembre 1936, soixante hommes du groupe international, d’une grande expérience militaire, ont participé en qualité de troupes d’élite à l’assaut de Siétamo, qui a fait 37 victimes : tués y compris les blessés.

Le 17 Octobre 1936, le groupe international a été décimée à Perdiguero, suite à de violents combats avec la cavalerie marocaine qui avait réussi à les enfermer dans une nasse, et à les isoler du reste du front, parce qu’ils n’avaient pas entendu l’ordre de replis, parce que l’estafette qui devait la communiquer s’était perdue. Berthomieux préféra se faire sauter sur une charge de dynamite plutôt que de tomber entre les mains ennemies. Ridel et Carpentier, qui quelques heures avant étaient aller rechercher de nouvelles armes et munitions, purent seuls participer à la tentative pour briser l’encerclement avant le retrait définitif. 170 miliciens moururent sur un total de 240 que comprenait le groupe international, qui pratiquement disparut comme tel. Après cette catastrophe militaire Ridel et Carpentier retournèrent en France.

« Charles Ridel », à la demande de l’Union anarchiste (UA), s’est consacré à faire des conférences afin de recueillir des fonds pour l’organisation de secours aux miliciens combattant au cours de la révolution espagnole. Carpentier retourna en Espagne en décembre 1936 ; il participa à la lutte sur les barricades à Barcelone pendant les journées de Mai 1937, rentrant finalement peu de temps après en France pour éviter la Tcheka stalinienne.

En novembre 1937, « Charles Ridel », Charles Carpentier, Lucien Feuillade (« Luc Daurat ») et Guyard, manifestèrent contre les accords et les résolutions du congrès de l’Union anarchiste (4). Le congrès eut lieu du 30 octobre au 1er novembre 1937. Il fallut adopter de nouvelles mesures d’organisation pour faire face à la forte croissance du nombre de militants et de la diffusion du Libertaire qui avaient également quadruplés l’année précédente. Mais le thème qui centralisa et envenima le débat du congrès fut celui de la solidarité avec l’Espagne. En réalité, ce fut lorsque les résolutions adoptées au congrès affirmèrent « la totale solidarité de l’Union anarchiste avec l’Espagne« , ce qui confirmait la solidarité et l’approbation d’une partie des anarchistes français au collaborationnisme de la CNT et de la FAI avec le gouvernement bourgeois et républicain espagnol.

Ridel commença le débat par la critique des erreurs les plus importantes de l’UA, durant l’année écoulée. Elles sont pour lui les suivantes :

1.- L’anarchisme doit être un secteur du mouvement ouvrier et non une philosophie.

2.- La structure organisationnelle, qui devait être changée, car elle attribuait toute la charge de travail à cinq ou six postes à responsabilité, plutôt qu’à toute l’organisation.

3.- La cohérence politique, qui devait être renforcée.

4.- Le manque de préparation du Congrès.

5.- La participation regrettable au meeting au vélodrome d’hiver (5), des staliniens Cachin et Jouhaux (6).

Il ajouta qu’il se permettrait d’exposer dansLe Libertaire les différentes positions politiques des anarchistes espagnols. Au congrès français la majorité prononça des phrases dignes de figurer dans une anthologie des partisans du collaborationnisme anarchiste avec l’État républicain.

Servant, en réponse aux critiques de Ridel, a dit :

« Et s´il y a erreur des anarchistes espagnols, ce n´est pas d´avoir collaboré au gouvernement avec les secteurs politiques, c´est de n´avoir pas conservé cette collaboration. »

De même, plus laconiquement, se référant à l’abandon des principes par les anarchistes espagnols, Sail Mohamed a dit : « Pour avoir un fusil, j’aurais fait toutes les concessions. »

À la fin de la première séance, le congrès a rejeté la motion « Ridel » appelant à l’existence de groupes d’usine avec la plénitude de droits et approuvant la motion qui estimait ces groupes comme des éléments pour le recrutement mais sans autorité. Cela signifie que l’anarchisme français renonçait fermement à s’organiser dans les usines, et a opté pour une organisation de type local plus appropriée pour cultiver la philosophie que la lutte des classes.

La deuxième session fut exclusivement consacrée au débat sur l’Espagne. A l’argumentation de Fremont, extrêmement compréhensive sur l’abdication des principes anarchistes en faveur de la collaboration avec le gouvernement, Daurat répondit sur la question clé de la prise du pouvoir dans la révolution.

« La question doit être posée sur le terrain politique. Est-il impossible d’établir le communisme libertaire ? Entre prendre le pouvoir et participer à un gouvernement Négrin ou Caballero, il y a une position minimum pour les anarchistes, c’est-à-dire faire appel aux organisations syndicales, créer un comité de coordination réalisant une formule révolutionnaire logique pour la période transitoire, et organisant la dictature du prolétariat sur un plan démocratique par un gouvernement des syndicats(7). Mais, objecte-t-on, il existe des partis politiques avec lesquels il est nécessaire de faire un bout de chemin. J´estime qu’il ne faut pas se faire d’illusions et ne pas perdre de vue que les partis bourgeois n´ont d´autre but que l´avortement de la révolution..

En conséquence, le bout de chemin doit cesser à un certain moment. Rappelons-nous les événements de Mai et les anarchistes emprisonnés. La situation est-elle si désespérée ou faut-il se résigner et implorer de Paris et de Londres une paix honteuse ? Ou alors les anarchistes doivent tenter de redresser la situation révolutionnaire. Dans un récent article du Libertaire, Gaston Leval justifie les compromissions, déclare qu’il était impossible d´envisager autre chose qu’un gouvernement de synthèse (anarchistes, socialistes autoritaires et républicains). Ne vaut-il pas mieux organiser la paix ? Ou réviser de fond en comble notre doctrine ? Il semble qu’il convient de ne plus parler d’anarchisme dans ce qu’on appelle révolution espagnole. Quelles sont en effet les réalisations en Espagne ? Les collectivités en Aragon et en Catalogne ? Mais elles sont soumises au gouvernement bourgeois (Ascaso en prison) et ne sont de ce fait que de simples coopératives. Le principe de la démocratie ouvrière demandait qu’après le 19 juillet on constitue des comités ouvriers CNT-UGT. La réponse : » Nous sommes contre la prise du pouvoir « , est insuffisante et l’anarchisme ne doit pas être abandonné pour la dictature du prolétariat. Il faut faire le gouvernement des syndicats. (8) »

En fin de compte Lucien Feuillade (« Luc Daurat ») défendit la position anarcho-syndicaliste comme alternative au collaborationnisme gouvernemental.

Guyard également a manifesté son opposition à la position de la majorité du congrès, qui approuvait le collaborationnisme des dirigeants anarchistes espagnols :

« La participation ministérielle de la CNT au pouvoir en Espagne fut néfaste, il y eut des ministres anarchistes dans le même temps qu´il y avait des anarchistes en prison. Ce fut un manque d’énergie du ministre de la Justice qui eût put agir sur les organisations syndicales. »

L’intervention du délégué de « Paris 14 » a été très intéressante après avoir indiqué que la participation des anarchistes au gouvernement a été désastreuse, il a critiqué les positions sur l’Union soviétique et les staliniens défendues pas Solidaridad Obrera et Catalunya, a constaté que la FAI s’est convertit en parti politique. Dans ses critiques des diverses organisations et des dirigeants, il excluait expressément les Jeunesses Libertaires et les Amis de Durruti.

Après un long débat confus dans lequel la plupart du congrès rejeta largement leurs arguments, Carpentier et Ridel intervinrent pour résumer les positions rencontrées sur le cas espagnol, qu’ils désiraient mettre en avant. D’abord, le droit de faire des critiques justes et opportunes de la FAI et de la CNT, sans qu’elles soient supposées attaquer ou trahir qui que ce soit. Ils notèrent l’existence d’une opposition au collaborationnisme en Espagne même, incarné par Les Amis de Durruti. En second lieu, ils déclarèrent qu’il était logique de dire à ceux qui ont combattu Franco qu’il fallait se battre jusqu’à la fin, mais aussi qu’il fallait lutter contre le gouvernement républicain. Le discours de la majorité en est venu à dire qu’en Espagne, il n’y avait pas eu de révolution. En dernier lieu ils soulignèrent leurs critiques de la désastreuse tactique de la FAI, qui a accepté le partage des responsabilités gouvernementales sur un pied d’égalité avec les partis politiques en dépit de sa supériorité numérique. Ils constatèrent le manque de préparation de la CNT-FAI et le divorce entre la base et sa direction. En outre, l’existence de ministres anarchistes empêcha les troupes du front d’Aragon de venir à Barcelone en Mai 37, et le manque de coopération des staliniens aboutit au désastre militaire en Aragon.

Ridel fit une très dure critique du mouvement anarchiste espagnol :

« Il faut procéder à la critique du mouvement espagnol, parce qu´il met en relief les défauts de tout mouvement anarchiste ; pas de plan économique, pas de programme. La collaboration de classes et ministérialiste s´est révélée impuissante, il eût fallu réaliser la menace de Durruti : « prendre l’argent de la Banque d’Espagne. »

Ridel a manifesté son accord avec Daurat se définissant non comme antifasciste, mais comme anti-capitaliste. Dans son discours Ridel rejeta autant les puristes que les collaborationnistes. Selon lui, la CNT pouvait se joindre dans la lutte à d’autres partis politiques, mais jamais avec les partis bourgeois ni dans un gouvernement bourgeois. Et enfin il affirma que :

« S’il est impossible à la classe ouvrière de faire seule la révolution, alors la révolution est impossible ».

La réunion se termina par plusieurs interventions de la majorité mettant en lumière les arguments suivants en faveur de la politique collaborationniste de l’anarchisme espagnol :

1.- Nous ne pouvons ni ne devons pas constituer un tribunal jugeant les camarades espagnols.

2.- Le manque d’armes et le poids des circonstances imposèrent la nécessité de collaborer avec d’autres partis et avec le gouvernement bourgeois dans la lutte contre le fascisme.

3.- Si en Mai 37 avait été proclamé le communisme libertaire, les anarchistes auraient été écrasés par les autres organisations et le gouvernement républicain.

4.- Il n’y a pas eu abandon des principes de la part de la CNT, il n’y a pas eu trahison de la part des ministres anarchistes, c’était la seule chose que l’on pouvait faire.

5.- Le repli adopté par l’anarchisme espagnol était préférable à son écrasement, il a permis la collectivisation des entreprises ce qui témoigna de la valeur des conceptions révolutionnaires anarchistes.

Au cours de la troisième session du congrès, l’action du Comité pour la liberté de l’Espagne a été examinée, il a été créé par l’UA en vue d’étendre et de renforcer la solidarité internationale antifasciste. Ridel et Guyard approuvèrent les travaux du Comité, objectant qu’il ne sanctionnait pas le nouvel organisme prévue (Solidarité Internationale Antifasciste (SIA)) et regrettant que les meetings du Vélodrome d’hiver se firent sans consigne commune. Le débat prit fin avec l’approbation de la création de la SIA.

Dans l’après-midi, il a été débattu de l’organisation de l’UA. Frémont fut chargé de l’ouverture du débat. Dans son discours, il a cherché à calmer les critiques de l’opposition en faisant valoir que l’organisation a toujours eu raison et que les désaccords sur certains aspects partiels devaient disparaître en face de l’adversaire :

« L´organisation a toujours raison. Actuellement, nous pouvons avoir certaines divergences sur des points de détail avec nos camarades espagnols, mais toute divergence doit disparaître devant l´adversaire. Même en cas de désaccord, la solidarité et l’esprit de l’organisation nous amènent à justifier publiquement la position de la FAI.. »

Le congrès prit fin par la victoire absolue des thèses défendues par la majorité, marquée cependant par une forte défense des dissidents Ridel, Daurat, Guyard et Carpentier et des critiques de la dérive du mouvement anarchiste espagnol, consignées alors par le congrès français de l’UA.

Au moins en France la critique ouverte de la position idéologique de l’anarchisme d’État a été possible, et a mis en lumière l’existence d’une opposition libertaire contre l’abandon des principes anarchistes et du collaborationnisme de la CNT-FAI. Cela n’a pas été possible en Espagne, où les comités dirigeants ont tenté d’expulser des Amis de Durruti, et en tout état de cause, ont abouti à leur ostracisme et à la clandestinité. En France, le débat fut seulement possible une fois que les anarchistes furent déchargés (comme l’a constaté Ridel au cours du congrès) des tâches gouvernementales.

Mais en tout cas le résultat fut similaire que ce soit en Espagne et en France : l’absolue marginalisation des dissidents par la majorité partisane du collaborationnisme avec les partis bourgeois, même au sein d’un gouvernement capitaliste.

En Février 1938, « Charles Ridel » (Charles Cortvrint) fonde avec « Luc Daurat » (Lucien Feuillade), la revue Révision. Dans cette revue anarchiste de théorie et d’analyse sont présentées et défendues les positions des Amis de Durruti, les dissidents du congrès purent développer leurs analyses sur la situation internationale, ainsi que sur des sujets intéressants la théorie politique, principalement sur la question de État.

Dans le première numéro a été publié un manifeste signé par Maire-Louise Berneri, Suzan Broad, « Luc Daurat » (Lucien Feuillade), René Dumont (9), Greta Jumin, Marester, Jean Meier, Jean Rabaud, « Charles Ridel » (Charles Cortvrint) et Sejourne qui expliquaient les raisons qui rendaient nécessaire l’émergence de cette nouvelle revue. La revue fut considérée comme la plate-forme commune de jeunes révolutionnaires, ayant différentes convictions politiques, que ce soit des marxistes ou des anarchistes, d’accord sur la nécessité d’examiner et de critiquer les positions obsolètes, que se soit le caractère opportuniste ou le puriste étroitement associé au mouvement anarchiste, que ce soit le sectarisme socialiste ou stalinien ou que ce soit l’hyper-critique des différentes oppositions communistes. La revue, bien que se déclarant libertaire, était indépendante de toute organisation ou parti et fut considérée non seulement comme ouverte à la critique et à l’analyse de la réalité existante, mais aussi à la théorisation des expériences de la révolution russe et espagnole, ainsi qu’au phénomène fasciste en Italie et en Allemagne.

Le numéro 3 de la revue, daté d’avril 1938, a publié en monographie une étude collective des problèmes relatifs à l’État et à la révolution. Il s’agit d’une étude rigoureuse et très intéressant de la question de l’État et des problèmes posés par la révolution prolétarienne, en faisant une présentation critique des thèses socialistes, staliniennes et anarchistes. L’étude prit fin au numéro 4 de la revue. Comme partie à part de l’étude sur l’État et la Révolution est exposé le programme des Amis de Durruti qui, du fait de son intérêt exceptionnel, est reproduit dans son intégralité :

« Enfin, l’expérience espagnole, en faisant passer au feu de l’épreuve toute la doctrine anarchiste, a permis à une organisation catalane, Les Amis de Durruti, d´établir un programme simple et précis où il est question des organes devant répondre aux besoins de la lutte civile. Ce programme se rapproche beaucoup de la conception syndicaliste ; d’autre part, il fait apparaître pour la première fois dans la conception libertaire une conception nette d’un organe centralisé devant faire face aux dangers les plus pressants.

Reproduit ci-après, comme Les Amis de Durruti l’ont publié (10) :

« I – Constitution d’une Junte révolutionnaire ou d’un Conseil Nationale de Défense. Cet organisme se constituera de la manière suivante : les membres de la junte révolutionnaire seront élus démocratiquement par les organisations syndicales. Il sera tenu compte du nombre de camarades déplacés au front qui devront nécessairement avoir leur représentation. La junte ne s’immiscera pas dans les décisions économiques, qui sont du domaine exclusif des syndicats.

Les fonctions du Conseil révolutionnaire sont les suivantes :

a) Diriger la guerre ;

b) Veiller à l’ordre révolutionnaire ;

c) Relations internationales ;

d) Propagande révolutionnaire.

Les postes seront périodiquement renouvelés pour éviter que nul n´y reste en permanence. Et les assemblées syndicales exerceront le contrôle des activités de la junte.

II – Tout le pouvoir économique aux syndicats. Les syndicats ont démontré depuis Juillet leur grand pouvoir constructeur. S’ils n’avaient été relégués à un rôle de second plan, ils auraient fourni un grand rendement. Ce seront les organisations syndicales qui formeront la structure de l’économie prolétarienne.
Tenant compte des modalités des syndicats d’industrie et des fédérations d’industries, il pourra se créer un Conseil de l’Économie dans le but de mieux coordonner les activités économiques.

III – Communes libres. (…) Les communes se chargeront des fonctions sociales qui échappent au domaine syndical. Et comme nous voulons construire une société nettement de producteurs, ce seront les propres organismes syndicaux qui nourriront les centres communaux. Et là où il n’y a pas d’intérêts divergents il ne pourra exister d´ antagonismes.
Les communes se constitueront en fédérations locales, régionales et péninsulaires. Les syndicats et les communes noueront des relations sur le plan local, régional et national.

Les Amis de Durruti préconisent également une série de mesures telles que la lutte contre la bureaucratie et les salaires anormaux ; l´établissement d’un salaire familial ; la socialisation de la distribution et le rationnement ; le contrôle syndical des milices ; l’organisation de la police par les syndicats ; la socialisation agraire ; une politique internationale basée sur les centres ouvriers à l’étranger et leur action ; l’alliance entre les syndicats ouvriers des différentes tendances à l’exclusion des bureaucrates, des profiteurs et des couvertures syndicales des partis politiques ; le refus de collaborer avec les forces bourgeoises et étatiques ou de les renforcer de quelque manière que ce soit.

C´est – nous semble-t-il – le premier programme concret défendu publiquement par une tendance anarchiste s´appliquant à une situation donnée et composé de mots d´ordre précis.«

En particulier, « Charles Ridel » a souligné le caractère syndical, ou si l’on veut anarcho-syndicaliste, du programme des Amis de Durruti. En outre lorsque Ridel fait allusion aux alliances syndicales aussi bien dans ses interventions au congrès de l’UA, que dans Révision, il semble faire référence à l’UGT. Et en cela, il fait une interprétation erronée de Balius, parce que Les Amis de Durruti, après Mai 37, savaient que l’UGT en Catalogne était une organisation syndicale stalinisée avec laquelle aucune alliance n’était possible. Lorsque Les Amis de Durruti parlent de syndicats, ils font normalement référence aux différents syndicats de branche (métallurgie, textile, alimentation, etc …) de la CNT et non à l’UGT.

Dans ce même numéro 4 de Révision apparaît une invitation pour une conférence de Ridel le mercredi 6 avril 1938 à Paris sur « la position et le programme des Amis de Durruti« . Nous pouvons affirmer alors, que « Charles Ridel », après le congrès de l’UA de novembre 1937, est devenu un propagandiste et un défenseur des positions et du programme des Amis de Durruti en France.

Le numéro 5 de Révision fut publié en juin-juillet 1938 et ne paraîtra plus pendant une année, en raison de la flambée des prix de l’impression, du reflux du mouvement ouvrier français et de la faiblesse du groupe éditeur.

Le 26 janvier, Barcelone tombe aux mains des troupes de Franco. En février, on assista au passage de la frontière française par des centaines de milliers d’exilés espagnols. Parmi eux, il y eut Jaime Balius qui, dans son évasion du camp de concentration de la Tour de Carol, a perdu une valise pleine de documents.

En août 1939, le numéro 6 de Révision publie des textes signés du Groupe franco-espagnol des Amis de Durruti. Le groupe était soutenu par les dissidents du congrès de l’UA et les éditeurs de la revue Révision, qui sympathisaient avec les positions des Amis de Durruti, tout en développant de très vives critiques au mouvement anarchiste officiel. Les militants les plus actifs et importants du groupe dissident étaient Lucien Feuillade et Charles Cortvrint qui comptaient également sur l’appui et la solidarité d’André Prudhommeaux, directeur de L’Espagne nouvelle.

Le numéro 6 de Révision parut avec le surtitre « courrier des camps de concentration » et publia des communiqués signés par le Groupe franco-espagnol des Amis de Durruti. En réalité tout le numéro était consacré à l’Espagne, aux conditions de vie des espagnols exilés dans des camps de concentration et à la manifestation de solidarité et de soutien du groupe éditeur à la défense du programme défendu pendant la guerre par les Amis de Durruti.

La revue se fait l’écho des discriminations du SIA contre les membres des Amis de Durruti, parce qu’ils avaient osé publier dans Le Réveil Syndicaliste un article critique contre les dirigeants anarchistes espagnols.

Les documents signés par le Groupe franco-espagnol (ou aussi : Regroupement franco-espagnol) des Amis de Durruti, sont les suivants :

1.- « L’évolution de la démocratie française » (en français).

2.- « Une nouvelle étape. Nous sommes ceux de toujours » (en espagnol).

3.- « La tragédie espagnole » (en espagnol).

A également été publié dans ce numéro, un « Document provisoire que la Commission des relations des camps de concentration envoya à la Représentation permanente des ex-Cortes républicaines espagnoles », publié en espagnol, qui donne son adhésion au Regroupement des Amis de Durruti ainsi qu’une série de lettres contenant de brèves nouvelles et d’articles rédigés en espagnol, qui apparaissent sans aucune signature.

Le fait le plus important de ce numéro de Révision, daté d’août 1939, est précisément la preuve de la formation du Groupe franco-espagnol des Amis de Durruti, en exil en France, bien que la déclaration de guerre de l’Allemagne, et par conséquent, la mobilisation générale au début du mois de septembre rendit impossible la continuité du Groupe.

De son côté, André Prudhommeaux décida de publier un numéro triple de L’Espagne nouvelle, avec comme sous-titre « L’Espagne indomptée« , en date de juillet-septembre 1939 où apparaissent deux articles de Balius que nous analyserons dans le prochain chapitre. Dans ce numéro de L’Espagne nouvelle certains articles signés par AP (André Prudhommeaux), Ridel, Hem Day, Malander et Ernestan, très proche des positions critiques des Amis de Durruti, sont intéressants.

Est également publié en anglais un article intitulé » The Friends of Durruti accuse » signé du « Groupe franco-espagnol des Amis de Durruti », qui figure dans le numéro de juin-juillet 1939 de Solidarity, organe de l’Anti-Parlamentary Communist Federation (APCF) (11). La publication de l’article des Amis de Durruti est probablement due à Jane Patrick et Ethel MacDonald, qui durant son séjour en Espagne d’octobre 1936 à 1938, a défendu des positions critiques sur le collaborationnisme gouvernemental de la CNT-FAI.

En France et au Royaume-Uni, la guerre d’Espagne a conduit à un renouveau et un développement du mouvement anarchiste, mais également à l’émergence de positions politiques opposées, ils ont évoqué la nécessité de choisir entre le réformisme des collaborationnistes de la direction de la CNT officielle et les critiques révolutionnaires radicales des Amis de Durruti. Nous avons déjà vu qu’en France, cela a signifié l’expulsion du congrès de l’UA du secteur critique formé entre autre par Ridel et Carpentier ; au Royaume-Uni, le processus a abouti à la scission du secteur anarchiste au sein APCF et à la formation de la Glasgow Annarchist-Communist Federation.

Dans les deux pays, André Prudhommeaux (12) a agi en tant que garant et diffuseur des analyses critiques des Amis de Durruti. C’est André Prudhommeaux qui a envoyé des copies de l’Amigo del pueblo à « Chazé » (13), qui l’a traduit et publié dans l’organe du groupe de l’Union Communiste, intitulé L’Internationale (il a également publié des textes de Josep Rebull encourageant la position de la gauche du POUM). C’est probablement, André Prudhommeaux qui a également envoyé les textes des Amis de Durruti à son amie Ethel MacDonald (14) qui ont été publiés dans Solidarity.

Réflexions de Balius en exil en 1939.

Balius publia, en exil, deux articles dans la revue anarchiste française L’Espagne nouvelle (15). Le premier commémore le troisième anniversaire du 19 juillet et le deuxième est consacré à Mai 37.

Les deux articles sont le résultat d’une longue et mûre réflexion de Balius qui les signa en tant que « secrétaire des Amis de Durruti« .

Ces deux articles se détachent par l’exactitude des termes utilisés et par l’accent mis sur les problèmes fondamentaux posés par la révolution espagnole. La pensée de Balius sur la question du pouvoir est donc présenté avec une grande clarté, ainsi que le rôle essentiel de la direction révolutionnaire, la nécessité de détruire l’État et de mettre en œuvre à sa place de nouvelles structures (dans ses précédents écrits, il s’agissait d’une junte révolutionnaire) capables de réprimer les forces contre-révolutionnaires.

Dans l’article intitulé « Juillet 1936 : signification et portée » il critiquait ceux qui affirmaient que les journées de Juillet furent seulement le résultat de la lutte contre le soulèvement militaire et celui des fascistes, à savoir que « sans rébellion militaire il n’y aurait pas eu de mouvement populaire armé. » Balius, au contraire, fait valoir que cette conception a un caractère frontiste et est le résultat de la subordination de la classe ouvrière à la bourgeoisie républicaine qui fut la principale cause de la défaite du prolétariat. Balius nota le rejet par la bourgeoisie républicaine de l’armement des travailleurs pour lutter contre le soulèvement fasciste :

« A Barcelone même nous avons dû subir l’attaque contre le syndicat des Transports par les sbires de la Generalitat qui, quelques heures avant la bataille décisive, continuait de vouloir nous retirer les armes que nous avions prises à bord du Manuel Arnús, et que nous allions utiliser pour lutter contre les fascistes.«

Selon Balius, la victoire n’a été remportée sur l’armée que là où les travailleurs ont affronté les fascistes les armes à la main de façon résolue, et sans aucun pacte d’aucune sorte avec la petite bourgeoisie. Là où, comme à Saragosse, les travailleurs ont hésité ou pactisé, les fascistes ont triomphé.

D’après Balius, ce n’est pas la victoire des forces militaires dans certaines régions d’Espagne qui a constitué le problème le plus important en juillet 1936, mais celui qui s’est posé dans la zone républicaine : qui prend le pouvoir, qui dirige la guerre ? Il y avait seulement deux réponses possibles : la bourgeoisie républicaine ou le prolétariat :

« Mais le problème le plus important se posait dans notre zone. Il s’agissait de décider qui avait vaincu. Étaient-ce les travailleurs ? En ce cas, la direction du pays nous appartenait. Mais, et la petite bourgeoisie ? Là fut l’erreur. »

Balius affirme que la classe ouvrière, malgré tout, aurait du prendre le pouvoir en juillet 36. C’était la seule garantie et la seule chance pour gagner la guerre :

« La CNT et la FAI qui en Catalogne étaient l’âme du mouvement, auraient pu donner au fait accompli de Juillet sa véritable couleur. Qui aurait pu s´y opposer ? Au lieu de cela, nous avons permis au parti communiste (PSUC) de regrouper les arrivistes, la droite bourgeoise, etc. … sur le terrain de la contre-révolution.

Dans de moments pareils, c’est à une organisation de prendre la tête. Une seule était en mesure de le faire : la nôtre. […] Si les travailleurs avaient su être les maîtres de l’Espagne antifasciste, la guerre eut était gagnée, et la révolution n’aurait pas eu à subir dès le début tant de déviations. Nous pouvions triompher. Mais ce que nous avons su gagner avec quatre pistolets, nous l´avons perdu, ayant de pleins arsenaux d’armes. Les coupables de la défaite, il faut les chercher au-delà des assassins à gage du Stalinisme, au-delà des voleurs du type Prieto, au-delà des canailles comme Negrín, et au-delà des réformistes de naguère ; nous avons été les coupables pour ne pas avoir su en finir avec toutes ces canailles […] Mais si tous, solidairement, nous sommes coupables, il en est qui ont une charge particulièrement lourde de responsabilités. Ce sont les dirigeants de la CNT-FAI dont l´attitude réformiste en Juillet, et surtout l´intervention contre-révolutionnaire en Mai 37, ont barré la route à la classe ouvrière et porté le coup mortel à la révolution. «

Balius résolut de cette manière les milles doutes et les objections qui furent soulevées par les dirigeants anarchosyndicalisme en juillet 36 : sur la présence minoritaires des anarchistes en dehors de la Catalogne, sur la nécessité de maintenir l’unité antifasciste et sur les démissions constantes que la guerre imposait à la révolution. Balius a fait valoir que la victoire des anarchistes en Catalogne aurait pu conduire à un rapide écrasement du soulèvement fasciste dans toute l’Espagne, si le prolétariat avait pris le pouvoir. Selon Balius,

l’erreur a été commise en juillet 1936 : ne pas prendre le pouvoir

. Et de cette erreur est née la rapide dégénérescence et les difficultés de la révolution. La montée de la contre-révolution a été rendue possible en raison de cette erreur, qui fut le principal architecte du stalinisme. Mais Balius notait qu’il ne s’agissait pas de charger la responsabilité des staliniens et de la bourgeoisie républicaine, mais aussi celle des dirigeants anarchistes qui ont renoncé à la révolution prolétarienne en faveur de l’unité anti-fasciste, c’est-à-dire la collaboration avec la bourgeoisie, l’État et les institutions capitalistes.

Dans l’article consacré aux événements de Mai à Barcelone, intitulée « Mai 1937 ; date historique pour le prolétariat« , Balius a caractérisé les deux années qui ont suivi Mai 37 comme une simple conséquence des journées révolutionnaires. Selon Balius, Mai 37 n’était pas une protestation, mais une insurrection révolutionnaire et consciente du prolétariat catalan, qui avait alors remporté

une victoire militaire et subi un échec politique

.

L’échec est dû à la trahison des dirigeants anarchistes. Là encore, nous trouvons l’accusation de trahison, qui fut lancé à l’époque de Mai 37 par Les Amis de Durruti, bien que plus tard cette accusation sur L’ami du peuple fut retirée :

« Mais voici que se manifeste la trahison de l’aile réformiste de la CNT-FAI. Répétant la défection commise pendant les journées de Juillet, ils se situent de nouveau aux côtés des démocrates bourgeois. Ils donnent l’ordre de cesser le feu. Le prolétariat résiste à cette consigne et avec une rageuse indignation, passant par dessus les ordres des dirigeants timorés, il continue à défendre ses positions. «

Balius présenta de façon suivante le rôle joué en Mai par Les Amis de Durruti :

« Nous, Les Amis de Durruti, qui nous battions en première ligne, nous prétendions empêcher le désastre qui n’aurait pas manqué de fondre sur le peuple, s’il avait déposé les armes. Nous lui lançâmes la consigne de rouvrir le feu et de ne plus interrompre la lutte sans poser ses conditions. Malheureusement, l’esprit offensif était déjà brisé, et la lutte se trouva liquidée sans avoir atteint ses fins révolutionnaires. »

Balius, avec une grande force expressive, a mis en évidence le paradoxe de la victoire militaire du prolétariat et de sa déroute politique :

« Dans l’histoire de toutes les luttes de caractère social, ce fut la première fois que des vainqueurs se rendirent à des vaincus. Et sans même conserver la moindre garantie que serait respectée l’avant-garde du prolétariat, on procéda à la démolition des barricades : la cité de Barcelone reprit son aspect habituel comme si rien ne s’était passé. »

Balius, a déjà abandonné la phase d’insulte des dirigeants traîtres, qui n’expliquait rien, il analysa les journées de Mai comme le carrefour entre deux voies : soit la renonciation définitive à la révolution soit la prise du pouvoir. Et il expliqua le recul régulier des anarchistes, depuis Juillet, à la désastreuse politique de front populaire et d’alliance avec la bourgeoisie républicaine. Et aussi, comme conséquence du divorce existant au sein de la CNT entre la direction contre-révolutionnaire et sa base révolutionnaire. Mai 37 a échoué parce que les travailleurs n’ont pas trouvé de direction révolutionnaire :

« Le prolétariat se trouvait à un carrefour décisif. Il pouvait seulement choisir entre deux voies : ou se soumettre à la contre-révolution, ou s’apprêter à imposer son propre pouvoir, le pouvoir prolétarien.

Le drame de la classe ouvrière espagnole se caractérise par le divorce le plus absolu entre la base et ses dirigeants. La direction fut toujours contre révolutionnaire. En revanche, les travailleurs espagnols […] ont toujours été bien au-dessus de leurs dirigeants en ce qui concerne la vision des événements et leur interprétation. Si ces héroïques travailleurs avaient trouvé une direction révolutionnaire, ils auraient écrits devant le monde entier une des pages les plus importantes de son histoire. «

Selon Balius en Mai de 37 le prolétariat catalan, AVAIT ENJOINT À LA CNT DE PRENDRE LE POUVOIR :

« Mais l´aspect primordial des événements de Mai, il faut le chercher dans la décision inébranlable du prolétariat de placer une direction ouvrière à la tête de la lutte armée, de l’économie et de toute l’existence du pays. C´est-à-dire – pour tout anarchiste qui n’a pas peur des mots – que le prolétariat luttait pour la prise du pouvoir qui se serait réalisée en détruisant les vieilles armatures bourgeoises et en édifiant, à la place, une nouvelle structure reposant sur les comités apparus en Juillet, et bientôt supprimés par la réaction et les réformistes. «

Dans ces deux articles Balius a soulevé la question fondamentale de la révolution et de la guerre civile espagnole, sans laquelle il est impossible de comprendre ce qui s’est passé : la question du pouvoir. Et en outre, il nommait les organes qui devaient incarner ce pouvoir et, par-dessus tout, il reconnaissait la nécessité de détruire l’appareil de l’État capitaliste pour reconstruire un pouvoir prolétarien à sa place. En outre, Balius indiquait comme échec de la révolution espagnole l’absence de direction révolutionnaire.

Certes, après la lecture de ces deux articles, il faut reconnaître que l’évolution de la pensée politique de Balius, basée sur l’analyse des riches expériences développées au cours de la guerre civile, l’a conduit à poser les questions tabous de l’idéologie anarchiste :

1.- nécessité de la prise du pouvoir par le prolétariat ;

2.- inévitable destruction de l’appareil d’État capitaliste et la construction d’un autre, prolétarien ;

3.- rôle essentiel de la direction révolutionnaire.

Ceci n’exclut pas d’autres aspects de la pensée de Balius, peut-être secondaires, qui ne sont pas abordés dans ces articles et qui restent fidèles à la tradition de l’idéologie anarcho-syndicaliste :

1.- direction de l’économie par les syndicats ;

2.- comités : organes du pouvoir prolétarien ;

3.- municipalisation de l’administration …

Il ne fait aucun doute que Balius, à partir des fondements idéologiques de l’anarcho-syndicalisme espagnol, a fait un énorme effort pour assimiler les expériences brutales de la guerre civile et de la révolution espagnole. Le mérite du Regroupement réside précisément dans cet effort pour comprendre la réalité et assimiler les expériences vivantes du prolétariat espagnol. Il était plus confortable d’être un ministre anarchiste qu’un anarchiste révolutionnaire. Il était plus facile de renoncer à sa propre idéologie, à savoir renoncer aux principes « à un certain moment » pendant les moments de vérité, pour les reprendre lorsque la défaite et l’histoire rendrait les contradictions irrelevantes. Comme l’ont fait Federica Montseny ou Abad de Santillan, parmi beaucoup d’autres. Il est plus facile à défendre l’unité antifasciste, la participation aux tâches de gouvernement d’un État capitaliste, la militarisation pour se soumettre à une guerre menée par la bourgeoisie républicaine que de s’affronter aux contradictions, et affirmer que la CNT doit prendre le pouvoir, que la guerre ne pouvait seulement être gagnée si c’était le prolétariat qui la dirigeait, qu’il était nécessaire de détruire l’État capitaliste, et surtout qu’il était nécessaire que le prolétariat créé les structures de son propre pouvoir, qu’il utiliserait la force pour réprimer la contre révolution, et qu’il était impossible de faire tout cela sans une direction révolutionnaire. QUE CES CONCLUSIONS FURENT OU NON ANARCHISTE, CELA IMPORTAIT PEU A CEUX QUI NE SE DEMANDAIENT PAS SI C’ÉTAIT ANARCHISTE DE SAUVER L’ÉTAT CAPITALISTE.

L’idéologie anarcho-syndicalisme a été soumise de 1936 à 1939 à une série de tests importants sur sa capacité, sa cohérence et sa validité. La pensée de Balius, et celle du Regroupement des Amis de Durruti, furent les seules tentatives théoriques valables (16) d’une groupe anarchiste espagnol pour résoudre les contradictions et l’abandon des principes qui caractérisaient la CNT et la FAI. Si l’effort théorique de Balius et du Regroupement les a amené à adopter certains enseignements jugés comme non-anarcho-syndicalistes, peut-être serait-il nécessaire d’accepter l’échec de l’anarchisme comme théorie révolutionnaire du prolétariat ? Balius et le Regroupement n’ont jamais rien dit sur cela, et ils se sont toujours sentis anarchistes, tout en critiquant la défense du collaborationnisme d’Etat de la CNT. Ils se sont toujours opposés aux tentatives de leur expulsion de la direction cénétiste. Ils éviteront à tout prix de sortir de la CNT.

Nous n’osons pas qualifier cette position de cohérente ou contradictoire. La répression stalinienne qui s’abattit sur tous les révolutionnaires, après des journées de Mai, ne tomba pas sur le regroupement en tant que tel, bien que son local social fut fermé par la police et sa presse éditée clandestinement, car elle s’est généralisée à tous les militants cénétistes révolutionnaires (17). Cela permit, sans doute, d’empêcher une meilleure clarification théorique et la rupture organisationnelle, mais de toute façon nous ne croyons pas qu’elle se serait jamais produite.

Toutefois, nous reconnaissons que notre analyse est plutôt politique, complexe, dérangeante et problématique ; il est beaucoup plus commode, arbitraire, académique et propre à l’historiette ou aux bandes dessinées en usage, de recourir au « deus ex machina » de l’entrisme et de l’influence des trotskistes sur Balius et Les Amis de Durruti. Il est également simple et commode d’accuser les dirigeants d’être des traîtres, et la masse cénétiste de sots incapables de s’opposer à la trahison, « qui explique tout. » Ridel a exposé sa déception dans un article intitulé « Pour repartir » [*] qui résume de façon excellente ses critiques de l’anarchisme officiel et ses positions révolutionnaires.

C’était le début d’une réflexion prometteuse et un fructueux bilan des causes de la défaite des révolutionnaires dans la guerre d’Espagne. Comme Ridel l’a noté dans l’article déjà cité, il ne pouvait pas être fait par les dirigeants qui avaient donné la preuve d’avoir abandonné leurs principes, mais par les combattants de la base. La mobilisation militaire qui a suivi la déclaration de guerre, puis quelques mois après l’invasion nazie de la France, a éparpillé dans le monde entier les exilés sans moyens ni ressources nécessaires pour défendre et procéder au bilan de la défaite. Et, les appareils qui l’ont causé, ne le firent jamais.

Voilà pourquoi les articles publiés Révision ou « L’Espagne indomptée » que ce soient ceux de Jaime Balius, de « Charles Ridel » ou d’André Prudhommeaux, ont tant d’importance. Ce sont les seules ébauches de bilan de la défaite que les anarchistes révolutionnaires ont essayé de réaliser au cours de ces quelques mois écoulés entre la fin de la guerre civile espagnole et le début du deuxième carnage mondial. Personne n’a encore essayé de le compléter (18).

Agustín Guillamón.

Traduction de Michel Roger.

NOTES :

[1] Cet article a été possible grâce à la précieuse collaboration et à l’extraordinaire courtoisie de Phil Casoar qui a découvert et nous a fourni cette documentation pertinente, ainsi que d’excellentes notes biographiques sur Mercier Véga, Feuillade et Carpentier. Cf. Plusieurs auteurs : Présence de Louis Mercier. Atelier de Création Libertaire, Lyon, 1999, en particulier les chapitres de Phil Casoar : « Avec la Colonne Durruti : Ridel dans la révolution espagnole » et Berry, David : « Charles Ridel et la revue Révision (1938-1939) ».

[2] Charles Cortvrint, né à Bruxelles en 1914, milite depuis l’age de16 dans le mouvement anarchiste belge. Installé à Paris, il représente l’UA au congrès d’Orléans en 1933. Ses pseudonymes les plus connus sont Charles Ridel (utilisé en Espagne) et Louis Mercier Véga (qui l’a utilisé en exil au Chili) qui est devenu son surnom le plus connu, avec lequel il a signé plusieurs ouvrages. Il s’est suicidé le 20 novembre 1977 date anniversaire de la mort de Durruti.

[3] Né à Reims en 1904, dans une famille ouvrière. Il a passé son enfance dans le Pas de Calais. Déporté avec son père en Allemagne pour dix ans, a terminé la Grande Guerre a travaillé dans le retrait des réservoirs de remplissage et les tranchées, puis dans les usines textiles, à la mine, au déchargement dans le port de Rouen, et ainsi de suite. A Paris dès 1924 il commença à fréquenter les anarchistes du Le Libertaire. Décédé en 1988.

[4] Voir Le Libertaire n ° 574 et 575 (4 et 11 novembre 1937).

[5] Meeting organisé par l’Union anarchiste le 18 juin 1937 au Vélodrome d’hiver à Paris où Federica Montseny et Juan Garcia Oliver intervinrent. À ce meeting le groupe trotskiste Union communiste a distribué un « manifeste« , tract recueilli et mal compris par César Martinez Lorenzo, dans son livre : il en est fait état comme d’un » Manifeste d’Union Communiste » des Amis de Durruti et du POUM ce qui n’a jamais existé.

[6] Cachin était un éminent dirigeant du PCF et Jouhaux le secrétaire de la CGT.

[7] Il semble vouloir défendre la Junte révolutionnaire proposée par les Amis de Durruti et accepter la mise en place d’une dictature du prolétariat (démocratiques pour les organisations du prolétariat, et ennemis des partis bourgeois et staliniens) ; les comités révolutionnaires qui ont surgi en juillet 1936 ne sont pas pris comme fondement du pouvoir ouvrier, mais d’un gouvernement syndical, conformément à l’idéologie anarcho-syndicalisme.

[8] Là encore nous sommes confrontés à une défense serrée des principes anarcho-syndicalisme. L’alternative proposée au collaborationnisme est un gouvernement syndical, une alliance CNT-UGT, sans tenir compte qu’en 1938, et en particulier en Catalogne, l’UGT n’est qu’une organisation stalinienne. Face à l’affirmation initiale d’un discours en faveur de la dictature du prolétariat (qui est la dictature de la classe contre les organisations contre-révolutionnaire, ce qui n’est pas la dictature d’un parti (stalinien) dictatorial, qui est pleinement démocratique en regard des organisations ouvrières révolutionnaires), on établit maintenant un conflit entre la dictature du prolétariat et l’anarchisme.

[9] Il n’a rien à voir avec René Dumont, auteur de nombreux ouvrages sur l’économie, la démographie, l’écologie et l’agriculture, parmi lesquels L’Utopie ou la mort !

[10] Publiée dans une brochure du regroupement des Amis de Durruti, rédigé par Balius « Vers une nouvelle révolution. » Il s’agit d’un fragment du chapitre intitulé « Notre programme« .

[11] Voir Class war on the home front ! Une brochure de Wildcat, Manchester, 1986 qui reproduit également l’article cité.

[12] Voir la lettre d’André Prudhommeaux à « H. Chazé » [G. Davoust], dans Chazé, H. : Chroniques de la Révolution espagnole. Union communiste (1933-1939), Spartacus, Paris, 1979, p. 116.

[13] Les relations politiques entre André Prudhommeaux et Gaston Davoust, ainsi que l’échange de presse entre leurs groupes respectifs, étaient antérieures au début de la guerre d’Espagne, comme nous l’avons constaté dans la lettre adressée par André Prudhommeaux à Gaston Davoust le 25 mai 1935 et gracieusement mis à notre disposition par Henri Simon.

[14] Sur Ethel McDonals on peut consulter la brochure de Hodgart, Rhona M. : Ethel MacDonald. Glasgow Woman Anarchist. Pirate Press/Kate Sharpley Library, s.l., s.d. (dont Paul Sharkey a aimablement bien voulu nous donner quelques photocopies).

[15] « L’Espagne indomptée. », L’Espagne nouvelle, an III, numéros 67-69, Juillet-Septembre 1939.

[16] Le collaborationnisme a créé un grand malaise dans l’ensemble du mouvement libertaire. Après mai 1937 sont apparus avec El Amigo del Pueblo, plusieurs journaux libertaires clandestins : Alerta, Anarquía, Libertad y Liberación. En Catalogne, il y a eu séparation de fait des Jeunesses Libertaires en deux organisations distinctes. Les procès-verbaux des réunions de la Fédération locale (de Barcelone) des groupes anarchistes montrent que l’opposition aux dénommés « comités supérieurs » était majoritaire et en rupture absolue, mais il n’y eut jamais de concrétisation.

[17] Gerö a impulsé dans le PSUC une politique de répression sélective qui respectait les cénétistes collaborationnistes, tout en poursuivant les anarchistes critiques et révolutionnaires. Voir le rapport de « Pedro » à Moscou, dans « Le NKVD et le SIM à Barcelone. Quelques informations de Gerö sur la guerre d’Espagne. » Balance. Cuadernos de Historia. Cahiers n ° 22 (2001).

[*] Dans l’Espagne indomptée, op. cit. [Note ajoutée à la dernière correction, la version précédente incorporait dans le texte : « , qu’il a publié dans « L’Espagne indomptée« , numéro triple de L’« Espagne Nouvelle » (numéros 67-69 Juillet-Septembre 1939) »]

[18] Une tentative de bilan se trouve dans Guillamon, Agustin : Barricadas en Barcelona. La CNT de la victoria de Julio de 1936 a la necesaria derrota de Mayo de 1937. Ediciones Espartaco Internacional, Barcelona, 2007. Édition française : Barricades à Barcelone, 1936-1937, Spartacus, 2009.


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Re: 1936, une révolution sociale et libertaire en Espagne

Messagede bipbip » 27 Oct 2017, 00:25

1937 : Éducation et émancipation chez les anarchistes espagnols

Avant que la guerre ne dévore la Révolution, l’Espagne marquée du sceau de la CNT-FAI, se propose de changer la vie. Les mœurs d’une société débarrassée des affres du capitalisme voient le jour. Un Espagne nouvelle émerge avec la mise en pratique, à une échelle de masse, des idéaux libertaires.

Barcelone sous l’emprise révolutionnaire est un spectacle étonnant pour tout visiteur étranger. Dans Hommage à la Catalogne, l’Anglais George Orwell se rappelle : «  On était en décembre 1936. Les anarchistes avaient toujours effectivement la main haute sur la Catalogne et la révolution battait son plein. Pour qui arrivait alors directement d’Angle­terre, l’aspect saisissant de Barcelone dépassait toute attente. C’était la première fois dans ma vie que je me trouvais dans une ville où la classe ouvrière avait pris le dessus. Tout magasin, tout café portait une inscription vous informant de sa collectivisation ; jusqu’aux caisses de cireurs de chaussures qui avaient été collectivisées et peintes en rouge et noir  ! Les garçons de café, les vendeurs, vous regardaient bien en face et se comportaient avec vous en égaux. Les tournures de phrases serviles ou tout simplement cérémonieuses avaient tout simplement disparu. Personne ne disait plus " Señor " ou " don ", ni même " usted "  : tout le monde se tutoyait, on s’appelait " camarade " et l’on disait " salud " au lieu de " buenos dias ". [...] Et le plus étrange de tout, c’était l’aspect de la foule. À en croire les apparences dans cette ville les classes riches n’existaient plus. À l’exception d’un petit nombre de femmes et d’étrangers, on ne voyait plus de gens " bien mis ". Presque tout le monde portait des vêtements de prolétaires ou une salopette bleue. Tout cela était étrange et émouvant.  »

«  Éducation, pain et tendresse  »

Tandis qu’une identité nouvelle, des réflexes sociaux nouveaux apparaissent, les libertaires s’attellent à imprimer leur empreinte dans un domaine précis  : l’éducation et la culture populaire. La culture était, jusqu’alors, le monopole de la bourgeoisie et de l’aristocratie encadrées par une église traditionaliste. Le 19 juillet 1936 fait descendre la culture dans la rue. Des cours d’alphabétisation sont mis en place à destination des adultes. Des bibliothèques sont créées à l’initiative des Jeunesses libertaires (JJLL) dans de nombreuses localités. Leurs lieux  : d’anciennes églises transformées en Maisons de la culture.

Cependant le domaine, où les révolutionnaires interviennent avec le plus de dynamisme est l’éducation qu’ils s’attachent à soustraire de l’influence de l’Église. Pour cela, ils s’appuient sur les écrits et pratiques du pédagogue anarchiste Francisco Ferrer, qui en de nombreux points annonce ce que seront plus tard les conceptions éducatives alternatives et antiautoritaires d’un Célestin Freinet ou encore d’une Maria Montessori.

Un syndicaliste révolutionnaire français rapporte, non sans humour, de la visite d’une école d’une petite ville de Catalogne, les faits suivants  : «  Dans ce qui fut un couvent de sœurs avant la révolution est maintenant aménagée une école. Ce couvent était un immeuble superbe. Les sœurs avaient même fait aménagé une salle de sport. C’est d’ailleurs la première fois que j’ai su que les religieuses s’adonnaient aux jeux sportifs et entretiennent leurs muscles pour rester dans une forme agréable, en dignes épouses du Christ. Cette salle ne subira pas de transformation, ce sont maintenant les enfants du peuple qui feront du sport. La chapelle, par exemple, sera transformée en imprimerie qui sera utilisée par les enfants de l’école. Une autre salle pour le cinéma  : l’éducation par l’image, car le syndicat du cinéma va faire des films pour les enfants d’école. Le salon fera également une très belle bibliothèque. Les classes mixtes n’existaient pas avant la révolution. La nouvelle école a actuellement 550 élèves. Le catalan est appris aux enfants jusqu’à l’âge de 10 ans, après est appris le castillan. La nouvelle pédagogie rationaliste commence à être appliquée. Ferrer fut assassiné, mais il commence à survivre de façon intense en Espagne.  » [1]

Une révolution pédagogique

Grégory Chambat, dans son ouvrage Pédagogie et révolution, questions de classe et relectures pédagogiques, montre que le souci pédagogique est bel et bien rivé au corps des libertaires  : «  Lorsqu’éclate la révolution, fort de ses réflexions et surtout de ses pratiques, le mouvement sait où il veut aller en matière de pédagogie. Dans ce domaine comme dans bien d’autres, il n’a pas attendu le  "grand soir " pour expérimenter, tâtonner, analyser… Outre les Athénées, bouillonnants foyers d’agitation culturelle, des syndicats ont animé des cours du soir et même monté leur propre école. En dépit des années de féroce répression (saccage, pillage, emprisonnement des animateurs de ces écoles libertaires et syndicales), rien n’est parvenu à éteindre la flamme et la passion du mouvement pour les questions pédagogiques.  »

Une passion rendue nécessaire, aussi, par la réalité  : la situation de l’Espagne de ces années 1930 est catastrophique, avec un taux d’analphabétisme de 52 % et 60 % des enfants qui ne sont pas scolarisés. Mais l’ambition ne se limite pas à scolariser les enfants ou à construire des écoles. À côté de l’œuvre éducative, une révolution pédagogique prend forme. En opposition à l’éducation d’hier, «  l’école nouvelle  » entend mettre à bas toutes les tares de l’école traditionnelle  : «  Les internats, les maisons de correction et les casernes scolaires disparaissent  ; l’idée d’éducation se substitue à celle du châtiment. L’école nouvelle est l’expression d’un idéal social et d’une pédagogie détachée des traditions autoritaires  ». Le programme scolaire se décline en une finalité  : «  Que tous les enfants aient du pain, de la tendresse et de l’instruction dans la plus absolue condition d’égalité et que soit assuré le libre développement de leur personnalité.  » [2]

Les méthodes d’enseignement sont quant à elles questionnées, afin de développer l’esprit critique des élèves  : «  L’école doit placer l’enfant dans une ambiance telle que l’exercice d’impulsions antisociales soit rendu impossible, non par la contrainte et la violence, mais par la solidarité, la sincérité, le travail, l’amour et la liberté caractéristiques du milieu physique et humain qui l’entoure […] L’école nouvelle respecte la personnalité de l’enfant. Nous croyons que toutes les méthodes doivent être éprouvées, en optant toujours pour celle qui convient le plus selon les caractéristiques locales, la nature et le caractère de chaque enfant, etc. Il est évident qu’il ne suffit pas de changer le nom de l’école : il faut changer son esprit, sa morale, ses méthodes.  » [3]

Au niveau des mentalités, aussi, un vent nouveau souffle. Malgré l’égalité entre les sexes prônée par la CNT-FAI, il est patent que les femmes ont besoin d’une organisation spécifique afin d’être mieux entendues et plus spécifiquement défendues. En 1934, le Grupo Cultural Femenino (Groupe culturel des femmes), voit le jour et se développe avec le soutien des femmes de la revue Mujeres Libres. Ces groupes sont à l’origine de l’organisation des «  Femmes libres  »  : les Mujeres Libres (ML), créée en avril 1936. Les ML mènent une lutte sur deux fronts  : pour la révolution sociale, et pour la libération des femmes. Elles regroupent, à leur apogée, près de 30 000 femmes en 1938. La revue Mujeres Libres écrit  : «  La meilleure mère n’est pas celle qui serre l’enfant contre son sein, mais celle qui aide à forger pour lui un monde nouveau.  » [4]

Les « femmes libres » contre la prostitution

Le combat des ML est multiple. Ses militantes s’investissent pleinement dans le travail à l’usine ou dans les champs, dans des projets éducatifs et culturels divers. On les retrouve aussi sur le front, fusil à la main, aux côtés de leurs camarades hommes. Le rôle des ML, néanmoins, prend tout son sens dans des combats spécifiques qui entendent libérer, enfin, les femmes de leurs chaînes  : le droit à la contraception et à l’avortement, la remise en cause du mariage en tant qu’institution de cette société patriarcale contre laquelle elles luttent avec acharnement.

Un autre combat des ML a trait au cas particulier de la prostitution  : «  L’entreprise la plus urgente à mener dans la nouvelle structure sociale c’est de supprimer la prostitution. Dès maintenant, encore en pleine lutte antifasciste et avant de nous occuper de l’économie ou de l’enseignement, nous devons en finir radicalement avec cette dégradation sociale. Tant que reste sur pied le plus grand des esclaves, celui qui interdit toute vie digne, nous ne pouvons penser à la production, au travail, à aucune sorte de justice. Que l’on reconnaisse la décence à aucune femme tant que nous ne pourrons pas nous l’attribuer à toutes. Tant qu’il existera une prostituée, il n’y aura pas d’épouse d’un tel, de sœur de tel, de compagne de tel. [...] Il faut finir avec cela rapidement. Et cela ce doit être l’Espagne qui donne au monde sa nouvelle norme. Nous devrons toutes, nous les femmes espagnoles, entreprendre cette tâche libératrice. Il faut faire maintenant ce que ne firent jamais des associations féminines qui prétendirent émanciper la femme en formant quelques dactylographes et en organisant quelques conférences agréables, quelques récitals d’élégants poètes et poétesses. Dans certaines localités que nous avons visité récemment on nous a présenté, comme une grande mesure le fait qu’on y aurait "supprimé" la prostitution. A notre demande pour savoir comment et qu’est ce que l’on a fait des femmes qui la pratiquaient, il nous fut répondu  : " C’est leur affaire ". De cette façon, supprimer la prostitution est très simple  : cela se résume à laisser des femmes dans la rue, sans aucun moyen de vivre. Mujeres Libres est en train de créer des centres libératoires de la prostitution qui commenceront à fonctionner à brève échéance. Pour ce faire des locaux sont prévus dans diverses provinces et là se déroulera le programme suivant :

1. Recherche et traitement médico-psychiatriques 2. Traitement psychologique et éthique pour encourager chez les prostituées un sentiment de responsabilité. 3. Orientation et formation professionnelle. 4. Aide morale et matérielle chaque fois que cela leur sera nécessaire, même après être devenues indépendantes des centres.  » [5]

Libérer les femmes et les hommes, de leurs chaînes et des mœurs d’une société capitaliste et patriarcale. Libérer les enfants de l’autoritarisme de l’école. Une vraie utopie en action qui, hélas, sera freinée avec l’avancée de la contre-révolution du fait des républicains modérés et des staliniens dès 1937. Une utopie en action qui prendra fin définitivement, en mars 1939, quand les bottes des troupes de Franco entreront dans Barcelone.

Jérémie Berthuin (AL Gard)


Les guerilleros du cinéma


Le Syndicat unique des spectacles publics (SUEP) de la CNT, dès juillet 1936, collectivise l’industrie du cinéma  : «  Avec les premières forces de guérilleros révolutionnaires, marchaient aussi, sous le signe libertaire, les premiers guérilleros du cinéma  » dira Richard Prost, dans le film documentaire Un cinéma sous influence. Unique dans l’histoire du cinéma, cette expérience a permis des expressions diversifiées, militantes, surréalistes, classiques, surprenantes, transgressant tabous et convenances sociales. La CNT-SUEP a, en 1936 et 1937, produit et réalisé des films documentaires, des reportages sur le front, mais aussi des fictions ancrées dans la réalité de l’époque (pas moins de deux cents documentaires et huit fictions). Nosotros somos asi, Aurora de esperanza, Nuestro culpable, Barrios Bajos sont des films tout à la fois critiques de la société capitaliste et destinés à un très large public.

Néanmoins, dès l’été 1937, la production anarcho-syndicaliste diminue, les communistes mettant fin aux collectivisations, dont celle de l’industrie cinématographique. Le cinéma devient plus didactique, la production concerne essentiellement les documentaires et les actualités.

La victoire franquiste marquera la fin de l’élan novateur de la production cinématographique espagnole.


[1] Le Combat syndicaliste n°192, 22 janvier 1937.

[2] Juan Puig Elias dans L’Espagne antifasciste, 26 août 1936.

[3] Ibidem

[4] Mary Nash, Femmes Libres, Espagne 1936-1939, Éditions La pensée sauvage, 1977.

[5] Ibidem

http://www.alternativelibertaire.org/?1 ... -espagnols
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Re: 1936, une révolution sociale et libertaire en Espagne

Messagede Pïérô » 03 Nov 2017, 12:45

Les Giménologues à Angers le 7 novembre 2017

La librairie Les Nuits Bleues organise une conférence mardi 7 novembre à 20h :

Espagne 1936 : les milices anarchistes et les volontaires internationaux

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« Après le coup d’État militaire des 17 et 18 juillet 1936 contre le gouvernement républicain, les milices anarcho-syndicalistes et anarchistes de la Confédération nationale du travail et de la Fédération anarchiste ibérique jouent un rôle déterminant dans la défense de la République durant les premiers mois de la guerre civile. Elles prennent également une part active à la Révolution sociale espagnole de 1936. Dans ces milices, les volontaires refusent l’uniforme, le salut militaire et autres marques de respect à la hiérarchie. Les officiers, élus, pouvaient se succéder rapidement à la tête d’un groupe et les hommes s’estiment en droit de discuter les ordres et de ne les appliquer que s’ils sont d’accord. Des volontaires internationaux vont rejoindre les milices anarchistes : c’est leur histoire qui sera abordée par les Giménologues lors de cette conférence. »

Les Nuits Bleues

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Re: 1936, une révolution sociale et libertaire en Espagne

Messagede Pïérô » 25 Nov 2017, 21:10

L’anticapitalisme des anarchistes et anarcho-syndicalistes espagnols des années trente

Quand le 21 juillet 1936 à Barcelone, une bonne partie des leaders anarchistes estima que la situation n’était pas favorable à l’application immédiate du communisme libertaire, l’argument des « circonstances » fut constamment invoqué : toute l’Espagne n’était pas libérée des troupes factieuses ; il ne fallait pas effaroucher les démocraties qui pourraient aider la république espagnole ; il fallait avant tout reprendre Saragosse, etc.

Mais la base déjà organisée en comités de quartier et de défense prenait possession de la ville sans attendre la moindre consigne, et mettait en branle le réseau de ravitaillement, l’amélioration des conditions d’existence, l’expropriation des usines et ateliers etc. De la même manière dans les localités rurales, l’appropriation des terres des grands propriétaires suivit logiquement la victoire contre les militaires factieux. Tout ceci représentait la phase préliminaire évidente d’une socialisation prônée par la CNT au congrès de Saragosse en mai 1936.

Comme le rappelle Edouard Waintrop dans son livre récent [1], « dans ce contexte surgirent de nouveau les différences de conceptions qui coexistaient depuis toujours à l’intérieur de la CNT, aussi bien sur la façon d’organiser le combat contre le capitalisme et l’État que sur la construction de la société de l’avenir égalitaire. »

Au fil des semaines, la création et l’activité du Comité Central des Milices Antifascistes ne masquait pas vraiment la reculade révolutionnaire en cours : l’État ne serait pas aboli, les anarchistes allaient y entrer comme ministres ; le communisme libertaire n’était toujours pas à l’ordre du jour, et dans les usines plus ou moins collectivisées, le contrôle ouvrier se transformait en contrôle des ouvriers.

Si une partie de la militancia anarchiste se sentait trahie par une CNT de plus en plus verticalisée, pour la grande masse des affiliés qui combattait dans les milices ou qui travaillait en usine, le prestige et la confiance attachés aux militants valeureux et appréciés rendirent sans doute encore plus opaque la lecture de la stratégie circonstantialiste, et plus difficile sa critique, d’autant plus que ceux qui défendaient le maintien de l’État et la collaboration de classes recouraient toujours à la phraséologie révolutionnaire.

En se plongeant dans le matériau du livre de Michael Seidman [2], une constatation d’importance permet de mieux comprendre cette apparente contradiction : pour le courant anarcho-syndicaliste devenu majoritaire au sein du mouvement libertaire après 1933 [3], faire la révolution revenait à adapter l’anarchisme aux exigences de la société industrielle, en lieu et place de la bourgeoisie considérée comme incapable. C’est donc bien avant juillet 1936 que le projet de communisme libertaire fut revisité, et non pas seulement après, en fonction des circonstances engendrées par la guerre civile. Une partie du malaise de la base que la CNT prétendait représenter s’exprima sans doute dans les innombrables refus des ouvriers de travailler dans les usines barcelonaises collectivisées.

Dans l’appareil critique et dans la postface des Fils de la nuit, nous avions abordé quelques conflits internes importants apparus au sein du mouvement libertaire en 1936 et 1937. Nous sommes aussi remontés jusqu’aux fondamentaux de l’anticapitalisme des anarchistes espagnols de l’époque, dont celui de vouloir abolir l’argent en sauvant l’honneur du travail, ce qui a fortement déplu à certains



Première partie : http://gimenologues.org/spip.php?article548
Deuxième partie : http://gimenologues.org/spip.php?article549
Troisème partie : http://gimenologues.org/spip.php?article550
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Re: 1936, une révolution sociale et libertaire en Espagne

Messagede Pïérô » 24 Déc 2017, 17:02

Mort de Durruti : une hypothèse sensée

Cet article placé sur le Le blog de Alexandre ANIZY il y a un an nous avait échappé. Nous le reproduisons aujourd’hui, 81 ans après la disparition de Buenaventura. Car le temps ne fait rien à l’affaire : on ne baissera la garde sur cet événement, ses tenants et ses aboutissants. [1]

Les Giménologues, 20 novembre

Dans deux jours, il y aura 80 ans, mourait Buenaventura Durruti. Après les versions du tireur franquiste dans une zone sans combat, de l’accident grotesque causé par Durruti lui-même, etc. les Giménologues présentent une hypothèse sérieuse : l’assassinat.

Dans un livre touchant, le marginal révolté qui se croyait anarchiste en 1936, Antoine Gimenez, a raconté sa guerre d’Espagne au sein du Groupe international de la colonne Durruti, un Groupe formé avant les Brigades internationales par les Français Berthomieu, Ridel et Carpentier. Il l’a écrit en 1974-76 et, comme aucun éditeur n’en voulut, le manuscrit fut déposé au Centre international de recherches sur l’anarchisme de Marseille [2]. C’est là [3] que des "doux dingues embéguinés de Gimenez" décidèrent de le publier après avoir accompli un travail de recherche et d’identification des membres de ce Groupe de francs-tireurs appelés à cette époque hijos de la noche. Les éditions Libertalia viennent d’en faire un coffret (les Souvenirs + les Notes issues de la recherche + un CD) à un prix modique (22 €).

La guerre de l’italien Antoine Gimenez (son premier nom est Bruno Salvadori) sur le front d’Aragon n’a rien à voir avec la guerre industrielle de 14-18 telle que Maurice Genevoix la raconte avec brio dans Ceux de 14 , puisqu’elle est tout en mobilité et en dénuement (les troupes républicaines et en particulier celles des anarchistes n’ont jamais eu les armes nécessaires, ni en quantité ni en qualité), et parce qu’elle s’insère dans le cadre révolutionnaire des combattants : là où Gimenez lutte, se joue aussi un changement d’organisation sociale, et le milicien y apporte sa modeste contribution. Mais parce qu’il a décidé d’écrire sa vie quotidienne, y compris ses aventures sexuelles, parce que son récit n’est pas un chapelet de considérations politiques, de discours théoriques, Gimenez intéresse tout lecteur qui se penche sur son ouvrage, comme l’ont fait les Giménologues.

Cette publication atypique retint notre attention en tant que témoignage personnel et historiquement validé au coeur de la colonne Durruti : Gimenez allait donc compléter nos connaissances sur l’illustre combattant anarchiste. Nous n’avons été déçu ni sur le récit, ni sur le minutieux travail de recherche.


Ici, nous retenons simplement un point capital. Dans le livre remarquable de Hans Magnus Enzensberger publié en 1972 et titré Le bref été de l’anarchie , qui fit l’objet ici-même d’une note,
http://www.alexandreanizy.com/article-l ... 72642.html
si les différentes hypothèses relatives à la mort de Durruti le 20 novembre 1936 sont bien présentées et discutées, nous n’étions pas convaincus par celle que privilégiait l’auteur : la mort accidentelle.

Aujourd’hui, en lisant le travail d’investigation des Giménologues sur ce sujet (nous ne reprendrons pas ici : les témoignages recoupés, l’observation balistique, la description de la veste que portait Durruti, etc.), nous pensons que l’hypothèse communiste qu’ils présentent est la plus probable. Nous vous la donnons sommairement ci-dessous.

« Les pistes les plus sérieuses semblent donc mener à Manzana [NdAA : l’homme de confiance de Durruti, à ses côtés au moment fatidique]. Mais les questions surgissent alors : pourquoi aurait-il agi ainsi, et pour le compte de qui ? (...) Garcia Oliver, dans ses Mémoires, affirme que Largo Caballero accepta, au cours d’une réunion du Conseil supérieur de guerre tenue le 14 novembre, et sur sa proposition, de nommer Durruti à la tête de la Junte de défense de Madrid en remplacement de Miaja (avec pour condition, imposée par Caballero, de garder cette décision secrète pendant 8 jours). Si l’on accepte de croire Garcia Oliver sur ce point (...), on peut se demander si cet accord n’aurait pas fonctionné comme un piège mortel pour Durruti : Miaja, qui était assez fier de sa position et se prenait un peu pour le sauveur de l’Espagne (c’était la raison pour laquelle Caballero voulait le destituer et lui cherchait un remplaçant), n’allait certainement pas se laisser débarquer facilement. On pouvait donc ainsi lui laisser l’initiative, c’est à dire en l’occurrence décider quand et comment se débarrasser de Durruti. Pourquoi ne pas penser alors que Manzana aurait pu obéir à ses supérieurs, le général Miaja et le lieutenant-colonel Rojo , en bon soldat qu’il était (il faut savoir qu’il avait combattu dans le Rif, qu’il avait été plusieurs fois médaillé et que tous ses états de service dans l’armée étaient élogieux [NdAA : Manzana n’a rien du profil anarchiste] ) ? On a déjà émis l’hypothèse qu’il avait obéi à ses supérieurs militaires franquistes, mais a-t-on pensé qu’il a pu obéir à ses supérieurs du camp loyaliste ? Cette hypothèse devrait alors être comprise comme une variante de la piste communiste, qui eut toutes les faveurs auprès des miliciens, puisque aussi bien il était clair à ce moment que Miaja et Rojo étaient en grande partie contrôlés par les communistes et les agents soviétiques, qui profiteront bientôt à outrance de cet ascendant pour placer leurs hommes aux postes clés de l’armée en voie de reconstruction. Si l’on ajoute à cela le fait que Miaja et Rojo étaient membres, avant le 19 juillet 1936, de l’UME (Unión Militar Española) - une organisation secrète au sein de l’armée dont le but était de « dresser le moment venu une barrière capable de sauver l’Espagne du joug communiste » -, et que les communistes le savaient, ce qui constituait pour eux un excellent moyen de pression, on comprend à quel point il était vital pour eux de ne pas laisser entrer le loup Durruti dans la bergerie républicaine. » (dans p.571 à 573)

Monté par le NKVD, ce coup serait suffisamment tordu pour être plausible.

Plongez dans le récit d’Antoine Gimenez dans la colonne Durruti, picorez dans les notes biographiques et autres rédigées par les Giménologues : ce sera une découverte.

Alexandre Anizy

https://blogs.mediapart.fr/alexandre-an ... se-sensee/


Notes :

[1] Voir nos articles précédents : article 612, article 644 , http://gimenologues.org/spip.php?article769, et un extrait de notre note sur la mort de Durruti ici : https://www.contretemps.eu/mort-durruti-espagne/

[2] Il n’y a aucun lien de causalité entre le fait qu’aucun éditeur n’en voulut et le dépôt au CIRA après la mort d’Antoine, d’une copie de son manuscrit-tapuscrit. Cest probablement Pépita Carpena, qui s’occupait du secteur espagnol et à qui un exemplaire avait été donné, qui l’a archivé. Note des giménologues

[3] Les giménologues n’ont pas découvert les Souvenirs d’Antoine au CIRA. Quand un groupe d’amis a entrepris vers 1996 la retranscription du texte en vue d’une édition, d’eux d’entre eux avaient déjà des exemplaires depuis 1982.
Voir la notice publiée sur le site gimenologues.org : "Qui sommes nous ? Une brève présentation des « giménologues »." http://www.gimenologues.org/spip.php?article762. Note des giménologues


http://gimenologues.org/spip.php?article772&lang=fr
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