Daniel Guérin, parcours vers le communisme libertaire

Daniel Guérin, parcours vers le communisme libertaire

Messagede bipbip » 15 Sep 2015, 01:24

Daniel Guérin, parcours vers le communisme libertaire
Un long parcours vers le communisme libertaire

par Georges Fontenis

Il n’est peut-être pas d’autre exemple, dans le monde politique, d’une vie aussi complexe et foisonnante que celle de notre Daniel Guérin.

Que l’on ne s’attende pas à un panégyrique mais à une relation difficile d’une aventure tumultueuse, non exempte de contradictions, de reculs et retours en arrière se combinant avec des avancées hasardeuses parfois. Une vie exceptionnelle se construisant autour de ce qu’il a appelé lui-même la "recherche" du communisme libertaire.

Nous serons amenés à faire passer au second plan un certain nombre d’aspects de la personnalité et du trajet de Daniel Guérin pour nous en tenir essentiellement au parcours politique.

La rupture

Fils de la bourgeoisie libérale parisienne, lycéen difficile et étudiant occasionnel au temps de la Première Guerre mondiale, Daniel Guérin se sent d’abord et surtout poète. Il sera accueilli avec faveur par les "grands", les Barrès, Colette, Mauriac. Il se lie avec ce dernier et fréquente les salons littéraires.

Mais, dans le même temps, il est séduit par la Révolution russe, prend contact avec les Jeunesses communistes, lit avec passion "Le Manifeste communiste".

Il prend donc ses distances avec le milieu familial tout en conservant des relations, notamment avec son père. Il trouvera d’ailleurs, beaucoup plus tard, en 1929, au Liban, une situation commerciale au service du clan Hachette lié à la famille.

En 1923, il voyage en Italie, en Grèce en 1924. Puis il accomplit son service militaire comme sous-lieutenant d’infanterie à Strasbourg. Il voyage. Mais sa rupture politique avec son milieu d’origine est consommée en 1927 quand il se lie avec les opposants de la SFIO, Zyromski et Marceau Pivert, de la tendance "Bataille socialiste".

Il s’immerge dans la marée populaire parisienne qui déferle après l’exécution des anarchistes Sacco et Vanzetti.

En 1929, après les séjours au Liban et à Djibouti, il part pour l’Extrême-Orient. Les longues traversées lui laissent le loisir de lectures qui vont expliquer en partie son cheminement (il lit Sorel, Marx, Proudhon, Pelloutier, les œuvres complètes de Bakounine).

Ses voyages lui offrent l’occasion de se lier avec les milieux de lutte anticolonialiste. Il est fasciné par le monde arabe et par les peuples indochinois.

Une série d’autres occasions vont influencer définitivement sa maturation politique. Il rencontre ainsi le syndicalisme révolutionnaire, d’abord à Brest où il fait un court séjour dans le bâtiment puis à Paris où il se lie avec Monatte et Maurice Chambelland et il va collaborer à "La Révolution prolétarienne".

Grâce à Monatte, il devient correcteur d’imprimerie en 1932 (il adhère au Syndicat des Correcteurs, de la CGT, auquel il restera affilié jusqu’à sa mort).

Mais, pour autant, Daniel Guérin ne se sent pas encore conquis par l’anarchisme. Il rencontre Léon Blum et adhère à la section du XXe arrondissement de Paris de la SFIO, tout en conservant une certaine fascination pour le Parti communiste, SFIC. La section socialiste du XXe est très à la gauche du parti mais celui-ci, dans son ensemble, plonge dans l’électoralisme. Il le quitte en 1931. C’est dans cette même période qu’il voit échouer avec tristesse des tentatives de réunification syndicale.

Les premiers écrits : l’antifascisme

Dès 1930, à son retour d’Indochine, il a écrit une série d’articles dans "Monde" de Barbusse. Il écrit dans les revues syndicalistes révolutionnaires.

En 31, il a rencontré Gandhi. Il reprend ses voyages, parcourt l’Allemagne, y connaît le mouvement des Auberges de jeunesse. Nous sommes en 1932. Il rend compte de son périple dans "Monde", "La Révolution prolétarienne", "Regards", "Le Populaire" et écrit "La Peste brune", qui sera édité et connaîtra un réel succès.

Il retourne en Allemagne en 1933 (Hitler est devenu chancelier) et visite l’Autriche.

La même année, il rencontre Trotsky chez Pierre Naville, se passionne pour le luxembourgisme et collabore aux revues qui représentent cette option particulière de la social-démocratie révolutionnaire, les revues "Combat marxiste", "Masses", "Spartacus". Il appuie la création des "Cahiers Spartacus" en 1935. Il est un des fondateurs du CLAJ (Centre laïque des auberges de jeunesse).

Il vit douloureusement les émeutes des Ligues fascistes en France en février 34 et adhère au mouvement des intellectuels antifascistes, le Comité "Amsterdam-Pleyel".

C’est au cours de la même année qu’il fait la connaissance du dirigeant de l’Étoile Nord-Africaine, Messali Hadj. Il retourne en Autriche, épouse Marie Förtwangler qui l’accompagnera jusque dans le Mouvement communiste libertaire dans les années 70.

Signature du pacte Laval-Staline en 1935. Le PC abandonne la lutte antimilitariste et se rallie à l’Union sacrée. Daniel Guérin défend, avec Marceau Pivert, la thèse du "pacifisme révolutionnaire" opposée à la fois au ralliement du PC à la défense nationale et au pacifisme "intégral" qui rallie bon nombre de socialistes et d’anarchistes, préférant même la soumission au fascisme au risque de la lutte armée.

Nous sommes en 1935. Daniel réintègre la SFIO (section des Lilas) et participe à la direction de la tendance GR (Gauche révolutionnaire).

Rencontres avec les anarchistes

Jusqu’alors, à part l’épisode Sacco et Vanzetti et la rencontre avec quelques militants libertaires dans le cadre de La Révolution prolétarienne, Daniel Guérin n’a qu’une connaissance livresque des thèses anarchistes et n’est guère attiré par la presse anarchiste et par l’état assez embryonnaire de l’organisation en France.

Mais l’année 1936 va jouer un grand rôle : il sait que, derrière le succès du Front populaire en Espagne, il y a l’énorme influence d’un mouvement anarcho-syndicaliste organisé, la CNT. Il s’intéresse à son congrès de Saragosse dont il dénoncera plus tard les insuffisances affligeantes. En France aussi, le Front populaire triomphe. Le mouvement de grèves de juin 36 le transporte d’enthousiasme. Il sait que les militants anarchistes ont été, en bien des usines, à l’avant-garde. Aux Lilas, il participe à la création d’un "Comité de propagande et d’action syndicale" où se retrouvent ses camarades de la section socialiste mais aussi des militants de l’UA (Union anarchiste) et de la JAC (Jeunesse anarchiste communiste).

Les événements d’Espagne l’interrogent. Il admire la riposte populaire, notamment à Barcelone, à la rébellion fasciste, il sait la part qu’y ont prise les anarchistes. Il a écrit à Angel Pestaña, un des leaders de la CNT, pour souligner l’importance de la décolonisation au Maroc.
Il condamne la "non-intervention" à laquelle Blum s’est rallié.
Par ailleurs, il s’oppose aux procès de Moscou et dénonce "les staliniens".

Le passage de Daniel Guérin dans le camp anarchiste est-il proche ? Cela attendra encore plus de 30 ans.

Il est très préoccupé par la poursuite de son combat anticolonialiste, il rencontre Habib Bourguiba. Il va aussi s’investir dans la publication d’une œuvre majeure Fascisme et grand capital. Et puis, il lutte au sein de la SFIO. La "Gauche révolutionnaire" va être dissoute. Ce sera bientôt la création du PSOP (Parti socialiste ouvrier et paysan) et son rapprochement avec la fraction trotskiste contre l’influence plus social-démocrate de Marceau Pivert.

En réalité, à cette époque, Daniel Guérin nourrit encore beaucoup d’illusions sur la gauche et l’extrême gauche. La période de la Seconde Guerre est, à ce propos, éclairante.

A la déclaration de guerre, il va à Bruxelles, en Hollande, puis en Norvège, mandaté par le parti trotskiste français et, malgré ses réticences, adhère à la IVe Internationale. Pris par la Wehrmacht en Norvège, interné en Allemagne puis libéré pour raisons de santé, il collabore à son retour en France à la rédaction du journal trotskiste clandestin "La Vérité".

La fin de la période trotskyste

En 1946, il publie un ouvrage qui est le fruit d’années de recherches : "la Lutte des classes sous la Première république", ouvrage qu’il considérera (lettre à Marceau Pivert) comme une "introduction" à une synthèse de l’anarchisme et du marxisme.

Est-il détaché du trotskisme ? Le temps n’est pas encore venu. C’est après son long séjour en Amérique, jusqu’en 49, qu’il mesure les faiblesses et ambiguïtés des groupes trotskistes et qu’il va vraiment se séparer de son attachement à la IVe Internationale. Encore restera-t-il lié par amitié avec beaucoup de ses militants et gardera-t-il jusque dans ses dernières années un grand respect pour Trotsky. Sans pour autant dissimuler ses désaccords.

De son séjour aux États-Unis sortira le livre "Où va le peuple américain ? ".

Vers le marxisme libertaire et le communisme libertaire.

Le service de librairie du Libertaire (puis de la FCL après 53) accorde une place importante aux ouvrages de Daniel Guérin qui vient les dédicacer lors des "galas" annuels du Libertaire. C’est une occasion pour lui de rencontrer et fréquenter les militants les plus connus, de passer de temps à autre dans les locaux du 145 quai de Valmy puis du 79 rue Saint-Denis. Il se manifeste comme un sympathisant actif, il participe aux discussions.

La lutte des communistes libertaires contre la guerre d’Indochine le rapproche plus encore des militants. Mais c’est le déclenchement de la guerre d’Algérie qui va être décisif. Aux côtés du Libertaire et de la FCL, dès novembre 54, il se solidarise, condamne le jeu de Mitterrand, est à l’origine de la création du Comité pour la libération de notre emprisonné Pierre Morain. Il nous facilite les liaisons avec les militants algériens et c’est sur son insistance que nous pourrons rencontrer Messali Hadj en dépit des manœuvres du parti trotskiste de Lambert.

La période de clandestinité de la FCL à partir de l’été 56 n’interrompt pas les relations qui, toutefois, deviennent plus épisodiques, mais reprennent plus de consistance alors que nous nous préparons à la montée des luttes précédant mai 68.

Entre-temps, craignant de s’isoler - et répondant toujours à son besoin d’action et d’enthousiasme - Daniel Guérin est retourné au militantisme de gauche en adhérant à la "Nouvelle gauche" puis, pour un temps très court, au PSU.

La "tempête" de 68 nous fait nous retrouver pleinement. Entre-temps, il s’est intéressé aux Antilles, a publié Kinsey et la sexualité et, en 1959, un ouvrage décisif Jeunesse du socialisme libertaire qu’il m’adresse sous une dédicace éclairante : recherche pour "une nécessaire synthèse". C’est capital car son combat sur ce plan rejoint la préoccupation de la FCL qui, depuis les années 50 (c’était encore la FA), avait voulu cet effort de synthèse en dégageant les apports fondamentaux de Marx du fatras absurde et équivoque d’un prétendu "marxisme-léninisme".
En 1963, il publie "Front populaire, révolution manquée", un "Essai sur la révolution sexuelle après Reich et Kinsey".

Il a fait paraître "L’Anarchisme", son best-seller, en 65, et une anthologie anarchiste, "Ni Dieu, ni Maître".

En 1969, il publie une édition remaniée de "Jeunesse du socialisme libertaire" sous le titre plus explicite "Pour un marxisme libertaire" dans la préface duquel il précise bien que sa description de l’anarchisme et de ses divers aspects dans son "Anarchisme" n’impliquait nullement une orientation personnelle œcuménique de l’anarchisme. Il précise aussi que la synthèse marxiste libertaire à laquelle il s’est attaché s’est transportée, depuis mai, "du domaine des idées dans celui de l’action".

C’est lors, à l’automne 69, que Guérin et moi, nous appuyant sur des militants de la JAC (Jeunesse anarchiste communiste) investis dans les Comités d’action lycéens (CAL) , des nouveaux militants de Nantes, Nancy, Tours, nous convoquons un Congrès National qui fonde le MCL, Mouvement communiste libertaire. Beaucoup d’anciens de la FCL vont aussi s’y retrouver.

Daniel Guérin va alors militer activement au groupe de Paris et participer, avec sa compagne Marie, aux réunions nationales du Mouvement. Il sera responsable de publication de son périodique "Guerre de classes". Au Congrès de Nancy, en 1971, le MCL se transforme en OCL, Organisation communiste libertaire, avec l’apport de quelques groupes de l’ORA (Organisation révolutionnaire anarchiste), tendance de la FA de l’époque d’abord, puis organisation indépendante.

Des tentatives de fusion entre MCL et ORA ont échoué, échec en partie dû à l’orientation du MCL de forte critique - voire du rejet - du militantisme dans les syndicats. Furieux de cette orientation, Daniel Guérin rejoint l’ORA qu’il quittera lorsqu’elle prendra à son tour une orientation ultra-gauche, "autonome" et antisyndicale. C’est ainsi que nous nous retrouvons à l’UTCL, scission de l’ORA, privilégiant l’action dans les syndicats.

Pendant toutes ces années, Daniel Guérin aura consacré beaucoup de temps et d’efforts à la lutte antimilitariste et aussi à des essais sur la sexualité (1).

Pour nous, militants communistes libertaires, son ouvrage de 1984, "A la recherche d’un Communisme libertaire", est capital. Il reprend ses essais antérieurs sur le marxisme libertaire et publie en annexe La Plateforme de l’OCL que nous avions rédigée ensemble en 1971, adoptée au congrès de Marseille de juillet.

Le trajet politique de Daniel Guérin aura toujours été complexe, avec des retours en arrière et des interrogations répétées (il nourrira toujours quelques illusions généreuses) ; bien évidemment nous n’approuverons pas son attachement obstiné à Ben Bella et Bourguiba, ni son soutien à Poher, en 69, lors de l’élection présidentielle, ni l’idée manifestement erronée d’une authentique démarche autogestionnaire en Algérie jusque dans les années 70, mais tout cela aussi c’était Daniel Guérin. Venu enfin positivement au communisme libertaire, à plus de 65 ans, mais solidement et définitivement.

Georges Fontenis a été compagnon de lutte de Daniel Guérin depuis les années 50. Il est l’auteur de "L’Autre communisme". Il est militant à Alternative libertaire. Ce texte est paru dans "Alternative libertaire" (1998).


Note :
1. Nous avons délibérément laissé de côté cet aspect du personnage de Daniel Guérin, toujours discret sur ce point, sauf pendant mai 37. Il gardait le souvenir des réticences fortes du milieu ouvrier d’avant-guerre sur le sujet.

http://www.danielguerin.info/tiki-index ... libertaire
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Re: Daniel Guérin, parcours vers le communisme libertaire

Messagede Pïérô » 16 Sep 2015, 07:56

Daniel Guérin (1904 - 1988) - Combats dans le siècle

À travers l’itinéraire de Daniel GUÉRIN, c’est toute l’utopie libertaire, anarchiste et syndicaliste révolutionnaire qui renaît et se concrétise. Révolutionnaire pluraliste au parcours compliqué (socialiste de gauche, trotskiste puis anarchiste), il donne à ses idées une ouverture rare en milieu révolutionnaire.

• 1994 • France • Documentaire • 80 min • N&B et Couleur • Mode de production : Cinéma
• Image : Daniel Goude • Son : Hervé Guillermic, Franck Hirsch, Didier Leclerc, Bernard Pichon, Anne-Marie Termont, Jean-Marie Segrétain • Montage : Patrice Spadoni
Producteur : Imagora Films (24 Rue Vieille Du Temple, Paris 75004)
Numérisé par le Centre International de Recherche sur l'Anarchisme (CIRA) de Lausanne
www.cira.ch

Image------------ Demain Le Grand Soir --------- --------- C’est dans la rue qu'çà s'passe --------
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Re: Daniel Guérin, parcours vers le communisme libertaire

Messagede bipbip » 09 Fév 2017, 16:40

Promenade à travers la foire coloniale de Vincennes — par Daniel Guérin

Nous retracions dans nos pages l’engagement de Daniel Guérin : « 1927. Daniel Guérin découvrit la Syrie, alors sous mandat français depuis sept ans. Le jeune homme avait 23 ans. Je vis à l’œuvre les colonialistes, militaires, civils, ecclésiastiques, leur racisme, leur brutalité, leur cynisme, leur fatuité, leur sottise, écrivit-il plus tard dans Ci-gît le colonialisme. Il fit la connaissance de nationalistes arabes puis se rendit en Indochine. […] Il ne put supporter de voir les colons dans les rues, sangsues agrippées aux flancs de ce pays qui ne leur appartenait pas mais dont ils se croyaient pourtant les maîtres. Il rencontra le leader nationaliste Huyng Thuc Khang et n’oublia jamais cette entrevue : tout Blanc qu’il fut, l’indépendantiste le traita comme un frère. » Rentré à Paris en 1931, le militant doit faire face à cet autre pan de la réalité coloniale : l’Exposition coloniale se tient dans le bois de Vincennes. Dans ce court texte écrit dans les colonnes du Cri du peuple1, Guérin s’en prend à l’exotisme affiché qui cache la mainmise des empires industriels ; avec les surréalistes de l’époque, il distribua le tract « Ne visitez pas l’Exposition coloniale »2. Aux détours des stands et des pavillons, un appel à l’émancipation des colonisés.

... http://www.revue-ballast.fr/foire-coloniale-guerin/
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Re: Daniel Guérin, parcours vers le communisme libertaire

Messagede bipbip » 28 Fév 2017, 14:27

Daniel Guérin, Portrait d'un anarchiste

Portrait d'un anarchiste : Daniel Guérin

Daniel Guérin,
né le 19 mai 1904, disparaît le 14 avril 1988.


Issu d'une famille bourgeoise libérale et dreyfusarde, il est diplômé de sciences politiques et entre dans la vie avec des œuvres littéraires de jeunesse tout en ayant des activités de libraire en Syrie de 1927 à 1929.
Lors d'un voyage en Indochine, en 1930, où il découvre la réalité coloniale, il profite de la traversée pour dévorer un nombre impressionnant de textes politiques allant de Proudhon à Marx en passant par Sorel.
Sa fréquentation des jeunes ouvriers des faubourgs pousse le jeune Daniel Guérin à jeter son froc aux orties. Il rompt avec son milieu bourgeois, s'installe à Belleville, devient correcteur et s'engage dans le syndicalisme révolutionnaire en participant au groupe-revue Révolution Prolétarienne animé par Pierre Monatte.
En 1933, Daniel Guérin parcourt à bicyclette, l'Allemagne hitlérienne. Il en ramène un document de première heure sur la montée du nazisme qui paraît dans Le Populaire de la SFIO et sera repris en volumes sous les titres La Peste brune et Fascisme et grand capital (1936). Daniel Guérin y analyse l'origine du fascisme, de ses troupes et la mystique qui les anime ; sa tactique offensive face à celle, trop légaliste, du mouvement ouvrier ; le rôle des plébéiens qui le rejoignent ; son action anti-ouvrière et sa politique économique (une économie de guerre en temps de paix).
Daniel Guérin s'attache en particulier aux cas de l'Italie et de l'Allemagne.
Il cherche ainsi à dissiper les illusions anticapitalistes entretenues par le fascisme lui-même, en montrant que son action, aussi bien avant qu'après la prise du pouvoir, bénéficie surtout au capital économique et financier. Dans ces conditions, il lui paraît que l'antifascisme est illusoire et fragile, qui se borne à la défensive et ne vise pas à abattre le capitalisme lui-même.
Dans les rangs de la SFIO, Daniel Guérin, déjà anti-stalinien viscéral, rejoint les rangs du socialisme révolutionnaire de la tendance Gauche Révolutionnaire animée par Marceau Pivert.
Co-fondateur des Auberges de jeunesse, Daniel Guérin est également un membre actif du mouvement des occupations d'usines durant le Front populaire en tant que responsable inter-syndical en banlieue.
Il est aussi l'un des éléments les plus radicaux du courant de la Gauche Révolutionnaire et l'un de ceux qui ne se plaint pas, outre mesure, de son exclusion.
Il s'attelle, alors, à la création d'un authentique parti révolutionnaire, le nouveau Parti socialiste ouvrier et paysan (qui défendra des positions défaitistes révolutionnaires lors de la deuxième guerre mondiale et disparaîtra peu après).
En 1937, suite à l'appel à la solidarité de l'Espagne révolutionnaire, Daniel Guérin est scandalisé par la politique de non-intervention du gouvernement Blum.
Avec quelques camarades regroupés autour de Maurice Jacquier, il apporte, de toutes ses forces, un soutien politique et matériel à la CNT, à la FAI et au POUM, tout en s'opposant aux sinistres menées des sbires de Staline.
En 1939, Daniel Guérin est chargé de créer, à Oslo (Norvège), un secrétariat international du Front ouvrier international contre la guerre, rassemblant tous les courants socialistes de gauche opposés par internationalisme prolétarien à la guerre inter-impérialiste.
Arrêté par les Allemands en avril 1940, il est interné civil. Gravement malade, il est libéré en 1942.
De 1943 à 1945, Daniel Guérin coopère, en France, avec le mouvement trotskiste dans la clandestinité, essayant de maintenir une position internationaliste à l'écart du chauvinisme ambiant, multipliant les appels aux travailleurs allemands jusque dans les rangs de l'armée d'occupation (activité militante on ne peut plus dangereuse d'autant que les livres de Daniel Guérin sur le fascisme font partie de la fameuse liste Otto).
En 1946, Daniel Guérin s'établit aux États-Unis où il est actif aux côtés du mouvement ouvrier et des Noirs américains.
Il en est expulsé en 1949, dans le cadre de la chasse aux sorcières du maccarthysme, et rentre en France. Il étudie les œuvres complètes de Bakounine lorsque, en 1956, éclate la révolte des Conseils ouvriers hongrois contre le capitalisme d’État et la domination de l'URSS.
La conjonction de ces deux faits le rend à jamais allergique à tout socialisme autoritaire, qu'il soit jacobin, marxiste, léniniste ou trotskiste.
Daniel Guérin s'emploie à déboulonner l'idole Lénine pour la stratégie duquel il éprouvait, jusqu'alors, une grande admiration. Il en critique les concepts militaires, dénonce la notion frelatée de dictature du prolétariat lui préférant celle de contrainte révolutionnaire. Il redécouvre l'apport de Rosa Luxemburg dans sa lutte contre l'ultra-centralisme et le substitutionnisme léninistes, allant jusqu'à entrevoir des passerelles avec la spontanéité révolutionnaire chère aux libertaires.
Cette démarche l'amène à écrire, en 1965, son célèbre texte L'Anarchisme (réédité et maintes fois traduit, tiré à plus de 100.000 exemplaires) et sa colossale Anthologie de l'anarchisme : Ni Dieu, ni Maître, ce qui introduit rapidement un quiproquo dans nos milieux : Daniel Guérin n'est toujours pas un anarchiste au sens strictement idéologique, même si, sur le plan personnel, il fait preuve d'un esprit libertaire sans tabous.
Par ces textes, il veut faire connaître tout l'apport original du courant anarchiste et il y réussit d'ailleurs, car le petit livre de la collection Idées fut la première lecture de nombreux libertaires d'aujourd'hui. Mais, son le but est, avant tout, de réformer l'ensemble du mouvement révolutionnaire (ce qu'il considère comme tel), de l'affranchir des ornières autoritaires, jacobines, marxistes-léninistes, sans pour autant le faire basculer dans l'idéologie social-démocrate voire, aujourd'hui, libérale bourgeoise, dans laquelle surnagent tant d'ex-militants des années 70.
Durant des années, Daniel Guérin s'engage jusqu'au cou dans le soutien aux militants algériens.
Il participe au Comité France-Maghreb, signe le Manifeste des 121 contre la torture et pour l'insoumission (1960) et n'accepte jamais les luttes fratricides entre FLN et MNA. Il s'engage en internationaliste comme partie prenante de la lutte et non pas comme porteur de valises au service d'un mouvement.
L'année 1962 le voit quelque temps au PSU, dont il s'éloigne, le trouvant par trop social-démocrate. Plus tard, il n'hésitera pas à dénoncer, toujours sans tabous, les tendances sociales-démocrates (et autoritaires) de Marx (cf. La Rue, 1983).
Il affirmera également son admiration pour l'apport philosophique des anarchistes individualistes tels qu'Émile Armand ou Zo d'Axa dans leur contestation concrète des valeurs morales de l'époque.
Daniel Guérin fut, aussi, un fin connaisseur de l'œuvre de Proudhon.
Mai 68, ce deuxième orgasme de l'histoire qu'il a la chance de vivre après le Front populaire, le jette dans la mêlée. On le voit, à 64 ans à la Sorbonne, aux côtés des libertaires de la revue Noir et Rouge et du Mouvement du 22-Mars.
En 1969, il est co-fondateur du Mouvement communiste libertaire (rassemblant des éléments issus de la FCL, de l'UGAC, de la JAC) et éclaircit ses positions dans un texte dont il reconnaîtra l'ambiguïté du titre, Pour un marxisme libertaire.
La fusion (dont il est un des artisans de la plateforme) ratée, en 1971, entre l'Organisation Révolutionnaire Anarchiste et le Mouvement communiste libertaire le décourage. Il participera successivement à l'OCL, à l'ORA (dont il s'éloigne à la période autonome) pour rejoindre en 1980, par ouvriérisme, l'UTCL dans laquelle il milite jusqu'à sa mort.
Durant ces années, Daniel Guérin est engagé totalement dans le Comité pour la vérité dans l'affaire Ben Barka, dans le Comité Vietnam national, dans le Comité de lutte antimilitariste, tout en participant à la commission Droits et libertés dans l'institution militaire de la Ligue des droits de l'homme, autour de Me Noguères et même d'"officiers progressistes" (pensant que les positions d'objection, d'insoumission et les activités de comités de soldats sont des luttes complémentaires et non pas contradictoires).
Après la catastrophe du tunnel de Chèzy (8 morts), il participe activement au Rassemblement national pour la vérité sur les accidents dans l'armée.
Dès sa fondation, il participe activement aux activités du Front homosexuel d'action révolutionnaire. Son anticolonialisme de toujours le pousse aux côtés des Antillais, des Polynésiens (soutenant son vieil ami Pouva'ana si longtemps déporté en métropole), des Kanaks...
Daniel Guérin se lance dans la guerre civile des historiens voulant dénaturer la Révolution française, écrivant quelques mois avant sa mort, qu'il est un impérieux devoir de faire front face à la ruée des contre-révolutionnaires qui préfèrent les Vendéens et les chouans aux sans-culottes, à la meute qui s'est jetée ces dernières années sur la "Grande révolution" pour la déchirer à pleines dents, la calomnier, la salir.
Daniel Guérin n'a jamais été un militant anarchiste au sens strict, mais les anarchistes lui doivent beaucoup quant à la diffusion de leurs idées. S'il a attaqué un certain vieil anarchisme fossilisé d'une certaine époque (tout comme d'ailleurs le marxisme autoritaire dégénéré), il a toujours voulu que le meilleur de l'anarchisme puisse peser dans le mouvement révolutionnaire pour y contrer les dérives autoritaires.
Il ne concevait pas le communisme libertaire (ou anarchisme-communisme, terme qu'il acceptait aussi) comme un dogme, mais comme une tendance, une recherche sans cesse inachevée, persuadé qu'il était que la révolution sociale future, à la fois nécessaire et désirée, ne serait ni de despotisme moscovite ni de chlorose social-démocrate, qu'elle ne sera pas autoritaire, mais libertaire et autogestionnaire, ou si l'on veut conseilliste (À la recherche d'un communisme libertaire, 1984).
Daniel, en donnant son corps à la science, tu ne permets pas que ton souvenir s'enlise dans le rituel commun des tombes à fleurir.
Tu nous obliges à célébrer ta mémoire par nos combats et nos luttes d'émancipation. Nous t'en remercions.

Salut et Fraternité !

D.G.

Extrait de la série Increvables Anarchistes,
volume 10, éditions Alternative Libertaire et du Monde Libertaire.


http://www.socialisme-libertaire.fr/201 ... uerin.html
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Re: Daniel Guérin, parcours vers le communisme libertaire

Messagede bipbip » 16 Mai 2017, 15:00

La politique (et les mille vies) de Daniel Guérin

Entretien avec Ian Birchall et David Berry, réalisé par Selim Nadi

Selim Nadi : Comme Sebastian Budgen le note très justement dans sa préface à l’autobiographie de jeunesse de Guérin[1], ce dernier a quasiment couvert l’ensemble du paysage politique des luttes françaises – et mondiales – du XXe siècle ; qu’il s’agisse des organisations (syndicalistes-révolutionnaires, PCI, Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire, etc…), des échanges avec de nombreuses figures de premier plan de la gauche radicale (Sartre, C.L.R. James, Korsch, Padmore…) ou encore de ses rapports avec de nombreux leaders des luttes de libération nationale (Messali Hadj, Frantz Fanon, Ben Bella…). Pourriez-vous revenir sur le caractère fédérateur de Guérin ?

... http://www.contretemps.eu/guerin-trotsk ... tiracisme/
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Re: Daniel Guérin, parcours vers le communisme libertaire

Messagede bipbip » 03 Fév 2018, 14:54

Un combat anti-colonialiste

C’est le sous-titre du livre de Daniel Guérin, Algérie 1954 – 1965, que les éditions Spartacus viennent de publier. Il s’agit en fait de textes réunis et ordonnés, dont la plupart avaient été publiés en 1979, dans "Quand l’Algérie s’insurgeai"t, aux éditions La pensée sauvage.

Alors que l’histoire des relations franco-algériennes pendant la période coloniale, la guerre d’indépendance puis la période post-coloniale, continue de diviser les opinions dans les deux pays, cette réédition, complétée d’autres écrits, constitue un apport précieux dans la bibliographie déjà abondante consacrée aux diverses facettes du conflit algérien.

Daniel Guérin, militant révolutionnaire

Par son œuvre et son parcours politique, Daniel Guérin (1904 – 1988) figure parmi les intellectuelLEs et témoins les plus importantEs de la gauche révolutionnaire française. Dès les années 30, il s’engage dans la tendance “Gauche révolutionnaire” de la SFIO, animée par Marceau Pivert. Un voyage en Allemagne l’amène à publier son premier texte marquant, La peste brune , en 1933, qu’il complétera avec Fascisme et grand capital en 1936, deux livres qui font encore aujourd’hui référence. Durant la guerre civile espagnole puis la Seconde guerre mondiale, il se rapproche des groupes trotskystes. À la fin des années 1950, son parcours politique le conduit dans les rangs des organisations libertaires et, s’affranchissant de tout sectarisme, il travaille à une tentative de synthèse entre anarchisme et marxisme. S’ouvre alors la période la plus féconde de son œuvre, avec de nombreux ouvrages qui ont fait date, comme La lutte des classes sous la Première République , en 1946, réédité en 1968, L’Anarchisme (1965, réédité plusieurs fois), ou encore Pour un marxisme libertaire , en 1969.

L’anticolonialisme a toujours été l’un des moteurs principaux de l’engagement de Daniel Guérin. Dès 1930, à la suite d’un voyage en Syrie et en Indochine, il se révolte contre les réalités coloniales. L’anticolonialisme occupe une place non négligeable dans sa longue bibliographie : il publie notamment Au service des colonisés en 1954, aux Éditions de Minuit, puis Les Antilles décolonisées en 1956.

Daniel Guérin et la guerre d’Algérie

C’est donc en intellectuel et militant, marxiste mais résolument antistalinien et donc très critique à l’égard des partis communistes, que Daniel Guérin suit de près les évolutions et composantes du mouvement nationaliste algérien. Cette réédition des textes réunis pour la plupart dans Quand l’Algérie s’insurgeait , complétée par d’autres de ses écrits pour en élargir la perspective, nous livre ainsi un témoignage précieux sur des faits et des acteurs de premier plan de l’insurrection algérienne, et aussi du mouvement anticolonialiste français de l’époque. Nous suivons ainsi les débats et les errements du Comité France-Maghreb, animé par François Mauriac et Pierre Mendes-France, la tentative de la Fédération communiste libertaire et du Parti communiste internationaliste pour impulser la constitution du comité de lutte contre la répression colonialiste, les efforts du Comité d’action des intellectuels, les constitutions de comités de soutien aux victimes de la répression, les divisions qui obèrent toute perspective d’unification efficace des forces anticolonialistes. De nombreux textes nous font suivre aussi ses rencontres et ses échanges avec Mohammed Harbi et surtout Messali Hadj, dont il contribue à réhabiliter l’action. On ne s’étonnera donc pas d’y lire de nombreuses et virulentes critiques à l’encontre du FLN, du Parti Communiste Algérien, et aussi de la politique du Parti Communiste Français, qu’il juge déphasé. Nous voyons ainsi presque de l’intérieur se creuser le fossé qui sépare le MNA et le FLN, conduisant à des luttes fratricides.

Au-delà du conflit algérien

Les écrits réunis par les éditions Spartacus débordent largement du cadre chronologique du conflit algérien. Le corpus aborde d’abord la période 1930 – 1954, qui voit la gestation du mouvement national algérien. Viennent ensuite les textes qui éclairent le conflit proprement dit, où l’on peut distinguer les années 1954-1958, puis les années 1958-1962. Le livre se termine sur les premières années de l’indépendance algérienne et la construction du nouvel État. Daniel Guérin y développe une analyse très critique du régime qui se met en place avec Ben Bella, notamment dans la série d’articles publiés dans le journal Combat en 1964.

Avec ce livre, les éditions Spartacus nous proposent non seulement un témoignage précieux pour celles et ceux qui s’intéressent à l’histoire de l’Algérie, mais aussi une contribution utile à l’histoire du mouvement anticolonialiste français. Dans son apport à la réhabilitation de Messali Hadj, il pourra être complété par la lecture des ouvrages de Jacques Simon.

Raymond Jousmet

Daniel Guérin, Algérie 1954-1965. Un combat anticolonialiste , éditions Spartacus, Paris, novembre 2017, 250 p., 14 e.

À commander à l’EDMP (8, impasse Crozatier, Paris 12e, 01 44 68 04 18, didier.mainchin@gmail.com).14 €


http://www.emancipation.fr/spip.php?article1715
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Re: Daniel Guérin, parcours vers le communisme libertaire

Messagede bipbip » 06 Fév 2018, 11:16

Daniel Guérin, à la croisée des luttes

Poète, essayiste, théoricien révolutionnaire et historien, captif en Allemagne en 1940, anticolonialiste de la première heure et partisan du droit des femmes et des homosexuels, Guérin fut de toutes les luttes du XXe siècle. Le noyau dur de son œuvre ? Fusionner deux frères ennemis : l’anarchisme et le marxisme. Portrait d’un penseur méconnu hors des cercles militants.

... https://www.revue-ballast.fr/daniel-gue ... es-luttes/
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Re: Daniel Guérin, parcours vers le communisme libertaire

Messagede bipbip » 03 Mar 2018, 15:32

Guérin, Harbi, « Algérie 1954-1965, un combat anticolonialiste »

Algérie 1954-1965, un combat anticolonialiste est une compilation des différents articles que Daniel Guérin a écrits sur l’Algérie

Lire : Guérin, Harbi, « Algérie 1954-1965, un combat anticolonialiste »

Algérie 1954-1965, un combat anticolonialiste est une compilation des différents articles que Daniel Guérin a écrits sur l’Algérie. Ils couvrent une période plus large que celle de la guerre d’Algérie  : entre 1945, année des massacres de Sétif et 1965, année du coup d’état qui marque la liquidation officielle du processus révolutionnaire en Algérie. Ce n’est pas un ouvrage historique dans le sens classique du terme  : il n’y a pas vraiment de chronologie des évènements. Ce sont plutôt des commentaires à chaud ou des analyses de moments importants. Ils portent sur plusieurs thématiques particulièrement intéressantes. La première est une description du colonialisme français. L’état abject de domination dans lequel sont maintenus les Algériens, leur spoliation de toutes les terres, leur exploitation font qu’il n’est pas possible de penser l’émancipation par autre chose que la décolonisation.

C’est aussi le mouvement anticolonial qui est décrit en détail, permettant de comprendre ses enjeux. Celui-ci se structure largement autour de la figure de Messali Hadj. Pourtant, à cause de querelles intestines et de la forte présence de réformistes au sein du MNA (le parti de Messali Hadj), ce sera une autre organisation qui déclenchera l’insurrection  : le FLN. De nombreux articles portent alors sur les combats avec l’armée française, puis mettent en avant la barbarisation de la lutte contre insurrectionnelle  : torture et exécutions sommaires deviennent la norme, comme c’est le cas lors de la bataille d’Alger en 1957.

Guérin ne se borne pas à décrire la brutalité de l’État français, mais dénonce l’attitude trouble de la gauche française. Ainsi le PCF, au début ne soutient pas la revendication d’indépendance, et laisse isolés les algériens. Un bon exemple est une manifestation en 1954, où un bloc de deux mille manifestants algériens non violents sont très violemment chargés par la police, avec plusieurs morts à la clé. Pourtant, le cortège du PCF ne bouge pas, et refuse même de laisser les algériens rentrer dans la manifestation. De même, les socialistes (la SFIO) se montrent particulièrement répugnants dans la répression, organisant l’état d’urgence. Seuls quelques trotskystes et communistes libertaires sauvent l’honneur.

Enfin, Guérin n’est pas manichéen. Il critique aussi le FLN, tout en soutenant la lutte du peuple algérien. Il dénonce ainsi la guerre sanglante entre FLN et messalistes, mais aussi les dérives du FLN au pouvoir. Les gauchistes sont massacrés dès l’indé­pendance, et très rapidement le secteur autogestionnaire de l’économie est étouffé. Le coup d’État de 1965 destituant le président Ben Bella voit la liquidation finale de tout espoir révolutionnaire en Algérie…

Une lecture très intéressante pour comprendre les enjeux qui traversent la lutte des algériens pour leur indépendance.

Matthijs (AL Montpellier)

• Daniel Guérin et Mohammed Harbi, Algérie 1954-1965, un combat anticolonialiste, Les Amis de Spartacus, 2017, 250 p., 14 euros.


http://www.alternativelibertaire.org/?L ... lonialisme
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Re: Daniel Guérin, parcours vers le communisme libertaire

Messagede bipbip » 04 Mar 2018, 20:33

Revenu du «  marxisme libertaire  »

Daniel Guérin, revenu du «  marxisme libertaire  »

Indice de son évolution politique, Daniel Guérin republia plusieurs fois le même livre, modifié et retitré  : Jeunesse du socialisme libertaire (1959), Pour un marxisme libertaire (1969), et enfin À la recherche d’un communisme libertaire (1984).

Parler de marxisme libertaire, c’est pour l’essentiel rappeler l’effort mené par Daniel Guérin pour tenter une synthèse entre les deux courants qui s’affrontèrent au sein de la Première Internationale, où il ne voulait voir que des « frères jumeaux », séparés par de simples « querelles de famille ». C’est dans un recueil de textes paru peu après 1968, sous le titre Pour un marxisme libertaire, que Guérin s’essaya à une tentative qui paraissait s’accorder assez bien à l’air d’un temps, qui avait vu les drapeaux rouges et les drapeaux noirs fraterniser sur les barricades du mois de mai. [...]

Que recouvrait ladite « étiquette » ? Dans un texte de 1966, il précise qu’il s’agit pour lui de rétablir les ponts entre ces « deux variantes d’un même socialisme », en réduisant – voire en supprimant – le fossé qui les sépare depuis des lustres, et que l’instauration du « formidable appareil étatique, dictatorial et policier » issu de la révolution d’Octobre n’a fait que creuser un peu plus.

À le lire de près, on voit cependant qu’il s’est beaucoup moins assigné pour tâche d’enrichir l’anarchisme par l’apport du matérialisme marxiste que de régénérer le socialisme et les marxismes d’alors par « l’injection d’une bonne dose de sérum anarchiste », qui leur permettrait de renouer avec l’esprit révolutionnaire des origines. Le sens de cette démarche n’a d’ailleurs rien d’étonnant puisque, comme il le rappelle lui-même, sa formation est marxiste et qu’il a fait ses premiers pas en politique au sein de la « famille » socialiste, concrètement du courant de la SFIO dirigé par Marceau Pivert.

Parmi les éléments qui, dans l’anarchisme, lui paraissent les plus « utilisables » pour une renaissance révolutionnaire du socialisme, il retient l’idée d’association ouvrière, le fédéralisme et les pratiques du syndicalisme révolutionnaire. [...]

Les anarchistes, dans leur majorité, y virent quelque chose comme le mariage de la carpe et du lapin. Quant aux « marxistes », ils ne se soucièrent guère de ce « sérum anarchiste » qu’on leur proposait puisque la plus grande partie d’entre eux étaient, de toute évidence, réfractaires à des remèdes de ce genre. Il ne pouvait guère en aller autrement : réconcilier l’anarchisme avec le Marx « anarchiste » de la Guerre civile en France – ou celui qui, en 1844, écrivait que « l’existence de l’État et l’existence de la servitude sont inséparables » – est une pétition de principe, et s’il s’agit de le faire avec le Marx « jacobin » qui souhaite centraliser tous les moyens de production entre les mains de l’État, c’est une absurdité. Daniel Guérin, le premier, allait reconnaître cet échec d’assez bonne grâce quand, à une question qu’on lui posa plusieurs années plus tard sur le sens qu’il donnait à la formule, il admit qu’il lui préférait dorénavant celle de « communisme libertaire », sans qu’il ait renoncé pour autant à la réconciliation posthume de Marx et Bakounine. [...]

Miguel Chueca

• Extrait de Réfractions n°7, automne 2001.


http://www.alternativelibertaire.org/?D ... libertaire
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Re: Daniel Guérin, parcours vers le communisme libertaire

Messagede bipbip » 30 Mar 2018, 22:20

En mémoire de Daniel Guérin, à Paris le 7 avril

Il y a trente ans disparaissait Daniel Guérin (1904-1988), historien, révolutionnaire, anticolonialiste, militant de la cause LGBT et théoricien du communisme libertaire. Pour évoquer ses combats, rendez-vous au Le Lieu-Dit le samedi 7 avril.

Dire que Daniel Guérin est une figure militante importante relève de l’euphémisme. Celui qui œuvra tant pour déconstruire le colonialisme, le capitalisme, le fascisme et l’homophobie – et pour articuler marxisme et anarchisme – est mort il y a 30 ans.

Les ami(e)s, la famille, les organisations militantes et des éditeurs liés à Daniel Guérin s’associent pour organiser, le 7 avril 2018, une journée spéciale avec débats, vente de livres, projection de films, présentation de projets éditoriaux et de recherches universitaires. L’événement se tiendra au café « Le Lieu-Dit », 6 rue Sorbier à Paris 20e.

Au programme :
• 14h - 19h : Débats thématiques ; témoignages avec photos inédites ; vente de livres et discussions avec les éditeurs
• 19h : Dîner
• 21h : Projection de films

La journée s’organise autours de plusieurs thèmes et formats :
4 débats thématiques
• Décolonisation
• Communisme libertaire
• Sexualité
• Daniel Guérin historien

Edition
Des éditeurs d’ouvrages de Daniel Guérin présenteront et proposeront à la vente leurs livres. Des projets de réédition seront discutés avec tous les participants de l’événement.

Témoins
Les personnes ayant connu Daniel Guérin (amis, militants, famille) évoqueront des aspects personnels peu connus. Une collection de photos des archives familiales, montrant Daniel Guérin du berceau aux derniers combats militants, sera présentée pour la première fois au public.

Cinéma
Le film de Patrice Spadoni et Laurent Muhleisen « Daniel Guérin (1904-1988), combats dans le siècle » sera projeté dans la soirée, de même que des extraits d’autres films sur Guérin et des documents filmés inédits.

Pour tout renseignement, suggestion ou proposition de participation, écrivez à adrien7105@gmail.com

Image

https://www.alternativelibertaire.org/? ... uerin-7692
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Re: Daniel Guérin, parcours vers le communisme libertaire

Messagede bipbip » 05 Avr 2018, 15:07

Journée spéciale "Trentenaire Daniel Guérin"
Samedi 7 avril 2018

Détail programme

. 13h30 - Début de l'événement
. 13h45 - Débat : "Homosexualité, du secret au pamphlet et au coming out", animé par Loïc Nani avec la participation d'Hélène Hazera.
. 14h45 - Débat : "Communisme libertaire, une recherche inachevée", animé par Wil Saver avec notamment David Berry, Pascal Busquets, Guillaume Davranche, Laurent Esquerre, Christian Mahieux, Théo Rival.
. 16h - Pause avec témoignages, photos, livres, avec la participation des petits-fils de Daniel Guérin, Jamal et Adrien-Faïz, et de son biographe David Berry.
. 16h30 - Information sur les archives Daniel Guérin à La Contemporaine (ex-BDIC) et au Musée d'Histoire vivante de Montreuil, présentées par Guillaume Davranche, Laurent Esquerre et Franck Veyron
. 16h45 - Débat : "Daniel Guérin historien ? Retour sur La Lutte des classes sous la Ière république, Fascisme et grand capital et Front populaire révolution manquée ?", avec notamment Michel Dreyfus, Claude Guillon, Charles Jacquier et Nicolas Norrito.
. 18h - Débat : "Daniel Guérin, pionnier de l'anticolonialisme", animé par Daniel Guerrier avec notamment Bachir Ben Barka, François Gèze, Mohammed Harbi, Daniel Kupferstein, Selim Nadi, Nedjib Sidi Moussa.
. 19h - Apéro et dîner
. 21h - Projection du film "Combats dans le siècle" et discussion avec le réalisateur Patrice Spadoni

http://www.danielguerin.info/tiki-index ... rentenaire
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Re: Daniel Guérin, parcours vers le communisme libertaire

Messagede Pïérô » 06 Avr 2018, 11:58

Avec les jeunes en 68 et 86, par Daniel Guérin

Daniel Guérin (1904-1988) disparaissait il y a trente ans. Pour évoquer cette figure majeure du mouvement ouvrier contemporain, une journée sera consacrée à ses combats au Lieu-Dit, à Paris, ce samedi 7 avril. Afin d’y contribuer, ce billet reproduit un de ses articles paru en janvier 1987, « Avec les jeunes en 68 et 86 ! », qui résonne particulièrement avec notre actualité sociale.

Ce billet est publié en vue de la journée du trentenaire « Daniel Guérin, 1904-1988 », organisée samedi 7 avril à Paris au Lieu-Dit

Pour y contribuer et montrer les « résonances » que peuvent avoir ses combats aujourd’hui, c’est un court article de Daniel Guérin – annoté pour l’occasion – qui ouvre ce billet. Il a été publié en janvier 1987 dans Lutter !, journal de l’Union des travailleurs communistes libertaires (UTCL) 3, organisation dont il était membre à la fin de sa vie. En quelques lignes, Guérin y évoque ses souvenirs de Mai 68, établissant un parallèle optimiste (enthousiaste même) avec la grève étudiante contre le projet de loi Devaquet 3 de 1986.

N’oublions pas d’ailleurs que la grève étudiante contre le projet Devaquet avait été suivie, dans une même séquence sociale, d’une grève cheminote historique à l’hiver 1986-1987 (voir les articles à ce sujet publiés dans Les Utopiques, sur la grève à Rouen 3 et à Gare de Lyon 3). Les convergences, déjà.

À la suite de cet article, on trouvera la présentation et le programme de la journée du 7 avril. Enfin, est également partagé ici le quatre-pages que l’UTCL publia en 1988 en hommage à Daniel Guérin (dont on peut aussi lire en ligne la notice biographique 3 dans le Maitron des anarchistes).

.... https://blogs.mediapart.fr/theo-roumier ... iel-guerin
Image------------ Demain Le Grand Soir --------- --------- C’est dans la rue qu'çà s'passe --------
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Re: Daniel Guérin, parcours vers le communisme libertaire

Messagede bipbip » 14 Juin 2018, 21:27

Le mouvement ouvrier aux Etats Unis 1867-1967

Guerin Daniel

Image

Engagement anticolonialiste

Lors d’un voyage en Indochine, en 1930, où il découvrit la réalité coloniale, il profita de la traversée pour dévorer un nombre impressionnant de textes politiques allant de Proudhon à Marx en passant par Sorel. Il s’engagea dès ces années dans la lutte contre le colonialisme (Indochine, Liban…).

Daniel Guérin rompit avec le milieu bourgeois, s’installa à Belleville (quartier ouvrier de l’est de Paris), devint correcteur et commença à militer dans les années 1930 avec les syndicalistes révolutionnaires de la revue La Révolution prolétarienne de Pierre Monatte.

Le marxisme-libertaire

Guérin, qui à son retour des États-Unis étudia les œuvres complètes de Bakounine, s’éloigna peu à peu du marxisme orthodoxe durant la guerre pour se rapprocher de l’anarchisme. Il tenta de concilier ces deux tendances en envisageant la formation d’un courant marxiste libertaire : à partir de 1959 et de la publication de Jeunesse du socialisme libertaire, il chercha une voie nouvelle dans une synthèse de l’anarchisme et du marxisme. Il plaida pour concilier le meilleur de ces deux systèmes de pensée et publie Pour un marxisme libertaire puis À la recherche d’un communisme libertaire. Il écrivit par exemple dans Pour un marxisme libertaire : « La double faillite du réformisme et du stalinisme nous fait un devoir urgent de réconcilier la démocratie prolétarienne et le socialisme, la liberté et la révolution ». Il adhéra cependant au PSU, sans y militer, et en resta membre jusqu’en 1969. Dans une réunion publique à Marseille en 1969 il déclara parlant du PSOP que c’était « une sorte de PSU ».

Il demeura un acteur de la vie politique, notamment engagé dans le soutien à la révolution algérienne.

Guérin lutta également beaucoup pour la difficile intégration par le mouvement ouvrier de la question homosexuelle.

En 1969/1970 il participe à la constitution du Mouvement Communiste Libertaire (MCL), qui tente de regrouper plusieurs groupes dont ceux originaires des Cahiers de Mai, un rassemblement de militants de l’ancienne Fédération communiste libertaire (FCL) autour de Georges Fontenis (ancien secrétaire de la Fédération Anarchiste) et qui publiera le journal Guerre de Classes. Le MCL sera rejoint par un groupe issu d’une scission au sein de l’Organisation révolutionnaire anarchiste (ORA) et deviendra ultérieurement l’« Organisation Communiste Libertaire » avant de disparaître (le sigle sera repris plus tard par une autre organisation à laquelle Daniel n’a pas appartenu).

Il rejoindra temporairement ensuite l’ORA, puis, de 1979 à sa mort en 1988, il fut militant de l’Union des travailleurs communistes libertaires, organisation dont est héritière l’actuelle Alternative libertaire.

PDF : https://jugurtha.noblogs.org/files/2018 ... ropped.pdf
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Re: Daniel Guérin, parcours vers le communisme libertaire

Messagede bipbip » 11 Aoû 2018, 21:59

« Une lecture anarchiste de la Révolution française. L’apport historiographique de Daniel Guérin »

Caroline Fayolle (histoire, Lirdef, Montpellier)

vidéo vimeo : https://vimeo.com/276943406
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Re: Daniel Guérin, parcours vers le communisme libertaire

Messagede bipbip » 05 Nov 2018, 00:05

L’abécédaire de Daniel Guérin

Celui qui se voyait comme « un historien [plus] qu’un théoricien » est l’une des voix les plus marquantes du communisme libertaire français. Rejetant d’un même élan l’autoritarisme léniniste et le romantisme anarchiste, il œuvra à articuler le meilleur du rouge et du noir, ces « frères jumeaux entraînés dans une dispute aberrante qui en a fait des frères ennemis ». Prisonnier dans un camp d’internement allemand durant la Seconde Guerre mondiale, anticolonialiste de la première heure, sympathisant critique des Black Panthers et partisan résolu des droits des homosexuels, Daniel Guérin, disparu en 1988, fut ce militant révolutionnaire pour qui « l’antidogmatisme était fontamental1 ».

... https://www.revue-ballast.fr/labecedair ... el-guerin/
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