Révolution bourgeoise & luttes de classe en France,1789-1799

Re: Révolution bourgeoise & luttes de classe en France,1789-

Messagede bipbip » 14 Juil 2017, 17:23

La révolution française et nous, Daniel Guérin

Extrait de "La révolution française et nous" de Daniel Guérin :

"Ceux que leurs adversaires affublèrent du nom d’ « enragés » : Jacques Roux, Théophile Leclerc, Jean Varlet, furent en 1793 les interprètes directs et authentiques du mouvement des masses ; ils furent, comme n’hésita pas à l’écrire Karl Marx, « les représentants principaux du mouvement révolutionnaire ».

A ces trois noms doit être attaché celui de Gracchus Babeuf. Il ne s’associe certes que partiellement au mouvement des enragés. Il devait être davantage leur continuateur qu’il ne fut leur compagnon de lutte. Mais il appartient à la même espèce d’hommes (…) Tous quatre étaient des révoltés (…) Tous quatre avaient partagé la grande misère des masses. (…) Au nom de ce peuple qu’ils côtoyaient tous les jours, les enragés élevèrent une protestation qui va beaucoup plus loin que les doléances des modestes délégations populaires. Ils osèrent attaquer la bourgeoisie de front. Ils entrevirent que la guerre – la guerre bourgeoise, la guerre pour la suprématie commerciale – aggravait la condition des bras-nus ; ils aperçurent l’escroquerie de l’inflation, source de profit pour le riche, ruineuse pour le pauvre. Le 25 juin 1793, Jacques Roux vint lire une pétition à la barre de la Convention : « (…) La liberté n’est qu’un vain fantôme quand une classe d’hommes peut affamer l’autre impunément. (…) La république n’est qu’un vain fantôme quand la contre-révolution s’opère de jour en jour par le prix des denrées auquel les trois quarts des citoyens ne peuvent atteindre sans verser des larmes. » (…)

Les enragés eurent le mérite incontestable, face aux montagnards enfermés dans le légalisme parlementaire, de proclamer la nécessité de l’action directe. Ils eurent aussi le courage de s’attaquer aux réputations établies, à la plus haute, à celle à laquelle il était le plus dangereux de toucher. Ils osèrent s’en prendre à l’idole populaire qu’était Robespierre. Théophile Leclerc rangeait ce dernier parmi les « quelques despotes insolents de l’opinion publique ». Jacques Roux dénonçait prophétiquement « les hommes mielleux en apparence, mais sanguinaires en réalité ». (…) La Société des Femmes Révolutionnaires de Claire Lacombe poussa la témérité jusqu’à appeler Robespierre : « Monsieur Robespierre », injure impardonnable à l’époque. »

Note sur Claire Lacombe : « Avant la Révolution, elle avait commencé une assez bonne carrière d’actrice, notamment à Lyon et à Marseille. Au début de 1792, elle monta à Paris et fréquenta les Cordeliers. Le 10 août, elle participa à l’assaut des Tuileries avec un bataillon de Fédérés, ce qui lui valut une couronne civique. Pendant l’hiver 92-93, proche des Enragés (elle fut un temps la compagne de Leclerc), elle milita contre l’accaparement et le chômage. En février 93, elle fonda avec Pauline Léon la Société des Républicaines Révolutionnaires, société exclusivement féminine et très engagée sur le plan social. Le 12 mai, des femmes de cette société demandèrent le droit de porter des armes pour aller combattre en Vendée. Claire Lacombe joua un rôle important pendant les journées du 31 mai et du 2 juin. Elle participa aux délibérations de la Commune et poussa fortement à l’insurrection. En août, elle demanda dans une pétition à la Convention la destitution de tous les nobles de l’armée. Le 5 septembre, elle réclama carrément l’épuration du gouvernement... Les Jacobins s’en prirent alors à elle avec violence, l’accusant de toute sortes de délits : elle aurait volé des armes, caché des aristocrates, etc. Ces accusations n’étaient pas très crédibles, mais elles étaient dangereuses à cette période, et Lacombe se défendit avec force. Elle se présenta le 7 octobre à la barre de la Convention et réfuta les arguments de ses adversaires. Elle osa dénoncer l’oppression dont les femmes étaient victimes, et ajouta : « Nos droits sont ceux du peuple, et si l’on nous opprime, nous saurons opposer la résistance à l’oppression. » Le gouvernement n’apprécia guère, et elle se retrouva quelques jours plus tard impliquée dans une curieuse affaire. Une rixe eut lieu entre des femmes de la Halle et des Républicaines Révolutionnaires. Les premières prétendirent, par la voix d’une députation à la Convention, que les secondes les avaient forcées de prendre le bonnet rouge. Prudhomme, dans les Révolutions de Paris, assura que c’était l’habit masculin que les Républicaines, qui le portaient parfois, avaient voulu forcer les « honnêtes » femmes de la Halle à revêtir. Ces dernières se seraient défendues avec succès, et auraient même fouetté Claire Lacombe, qui participait à l’incident. Le gouvernement révolutionnaire saisit aussitôt le prétexte : les Républicaines Révolutionnaires furent interdites, ainsi que tous les clubs féminins. Lacombe dut se cacher, et la chute des Hébertistes, après celle des Enragés, la mit dans une position inconfortable. Elle fut finalement arrêtée, le 31 mars 1794. Elle demeura un an en prison. Elle reprit ensuite son métier de comédienne, joua en province, puis revint à Paris. On n’a plus de traces d’elle après 1798. »


Le Manifeste des Enragés

25 juin 1793

Délégués du peuple français,

Cent fois cette enceinte sacrée a retenti des crimes des égoïstes et des fripons ; toujours vous nous avez promis de frapper les sangsues du peuple. L’acte constitutionnel va être présenté à la sanction du souverain ; y avez-vous proscrit l’agiotage ? Non. Avez-vous prononcé la peine de mort contre les accapareurs ? Non. Avez-vous déterminé en quoi consiste la liberté du commerce ? Non. Avez-vous défendu la vente de l’argent monnayé ? Non. Eh bien ! Nous vous déclarons que vous n’avez pas tout fait pour le bonheur du peuple.

La liberté n’est qu’un vain fantôme quand une classe d’hommes peut affamer l’autre impunément. L’égalité n’est qu’un vain fantôme quand le riche, par le monopole, exerce le droit de vie et de mort sur son semblable. La république n’est qu’un vain fantôme quand la contre-révolution opère, de jour en jour, par le prix des denrées, auquel les trois quarts des citoyens ne peuvent atteindre sans verser des larmes.

Cependant, ce n’est qu’en arrêtant le brigandage du négociant, qu’il faut bien distinguer du commerce ; ce n’est qu’en mettant les comestibles à la portée des sans-culottes, que vous les attacherez à la Révolution et que vous les rallierez autour des lois constitutionnelles.

Eh quoi ! Parce que des mandataires infidèles, les hommes d’Etat, ont appelé sur notre malheureuse patrie les fléaux de la guerre étrangère, faut-il que le riche nous en déclare une plus terrible encore au-dedans ? Parce que trois cens mille français, traîtreusement sacrifiés, ont péri par le fer homicide des esclaves des rois, faut-il que ceux qui gardaient leurs foyers soient réduits à dévorer des cailloux ? Faut-il que les veuves de ceux qui sont morts pour la cause de la liberté paient au prix de l’or, jusques au coton dont elles ont besoin pour essuyer leurs larmes ? Faut-il qu’elles paient au prix de l’or, le lait et le miel qui servent de nourriture à leurs enfants ?

Mandataires du peuple, lorsque vous aviez dans votre sein les complices de Dumouriez, les représentants de la Vendée, les royalistes qui ont voulu sauver le tyran, ces hommes exécrables qui ont organisé la guerre civile, ces sénateurs inquisitoriaux qui décrétaient d’accusation le patriotisme et la vertu, la section des Gravilliers suspendit son jugement... Elle s’aperçut qu’il n’était pas du pouvoir de la Montagne de faire le bien qui était dans son coeur, elle se leva...

Mais aujourd’hui que le sanctuaire des lois n’est plus souillé par la présence des Gorsas, des Brissot, des Pétion, des Barbaroux et des autres chefs des appelants, aujourd’hui que ces traîtres, pour échapper à l’échafaud, sont allés cacher, dans les départements qu’ils ont fanatisés, leur nullité et leur infamie ; aujourd’hui que la Convention nationale est rendue à sa dignité et à sa vigueur, et n’a besoin pour opérer le bien que de le vouloir, nous vous conjurons, au nom du salut de la république, de frapper d’un anathème constitutionnel l’agiotage et les accaparements, et de décréter ce principe général que le commerce ne consiste pas à ruiner, à désespérer, à affamer les citoyens.

Les riches seuls, depuis quatre ans, ont profité des avantages de la Révolution. L’aristocratie marchande, plus terrible que l’aristocratie nobiliaire et sacerdotale, s’est fait un jeu cruel d’envahir les fortunes individuelles et les trésors de la république ; encore ignorons-nous quel sera le terme de leurs exactions, car le prix des marchandises augmente d’une manière effrayante, du matin au soir. Citoyens représentants, il est temps que le combat à mort que l’égoïste livre à la classe la plus laborieuse de la société finisse. Prononcez contre les agioteurs et les accapareurs. Ou ils obéiront à vos décrets ou ils n’y obéiront pas. Dans la première hypothèse, vous aurez sauvé la patrie ; dans le second cas, vous aurez encore sauvé la patrie, car nous serons à portée de connaître et de frapper les sangsues du peuple.

Eh quoi ! Les propriétés des fripons seraient-elles quelque chose de plus sacré que la vie de l’homme ? La force armée est à la disposition des corps administratifs, comment les subsistances ne seraient-elles pas à leur réquisition ? Le législateur a le droit de déclarer la guerre, c’est-à-dire de faire massacrer les hommes, comment n’aurait-il pas le droit d’empêcher qu’on pressure et qu’on affame ceux qui gardent leurs foyers ?

La liberté du commerce est le droit d’user et de faire user, et non le droit de tyranniser et d’empêcher d’user. Les denrées nécessaires à tous doivent être livrées au prix auquel tous puissent atteindre, prononcez donc, encore une fois... les sans culottes avec leurs piques feront exécuter vos décrets.

Vous n’avez pas hésité à frapper de mort ceux qui oseraient proposer un roi, et vous avez bien fait ; vous venez de mettre hors la loi les contre-révolutionnaires qui ont rougi, à Marseille, les échafauds du sang des patriotes, et vous avez bien fait ; vous auriez encore bien mérité de la patrie, si vous eussiez expulsé de nos armées les nobles et ceux qui tenaient leurs places de la cour ; si vous eussiez pris en otage les femmes, les enfants des émigrés et des conspirateurs, su vous eussiez retenu pour les frais de la guerre les pensions des ci-devant privilégiés, si vous eussiez confisqué au profit des volontaires et des veuves les trésors acquis depuis la révolution par les banquiers et les accapareurs ; si vous eussiez chassé de la Convention les députés qui ont voté l’appel au peuple, si vous eussiez livré aux tribunaux révolutionnaires les administrateurs qui ont provoqué le fédéralisme, si vous eussiez frappé du glaive de la loi les ministres et les membres du conseil exécutif qui ont laissé former un noyau de contre-révolution à la Vendée, si enfin vous eussiez mis en état d’arrestation ceux qui ont signé les pétitions anti-civiques, etc., etc. Or les accapareurs et les agioteurs ne sont-ils pas autant et plus coupables encore ? Ne sont-ils pas, comme eux, de véritables assassins nationaux ?

Ne craignez donc pas de faire éclater sur ces vampires la foudre de votre justice ; ne craignez pas de rendre le peuple trop heureux. Certes, il n’a jamais calculé lorsqu’il a été question de tout faire pour vous. Il vous a prouvé, notamment dans les journées du 31 mai et du 2 juin, qu’il voulait la liberté toute entière. Donnez-lui en échange du pain, et un décret ; empêchez qu’on ne mette le bon peuple à la question ordinaire et extraordinaire par le prix excessif des comestibles.

Jusques à présent, les gros marchands qui sont par principe les fauteurs du crime, et par habitude les complices des rois, ont abusé de la liberté du commerce pour opprimer le peuple ; ils ont faussement interprété cet article de la déclaration des droits de l’homme qui établit qu’il est permis de faire tout ce qui n’est pas défendu par la loi. Eh bien ! décrétez constitutionnellement que l’agiotage, la vente de l’argent-monnaie, et les accaparements sont nuisibles à la société. Le peuple qui connaît ses véritables amis, le peuple qui souffre depuis si longtemps verra que vous vous apitoyez sur son sort, et que vous voulez sérieusement guérir ses maux ; quand on aura une loi claire et précise, dans l’acte constitutionnel, contre l’agiotage et les accaparements, il verra que la cause du pauvre vous tient plus à cœur que celle du riche ; il verra qu’il ne siège point parmi vous des banquiers, des armateurs, et des monopoleurs ; il verra enfin que vous ne voulez pas la contre-révolution.

Vous avez, il est vrai, décrété un emprunt forcé d’un milliard sur le riche ; mais si vous n’arrachez pas l’arbre de l’agiotage, si vous ne mettez un frein national à l’avidité des accapareurs, le capitaliste, le marchand, dès le lendemain, lèveront cette somme sur les sans-culottes, par le monopole et les concussions ; ce n’est donc plus l’égoïste, mais le sans-culotte que vous avez frappé ; avant votre décret, l’épicier et le banquier n’ont cessé de pressurer les citoyens ; quelle vengeance n’exerceront-ils pas aujourd’hui que vous les mettez à contribution ? quel nouveau tribut ne vont-ils pas lever sur le sang et les larmes du malheureux ?

En vain objecterait-on que l’ouvrier reçoit un salaire en raison de l’augmentation du prix des denrées, la vérité il en est quelques-uns dont l’industrie est payée plus cher ; mais il en est aussi beaucoup dont la main d’œuvre est moins salariée depuis la Révolution. D’ailleurs tous les citoyens ne sont pas ouvriers ; tous les ouvriers ne sont pas occupés, et parmi ceux qui le sont, il en est qui ont huit à dix enfants incapables de gagner leur vie, et les femmes en général ne gagnent pas au-delà de vingt sous par jour.

Députés de la Montagne, que n’êtes vous montés depuis le troisième jusqu’au neuvième étage des maisons de cette ville révolutionnaire, vous auriez été attendris par les larmes et les gémissements d’un peuple immense sans pain et sans vêtements, réduit à cet état de détresse et de malheur par l’agiotage et les accaparements, parce que les lois ont été cruelles à l’égard du pauvre, parce qu’elles n’ont été faites que par les riches et pour les riches.

O rage, ô honte du XVIIIème siècle ! Qui pourra croire que les représentants du peuple français qui ont déclaré la guerre aux tyrans du dehors ont été assez lâches pour ne pas écraser ceux du dedans ? Sous le règne des Sartines et des Flesselles, le gouvernement n’aurait pas toléré qu’on fît payer les denrées de première nécessité trois fois au-dessus de leur valeur ; que dis-je ? Ils fixaient le prix des armes et de la viande pour le soldat ; et la Convention nationale, investie de la force de vingt-cinq millions d’hommes, souffrira que le marchand et le riche égoïste leur portent habituellement le coup de la mort, en taxant arbitrairement les choses les plus utiles à la vie. Louis Capet n’avait pas besoin, pour opérer la contre-révolution, de provoquer la foudre des puissances étrangères. Les ennemis de la patrie n’avaient pas besoin d’incendier d’une pluie de feu les départements de l’Ouest, l’agiotage et les accaparements suffisent pour renverser l’édifice des lois républicaines.

Mais c’est la guerre, dira-t-on, qui est la cause de la cherté des vivres. Pourquoi donc, représentants du peuple, l’avez-vous provoquée en dernier lieu ? Pourquoi, sous le cruel Louis XIV, le Français eut-il à repousser la ligue des tyrans, et l’agiotage n’étendit pas sur cet empire l’étendard de la révolte, de la famine et de la dévastation ? Et, sous ce prétexte il serait donc permis au marchand de vendre la chandelle six francs la livre, le savon six francs la livre, l’huile six francs la livre.

Sous le prétexte de la guerre, le sans-culotte paierait donc les souliers cinquante livres la paire, une chemise cinquante livres, un mauvais chapeau cinquante livres. C’est pour le coup qu’on pourrait dire que les prédictions de Cazalès et de Maury sont accomplies ; dans ce cas, vous auriez conspiré, avec eux, contre la liberté de la patrie, que dis-je, vous les auriez surpassés en trahison. C’est pour le coup que les Prussiens et les Espagnols pourraient dire : nous sommes les maîtres d’enchaîner les Français car ils n’ont pas le courage d’enchaîner les monstres qui les dévorent, c’est pour le coup qu’on pourrait dire : qu’en répandant à propos des millions, qu’en associant les bourgeois et les gros marchands au parti des contre-révolutionnaires, la république se détruirait par elle-même.

Mais c’est le papier ; dit-on encore, qui est la cause de la cherté des vivres : ah ! le sans-culotte ne s’aperçoit guère qu’il y en a beaucoup en circulation... Au reste sa prodigieuse émission est une preuve du cours qu’il a et du prix qu’on y attache. Si l’assignat a une hypothèque réelle, s’il repose sur la loyauté de la nation française, la quantité des effets nationaux ne leur ôte donc rien de leur valeur. Parce qu’il y a beaucoup de monnaie en circulation, est-ce une raison pour oublier qu’on est homme, pour commettre dans les tavernes du commerce des brigandages, pour se rendre maître de la fortune et de la vie des citoyens, pour employer tous les moyens d’oppression que suggèrent l’avarice et l’esprit de parti, pour exciter le peuple à la révolte et le forcer par la disette et le supplice des besoins à dévorer ses propres entrailles ?

Mais les assignats perdent beaucoup dans le commerce... Pourquoi donc les banquiers, les négociants et les contre-révolutionnaires du dedans et du dehors en remplissent-ils leurs coffres ? Pourquoi ont-ils la cruauté de diminuer le salaire de certains ouvriers, et n’accordent-ils pas une indemnité aux autres ? Pourquoi n’offrent-ils pas l’escompte, lorsqu’ils acquièrent les domaines nationaux ? L’Angleterre, dont la dette excède peut-être vingt fois la valeur de son territoire et qui n’est florissante que par le papier de sa banque, paie-telle à proportion les denrées aussi cher que nous les payons ? Ah ! le ministre Pitt est trop adroit pour laisser accabler ainsi les sujets de Georges ! Et vous, citoyens représentants, vous, les députés de la Montagne, vous qui vous faites gloire d’être du nombre des sans-culottes, du haut de votre immortel rocher, vous n’anéantirez pas l’hydre sans cesse renaissante de l’agiotage !

Mais ajoute-ton, on tire de l’étranger bien des articles, et il ne veut en paiement que de l’argent. Cela est faux ; le commerce s’est presque toujours fait par l’échange de marchandise contre marchandise, et du papier contre papier ; souvent même on a préféré des effets au numéraire. Les espèces métalliques qui circulent en Europe ne suffiraient pas, pour acquitter la cent-millième partie des billets qui sont en émission. Ainsi, il est clair comme le jour, que les agioteurs et les banquiers ne discréditent les assignats que pour vendre plus cher leur argent, pour trouver occasion de faire impunément le monopole et de trafiquer dan le comptoir du sang des patriotes, qu’ils brûlent de verser.

Mais l’on ne sait pas comment les choses tourneront. –Il est très certain que les amis de l’égalité ne souffriront pas toujours qu’on les fasse égorger au dehors et qu’au-dedans on les assiège par la famine. Il est très certains que toujours ils ne seront pas les dupes de cette peste publique, des charlatans qui nous rongent comme des vers, des accapareurs dont les magasins ne sont plus qu’un repaire de filous.

Mais, lorsque la peine de mort est prononcée contre quiconque tenterait de rétablir la royauté, lorsque des légions innombrables de citoyens soldats forment avec leurs armes une voûte d’acier, lorsqu’elles vomissent de toutes parts le salpêtre et le feu sur une horde de barbares, le banquier et l’accapareur peuvent-ils dire qu’ils ne savent pas comment les choses tourneront ? Au reste, s’ils l’ignorent, nous venons le leur apprendre. Le peuple veut la liberté et l’égalité, la république ou la mort ; et voilà précisément ce qui vous désespère, agioteurs, vils suppôts de la tyrannie.

N’ayant pu réussir à corrompre le cœur du peuple, à le subjuguer par la terreur et la calomnie, vous employez les dernières ressources des esclaves pour étouffer l’amour de la liberté. Vous vous emparez des manufactures, des ports de mer, de toutes les branches du commerce, de toutes les productions de la terre pour faire mourir de faim, de soif et de nudité, les amis de la patrie, et les déterminer à se jeter entre les bras du despotisme.

Mais les fripons ne réduiront pas à l’esclavage un peuple qui ne vit que de fer et de liberté, de privations et de sacrifices. Il est réservé aux partisans de la monarchie de préférer des chaînes antiques et des trésors à la République et à l’immortalité.

Ainsi, mandataires du peuple, l’insouciance que vous montreriez plus longtemps serait un acte de lâcheté, un crime de lèse-nation. Il ne faut pas craindre d’encourir la haine des riches, c’est-à-dire des méchants. Il ne faut pas craindre de sacrifier les principes politiques au salut du peuple, qui est la suprême loi.

Convenez donc avec nous que par pusillanimité vous autorisez le discrédit du papier, vous réparez la banqueroute, en tolérant des abus, des forfaits dont le despotisme eût rougi, dans les derniers jours de sa barbare puissance.

Nous savons sans doute qu’il est des maux inséparables d’une grande révolution, qu’il n’est pas de sacrifices qu’on ne doive faire, pour le triomphe de la liberté, et qu’on ne saurait trop payer cher le plaisir d’être républicain ; mais aussi nous savons que le peuple a été trahi par deux législatures ; que les vices de la Constitution de 1791 ont été la source des calamités publiques, et qu’il est temps que le sans-culotte qui a brisé le sceptre des rois, voie le terme des insurrections et de toute espèce de tyrannie.

Si vous n’y portez un prompt remède, comment ceux qui n’ont aucun état, ceux qui n’ont que 2, 3, 4, 4 ou 6 cents livres de rentes, encore mal payées, soit en pension viagère, soit sur des caisses particulières subsisteront-ils, si vous n’arrêtez le cours de l’agiotage et des accapareurs, et cela par un décret constitutionnel qui n’est pas sujet aux variations des législateurs. Il est possible que nous n’ayons la paix que dans vingt ans ; les frais de la guerre occasionneraient une émission nouvelle de papier ; voudriez-vous donc perpétuer nos maux pendant tout ce temps-là, déjà trop long, par l’autorisation tacite de l’agiotage et des accaparements ? Ce serait là le moyen d’expulser tous les étrangers patriotes, et d’empêcher les peuples esclaves de venir respirer en France l’air pur de la liberté.

N’est-ce donc pas assez que vos prédécesseurs, pour la plupart d’infâme mémoire, nous aient légué la monarchie, l’agiotage et la guerre, sans que vous nous léguiez la nudité, la famine et le désespoir ? Faut-il que les royalistes et les modérés, sous prétexte de la liberté du commerce, dévorent encore les manufactures, les propriétés ? qu’ils s’emparent du blé des champs, des forêts et des vignes, de la peau même des animaux et qu’ils boivent encore dans des coupes dorées le sans et les larmes de citoyens, sous la protection de la loi ?

Députés de la Montagne, non, non, vous ne laisserez pas votre ouvrage imparfait ; vous fonderez les bases de la prospérité publique ; vous consacrerez les principes généraux et répressifs de l’agiotage et des accapareurs ; vous ne donnerez pas à vos successeurs l’exemple terrible de la barbarie des hommes puissants sur le faible, du riche sur le pauvre ; vous ne terminerez pas enfin votre carrière avec ignominie.

Dans cette pleine confiance, recevez ici le nouveau serment que nous faisons de défendre jusques au tombeau la liberté, l’égalité, l’unité et l’indivisibilité de la République et les sans-culottes opprimés des départements.

Qu’ils viennent, qu’ils viennent bien vite à Paris, cimenter les liens de la fraternité ! c’est alors que nous leur montrerons ces piques immortelles qui ont renversé la Bastille ; ces piques qui fait tomber en putréfaction la commission des douze et la faction des hommes d’Etat, ces piques qui feront justice des intrigants et des traîtres, de quelque masque qu’ils se couvrent et quelque pays qu’ils habitent. C’est alors que nous les conduirons au pied de ce jeune chêne où les Marseillais et les sans-culottes des départements abjurèrent leur erreur, et firent serment de renverser le trône. C’est alors enfin que nous les accompagnerons dans le sanctuaire des lois, où d’une main républicaine nous leur montrerons le côté qui voulut sauver le tyran et la Montagne qui prononça sa mort.

Vive la vérité, vive la Convention nationale, vive la république française !

(D’après Dommanget, Les Enragés contre la vie chère, 1948, p. 83-89)


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bipbip
 
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Re: Révolution bourgeoise & luttes de classe en France,1789-

Messagede bipbip » 29 Juil 2017, 18:31

L’anarchiste russe P Kropotkine à travers son livre « la Grande Révolution » analyse et critique la Révolution française; ses révoltes populaires mais aussi ses échecs notamment les manigances et la main basse de la bourgeoisie sur le peuple insurgé.

LA GRANDE RÉVOLUTION

LES DEUX GRANDS COURANTS DE LA RÉVOLUTION


Deux grands courants préparèrent et firent la Révolution. L’un, le courant d’idées, — le flot d’idées nouvelles sur la réorganisation politique des États, — venait de la bourgeoisie. L’autre, celui de l’action, venait des masses populaires — des paysans et des prolétaires dans les villes, qui voulaient obtenir des améliorations immédiates et tangibles à leurs conditions économiques. Et lorsque ces deux courants se rencontrèrent, dans un but d’abord commun, lorsqu’ils se prêtèrent pendant quelque temps un appui mutuel, alors ce fut la Révolution.

Cependant l’histoire de ce double mouvement reste encore à faire. L’histoire de la Grande Révolution Française a été faite et refaite bien des fois, au point de vue de tant de partis différents ; mais jusqu’à présent les historiens se sont appliqués surtout à raconter l’histoire politique, l’histoire des conquêtes de la bourgeoisie sur le parti de la Cour et sur les défenseurs des institutions de la vieille monarchie. Ainsi nous connaissons très bien le réveil de la pensée qui précéda la Révolution. Nous connaissons les principes qui dominèrent la Révolution, et qui se traduisirent dans son œuvre législative ; nous nous extasions aux grandes idées qu’elle lança dans le monde et que le dix-neuvième siècle chercha plus tard à réaliser.

Bref, l’histoire parlementaire de la Révolution, ses guerres, sa politique et sa diplomatie ont été étudiées et racontées dans tous les détails. Mais l’histoire populaire de la Révolution reste encore à faire. Le rôle du peuple des campagnes et des villes dans ce mouvement n’a jamais été raconté ni étudié dans son entier. Des deux courants qui firent la Révolution, celui de la pensée est connu, mais l’autre courant, l’action populaire, n’a même pas été ébauché.

À nous, descendants de ceux qui furent appelés les « anarchistes », d’étudier ce courant populaire, d’en relever, au moins, les traits essentiels.


ET LE PEUPLE? QUELLE ÉTAIT SON IDÉE ?

Le peuple, lui aussi, avait subi dans une certaine mesure l’influence de la philosophie du siècle. Par mille canaux indirects, les grands principes de liberté et d’affranchissements s’étaient infiltrées jusque dans les villages et les faubourgs des grandes villes. Le respect de la royauté et de l’aristocratie disparaissait. Des idées égalitaires pénétraient dans les milieux les plus obscurs. Des lueurs de révolte traversaient les esprits. L’espoir d’un changement prochain faisait battre parfois les cœurs des plus humbles. — « Je ne sais pas ce qui va arriver, mais quelque chose doit arriver — et bientôt », disait en 1787 une vieille femme à Arthur Young qui parcourait la France à la veille de la Révolution. Ce « quelque chose » devait apporter un soulagement aux misères du peuple.

On a discuté dernièrement la question de savoir si le mouvement qui précéda la Révolution et la Révolution elle-même, contenaient un élément de socialisme. Le mot « socialisme » n’y était certainement pas, puisqu’il ne date que du milieu du dix-neuvième siècle. La conception de l’État capitaliste, à laquelle la fraction social-démocrate du grand parti socialiste cherche à réduire aujourd’hui le socialisme, ne dominait certainement pas au point où il domine aujourd’hui, puisque les fondateurs du « collectivisme » social-démocratique, Vidal et Pecqueur, n’écrivirent qu’entre 1840 et 1849. Mais on ne peut relire aujourd’hui les ouvrages des écrivains précurseurs de la Révolution, sans être frappé de la façon dont ces écrits étaient imbus des idées qui font l’essence même du socialisme moderne.

Deux idées fondamentales — celle de l’égalité de tous les citoyens dans leurs droits à la terre, et celle que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de communisme, trouvaient des partisans dévoués parmi les encyclopédistes, ainsi que parmi les écrivains les plus populaires de l’époque, tels que Mably, d’Argenson et tant d’autres de moindre importance. Il est tout naturel que, la grande industrie étant alors dans les langes, et le capital par excellence, l’instrument principal d’exploitation du travail humain, étant alors la terre, et non pas l’usine qui se constituait à peine, — c’est vers la possession en commun du sol que se portait surtout la pensée des philosophes et, plus tard, la pensée des révolutionnaires du dix-huitième siècle. Mably, qui, bien plus que Rousseau, inspira les hommes de la Révolution, ne demandait-il pas, en effet, dès 1768 (Doutes sur l’ordre naturel et essentiel des sociétés) l’égalité pour tous dans le droit au sol et la possession communiste du sol ? Et le droit à la nation à toutes les propriétés foncières, ainsi qu’à toutes les richesses naturelles — forêts, rivières, chutes d’eau, etc. — n’était-il pas l’idée dominante des écrivains précurseurs de la Révolution, ainsi que de l’aile gauche des révolutionnaires populaires pendant la tourmente elle-même ?

Malheureusement, ces aspirations communistes ne prenaient pas une forme nette, concrète, chez les penseurs qui voulaient le bonheur du peuple. Tandis que chez la bourgeoisie instruite, les idées d’affranchissement se traduisaient par tout un programme d’organisation politique et économique, on ne présentait au peuple que sous la forme de vagues aspirations les idées d’affranchissement et de réorganisation économiques. Souvent ce n’étaient que de simples négations. Ceux qui parlaient au peuple ne cherchaient pas à définir la forme concrète sous laquelle ces desiderata ou ces négations pourraient se manifester. On croirait même qu’ils évitaient de préciser. Sciemment ou non, ils semblaient se dire : « À quoi bon parler au peuple de la manière dont il s’organisera plus tard ! Cela refroidirait son énergie révolutionnaire. Qu’il ait seulement la force de l’attaque, pour marcher à l’assaut des vieilles institutions. — Plus tard, on verra comment s’arranger. »

Combien de socialistes et d’anarchistes procèdent encore de la même façon ! Impatients d’accélérer le jour de la révolte, ils traitent de théories endormantes toute tentative de jeter quelque jour sur ce que la Révolution devra chercher à introduire.

Il faut dire que l’ignorance des écrivains — citadins et hommes d’étude pour la plupart, — y était pour beaucoup. Ainsi, dans toute cette assemblée d’hommes instruits et rompus aux « affaires » que fut l’Assemblée nationale – hommes de loi, journalistes, commerçants, etc., — il n’y avait que deux ou trois membres légistes qui connussent les droits féodaux, et l’on sait qu’il n’y avait à l’Assemblée que fort peu de représentants des paysans, familiers avec les besoins du village par leur expérience personnelle.

Pour ces diverses raisons, l’idée populaire s’exprimait surtout par de simples négations. — « Brûlons les terriers, où sont consignées les redevances féodales ! À bas les dîmes ! À bas madame Veto ! À la lanterne les aristocrates ! » Mais à qui la terre libre ? À qui l’héritage des aristocrates guillotinés ? À qui la force de l’État qui tombait des mains de M. Veto, mais devenait entre celles de la bourgeoisie une puissance autrement formidable que sous l’ancien régime ?

Ce manque de netteté dans les conceptions du peuple sur ce qu’il pouvait espérer de la Révolution laissa son empreinte sur tout le mouvement. Tandis que la bourgeoisie marchait d’un pied ferme et décidé à la constitution de son pouvoir politique dans un État qu’elle cherchait à modeler à ses intentions, le peuple hésitait. Dans les villes, surtout, il semblait même ne pas trop savoir au début ce qu’il pourrait faire du pouvoir conquis, afin d’en profiter à son avantage. Et lorsque plus tard, les projets de loi agraire et d’égalisation des fortunes commencèrent à se préciser, ils vinrent se heurter contre tous les préjugés sur la propriété, dont ceux-là même étaient imbus, qui avaient épousé sincèrement la cause du peuple.

Le même conflit se produisait dans les conceptions sur l’organisation politique de l’État. On le voit surtout dans la lutte qui s’engage entre les préjugés gouvernementaux des démocrates de l’époque et les idées qui se faisaient jour au sein des masses, sur la décentralisation politique et sur le rôle prépondérant que le peuple voulait donner à ses municipalités, à ses sections dans les grandes villes, et aux assemblées de village. De là toute cette série de conflits sanglants qui éclatèrent dans la Convention. Et de là aussi l’incertitude des résultats de la Révolution pour la grande masse du peuple, sauf en ce qui concerne les terres reprises aux seigneurs laïques et religieux et affranchies des droits féodaux.

Mais si les idées du peuple étaient confuses au point de vue positif, elles étaient au contraire très nettes sous certains rapports, dans leurs négations.

D’abord, la haine du pauvre contre toute cette aristocratie oisive, fainéante, perverse qui le dominait, alors que la noire misère régnait dans les villages et les sombres ruelles des grandes villes. Ensuite la haine du clergé, qui appartenait, par ses sympathies, plutôt à l’aristocratie qu’au peuple qui le nourrissait. La haine de toutes les institutions de l’ancien régime qui rendaient la pauvreté encore plus lourde, puisqu’elles refusaient de reconnaître au pauvre les droits humains. La haine du régime féodal et de ses redevances qui tenait le cultivateur dans un état de servitude envers le propriétaire foncier, alors que la servitude personnelle avait cessé d’exister. Et enfin, le désespoir du paysan lorsque, dans ces années de disette, il voyait la terre rester inculte entre les mains du seigneur, ou servant de lieu d’amusement pour les nobles, alors que la famine régnait dans les villages.

Cette haine, qui mûrissait depuis longtemps, à mesure que l’égoïsme des riches s’affirmait de plus en plus dans le courant du dix-huitième siècle, et ce besoin de la terre, ce cri du paysan affamé et révolté contre le seigneur qui lui en empêchait l’accès, réveillèrent l’esprit de révolte dès 1788. Et c’est cette même haine et ce même besoin, — avec l’espoir de réussir, — qui soutinrent pendant les années 1789-1793 les révoltes incessantes des paysans, — révoltes qui permirent à la bourgeoisie de renverser l’ancien régime et d’organiser son pouvoir sous un nouveau régime, celui du gouvernement représentatif.

Sans ces soulèvements, sans cette désorganisation complète des pouvoirs en province, qui se produisit à la suite des émeutes sans cesse renouvelées ; sans cette promptitude du peuple de Paris et d’autres villes à s’armer et à marcher contre les forteresses de la royauté, chaque fois que l’appel au peuple fut fait par les révolutionnaires, l’effort de la bourgeoisie n’eût certainement pas abouti. Mais c’est aussi à cette source toujours vivante de la Révolution — au peuple, prêt à saisir les armes — que les historiens de la Révolution n’ont pas encore rendu la justice que l’histoire de la civilisation lui doit.


LES ANARCHISTES

Mais qui sont enfin ces anarchistes dont Brissot parle tant et dont il demande avec tant d’acharnement l’extermination ?

D’abord les anarchistes ne sont pas un parti. À la Convention il y a la Montagne, les Girondins, la Plaine, ou plutôt le Marais, le Ventre, comme on disait alors ; mais il n’y a pas « les Anarchistes ». Danton, Marat et même Robespierre, ou tel autre des Jacobins, peuvent bien quelquefois marcher avec les anarchistes ; mais ceux-ci sont en dehors de la Convention. Ils sont — faut-il le dire — au-dessus d’elle : ils la dominent.

Ce sont des révolutionnaires disséminés dans toute la France. Ils se sont donnés à la Révolution corps et âme ; ils en comprennent la nécessité ; ils l’aiment et ils travaillent pour elle.

Nombre d’entre eux se groupent autour de la Commune de Paris, parce qu’elle est encore révolutionnaire ; un certain nombre appartient au Club des Cordeliers ; quelques-uns vont au Club des Jacobins. Mais leur vrai terrain, c’est la section, et surtout la rue. À la Convention, on les voit dans les tribunes, d’où ils dirigent les débats. Leur moyen d’action, c’est l’opinion du peuple, — non pas « l’opinion publique » de la bourgeoisie. Leur vraie arme, c’est l’insurrection. Par cette arme ils exercent une influence sur les députés et le pouvoir exécutif.

Et quand il faut donner un coup de collier, enflammer le peuple et marcher avec lui contre les Tuileries, — c’est eux qui préparent l’attaque et combattent dans les rangs.

Le jour où l’élan révolutionnaire du peuple se sera épuisé, — ils rentreront dans l’obscurité. Et il n’y aura que les pamphlets, remplis de fiel, de leurs adversaires pour nous permettre de reconnaître l’immense œuvre révolutionnaire qu’ils ont accomplie.

Quant à leurs idées, elles sont nettes, tranchées.

La République ? — Certainement ! — L’égalité devant la loi ? — D’accord ! Mais ce n’est pas tout. Loin de là.

Se servir de la liberté politique pour obtenir la liberté économique, ainsi que le recommandent les bourgeois ? — Ils savent que ça ne se peut pas.

Aussi veulent-ils la chose elle-même. La terre pour tous, — c’est ce qu’on appelait alors « la loi agraire ». L’égalité économique, ou, pour parler le langage du temps, — « le nivellement des fortunes ».

Mais écoutons Brissot.

« Ce sont eux », dit-il, « qui… ont divisé la société en deux classes, celle qui a, et celle qui n’a pas — celle des sans-culottes et celle des propriétaires, qui ont excité l’une contre l’autre ».

« Ce sont eux », continue Brissot, « qui, sous le nom de sections, n’ont cessé de fatiguer la Convention de pétitions pour fixer le maximum des grains ».

Ce sont eux qui envoient « les émissaires qui vont partout prêcher la guerre des sans-culottes contre les propriétaires » ; ce sont eux qui prêchent « la nécessité de niveler les fortunes ».

Ce sont eux qui ont provoqué « la pétition de ces dix mille hommes qui se déclaraient en état d’insurrection, si l’on ne taxait pas le blé » et qui partout en France provoquaient les insurrections.

Ainsi voilà leurs crimes. Diviser la nation en deux classes — celle qui a, et celle qui n’a rien. Exciter l’une contre l’autre. Réclamer du pain — du pain avant tout pour ceux qui travaillent.

C’étaient, à coup sûr, de grands criminels. Seulement, qui donc des savants socialistes du dix-neuvième siècle, a su inventer quelque chose de mieux que cette demande de nos ancêtres de 1793 : « Du pain pour tous ? » Bien plus de mots aujourd’hui ; moins d’action !

Quant à leurs procédés pour mettre à exécution leurs idées, les voici :

« La multiplicité des crimes », nous dit Brissot, « elle est produite par l’impunité ; l’impunité, par la paralysie des tribunaux ; et les anarchistes protègent cette impunité, frappent tous les tribunaux de paralysie, soit par la terreur, soit par des dénonciations et des accusations d’aristocratie. »

« Les atteintes répétées partout contre les propriétés et la sûreté individuelle, — les anarchistes de Paris en donnent chaque jour l’exemple ; et leurs émissaires particuliers et leurs émissaires décorés du titre de commissaires de la Convention, prêchent partout cette violation des droits de l’homme. »

Puis Brissot mentionne « les éternelles déclamations des anarchistes contre les propriétaires ou marchands, qu’ils désignent sous le nom d’accapareurs ; » il parle de « propriétaires qui sont sans cesse désignés au fer des brigands », de la haine que les anarchistes ont pour chaque fonctionnaire de l’État : « Du moment, dit-il, où un homme est en place, il devient odieux à l’anarchiste, il paraît coupable. » Et pour cause, dirons-nous.

Mais ce qui est superbe, c’est de voir Brissot énumérant les bienfaits de « l’ordre ». Il faut lire ce passage pour comprendre ce que la bourgeoisie girondine aurait donné au peuple français, si les « anarchistes » n’avaient pas poussé la Révolution plus loin.

« Considérez, dit Brissot, les départements qui ont su enchaîner la fureur de ces hommes ; considérez, par exemple, le département de la Gironde. L’ordre y a constamment régné ; le peuple s’y est soumis à la loi, quoiqu’il payât le pain jusqu’à dix sols la livre… C’est que dans ce département on a banni les prédicateurs de la loi agraire ; c’est que les citoyens ont muré ce club où l’on enseigne… etc. » (le club des Jacobins).

Et ceci s’écrivait deux mois après le 10 août, alors que le plus aveugle ne pouvait manquer de comprendre que si dans toute la France le peuple se fût « soumis à la loi, quoiqu’il payât le pain jusqu’à 10 sols la livre », il n’y aurait pas eu du tout de Révolution, et la royauté, que Brissot se donne l’air de combattre, ainsi que la féodalité, eussent régné, peut-être, encore un siècle, — comme en Russie[1].

Il faut lire Brissot pour comprendre tout ce que préparaient les bourgeois d’alors pour la France, et ce que les Brissotins du vingtième siècle préparent encore, partout où une révolution va éclater.

« Les troubles de l’Eure, de l’Orne, etc. », dit Brissot, « ont été causés par les prédicateurs contre les riches, contre les accapareurs, par les sermons séditieux, sur la nécessité de taxer à main armée les grains et toutes les denrées. »

Et à propos d’Orléans : « Cette ville, raconte Brissot, jouissait, depuis le commencement de la Révolution, d’une tranquillité que n’avaient pas même altérée les troubles excités ailleurs par la disette des grains, quoiqu’elle en fût l’entrepôt… Cette harmonie entre les pauvres et les riches n’était pas dans les principes de l’anarchie ; et un de ces hommes, dont l’ordre est le désespoir, dont le trouble est l’unique but, s’empresse de rompre cette heureuse concorde, en excitant les sans-culottes contre les propriétaires. »

« C’est encore elle, l’anarchie », — s’écrie Brissot, « qui a créé le pouvoir révolutionnaire dans l’armée » : « Qui peut maintenant douter, — dit-il — du mal affreux qu’a causé dans nos armées cette doctrine anarchiste, qui, à l’ombre de l’égalité des droits, veut établir une égalité universelle et de fait ; fléau de la société, comme l’autre en est le soutien ? Doctrine anarchiste qui veut niveler talents et ignorance, vertus et vices, places, traitements, services.»

Oh ! cela, par exemple, les Brissotins ne le pardonneront jamais aux anarchistes : l’égalité de droit — passe encore, pourvu que jamais elle ne soit de fait. Aussi Brissot n’a-t-il pas assez de colères contre ces terrassiers du camp de Paris qui demandèrent un jour que le salaire des députés et le leur fussent égalisés ! ! Pensez seulement ! Brissot et le terrassier mis sur un même pied ! non pas en droit, mais de fait ! Oh, les misérables !

Comment les anarchistes étaient-ils parvenus, cependant, à exercer un pouvoir aussi grand, de façon à dominer même la terrible Convention, à lui dicter ses décisions ?

Brissot nous le raconte dans ses pamphlets. Ce sont les tribunes, dit-il, le peuple de Paris et la Commune de Paris, qui dominent la situation et qui forcent la main à la Convention, chaque fois qu’on lui fait prendre quelque mesure révolutionnaire.

À ses débuts — nous dit Brissot — la Convention était très sage. « Vous verrez, dit-il, la majorité de la Convention, pure, saine, amie des principes, tourner sans cesse ses regards vers la loi. » On accueillait « presque unanimement » toutes les propositions qui tendaient à humilier, à écraser « les fauteurs de désordre ».

On voit d’ici les résultats révolutionnaires qu’il fallait attendre de ces représentants, qui tournaient sans cesse leurs regards vers la loi — royale et féodale ; heureusement les anarchistes s’en mêlèrent. Seulement ils comprirent que leur place n’était pas à la Convention, au milieu des représentants, — mais dans la rue ; que s’ils mettaient jamais le pied dans la Convention, ce ne serait pas pour parlementer avec les Droites et « les crapauds du Marais » : ce serait pour exiger quelque chose, soit du haut des tribunes, soit en venant envahir la Convention avec le peuple.

De cette façon, peu à peu « les brigands (Brissot parle des « anarchistes ») ont audacieusement levé la tête. D’accusés, ils se sont transformés en accusateurs ; de spectateurs silencieux de nos débats, ils en sont devenus les arbitres ». « Nous sommes en révolution », — telle était leur réponse.

Eh bien, ceux que Brissot appelait les « anarchistes » voyaient plus loin et faisaient preuve d’une sagesse politique plus grande que ceux qui prétendaient gouverner la France. Si la Révolution s’était terminée par le triomphe des Brissotins, sans avoir aboli le régime féodal, ni rendu la terre aux communes, — où en serions-nous aujourd’hui ?

Mais peut-être Brissot formule-t-il quelque part un programme et expose-t-il ce que les Girondins proposent pour mettre fin au régime féodal et aux luttes qu’il provoque ? À ce moment suprême, lorsque le peuple de Paris demande que l’on chasse les Girondins de la Convention, il dira peut-être ce que les Girondins proposent, pour satisfaire, ne fût-ce qu’une partie des besoins populaires les plus pressants ?

Il n’en est rien, absolument rien !

Le parti girondin tranche toute la question par ces mots : Toucher aux propriétés, qu’elles soient féodales ou bourgeoises, c’est faire œuvre de « niveleur », de « fauteur de désordre », d’« anarchiste ». Les gens de cette sorte doivent être tout bonnement exterminés.

« Les désorganisateurs, avant le 10 août, étaient de vrais révolutionnaires », écrit Brissot, « car il fallait désorganiser pour être républicain. Les désorganisateurs aujourd’hui sont de vrais contre-révolutionnaires, des ennemis du peuple ; car le peuple est maître maintenant… Que lui reste-t-il à désirer ? La tranquillité intérieure, puisque cette tranquillité seule assure au propriétaire sa propriété, à l’ouvrier son travail, au pauvre son pain de tous les jours, et à tous la jouissance de la liberté. » (Pamphlet du 24 octobre 1792.)

Brissot ne comprend même pas qu’à cette époque de disette, où le prix du pain montait jusqu’à six et sept sous la livre, le peuple pût demander une taxe pour fixer le prix du pain. Il n’y a que les anarchistes qui puissent le faire (p. 19).

Pour lui et pour toute la Gironde, la Révolution est terminée, après que le Dix-Août a porté leur parti au gouvernement. Il ne reste plus qu’à accepter la situation, à obéir aux lois politiques que va faire la Convention. Il ne comprend même pas l’homme du peuple qui dit que puisque les droits féodaux restent, puisque les terres n’ont pas été rendues aux communes, puisque dans toutes les questions foncières c’est le provisoire qui règne, puisque le pauvre supporte tout le fardeau de la guerre, — la Révolution n’est pas terminée, et que l’action révolutionnaire seule peut l’achever, vu l’immense résistance opposée par l’ancien régime, en toute chose, aux mesures décisives.

Le Girondin ne le comprend même pas. Il n’admet qu’une catégorie de mécontents : les citoyens qui craignent « ou pour leur fortune, ou pour leurs jouissances, ou pour leur vie » (p. 127). Toutes les autres catégories de mécontents n’ont pas de raison d’être. Et quand on sait dans quelle incertitude la Législative avait laissé toutes les questions du sol, — on se demande comment une pareille attitude d’esprit pouvait être possible ? Dans quel monde fictif d’intrigues politiques vivaient ces gens-là ? On ne les comprendrait même pas, si on ne les connaissait que trop bien parmi nos contemporains.

La conclusion de Brissot, d’accord avec tous les Girondins, la voici :

Il faut un coup d’État, une troisième révolution, qui « doit abattre l’anarchie ». Dissoudre la Commune de Paris et ses sections, les anéantir ! Dissoudre le club des Jacobins, mettre les scellés sur ses papiers.

La « roche Tarpeïenne », c’est-à-dire la guillotine, pour le « triumvirat » (Robespierre, Danton et Marat) et pour tous les niveleurs, tous les anarchistes.

Élire une nouvelle Convention, dans laquelle aucun des membres actuels ne siégerait plus, — c’est-à-dire le triomphe de la contre-révolution.

Un gouvernement fort, — l’ordre rétabli !

Tel est le programme des Girondins, depuis que la chute du roi les a porté au pouvoir et a rendu « les désorganisateurs inutiles ».

Que restait-il donc aux révolutionnaires, si ce n’était d’accepter la lutte à outrance ?

Ou bien la Révolution devait s’arrêter net, telle quelle, inachevée, — et la contre-révolution thermidorienne commençait quinze mois plus tôt, dès le printemps de 1793, avant l’abolition des droits féodaux

Ou bien il fallait bannir les Girondins de la Convention, malgré les services qu’ils avaient rendus à la Révolution, tant qu’il fallait combattre la royauté. Ces services, il était impossible de les méconnaître. — « Ah ! sans doute », s’écriait Robespierre dans la fameuse séance du 10 avril, « ils avaient frappé sur la Cour, sur les émigrés, sur les prêtres, et cela d’une main violente ; mais à quelle époque ? — Quand ils avaient le pouvoir à conquérir… Le pouvoir une fois conquis, leur ferveur s’était vite ralentie. Comme ils s’étaient hâtés de changer de haines ! »

La Révolution ne pouvait s’arrêter inachevée. Elle dut passer outre, sur leurs corps.

Aussi, depuis février 1793, Paris et les départements révolutionnaires sont en proie à une agitation qui aboutira au 31 mai.



Pour lire le livre en entier( format pdf) : https://le-cafe-anarchiste.info/wp-cont ... a_Grande_Révolution.pdf

https://le-cafe-anarchiste.info/la-grande-revolution/
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Re: Révolution bourgeoise & luttes de classe en France,1789-

Messagede bipbip » 27 Nov 2017, 21:01

Le 27 novembre 1793, « le vertueux canut » Denis Monnet est guillotiné

Personnage capital de la lutte des canuts du XVIIIe siècle, et du mouvement ouvrier, Denis Monnet mérite d’être mieux connu, et pas seulement des Lyonnais... A Lyon, pas une seule place, pas une seule rue, pas une seule école ne porte son nom, ni de même dans d’autres localités de l’agglomération lyonnaise !

Cette exécution sommaire à Lyon est dûe à l’erreur parisienne. Où mène le jacobinisme parisien, le centralisme, la rigueur soi-disant « révolutionnaire », le penser global sans connaître rien du local... sinon à de graves erreurs, à la fureur meurtrière, à Denis Monnet guillotiné !

Jugement sommaire de Denis Monnet

« Le 7 frimaire de l’an 2,

le tribunal de justice populaire séant à Ville-Affranchie, présents les citoyens Dorfeuille président, Cousin, Daumale et Baigue, juges, assistés de Gatier, greffier, dans le prétoire du tribunal de district de Ville-Affranchie, lieu ordinaire de ses séances publiques, faisant droit sur les conclusions de l’accusateur public, a condamné et condamne le dit Denis Monnet à la peine de mort, ordonne qu’il sera livré à l’exécuteur des jugements criminels, et conduit sur la place ordinaire des exécutions pour y avoir la tête tranchée. »

L’exécution de Denis Monnet, qui avait 43 ans, eut lieu le lendemain, le 27 novembre 1793, 8 frimaire de l’an 2, « cette malheureuse année de la République française », comme le disait François-Joseph Lange, un des précurseurs du vrai socialisme, qui fut aussi exécuté 12 jours avant Denis Monnet.

De Paris, Robespierre, Hébert, Collot d’Herbois, Fouché... avaient missionné Dorfeuille à Lyon (Ville-Affranchie), mais ce Dorfeuille ne connaissait rien de ce qui se passait réellement dans cette ville. Il n’a pas compris, ainsi que d’ailleurs d’autres Parisiens, qu’à Lyon c’était toutes les prémices du mouvement ouvrier qui étaient en train de naître. Comment a-t-il pu accuser Denis Monnet d’être contre-révolutionnaire ?

« Une célébrité parmi les tisseurs à cause de ses services » disait de lui Pierre Charnier, le fondateur du Mutuellisme, qui était installé dans le même quartier que Denis Monnet, à Bourgneuf, rue Peyrollerie, aujourd’hui quai pierre scize.

Jean Jaurès furieux de l’imbécilité primaire et de ce qu’avait fait ce soi-disant révolutionnaire en condamnant Denis Monnet à la guillotine, n’y allait pas par quatre chemins. Il parle de « Malentendu sinistre », de « maniaque de destruction », de « fureurs meurtrières », « qu’il ne sait rien de Lyon, de son passé glorieux, et triste, de ses révoltes sociales... Comment peut-il oublier que les ouvriers lyonnais avaient formulé récemment un nouveau tarif des salaires avec des considérants d’une haute portée sociale ? »

Et Denis Monnet y était pour beaucoup dans toute cette lutte pour "le tarif".

Dix-sept mois après l’exécution de Denis Monnet, c’est au tour de celui qui l’avait fait guillotiner. En effet, le 15 floréal de l’an 3 (4 mai 1795), lors de ce qu’on a appelé la terreur blanche, plusieurs milliers de "mathevons" envahissent les prisons de la ville de Lyon et massacrent 99 Jacobins détenus, dont le comédien Dorfeuille, ex-président du Tribunal révolutionnaire.

La lutte de Denis Monnet
avec les ouvriers lyonnais

Pour se rendre compte dans les luttes des canuts de l’action formidable de Denis Monnet se reporter à l’article :

Le 5 mai 1790, les canuts « décident de se gouverner par eux-mêmes » ! ...C’est à Lyon que s’est fondé le syndicalisme
http://rebellyon.info/article6321.html


https://rebellyon.info/Le-27-novembre-1 ... ueux-canut
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Re: Révolution bourgeoise & luttes de classe en France,1789-

Messagede bipbip » 08 Déc 2017, 20:58

Claude Guillon présente Jacques Roux, le curé rouge

Marseille samedi 9 décembre 2017
19h, Mille Bâbords, 61 rue Consolat

Claude Guillon présente Jacques Roux, le curé rouge, ouvrage de Walter Markov et parlera des Enragés dans la Révolution française.

« La liberté n’est qu’un vain fantôme quand une classe d’hommes peut affamer l’autre impunément. »

Né en Charente (1752) dans une famille nombreuse, Jacques Roux deviendra prêtre – seul moyen d’éducation pour les pauvres – et vicaire de Saint-Nicolas-des-Champs, section des Gravilliers. Il rallie le clergé constitutionnel en 1791, et devient ce que l’on appellera un « curé rouge ». Nommé commissaire chargé d’assister à l’exécution de Louis XVI, il fréquente le club des Cordeliers, qui approuve une adresse lue à la Convention le 25 juin 1793 : le « Manifeste des Enragés ».
Trois jours après le meurtre de Marat, qu’il a connu et hébergé, Roux publie la suite d’un de ses journaux, Le Publiciste de la République. Il y affirme : « Les productions de la terre […] appartiennent à tous les hommes. » Marx le considèrera comme l’un des précurseurs du communisme.
Robespierre dénonce Roux comme « exagéré » et l’accuse d’avoir voulu « avilir les autorités constituées ». Arrêté, persuadé qu’il sera condamné par le Tribunal révolutionnaire, Roux se poignarde et meurt le 10 février 1794.
Jacques Roux, le curé rouge est un exemple réussi d’« histoire par en bas », qui confirme l’actualité dans les mouvements sociaux du xxie siècle des revendications des Enragé·e·s : droit de tous aux produits de première nécessité, citoyenneté des femmes, souveraineté populaire et démocratie directe.

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L’auteur
L’historien Walter Markov (1909-1993) a fait carrière dans l’ex-RDA. Emprisonné comme communiste pendant la Deuxième Guerre mondiale, il sera victime des tracasseries du régime Ulbricht pour son marxisme « non-orthodoxe ». Il consacrera plus de dix ans de sa vie et quatre livres à Jacques Roux. Récemment rééditée en Allemagne, la présente biographie est enfin disponible en français.

http://www.millebabords.org/spip.php?article31102
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Re: Révolution bourgeoise & luttes de classe en France,1789-

Messagede bipbip » 18 Jan 2018, 22:38

Daniel Guérin et la Révolution française

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Daniel Guérin et la Révolution française

Le bicentenaire de la Révolution française ? Avant tout, un grand brassage médiatique. Son principal mérite est de faire sortir de l’ombre des acteurs de ces années de braise. Des personnalités ont retrouvé vie, qui n’étaient plus que des noms sur les pages des manuels. Sur la lancée, on revient aux auteurs qui, en leur temps, ont entrepris de dresser le bilan de la "décennie sans pareille". Bref, dans le bric-à-brac des commémorations, il est possible de trouver l’utile.

Une lecture révolutionnaire

Le rappel du passé ne va pas sans oublis significatifs parce que rarement innocents. Parmi les victimes de l’amnésie officielle du Bicentenaire, Daniel Guérin. Ce chercheur militant a consacré à la Révolution française un livre qui, lors de sa parution, en 1946, fut diversement accueilli (1). L’ouvrage figure dans les bibliographies sérieuses. Mais, de son contenu, il est rarement question (2).

Pourtant, dans le grand débat politique qui se déroule sur le sens et l’actualité de la Révolution, Daniel Guérin peut apporter beaucoup. Il nous propose en effet une méthode d’interprétation du processus révolutionnaire susceptible de dissiper un certain nombre de confusions.

Ecartons d’abord un malentendu. Daniel Guérin n’est pas un historien, au sens classiquement universitaire du terme. Ses démonstrations sont étayées par des références précises aux événements et il a travaillé sur toute la documentation qui était accessible dans les années quarante. Mais il n’apporte rien de fondamentalement nouveau dans la reconstitution du passé : pas de trouvailles d’archives, pas d’éléments biographiques inédits ni de récits originaux. De ce point de vue, il est impossible de comparer son œuvre à celles de Georges Lefebvre, d’Albert Soboul ou de tous ceux qui, à leur suite, ont défriché le champ du mouvement populaire, rural et urbain, dans les années révolutionnaires.

La visée de Guérin est autre. C’est en tant que révolutionnaire (3) qu’il interroge la Révolution française : d’un événement d’une telle ampleur, il faut tirer des leçons actuelles car, dans le temps et dans l’espace, le combat contre l’exploitation est un, par-delà les évidentes différences des périodes et des cultures. Le militant du XXe siècle, qui a été confronté aux expériences exaltantes et sinistres de la révolution d’Octobre et de sa dégénérescence, peut porter sur les luttes anciennes un regard neuf, il peut mieux en comprendre les limites, les contradictions, la portée. En retour, la connaissance du passé lui permet de mieux aborder la complexité du présent.

Une lecture orientée donc, qui ne cache pas ses intentions. Daniel Guérin se situe dans une tradition, illustrée à des degrés divers par Karl Kautsky et Pierre Kropotkine qui, eux aussi, ont étudié 1789 et 1793. Il s’agit de décrypter les discours officiels. ceux des acteurs de l’époque comme ceux des commentateurs ultérieurs. Interpréter l’exubérante diversité des luttes en fonction des grands antagonismes sociaux. Repérer dans les grands moments d’unanimité, telle la fête de la Fédération en 1790, les dissonances qu’introduisent les revendications des plus pauvres et des plus exploités. Retrouver derrière les idéologies les contradictions - de classe, de sexe.

Dans cette tradition, Trotsky occupe une place à part. Il a peu écrit sur la Révolution française elle-même. Mais la théorie de la révolution permanente est une réflexion générale sur la logique interne de tout processus révolutionnaire. Plus particulièrement, le concept de développement combiné (4) peut s’appliquer à la France de l’Ancien Régime. L’accumulation du capital y a commencé depuis plusieurs siècles, bouleversant la société, autrefois seigneuriale et féodale. L’organisation du pouvoir d’État, sous la forme d’une monarchie qui n’a d’absolu que le nom, est un obstacle à la modernisation du pays. Contre l’ordre ancien se réalise une coalition des mécontentements les plus neufs comme les plus anciens.

Les premières phases de la lutte (en 1789, lorsqu’il s’agit d’imposer la reconnaissance de la représentation nationale) sont marquées d’un esprit unitaire. Mais, assez vite, le bloc se désagrège sous l’impact des demandes des classes et fractions de classe aux intérêts opposés (dans la France révolutionnaire, d’emblée, les paysans suivent une voie largement autonome). Dès lors se pose, au double sens du terme, un problème de direction : qui va prendre la tête du mouvement et par là-même dire vers où et jusqu’où doit aller la Révolution ?

Tout naturellement, les groupes sociaux les plus puissants parce que les mieux nantis et les mieux dotés culturellement occupent la position dominante. Mais les plus pauvres et les plus exploités sont susceptibles de s’organiser de façon autonome (ils le font à Paris, dès 1792, dans les sections et les sociétés populaires qui composent le mouvement sans-culotte). Ils font alors l’expérience de leur force collective et adoptent des revendications qui, parce qu’elles leur sont propres, rompent avec le cours de la Révolution, tel que l’entendent les dirigeants officiels de ses premières phases.

Les contradictions apparaissent au grand jour et entraînent des réactions en chaîne. Les éléments les plus avancés du peuple travailleur théorisent les conflits qui les opposent aux riches, nobles ou bourgeois. Dans une certaine mesure, l’expérience de la révolution leur permet de devancer l’histoire en posant des problèmes qui ne trouveront de solution que plus tard, lorsque la répétition des expériences aussi bien que les transformations de la société le permettront. Le communisme de Babeuf, la revendication des droits de la femme par Olympe de Gouges sont des exemples de cette prématuration de la théorie qu’il ne faut pas confondre avec l’utopie.

Pour toutes ces raisons, le processus révolutionnaire acquiert une large autonomie par rapport aux conditions économiques et sociales qui sont à son origine. Les luttes ont leur logique propre qui n’est celle ni de la société dans son état ordinaire, ni de ce que produit l’imagination des protagonistes. De ce fait, elles ont des effets spécifiques, idéologiques et politiques, théoriques et pratiques, impossibles à prévoir à partir de la seule analyse des structures de la société.

Le mérite de Daniel Guérin est d’illustrer concrètement les données méthodiques proposées par Trotsky en utilisant différemment le riche matériau des années révolutionnaires.

Sens et limites d’une œuvre

A sa sortie, "La Lutte des classes sous la Première République" n’a pas été bien accueillie dans les milieux académiques. Père fondateur de l’école des Annales, Lucien Febvre en fit un compte rendu venimeux qui brillait par son incapacité à comprendre la démarche de l’auteur. On peut être grand historien et myope pour ce qui sort de votre domaine. Mais, peut-être, l’universitaire réagissait-il, à titre préventif, contre l’immixtion d’un non-spécialiste, marxiste de surcroît, dans le domaine réservé de la réflexion historique.

Pour autant, l’oeuvre de Guérin n’est pas exempte de faiblesses qui nuisent à son interprétation de la Révolution (car, il faut le répéter, c’est sous cet angle que l’on doit considérer son travail). Certains défauts sont d’autant plus perceptibles que des recherches ultérieures ont complété nos connaissances des problèmes. Il en est ainsi de tout ce qui concerne la paysannerie : centré sur le rôle des villes parce qu’il est persuadé du rôle historique qu’y jouera plus tard la classe ouvrière, Daniel Guérin a tendance à négliger un peu les spécificités de la France rurale, son influence directe sur le cours général de la Révolution et, indirecte, sur le contenu des événements les plus marquants.

Il est vrai également que Guérin sous-estime quelque peu le rôle "organique" joué par les intellectuels, issus en grand nombre de ce que l’on appellerait aujourd’hui classes moyennes. Dans une formation sociale d’Ancien Régime, les classes sont encore en formation ; à bien des égards, elles sont encore hybrides. Dans le flou qui naît de cette situation, les avocats, les journalistes, tous ceux qui, peu ou prou, ont accès à la culture jouent un rôle considérable. Ils ne sont pas seulement les porte-parole d’intérêts de groupe, ils sont des façonniers de l’histoire, détenteurs d’une certaine marge d’autonomie. Qu’ils aient nom Condorcet, Desmoulins ou Robespierre, on ne peut analyser leur comportement en fonction de leur seule appartenance de classe.

En fait, toutes les critiques que l’on peut faire à Daniel Guérin sont liées à un reproche majeur : il a tendance à schématiser les problèmes de la Révolution française en fonction d’une analyse simplifiée des antagonismes de classe. Plus exactement, il projette sur les événements de 1789 le vocabulaire et les concepts de la révolution prolétarienne contemporaine. A le lire, on a, par exemple, l’impression que la bourgeoisie est un bloc. C’est loin d’être le cas à l’époque : le fermier général qui tire ses profits de la collecte des impôts d’Ancien Régime n’a pas le même comportement que le commerçant moyen désireux d’une société nouvelle parce qu’il y grimperait dans l’échelle des considérations. Autour d’intérêts généraux, cette classe, encore en formation, peut se retrouver : elle approuve la Constitution de 1791 comme les lois d’Allarde et Le Chapelier (5). Mais elle ne manifeste pas la même cohésion en toutes circonstances. Il est donc difficile de la montrer comme un agent parfaitement conscient du processus historique - ce que Guérin est enclin à faire (6).

Il en va de même en ce qui concerne les "bras-nus". Daniel Guérin présente, à l’occasion, leurs fractions avancées comme une avant-garde prolétarienne. De même, il assimile les sections du Paris de 1793 aux conseils ouvriers de Petrograd de 1917. Dans un cas comme dans l’autre, on assiste à un phénomène de dualité de pouvoir dans la révolution. Cela justifie la comparaison, pas l’identification qui, parfois (7), surgit sous la plume de Guérin. Albert Soboul a bien mis en évidence que les cadres du mouvement sans-culotte appartiennent à l’artisanat et à la boutique. Il va de soi que cette situation donne à leur pratique et à leur expression théorique un caractère différent de celles d’un prolétariat, au demeurant plus qu’embryonnaire en 1793.

En fait, Daniel Guérin, dans son désir justifié de réintégrer 1789 dans le mouvement d’ensemble des révolutions, a été victime d’un télescopage, fréquent chez les marxistes : il a appliqué immédiatement les concepts généraux de l’analyse de classe aux événements particuliers qu’il étudiait. Voyant mieux que personne que les revendications les plus radicales des "bras-nus" sortaient du cadre bourgeois de la Révolution et préfiguraient ce qu’allaient devenir les thèmes de l’action ouvrière, il leur a appliqué le qualificatif de prolétarien, hors de saison en l’occurrence. Erreur qui n’est pas sans conséquences : le conflit bourgeoisie-prolétariat est un des axes d’analyse du processus révolutionnaire ; lorsqu’on le transforme en explication de chacun des événements survenus, on en arrive à minimiser l’influence d’autres contradictions. Entre autres, les rapports entre hommes et femmes, dont l’évolution au cours des années révolutionnaires a contribué à forger le cadre des idéologies qui allaient devenir dominantes le siècle suivant (8).

Ces approximations et ces insuffisances, qui ne doivent pas être cachées, n’annulent pas l’apport fondamental de Guérin qui, répétons-le, sait mettre en évidence les contradictions d’une révolution qui n’est pas la symphonie héroïque qu’on nous dit. Dans le cours même de la lutte, une deuxième révolution apparaît, qui donne à l’émancipation politique ses perspectives sociales. Mieux que tout autre, Daniel Guérin sait rompre le silence officiel sur les dissonances dans l’unanimité républicaine. C’est parce que sa conception générale lui permet de prendre en compte la totalité des aspects de l’histoire.

Un exemple : combien d’historiens n’ont-il pas écrit que, dans le Paris de la Terreur, les mouvements contre la vie chère suivaient le modèle ancien des émeutes de la faim, fréquentes aux siècles précédents ? De même, l’exigence d’une taxation des denrées de première nécessité serait l’expression d’un refus, par les masses populaires, d’une modernité incarnée dans le libre-échange. Les remarques sont en partie fondées. Mais les conclusions hâtives : dans le moule des traditions, de nouvelles formes de combat se coulent ; le refus de la logique capitaliste n’est pas nostalgie du passé. Dans une période révolutionnaire, les rapports sociaux prennent, à travers les rapports de forces momentanés, la configuration qu’ils vont conserver pour de longues années. Quand les "bras-nus" s’opposent à la "bourgeoisie révolutionnaire", ils expriment, avec des moyens anciens, la contradiction fondamentale entre l’égalité juridique et l’inégalité sociale.

Quant aux sections et aux sociétés parisiennes, elles sont bien autre chose que la continuité des collectivités locales et paroissiales de l’Ancien Régime. Parce que, dans des moments de conflits internes, elles rassemblent des femmes et des hommes qui n’ont que leur force collective pour peser sur les événements, parce qu’elles aboutissent à des affrontements politiques multiples (avec les factieux mais aussi avec la Convention), elles sont une des premières et des plus vastes expériences de démocratie directe. En cela, elles sont modernes, car elles annoncent les formes que, de nos jours encore, tout mouvement de masse revêt dès qu’il atteint une grande ampleur.

Mieux que personne (c’est à dessein que cette expression se répète sous ma plume), Daniel Guérin sait montrer cet aspect de la réalité. Mieux que personne, il sait montrer que la transition révolutionnaire fait naître le neuf de l’ancien.

Dans l’actualité

Dans la discussion sur le bon usage de la Révolution, la méthode de Daniel Guérin peut s’avérer utile. On sait qu’aujourd’hui la parole dominante est celle de François Furet. Parce que l’air du temps s’y prête. Parce qu’une savante stratégie médiatique le permet. On sait aussi que cet auteur parle d’un lieu politique bien déterminé. Son interprétation historique est un acte politique. Si, pour lui, "la Révolution française est terminée", c’est que nous sommes entrés dans une ère où, au nom du libéralisme, il convient d’enterrer les conflits.

Toutes ces caractéristiques méritent d’être connues et éventuellement rappelées, car elles orientent les conclusions de Furet. Elles n’empêchent pas la pertinence de beaucoup de ses critiques qui montrent clairement les insuffisances de bien des analyses traditionnelles, fussent-elles inspirées du marxisme. En particulier, il est possible de revenir, à partir de ce que dit Furet, non sur la notion même, mais sur l’utilisation courante du concept de "révolution bourgeoise".

Pour cet auteur, le terme n’a pas de sens, parce qu’il plaque un qualificatif qui relève du social sur un événement exclusivement politique. La bourgeoisie française, qui n’a pas de cohésion en 1789, ne se retrouve à la direction d’aucun des mouvements sociaux - surtout pas en 1793-1794. En fait, selon lui, il y a une pluralité de mouvements, provoqués, dans leurs dissemblances, par l’inadaptation des structures du pouvoir d’État. La seule logique de la Révolution est d’ordre politique et idéologique. Les réformes dont était grosse la société sont, pour l’essentiel, accomplies en 1791. Tout ce qui survient après (et qui n’est pas négligeable : la guerre, la naissance de la République, la mort du roi, les conflits de la Montagne, la Terreur, etc.) ne correspond à aucune nécessité et relève d’un "dérapage" : ceux qui, en interprétant Rousseau, prétendent incarner la volonté populaire sont immanquablement amenés à contraindre le peuple réel au nom du peuple idéal. A la clé, la Terreur, préfigurative du Goulag.

D’autres ont critiqué et critiqueront les dérapages de François Furet, qui semble réduire le processus révolutionnaire à un enchaînement de concepts. Je ne retiendrai ici que les prémisses de son raisonnement qui me semblent partiellement fondées. La Révolution française n’est pas un assaut soigneusement préparé par une bourgeoisie parfaitement lucide sur ses objectifs, parce que véritablement unifiée dans ses fonctions économiques. Produit d’une crise générale, c’est-à-dire d’une situation où la faillite de l’État libère les énergie de toutes les couches de la société, elle a connu très vite un développement incontrôlable par qui que ce soit.

Friedrich Engels note quelque part que le bourgeois fait le plus souvent de la politique par procuration ; sa préoccupation directe est le profit. La remarque s’applique davantage encore aux périodes où la politique prend un tour d’autant plus violent que les couches les plus pauvres entrent en action. Dans de tels moments sonne l’heure des porte-parole et des politiques de profession. Ceux-ci appartiennent souvent à des groupes sociaux marginaux ; pour eux, l’action publique est, jusque dans sa dimension idéologique, un moyen d’accéder à la suprématie sociale. Ils sont, avant leur entrée dans la lutte ou à cause d’elle, des déclassés. Ni Danton, ni Marat, ni Robespierre ne sont des bourgeois, au sens sociologique du terme. Sur ce point, Cobban, Furet, tous les "révisionnistes" ont raison.

Comment, alors, concilier la notion de Révolution française avec la réalité d’un processus que dirigent des membres d’autres classes sociales ? Faut-il renoncer à ce qu’exprime vraiment le concept - à savoir que la mise en place définitive du mode de production capitaliste passe par une rupture politique, dont la Révolution française est un exemple ?

L’utilisation que fait Daniel Guérin du meilleur de la tradition marxiste permet de répondre à ces questions.

Dans "la Révolution française et nous", il distingue fortement deux niveaux, selon ses termes "l’objectif et le subjectif". On peut discuter de la pertinence des mots employés ; l’idée est fondamentale. Dans la suite d’événements qui bouleverse la France entre 1789 et 1799, est à l’oeuvre un processus impersonnel, aboutissement au niveau politique d’une évolution longue, qui s’est effectuée pour l’essentiel dans le domaine économique et social. C’est en cela que la révolution est bourgeoise : elle est adaptation des structures de l’État aux exigences du développement capitaliste.

D’autre part, une crise spécifique, évidemment déterminée par les tendances générales d’évolution de la société, mais marquée aussi par la conjoncture des rapports entre les classes et les fractions de classe. A ce niveau, l’aspect "subjectif" prime largement. L’action révolutionnaire suit ses propres lois. Pour elle, le court terme est de règle, avec la part qu’il concède à l’appréciation des rapports de forces, à l’essai de prévision des réactions de l’adversaire... et aux erreurs d’estimation qui en découlent. La crise structurelle de l’Ancien Régime et la crise économique qui culmine en 1787 forment l’"infrastructure" du processus révolutionnaire. Mais, à partir du moment où s’effectue une cassure symbolique avec l’ordre royal (la prise de la Bastille, les manifestations des 5 et 6 octobre 1789 en sont les premiers symptômes), la mobilisation populaire s’inscrit dans un contexte nouveau. Elle devient directement politique, même s’il faut du temps pour que les acteurs en prennent conscience. Elle se traduit par des initiatives et des intentions qui n’étaient pas toutes inscrites dans la logique de l’évolution sociale globale.

On ne peut comprendre le dédoublement du processus révolutionnaire sans se référer aux traits particuliers du développement capitaliste. Les rapports de production capitalistes ont déjà, à la fin du XVIIIe siècle, un long passé. Portés par la dynamique de l’échange, ils se généralisent automatiquement et minent de l’intérieur les structures des sociétés fondées sur les rapports d’exploitation personnalisés. Toute l’histoire de la royauté française est, depuis le XVIe siècle au moins, l’histoire d’une prise en compte, plus ou moins réussie, de l’essor capitaliste. Par ailleurs, l’accumulation a, dès l’origine, une dimension internationale. En 1789, le destin de toutes les nations européennes est dépendant du marché international qui commence à se structurer. La Grande-Bretagne y joue un rôle essentiel, moins par sa puissance commerciale que par l’accès précoce au capitalisme que lui ont permis ses révolutions, politiques et industrielles. Ses succès fixent le rythme de la croissance de tout l’Occident : les autres nations doivent s’adapter, catégoriquement.

Cet impératif, impersonnel parce qu’objectif, commande une large part de l’attitude des élites sociales de la France, y compris une part notable de l’aristocratie, convertie au libéralisme. Chacun cherche à faire coïncider la modernisation avec ses intérêts propres. D’où la multiplicité des fractions. Malgré les divergences, cependant, un certain programme commun s’esquisse. C’est celui qu’effectivement mettra en œuvre l’Assemblée constituante : limitation du pouvoir royal, contrôle parlementaire, suffrage censitaire, refonte de la fiscalité et de la justice, affirmation de l’individu, etc. Avec ces réformes-là, on peut faire face à la concurrence britannique et prétendre à l’hégémonie sur l’Europe, sans trop ébranler la hiérarchie sociale.

Dans cette perspective, le peuple constitue une masse de manœuvre. Mais, on l’a dit, la logique politique née de l’ébranlement de ces piliers de l’ordre social que sont la monarchie et la religion ouvre de nouveaux espaces. S’y engouffrent tous ceux qui n’ont aucune raison d’autolimiter leurs exigences, parce qu’ils sont déjà exclus des projets de société en gestation : "bras-nus" bien sûr, mais aussi femmes, Noirs... Plus ou moins massivement, ils revendiquent. Plus ou moins clairement, certains imaginent un avenir autre. Même limitée dans son expression, même momentanément coupée du possible immédiat, cette imagination est créatrice. Le seul fait que quelques hommes aient pu parler de communisme, quelques combattantes exiger l’égalité pour les femmes, montre bien qu’à côté de la logique de l’évolution sociale il y a une logique des luttes. Comme l’écrit Guérin : "La Révolution française (...) fut un épisode de la révolution tout court."

Il y a donc deux révolutions en France. La révolution de la modernisation capitaliste. Celle-là, Furet a raison, pouvait s’arrêter en 1791, mais la remarque est purement théorique. La seconde révolution, celle des masses, ne pouvait en rester à pareil mi-chemin. Forcément, l’enchaînement interne du processus révolutionnaire devait l’entraîner plus loin, par nécessité politique et pas seulement idéologique.

Difficile de nier que la Révolution française, jusque dans ses prolongements napoléoniens, marque bien la modernisation institutionnelle par laquelle s’effectue le passage au capitalisme. Elle est, à ce titre, une révolution bourgeoise. Mais, contrairement à ce que l’on a dit souvent, elle n’est pas un modèle de la transition historique vers le capitalisme. La crise immense qui l’a marquée de bout en bout a provoqué une radicalisation, en elle-même contradictoire à l’esprit bourgeois tel qu’il existait auparavant, tel qu’aussi il a pris forme au XIXe siècle. Faisons une hypothèse : 1789 est à bien des égards une exception ; la conquête tranquille de l’hégémonie par la bourgeoisie allemande, quelques décennies plus tard, est, sans doute, plus typique.

1789 marque donc un commencement. François Furet, s’inspirant de Tocqueville, nous dit qu’il s’agit là d’un mythe, inspiré par les croyances des protagonistes. Il a beau jeu de montrer les continuités entre l’Ancien Régime et la France post-révolutionnaire : il n’y a jamais de nouveauté absolue, le maintien et la répétition scandent les actions humaines. Mais il y a des ruptures, à partir desquelles l’évolution historique suit un cours différent dans ses lignes de force. La Révolution française est une de ces ruptures - en grande partie à cause de la dualité de son déroulement.

Et, si l’idéologie de la table rase est bien celle des principaux acteurs de la période, ce n’est pas seulement parce qu’il faut, pour légitimer sa propre audace, se persuader que l’on innove totalement. C’est aussi parce que ceux qui mettent à mort avec le roi toute une société ont conscience d’avoir franchi un pas irrémédiable. C’est aussi que les anticipations que permet, dans le domaine idéologique, la crise révolutionnaire sont, indépendamment de leurs possibilités de réalisation immédiate, une négation du passé.

Cette richesse et cette complexité de la Révolution française, la méthode d’approche de Daniel Guérin nous aide à l’appréhender.

La deuxième fin de Robespierre

Grâce à Guérin, nous pouvons aussi sortir du "jacobinisme". On a beau faire : près de cent ans de robespierrisme quasi officiel font que l’"Incorruptible" passe pour un modèle révolutionnaire. Lénine lui-même s’y est trompé. L’honnêteté de Maximilien, son intransigeance et son énergie éclipsent les incertitudes de sa pratique. Albert Soboul et ceux qu’il a inspirés n’ont pas peu contribué à entretenir, à notre époque, cette sorte de culte.

Ils ont, certes, contribué à la connaissance du mouvement révolutionnaire et, à coup sûr, ils ne correspondent pas au portrait-robot peu flatteur que trace d’eux François Furet pour mieux les disqualifier. Néanmoins, ils ont l’inconvénient majeur de faire de la pratique robespierriste l’incarnation du maximum révolutionnaire possible : compte tenu des conditions objectives, on ne pouvait aller plus loin que l’a fait le Comité de salut public ; les Enragés posaient de vrais problèmes mais de façon excessive ; les femmes en quête de leurs droits politiques relevaient de l’utopie.

Ainsi posée, la question n’a aucun sens. Elle reflète un choix politique a priori que fonde une appréciation purement idéaliste des rapports du possible et de l’impossible, de l’action et de l’utopie. On n’apprécie pas les acteurs d’une révolution sans s’interroger sur la signification sociale et politique de leur comportement ou, si l’on veut, sur les fonctions qu’ils remplissent dans une société en crise.

Comment définir les Montagnards les plus radicaux ? Par leur ardeur à défendre les conquêtes de la Révolution ? Certainement. Mais aussi par leur place sur l’échiquier politique. Robespierre, Couthon, Saint-Just sont au carrefour des influences et des intérêts qui donnent à la Révolution française son caractère pluriel (c’est peut-être cette position médiane qui permet à leurs admirateurs d’en faire les agents de la raison possible). Ils sont dans le cadre de la révolution bourgeoise, mais ils en perçoivent à l’occasion les limites (ils cherchent les moyens d’égaliser les conditions sociales). Ils entendent s’appuyer sur le peuple, mais rejettent ses revendications trop radicales, en particulier tout ce qui porte atteinte à la propriété.

Un marxisme quelque peu traditionnel les qualifierait de "petits-bourgeois". Caractérisation en partie fondée, mais insuffisante. Le "gouvernement" robespierriste est aussi, par sa pratique, un pouvoir bureaucratique. Empêtré dans sa situation intermédiaire, il ne peut subsister qu’en réprimant, tantôt à gauche (Jacques Roux, Hébert), tantôt à droite (les Indulgents, Danton). Il perd ainsi ses assises sociales en se substituant de plus en plus à ceux au nom desquels il parle, en classifiant et réglementant la vie sociale tout entière, de façon à empêcher toute déviation. En quelque sorte, un bonapartisme révolutionnaire qui ne pouvait avoir aucun avenir.

Jugement de fait et non de valeur. On peut comprendre la logique infernale qui a mené dans l’impasse le Comité robespierriste. On ne peut pour autant lui imputer un rapport fécond au réel : son audace - indéniable - se mêle d’aveuglement et d’un conformisme qui annonce les grandes éthiques conservatrices du XIXe et du XXe siècles. Le plus souvent, les robespierristes privilégient l’action de sommet et l’intervention de l’appareil d’État par rapport à la mobilisation de masse. Daniel Guérin montre bien qu’en plusieurs circonstances décisives le noyau dur des Jacobins est devancé, dépassé par les initiatives populaires qui convergent autour de la Commune de Paris (c’est notamment le cas lors de la journée du 31 mai 1793).

Les robespierristes, à leur façon, sont modernes. Ils annoncent un certain style d’organisation, de direction et de rapport aux masses qui, hélas, fleurira au XXe siècle. Quelles que soient les excuses que l’on peut trouver à leurs erreurs, on ne peut ignorer qu’ils sont, de fait, coupés de plus en plus de ce qui est initiative d’avant-garde. Il y a, en puissance, deux courants et deux pouvoirs dans les années 1793-1794. Guérin a raison de l’indiquer, même s’il schématise à l’occasion les oppositions existantes.

Il y a, de même, deux Terreurs. Sur ce point, les recherches historiques ont confirmé les indications de Daniel Guérin. Une terreur populaire, brutale, cruelle même lors des massacres de septembre 1792, née de la réaction spontanée des gens du peuple qui, soumis depuis toujours à la violence latente et ouverte des rapports sociaux d’Ancien Régime, ne peuvent exorciser leurs craintes qu’en employant les méthodes même dont ils avaient été les victimes.

Cette terreur-là, on peut la déplorer ; il faut la comprendre. Elle diffère de la terreur bureaucratique qui, de 1793 à 1794, s’organise d’en haut et dérape dans l’engrenage de la Loi des suspects. Cette terreur-là fit des victimes dans toutes les couches de la population. Elle exprimait l’effort désespéré d’un pouvoir, de plus en plus isolé, pour encadrer une population incontrôlable. L’idéologie révolutionnaire a-t-elle, comme le suggère Furet, préparé le terrain de la Terreur ? Peut-être, sous certains de ses aspects. Mais ce ne sont pas les concepts qui ont déterminé l’usage de la guillotine : c’est une pratique du pouvoir et un rapport au peuple, éminemment concrets.

Il y aurait beaucoup à dire encore. Daniel Guérin a notamment consacré des développements intéressants à la déchristianisation, dont il a montré que, loin d’être totalement artificielle, elle répondait aux aspirations de certains secteurs du mouvement populaire et était un enjeu entre bourgeois et "bras-nus".

J’espère avoir transmis un peu de la vigoureuse passion de Daniel Guérin. Je souhaite avoir montré que sa méthode d’approche est féconde, fondamentale même, pour comprendre le pluriel de la Révolution française.
Aujourd’hui, l’heure est à l’idéologie molle du consensus. Consensus républicain certes, mais combien anémique. On applaudit 1789 pour les droits de l’Homme (qui peut être contre ?) de façon à ce que 1989 voie la fin des conflits passés, présents et futurs. La Grande Révolution est un long fleuve tranquille.

Daniel Guérin nous aide à remettre les pendules a l’heure. En magnifiant les "bras-nus" et la première Commune de Paris, il rétablit un passé qui est le garant de l’avenir des luttes.

Pensons à ce que chantait Eugène Pottier : Ils sentiront sous peu, nom de Dieu, que la Commune n’est pas morte." Une phrase dont la forme et le contenu plaisaient à Daniel Guérin.


Denis Berger (maître de conférences en sciences politiques à Paris VIII. Il est l'auteur du "Spectre défait, essai sur la crise du mouvement communiste en Europe occidentale" (éd. Bernard Coutaz).

Le texte ci-dessus est paru dans "Alternative libertaire" (1998)

Notes :

1. Daniel Guérin, "les Luttes de classes en France sous la première République", Gallimard, 1946, 2 volumes. Une seconde édition, augmentée, est parue chez le même éditeur en 1968. On peut se référer aussi à l’édition abrégée ("Bourgeois et bras nus", Gallimard, 1973) et au recueil d’articles ("la Révolution française et nous", Maspero, 1976) qui contient notamment une importante préface, non publiée jusque-là, de l’édition de 1946.

2. En leur temps, Albert Soboul ("Mouvement populaire et gouvernement révolutionnaire en l’an II, 1793-1794", édition abrégée d’une thèse soutenue en 1958) et François Furet ("Penser la Révolution française", Gallimard, 1978) ont rapidement évoqué et critiqué les idées de Guérin. Michel Vovelle a fait de même, dans la revue de l’historiographie révolutionnaire qu’il a publiée dans "l’État de la France sous la Révolution française", La Découverte, 1988.

3. Il n’est pas nécessaire de rappeler ici ce que furent, de 1930 à sa mort récente, les activités de Daniel Guérin. Bornons-nous à dire que, marxiste libertaire, il n’a cessé de combattre toutes les formes de l’oppression et de l’exploitation. La variété de son œuvre écrite témoigne de la diversité et de la profondeur de son engagement contre le colonialisme, pour la libération sexuelle. Ses travaux sur l’Amérique, le Front populaire, etc. valent d’être lus.

Denis Berger.


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Re: Révolution bourgeoise & luttes de classe en France,1789-

Messagede bipbip » 17 Fév 2018, 21:48

Claude Guillon : « Les Enragés ont fait la révolution, mais ils ont été faits par elle »

Jacques Roux, surnommé «  le curé rouge  », fait partie de ces anonymes qui ont fait la Révolution française et qui ont été victimes de la Terreur. Peu connu, on retient souvent de lui cette phrase, qu’il prononça face à la Convention nationale (l’assemblée législative de la Ire République)  : «  La liberté n’est qu’un vain fantôme, quand une classe d’hommes peut affamer l’autre impunément.  » La biographie que lui a consacré Walter Markov, historien allemand, est enfin traduite et publiée par les éditions Libertalia, 50 ans après sa première publication, après un gros travail d’actualisation mené notamment par Claude Guillon.

Alternative libertaire   : Bien que prêtre, Jacques Roux a participé aux événements révolutionnaires dans le courant des «  Enragés  », considérés comme précurseurs du communisme par Marx. Comment peut-on expliquer ce parcours singulier, d’un ordre privilégié aux révolutionnaires les plus radicaux ?

Claude Guillon  :
Roux fait partie du bas clergé, où l’on s’engage quand on vient d’une famille pauvre, pour acquérir un peu d’instruction et un «  état  », un métier. Beaucoup de «  petits  » curés ont joué un rôle dans la Révolution, à commencer par ceux qui représentaient leur ordre aux états généraux, en ralliant le tiers état, et d’autres dans les sociétés populaires, dont ils ont souvent été – au début – les secrétaires.

Obscur enseignant dans un établissement de province, exilé dans la capitale pour échapper aux conséquences d’une histoire confuse, c’est typiquement le genre de personnage dont l’histoire n’aurait pas retenu le nom… si la Révolution ne lui avait ouvert, comme à la chocolatière Pauline Léon ou à l’employé de la poste aux lettres Jean-François Varlet, des horizons nouveaux. Ces gens ont fait la révolution, mais ils ont été faits par elle.

Jacques Roux est le plus âgé de ces militants et militantes, que l’on appellera plus tard les «  Enragés  ». Il a 37 ans en 1789. Devenu curé des Gravilliers, au centre du Paris populaire, il connaît les artisans et les ouvriers, qu’il marie, baptise et enterre. Il connaît aussi le prix des denrées de première nécessité et de la journée de travail, et la misère du peuple. Il est convaincu de l’utilité des femmes dans le processus révolutionnaire, notamment de la Société des citoyennes républicaines révolutionnaires, que Pauline Léon et l’actrice Claire Lacombe vont rallier aux Enragés, en en chassant les Jacobines plus modérées.

Même s’il est impossible de deviner ses sentiments d’avant la Révolution, il est possible que Roux ait fait partie des curés qui considéraient leur rôle d’un point de vue davantage social que religieux, sans foi et encore moins fanatisme particulier. Souvenons-nous cependant qu’à l’époque la religion imprègne toute la société et que le monarque absolu est censé tenir sa légitimité directement de «  Dieu  »  !

La constitution civile du clergé (1790) sépare à peu près le clergé français en deux moitiés. La radicalisation du mouvement populaire, l’opposition des curés «  réfractaires  » (au serment que l’on exige d’eux), puis le mouvement anticlérical, dit «  déchristianisateur  », vont rendre la position d’un Jacques Roux très difficile. Il a bien sûr pris le parti de la révolution, mais il est commode, pour Robespierre par exemple, de l’attaquer comme prêtre. Roux s’en plaint et dénonce les curés comme des charlatans. Il a annoncé son intention d’épouser une «  bonne républicaine  », peut-être la femme avec laquelle il cohabitait, mais il n’en a pas eu le temps.

Comment définir les Enragés et que peuvent-ils nous apporter aujourd’hui ?

Claude Guillon  :
Je dois dire d’abord que l’étude de la Révolution française me paraît utile et rafraîchissante, dans la mesure où la majorité des gens du peuple qui la font sont presque sans bagage intellectuel (même quand ils et elles savent lire et écrire) et, par la force des choses, dépourvus de tout le savoir révolutionnaire qui remplit aujourd’hui nos bibliothèques. Or, non seulement ils mettent à bas un système monarchique pluriséculaire, mais ils inventent immédiatement de nouvelles manières de prendre des décisions, de faire de la politique – le tout sans électricité, sans antibiotiques et sans machines à laver…

Le qualificatif «  Enragés  » a été attribué a posteriori à des militantes et militants dont les revendications se rejoignent, à la gauche des Jacobins et de la Montagne. Ils agissent surtout à Paris, mais aussi à Lyon, avec Chalier (Leclerc y a vécu) et à Orléans (Taboureau de Montigny). Ils et elles veulent pousser la Révolution vers ses conséquences logiques en matière d’égalité des conditions, de démocratie directe (mandat impératif et révocabilité des élus), et de participation des femmes à la vie sociale. Ils et elles ne constituent pas un parti, avec des adhérents – même si les Républicaines sont une société de 300 femmes, qui peuvent en mobiliser beaucoup d’autres – et que les Jacquesroutins se réunissent aux Gravilliers. Mais ils sont clairement identifiés par Robespierre comme un courant cohérent, dont il va obtenir en une quinzaine de jours la mise hors circuit, faisant chasser Roux, Leclerc et Varlet du club des Cordeliers et faisant fermer la Société des républicaines, prélude et prétexte à l’interdiction de tous les clubs de femmes. Arrêté et persuadé, à juste titre, qu’il sera condamné à la guillotine, Roux se suicide en prison le 10 février 1794.

Pourquoi traduire cette biographie, déjà vieille de 50 ans, d’un auteur est-allemand ?

Claude Guillon  :
À partir du début du XXe siècle, les premiers historiens qui s’intéressent assez aux Enragés pour produire des monographies sur les uns et les autres sont soviétiques  : ils passeront par les camps staliniens. En France, Albert Mathiez (qui n’aime pas Roux), Daniel Guérin et Albert Soboul leur accordent une bonne place dans leurs analyses, mais seul Maurice Dommanget publie un livre sur Jacques Roux (et Pierre Dolivier, un autre curé radical), et Marie Cerati sur les Républicaines révolutionnaires.

Walter Markov, historien, universitaire d’Allemagne de l’Est a travaillé dix ans sur Jacques Roux et les Enragés. Il a publié quatre li­vres en RDA, dont un gros volume en français regroupant tous les écrits (discours, brochures et journal) de Roux, que nous avons tenu à reproduire sur un CD-Rom qui accompagne le livre. Le lecteur et la lectrice peuvent donc suivre le récit en se reportant aux documents. Markov a aussi traduit des textes en allemand et publié de nombreux articles (nous en reprenons plusieurs).

Markov écrit un allemand difficile, qui a donné du fil à retordre à notre équipe éditoriale  : la traductrice Stéphanie Roza d’abord, Jean-Numa Ducange et moi. Par ailleurs, même s’il a été connu des historiens français de la Révolution, et aidé par eux (Soboul, en particulier) pour faire ses recherches en France, son «  héros  » et principal sujet d’étude posait problème  : on craignait en France qu’il ne fasse de l’ombre à Robespierre  ! Le fait que ce projet de traduction puisse aboutir aujourd’hui est donc d’abord la réparation d’une injustice politique et historienne, à l’égard du «  curé rouge  » Jacques Roux mais aussi à l’égard de son biographe et meilleur connaisseur au monde. Le fait que ce livre paraisse chez Libertalia, un éditeur libertaire, en coédition avec la Société des études robespierristes et à son initiative, est un signe de plus que les lignes ont bougé depuis la chute du mur de Berlin.

Outre la mise en forme du texte, pour le rendre accessible en français, nous avons fait un travail de vérification et d’actualisation des références et de la bibliographie et ajouté un appareil critique, inexistant dans le volume original.

Reste-t-il des choses à découvrir et à faire connaître chez les Enragés  ?

Claude Guillon  :
J’en suis persuadé ! J’avais publié en 1993 une biographie de Leclerc et Léon (Deux Enragés de la Révolution, La Digitale), complétée depuis par un article sur Pauline Léon dans les Annales historiques de la Révolution française (2005). Dans la deuxième et récente édition de Notre patience est à bout (IMHO, 2016), un recueil de textes des Enragés, j’ai ajouté un texte et une bio-bibliographie de Taboureau de Montigny, qui ne nous est guère plus familier que lorsque Mathiez le surnommait «  l’enragé inconnu  ». Je pense que Varlet, auteur de la fameuse formule «  Pour tout être qui raisonne, gouvernement et révolution sont incompatibles  », mériterait un recueil de ses textes. Quant à la société des Républicaines révolutionnaires, je vais avoir l’occasion d’y revenir puisque je prépare un livre sur les clubs de femmes pendant la Révolution. L’édition française du livre de Markov sur Jacques Roux remet le public francophone au niveau de connaissance du public allemand. J’espère que cette édition suscitera d’autres traductions, et l’ensemble de ces travaux de nouvelles recherches. Et puisque nous parlons d’édition et que Libertalia a republié Bourgeois et bras-nus de Daniel Guérin (dont j’ai rédigé la préface), je souhaite que nous puissions rééditer un jour, sous une forme plus accessible, son gros ouvrage en deux volumes La lutte de classes sous la Première République. Bref  ! historiens et éditoriaux, les chantiers ne manquent pas  !

Propos recueillis par Renaud (AL Alsace)

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Re: Révolution bourgeoise & luttes de classe en France,1789-

Messagede bipbip » 17 Fév 2018, 21:53

Lire : Markov, « Jacques Roux, le curé rouge »

Image

La biographie de Walter Markov permet de reconstituer le parcours de ce personnage dont on sait assez peu de choses, y compris dans son parcours avant la Révolution. Devenu curé jeune, sans que l’on puisse deviner un enthousiasme particulier pour la religion, il occupe divers postes de vicaire et d’enseignant en Charente. Il se fait remarquer par ses prêches un peu trop favorables à la révolution, qui sont mis en cause suite à des émeutes visant quelques propriétés de la noblesse de la région en avril 1790.

Renvoyé, il quitte sa région et arrive à Paris, au moment où la constitution civile du clergé oblige les prêtres à prêter un serment de fidélité à la Constitution... ce que beaucoup refusent. Alors que rien ne semblait le pousser à un retour dans le clergé, cette occasion lui permet de retrouver une place de vicaire à Saint-Nicolas-des-Champs, laissée vacante par l’un des prêtres réfractaires.

Dans ce quartier populaire, il participe aux sociétés populaires qui composent cette première Commune révolutionnaire de Paris et s’acharne à défendre le peuple pauvre de Paris, à porter la question sociale jusqu’à la Convention nationale. Le 25 juin 1793, il y prend la parole au nom de la section des Gravilliers et du club des Cordeliers. Son «  adresse à la Convention  » plus tard rebaptisée «  manifeste des Enragés  », provoque de violentes réponses de Robespierre notamment.

Plus qu’un simple récit des évènements, Walter Markov parvient à reconstituer les actions de Jacques Roux, avec lequel il n’est parfois pas très tendre, malgré le peu de traces laissées par ce personnage, et surtout le peu d’informations sur sa vie privée et ses convictions. Le livre est aussi accompagné d’un CD Rom qui regroupe d’autres textes de l’auteur, ou d’autres historiens, dont Claude Guillon, mais aussi des textes de Jacques Roux ou des témoignages sur le travail de Walter Markov.

• Walter Markov, Jacques Roux, le curé rouge, Libertalia, 2017, 20 euros.


MARKOV, UN NON-CONFORMISTE

Marxiste hétérodoxe, Walter Markov a fait le choix de vivre en RDA après la Seconde Guerre mondiale, qu’il avait passé en prison (depuis 1934) en raison des ses activités communistes. Mais soupçonné de «  titisme  » et exclu du Parti socialiste unifié (SED) en 1951, intéressé par les Enragés alors que la doctrine stalinienne mettait en avant la figure de Robespierre, ses relations avec le pouvoir est-allemand ont toujours été tendues. Ses recherches sur la Révolution française ont d’ailleurs été compliquées par l’interdiction de se rendre en France, qui le poussa en 1957 à passer la frontière illégalement de nuit pour débarquer à Paris au petit matin. Il lui fallu passer tout son temps aux Archives nationales, faire ses recherches dans un temps record et compter sur l’aide de ses amis universitaires en France, pour réussir à écrire plusieurs ouvrages sur Jacques Roux. Après la chute du mur de Berlin, Walter Markov adhéra au Parti du socialisme démocratique (PDS), qui succéda au SED, et mourut en 1993.

http://www.alternativelibertaire.org/?C ... -roux-1793
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Re: Révolution bourgeoise & luttes de classe en France,1789-

Messagede Lila » 18 Fév 2018, 20:06

Olympe de Gouges, France (1748 – 1793)

Née sous le nom de Marie Gouze à Montauban en France le 7 mai 1748, cette petite provinciale qui était destinée à une vie sans éclat a plutôt choisi un chemin moins conventionnel pour son époque. C’est en 1793, lors de la Terreur, qu’Olympe de Gouges, alias Marie Gouze, fut guillotinée. Son crime, avoir osé défendre les droits des laissées-pour-compte et rédiger une Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Aujourd’hui, Olympe de Gouges est considérée comme la première femme ayant réclamé l’égalité des sexes dans les institutions.

Une enfance occitane

Dans son roman autobiographique Mémoire de Mme de Valmont, on y apprend qu’elle vécut une enfance pauvre et sans instruction, avec l’occitan comme langue maternelle. D’après ses dires, elle serait née d’une union illégitime entre le marquis Jean-Jacques Lefranc de Pompignan, magistrat et écrivain, et une fille du peuple, Anne-Olympe Mouisset. Bien qu’il n’ait jamais reconnu sa paternité publiquement, Olympe idolâtrait ce père, en plus de prétendre avoir hérité de son talent d’écrivain.

Ses trois entorses aux bonnes moeurs

Très avant-gardiste sur son temps, on dira d’Olympe de Gouges qu’elle commit trois entorses aux bonnes mœurs et lois de son sexe. La première entorse fut son refus de se faire appeler la veuve Aubry. En effet, après la mort de son mari, Louis-Yves Aubry, alors qu’elle n’était âgée que de 18 ans et mère d’un garçon, Pierre Aubry, elle décida de se créer sa propre identité, prétextant que le nom Aubry lui évoquait de mauvais souvenirs. Marie Gouze veuve Aubry changea alors son nom pour Olympe de Gouges, reprenant une partie du prénom de sa mère.

Sa deuxième entorse fut de refuser d’épouser le riche entrepreneur Jacques Biétix de Rosières alors que cette union lui aurait assuré la sécurité financière. Olympe ne croyant pas au mariage, qu’elle définit comme « le tombeau de la confiance et de l’amour », lui préférait « l’inclinaison naturelle », c’est-à-dire un contrat social entre un homme et une femme. Ces déclarations lui vaudront, chez les chroniqueurs de l’époque, une réputation de femme galante, connue à Paris pour les faveurs qu’elle rendait aux hommes.

Finalement, sa troisième entorse fut son implication sociale et sa condamnation des injustices faites à tous les laissés-pour-compte de la société (Noirs, femmes, enfants illégitimes, démunis, malades…). Ces dénonciations prirent plusieurs formes telles que des pièces de théâtre engagées, des brochures politiques et, plus tard, des affiches placardées dans tout Paris. Cette dernière entorse eut raison de sa vie.

De femme galante à femme de lettres

Après la mort de son mari, elle décida de poursuivre une carrière littéraire – qui l’amena par la suite à dénoncer l’esclavage des Noirs et à plaider en faveur des droits civils et politiques des femmes dans ses écrits. Elle s’exila alors à Paris avec son fils et Jacques Biétrix de Rozières, où elle apprit très vite ce qu’était l’exclusion sociale. Il faut dire qu’Olympe était avant tout considérée comme illettrée, occitane, indomptable et imprudente. Autodidacte, elle se mit à fréquenter les milieux politiques, ainsi que les « gens bien nés ».

En 1901, Édouard Forestier, un biographe d’Olympe de Gouges, se demandait comment cette femme galante avait ainsi pu se transformer en femme de lettres. Il expliqua que « que la femme a une extrême facilité d’assimilation et que l’histoire fournit maints exemples de semblables métamorphoses ». Toutefois, Olympe dut s’armer de détermination, car son passé d’illettrée et d’Occitane se faisait ressentir dans son écriture qui avait un style parlé. D’ailleurs, au début de sa carrière littéraire, elle devait dicter son texte à des secrétaires qui transcrivaient sa pensée plus ou moins fidèlement. Certains l’accuseront même de ne pas être l’auteure de ses œuvres, ce qu’Olympe défendit avec orgueil et naïveté :

Il faut que j’obtienne une indulgence plénière pour toutes mes fautes qui sont plus graves que légères : fautes de français, fautes de construction, fautes de style, fautes de savoir, fautes d’intéresser, fautes d’esprit, fautes de génie… En effet, on ne m’a rien appris. Élevée dans un pays où l’on parle mal le français, je ne connais pas les principes, je ne sais rien. Je fais trophée de mon ignorance, je dicte avec mon âme, jamais avec mon esprit.

Olympe fut l’auteure de nombreux romans et pièces de théâtre. Sa première pièce de théâtre à être acceptée et présentée fut l’Esclavage des Nègres qui ne sera joué qu’une seule fois. Par la suite, elle devint très engagée dans des combats politiques en faveur des Noirs et de l’égalité des sexes. D’ailleurs, elle est la seule femme à avoir été citée en 1808 dans la « Liste des hommes courageux qui ont plaidé ou agi pour l’abolition de la Traite des Noirs. »

Olympe de Gouges fut plus d’une fois injustement critiquée pour ses nombreux écrits contestataires de l’ordre établi. Cependant, avec sa force de caractère et ses convictions, elle devint à plusieurs reprises porte-étendard dans la dénonciation du traitement injuste réservé aux femmes. Elle réclamait le droit à l’intelligence, ainsi que celui de vieillir sans honte :

Je sens l’injustice et je ne puis la soutenir. Je crois qu’on nous a chargées de ce qu’il y avait de plus frivole et que les hommes se sont réservés le droit aux qualités essentielles. De ce moment, je me fais homme ! Je ne rougirai donc plus de l’usage que j’ai fait des dons précieux que j’avais reçus de la nature. Si l’on pouvait rajeunir et si je revenais à l’âge de quinze ans, je ne changerais en rien le plan de vie que j’ai suivi. Mais j’approche de ma cinquantaine…Cela vous étonne, et surtout que j’ai la force de l’avouer.

L’ultime condamnation pour des idéologies égalitaires

En 1788, elle publie dans le Journal Général de France une brochure politique intitulée « La lettre au peuple ou projet d’une caisse patriotique ». Dans cette lettre, elle proposait des idées socialistes avant-gardistes qui ne furent reprises que plusieurs années plus tard. On y retrouve, notamment, la demande de création d’une assistance sociale, d’établissements d’accueil pour les aînés, de refuges pour les enfants d’ouvriers, d’ateliers publics pour les ouvriers sans travail et de tribunaux populaires (jurys d’aujourd’hui).

Son audace ne s’arrêta pas à cette lettre. En 1791, Olympe rédigea une Déclaration des droits des femmes et de la citoyenne, copiée sur la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Cette déclaration dénonçait le fait que la Révolution française n’incluait pas les femmes dans son projet de liberté et d’égalité et considérait que « l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de la femme sont les seules causes de malheurs publics et de la corruption des gouvernements ». Elle adressa sa Déclaration à la « première des femmes », soit la reine Marie-Antoinette.

Cette Déclaration comporte dix-sept articles dont l’objet principal est une demande pour « l’exercice [par les femmes] de leurs droits naturels, qui n’a de bornes que la tyrannie perpétuelle que l’homme leur oppose ». Le premier article de cette Déclaration est « la femme naît et demeure égale à l’homme en droits » tandis que l’article dix demeure, encore aujourd’hui, très célèbre :

Les femmes ont le droit de monter à l’échafaud. Elles doivent avoir également celui de monter à la tribune.

C’est finalement en 1793 que le militantisme d’Olympe de Gouges, cette femme pleine de résilience, la conduisit au « rasoir national », la guillotine. C’est que son texte intitulé « Les trois urnes », qu’elle placarda dans tout Paris, où elle accusait Robespierre et Marat d’être les artisans de la Terreur, dérangeait.

Tu te dis l’unique auteur de la Révolution Robespierre ! Tu n’en fus, tu n’en es, tu n’en sauras éternellement que l’opprobre et l’exécration…Chacun de tes cheveux porte un crime…Que veux-tu ? Que prétends-tu ? De qui veux-tu te venger ? De quel sang as-tu soif encore ? De celui de ton peuple ?

Quelques mois plus tard, elle fut arrêtée. Sentant sa fin imminente – « J’ai tout prévu, je sais que ma mort est inévitable » – , elle fit cette déclaration testamentaire :

Je lègue mon cœur à La Patrie, ma probité aux hommes, ils en ont besoin. Mon âme aux femmes, je ne leur fais pas un don d’indifférence.

Et c’est le 3 novembre 1793 qu’elle monta à l’échafaud devant une foule rassemblée sur l’actuelle place de la Concorde où elle s’écria : « Enfants de la patrie, vous vengerez ma mort ! »

Références

Blanc, Olivier (2003), Marie-Olympe de Gouges.Une humaniste à la fin du XVIIIe siècle, Paris, René Viénet, 272 p.

Denoël, Charlotte « Olympe de Gouges », L’histoire par image. http://www.histoire-image.org/site/oeuv ... .php?i=952

Groult, Benoîte (2013), Ainsi soit Olympe de Gouges, Grasset, Paris, 205p.

Mousset, Sophie (2006), Olympe de Gouges et les droits de la femme, Paris, Pocket, 160 p.

Perfetti, Myriam, (2013), « Olympe de Gouges : une femme contre la Terreur », Magazine Marianne
http://www.marianne.net/Olympe-de-Gouge ... 31276.html


https://citoyennes.pressbooks.com/chapt ... es-france/
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Re: Révolution bourgeoise & luttes de classe en France,1789-

Messagede bipbip » 21 Fév 2018, 22:15

Le faux génocide Vendéen (arrêt sur images)

Débunkage par Mathilde Larrère dans "Arrêt sur images" d'un mythe royaliste et réactionnaire : Le génocide vendéen.
Il ne s'agit pas de nier les crimes commis par des révolutionnaires en Vendée (comme il peut y en avoir dans toutes les guerres car comme chacun le sait, il n'y a pas de guerre propre) mais de réfuter le caractère "génocidaire" qu'on attribue à ces évènements car lorsqu'on parlait de "Vendée" dans le contexte de l'époque, on parlait généralement des contre-révolutionnaires et non de l'ethnie vendéenne en tant que tel.
à titre de comparaison, il y a eu des massacres durant la commune de Paris, personne n'oserait parler de "génocide parisien"...

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Re: Révolution bourgeoise & luttes de classe en France,1789-

Messagede bipbip » 27 Mai 2018, 15:28

Babeuf, premier révolutionnaire communiste ?

1797 : Babeuf, premier révolutionnaire communiste ?

Le 8 prairial an V de la révolution (27 mai 1797), François-Noël « Gracchus » Babeuf et son acolyte Augustin Darthé sont guillotinés à Vendôme (Loir-et-Cher) après un long procès qui démontrait la volonté de la République bourgeoise de mettre un terme à la Révolution.

Continuer la Révolution française, en allant jusqu’au bout de la revendication d’égalité affirmée en 1789 : c’est bien l’objectif de la « Conjuration des Égaux », qui se trame dans les dernières années de la Ire République, en 1796. Une République bourgeoise, gouvernée par le régime du Directoire, qui veut à tout prix refermer la parenthèse révolutionnaire pour garantir le pouvoir des classes possédantes.

Au plus fort des événements, entre 1792 et 1793, les sections de sans-culottes, qui formaient la base populaire mais aussi l’aile gauche de la révolution, ont quasi imposé un double pouvoir aux parlementaires bourgeois, jugés timorés, qui siégeaient à la Convention. La Conjuration des Égaux de 1796-1797 est en fait l’ultime sursaut de cette aile gauche, populaire et agissante, qui refuse de se voir voler 1789 par les parlementaires bourgeois.

À la recherche de l’égalité

Après 1789, le peuple révolutionnaire s’était organisé de façon autonome en créant des sociétés populaires [1], fortement réprimées pendant la Terreur. Après le coup d’État du 9 thermidor an II (27 juillet 1794) s’ouvre une période de réaction visant à maintenir une domination des riches sur le peuple. Le gouvernement du Directoire instaure une « république des propriétaires », basée sur un suffrage censitaire étroitement contrôlé. C’est cette réaction thermidorienne qu’entendent combattre les Égaux regroupés autour de Gracchus Babeuf.

François-Noël Babeuf – qui se fait appeler Gracchus en référence à des réformateurs sociaux de la Rome antique – est un « bras-nus » d’origine picarde, qui a participé à la révolution dès ses débuts à Paris, dans le mouvement sans-culotte. Lors de la réaction de 1794, il a 34 ans, et tire les leçons d’une révolution inachevée. Constatant que l’égalité proclamée dès 1789 n’a abouti qu’à remplacer une aristocratie (la noblesse) par une autre (la bourgeoisie) sans améliorer le sort du peuple, il s’interroge sur les moyens d’assurer la subsistance pour tous. Sa conclusion est qu’il faut prendre le problème à la source : la production et la répartition des richesses. Il lance le slogan « les fruits sont à tout le monde, la terre à personne ».

Trois mois après le coup d’État de thermidor, il crée un journal d’opposition, Le Tribun du peuple, et impulse une coalition des « républicains plébéiens ». Les partisans de Babeuf – ou « babouvistes » pour la postérité – sont d’anciens robespierristes (comme Filippo Buonarroti), des partisans d’une Terreur extrême (Augustin Darthé) ou des personnalités inclassables comme le poète Sylvain Maréchal, militant de l’athéisme et vu comme un des précurseurs de l’anarchisme par l’historien Max Nettlau [2].

Maréchal rédige un Manifeste des Égaux qui exige la fin des « révoltantes distinctions de riches et de pauvres, de grands et de petits, de maîtres et de valets, de gouvernants et de gouvernés » et l’égalité totale basée sur « la communauté des biens ». Les Égaux imaginent une sorte de communisme [3] basé sur la propriété nationale de la terre, la redistribution des profits et la transformation des citoyennes et des citoyens en producteurs associés dans des communautés. Mais ce manifeste est jugé trop radical par certains des républicains plébéiens, et Babeuf refuse sa diffusion pour préserver ses alliances.

La conjuration

Face la répression thermidorienne qui s’accroît, le mouvement des républicains plébéiens se mue en une société secrète qui prend le nom de « Conjuration des Égaux », pour préparer une insurrection et le rétablissement de la constitution de 1793 [4]. La question de la propriété y est aussi discutée mais ne fait pas l’unanimité. Toutefois, le projet de la conjuration prévoit la suppression de l’héritage et, formule consensuelle, « la jouissance collective immédiate des biens communaux ».

Le réseau de conjurés s’étend sur tous les arrondissements parisiens et dans quelques grandes villes de France. Il est dirigé par un « directoire secret de salut public ». La conjuration n’aura cependant pas le temps de mettre ses plans à exécution.

Le 10 mai 1796, les meneurs sont arrêtés – à l’exception de Sylvain Maréchal – et 65 personnes sont traduites en justice. Si 56 sont acquittés, 7 (dont Buonarroti) sont condamnés à la déportation, la peine capitale étant réservée aux deux principaux responsables, Babeuf et Darthé. La répression contraint la plupart des babouvistes au silence et à la fuite, mais certains réapparaîtront dans les insurrections des années 1830 et 1840, auréolés de la légende de Babeuf. Les révolutionnaires du XIXe siècle auront tendance à voir dans Babeuf un précurseur du communisme.

Un premier projet communiste ?

Gracchus Babeuf est en fait devenu un précurseur « officiel » du marxisme, enseigné dans les écoles soviétiques, parce que les staliniens ont eu besoin d’un père fondateur que l’on puisse rattacher à des événements et à des principes consensuels : la Révolution française et la revendication de l’égalité. Mais on a aussi voulu voir chez Babeuf l’esquisse de la « dictature du prolétariat » et de la conception léniniste du « parti de révolutionnaires professionnels ».

Il est vrai que la conjuration des Égaux était dirigée par un comité secret, chargé de diriger les opérations révolutionnaires et de constituer une autorité révolutionnaire provisoire. Cette organisation secrète centralisée se donnait comme but de prendre le pouvoir d’État avant tout, ce qui suscitera, à la fin du XIXe siècle, les critiques de l’anarchiste Kropotkine, jugeant que Babeuf faisait trop confiance à la Constitution de 1793 et donc au jeu institutionnel, ainsi qu’à l’autorité des chefs conspirateurs [5].

C’est oublier un peu vite que le passage à la clandestinité des Égaux n’intervient qu’en 1797, dans le contexte d’une montée de la répression contre les « jusqu’au-boutistes » révolutionnaires. D’autre part, même dans ces conditions, la stratégie adoptée pour préparer l’insurrection a fait l’objet de négociations entre les différents partenaires. Babeuf avait demandé que, dès le succès de l’insurrection, le comité secret soit responsable de ses actes devant le peuple de Paris, réuni en assemblée, qui choisirait aussitôt la nouvelle forme d’autorité publique. Il avait aussi été convenu de la mise sur pied d’une armée populaire, contrôlée par la base, et une éducation populaire permettant à chaque citoyen de jouer pleinement son rôle dans le nouveau système.

De plus, Buonarroti avait déjà analysé le danger de la concentration des pouvoirs entre les mains d’une « classe exclusivement au fait des principes de l’art social, des lois et de l’administration [qui] trouverait bientôt le secret de se créer des distinctions et des privilèges » mettant en place une « nouvelle servitude d’autant plus dure, qu’elle paraîtrait légale et volontaire ».

Le supposé autoritarisme de la Conjuration des Égaux, largement exagérée par Buonarroti dans ses mémoires [6], est contredit par le projet révolutionnaire de Babeuf, qui imaginait un pouvoir issu des « assemblées de souveraineté » du peuple.

Les débats des babouvistes sur le projet de société ont en fait surtout eu lieu en 1795. Par la suite, ils sont passés au second plan de leurs préoccupations, les Égaux se concentrant surtout sur les moyens à mettre en œuvre et les alliances à tisser pour renverser le Directoire et éviter une restauration monarchique...

Un premier parti communiste ?

La Conjuration des Égaux a aussi été considérée comme un premier parti communiste, « précurseur des soulèvements populaires » selon Rosa Luxembourg. Les babouvistes se fixaient comme objectif de combattre le royalisme qui regagnait en influence à mesure que la République s’éloignait des plus pauvres et d’amener le peuple à s’organiser de façon autonome, sur des bases de « classe ». Pour toucher le peuple, les Égaux avaient imaginé divers moyens : les journaux et affiches naturellement, mais aussi des réunions publiques ou des chansons révolutionnaires.

Selon Buonarroti, les babouvistes avaient compris que « le droit d’abattre le pouvoir tyrannique étant par la nature des choses délégué à la section du peuple qui l’avoisine, c’est à elle qu’est aussi délégué le droit de le remplacer d’une manière provisoire ». Ainsi, c’est bien au peuple qui souffre de l’oppression de s’organiser pour la détruire et créer de nouvelles institutions faites pour lui et par lui, le temps d’éliminer les révoltantes distinctions sociales. Ces conceptions, qui paraissent étonnamment modernes, sont issues d’une observation raisonnée du problème social et leur permet de comprendre la place que doit occuper le peuple dans la transformation politique.

Gracchus Babeuf avait compris l’évolution du monde et le sens de la Révolution française, et perçu l’avènement du capitalisme, un système « à l’aide duquel on parvient à faire remuer une multitude de bras sans que ceux qui les remuent en retirent le fruit ». Sylvain Maréchal, lui, était convaincu qu’on ne transformerait pas la société par la voie parlementaire tant qu’une « muraille d’airain s’élève encore entre ceux qui ont trop et ceux qui n’ont pas assez ». Il ne pouvait rien attendre de cette « démocratie » qui veut donner l’illusion qu’une population est unie et collabore dans un but commun, alors qu’elle est coupée par une fracture de classes entre exploités et exploiteurs.

Renaud (AL Alsace)


LES BABOUVISTES DANS LA RÉVOLUTION

5 mai 1789 : Ouverture des états généraux à Versailles. La bourgeoisie entend supprimer les contraintes féodales qui nuisent aux affaires.

17 juin 1789 : Face au blocage des réformes, le Tiers-Etat se tourne contre l’absolutisme royal et se proclame Assemblée nationale.

14 juillet 1789 : Le peuple s’empare de la Bastille pour s’armer.

4 août 1789 : Suppression des privilèges, déclaration des droits de l’homme et du citoyen accordant aux hommes l’égalité devant la loi.

14 juillet 1790 : Fête de la fédération. La bourgeoisie souhaite marquer la fin de la révolution avec la mise en scène d’un peuple réconcilié avec sa monarchie devenue constitutionnelle.

21 juin 1791 : La famille royale tente de fuir pour obtenir le soutien de la Prusse et de l’Autriche et le rétablissement de l’absolutisme.

10 août 1792 : Le roi est arrêté par le peuple. La République est proclamée, mais elle doit déjà faire face à des soulèvements royalistes et aux armées étrangères.

Septembre 1793 : Le peuple réclame une politique de "terreur" pour combattre les contre-révolutionnaires et les spéculateurs accusés d’affamer Paris. Le gouvernement montagnard (aile gauche de la bourgeoisie) de Robespierre instaure un régime d’exception pour sauver la République.

Fin 1793 : Les montagnards, conscients des limites sociales de la révolution mais pour lesquels il est hors de question de mettre en cause le droit inaliénable à la propriété, prennent peur d’être débordés par les sans-culottes, et retournent la terreur contre les mouvements populaires.

27 juillet 1794 : Coup d’État du 9 thermidor. La droite de la bourgeoisie renverse Robespierre et ouvre une ère de réaction.

Octobre 1794 : François-Noël Babeuf lance Le Tribun du peuple.

Février-octobre 1795 : Babeuf, emprisonné, rencontre Darthé et Buonarroti.

Janvier 1796 : Babeuf échappe à une nouvelle arrestation et entre dans la clandestinité.

10 mai 1796 : Arrestation des meneurs de la Conjuration des Égaux, suite à une dénonciation.

29 juin 1796 : Un soulèvement populaire pour la libération de Babeuf échoue. Il sera jugé à Vendôme, loin de Paris.

20 février 1797 : Début du procès des Égaux.

26 mai 1797 : Darthé et Babeuf tentent de se suicider en prison. Ils seront néanmoins guillotinés le lendemain.

9 novembre 1799 : Coup d’État du 18 Brumaire, Napoléon Bonaparte renverse le Directoire et prend le pouvoir, mettant un terme définitif à la révolution.


[1] Daniel Guérin, Bourgeois et Bras nus, Gallimard, 1973.

[2] Max Nettlau, Der Vorfrühling der Anarchie, Berlin 1925.

[3] Le mot de « communisme » lui-même n’a jamais été écrit, mais aurait toutefois été prononcé, d’après l’écrivain Restif de la Bretonne, à la société du Panthéon, société populaire ou les babouvistes furent très influents avant sa fermeture par le général Bonaparte le 28 février 1796.

[4] La Constitution de 1793 est la plus démocratique qui ait été rédigée en France mais elle n’est jamais entrée en vigueur, sous prétexte des guerres et des menaces d’invasion. Cette Constitution prévoyait notamment la citoyenneté pour tout étranger résidant un an en France et l’organisation des citoyens en assemblées primaires, par canton chargées d’accepter ou refuser les lois préparées par les députés.

[5] Pierre Kropotkine, La Grande Révolution, 1909.

[6] Filippo Buonarroti, Histoire de la Conspiration pour l’Égalité, dite de Babeuf, 1828.


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Re: Révolution bourgeoise & luttes de classe en France,1789-

Messagede bipbip » 05 Juil 2018, 18:24

Réflexions sur la Révolution française

La Révolution française reste une référence pour toute une gauche contestataire. Elle façonne également l'imaginaire républicain traditionnel. Mais la Révolution doit rester associée au renversement de l'ordre existant.

La Révolution reste un enjeu central. Elle est évidemment combattue et dénigrée par tous les pouvoirs. La charge contestataire des révolutions du passé est également désamorcée à travers la commémoration. Emmanuel Macron et le pouvoir actuel ne semblent pas vouloir se risquer pas à une hypocrite célébration du cinquantenaire de Mai 68. En revanche, en 1989, le pouvoir socialiste a organisé une commémoration nationale de la Révolution française de 1789.

Cette parade vise alors à en finir avec l’idée même de révolution. L’historien Jean-Noël Jeanneney, un proche du pouvoir, sert de caution scientifique. Le débat historique a longtemps fait rage. Les marxistes et les républicains y vont de leur propre interprétation. Surtout, l’ancien stalinien François Furet impose une vision libérale dans Le passé d’une illusion. Mais l’historien conservateur délaisse les archives pour inventer une histoire des idées.

Daniel Bensaïd, philosophe marxiste, déplore ces diverses interprétations. Il dénonce la commémoration de 1789 qui affadit la portée révolutionnaire de l’évènement. Surtout, il propose une réflexion sur la Révolution, sur ses forces, mais aussi sur ses faiblesses et ses erreurs. Sous la plume de Daniel Bensaïd, la Révolution s’exprime à la première personne dans son livre Moi, la Révolution.

... http://www.zones-subversives.com/2018/0 ... caise.html
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Re: Révolution bourgeoise & luttes de classe en France,1789-

Messagede bipbip » 09 Juil 2018, 20:32

Emission: LA LUTTE DES CLASSES PENDANT LA LA RÉVOLUTION FRANÇAISE (1ere partie 1789)
La lutte des classes pendant la Révolution française, 1re partie: 1789 avec Sandra, auteure de la brochure Révolution bourgeoise et luttes des classes en France, 1789-1799. 1re partie: de la crise de l’Ancien Régime à la chute de la monarchie (octobre 2014).
à écouter : https://vosstanie.blogspot.com/2016/09/ ... ndant.html

Emission La lutte des classes pendant la Révolution française (2ème partie, 1790-1792)
Dans la première émission on concluait sur « 1789, l’année de la bourgeoisie ». En effet c’est le moment où, l’expansion économique, la confiance de la bourgeoisie, face à une noblesse réactionnaire très peu encline aux changements, lui permettent de prendre le contrôle de l’État et de commencer à mettre en place les institutions lui permettant d’asseoir sa domination de classe. Mais cela n’a put se concrétiser que grâce à une massive insurrection des travailleurs urbains et ruraux, dont les conditions de travail et d’existence commencent par être perturbées et aggravées par l’expansion de l’économie capitaliste. Le processus révolutionnaire va alors être marqué par une intervention accrue, et parfois déterminante dans le cours de la Révolution, des ouvriers et des paysans aspirant à dépasser le contenu bourgeois de celle-ci
à écouter : https://vosstanie.blogspot.com/2018/07/ ... ant_3.html
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Re: Révolution bourgeoise & luttes de classe en France,1789-

Messagede bipbip » 10 Aoû 2018, 11:48

Révolution. La nuit du 4 août, ou la naissance d’un pays libre

Le 5 août 1789 à 2 heures du matin, les députés mettent à bas la domination féodale en proclamant l’abolition des privilèges, faisant de chaque Français un citoyen égal à tous les autres. L’Ancien Régime est mort.

L’analyse de Karl Marx demeure juste lorsqu’en 1848, dans la Nouvelle Gazette rhénane, il constate à propos des révolutions de 1789 et de 1848 qu’« elles étaient le triomphe de la bourgeoisie, mais le triomphe de la bourgeoisie était alors le triomphe d’un nouveau système social, la victoire de la propriété bourgeoise sur la propriété féodale ». L’été 1789 reste pour le philosophe allemand la matrice du monde contemporain, celui de la « Révolution la plus gigantesque qu’ait connue l’Histoire », faisant référence à cette nuit magique, celle du mardi 4 août 1789, lorsque, entre 8 heures du soir et 2 heures du matin, le système féodal qui corsetait la France depuis les Carolingiens et renforcé par les Capétiens depuis 1 200 ans s’effondra en quelques heures, faisant naître un monde nouveau.

Tout avait commencé la veille, le soir du 3 août, lors de la réunion du club breton à Versailles. C’est ainsi que l’on désignait le club des députés patriotes à la pointe du combat depuis le mois de juin lorsque, après s’être déclarés Assemblée nationale le 17 juin, ils désobéirent au pouvoir exécutif du roi le 23 juin leur intimant l’ordre de se séparer. En ce temps-là, les députés faisaient justement la loi. Or, les nouvelles qui remontent des provinces depuis la mi-juillet sont alarmantes. Une « grande peur » s’est emparée des campagnes. Les paysans effrayés par des rumeurs de pillage se sont mis sur les chemins et ont décidé de se rendre dans les châteaux, pour vérifier les chartriers, là où sont entreposés ces fameux documents dont se servent les seigneurs pour imposer toujours davantage les communautés de travailleurs sur leur fief. Les impôts de toutes sortes ne cessent de s’appesantir sur la masse paysanne, sans compter les vexations anciennes, ni même les impôts en nature, ou bien les caprices. Ici, il faut refaire gratuitement les chemins du seigneur, là il faut l’inviter de force à la noce des enfants, partout il est interdit de chasser un gibier qui pullule lorsque tous ont faim.
Le vicomte de Beauharnais demande l’égalité des peines, la même justice pour tous

C’est décidé, les députés vont donner une réponse forte à ces « brûlements de château » et faire cesser cette domination féodale qui n’a plus de sens au moment où naît la nation. Le vicomte de Noailles suggère d’emblée l’allégement des droits féodaux, mais surtout l’abolition des privilèges devant l’impôt, faisant de chaque Français un citoyen égal à tous les autres, devant par ses contributions aider à la fortune nationale. Plus prudent, le duc d’Aiguillon approuve ces décisions en soulignant que, la propriété privée devenant le socle de la nouvelle notabilité, il faudra racheter les droits seigneuriaux durant un laps de temps de trente ans. S’ensuit alors un moment électrique dans l’Assemblée, où les prises de parole ne cessent plus, rivalisant de générosité civique. Le clergé renonce à la dîme, impôt qui s’il n’est pas le plus lourd est le plus détesté, car unanimement levé dans tout le royaume. Le vicomte de Beauharnais demande l’égalité des peines, et donc la même justice pour tous. Le duc de La Rochefoucauld, qui préside la séance, va jusqu’à évoquer l’abolition de l’esclavage.
Le pouvoir n’était plus à vendre, ni aux nobles ni aux bourgeois

À 2 heures du matin, il clôt le débat, constatant que les privilèges, les inégalités et les particularismes ont été abolis. De fait, il faudra plus de six jours pour que toutes les propositions de la nuit soient rédigées sous forme de décrets, beaucoup revenant, après l’ivresse de la nuit, sur ce qu’ils ont cédé et tentant d’amoindrir la force des déclarations. Mais le pas a été franchi lorsque, le 11 août, la loi est votée. Une France nouvelle est née, un ancien régime est mort. Il n’y a plus en France de système féodal.

Les mesures ne furent pas seulement économiques ou sociales. Elles furent aussi politiques. Les provinces avaient renoncé à leurs barrières et les villes à leurs privilèges. La France devenait un tout égal et uni. Surtout, en abolissant la vénalité des charges et la vente des offices, désormais la propriété privée était séparée du pouvoir. Désormais le pouvoir n’était plus à vendre, ni aux nobles ni aux bourgeois. Tous pouvaient participer librement et également à toutes les charges publiques. C’en était fini des prébendes. Désormais le talent et le travail honnête garantissaient seuls la juste place de chacun dans la société. Plus que la fin de l’ancienne royauté, la nuit du 4 août porte le germe de la République. Loustallot, journaliste des Révolutions de Paris, peut conclure, se souvenant de cette nuit : « La Fraternité, la douce fraternité régnait partout. »
Le droit de chasse

Durant la nuit du 4 août, la noblesse renonça à son droit exclusif de chasse, ce qui fut inscrit dans le marbre des deux premiers articles du décret. Bien plus que d’autres droits, c’était une victoire concrète qui marqua la paysannerie et assura en grande partie son adhésion à la Révolution, tout en libérant les centaines d’hommes condamnés aux galères pour faits de chasse. Comme le relate Jacques Bernet dans sa présentation du Journal d’un maître d’école d’Île-de-France, 1771-1792 (PUS, 2000), la chasse, que l’on ne saurait regarder avec nos yeux contemporains au risque de l’erreur anachronique, fut ainsi une des conquêtes démocratiques les plus fortes de la Révolution.
Pierre Serna Historien


https://www.humanite.fr/revolution-la-n ... bre-658855


Célébrer le 10 août

Ayant eu l'outrecuidance de pointer l'ambiguité de "la nuit du 4 août", j'ai été victime de quolibets voire d'insultes qui me prouvent que la défalsification de l'histoire devrait être impérativement conduite si on souhaite désaliéner l'opinion publique des idées reçues, de la bien-pensance mémorielle et aussi des intolérables légendes noires qui surnagent...

Je viens me permettre de proposer la célébration de l'une des journées les plus importantes de la Révolution française, sinon la plus importante : le 10 août 1792.

Pourquoi ? Parce qu'à la différence d'un mouvement d'assemblée qui a viré au happening et au théâtre des faux semblants, il s'agit là d'un affrontement direct du peuple avec le pouvoir royal.

Nous sommes au cours du quatrième été de la Révolution, sous l'assemblée législative qui a tenté de jeter les règles d'une monarchie constitutionnelle et censitaire mais Louis XVI, qui a vainement essayé de s'enfuir, joue la carte de la défaite militaire de la France en faisant appel aux monarchies austro-hongroise et prussienne à qui il a "officiellement déclaré la guerre".

Tandis que l'invasion se prépare, avec la collaboration des nobles français émigrés, des rumeurs et des bruits récurrents de trahison empoisonnent l'atmosphère parisienne et suscitent l'agitation des faubourgs.

Le 11 juillet l'Assemblée proclame la patrie en danger. La Garde nationale est appelée sous les armes, on lève de nouveaux bataillons de volontaires qui seront grossis, au fûr et à mesure de leur arrivée à Paris afin de fêter l'anniversaire de la prise de la Bastille, par les volontaires bretons puis par les marseillais (qui reprennent en choeur "le chant de guerre pour l'armée du Rhin" de Rouget de l'Isle).

Le 1er août est connu le manifeste du duc de Brunswick, un ultimatum rédigé sous forme d'insulte au peuple de Paris, qui met le feu aux poudres et va inciter les sections sans-culottes de passer à l'action.

Car depuis le 20 juin 1792 où le Roi avait été directement confronté avec quelques uns de ses sujets en colère, le pouvoir politique a changé de camp. Les députés partisans d'une monarchie constitutionnelle ayant vu leurs espoirs anéantis, ont quitté l'Assemblée qui s'est ainsi réduite à 260 membres sur 745 tandis qu'émergeait en face d'elle une Commune de 288 membres, assemblée de sans-culottes dirigée par des bourgeois démocrates qui formeront bientôt le parti montagnard.

J'ai évidemment étudié le fonctionnement de cette structure dont l'historien Petit-Dutaillis dit qu'elle est un avatar de celles qui l'ont précédée, d'Etienne Marcel à la Fronde...*

Toujours est-il que le tocsin sonne, dans la nuit du 9 au 10 août. A l'Hôtel de Ville arrivent d'heure en heure, des délégués des sections.

Le brasseur Santerre est élu commandant en chef de la Garde nationale. Autour des Tuileries, les branches d'une énorme tenaille se resserrent. Deux colonnes, l'une du faubourg St-Antoine, l'autre de la rive gauche, épaulée par les Marseillais et les Brestois, convergent vers le château...

L'assaut sera bref et sanglant, la plupart des gardes suisses étant massacrés et il y aura des dizaines de morts du côté des assaillants. Le Roi et sa famille iront se réfugier à l'Assemblée où ils occuperont la loge du logographe.

En France, la monarchie a vécu ; la République va lui succéder.

Pour ne pas être une fois encore, considéré comme un hurluberlu, je termine ce billet en citant l'historien Denis Richet, proche de François Furet : "La période qui s'ouvre est celle de la démocratie politique. La démocratie sociale : voilà ce que désire, avec une conscience plus ou moins claire, le petit peuple des villes et des campagnes. Aux paysans il importe de se libérer totalement des entraves seigneuriales qui subsistent et d'accéder plus largement au butin que la bourgeoisie a mis sur la place publique : les biens nationaux.

A Paris, boutiquiers et artisans, compagnons et ouvriers, ont renoué avec les vieilles utopies égalitaires de la Ligue et de la Fronde. Les sans-culottes sont devenus une force autonome et redoutable. A leurs yeux le 10 août est une victoire incomplète. Il va peser désormais d'un poids toujours plus fort, comme si l'histoire pouvait être forcée ; comme si les forces vives du capital pouvaient être contraintes, à peine libérées, à rentrer dans le carcan des communautés vertueuses et pauvres du Moyen Age. Sans le ciment idéologique puissant offert par la guerre, un tel contre-courant se serait vite perdu. Le patriotisme révolutionnaire est devenu une religion. Elle a déjà ses martyrs. Elle aura demain, avec les défaites, son Inquisition et ses bûchers."

* cf "Les 72 Immortelles" l'ébauche d'un ordre libertaire (éditions du Croquant, parution début octobre 2018)


https://blogs.mediapart.fr/vingtras/blo ... le-10-aout
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Re: Révolution bourgeoise & luttes de classe en France,1789-

Messagede bipbip » 13 Aoû 2018, 21:06

Les femmes : actrices méconnues de la révolution française

La Révolution française, une affaire d’hommes ? C’est ce qu’on apprend à l’école. Pourtant, loin d’être de simples spectatrices, les femmes furent véritables actrices de la libération du peuple, et amorcèrent des idées nouvelles et progressistes. Dans l’ombre souvent, avec courage toujours, les femmes de la Révolution française méritent d’être connues.

Avant 1789, Mirabeau eut cette phrase célèbre : “Tant que les femmes ne s’en mêlent pas, il n’y a pas de véritable révolution!” L’Orateur du peuple avait raison. Les femmes de la Révolution française furent nombreuses, mais bien souvent anonymes et invisibilisées. Aujourd’hui encore, elles sont peu présentes dans les manuels scolaires. Chacun a étudié qui étaient Robespierre et Marat, mais surement moins qui étaient Charlotte Corday, Théroigne de Méricourt et Olympes de Gouges. Car si l’Histoire a été écrite par des hommes, elle a aussi été faite par des femmes. Dès 1789, on ne leur octroie aucun droit, comme si elles ne faisaient pas partie du peuple. En août 1789, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est proclamée, mais nulle place ni droits pour les femmes. Pourtant, quelques mois plus tard, les 5 et 6 octobre 1789, ce sont elles, les femmes qui sont les premières à envahir Versailles, canons et armes de fortune à la main, pour ramener le roi à Paris.

La marche des femmes vers Versailles

Le 5 octobre au matin, elles se réunissent place de l’Hôtel de Ville à Paris. La plupart d’entre elles appartiennent aux Dames des Halles, une corporation importante dans la société de l’Ancien Régime. Elles sont souvent reçues par le roi et lui présentent des doléances ou des compliments. Ce sont des représentantes officielles du peuple de Paris. Ces femmes sont chargées de l’approvisionnement de la capitale. Pour les historiens, il est donc tout à fait réaliste qu’elles aient pris les devant pour déposer requêtes et plaintes lors de la disette de pain. C’est vers dix heures du matin, sous une pluie incessante, que plusieurs milliers de femmes, rejointes pas de nombreuses autres en route, partent pour Versailles aller voir le roi. Dans le cortège, on trouve aussi bien des femmes issues des classes populaires que des bourgeoises, comme en témoignent les gravures de l’époque et le journal du libraire parisien Hardy qui décrit dans ses écrits que « plusieurs milliers de femmes » couraient les rues « après avoir racolé toutes les femmes qu’elles rencontraient sur leur passage, même les femmes à chapeaux. » Ces femmes marchent près de six heures à pied, le temps de parcourir la route entre Paris et Versailles, en tirant à mains nues quelques deux ou trois pièces de canon prises place de la Grève.

Cette marche demeurera dans l’histoire comme la première “Marche des femmes”. Un terme souvent repris aujourd’hui lors des manifestations de rues en faveur des droits des femmes dans le monde entier. Cette procession révolutionnaire passera par la place Louis XV (aujourd’hui place de la Concorde), les Champs-Elysées et enfin la route de Sèvres. C’est vers seize heures, épuisées, qu’elles arrivent à Versailles, après ces heures de marche dans la boue, sous la pluie, avec leurs enfants dans les bras parfois, sans boire ni manger, et tirant pour certaines les dits canons. Arrivées à Versailles, quelque unes entrent dans l’Assemblée nationale, ce qui provoqua la colère de certains députés de l’époque, trouvant l’intrusion de ces femmes bien plus dérangeantes que celle du peuple qu’elles daignaient représenter. C’est après cet événement dont elles sont les actrices, que des groupes d’hommes armés arrivèrent de Paris.

Théroigne de Méricourt, l’“Amazone rouge”

Comme le démontrent les événements d’octobre 1789, les députés n’étaient pas habitués à voir des femmes sur les bancs de l’Assemblée. Pourtant, une femme venait prendre place dans les tribunes. Une certaine Théroigne de Méricourt, jeune femme venue de Liège pour assister à la Révolution française. Elle aurait d’ailleurs participé aux journées du 5 et 6 octobre 1789. Vêtue d’une redingote et d’un chapeau à plumes à la Henri IV, Théroigne de Méricourt s’affiche en guerrière, reprenant la mode de l’amazone lancée par Madame du Barry. Elle crée à l’âge de 25 ans, après une carrière de chanteuse ratée, la légion des amazones. Pour elle, la Révolution se fera armes à la main, et avec les femmes et les hommes, se battant côte à côte. Elle déclara, pour inciter les femmes à la rejoindre : « Armons-nous; nous en avons le droit par la nature même de la loi, montrons aux hommes que nous ne leur sommes inférieures ni en vertu, ni en courage ». On la surnomme “l’Amazone rouge”, surement à cause de ses détracteurs qui aiment à la dépeindre toujours vêtue du rouge sanguinaire. Véritable militante, Théroigne de Méricourt clame ses idées sur la place publique et colle des affiches. Pionnière du féminisme, elle souhaite réparer les injustices entre les hommes et les femmes, lutter contre la misère, la pauvreté, et permettre l’accès à l’éducation. Elle est arrêtée en 1793, fouettée nue. On l’accuse d’avoir tué un célèbre journaliste royaliste de l’épique et de vouloir assassiner Marie-Antoinette, peu de temps avant que celle-ci ne soit guillotinée. Pour échapper à la guillotine, elle se fait passer pour folle. Elle sera internée vingt longues années à l’isolement, dans une cellule minuscule de la Salpêtrière. Elle y meurt à 55 ans, en laissant mourir de faim. On dit qu’en 1830, Eugène Delacroix se serait inspiré de Théroigne de Méricourt pour peindre son célèbre tableau La liberté guidant le peuple. Rumeur ou non, peu importe. Théroigne de Méricourt, avant d’être une muse, fut une véritable révolutionnaire.

Olympe de Gouges, visionnaire guillotinée par les révolutionnaires

Autre figure de proue de la Révolution, Olympe de Gouges. Peu connue comme révolutionnaire, c’est à la fin du XXe que la figure d’Olympe de Gouges refait surface grâce aux féministes. Véritable écrivain, Olympe de Gouges rédige la Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne en 1791. Reprochant au texte fondateur de ne jamais faire mention de la femme, elle écrit ce texte devenu emblématique des droits des femmes reprenant la forme du texte de 1789. « La Femme a le droit de monter sur l’échafaud, elle doit avoir également celui de monter à la Tribune », écrit-elle en préambule. Elle ajoute certains éléments, comme le droit au travail pour les femmes ou encore la reconnaissance des enfants illégitimes (hors mariage), dont elle fait partie. Elle fut battue et violée dès l’âge de 17 ans par son mari, un épicier. Elle dira du mariage qu’il est « le tombeau de l’amour et de la confiance ». Grâce à la mort de son mari, elle devient veuve, une des meilleures situations qu’une femme puisse espérer au XVIIIe siècle. Bien qu’ayant de multiples soupirants elle resta toute sa vie libre, affirmant haut et fort qu’elle n’a nul besoin d’un homme pour mener à bien son existence. Olympe de Gouges était aussi une véritable progressiste et visionnaire. Dans sa Lettre au peuple, elle demande l’école gratuite pour les enfants, la caisse de retraites, ou encore un impôt à hauteur du revenu pour payer la dette qui ravage alors le pays. Contrairement à Théroigne de Méricourt, elle estime que la Révolution est trop sanglante, et reste marquée par la mort de nombreux amis. (Ndlr : 17000 personnes sont guillotinées pendant la Terreur) A travers une virulente campagne d’affiche, elle accuse Robespierre de faire couler le sang, ce qui lui vaudra d’être arrêtée et condamnée à mort par le tribunal révolutionnaire. Pour gagner un peu de temps, elle se déclare enceinte (on attendait toujours qu’une femme accouche avant de la guillotiner pour ne pas tuer le bébé). Elle monte sur l’échafaud à 45 ans, et crie à la foule, avant qu’on ne lui coupe la tête : “Enfants de la Patrie, vous vengerez ma mort!”

Charlotte Corday, l’ange assassine de la Révolution

La femme la plus célèbre de l’époque révolutionnaire fut sans doute Charlotte Corday, qui tient sa notoriété de l’assassinat de Marat dans sa baignoire. Ce n’est pas pour rien qu’on surnomme cette jeune femme de 24 ans, l’“ange de la Révolution”. La descendante de Pierre Corneille, fréquente les Girondins en exil. Elle accuse Marat d’être responsable de l’élimination de la Gironde et d’être un monstre sanguinaire. Pour rappel, Marat appelle au meurtre et à la guillotine dans son journal, L’ami du peuple. Charlotte Corday a assisté à des scènes d’une violence inouïe à Caen, elle a vu des têtes coupées, un cœur brûlé sous ses yeux et décide de faire cesser ce massacre de la guerre civile. Mais pour elle, les hommes manquent de courage. Alors, elle décide d’agir seule pour tuer Marat. Le 13 juillet 1793, elle achète un couteau à la galerie du Palais Royal et elle se rend chez le célèbre journaliste. Marat prend alors un bain pour soulager une maladie qui lui ronge la chair, Charlotte Corday le poignarde, et lui perce le cœur et le poumon. Il meurt sur le coup. La jeune femme n’essaie pas de s’enfuir, pour elle, cet acte est politique, et elle compte bien le revendiquer. Avant de mourir elle écrit une lettre aux Français où elle explique les raisons de son geste. « J’ai tué un homme pour en sauver cent mille », dit-elle. Elle fut guillotinée le 17 juillet 1793 après qu’on lui ait coupé les cheveux. Dans sa lettre d’adieux à son père, on pouvait lire à la fin ces vers de Corneille : « Le crime fait la honte, et non pas l’échafaud. »

Comme Olympe de Gouges, Charlotte Corday fut une révolutionnaire tuée par les révolutionnaires. Toutes deux victimes de la guerre entre Montagnards et Girondins. Après la révolution, les femmes n’eurent d’autres droits que leurs homologues masculins, que celui d’être assassinées. Pourtant en 1790, Concordet, ce féministe avant l’heure écrivait le traité Sur l’admission des femmes au droit de cité. Il y écrit que : « Celui qui vote contre le droit d’un autre, quels que soient sa religion, sa couleur ou son sexe, a dès lors abjuré les siens. »

Sources :

Charlotte DENOËL, « Les tricoteuses pendant la Révolution française », Histoire par l’image [en ligne], consulté le 03 Juillet 2018. URL : http://www.histoire-image.org/fr/etudes ... -francaise

Dominique GODINEAU, Citoyennes tricoteuses. Les femmes du peuple à Paris pendant la Révolution française, Aix-en-Provence, Alinéa, 1988, 2e éd., Paris, Perrin, 2003.

Jules MICHELET, Les femmes de la Révolution, Paris, Carrère, 1988.

Martial POIRSON, Amazones de la Révolution : Les femmes dans la tourmente de 1789, Gourcuff, 2016.


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Re: Révolution bourgeoise & luttes de classe en France,1789-

Messagede bipbip » 15 Aoû 2018, 19:14

Émission La lutte des classes pendant la Révolution française (2ème partie, 1790-1792)

Radio Vosstanie !

Dans la première émission on concluait sur « 1789, l’année de la bourgeoisie ». En effet c’est le moment où, l’expansion économique, la confiance de la bourgeoisie, face à une noblesse réactionnaire très peu encline aux changements, lui permettent de prendre le contrôle de l’État et de commencer à mettre en place les institutions lui permettant d’asseoir sa domination de classe. Mais cela n’a put se concrétiser que grâce à une massive insurrection des travailleurs urbains et ruraux, dont les conditions de travail et d’existence commencent par être perturbées et aggravées par l’expansion de l’économie capitaliste. Le processus révolutionnaire va alors être marqué par une intervention accrue, et parfois déterminante dans le cours de la Révolution, des ouvriers et des paysans aspirant à dépasser le contenu bourgeois de celle-ci.

à écouter : https://vosstanie.blogspot.com/2018/07/ ... ant_3.html
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