Cuba

Cuba

Messagede bipbip » 30 Mar 2015, 01:41

Cuba ou la mauvaise conscience des anarchistes.

Texte publié dans la revue Iztok n°3 de mars 1981

Iztok fut la revue éditée par un groupe d’exilés des pays de l’Est (Bulgarie, Pologne, Roumanie) de 1980 à 1991.

Véritable source d’informations sur ces pays, elle disparut avec les régimes communistes totalitaires qui y sévissaient. Toutefois, la revue ne se limitait pas à la seule Europe de l’Est, de nombreux articles abordaient la situation à Cuba ou en Chine.

Iztok n’eut que 20 numéros, elle était l’une des meilleures revues de l’époque : textes clairs, sujets variés présentant et des articles théoriques et des articles d’actualité.

Entre autres particularités, il faut noter qu’Iztok eut des éditions en langues étrangères : bulgare, russe, polonais, roumains. Il ne m’a été possible que de trouver un numéro en bulgare et un autre en polonais. J’espère pouvoir les publier, mais rien n’est moins sûr.

Nous publions ici le texte envoyé à Iztok par un camarade de la Coordination libertaire latino-américaine sur les anarchistes cubains pour plusieurs raisons.

D’abord en signe de solidarité : ils sont en exil, comme nous fuyant les prisons de Cuba qui fait partie de l’empire moscovite comme la Bulgarie, la Pologne, etc.

Ensuite par intérêt historique — il nous donne des informations sur l’activité libertaire à Cuba de 1885 à 1959.

Enfin ce texte pose un problème théorique, celui de la « pensée totalitaire ». Cette manière de penser est courante et évidente dans tous les systèmes politiques, philosophiques et idéologiques totalitaires. Mais elle peut exister et elle existe sûrement dans chaque individu, à différents degrés ; par conséquent elle peut exister aussi dans chaque groupe humain, n’importe lequel. Un autre problème que le camarade soulève concerne notre attitude vis-à-vis des conflits mondiaux entre les deux superpuissances pour la domination de la planète. Si théoriquement notre attitude est claire et nette, dans la pratique il n’est pas toujours facile de se situer. Notre propre expérience nous oblige souvent à mettre les points sur les « i ». Le fait que nous ayons quitté le « paradis socialiste » (et leurs goulags !) ne signifie pas automatiquement que nous acceptons et approuvons tous les systèmes politiques dans les pays où nous sommes obligés de vivre maintenant. Le socialisme, et nous faisons partie de ce courant, s’est constitué au milieu du XIXe siècle en opposition au système capitaliste classique. Nous ne pouvons pas nier nos origines ni notre opposition au système capitaliste qui malgré beaucoup de changements secondaires garde toujours l’essentiel, c’est à dire la domination et l’exploitation.

Mais depuis un siècle, il y a un « fait nouveau » : l’existence d’un autre système politique et économique qui prétend être « socialiste ». Nous ne sommes pas d’accord avec lui non plus : non seulement parce qu’il a exterminé tous nos camarades et interdit toute autre pensée que sa « vérité » à lui, mais aussi parce que ce système au lieu d’éliminer la domination et l’exploitation les a perpétués et perfectionnés.

Ainsi nous nous situons sur deux fronts ce qui n’est pas toujours facile à vivre. De temps en temps cela gène même nos camarades, ici à l’occident. Ils trouvent que nous mettons trop l’accent sur un front en oubliant l’autre qui pour eux est plus important (dans leurs conditions sociales de lutte). Sans accepter leurs valeurs « morales » respectives, nous pensons qu’il existe une différence de formes et de degrés, par le fait même qu’ici nous pouvons continuer à exister et à mener une certaine activité.

Pour conclure, une petite précision. En ce qui concerne la polémique sur Cuba dans les années 60, la source la plus importante de cet article est le bulletin des libertaires cubains en exil, évidemment fortement impliqués. Aussi il est bon de préciser que les positions des organisations et surtout des journaux et revues cités pourraient être nuancés par une étude plus exhaustive des textes. Mais les grandes lignes restent valables.

Iztok



Première partie : http://www.polemicacubana.fr/?p=10875

Deuxième partie : http://www.polemicacubana.fr/?p=10885
Avatar de l’utilisateur-trice
bipbip
 
Messages: 35413
Enregistré le: 10 Fév 2011, 09:05

Re: Cuba

Messagede Pïérô » 09 Oct 2016, 13:41

Le débat à propos de Cuba parmi les intellectuels de gauche aux Etats-Unis

Bien trop souvent, les intellectuels des Etats-Unis ont soit défendu le «communisme» cubain de manière acritique, soit alimenté la propagande de Washington.

Pour beaucoup d’entre eux, comment répondre aux premiers stades de la Révolution cubaine fut la question clé du début des années 1960.

Des guerriers libéraux de la Guerre froide, comme Arthur Schlesinger Jr, ont défendu la ligne agressive adoptée par la nouvelle administration Kennedy contre le gouvernement cubain.

Mais les intellectuels de gauche ont dénoncé cette politique. Un des plus éminents parmi eux, le sociologue radical C.Wright Mills, argumenta qu’à la différence des pays capitalistes développés et du « communisme » soviétique, la révolution de Cuba parlait pour les pays du tiers-monde.

Le dernier livre de Rafael Rojas, Fighting Over Fidel: The New York Intellectuals and the Cuban Revolution, décrit ces débats.

... http://www.polemicacubana.fr/?p=11812
Image------------ Demain Le Grand Soir --------- --------- C’est dans la rue qu'çà s'passe --------
Avatar de l’utilisateur-trice
Pïérô
 
Messages: 22436
Enregistré le: 12 Juil 2008, 21:43
Localisation: 37, Saint-Pierre-des-Corps

Cuba

Messagede bipbip » 28 Nov 2016, 17:01

“Réplique sur Cuba”, par Gaston Leval (juin 1961)

Au mois de mai 1961, un mois après la tentative d’invasion de Cuba, épisode connu sous le nom de « débarquement de la baie des Cochons », paraissait dans « Le Monde libertaire », organe de la Fédération anarchiste, un article stupéfiant de bêtise (1), signé Ariel, tout à la gloire du socialisme en uniforme sauce castriste. Dans le numéro suivant de cette même publication, Gaston Leval (2), qui avait été mis en cause dans l’article d’Ariel pour ses positions critiques vis-à-vis de l’orientation prise alors par la révolution cubaine, lui répondait dans un texte remarquable, « Réplique sur Cuba ». A l’heure où ce qui reste de fidèles staliniens et d’idolâtres marxisants pleure la mort du dictateur cubain, il est bon de se souvenir que dès le lendemain de la prise de pouvoir de Castro à La Havane, certains observateurs libertaires faisaient montre d’une solide lucidité. C’est cet écrit de Gaston Leval que je me fais un plaisir de reproduire ici.

Réplique sur Cuba

Je viens de lire l’article que le collaborateur de ce journal, qui signe Ariel, a publié sur la révolution cubaine, maintenant transformée en contre-révolution totalitaire, comme écrivait récemment notre camarade Fidel Miro dans un Solidaridad obrerade Mexico, comme le dénoncent la majorité des journaux anarchistes d’Amérique centrale et du Sud, et nos camarades nord-américains, qui sont en contact avec les faits et ne se montrent pourtant pas tendres envers ce qu’ils appellent l’impérialisme capitaliste de leur pays.

Ariel recommande à ses lecteurs la revue Esprit, que l’on sait être une publication catholique « progressiste », très orientée vers Moscou, et avec laquelle Albert Camus eut de sérieux démêlés. Il recommande la lecture de Bohemia, éditée par l’appareil de propagande castro-communiste, et qui n’est qu’une mauvaise doublure de la véritable Bohemia tant aimée des Cubains, dont le directeur, qui avait livré bataille contre Batista et défendu Castro à cette époque, a dû maintenant partir en exil. S’il cite un auteur-voyageur, il se garde bien de confronter les affirmations de cet auteur avec celles de nos camarades ou de gens mieux informés que lui. Et rappelons-nous qu’il y eut des milliers de voyageurs de ce genre pour vanter les merveilles du régime stalinien, et nous traiter de contre-révolutionnaires, jusqu’au moment où Khrouchtchev lui-même se chargea de les démentir…
Plus encore : selon Ariel, il y a bien des partis politiques, mais le peuple les dédaigne, car il est avec Castro. Mais pourquoi ne nous dit-il pas qu’il y a surtout le Parti communiste, appelé Parti socialiste populaire, qui a une existence officielle, et est le véritable maître de la situation dans tous les domaines : politique, économique, administratif, militaire et policier ? Pourquoi taire cette réalité essentielle contre laquelle déjà se dressaient nos camarades cubains il y a plus d’un an ? Pour ma part, je considère que cela est tromper ses lecteurs par omission.
Naturellement, Ariel ressasse tout ce que disent les communistes chez qui, directement ou indirectement, il puise sa documentation, contre les Américains du Nord. Les problèmes de l’Amérique du Sud sont autrement compliqués que ce que représentent les schémas sommaires qu’on nous fournit. Mais ces schémas ont la vertu d’être facilement compréhensibles pour les âmes simples. Surtout, ils servent la propagande totalitaire moscovite en attaquant continuellement les États-Unis. Or, non seulement j’affirme qu’en approfondissant les choses on s’aperçoit qu’elles sont bougrement plus compliquées, mais d’autres camarades d’Amérique du Sud, de mes amis, l’affirment aussi, et non sans raison. Mais ceci est une autre histoire, comme dirait Kipling.
Ce qu’il m’intéresse surtout de dire, c’est qu’il est odieux d’affirmer que la lutte sanglante de Castro et des communistes à Cuba est l’œuvre de misérables, de traîtres ou de vendus. On n’a pas le droit de calomnier et de salir ainsi des hommes qui se sont déjà battus contre Batista, qui ont bravé la mort, et la bravent encore pour la liberté. Là encore, Ariel répète automatiquement ce que disent les communistes dont Castro est devenu un instrument car il ne pouvait que s’appuyer sur eux pour implanter sa dictature. C’est ce que démontre, entre autres auteurs, Yves Guilbert dans son livre magnifique Castro l’infidèle (3), qui ne fait que confirmer ce que savent ceux qui ont suivi impartialement l’évolution des faits à Cuba, après avoir applaudi, comme le firent les Cahiers du socialisme libertaire, le triomphe de Fidel Castro et de ses compagnons de lutte.
Ainsi le résultat a-t-il été que, le 2 mai dernier, Cuba est devenue la première « République démocratique populaire » du continent américain. C’est-à-dire le premier État soi-disant communiste et certainement totalitaire de cette partie du monde.
Cela doit suffire, me semble-t-il, à éclairer la lanterne de qui veut vraiment y voir clair, car c’est l’aboutissement d’une évolution rapide, mais tenace, dans un sens bien déterminé.
On reste confondu devant les affirmations, du genre de celle où Ariel dit que, loin d’asservir les syndicats, Castro, au contraire, les a créés. Cela prouve avec quel sérieux il se documente, car le mouvement syndical, et syndicaliste, existe à Cuba depuis le début du siècle ; à la chute de Batista, la majorité des travailleurs des villes appartenaient à de puissantes organisations ouvrières, mais comme ils ne s’inclinaient pas facilement devant Castro, on a eu recours à la tactique traditionnelle des communistes et des fascistes : créer apparemment des syndicats nouveaux, pour éliminer les récalcitrants.
Pour Ariel, je commets une « faute morale » en dénonçant la tournure prise par le nouveau régime cubain. Il faut donc admettre comme bonne la suppression de tous les journaux, de toutes les publications non communistes, l’étranglement de la presse, qui ne se soumet pas à la dictature totalitaire, les persécutions contre ceux qui défendent la liberté, le droit de réunion, d’association, de pensée et d’expression de la pensée, la fermeture des centres culturels libres, l’investissement des syndicats et des véritables coopératives. Quant au fait que les partis politiques n’existent plus, cela ne justifie nullement que la liberté y ait gagné. D’abord, répétons que le Parti communiste, qui a maintenant tout en main, existe et domine tout, avec les « techniciens » russes, tchécoslovaques, chinois, allemands de l’Est, et ajoutons que quand la disparition de ces partis est accompagnée, comme c’est le cas, de la disparition de tout ce qui est libre ou libertaire, soit en essence, soit dans sa définition doctrinale, c’est se moquer du monde qu’affirmer que l’étape actuelle de la révolution cubaine conduit à un régime libertaire.
J’ai dans mes articles publiés dans les Cahiers du socialisme libertaire, qu’Ariel attaque, donné des éléments de preuves qui justifiaient mes affirmations. J’ai, par exemple, cité la circulaire qui nous a été envoyée par des camarades mexicains qui sont allés sur place et nous ont demandé instamment de « ne pas citer, dans nos écrits, le nom de camarades cubains pouvant nous renseigner, car il y va de leur liberté, et même de leur vie ». Cela suffit pour résumer l’état de choses qui règne dans l’île malheureuse. Mais Ariel n’en tient pas compte, comme il ne tient pas compte du fait que les enfants sont militarisés dès l’âge de sept ans, et reçoivent, dès le même âge, des cours de formation marxiste, qui sont étendus à toute l’armée et aux milices.
Mais c’est pour des hommes comme lui que notre camarade Marcelo Salinas écrivait, dans le numéro de février de Solidaridad gastronomica, la dernière publication libertaire cubaine qui vient de disparaitre, un article intitulé : « ¡ Dan ganas de escupir ! » (« Cela donne envie de cracher » – sous-entendu : de dégoût !).
« Plus d’un de ceux à qui je me réfère ont l’audace de pontifier de loin sur ce qu’ils ignorent, de juger l’attitude de ceux qui se trouvent au cœur des faits et qui peuvent ainsi les connaître : et ils ne sont pas peu nombreux ceux qui vont, de faux pas en faux pas, de conseil en conseil, jusqu’à préconiser une alliance entre nos forces et les forces du plus grand ennemi que la liberté et le droit individuel aient jamais eus dans l’histoire humaine. »
Je rappelle que Marcelo Salinas, vieux militant libertaire avec qui j’étais en relations (et je dis j’étais, car plus personne ne peut échanger de correspondance avec nos camarades cubains), non seulement dirigeait Solidaridad gastronomica, mais est secrétaire général de la Fédération libertaire cubaine, maintenant réduite au silence.
Et entre le témoignage des staliniens et de leurs instruments, et celui de mes camarades, je m’arrête d’abord à ce dernier. Du moins j’en tiens compte.
Ariel prétend que l’on instaure à Cuba un socialisme populaire. Pour lui, qui ne semble pas connaître plus les doctrines sociales dont il s’occupe que les faits qu’il commente, « nationaliser » tout par l’organisme étatique gigantesque qui s’appelle INRA, c’est instaurer la socialisme ! Les « coopératives » cubaines sont aussi socialistes que les kolkhozes russes. Nos auteurs ont toujours proclamé, avec raison, que le capitalisme d’État était pire que le capitalisme privé, car en plus d’exploiter il tue la liberté, et toute possibilité de défense. Mais cela, Ariel l’ignore encore. Du moins a-t-on le droit de le supposer. Sinon, ce serait pire.
Il ne suffit pas d’exproprier le capitalisme privé, les grands propriétaires terriens, et de distribuer des armes au peuple pour instaurer le socialisme. Il ne suffit pas non plus d’avoir le peuple derrière soi. Peron avait le peuple argentin avec lui. Il l’a encore. Tout démagogue habile peut entraîner les masses. Il s’agit de savoir où il les mène.
Pour le moment, à Cuba, on les a menées à un État totalitaire. On ne nous persuadera pas que ce soit le chemin de la libération des hommes.

Gaston Leval
(juin 1961)


P. S. : Un exemple de la façon dont Ariel « reflète » la pensée d’autrui. Il écrit : « Il est très dangereux d’assimiler Castro à Hitler et Mussolini, surtout au moment où l’existence même de la révolution cubaine est menacée. » Or je n’ai fait de comparaison que quant aux moyens que des démagogues (Hitler, Mussolini, Peron, tous les dictateurs d’Amérique latine) ont employés pour entraîner les masses. Ce n’est pas faire de Castro un Hitler ou un Mussolini, comme le commentaire l’insinue. Un petit Staline ? De plus, mon article [4] est paru un mois et demi avant les événements cubains.

[1] « La révolution cubaine en péril » http://ml.ficedl.info/spip.php?article998.
[2] Biographie de Gaston Leval https://militants-anarchistes.info/spip.php?article6468.
[3] Édition de La Table Ronde.
[4] In Cahiers du socialisme libertaire.


http://www.polemicacubana.fr/?p=11988
Avatar de l’utilisateur-trice
bipbip
 
Messages: 35413
Enregistré le: 10 Fév 2011, 09:05

Re: Cuba

Messagede Pïérô » 03 Jan 2017, 02:06

“Au secours des libertaires cubains”.
Un texte de juin 1963 publié par la revue “la Révolution prolétarienne”


A l’heure où ce qui reste de fidèles staliniens et d’idolâtres marxisants pleure la mort du dictateur cubain, il est bon de se souvenir que dès le lendemain de la prise de pouvoir de Castro à La Havane, certains observateurs libertaires faisaient montre d’une solide lucidité.

La répression à l’égard de libertaires cubains ne se ralentit pas. Voici quelques nouvelles concernant certains d’entre eux :
Luis Miguel Linsuain, purge sa peine de 30 ans à la prison de Bonatio, Santiago-de-Cuba.
Sandalio Torres et Isidro Moscu (30 ans) à la prison de Pinar-del-Rio.
Placide Mendez et José Acena, à la Prison Modèle de Isla-de-Pinos.
Antonio Dagas, à la forteresse de La Cabana.
Prometeo Iglesias a été récemment transféré à l’île de Pinos pour accomplir sa longue déten­tion à la Prison Modèle.

On a appris, d’autre part, l’exécution du vieux libertaire Ventura Suarez, fusillé en compagnie de soixante-deux de ses camarades et du jeune libertaire Augusto Sanchez (17 ans).
Des informations concernant l’arrestation et la détention récente de nombreux militants et militantes, sont parvenues sans que le motif nous ait été précisé et sans que nous sachions exactement quelle est leur situation exacte, ce qui nous inter­dit d’en publier les noms.
Le Mouvement Libertaire Cubain, lequel ne dispose que des cotisations de ses membres exilés et de l’aide que lui fournit la solidarité internationale ouvrière, pour soutenir les familles des emprisonnés et des militants traqués, se trouve dans une situation plus que précaire. Les fonds – quel qu’en soit le montant – qui pour­ raient être réunis pour les aider à poursuivre le combat pour la liberté, doivent être envoyés à : Domingo Rojas. Apartado postal 10596 Mexico DF (Mexique) ou à Yvernel Georges, 16, rue du Commerce, Pans-XVe. C.C.P. 724369 Paris.
Ces fonds sont gérés et contrôlés par une Commission de militants espagnols de la C.N .T. résidant au Mexique, par décision du Mouvement Libertaire Cubain en exil, ratifiée expressément par le M.I.C. de l’intérieur.

Luis Miguel Linsuain, purge sa peine de 30 ans à la prison de Bonatio, Santiago-de-Cuba.

La Révolution prolétarienne juin 1963, p. 10.

http://www.polemicacubana.fr/?p=12014

La répression contre le mouvement libertaire cubain après la révolution castriste

La répression qui a frappé le mouvement libertaire cubain, comme toute opposition à Castro, lorsque le nouveau régime s’est affermi, est semblable dans ses grandes lignes à celles qui ont décimé les anarchistes russes après 1917, ou est-européens après 1945. Nous n’avons ni la place, ni le matériel pour en faire une étude approfondie, aussi nous contenterons-nous de citer quelques exemples qui se passent de commentaires.

Ventura Suarez, vieux militant libertaire, et Augusto Sanchez (17 ans) : fusillés avec 62 autres camarades (information parue dans La révolution prolétarienne en juin 1963).

Sandalio Torres : paysan d’origine, ouvrier du bâtiment, avait lutté contre Batista et s’était désolidarisé de la révolution lorsqu’elle prit un caractère communiste totalitaire. Ayant exprimé ses opinions sur son lieu de travail, il est arrêté en 1962 et emprisonné. Soumis quatre fois de suite à une exécution simulée pour qu’il reconnaisse militer dans des mouvements contre-révolutionnaires et qu’il dénonce ses camarades — en vain. Il est condamné alors à 30 ans de prison.

Aquiles Iglesias : persécuté pour ses activités révolutionnaires sous la dictature de Batista, il s’exila au Mexique, où il fut arrêté pour avoir participé à l’organisation de plusieurs expéditions vers Cuba. Ingénieur agronome, il devint fonctionnaire au ministère de l’Agriculture du gouvernement révolutionnaire. Très vite, il exprima son désaccord avec les méthodes totalitaires adoptées et la pénétration communiste, ce qui lui valut d’être arrêté et condamné aux travaux forcés.

José Acena : vieux militant libertaire, il s’opposa fermement à la dictature de Batista et fut un cadre actif du « Mouvement du 26 juillet », ce qui lui valut arrestations et tortures. Il participa activement, notamment au niveau syndical, au nouveau régime. Lors de son virage totalitaire et communiste, il rompt avec le « M.26.7 » et fait part personnellement de son désaccord à Castro. Après une période de surveillance par la police politique, il est arrêté et emprisonné fin 1962.

Luis Miguel Linsuain : actif très tôt dans le mouvement libertaire, il rejoint dans la montagne les guérilleros anti-Batista. À la victoire de la révolution, il avait le grade de lieutenant. Ses convictions anarchistes l’opposèrent très vite aux éléments marxistes. Ses positions anticommunistes et anti-dictatoriales le firent licencier de l’armée rebelle. Devenu secrétaire de la Fédération de l’Hôtellerie de la province d’Oriente, il est emprisonné et condamné à 7 ans de prison au début des années soixante au moment de la purge et de la reprise en main des syndicats par le nouveau régime. Accusé ensuite d’avoir préparé un attentat contre le frère de Fidel Castro, il est condamné à 30 ans de prison. Les conditions de détention ruinèrent sa santé. Libéré en 1980 et expulsé vers la Floride au moment de l’affaire de l’ambassade du Pérou dont Castro profita pour vider ses prisons, il est mort en novembre de la même année, peu après son arrivée à Miami.

Iztok n°13 (septembre 1986)

http://www.polemicacubana.fr/?p=10364
Image------------ Demain Le Grand Soir --------- --------- C’est dans la rue qu'çà s'passe --------
Avatar de l’utilisateur-trice
Pïérô
 
Messages: 22436
Enregistré le: 12 Juil 2008, 21:43
Localisation: 37, Saint-Pierre-des-Corps

Re: Cuba

Messagede bipbip » 12 Fév 2017, 15:46

Contre-révolutionnaires d’hier, d’aujourd’hui et de toujours : le Parti « Communiste » cubain, avec Machado, Batista, Castro

L’action contre-révolutionnaire du Parti « Communiste » cubain, le parti unique du régime castriste, ne commence pas au moment où Fidel Castro se proclame « marxiste-léniniste ». Dès 1923, il fonctionne en tant que « Regroupement Communiste » aux ordres du stalinisme international. Comme toujours et partout dans le monde, à chaque moment décisif, ces « marxistes-léninistes » se sont situés contre les intérêts tant immédiats qu’historiques du prolétariat. A Cuba, il y a trois moments décisifs où la dictature générale du capital a concentré sa tyrannie contre le prolétariat et où le terrorisme d’Etat a atteint un niveau extrême : sous Machado, sous Batista et sous Castro. Et à chaque fois, les « marxistes-léninistes » cubains ont abandonné les luttes ouvrières et se sont mis aux ordres du tyran de service.

L’absolutisme de Gerardo Machado y Morales se caractérise par la persécution, l’emprisonnement et l’assassinat de militants ouvriers comme Alfredo López (secrétaire de la Fondation Ouvrière de La Havane), Enrique Varona, Duménico, Cúxar,… Contre cette tyrannie, la classe ouvrière lance une gigantesque bataille dont le moment culminant sera la grève générale déclenchée le 28 juillet 1933 et qui se généralise immédiatement à l’ensemble du pays. Le 7 août, en plein milieu de cette bataille, les staliniens, en échange de la légalisation du parti « communiste » et de leurs organismes syndicaux par Machado lui-même, donnent l’ordre de reprendre le travail. Les documents signés par le stalinien Cesar Villar au nom de la Confédération Nationale Ouvrière de Cuba (agence de la Confédération Syndicale Latino-Américaine de Montevideo) seront affichés par la police de Machado elle-même sur les colonnes des édifices, les lampadaires et sur les arbres dans les parcs des différentes villes. En dépit des appels au calme, la grève et l’action directe se poursuivent et, le 12 août, alors que le pays est au bord de la guerre civile, Machado prend la fuite accompagné de plusieurs membres éminents de son entourage : des ministres, des hauts fonctionnaires de la police et des chefs militaires responsables directs de la répression. Précisons que durant ses 8 années de tyrannie, Machado a pu compter sur le soutien de l’Amérique du Nord, et qu’au plus fort de la grève, l’île fut encerclée par des cuirassés nord-américains. Mais, comme cela s’est passé en d’autres occasions, le gouvernement américain décida rapidement de changer de cap, et Sumners Wells, l’envoyé de Roosevelt, prit soudainement fait et cause pour l’opposition démocratique, une formule de rechange qui finit par s’imposer.

Un peu plus tard, c’est face à Batista que les staliniens s’agenouillent. Celui-ci permet d’abord à Juan Martinello d’organiser le Parti de l’Union Révolutionnaire en échange d’une collaboration secrète. Ensuite, il autorise la sortie du journal stalinien Hoy. En 1938, le Parti « Communiste » déclare en séance plénière que Batista « n’est plus le point focal de la réaction mais le défenseur de la démocratie ». C’est le résultat de la stratégie stalinienne internationale de Front Populaire appliquée ouvertement dans l’île. Suite à cette déclaration, Blas Roca (déjà secrétaire du Parti « Communiste » Cubain) et Batista se rencontrent ; en septembre 1938, ce dernier légalise le « communisme ». Le Parti de l’Union Révolutionnaire, dont la raison d’être disparaît, se dissout au bénéfice du « communisme » et, pour effacer aux yeux du prolétariat sa collaboration totale avec les différents dictateurs, il décide de changer de nom et devient le PSP : Parti Socialiste Populaire. Lors de la campagne électorale de 1940, Batista bénéficie du soutien inconditionnel des staliniens cubains qui appliquent à la lettre la politique de Front Populaire dictée par Moscou ; en échange de quoi certains de ces staliniens, tel Juan Marinello et Carlos Rafael Rodríguez, seront (déjà) nommés ministres.

Avant les élections de 1940, la position des staliniens cubains était la suivante : « Fulgienco Batista y Zaldívar, cubain à 100 pour 100, défenseur jaloux de la libre patrie, tribun éloquent et populaire… autorité de notre politique nationale, idole d’un peuple qui pense et veille à son bien-être… homme qui incarne les idéaux sacrés d’un Cuba nouveau et qui, par son action démocrate, s’identifie aux nécessités du peuple, recèle en lui-même le sceau de sa valeur. » Il faut savoir que ceux qui chantent à ce moment-là les louanges de Batista (les Blas Roca, Carlo Rafael Rodrígues, etc.) encenseront plus tard Fidel Castro et deviendront ses ministres. Le 28 janvier 1941, Blas Roca écrit : « Nous resterons fidèles à la plate-forme de Batista dans son entièreté. » Et quelques jours plus tard, c’est Juan Marinello qui déclare : « Les seuls hommes loyaux à la plate-forme de Batista sont ceux qui militent au sein de l’Union Révolutionnaire Communiste. » Mais cet amour entre les staliniens et le dictateur Fulgencio n’est pas à sens unique. Le militaire sait reconnaître les extraordinaires services rendus par le Front Populaire. Ainsi, Batista dira par exemple : « Cher Blas… je suis heureux de te ratifier ma conviction sur l’efficace et loyale coopération que mon gouvernement a reçu et vient encore de recevoir de la part du Parti Socialiste Populaire, de ses dirigeants et de ses masses. »

Le Parti Socialiste Populaire, légalisé et reconnu comme parti syndical de l’Etat, dispose maintenant de toutes sortes de moyens et se développe de façon spectaculaire. Batista lui permet, pour la première fois en toute légalité, de publier un journal, de se doter de tous les mécanismes légaux pour contrôler le mouvement ouvrier, d’élire des sénateurs, des députés et des dizaines de fonctionnaires municipaux, d’avoir une présence permanente dans toutes les instances officielles de publicité et même de faire partie du Cabinet. Cela fait du PSP une force nationale de première importance : le nombre d’affiliés au parti passe de 2.800 en janvier 1938 à 5.000 en septembre de la même année puis à 23.000 en janvier 1939.

Les staliniens cubains soutiendront jusqu’au bout la dictature bourgeoise centralisée par Batista, et plus tard, ce sont eux qui fourniront les cadres fondamentaux de la réorganisation étatique castriste. Le 12 avril 1958, lorsque celui qui va devenir le prochain tyran, Fidel Castro, ordonne la grève générale contre Batista, elle n’est pas suivie. La CTC (Centrale des Travailleurs Cubains) dirigée par les staliniens l’interdit et invoque les mêmes arguments que ceux utilisés quelques années plus tôt pour liquider la grève de 1933, grève qui avait abouti à la chute de Machado. Les fonctionnaires staliniens qui travaillent dans l’appareil étatique de Batista continuent à assumer leurs fonctions et restent sourds aux appels de Fidel Castro qu’ils qualifient d’aventurier petit-bourgeois. Au même moment, les Nouvelles de Moscou affirment que les insurrections armées ne sont que des étincelles et qu’elles n’affaiblissent en rien le pouvoir de Batista. Le Mouvement du 26 juillet (1958) lui-même condamnera, en août de la même année, la « trahison » du Parti Socialiste Populaire. Mais, une fois le « linge sale » des trahisons lavé en famille, tout le monde se réconcilie à l’ombre de Castro et on enterre l’histoire des désaccords passés sous toutes sortes de mensonges ou de contre-vérités, le XXème congrès du Parti « Communiste » d’Union Soviétique allant jusqu’à déclarer que « les communistes cubains étaient en premières lignes du combat » (déclaration de Severo Aguirre).

Ce n’est que lorsque la chute de Batista devient évidente et imminente, à la fin de l’année 1958, que les staliniens cubains se décident à jouer sur les deux tableaux. C’est ainsi que Carlos Rafael Rodrígues, ministre de Batista de 1940 à 1944 et ministre sans portefeuille pendant toute la dictature de Batista, se rend à la Sierra Maestra pour conclure un accord officiel avec Fidel Castro, un accord qui préfigure tous ceux qui suivront et fait de ce même C.R. Rodrígues un personnage décisif du régime castriste. Dès lors, l’un des premiers actes gouvernementaux de Fidel Castro sera, le 10 janvier 1959, de légaliser à nouveau le Parti Socialiste Populaire. Nous n’allons pas ici analyser les innombrables luttes internes entre fractions au sein du PSP, les différentes purges, nous n’allons pas non plus examiner les nombreuses oscillations et revirements qui amenèrent Fidel Castro, viscéralement anti-communiste et formellement opposé au PSP, à se soumettre entièrement aux diktats du Parti de Moscou.

A titre de rappel pour les lecteurs qui n’ont aucune idée de la trajectoire de Fidel Castro, rappelons simplement qu’il était un fervent admirateur et un membre du parti « orthodoxe »d’Eduardo Chibás, ennemi implacable du PSP. Dans la citation qui suit, il traite d’ennemis et de traîtres ceux qui seront sous peu ses plus proches collaborateurs au sein du gouvernement et du Parti « communiste ».

Castro dit de Blas Roca qu’il est : « Notre Daladier », et il ajoute : « il change de nom comme de couleur politique et il change plus de ligne tactique que de chemise. C’est un caméléon politique. Un jour, il attaque le militarisme, le lendemain, il le défend… » Il n’hésite donc pas à traiter l’ensemble du parti, et son futur collaborateur Blas Roca, de traîtres à la cause du prolétariat : « Ceux qui claironnent leur gauchisme et leur amour du peuple… tournent le dos aux travailleurs et se placent humblement aux ordres de la botte militaire de Batista… Personne ne peut m’empêcher de leur crier la vérité à la figure à ces profiteurs marchands du prolétariat… » Et ils ne cesseront pas d’être des « marchands du prolétariat » quand ils se mettront sous la coupe de Fidel Castro.

Au contraire, ce sont les Blas Roca, Carlos Rafael Rodrígues,… et y compris Anibal Escalante, ce « communiste moscovite » qui avait comploté depuis toujours contre le régime de Castro, c’est-à-dire en fin de compte, la totalité du parti, qui finit, malgré les apparences, par faire de Fidel Castro un véritable vassal de Moscou, un « marchand du prolétariat » supplémentaire.

Pour terminer, voici la déclaration que fit Fidel Castro (peu après son fameux plaidoyer « L’histoire me donnera l’absolution »), alors qu’il était détenu au Mexique sur les instances de la police de Batista qui l’accusait d’être membre du « parti communiste » : « … Quel sens moral a-t-il, par contre, monsieur Batista, pour parler de communisme alors qu’il fut candidat à la présidence du Parti Communiste aux élections de 1940, alors que ses affiches électorales s’abritaient sous la faucille et le marteau, alors que sur les photos il se promène avec Blas Roca et Lázaro Peña, alors qu’une demi-douzaine de ses ministres actuels et de ses collaborateurs de confiance furent des membres importants du Parti Communiste ? »

Tels sont les antécédents fondamentaux de ce mariage historique qui a fait du parti « communiste », le parti fondamental de l’Etat capitaliste cubain.

Groupe Communiste Internationaliste – 1996

http://www.polemicacubana.fr/?p=12077
Avatar de l’utilisateur-trice
bipbip
 
Messages: 35413
Enregistré le: 10 Fév 2011, 09:05

Re: Cuba

Messagede bipbip » 07 Mai 2017, 18:36

L’anarchisme à Cuba

« Les anarchistes ont participé activement à la lutte contre la dictature de Batista, les uns au sein des guérillas orientales ou de celles de l’Escambray, au centre de l’île ; d’autres ont pris part à des conspirations ou à la lutte urbaine. Leurs désirs étaient ceux, majoritaires, du peuple cubain : liquider la dictature militaire et la corruption politique, travailler à l’instauration des libertés nécessaires aux activités politiques et sociales. Personne n’attendait vraiment un changement des structures économiques et sociales du pays. Dans Proyecciones libertarias, la brochure parue en 1956 citée plus haut, on attaquait Batista, mais on y mentionnait aussi Castro, auquel on n’accordait « aucune confiance », parce qu’il « ne respectait pas ses engagements et qu’il ne luttait que pour le pouvoir ». Ce fut pour cette raison que les libertaires avaient établi des contacts clandestins réguliers avec d’autres groupes que le M. 26-7, tout particulièrement avec le Directoire révolutionnaire. Ceci étant, quand les guérilleros remportèrent la victoire, Castro était devenu le leader indiscutable de tout le mouvement, à cause d’une appréciation incorrecte des événements de la part de l’opposition, qui le tenait, avec son modeste programme social-démocrate, pour un mal « contrôlable », nécessaire et provisoire.
Si les libertaires n’appréciaient que modérément la personnalité de Castro, les politiciens, la bourgeoisie, l’ambassade nord-américaine, pour leur part, croyaient pouvoir manipuler le chef guérillero. Quant aux Cubains, une majorité d’entre eux appuyait Castro sans réserves, en un moment de liesse générale, comme si le pays se trouvait aux portes mêmes du paradis. On n’allait pas tarder à se rendre compte qu’il était plutôt dans l’antichambre de l’enfer. A cause du refus apparent de Castro de diriger le gouvernement, on créa, avec son appui, un « gouvernement révolutionnaire », qui s’occupa de « régler leur compte » aux criminels du gouvernement antérieur. On créa les tribunaux révolutionnaires, qui menait des procès très sommaires à la « demande du peuple », qui prononçaient des arrêts de mort ou infligeaient de longues peines de prison. »

Il s’agit là d’un court extrait du livre de Frank Fernández, L’anarchisme à Cuba, paru aux éditions de la CNT-région parisienne en 2004 et dont on peut lire l’intégralité sur le lien ci-dessous. A l’heure où une pénible castro-idolâtrie se répand à l’occasion de la mort du dictateur des Caraïbes, il est bon de mettre à la disposition de tous la lecture de cet ouvrage, auquel les éditeurs ont ajouté l’important témoignage que l’anarcho-syndicaliste allemand Augustin Souchy consacra aux premières expériences sociales du régime instauré à Cuba après 1959. Merci à Claude Guillon pour avoir pu récupérer ces textes.

https://lignesdeforce.files.wordpress.c ... rtaria.pdf

https://florealanar.wordpress.com/2016/ ... me-a-cuba/
Avatar de l’utilisateur-trice
bipbip
 
Messages: 35413
Enregistré le: 10 Fév 2011, 09:05

Re: Cuba

Messagede Pïérô » 20 Mai 2017, 01:14

Le Parti communiste cubain, avec Machado, Batista, Castro… (1)

L’action contre-révolutionnaire du P”C” cubain, le parti unique du régime castriste, ne commence pas au moment où Fidel Castro se proclame “marxiste-léniniste”. Dès 1923, il fonctionne en tant que “Regroupement Communiste” aux ordres du stalinisme international. Comme toujours et partout dans le monde, à chaque moment décisif, ces “marxistes-léninistes” se sont situés contre les intérêts tant immédiats qu’historiques du prolétariat. A Cuba, il y a trois moments décisifs où la dictature générale du capital a concentré sa tyrannie contre le prolétariat et où le terrorisme d’Etat a atteint un niveau extrême: sous Machado, sous Batista et sous Castro. Et à chaque fois les “marxistes-léninistes” cubains ont abandonné les luttes ouvrières et se sont mis aux ordres du tyran de service.

L’absolutisme de Gerardo Machado y Morales se caractérise par la persécution, l’emprisonnement et l’assassinat de militants ouvriers comme Alfredo López (secrétaire de la Fondation Ouvrière de La Havane), Enrique Varona, Duménico, Cúxar,… Contre cette tyrannie, la classe ouvrière lance une gigantesque bataille dont le moment culminant sera la grève générale déclenchée le 28 juillet 1933 et qui se généralise immédiatement à l’ensemble du pays. Le 7 août, en plein milieu de cette bataille, les staliniens, en échange de la légalisation du parti “communiste” et de leurs organismes syndicaux par Machado lui-même, donnent l’ordre de reprendre le travail. Les documents, signés par le stalinien Cesar Villar (2) au nom de la Confédération Nationale Ouvrière de Cuba (agence de la Confédération Syndicale Latino-Américaine de Montevideo) seront affichés par la police de Machado elle-même sur les colonnes des édifices, les lampadaires et sur les arbres dans les parcs des différentes villes. En dépit des appels au calme, la grève et l’action directe se poursuivent et, le 12 août, alors que le pays est au bord de la guerre civile, Machado prend la fuite accompagné de plusieurs membres éminents de son entourage: des ministres, des hauts fonctionnaires de la police et des chefs militaires responsables directs de la répression. Précisons que durant ses 8 années de tyrannie, Machado a pu compter sur le soutien de l’Amérique du Nord, et qu’au plus fort de la grève, l’île fut encerclée par des cuirassés nord-américains. Mais, comme cela s’est passé en d’autres occasions, le gouvernement américain décida rapidement de changer de cap, et Sumners Wells, l’envoyé de Roosevelt, prit soudainement fait et cause pour l’opposition démocratique, une formule de rechange qui finit par s’imposer.

Un peu plus tard, c’est face à Batista que les staliniens s’agenouillent. Celui-ci permet d’abord à Juan Martinello d’organiser le Parti de l’Union Révolutionnaire en échange d’une collaboration secrète. Ensuite, il autorise la sortie du journal stalinien Hoy. En 1938, le P”C” déclare en séance plénière que Batista “n’est plus le point focal de la réaction mais le défenseur de la démocratie”. C’est le résultat de la stratégie stalinienne internationale de Front Populaire appliquée ouvertement dans l’île. Suite à cette déclaration, Blas Roca (déjà secrétaire du Parti “Communiste” Cubain) et Batista se rencontrent; en septembre 1938, ce dernier légalise le “communisme”. Le Parti de l’Union Révolutionnaire, dont la raison d’être disparaît, se dissout au bénéfice du “communisme” et, pour effacer aux yeux du prolétariat sa collaboration totale avec les différents dictateurs, il décide de changer de nom et devient le PSP: Parti Socialiste Populaire. Lors de la campagne électorale de 1940, Batista bénéficie du soutien inconditionnel des staliniens cubains qui appliquent à la lettre la politique de Front Populaire dictée par Moscou; en échange de quoi certains de ces staliniens, tel Juan Marinello et Carlos Rafael Rodríguez, seront (déjà) nommés ministres.

Avant les élections de 1940, la position des staliniens cubains était la suivante: “Fulgencio Batista y Zaldívar, cubain à 100 pour 100, défenseur jaloux de la libre patrie, tribun éloquent et populaire… autorité de notre politique nationale, idole d’un peuple qui pense et veille à son bien-être… homme qui incarne les idéaux sacrés d’un Cuba nouveau et qui, par son action démocrate, s’identifie aux nécessités du peuple, recèle en lui-même le sceau de sa valeur.” (3) Il faut savoir que ceux qui chantent à ce moment-là les louanges de Batista (les Blas Roca, Carlo Rafael Rodrígues, etc.) encenseront plus tard Fidel Castro et deviendront ses ministres. Le 28 janvier 1941, Blas Roca écrit: “Nous resterons fidèles à la plate-forme de Batista dans son entièreté.” Et quelques jours plus tard, c’est Juan Marinello qui déclare: “Les seuls hommes loyaux à la plate-forme de Batista sont ceux qui militent au sein de l’Union Révolutionnaire Communiste.” Mais cet amour entre les staliniens et le dictateur Fulgencio n’est pas à sens unique. Le militaire sait reconnaître les extraordinaires services rendus par le Front Populaire. Ainsi, Batista dira par exemple: “Cher Blas… je suis heureux de te ratifier ma conviction sur l’efficace et loyale coopération que mon gouvernement a reçu et vient encore de recevoir de la part du Parti Socialiste Populaire, de ses dirigeants et de ses masses.” (4)

Le Parti Socialiste Populaire, légalisé et reconnu comme parti syndical de l’Etat, dispose maintenant de toutes sortes de moyens et se développe de façon spectaculaire. Batista lui permet, pour la première fois en toute légalité, de publier un journal, de se doter de tous les mécanismes légaux pour contrôler le mouvement ouvrier, d’élire des sénateurs, des députés et des dizaines de fonctionnaires municipaux, d’avoir une présence permanente dans toutes les instances officielles de publicité et même de faire partie du Cabinet. Cela fait du PSP une force nationale de première importance: le nombre d’affiliés au parti passe de 2.800 en janvier 1938 à 5.000 en septembre de la même année puis à 23.000 en janvier 1939.
Les staliniens cubains soutiendront jusqu’au bout la dictature bourgeoise centralisée par Batista, et plus tard, ce sont eux qui fourniront les cadres fondamentaux de la réorganisation étatique castriste. Le 12 avril 1958, lorsque celui qui va devenir le prochain tyran, Fidel Castro, ordonne la grève générale contre Batista, elle n’est pas suivie. La CTC (Centrale des Travailleurs Cubains) dirigée par les staliniens l’interdit et invoque les mêmes arguments que ceux utilisés quelques années plus tôt pour liquider la grève de 1933, grève qui avait aboutit à la chute de Machado. Les fonctionnaires staliniens qui travaillent dans l’appareil étatique de Batista continuent à assumer leurs fonctions et restent sourds aux appels de Fidel Castro qu’ils qualifient d’aventurier petit-bourgeois. Au même moment, les Nouvelles de Moscou affirment que les insurrections armées ne sont que des étincelles et qu’elles n’affaiblissent en rien le pouvoir de Batista. Le Mouvement du 26 juillet (1958) lui-même condamnera, en août de la même année, la “trahison” du Parti Socialiste Populaire. Mais, une fois le “linge sale” des trahisons lavé en famille, tout le monde se réconcilie à l’ombre de Castro et on enterre l’histoire des désaccords passés sous toutes sortes de mensonges ou de contre-vérités, le XXème congrès du Parti “Communiste” d’Union Soviétique allant jusqu’à déclarer que “les communistes cubains étaient en premières lignes du combat” (déclaration de Severo Aguirre).

Ce n’est que lorsque la chute de Batista devient évidente et imminente, à la fin de l’année 1958, que les staliniens cubains se décident à jouer sur les deux tableaux. C’est ainsi que Carlos Rafael Rodrígues, ministre de Batista de 1940 à 1944 et ministre sans porte-feuille pendant toute la dictature de Batista, se rend à la Sierra Maestra pour conclure un accord officiel avec Fidel Castro, un accord qui préfigure tous ceux qui suivront et fait de ce même C.R. Rodrígues un personnage décisif du régime castriste. Dès lors, l’un des premiers actes gouvernementaux de Fidel Castro sera, le 10 janvier 1959, de légaliser à nouveau le Parti Socialiste Populaire. Nous n’allons pas ici analyser les innombrables luttes internes entre fractions au sein du PSP, les différentes purges, nous n’allons pas non plus examiner les nombreuses oscillations et revirements qui amenèrent Fidel Castro, viscéralement anti-communiste et formellement opposé au PSP, à se soumettre entièrement aux diktats du Parti de Moscou.

A titre de rappel pour les lecteurs qui n’ont aucune idée de la trajectoire de Fidel Castro, rappelons simplement qu’il était un fervent admirateur et un membre du parti “orthodoxe” de Eduardo Chibás, ennemi implacable du PSP. Dans la citation qui suit, il traite d’ennemis et de traîtres ceux qui seront sous peu ses plus proches collaborateurs au sein du gouvernement et du Parti “communiste”.

Castro dit de Blas Roca qu’il est: “Notre Daladier”, et il ajoute: “il change de nom comme de couleur politique et il change plus de ligne tactique que de chemise. C’est un caméléon politique. Un jour il attaque le militarisme, le lendemain, il le défend…” Il n’hésite donc pas à traiter l’ensemble du parti, et son futur collaborateur Blas Roca, de traîtres à la cause du prolétariat: “Ceux qui claironnent leur gauchisme et leur amour du peuple… tournent le dos aux travailleurs et se placent humblement aux ordres de la botte militaire de Batista… Personne ne peut m’empêcher de leur crier la vérité à la figure à ces profiteurs marchands du prolétariat…” (5) Et ils ne cesseront pas d’être des “marchands du prolétariat” quand ils se mettront sous la coupe de Fidel Castro.

Au contraire, ce sont les Blas Roca, Carlos Rafael Rodrígues (6)… et y compris Anibal Escalante (7), ce “communiste moscovite” qui avait comploté depuis toujours contre le régime de Castro, c’est-à-dire en fin de compte, la totalité du parti, qui finit, malgré les apparences, par faire de Fidel Castro un véritable vassal de Moscou, un “marchand du prolétariat” supplémentaire.

Pour terminer, voici la déclaration que fit Fidel Castro (peu après son fameux plaidoyer “L’histoire me donnera l’absolution”), alors qu’il était détenu au Mexique sur les instances de la police de Batista qui l’accusait d’être membre du “parti communiste”: “… Quel sens moral a-t-il, par contre, monsieur Batista, pour parler de communisme alors qu’il fut candidat à la présidence du Parti Communiste aux élections de 1940, alors que ces affiches électorales s’abritaient sous la faucille et le marteau, alors que sur les photos il se promène avec Blas Roca et Lázaro Peña, alors qu’une demi-douzaine de ses ministres actuels et de ces collaborateurs de confiance furent des membres importants du Parti Communiste?”

Tels sont les antécédents fondamentaux de ce mariage historique qui a fait du parti “communiste”, le parti fondamental de l’Etat capitaliste cubain.


Notes
1. Les informations qui ont servi à l’élaboration de cet article sont extraites de sources officielles castristes ainsi que de différents numéros du Guángara Libertaria, et plus particulièrement de l’article “Le parti communiste cubain: avec Machado, Batista et Fidel” de Victor García publié dans le numéro 17 de 1984.

2. L’histoire stalinienne officielle tentera par la suite de faire porter le chapeau de la “trahison” à ce seul individu, mais les documents ouvriers de l’époque dénoncent l’approbation de cette politique par toutes les instances centrales du P”C”C ainsi que par la Confédération Nationale Ouvrière de Cuba et la Confédération Syndicale Latino-Américaine de Montevideo, citant formellement d’autres leaders de ces organisations qui appellent à la reprise du travail: Vicente Alvarze Rugio, Joaquin Fau, Fransisco Gonzales, Jesús Vázques, Pedro Berges y Ordoqui,…

3. Extrait de la revue stalinienne Hoy du 13 juillet 1940.

4. Cité par Hoy le 13 juillet 1944.

5. Les citations que nous reproduisons ici ont été extraites de l’article de Victor García: “Le Parti Communiste Cubain: avec Machado, Batista et Fidel” publié dans Guángara Libertaria, numéro 17 d’avril 1984.

6. Et bien d’autres encore parce que, à ces innombrables fluctuations réalisées par ces personnages de premier plan (pour être toujours bien avec le pouvoir central de l’Etat) correspond le déplacement de centaines de fonctionnaires obscurs du stalinisme et de l’Etat.

7. A ce sujet, voir le “Rapport Raúl Castro” présenté au “Comité Central du Parti Communiste de Cuba” par le frère de Fidel Castro en janvier 1968 sous le titre éloquent de “Pourquoi Anibal Escalante et d’autres ex-dirigeants du P.C. cubain sont-ils prisonniers…?” , un rapport dans lequel la fraction dominante dénonce l’action de la vieille fraction liée à Escalante qui, avec la complicité de certains personnages de Moscou, est accusée de vouloir imposer au Parti de Cuba une ligne encore plus soumise au “grand frère russe”. Comme on le sait, une fois ces messieurs éliminés, le parti s’aligna sur la ligne qu’il disaient combattre.

Extrait de l’organe central (COMMUNISME No.45) du Groupe Communiste Internationaliste (GCI)

http://www.polemicacubana.fr/?p=12155#more-12155
Image------------ Demain Le Grand Soir --------- --------- C’est dans la rue qu'çà s'passe --------
Avatar de l’utilisateur-trice
Pïérô
 
Messages: 22436
Enregistré le: 12 Juil 2008, 21:43
Localisation: 37, Saint-Pierre-des-Corps

Re: Cuba

Messagede Pïérô » 03 Sep 2017, 02:50

5 août 1994. Le “Maleconazo”, la première manifestation contre le régime de Fidel Castro depuis la révolution de 1959

La manifestation du 5 août 1994 appelée « Maleconazo » est une manifestation à Cuba contre le régime castriste. Elle est considérée comme l’une des plus importantes depuis le début de la révolution cubaine en 1959.

Depuis le départ des soviétiques et la fin de l’aide économique de l’URSS, le pays était affronté à une grave crise humanitaire. Fidel Castro avait décrété la ”période spéciale en temps de paix”.

Le 4 août 1994, un policier est tué lors du détournement d’un bateau pour fuir Cuba et rejoindre les États Unis, il s’agit du quatrième détournement depuis le 13 juillet, date à laquelle un bateau a été coulé faisant 41 victimes par noyade dont 10 enfants. Les hommes survivants étant emprisonnés dans la villa Marista, une prison de haute sécurité pour la détention de prisonniers politiques par l’agence de sécurité nationale cubaine.

Dans l’après-midi du 5 août 1994, des centaines de Cubains se rassemblent sur le Malecón de La Havane pour essayer de quitter l’île, à la suite d’une rumeur infondée indiquant l’arrivée prochaine de bateaux américains. L’espérance de ces candidats à l’exil est déçue. Alors ce rassemblement spontané se transforme en manifestation contre Fidel Castro et la révolution cubaine. Pour la première fois depuis des décennies les gens descendent dans les rues. Des dizaines, des centaines, des milliers de Havanais.

Je suis à La Havane en cet été 1994, c’est un acte de rébellion, mais aussi un acte libérateur. Les gens ne crient pas seulement les mots « faim » ou misère », mais ils hurlent le mot « liberté » sous le soleil infernal de ce vendredi du début du mois d’août.

Le centre de La Havane est investi par les manifestants, les vitrines des magasins sont détruites. L’hôtel Deauville fait aussi l’objet de dégradations. Des manifestants attaquent les forces policières avec des cailloux. L’armée intervient, les forces de police procèdent à des « interpellations parfois musclées ». Fidel Castro vient en personne sur le site de la manifestation. Les manifestants scandent : « Cuba sí, Castro no. ¡Libertad! ¡Libertad! ».

Les médias cubains n’ont pas rapporté de coups de feu ou de morts. Cependant, les images du photographe Karel Poort montrent des hommes avec des armes à feu. L’émeute fait trois morts et une centaine de blessés. Trente quatre manifestants sont jugés et condamnées lors de « procès expéditifs », les accusés sont défendus par un avocat désigné par le régime castriste.

Fidel Castro, comprenant la gravité de la situation, décide d’annuler l’interdiction d’émigrer. Plus de trente mille Cubains essayent de fuir Cuba pour gagner les côtes des États-Unis à bord de radeaux et d’embarcations de fortunes, appelés les « balsas». Certains réussissent, d’autres sont conduits en centre de rétention sur la base US de Guantanamo, enfin de nombreux « balseros » disparaissent en mer. Au bout d’un mois, La Havane et Washington trouvent un accord. Les États-Unis autorisent l’entrée à plus de demandeurs d’asile Cubains soit 20 000 par an. En contrepartie le régime cubain s’engage à freiner les départs illégaux en mer.

Après la manifestations d’août 1994, les Comités de défense de la révolution doivent se doter d’une « Brigade de réponse rapide » pour s’opposer immédiatement à toute manifestation spontanée d’opposition au pouvoir.

Daniel Pinós

Voir les images vidéo de la manifestation :
http://www.polemicacubana.fr/wp-content ... -Cuba1.mp4


http://www.polemicacubana.fr/?p=12261
Image------------ Demain Le Grand Soir --------- --------- C’est dans la rue qu'çà s'passe --------
Avatar de l’utilisateur-trice
Pïérô
 
Messages: 22436
Enregistré le: 12 Juil 2008, 21:43
Localisation: 37, Saint-Pierre-des-Corps

Re: Cuba

Messagede Pïérô » 13 Jan 2018, 21:58

L'anarchisme dans la révolution cubaine

DÉCLARATION DE L’ASSOCIATION SYNDICALISTE LIBERTAIRE. LA HAVANE 1960

1- CONTRE L’ETAT, SOUS TOUTES SES FORMES:

Les adhérents de l’Association Syndicaliste Libertaire, considèrent comme un devoir impérieux d’affirmer, dans cette étape de réalisations révolutionnaires de notre peuple, que nous sommes opposés, non seulement à certaines formes de l’Etat, mais à l’existence même de celui-ci comme organisme dirigeant de la société, et partant, à toutes politique qui tende à créer une hypertrophie étatique, à amplifier les pouvoirs de l’Etat, ou à lui donner un caractère totalitaire et dictatorial.

Les militants syndicalistes libertaires, ainsi que les camarades des autres pays, estiment qu’il est impossible de réaliser uns véritable révolution sociale, sans procéder en même temps qu’à la transformation économique, à l’élimination de l’Etat, en tant qu’entité politique et administrative, en lui substituant Ies organismes de base révolutionnaires, comme les syndicats ouvriers, les municipalités libres, les coopératives agricoles et industrielles autonomes, les collectivités d’usines et de paysans, libres de toutes ingérences autoritaires.

Les superstitieux de la politique croient que la société humaine est la conséquencé de l’Etat, alors que la réalité montre que l’Etat n’est que l’expression la plus terrible de la dégénérescence de la société divisée en classes; dégénérescence qui trouve son point culminant dans les brutales inégalités, les injustices et les antagonistes du régime capitaliste.

En définitive, l’Etat n’est qu’une excroissance parasitaire produite par le régime de classes appuyé sur la propriété privés des moyens de production, et il doit commencer à disparaitre définitivement dans l’étape de transformation révolutionnaire de la société bourgeoise en société socialiste.

2- LES SYNDICATS SONT LES ORGANES ECONOMIQUES DE LA REVOLUTION:

Les syndicalistes libertaires affirment qu’il n’existe pas de représentation plus naturelle de la classe ouvrière que les syndicats, et que par conséquent, ceux-ci sont appelés à réaliser la transformation économique de la société, en remplaçant, comme le dit le vieux mot d’ordre socialiste: «Le gouvernement des hommes par l’admnristration des choses».

Lee syndicats et les fédérations d’industries, restructurées de façon rationnelle, contiennent en eux-mêmes tous les éléments techniques et humains nécessaires, pour développer pleinement les plans d’industrialisation collective.

Face aux arrivistes de la politique révolutionnaire et aux revanchards de la politique réactionnaire, qui prétendent s’emparer de nouveau du pouvoir public, nous maintenons le critère suivant: avec la révolution sociale, non seulement les syndicats ne doivent pas disparaître, mais maintenant, au contraire, en pleine période de réorganisation sociale, les organismes syndicaux ouvriers qui, de moyens de lutte revendicative se sont transformés en instruments de direction et de coordination économiques, doivent remplir leur rôle le plus important et décisif.

Dans ces circonstances, la subordination des syndicats à la politique de l’Etat, bien que nous soyons dans une étape révolutionnaire – et peut-être à cause de cela – est une trahison envers la classe ouvrière, une basse manoeuvre pour la faire échouer dans le moment historique où elle doit remplir sa mission la plus importante du point de vue socialiste: l’Administration, au nom de la société tout entière, des moyens de production, et la responsabilité d’organiser la distribution au peuple des produits de consommation néces- saires, aux prix Ies plus bas et les plus justes.

3- LA TERRE A CELUI QUI LA TRAVAILLE:

Les hommes et les femmes de l’Association Syndicaliste Libertaire maintiennent aujourd’hui plus que jamais la vieille consigne révolutionnaire: «La terre a celui qui la travaille». Nous pensons que le cri classique des paysans du monde entier: «Terre et Liberté» est l’expression la plus juste des aspirations immédiates des paysans cubains. Terre, afin de la travailler et de la faire produire; Liberté, pour s’organiser et administrer les produits de leurs efforts et de leur sollicitude, suivant les préférences des intéressés; par l’exploitation individuelle ou familiale, dans certains cas; par l’organisation de fermes collectives quand cela sera possible; mais toujours suivant la libre volonté des paysans et non imposé par les représentants de l’Etat, qui peuvent être des hommes très capables au point de vue technique, mais, dans la plupart des cas, ne connaissent pas les réalités matérielles de l’agriculture et ignorent les sentiments, les inquiétudes et les aspirations spirituelles des hommes de la terre.

Notre longue expérience des luttes révolutionnaires chez les paysans nous a convaincus que la planification de l’exploitation de la terre, question vitale pour notre peuple, ne peut se concevoir comme un simple processus technique; en effet, s’il existe des facteurs inertes, la terre, les machines, c’est le facteur humain qui est décisif, ce sont les paysans. C’est pour cela que nous nous prononçons en faveur de l’organisation de travail collectif et coopératif, sur des bases essentiellement volontaires, l’aide technique et culturelle devant être apportée comme un moyen, – sans doute le meilleur -, qui persuade les paysans des énormes avantages présentés par l’exploitation collective, par rapport au système individuel ou familial.

Faire le contraire, employer la contrainte et la force, serait, en définitive, jeter les bases de l’échec total de la transformation agraire, c’est-à-dire l’échec de la révolution elle-même, dans son aspect le plus important.

EN LUTTE CONTRE LE NATIONALISME:

En tant que travailleurs révolutionnaires, nous sommes internationalistes, partisans fervents de l’entente entre tous les peuples, par dessus toutes les frontières géographiques, linguistiques, raciales, politiques et religieuses. Nous éprouvons un grand amour pour notre terre: le même que les hommes des autres pays pour le leur. De ce fait, nous sommes ennemis du nationalisme, quel que soit le manteau dont il se couvre: adversaires décidés du militarisme et de l’esprit belliqueux; opposés à toutes les guerres; partisans d’utiliser les énormes moyens économiques employés aujourd’hui en armements, pour diminuer la faim et le besoin des peuples défavorisés, de convertir les instruments de mort produits en quantité terrifiante par tes grandes puissances, en machines productrices de bien-être pour tous les hommes de la terre.

Nous nous opposons résolument â l’éducation militariste de la jeunesse, à la création d’une armée de métier et à l’organisation d’appareils militaires pour les adolescents et les enfants. Pour nous, nationalisme et militarisme sont synonymes de nazi-fascisme.

Nous lutterons, invariablement et toujours, pour qu’il y ait moins de soldats et davantage d’instituteurs, moins d’armes et plus d’outils, moins de canons et plus de pain pour tous.

Les syndicalistes libertaires sont contre toutes les manifestations de l’impérialisme démodé; contre la domination économique des peuples qui est si en vogue en Amérique; contre la pression militaire qui assujettit les peuples et les oblige à accepter des systèmes politiques étrangers à leur particularisme national et à leur idéologie sociale, comme cela se pratique dans une partie d’Europe et d’Asie. Nous estimons que dans le concert des nations, les petites valent autant que les grandes, et de la même façon que nous sommes adversaires des états nationaux parce qu’ils assujettissent leurs propres peuples, nous sommes aussi – et à un degré supérieur si cela est possible – ennemis des super-Etats qui se prévalent de leur force politique, militaire, économique, repoussent les limites de leurs frontières, pour imposer aux pays plus faibles leurs systèmes d’exploitation et de rapine. Face à toutes les méthodes impérialistes, nous nous prononçons pour l’internationalisme révolutionnaire, pour la création de grandes confédérations de peuples libres, unis par des intérêts communs, des aspirations identiques par la solidarité et l’entr’aide.

Nous sommes partisans d’un pacifisme actif et militant, qui rejette les subtilités dialectiques à propos des «guerres justes» et des «guerres injustes»; d’un pacifisme qui impose la fin des armées de métier, et le rejet de toutes les sortes d’armes, en premier lieu les armes nucléaires.

AU CENTRALISME BUREAUCRATIQUE

Nous sommes, par nature, ennemis de toute forme d’organisation politique, économique et sociale ayant des caractéristiques et des tendances centralisatrices. Nous estimons que l’organisation de la société humaine doit partir du simple au composé, de bas en haut, c’est-à-dire commencer dans les organismes de base: municipalités, syndicats, coopératives, centres culturels, associations paysannes, etc… etc…, pour s’intégrer dans les grandes organisations nationales et internationales, sur la base du pacte fédéral entre égaux qui s’associent librement pour accomplir les tâches communes, sans dommage pour aucune des parties contractantes, qui resteront toujours libres de se séparer des autres quand elles estimeront que cela convient à leurs intérêts. Nous comprenons l’organisation sociale, aussi bien nationale qu’internationale, dans le sens et sous la forme de grandes confédérations syndicales, paysannes, culturelles et municipales qui auront à charge la représentation de tous, sans avoir d’autre pouvoir exécutif que celui qui leur sera confié, dans chaque cas, par les organismes de base fédérés. L’esprit de liberté des peuples ne peut trouver son expression compléte que dans une organisation de type fédéraliste, qui établisse les limites de la liberté de chacun, et, en même temps, garantisse la liberté de tous. La centralisation politique et économique que conduit, comme nous le preuve l’expérience, à la création d’Etats monstrueux, supertotalitaires, à l’agression et à la guerre entre peuples, à l’exploitation et à la misère des grandes masses populaires du monde.

SANS LIBERTE INDIVIDUELLE

Les syndicalistes libertaires sont partisans des droits individuels. Il n’y a pas de liberté pour l’ensemble. si une partie est esclave. Il ne peut exister de liberté collective là où l’homme, en tant qu’individu, est victime de l’oppression. Nous disons qu’il est urgent de garantir les droits de l’homme, c’est-à-dire la liberté d’expression, le droit au travail et à une vie décente, la liberté de religion, l’inviolabilité du domicile, le droit d’être jugé par des personnes impartiales et justes. le droit à la culture et à la santé, etc…, etc…; sans cela, il n’existe pas de possibilité de coexistence humaine civilisée.

Nous sommes contre la discrimination raciale, les persécutions politiques, I’intolérance religieuse et l’injustice économique et sociale. Nous sommes partisans de la liberté et de la justice pour tous les hommes, y compris pour les ennemis de la liberté et de la justice même.

LA REVOLUTION APPARTIENT A TOUS

L’Association Syndicaliste libertaire renouvelle sa volonté d’appuyer la lutte pour la libération totale de notre peuple, et affirme que la révolution n’appartient à personne en particulier, mais au peuple en général. Vous appuierons, comme nous l’avons fait jusqu’à ce jour, tous les moyens révolutionnaires tendant à résoudre les maux anciens dont nous souffrons, mais nous lutterons aussi sans trêve ni repos, contre les tendances autoritaires qui s’agitent dans le sein même de la révolution.

Nous avons été contre la barbarie et la corruption du passé; nous lutterons contre toutes les déviations qui prétendent amoindrit notre révolution, calquant les modèles supertotalitaires qui écrasent la dignité humaine dans d’autres pays.

L’Etat, quoi qu’en disent sas adorateurs de droite ou de gauche, est aussi quelque chose de plus qu’une excroissance parasitaire de la société de classes: c’est une source génératrice de privilèges économiques et politiques, et, de ce fait, de nouvelles classes privilégiées.

Les vieilles classes réactionnaires qui essaient désespérément de reconquérir leurs privilèges abolis, nous trouvent dressés contre elles. Les nouvelles classes d’exploiteurs et d’oppresseurs qui pointent déjà à l’horizon révolutionnaire, également.

Nous sommes avec la justice, le socialisme et la liberté. Nous luttons pour le bien-être de tous les hommes, quelles que soient leur origine, leur religion ou leur race.

Dans cette ligne révolutionnaire, travailleurs, paysans, étudiants, hommes et femmes de Cuba, nous resterons jusqu’à la fin.

Pour ces principes, nous risquerons notre liberté, et si c’est nécessaire, notre vie.

LA HABANA, Juin 1960.


http://www.polemicacubana.fr/?p=12471
Image------------ Demain Le Grand Soir --------- --------- C’est dans la rue qu'çà s'passe --------
Avatar de l’utilisateur-trice
Pïérô
 
Messages: 22436
Enregistré le: 12 Juil 2008, 21:43
Localisation: 37, Saint-Pierre-des-Corps

Re: Cuba

Messagede Pïérô » 16 Jan 2018, 18:12

Faut-il faire l’éloge de Che Guevara ?

La maire de Paris, Anne Hidalgo, se félicite d’avoir fait organiser une exposition pour « rendre hommage » à Che Guevara. Depuis cette annonce, la polémique ne faiblit pas : fallait-il commémorer cette « figure de la révolution devenue une icône militante et romantique », comme le dit Hidalgo ?

Deux questions se posent ici. La première est relative à l’exposition : celle-ci fait-elle l’éloge du Che ou propose-t-elle une analyse nuancée du personnage controversé, à la fois « romantique » et autoritaire ? La seconde question est celle du jugement que l’on peut porter sur Che Guevara, dans la complexité d’une vie, en s’appuyant sur les faits, au-delà du mythe.

Ernesto Guevara (né le 14 juin 1928 à Rosario de Santa Fe, Argentine, et exécuté le 9 octobre 1967 à La Higuera, Bolivie), plus connu sous le nom de Che Guevara ou Le Che, est un révolutionnaire marxiste et homme politique d’Amérique latine, dirigeant de la guérilla internationaliste cubaine.

Alors qu’il est jeune étudiant en médecine, Guevara voyage à travers l’Amérique latine, ce qui le met en contact direct avec la pauvreté dans laquelle vit une grande partie de la population. Son expérience et ses observations l’amènent à la conclusion que les inégalités socioéconomiques ne peuvent être abolies que par la révolution. Il décide alors d’intensifier son étude du marxisme et de voyager au Guatemala afin d’apprendre des réformes entreprises par le président Jacobo Arbenz Guzmán, renversé quelques mois plus tard par un coup d’État appuyé par la CIA (Opération PBSUCCESS). Peu après, Guevara rejoint le mouvement du 26 juillet, un groupe révolutionnaire dirigé par Fidel Castro. Après plus de deux ans de guérilla durant laquelle Guevara devient commandant, ce groupe prend le pouvoir à Cuba en renversant le dictateur Fulgencio Batista en 1959.

Dans les mois qui suivent, Guevara est désigné procureur d’un tribunal révolutionnaire qui exécute plus d’une centaine de policiers et militaires du régime précédent jugés coupables de crimes de guerre, puis il crée des camps de “travail et de rééducation”. Il occupe ensuite plusieurs postes importants dans le gouvernement cubain qui écarte les démocrates, réussissant à influencer le passage de Cuba à une économie du même type que celle de l’URSS, et à un rapprochement politique avec le Bloc de l’Est, mais échouant dans l’industrialisation du pays en tant que ministre. Guevara écrit pendant ce temps plusieurs ouvrages théoriques sur la révolution et la guérilla.

En 1965, après avoir dénoncé l’exploitation du tiers monde par les deux blocs de la guerre froide, il disparaît de la vie politique et quitte Cuba avec l’intention d’étendre la révolution. D’abord au Congo-Léopoldville, sans succès, puis en Bolivie où il est capturé et exécuté sommairement par l’armée bolivienne entraînée et guidée par la CIA.

Après sa mort, Che Guevara est devenu une icône pour des mouvements révolutionnaires du monde entier, mais demeure toujours l’objet de controverses entre historiens, notamment à cause de témoignages sur de possibles exécutions d’innocents. Un portrait photographique de Che Guevara réalisé par Alberto Korda est considéré comme l’une des photographies les plus célèbres au monde.

Ernesto Guevara de la Serna naît le 14 juin 1928 à Rosario, Argentine, de Ernesto Guevara Lynch et Celia de La Serna tous deux d’ascendance irlandaise et espagnole noble. Beaucoup d’éléments indiquent cependant que sa date de naissance officielle ait été reculée d’un mois pour éviter un scandale, car trop proche du mariage. C’est à dire que le Che Guevara serait né le 14 mai 1928. Ses parents sont de lignée aristocratique mais vivent comme une famille de classe moyenne, avec un penchant pour des idées de gauche non autoritaristes, s’opposant notamment à Perón et à Hitler. La tante d’Ernesto, qui a élevé sa mère à la mort prématurée de leurs parents, est communiste.

Aîné de 5 enfants, il vit d’abord à Córdoba, la seconde ville du pays. Dès l’âge de trois ans, il apprend le jeu d’échecs auprès de son père et commence à participer à des tournois dès 12 ans. Sa mère lui enseigne le français qu’il parlera couramment. Ernesto Guevara de la Serna se fait rapidement connaître pour ses opinions radicales même à un âge pourtant précoce. Il voudrait être un des soldats de Francisco Pizarro dans sa soif d’aventure.

Toute sa vie, il subit de violentes crises d’asthme, qui l’accablent dès l’enfance. Il affronte cette maladie et travaille afin de devenir un athlète accompli. Malgré l’opposition de son père, il devient joueur de rugby. Il gagne le surnom de “fuser”, (une contraction de furibundo (“furibond”) et du nom de famille de sa mère, “Serna”) à cause de son style de jeu agressif. Durant son adolescence, il met à profit les périodes de repos forcés de ses crises d’asthme pour étudier la poésie et la littérature, depuis Pablo Neruda en passant par Jack London, Emilio Salgari et Jules Verne, jusqu’à des essais sur la sexualité de Sigmund Freud ou des traités sur la philosophie sociale de Bertrand Russell. Il écrit des poèmes (parfois parodiques) tout au long de sa vie comme cela est courant chez les Latino-américains de son éducation. Il développe également un grand intérêt pour la photographie.

En 1948, il entreprend des études de médecine à Buenos Aires. Il joue alors quelques mois au San Isidro Club, équipe de rugby de première division, qu’il doit quitter à cause de son père qui trouve ce niveau de jeu dangereux pour un asthmatique, et joue ensuite dans des équipes de moindre niveau. Durant cette période, il songe à se marier avec une fille de la haute société argentine et à s’établir, mais il ne peut mener ce projet à bien à cause de l’opposition de la famille de cette dernière, de sa propre personnalité déjà jugée anticonformiste, et de son désir grandissant de voyages et de découvertes.

En 1951, son vieil ami de gauche réformiste Alberto Granado, biochimiste, lui suggère de prendre une année sabbatique. De cette façon, ils peuvent concrétiser le voyage dont ils parlent depuis longtemps, traversant l’Amérique du Sud sur une vieille moto Norton 500 cm3 surnommée “La vigoureuse” (La poderosa en espagnol) dans des conditions souvent précaires (dormant souvent volontairement dans la cellule d’un commissariat), avec pour objectif de passer quelques semaines comme volontaires dans la léproserie de San Pablo sur les bords de l’Amazone au Pérou. Guevara relate cette épopée dans Diarios de motocicleta: Notas de viaje por América Latina. Le périple qui dure 9 mois et mènera Guevara jusqu’à Miami les fait d’abord arriver au Chili où ils doivent abandonner la Poderosa à bout de souffle et où ils visitent les mines géantes de Chuquicamata et découvrent les conditions de vies des mineurs. Ils traversent ensuite la cordillère des Andes, rencontrent le docteur Hugo Pesce, spécialiste de la lèpre et fondateur du parti socialiste péruvien qui influera beaucoup sur les idéaux de Guevara, puis après avoir apporté leur aide dans la léproserie de San Pablo, ils descendent l’Amazone en canoë jusqu’en Colombie en pleine époque dela Violencia et se séparent au Venezuela d’où Guevara s’envole alors pour les États-Unis dans un avion de marchandises. Il revient à Buenos Aires le 31 juillet 1952 pour terminer ses études de médecine.

Au travers de ses propres observations de la pauvreté et de l’impuissance des masses, et influencé par ses lectures marxistes, il conclut que le seul remède aux inégalités sociales de l’Amérique latine est la révolution par les armes. Il en est conduit à considérer l’Amérique latine non comme un ensemble de nations distinctes mais comme une entité économique et culturelle requérant une “stratégie continentale de libération”. Cette conception bolivarienne d’une Amérique latine unie et sans frontière partageant une culture métisse (mestizo) est un thème qui reviendra de manière importante dans ses activités révolutionnaires ultérieures. De retour en Argentine, il termine ses études le plus rapidement possible afin de poursuivre son périple en Amérique latine et reçoit son diplôme le 12 juin 1953.

Le 7 juillet 1953, il entreprend un long périple à travers la Bolivie, le Pérou, l’Équateur, le Panamá, le Costa Rica, le Nicaragua, le Honduras, Salvador puis le Guatemala.

En Bolivie, il participe à l’été 1953 à la révolution sociale populiste du Mouvement nationaliste révolutionnaire (MNR), puis s’en détache avec indignation, estimant que cette révolution sociale reste entachée d’inégalités raciales.

Il arrive fin décembre 1953 au Guatemala, où le président de gauche Jacobo Arbenz Guzmán dirige un gouvernement populiste lancé dans de profondes réformes sociales. Le gouvernement Arbenz mène notamment une réforme agraire qui avec d’autres initiatives, tente d’éliminer un système de latifundiumdominé par les États-Unis au travers de la United Fruit Company (UFCO). L’UFCO est le plus grand propriétaire terrien et employeur du Guatemala, et le plan de redistribution d’Arbenz inclut l’expropriation de 40% des terres de celle-ci. Alors que le gouvernement des États-Unis dispose de peu de preuves pour soutenir leur discours sur l’aggravation de la menace communiste au Guatemala, la relation entre l’administration Eisenhower et l’UFCO illustre l’influence des intérêts corporatistes dans la politique étrangère des États-Unis.

Dans une lettre à sa tante Beatriz, Ernesto Guevara explique sa motivation à s’établir dans ce pays : “Au Guatemala, je me perfectionnerai et accomplirai tout ce qui est nécessaire pour devenir un vrai révolutionnaire”.

Peu après son arrivée à Guatemala Ciudad, Guevara rencontre Hilda Gadea Acosta, une économiste péruvienne qui vit et travaille au Guatemala, sur les conseils d’un ami commun. Gadea, qu’il épousera plus tard, a de nombreux contacts politiques en tant que membre de l’Alliance populaire révolutionnaire américaine (APRA) socialiste, dirigé par Víctor Raúl Haya de la Torre. Elle présente Guevara à de nombreux responsables du gouvernement Arbenz, mais lui permet aussi de renouer le contact avec un groupe d’exilés cubains qu’il a déjà rencontrés au Costa Rica, membres du Mouvement du 26 juillet de Fidel Castro. Guevara rejoint ces moncadistas dans la vente d’objets religieux liés au Christ noir d’Esquipulas, et est aussi assistant de deux spécialistes vénézuéliens de la malaria à l’hôpital local. Ernesto Guevara échoue à obtenir un internat ; sa situation financière devient très précaire, l’amenant à vendre certains bijoux d’Hilda.

C’est pendant cette période qu’il obtient son surnom célèbre de Che qui signifie “l’Argentin” (L’accent très particulier des Argentins et leurs origines européennesrécentes les différenciant immédiatement des autres Latino-Américains ont fait naître ce surnom de “che” particulièrement au Mexique et en Amérique centrale pour désigner tout Argentin ; le mot lui-même vient de l’interjection argentine “che” utilisée dans la zone géographique du Río de la Plata et dans la région de Valence en Espagne, interjection qui marque essentiellement la stupeur ou qui sert à attirer l’attention).

La situation politique change radicalement à partir du 15 mai 1954, lorsqu’une livraison d’armes et d’artillerie légère Škoda arrive de la Tchécoslovaquie communiste à Puerto Barrios à destination du gouvernement Arbenz, à bord du bateau suédois Alfhem. La CIA estime à 2 000 tonnes la quantité d’armement livré et seulement 2 tonnes par Jon Lee Anderson. Ernesto Guevara se rend brièvement au Salvador pour renouveler son visa, et retourne au Guatemala quelques jours avant la tentative de coup d’État de Carlos Castillo Armas appuyé par la CIA qui accuse Arbenz d’être communiste. Les forces anti-Arbenz qui viennent du Honduras ne réussissent pas à arrêter le transbordement des armes. Après une pause pour se regrouper, la colonne de Castillo Armas reprend l’initiative, avec le soutien aérien américain. Guevara a hâte de combattre pour Arbenz et rejoint dans un premier temps une milice créée par les jeunesses communistes. Frustré par l’inaction de ce groupe, il revient à la médecine. Alors que le coup d’État est en passe de réussir, il redevient volontaire au combat mais en vain : Arbenz trouve refuge dans l’ambassade mexicaine et demande à ses partisans de quitter le pays. Après l’arrestation de Hilda, il se met sous la protection du consulat argentin où il reste jusqu’à la réception d’un sauf-conduit quelques semaines plus tard. Il décline alors le vol gratuit pour l’Argentine proposé par l’ambassade, préférant se diriger vers le Mexique.

Le renversement du régime démocratiquement élu d’Arbenz par un coup d’État appuyé par la CIA (opération PBSUCCESS) renforce la conviction d’Ernesto Guevara que les États-Unis, comme puissance impérialiste, s’opposeraient implacablement à tout gouvernement désireux de corriger les inégalités socioéconomiques endémiques à l’Amérique du Sud et aux autres pays en voie de développement. Il devient définitivement convaincu que le socialisme atteint à travers le combat et défendu par une population armée est le seul moyen de faire évoluer une telle situation.

Che Guevara arrive à Mexico début septembre 1954. Il retrouve peu après Ñico López et d’autres exilés cubains qu’il a connus quelques années plus tôt au Guatemala. En juin 1955, López le présente à Raúl Castro. Quelques semaines plus tard, Fidel Castro arrive à Mexico après avoir été amnistié d’une peine de prison à Cuba. Le 8 juillet 1955, Raúl présente Guevara à son frère aîné. Après une conversation d’une nuit entière, le Che devient convaincu que Fidel est le dirigeant révolutionnaire inspiré qu’il cherche et il rejoint immédiatement le Mouvement du 26 juillet qui tente de renverser le gouvernement du dictateur Fulgencio Batista. Initialement désigné comme médecin du groupe, le Che participe à l’entraînement militaire avec les autres membres du mouvement, à la fin duquel il est désigné par leur instructeur le colonel Alberto Bayo comme la meilleure recrue.

Entre temps, Hilda Gadea est arrivée à Mexico et renoue sa liaison avec Guevara. Durant l’été 1955 elle l’informe qu’elle est enceinte, et il lui propose immédiatement le mariage, ils se marieront le 18 août. Leur fille, Hilda Beatríz, naît le 15 février 1956.

Ernesto “Che” Guevara fait partie des 82 hommes (un des quatre non-Cubains de l’expédition) partis avec Fidel Castro en novembre 1956 pour Cuba, sur le Granma, un petit yacht en mauvais état qui résiste mal au mauvais temps qui sévit durant le voyage. Les guerilleros sont attaqués juste après leur débarquement par l’armée de Batista qui a eu vent de l’expédition. Seule une vingtaine d’hommes survivent aux combats et une douzaine rejoignent la sierra, les autres étant tués au combat ou exécutés sommairement.

Le Che écrit plus tard que lors de cet affrontement, il choisit d’abandonner son sac d’équipement médical pour ramasser une caisse de munitions abandonnée par un de ses compagnons en fuite, passant ainsi du statut de médecin à la condition de combattant.

Les rebelles survivants se regroupent et fuient dans les montagnes de la Sierra Maestra pour lancer une guérilla contre le régime de Batista. Là, ils sont soutenus par les paysans locaux (guajiros ou montunos) qui souffrent d’abord de cette dictature, puis, par la suite, de la répression politique lancée contre la guérilla et ses partisans réels ou supposés. Che Guevara agit comme médecin et combattant, en dépit de nombreuses crises d’asthme dues au climat. Le Che souligne l’importance de se faire accepter par la population en fournissant des soins dans les villages isolés ou en alphabétisant les nouvelles recrues au cœur de la jungle.

Leurs forces (en armes et en recrues) augmentent avec le soutien logistique de la partie urbaine du mouvement de 26 juillet (non communiste, le partido socialista popular cubain n’aide Castro qu’à partir du moment où ils sont certains de sa victoire, mi-1958) et des États-Unis (qui voient en Castro une bonne alternative au régime corrompu de Batista et auxquels Castro a dissimulé ses objectifs communistes). L’existence de deux factions dans le mouvement sera très importante dans le futur et créera de nombreuses tensions. Les dirigeants urbains les plus importants étaient Frank País, Vilma Espín, Celia Sánchez, Faustino Pérez, Carlos Franqui, Haydee Santa María, Armando Hart, René Ramos Latour (Daniel), majoritairement démocrates et anticommunistes.

Guevara se montre très strict face aux actes d’indiscipline, de trahison et aux crimes, non seulement pour sa propre troupe mais aussi envers les soldats ennemis et les paysans qui habitent la zone. Cette partie de sa personnalité est mise en évidence le 17 février 1957, quand les guérilleros découvrent que l’un d’entre eux, Eutimio Guerra, est un traître qui avait donné la localisation du groupe, permettant à l’armée régulière de bombarder leur position sur le pic de Caracas et ensuite de les embusquer sur les hauteurs de Espinosas, mettant les rebelles au bord de la déroute. Lors de son arrestation, il est en possession d’armes et d’un sauf-conduit délivrés par l’ennemi. Eutimio demande la mort. Fidel Castro décide donc qu’il soit fusillé pour trahison, mais sans désigner d’exécuteur. Devant l’indécision générale qui s’ensuit, c’est le Che qui l’exécute, démontrant une froideur et une dureté contre les crimes de guerre qui l’ont rendu célèbre, ce qui n’a pas empêché Guevara de subir une violente crise d’asthme au lendemain de l’exécution. Une autre version de l’exécution indique que Castro désigne le guérillero Universo pour l’exécuter; Universo et Le Che amènent le traître à l’écart pour ne pas le tuer devant les hommes et Le Che l’exécute en route à un moment qu’il juge opportun.

Entre 1957 et 1958, certaines estimations évaluent à 15 le nombre de personnes accusées de trahison ou d’espionnage exécutées sur ordre de Guevara, dont l’une d’entre elles devant sa propre famille uniquement pour avoir exprimé son opposition à la révolution selon un guérillero témoin, exilé depuis à Miami. Au contraire, Guevara paraît tolérant pour les erreurs involontaires de ses propres troupes et envers les prisonniers ennemis. Ceci contribue à la bonne réputation du M26-Sierra et incite par la suite les soldats ennemis à se rendre plutôt qu’à combattre avec acharnement. De nombreuses fois il intervient auprès de Fidel Castro pour éviter des exécutions. Il soigne lui-même des soldats ennemis et interdit formellement la torture ou l’exécution des prisonniers, qu’il protège avec la même vigueur qu’il déploie à châtier les traîtres. Un autre témoignage, contradictoire avec les précédents, affirme qu’il a fait fusiller un des jeunes guérilleros pour avoir volé un peu de nourriture.

Durant les premiers mois de 1957 le petit groupe de guérilleros survit dans des conditions précaires, avec un appui rare de la population locale. Il est poursuivi par un réseau de paysans-espions (chivatos), par les troupes du gouvernement et doit lutter contre les infiltrations et améliorer la discipline militaire. De petits combats et escarmouches se succèdent, avec peu de pertes de part et d’autre.

Fin février paraît dans le New York Times, le journal le plus lu des États-Unis, une interview de Fidel Castro réalisée par Herbert Matthews dans la Sierra Maestra. L’impact est énorme et commence à faire naître dans l’opinion publique nationale et internationale une certaine sympathie envers les guérilleros. Le 28 avril se tient une conférence de presse au sommet du pico Turquino, la montagne la plus haute de Cuba, pour CBS.

Fin mai, l’effectif de la guérilla, atteignant 128 combattants bien armés et entraînés. Le 28 mai est déclenchée une première action d’ampleur, l’attaque de la caserne d’El Uvero où meurent 6 guérilleros et 14 soldats avec une grande quantité de blessés des deux côtés. Après le combat, Fidel Castro prend la décision de laisser la charge des blessés à Che Guevara pour ne pas ralentir le groupe principal à la poursuite des troupes gouvernementales. Guevara s’occupe alors des blessés des deux camps et parvient à un accord sur l’honneur avec le médecin de la caserne afin de laisser sur place les blessés les plus graves à la condition qu’ils soient emprisonnés de manière respectable, pacte respecté par l’armée gouvernementale.

Le Che et quatre hommes (Joel Iglesias, Alejandro Oñate (“Cantinflas”, “Vilo” et un guide) doivent alors cacher, protéger et soigner sept guérilleros blessés pendant cinquante jours. Dans ce laps de temps, Guevara non seulement les a tous soignés et protégés, mais a de plus maintenu la discipline du groupe, recruté neuf autres guérilleros, obtenu le soutien décisif du régisseur d’une grande propriété rurale de la région et établi un système d’approvisionnement et de communication avec Santiago de Cuba. Quand il rejoint le reste des troupes le 17 juillet, le Che est à la tête d’un groupe autonome de 26 hommes. Les rebelles tiennent alors un petit territoire à l’ouest du Pico Turquino avec 200 hommes disciplinés et un bon moral. Fidel Castro décide alors de former une deuxième colonne de 75 hommes, qu’il appellera ensuite quatrième colonne pour tromper l’ennemi sur la quantité de ses troupes. Il promeut Che Guevara au grade de capitaine, puis cinq jours après le désigne commandant de cette colonne. Avant cela seul Fidel Castro avait le grade de commandant. À partir de ce moment, les guérilleros doivent l’appeler “Comandante Che Guevara”.

La colonne contient alors quatre pelotons dirigés par Juan Almeida, Ramiro Valdés, Ciro Redondo et Lalo Sardiñas comme commandants en second. Peu après vient Camilo Cienfuegos en remplacement de Sardiñas qui a tué accidentellement un de ses hommes en le menaçant et dont l’exécution a été votée par les guérilléros à une étroite majorité, mais qui a été épargné et dégradé par Guevara. Une étroite amitié naît entre Cienfuegos et le Che.

Guevara se distingue en intégrant dans ses troupes de nombreux guajiros (paysans de l’île) et Afro–cubains, qui constituent alors la catégorie de population la plus marginalisée du pays, à une époque où le racisme et la ségrégation raciale sont encore répandus y compris dans les propres rangs du mouvement du 26 juillet (en 1958, l’accès au parc central de Santa Clara était interdit aux personnes à la peau noire).

Il baptise les nouvelles recrues qui intègrent sa colonne “descamisados” (sans chemises), reprenant l’expression qu’Eva Perón utilisait pour s’adresser aux travailleurs argentins, aussi péjorativement appelés “cabecitas negras” (têtes noires). Une de ces recrues, Enrique Acevedo, un adolescent de quinze ans que Guevara nomme chef de la commission disciplinaire de la colonne, a plus tard écrit ses impressions de l’époque dans un journal :

Tous le traitent avec grand respect. Il est dur, sec, parfois ironique avec certains. Ses manières sont douces. Quand il donne un ordre on voit qu’il commande vraiment. Il s’accomplit dans l’action.

La quatrième colonne réussit, grâce à quelques victoires (Bueycito, El Hombrito), à prendre contrôle de la zone de El Hombrito pour y établir une base permanente. Ses membres y construisent un hôpital de campagne, une boulangerie, une cordonnerie et une armurerie afin d’avoir une infrastructure d’appui. Le Che lance le journal El Cubano Libre.

Une des fonctions de la colonne du Che est de détecter et éliminer les espions et les infiltrés ainsi que maintenir l’ordre dans la région, exécutant les bandits qui profitent de la situation pour assassiner, piller et violer, en se faisant souvent passer pour des guérilléros. La stricte discipline dans la colonne fait que de nombreux guérilléros demandent leur transfert sur d’autres colonnes, bien qu’en même temps le comportement juste et égalitaire de Guevara, la formation qu’il accorde à ses hommes, depuis l’alphabétisation jusqu’à la littérature politique complète, en fait un groupe fortement solidaire.

Les troupes du gouvernement dirigées par Ángel Sánchez Mosquera mènent une politique de guerre sale dans la région. Le 29 novembre 1957 ils attaquent les guérilléros causant deux morts, parmi eux Ciro Redondo. Le Che est blessé (au pied) de même que Cantinflas et cinq autres combattants. La base est complètement détruite et la colonne se repositionne dans un lieu appelé la mesa pour en construire une nouvelle. Elle crée la radio clandestine Radio Rebelde en février 1958. Radio Rebelde diffuse alors des informations pour la population cubaine mais sert aussi de lien entre les différentes colonnes réparties sur l’île. Radio rebelde existe toujours aujourd’hui à Cuba.

Début 1958, Fidel Castro est devenu l’homme le plus sollicité par la presse internationale et des dizaines de journalistes du monde entier viennent à la Sierra Maestra pour l’interviewer. De son côté Che Guevara est devenu, pour la presse qui défend Batista, le personnage central de la guérilla. Evelio Lafferte, un lieutenant de l’armée cubaine fait prisonnier, et qui ensuite est passé guérilléro dans la colonne du Che, se souvient :

La propagande contre lui (Guevara) était massive ; on disait que c’était un tueur à gages, un criminel pathologique…, un mercenaire qui prêtait ses services au communisme international… Qu’ils utilisaient des méthodes terroristes, qu’ils socialisaient les femmes qui quittaient alors leurs enfants… Ils disaient que les soldats faits prisonniers par les guérilléros étaient attachés à un arbre et se faisaient ouvrir le ventre à la baïonnette.

En février, l’armée rafle 23 militants du mouvement du 26 juillet et les fusille sur les premiers contreforts de la Sierra Maestra, pour simuler une victoire contre la guérilla. Cet événement est un scandale pour le gouvernement de Batista. Le 16, la guérilla castriste attaque la caserne de Pino del Agua avec des pertes des deux côtés. Peu après arrive le journaliste argentin Jorge Ricardo Masetti de tendance péroniste, qui est un des fondateurs de l’agence de presse cubainePrensa Latina et l’organisateur à Salta (Argentine) en 1963 de la première tentative de guérilla de Che Guevara hors de Cuba.

Le Che entre en conflit avec les dirigeants de la partie urbaine du mouvement du 26 juillet. Ceux-ci le considèrent comme un marxiste extrémiste avec trop d’influence sur Fidel Castro, et lui les considère de droite, avec une conception timide de la lutte et une disposition trop complaisante envers les États-Unis. Soviétophile convaincu, il écrit en 1957 à son ami René Ramos Latour : “J’appartiens, de par ma formation idéologique, à ceux qui croient que la solution des problèmes de ce monde est derrière ce que l’on appelle le rideau de fer”. L’année 1958 est une période de conflit politique au sein du mouvement du 26 juillet entre Che Guevara qui affirme ses convictions communiste, et Armando Hart et René Ramos Latour tout deux du directoire du mouvement, dirigeant sa partie urbaine, et anti-communistes. Ces derniers avancent l’idée d’un rapprochement avec les États-Unis pour lutter contre Baptista. La CIA cherche en effet à ce moment une alternative au dictateur et son armée corrompue, inefficace et commettant des exactions, en envisageant de contrôler la partie non-communiste du mouvement du 26 juillet. L’armée américaine soutient elle inconditionnellement Baptista, au nom de la lutte contre le communisme, doutant de l’orientation politique réelle de Fidel Castro. Guevara s’affirme également admirateur du défunt Staline : “Celui qui n’a pas lu les quatorze tomes des écrits de Staline ne peut pas se considérer comme tout à fait communiste”.

Le 27 février 1958, Fidel Castro amplifie les opérations de guérilla en créant trois nouvelles colonnes dirigées par Juan Almeida, son frère Raúl Castro et Camilo Cienfuegos, qui deviennent commandants. Almeida doit agir dans la zone orientale de la Sierra Maestra, Raúl Castro doit ouvrir un deuxième front et s’installer dans la Sierra Cristal, au nord de Santiago de Cuba. En avril Camilo Cienfuegos est désigné chef militaire de la zone entre les villes de Bayamo, Manzanillo et Las Tunas, alors que Castro établit son quartier général à La Plata.

Le 3 mai a lieu une réunion clef du mouvement du 26 juillet où Fidel Castro et la guérilla de la Sierra prennent le commandement sur la partie urbaine plus modérée. Che Guevara, qui eut un rôle important dans cette réorganisation, écrit un article en 1964 sur ces faits :

Le plus important est que se jugeaient et s’analysaient deux conceptions qui s’affrontaient depuis le début de la guerre. La conception de la guérilla sortie triomphante de l’affrontement, consolidant le prestige et l’autorité de Fidel… Il apparut une seule capacité dirigeante, celle de la Sierra, et concrètement un seul dirigeant, un commandant en chef, Fidel Castro.

À ce moment, l’armée de Batista, sous les ordres du général Eulogio Cantillo prépare une offensive. Fidel Castro demande alors à Che Guevara de laisser la quatrième colonne et de prendre en charge l’école militaire de Minas del Frío pour l’entraînement des recrues. Le Che reçoit l’ordre de bon gré mal gré mais organise fébrilement cette arrière-garde, construisant même une piste d’atterrissage près de La Plata. Camilo Cienfuegos lui écrit à cette époque : “Che, mon frère d’âme : J’ai reçu ta note, je vois que Fidel t’a mis à la tête de l’école militaire, j’en suis heureux car de cette manière nous aurons dans le futur des soldats de première qualité, quand ils m’ont dit que tu venais nous faire cadeau de ta présence, ça ne m’a pas plu beaucoup, tu as joué un rôle principal dans ce domaine ; si nous avons besoin de toi dans cette étape insurrectionnelle, Cubaaura encore davantage besoin de toi quand la guerre se terminera, donc le géant a bien fait de prendre soin de toi. J’aimerais beaucoup être toujours à tes côtés, tu as été mon chef pendant longtemps et tu le seras toujours. Grâce à toi j’ai l’opportunité d’être maintenant plus utile, je ferai l’indicible pour ne pas te déshonorer. Ton éternel pote. Camilo”.

À Minas del Frío il a partagé la vie de Zoila Rodríguez García, une guajira qui vivait dans la Sierra Maestra et qui collaborait activement avec la guérilla comme toute sa famille. Dans un témoignage postérieur, Zoila raconte le genre de relation qu’ils ont eu : “Il apparut en moi un amour très grand et très beau, je me compromis avec lui, pas seulement comme combattante mais aussi comme femme. Un jour, il me demanda de lui amener un livre de son sac à dos ; il avait des lettres dorées et je lui demandais si elles étaient d’or. La question lui plut, il rit et me répondit : C’est un livre sur le communisme. Ça me donna de la peine de lui demander ce que voulait dire communisme, parce que je n’avais jamais entendu ce mot”.

Le 6 mai commence l’offensive de l’armée qui compte 10 000 hommes, dont deux tiers de conscrits. Le plan était de déloger avec des bombardements massifs au napalm et à l’explosif les guérilléros qui comptaient 280 hommes et quelques femmes, pour ensuite les encercler dans une nasse de plus en plus étroite. Pendant les premières semaines les forces gouvernementales sont presque au point de défaire la guérilla, qui subit de grandes pertes et la désorganisation de ses filières, alors qu’augmentent le sentiment de défaite et les désertions. De son côté, Che Guevara organise une nouvelle colonne (la “huitième” et baptisé Ciro Redondo en hommage à un de ses lieutenants mort au combat l’année précédente) avec les recrues de l’école de Minas del frio. Quand le 26 juin, Raúl Castro séquestre de sa propre initiative 49 américains, le Che critique sa conduite comme “un extrémisme dangereux”.

Cependant les troupes gouvernementales sont incapables de capturer les guérilléros qui se cachent en permanence et reprennent l’offensive. Le 20 juillet, ils obtiennent leur première grande victoire à Jigüe et le même jour la majorité des forces de l’opposition reconnaît Fidel Castro comme commandant en chef. Le 28, la colonne du Che assiège les troupes du gouvernement à La Havane, qui fuient alors, abandonnant leur poste. Le 30 meurt au combat René Ramos Latour, principal adversaire du Che au sein du mouvement, ce dernier écrit néanmoins dans son journal : “De profondes divergences idéologiques me séparaient de René Ramos et nous étions ennemis politiques, mais il a su mourir en accomplissant son devoir, en première ligne, et il est mort ainsi parce qu’il a senti une impulsion intérieure que je lui niais, et qu’à cette heure je dois rectifier”.

Le 7 août 1958, l’armée commence son retrait en masse de la Sierra Maestra. La faiblesse de Batista se fait évidente et Fidel Castro décide alors d’étendre la guerre au reste de l’île. Che Guevara et Camilo Cienfuegos doivent marcher vers le nord pour diviser Cuba en deux et attaquer la ville stratégique de Santa Clara, clef pour la route vers La Havane.

Le 31 août 1958 les colonnes de Che Guevara et Camilo Cienfuegos partent à pied vers l’ouest de Cuba. Ils mettent six semaines à arriver dans la zone de l’Escambray, dans la province de Las Villas, au centre de l’île, traversant 600 km de zone marécageuse, poursuivis par les avions et les patrouilles du gouvernement.

Guevara installe son campement sur un relief inaccessible culminant à 630 m. Il crée une nouvelle école militaire pour accueillir les nouvelles recrues, ainsi qu’une centrale hydro-électrique, un hôpital de campagne, des ateliers et un journal El Miliciano.

Dans la zone agissent d’autres forces de guérilla, comme le “Segundo Frente Nacional del Escambray” dirigé par l’espagnol Eloy Gutiérrez Menoyo, le “Directorio Revolucionario”, le “Partido Socialista Popular” (communiste) ainsi que les forces locales du mouvement du 26 juillet dirigées par Enrique Oltuski. En général ces forces se querellent et l’unification est impossible. À ce moment, le Che commence une liaison avec Aleida March, une militante active et anti-communiste du mouvement du 26 juillet. Ils deviennent inséparables tout au long de la guérilla, même au cours des combats.

Le 3 novembre Batista réalise des élections afin d’atténuer l’opposition généralisée et construire une sortie électorale qui isolerait la guérilla. Ceux-ci et les groupes de l’opposition demandent le boycott des élections qui n’ont qu’une faible participation, délégitimant le candidat élu, Andrés Rivero Agüero.

À Las Villas Che Guevara parachève la formation de la huitième colonne en plaçant aux postes clefs des hommes de confiance, la plupart originaires de milieux modestes. Il y a les hommes de son escorte, Juan Alberto Castellanos, Hermes Peña, Carlos Coello (“Tuma”), Leonardo Tamayo (“Urbano”) et Harry Villegas (“Pombo”). Il y a aussi des soldats qui font partie de son cercle le plus intime, comme Joel Iglesias, Roberto Rodríguez (“el Vaquerito”), Juan Vitalio Acuna (“Vilo”), Orlando Pantoja (“Olo”), Eliseo Reyes, Manuel Hernández Osorio, Jesús Suárez Gayol (“el Rubio”), Orlando Borrego. Beaucoup de ces hommes composent le célèbre commando suicide dirigé par “El Vaquerito”, comprenant seulement des volontaires et chargé des missions les plus difficiles.

Fin novembre, les troupes du gouvernement attaquent la position de Che Guevara et de Camilo Cienfuegos. Les combats durent une semaine, à la fin duquel l’armée de Batista se retire en désordre et avec beaucoup de pertes en hommes et en matériel. Les guérilleros contre-attaquent, suivant une stratégie d’isolement des garnisons du gouvernement, dynamitant les routes et ponts ferroviaires. Les jours suivants les régiments gouvernementaux capitulent un par un : Fomento, Guayos, Cabaiguán (où le Che se fracture le coude), Placetas, Sancti Spíritus.

Ensuite la colonne de Cienfuegos va prendre Yaguajay, dans une bataille importante qui dure du 21 au 31 décembre, pendant que Guevara s’empare de Remedios et du port de Caibarién le 26 et la caserne de Camajuaní le jour suivant, où les troupes du gouvernement fuient sans combattre.

Le chemin est alors libre pour attaquer Santa Clara, quatrième ville de Cuba et ultime bastion du gouvernement avant La Havane. Batista fortifie la ville et envoie 2 000 soldats et un train blindé sous les ordres de l’officier le plus compétent à sa disposition, le colonel Joaquín Casillas. Au total, les troupes gouvernementales ont 3 200 soldats pour combattre 364 guérilleros. Le 28 décembre commence l’attaque qui a été sanglante (Santa Clara est bombardé par l’aviation de Batista) et dure trois jours dans toute la ville. Durant les combats meurt un des hommes les plus emblématiques de la huitième colonne Roberto Rodríguez, “el Vaquerito”. Guevara a établi que la cible prioritaire de la bataille est le train blindé, qui a été pris le 29 au soir.

Ce fait d’armes est une victoire décisive qui entraîne directement la chute de Batista. Apprenant la nouvelle et que ses généraux négocient une paix séparée avec les dirigeants, le dictateur prend la décision de fuir en République dominicaine quelques heures après, accompagné de sa famille, de quelques fonctionnaires, avec parmi eux le président Andrés Rivero Agüero et son frère qui était maire de La Havane.

Les forces rebelles triomphantes dans toute l’île entreprennent de fusiller les criminels de guerre après des jugements sommaires. À Santa Clara le Che donne l’ordre de fusiller entre autres le chef de la police, Cornelio Rojas. Le colonel Joaquín Casillas, qui avait été condamné en 1948 pour l’assassinat d’un syndicaliste, Jesús Menéndez, et ensuite laissé en liberté, est détenu et meurt dans des circonstances troubles. La version officielle indique que Casillas a été tué alors qu’il essayait de s’échapper, mais il est aussi possible qu’il ait été exécuté sur ordre du Che.

Le pays est alors paralysé par une grève générale demandée par Fidel Castro. Suivant ses ordres, les colonnes de Che Guevara et Camilo Cienfuegos à la tête de leurs guérilléros (dits Barbudos) se dirigent alors vers La Havane pour occuper les casernes de Columbia et la forteresse de la Cabaña les 2 et 3 janvier.

Le 2 janvier, Che Guevara est nommé par Fidel Castro commandant et “procureur suprême” de la prison de la forteresse de la Cabaña. Pendant les 5 mois à ce poste il décide des arrestations et supervise les jugements qui ne durent souvent qu’une journée et signe les exécutions de 156 à 550 personnes selon les sources. Les accusés sont pour la plupart des officiels du régime de Batista : policiers, hommes politiques ou personnes influentes accusées d’avoir contribué à la répression à laquelle le régime s’était livré notamment en 1958 juste avant sa chute, des membres du “bureau de la répression des activités communistes” qui avait recours à l’enlèvement, la torture et l’assassinat, ou des militaires accusés de crime de guerre, mais aussi des dissidents politiques. Seuls les militaires et policiers sont condamnés à mort, les civils étant conduits devant un autre tribunal.

Selon un procureur qui travaillait avec Guevara pour ces accusations, les procédures étaient illégales car “les faits étaient jugés sans aucune considération pour les principes judiciaires généraux”, “les éléments présentés par l’officier investigateur étaient considérés comme des preuves irréfutables”, “il y avait des membres de familles de victimes du régime précédent parmi les jurés” et “Che Guevara était aussi président de la cour d’appel”. À l’inverse les médias, mêmes américains, soulignent que chaque accusé a droit à une défense équitable, à un avocat et des témoins, et que les procès sont publics. Malgré tout l’aumônier de la prison affirme que des dizaines d’innocents ont été exécutés. Alors que selon une autre source, au contraire, le père franciscain chargé d’assister les fusillés aurait avoué au Che que ceux-ci confessaient des crimes plus grands encore que ceux pour lesquels ils étaient condamnés. Ces exécutions inquiètent beaucoup les démocrates à Cuba et dans le monde, et entraînent des protestations (surtout aux États-Unis). Cependant Herbert Matthews, du New York Times, rapporte qu’il ne connaît pas d’exemple d’innocent exécuté et fait remarquer que “lorsque les batistains tuaient leurs adversaires – généralement après les avoir torturés – à un rythme effrayant, il n’y avait pas eu de protestations américaines”. Fidel Castro en visite aux États-Unis demande alors une suspension des exécutions. Le Che n’est pas d’accord avec la mesure, prétextant que “le frein des conventions bourgeoises sur les droits de l’homme avait été la raison de la chute du régime d’Arbenz au Guatemala” et que “les condamnations suivaient un jugement qui permettait la défense et portait la signature des responsables, à la différence des assassinats des dictatures latino-américaines qui n’avaient soulevé aucune protestation de la part de la presse ou du gouvernement des États-Unis, alors qu’ils avaient lieu après de terribles tortures, dans l’anonymat, et souvent sans que l’on retrouve les cadavres”. Le degré d’implication de Guevara qui a mis en œuvre le quart de ces exécutions est toujours débattu.

Le 7 février 1959 le nouveau gouvernement proclame Che Guevara “citoyen cubain de naissance” en reconnaissance de son rôle dans le triomphe des forces révolutionnaires. Le 22 mai 1959 le divorce avec Hilda Gadea (avec laquelle il s’est séparé avant même son départ pour Cuba) est prononcé, ce qui lui permet de régulariser sa situation avec Aleida March, une cubaine du mouvement du 26 juillet, qu’il a rencontrée dans la province de Las Villas en 1958 et qu’il épouse le 2 juin de la même année. Fidel Castro modifie la constitution du pays pour permettre à un étranger s’étant particulièrement illustré durant la guérilla et ayant reçu le grade de Commandant de pouvoir être membre du gouvernement. Cette modification ne concerne que l’Argentin Guevara.

Le 7 octobre, Che Guevara assisté de son second Nathanael Bennoit, devient un des dirigeants de l’institut national de la réforme agraire. Il devient également président de la banque nationale de Cuba le 26 novembre. Ce dernier poste était un peu ironique, car le Che condamne l’argent et rêve de son abolition. La signature sur les billets de banque ne portera d’ailleurs que son surnom “Che”. La nomination de Guevara à ce poste par Castro alors qu’il n’a aucune formation économique est politique : le Che sera en position stratégique pour affronter les intérêts nord-américains. Sa nomination est d’ailleurs interprétée comme une provocation par le gouvernement américain qui suspend ses crédits à l’importation.

Dès cette année 1959, il aide à organiser des expéditions révolutionnaires à Panamá et en République dominicaine, expéditions qui échoueront toutes.

À cette époque renaît son goût pour les échecs. Il participe à la plupart des tournois ayant lieu à Cuba tout en promouvant ce jeu.

Il visite Tokyo en juin 1959 pour évaluer la réforme agraire radicale effectuée par les États-Unis après la Seconde Guerre mondiale. Il note à cette occasion que la réforme agraire cubaine offre plus de propriétés privées et un meilleur taux de compensation que la réforme ayant eu lieu au Japon. Malgré ces propos, Cubavoit la plupart de ses activités nationalisées, et les libertés individuelles restreintes. De nombreux démocrates et modérés sont emprisonnés, y compris des dirigeants qui avaient brillé lors de la lutte contre Batista. Les départs en exil se multiplient (chiffre qui atteindra 100 000 en 1961) et les journaux et chaînes de télé d’opposition sont censurés où repris en main par des partisans de Castro. Le régime devient de plus en plus autoritaire, en partie pour appliquer ses réformes économiques socialistes de type soviétiques, mais aussi en réaction aux pressions américaines et d’une invasion qui semble inévitable au gouvernement cubain. L’alignement économique s’accompagne donc d’un alignement politique, et Che Guevara insiste auprès des soviétiques pour plus d’aide précisant “que ce n’était pas un sujet de plaisanterie de réorienter un pays d’un bloc vers l’autre”.

En mars 1960 Guevara fait partie des premiers secours aux victimes de l’explosion de la Coubre, un navire rempli d’armes à destination du gouvernement cubain. Cette opération de secours devient encore plus dangereuse quand une deuxième explosion fait plus d’une centaine de morts. Les causes de la double explosion ne seront jamais clairement établies. Le gouvernement cubain accusera la CIA et William Alexander Morgan, un ancien rival du Che dans la lutte contre Batista et soupçonné d’être un agent américain. Les exilés cubains (anticastristes) avanceront également la théorie que le sabotage a été organisé par des opposants soviétiques à Guevara. C’est au service commémoratif des victimes que la célèbre photo d’Alberto Korda du Che sera prise.

En mai 1960 Guevara a un rôle clef en tant que président de la banque centrale dans l’escalade de la tension entre Cuba et les États-Unis. Lorsque le gouvernement américain refuse que ses compagnies nationales raffinent du pétrole soviétique, il les menace de ne pas payer la dette cubaine de pétrole et de nationaliser les raffineries. Lorsque les États-Unis refusent de céder, les menaces sont mises à exécution en juillet 1960. Les nationalisations sont immédiatement suivies d’une annulation des accords commerciaux sur les achats du sucre cubains par les États-Unis. La vision idéaliste du rôle de l’argent dans la société humaine et le rôle de redistribution des richesses qu’il assigne à la banque nationale change complètement les objectifs de celle-ci mais la mènera à la faillite.

Après avoir négocié un accord commercial avec l’Union soviétique en 1960, Che Guevara représente Cuba dans de nombreuses délégations auprès de pays du Bloc de l’Est ou du mouvement des non-alignés en Afrique et en Asie suite à l’imposition de restrictions commerciales. Ces restrictions se transforment en un embargo des États-Unis contre Cuba en 1962, qui est toujours en application en 2010.

Guevara est l’instigateur du système cubain de camps de travail forcé (appelés “camps de travail correctif”) en 1960-1961, et créé le premier de ceux-ci à Guanahacabibes afin de “rééduquer” les responsables des entreprises publiques qui étaient coupables de diverses entorses à “l’éthique révolutionnaire”.

Guevara devient le 23 février 1961 ministre de l’Industrie, et s’attelle à transformer l’économie capitaliste agraire de Cuba en économie socialiste industrielle de type soviétique. Il est l’un des participants actifs aux nombreuses réformes économiques et sociales mises en place par le gouvernement. Le Che devient alors célèbre dans le monde pour ses attaques enflammées contre la politique étrangère des États-Unis en Afrique, en Asie (guerre du Viêt Nam), mais surtout en Amérique latine, tandis qu’il développe avec Régis Debray la théorie du foco, mettant l’accent sur la guérilla rurale.

Pendant cette période, il définit la politique cubaine et sa propre opinion dans de nombreux discours, articles, lettres et essais. Dans La Guerre de guérilla (1961), il promeut la réédition dans d’autres pays de la révolution cubaine, préconisant de commencer la rébellion par de petits groupes (foco) de guérillas rurales, sans avoir besoin de créer auparavant des organisations de masse (conformément, notamment, à la stratégie trotskyste), pour créer les conditions d’une révolution. Il pense en effet qu’un petit groupe d’hommes peut, en entamant la lutte armée contre un gouvernement non élu, générer par lui-même un sentiment révolutionnaire dans la population, permettant ainsi de passer progressivement de la guérilla à la guerre révolutionnaire de masse. Cependant ce modèle de “révolution à la cubaine” en Bolivie, avec l’Armée de libération nationale (ELN) et ailleurs sera un échec à cause, selon certains, de son manque de soutien populaire.

Dès 1964, une guérilla guévariste a été initiée à Salta, en Argentine; mais en juillet 1964, le Che est informé du démantèlement de l’Ejército Guerrillero del Pueblo (ERP), tous ses membres, sauf deux ou trois, ayant été capturés, vifs ou morts. D’aucuns affirment que la stratégie foquiste avait fonctionné à Cubaparce que la population voulait se débarrasser de Batista et parce que les fondations d’une révolution avaient déjà été jetées par d’autres tel que Frank País (assassiné en 1957). Bien des années plus tard, d’ex-guérilleros Tupamaros, tel Jorge Torres, attaqueront durement le mythe de la Révolution cubainetransmis par le Che, qui faisait l’impasse sur les opérations réelles de guérilla urbaine qui ont eu lieu à Cuba (par exemple autour du leader Frank País), et sans lesquelles la Révolution n’aurait pas été possible. Selon le guérillero argentin des Montoneros, Pablo Giussani, ce mythe aurait ainsi causé des milliers de morts en Amérique latine, poussant de nombreux militants à s’engager dans une guérilla rurale sans s’impliquer davantage dans les villes.

Son essai Le Socialisme et l’homme à Cuba (1965) avance le besoin d’un “homme nouveau” (hombre nuevo) en conjonction avec “l’Etat socialiste” : la transformation des rapports sociaux de production, ou de l’économie, doit être accompagnée d’une révolution personnelle et éthique. L’apport de l’activité individuelle à la société, en plus de son activité rémunérée, se transforme en une valeur exemplaire, source de solidarité. Pour le Che, la société communiste idéale n’est pas possible sans que le peuple n’évolue en cet “homme nouveau”. L’État socialiste n’est selon lui qu’une première phase nécessaire destinée à être dépassée par une société d’égaux sans gouvernements ni États (ce qui est, sur ce point, tout à fait conforme avec la vision orthodoxe du marxisme sur la fin de l’histoire). Toute société qui fonctionne uniquement sur la récompense matérielle, que ce soit une économie socialiste soviétique ou capitaliste serait ainsi vouée à l’échec.

En tant que ministre, Che Guevara s’emploie à démontrer par ses actes exemplaires ce que doit être cet “homme nouveau”. Il passe régulièrement ses week-ends et soirées au travail volontaire, que ce soit dans les usines de textiles, sur les ports ou à la récolte de la canne à sucre, afin de garder un contact direct entre le peuple et ses dirigeants.

Il a cependant été confronté à de nombreuses difficultés dans ses tâches de réforme. L’économie cubaine est souvent archaïque et décousue, peu encline à une rationalisation des moyens de production. Guevara fait de la lutte contre la bureaucratie naissante une de ses priorités. Par ailleurs, le matériel envoyé par le bloc soviétique est souvent de mauvaise qualité ou obsolète. C’est à ce moment que Guevara commence à perdre la foi envers le modèle soviétique et stalinien qui l’animait depuis le Guatemala, pour développer sa propre vision du communisme.

Che Guevara a aussi été connu pour son austérité personnelle, ses habitudes simples, bien que vivant dans les quartiers privés de la capitale. Il déteste tout favoritisme lié au rang (comme c’était déjà le cas lors de la guérilla). Il refuse ainsi une augmentation de salaire lorsqu’il est nommé ministre, préférant garder sa paye de “commandante” de l’armée. Cette austérité se manifeste aussi par un mépris des richesses démontré à de nombreuses reprises. Ainsi, lors d’un dîner avec des responsables politiques en URSS, le repas étant servi dans de la porcelaine de valeur, le Che demande sarcastiquement à ses hôtes: “Est-ce de cette façon que vit le prolétariat en Russie ?” Certains le perçoivent ainsi comme le modèle à la fois austère et “glamour” de l’“homme nouveau”.

Il ne participe pas à la défense de Cuba lors du débarquement de la baie des Cochons en avril 1961. Il est alors placé à la défense d’une autre partie de l’île et blessé accidentellement par sa propre arme. Il se rend en Uruguay en août 1961. Le professeur Arbelio Ramírez est alors tué, le 17 août 1961, par un groupe d’extrême droite lié à la CIA, victime d’une balle destinée au Che.

Suite à l’embargo américain, annoncé en février 1962 après la nationalisation des entreprises américaines, et à l’entrée de Cuba dans le COMECON, l’industrialisation massive est abandonnée. L’île reste un fournisseur agricole, mais cette fois-ci pour le bloc de l’Est.

Guevara joue un rôle clef dans la crise des missiles de Cuba (octobre 1962) en négociant à Moscou avec Raúl Castro auprès des Russes l’implantation de missiles balistiques nucléaires sur l’île. Che Guevara pense alors que l’installation de missiles soviétiques peut protéger Cuba de toute attaque militaire américaine. Dans une interview au journal britannique le Daily Workerquelques semaines après la fin de la crise, il déclarera tout en fulminant contre le recul soviétique, à moitié en plaisantant, que si les missiles avaient été sous contrôle cubain, ils les auraient utilisés.

En décembre 1964 Che Guevara voyage à New York comme chef de la délégation cubaine à l’ONU où il prononce le 11 décembre un discours à l’assemblée générale contre la politique étrangère américaine, participe à une émission télé et rencontre des personnalités aussi différentes que le sénateur Eugene McCarthy, des compagnons de Malcolm X ou les Rockefeller. Le 17 décembre, il commence une tournée internationale de 3 mois au cours de laquelle il visite la Chine, l’Égypte, l’Algérie, le Ghana, la Guinée, le Mali, le Bénin, la République du Congo et la Tanzanie, avec des étapes en Irlande, Pariset Prague. À Pyongyang, il déclare que la Corée du Nord est un “modèle dont Cuba devrait s’inspirer”. À Alger, le 24 février, il fait son dernier discours sur le devant de la scène internationale où il déclare : “Il n’y a pas de frontières dans cette lutte à mort. Nous ne pouvons pas rester indifférents face à ce qui se passe dans n’importe quelle partie du monde. La victoire de n’importe quel pays contre l’impérialisme est notre victoire, tout comme la défaite de quelque pays que ce soit est notre défaite”.

Il étonne alors son audience en proclamant “Les pays socialistes ont le devoir moral d’arrêter leur complicité tacite avec les pays de l’ouest exploiteurs”.

Deux semaines après son retour à Cuba où il est accueilli par Fidel et Raul Castro, il disparaît littéralement de la vie publique. Son activité en 1965 est un grand mystère étant donné qu’il est à l’époque considéré comme le numéro deux du gouvernement.

Les causes de sa disparition sont toujours controversées et peuvent être attribuées à diverses raisons :
» échec de l’industrialisation ;
» la pression des Soviétiques et d’une partie des responsables cubains sur Castro. En effet, ceux-ci désapprouvaient l’alignement économique et idéologique pro-chinois du Che, surtout à une époque où se creusait le conflit sino-soviétique et où l’économie cubaine dépendait de plus en plus de l’Union soviétique. Guevara était considéré par beaucoup comme un avocat de la stratégie maoïste en Amérique du Sud. Ses détracteurs comparaient son plan d’industrialisation au Grand Bond en avant chinois ;
» d’autres suggèrent que Castro avait pris ombrage de la popularité de Guevara et commençait à le considérer comme une menace. Ils trouvent suspectes ses explications sur sa disparition et sont surpris que le Che n’ait jamais fait une annonce publique de ses intentions.

Après la crise des missiles cubains et ce qu’il a pris comme une trahison de Khrouchtchev qui a donné son accord au retrait des missiles sans consulter Castro, Che Guevara est devenu sceptique quant au rôle de l’URSS. Comme révélé dans son dernier discours à Alger, il en est venu à la conclusion que l’hémisphère nord, mené par les États-Unis dans l’ouest et l’URSS dans l’est, exploite l’hémisphère Sud. Il soutient le Viêt Nam du Nord dans la guerre du Viêt Nam et encourage les peuples des autres pays en voie de développement à prendre les armes et à créer “de nombreux Viêt Nam”. Cependant, aussi bien Guevara que Castro sont partisans d’un “front anti-impérialiste uni” et tentent à plusieurs reprises de réconcilier l’Union Soviétique et la Chine.

Pressé par la spéculation internationale et les rumeurs quant au destin du Che, Fidel Castro déclare le 16 juin 1965 que le peuple sera informé à propos du Che quand lui-même l’aura décidé. Le 3 octobre, Castro dévoile une lettre non datée, écrite par Guevara à son attention, dans laquelle il réaffirme sa solidarité avec la révolution cubaine mais déclare son intention de partir combattre à l’étranger pour la révolution. Il annonce également sa démission de tous ses postes au gouvernement, au parti et dans l’armée. Il renonce aussi à la citoyenneté cubainequi lui a été donnée. Castro révèlera peu après qu’il savait où Guevara était mais qu’il ne le dirait pas, ajoutant que son ancien compagnon d’armes était en bonne santé.

Malgré les assurances de Castro, la destinée de Che Guevara reste un mystère et un secret bien gardé pour les deux années à venir.

Pendant leur réunion durant la nuit du 14 au 15 mars 1965, Guevara et Castro se sont mis d’accord pour que le Che mène personnellement la première action militaire cubaine en Afrique subsaharienne. Des sources mentionnent que Guevara aurait convaincu Castro à le soutenir dans son effort tandis que d’autres sources maintiennent que c’est Castro qui aurait convaincu Guevara d’entreprendre cette mission, argumentant que les pays d’Amérique latine visés n’étaient pas encore dans les conditions voulues pour y établir des focos(“foyers”) de guérilla. Castro lui-même affirmera que la dernière version était la bonne.

D’après Ahmed Ben Bella, qui était président d’Algérie à l’époque et avait beaucoup discuté avec Guevara, “La situation en Afrique semblait avoir un énorme potentiel révolutionnaire, ce qui amena le Che à la conclusion que l’Afrique était le maillon faible de l’impérialisme. C’est à l’Afrique qu’il décida de dédier ses efforts”.

L’opération cubaine est planifiée pour aider le mouvement marxiste Simba pro-Patrice Lumumba (dont l’assassinat en 1961 avait indigné Guevara) au Congo-Kinshasa (ancien Congo belge, futur Zaïre et actuelle République démocratique du Congo). Guevara, son second Victor Dreke et 12 Cubains arrivent à Baraka-Fizi au Congo le 24 avril 1965. Un contingent d’environ 100 Afro–Cubains les rejoint peu après. L’arrivée du Che est tenue secrète même pour les membres de la guérilla congolaise.

Ils collaborent un moment avec le dirigeant Laurent-Désiré Kabila, avec qui ils organisent le maquis d’Hewa Bora, d’Ébamba et de Wimbi. Kabila aide alors les partisans de Lumumba à mener une révolte qui est éliminée en novembre de la même année par l’armée congolaise. Guevara considère bientôt Kabila comme insignifiant et écrit : “Rien ne m’amène à penser qu’il soit l’homme providentiel”.

Bien que le Che ait 37 ans et aucune formation militaire classique (il avait été réformé du service militaire argentin à cause de son asthme, chose dont il était fier à cause de son opposition au gouvernement Perón), il a déjà fait l’expérience de la guérilla cubaine et de sa marche décisive sur Santa Clara. Des mercenaires sud-africains tels que Mike Hoare et des exilés cubains opposés au régime castriste travaillent avec l’armée régulière congolaise pour lutter contre Guevara. Ils réussissent à intercepter ses communications, tendent des embuscades contre les rebelles à chaque fois qu’ils tentent une attaque et coupent ses lignes d’approvisionnement. Bien que Guevara tente de dissimuler sa présence au Congo, le gouvernement US est informé de sa localisation et de ses activités. En effet, le National Security Agency (NSA) intercepte toutes ses transmissions grâce à l’équipement du USNS Valdez, un navire d’écoute de l’océan indien.


suite ...
Image------------ Demain Le Grand Soir --------- --------- C’est dans la rue qu'çà s'passe --------
Avatar de l’utilisateur-trice
Pïérô
 
Messages: 22436
Enregistré le: 12 Juil 2008, 21:43
Localisation: 37, Saint-Pierre-des-Corps

Re: Cuba

Messagede Pïérô » 16 Jan 2018, 18:14

Suite

Le but du Che est d’exporter la révolution cubaine en formant les combattants Simba à l’idéologie communiste et aux stratégies du combat de guérilla. Mais l’incompétence, l’intransigeance, les rivalités internes des rebelles congolais sont citées dans son journal du Congo comme les raisons principales de l’échec de la révolte. Au lieu de s’assurer le soutien des populations locales, les combattants congolais pillent parfois des villages et tuent des civils. Le commandement unique n’existe pas et les chefs locaux rivalisent entre eux pour obtenir argent et matériel qu’ils emploient pour leur profit personnel. Certains responsables de la guérilla sont même assassinés par des rivaux. Enfin, les troupes inexpérimentées croient plus en la sorcellerie qu’à l’instruction militaire des Cubains, ce qui entraînera défaite sur défaite.

Après sept mois de frustration, malade de la dysenterie et souffrant de l’asthme, débordé par les troupes de Mobutu, Guevara quitte le Congo avec les survivants cubains (six membres de sa colonne sont morts sur 200). Ils doivent abandonner une bonne partie des combattants congolais faute de place dans les embarcations qui retraversent le lac Tanganyika. À un moment, le Che estime devoir rester seul pour combattre jusqu’au bout comme exemple pour la révolution. Il en est dissuadé par ses compagnons et deux émissaires spéciaux envoyés par Castro. Quelques semaines plus tard, quand il écrit la préface de son journal du Congo, il la commence avec les mots: “Ceci est l’histoire d’un échec”.

Parce que Castro a rendu publique la “lettre d’adieu” du Che dans laquelle il coupait tout lien avec Cuba pour se dédier à ses activités révolutionnaires ailleurs dans le monde (alors qu’elle n’aurait dû être dévoilée que dans le cas de sa mort), celui-ci sent qu’il ne pourra pas revenir à Cuba pour des raisons morales. Il passe les six mois suivants dans la clandestinité à Dar es Salam et Prague où il écrit ses mémoires sur le Congo et deux livres, un de philosophie et un d’économie. Il visite aussi plusieurs pays d’Europe de l’Ouest dans le but de tester une nouvelle fausse identité et les documents (passeport, etc.) créés pour lui à cet effet par le DGI, les services spéciaux cubains, en vue de son futur voyage en Amérique du Sud.

En 1966 et 1967 la localisation du Che est toujours tenue secrète. Des représentants du mouvement d’indépendance du Mozambique disent l’avoir rencontré fin 1966 ou début 1967 à Dar es Salam, où ils auraient rejeté son offre d’assistance à leur révolution. Entre mars et juillet 1966, il aurait en fait été en Tchécoslovaquie, avec Haydee Tamara Bunke Bider (alias Tania), à Ladvi, 25 km au sud de Prague. Il y récupère, après le Congo, de son asthme, et aurait alors déclaré: “Tout ici est ennuyeux, gris et sans vie. Ce n’est pas le socialisme, mais l’échec du socialisme”.

Pendant cette période, Castro continue à demander son retour à Cuba. Guevara y consent, quittant la Tchécoslovaquie pour Cuba le 19 juillet 1966, mais à condition que sa présence y reste secrète et que son séjour serve à organiser une nouvelle révolution en Amérique latine. Afin d’éviter tout risque de fuite, il visite ses enfants déguisés, sans leur dévoiler son identité.

Le Che hésite beaucoup à entamer une guérilla en Argentine, où un coup d’Etat militaire mené par le général Onganía vient d’avoir lieu (juin 1966), mais en est dissuadé par Castro qui pense l’armée argentine beaucoup plus efficace que la bolivienne.

Dans un discours en mai 1967, le ministre de la Défense cubain annonce que Guevara “sert la révolution quelque part en Amérique du Sud”.

En 1966 la Bolivie est gouvernée par une dictature militaire dirigée par le général René Barrientos, qui avait renversé dans un coup d’État le président élu Víctor Paz Estenssoro et mis fin à la révolution de 1952.

À la demande de Castro, un terrain est acheté dans la jungle de la région isolée et montagneuse de Ñancahuazú par le Parti communiste bolivien pour servir de camp d’entraînement. Celui-ci est situé dans une zone géographique très éloignée des demandes de Guevara qui s’incline néanmoins afin de ne pas perdre de temps. Il y arrive le 7 novembre 1966, jour où commence son Journal de Bolivie. Auparavant, c’est déguisé en prêtre qu’il est allé rencontrer Juan Perón exilé à Madrid afin d’essayer d’obtenir sans succès l’assistance des péronistes argentins dans la guérilla bolivienne.

Le groupe de 47 guérilleros, qui prennent le nom d’Ejército de Liberación Nacional(ELN, “Armée de libération nationale”) est composé en majorité de Boliviens mais aussi de seize Cubains de l’entourage très proche de Guevara et de quelques Péruviens et Argentins. Il a quelques groupes d’appui en milieu urbain.

Peu a été accompli pour créer une véritable armée de guérilla, qui n’a jamais recueilli l’adhésion de la paysannerie. Guevara pensait avoir l’assistance des dissidents locaux. Or, le PC local est plus tourné vers Moscou que La Havane et ne l’aide pas malgré ses promesses. De plus, l’inflexibilité du Che, qui refuse de laisser le contrôle de la guérilla au PC bolivien, n’aide pas à conclure un accord avec le secrétaire général Mario Monje qui vient les rencontrer clandestinement. Cette tendance existait déjà lors de la campagne cubaine mais avait été limitée par la diplomatie de Castro. L’agent de liaison principal à La Paz, Haydee Tamara Bunke Bider dite “Tania”, l’unique femme du groupe, est une ancienne membre de la Stasi, aussi considérée comme un agent du KGB. Cette dernière aurait inconsciemment ou non aidé les intérêts soviétiques en mettant les autorités boliviennes sur la piste de Guevara.

Le 9 mars 1967 des militaires en congé et en civil allant pêcher rencontrent, sans heurts, des guérilleros et le 11, deux déserteurs de l’ELN sont capturés, ce qui alerte le gouvernement bolivien qui demande alors l’aide des États-Unis et des pays voisins. Sur indications des déserteurs, le campement est découvert, ainsi que peu après de nombreuses caches qui contiennent documents, vivres et photos qui servent à l’identification du Che par la CIA. Les guérilleros doivent abandonner leur campement pour échapper à un encerclement de l’armée bolivienne et prendre dans leurs rangs des membres de la section de soutien urbain comprenant Tania, le Français Régis Debray et l’Argentin Ciro Bustos .

Le 23 mars, les forces de l’ELN sortent victorieuses de premières escarmouches contre l’armée régulière beaucoup moins expérimentée dans un terrain difficile et montagneux. Mais, les guérilleros ne disposent plus de contact radio constant avec La Havane: les deux transmetteurs fournis sont défectueux; l’inorganisation et le manque de préparation ont amené certains historiens à soupçonner un sabotage. L’unique lien des guérilleros avec le monde n’est plus qu’un vulgaire récepteur radio. Malgré la nature violente du conflit, Guevara donne des soins médicaux à tous les soldats boliviens blessés et relâche tous les prisonniers.

Le Che divise ses forces le 17 avril, afin d’extraire de la zone Régis Debray et Ciro Bustos, qui ne supportent plus les conditions de vie de la guérilla, et pour qu’ils puissent transmettre des messages à Cuba et aux communistes argentins. Guevara met Juan Vitalio Acuña Núñez (“Vilo”) au commandement de la deuxième colonne. Les deux groupes ne peuvent se retrouver au point de rencontre prévu trois jours après, car Vilo a été obligé de se déplacer en raison de la proximité de l’armée bolivienne. En l’absence d’un lieu de rendez-vous alternatif et n’ayant aucun moyen de communications entre eux, ils ne pourront jamais se réunir à nouveau.

C’est à cette période que Guevara écrit le Message aux peuples du monde qui est lu à la réunion tricontinentale (Asie, Afrique et Amérique Latine) à Cuba, et qui contient ses affirmations les plus radicales : il y propose une guerre mondiale ouverte contre les États-Unis, contredisant ouvertement la coexistence pacifique prônée par l’Union Soviétique et les partis communistes qui suivent Moscou. Le Che commence le document avec une de ses phrases les plus célèbres:

Créer deux, trois… de nombreux Vietnam, telle est la consigne.

L’ELN est durement frappé le 20 avril lorsque Régis Debray et Ciro Bustos sont capturés. Tous deux sont torturés par les forces gouvernementales et livrent des informations clefs dont la confirmation de la présence du Che en Bolivie. Les preuves d’un accord de Debray avec la CIA (informations contre arrêt des tortures et promesse d’une peine clémente) ont été découvertes ; d’autres évoquent également d’informations et de dessins donnés par Bustos en échange d’un traitement de faveur pour l’identification du groupe. Aucune version n’a pu être confirmée à ce jour, mais il semble vraisemblable qu’un ensemble de renseignements, suite à leurs interrogatoires respectifs aient permis de rassembler assez d’éléments pour permettre aux forces boliviennes d’identifier, tracer et intercepter le groupe . Ciro Bustos vit quant à lui en exil en Suède.

Guevara pense avoir uniquement affaire à l’armée bolivienne, mal entraînée et mal équipée. Cependant, quand le gouvernement américain apprend sa localisation, la CIA et les Special Forces (incluant un bataillon de United States Army Rangers basé non loin de la zone de guérilla), sont envoyés pour entraîner et soutenir les militaires boliviens. En mai, l’armée arrête les paysans soupçonnés d’aider les guérilleros, après avoir retiré des hôpitaux environnants tous les médicaments contre l’asthme.

De nombreux combats ont lieu durant l’été. Le 1er août la CIA envoie deux agents cubano–américains pour renforcer la recherche de Guevara, Gustavo Villoldo et Félix Rodríguez, qui avait déjà participé à l’invasion de la Baie des Cochons. Le 31, la colonne de Vilo Acuña qui inclut Tania est prise dans une embuscade alors qu’elle traverse une rivière: Restituto Cabrera est le seul survivant, mais il est capturé et exécuté sommairement le 4 septembre. Leurs corps sont d’abord exposés comme trophées puis enterrés clandestinement.

Le dernier contact de la partie urbaine de l’ELN est arrêté le 15 septembre, alors que le dernier membre des services secrets cubains a été inexplicablement rappelé au pays par son chef, Manuel Pineiro, pro-soviétique et opposant à Che Guevara. Contrairement à ce qui c’était passé au Congo, aucune tentative n’est faite par Cuba pour aller secourir ou aider Guevara et ses hommes. Isolée, la colonne du Che est physiquement à bout, n’a plus d’eau potable et doit parfois porter son chef qui souffre de terribles crises d’asthme. Malgré tout, Guevara a toujours la même volonté et pousse toujours ses hommes en avant, comme lors du passage d’un précipice que les autres jugent impossible, mais qu’il franchit malgré son état :

Imbécile, il n’y a rien d’impossible dans cette vie, tout est possible, les impossibilités c’est l’homme qui les fait et c’est l’homme qui doit les dépasser !

Le groupe voit sa retraite coupée vers le Río Grande, ce qui l’oblige à remonter dans les montagnes vers le petit village de La Higuera où l’avant-garde est prise en embuscade et perd trois hommes le 26 septembre. Les 17 survivants s’échappent une fois de plus et le 7 octobre commencent à redescendre vers le Río Grande.

Les forces spéciales boliviennes apprennent par un informateur le lieu du campement de la guérilla. Plus de 1 800 soldats sont arrivés au village de La Higuera. Le 8 octobre 1967, le campement est encerclé dans le ravin de Quebrada del Yuro et Guevara ordonne de diviser le groupe en deux, envoyant les malades en arrière et restant avec le reste des guérilleros pour retenir les troupes boliviennes.

Après trois heures de combat, le Che est capturé avec Simón Cuba Sarabia. Il se rend après avoir été blessé aux jambes et que la culasse de son fusil a été détruite par une balle. Selon les soldats boliviens présents, il aurait crié : “Ne tirez pas, je suis Che Guevara et j’ai plus de valeur pour vous vivant que mort” ou “Il vaut mieux que vous ne me tuiez pas, je suis le Che”. Cette déclaration est en totale contradiction avec le comportement du Che lors de la guérilla cubainequ’il voulait toujours exemplaire, mais pourrait être expliquée par le fait qu’il pensait que la situation était sans issue. Une autre version de sa capture indique que ce n’est qu’une fois arrêté qu’il aurait simplement murmuré “Je suis Che Guevara” pendant que les soldats cherchaient la confirmation leurs identités dans la documentation fournie par la C.I.A. et les services secrets boliviens. Le groupe de guérilleros est dispersé. Trois hommes sont morts et un autre gravement blessé, les autres sont capturés ou tués par l’armée les jours suivants. Cinq parviennent finalement à atteindre la frontière chilienne et sont alors protégés et évacués par le sénateur socialiste Salvador Allende après avoir perdu un de leurs compagnons grièvement blessé par l’armée bolivienne qu’ils avaient alors dû achever. Selon Harry Villegas (“Pombo”), un des survivants, si Guevara avait choisi de fuir avec eux, il aurait survécu.

Quand il est emmené et qu’il voit des soldats boliviens qui ont été aussi blessés dans l’affrontement, Guevara propose de les soigner, mais son offre est refusée par l’officier responsable. Les deux prisonniers sont emmenés dans une école abandonnée dans le village voisin de La Higuera. Les corps des autres guérilleros y sont entreposés et Juan Pablo Chang capturé le lendemain, y est détenu au milieu des cadavres. Le 9 octobre au matin, le gouvernement de Bolivie annonce la mort de Che Guevara la veille dans des combats. Au même moment arrive à La Higuera le colonel Joaquín Zenteno Anaya et l’agent de la CIA Félix Rodríguez. A 13h00, le président Barrientos donne l’ordre d’exécuter les guérilléros. Même s’il n’a jamais justifié sa décision, des collaborateurs pensent qu’il ne voulait pas d’un procès public qui aurait attiré l’attention internationale non désirée sur la Bolivie comme cela a été le cas lors du procès Debray. Il ne voulait pas non plus que le Che soit condamné à une peine de prison et qu’il puisse être relâché, comme Castro en son temps.

Il existe des doutes et de nombreuses versions sur le degré d’influence de la CIAet des États-Unis dans cette décision. Le président Barrientos voit l’ambassadeur des États-Unis la veille de l’exécution du Che. Des documents de l’agence déclassifiés sous la présidence de Bill Clinton montrent que la CIA voulait éviter que l’aventure de Guevara en Bolivie se termine par sa mort mais d’autres sources montrent qu’au contraire la CIA aurait fait pression pour que Guevara soit fusillé. Ce qui est certain c’est que la CIA était sur les lieux au moment de la mort du Che.

De même plusieurs versions existent sur qui a donné l’ordre d’exécuter Guevara. Selon certaines sources, c’est l’agent Rodríguez qui reçoit l’ordre d’exécuter Guevara par radio de Zenteno et les transmet aux officiels cubains présents sur place. Selon d’autres témoignages dont celui du pentagone, c’est le capitaine Gary Prado Salmon, chef des rangers boliviens qui a décidé d’exécuter le Che, ou selon d’autres biographes, son supérieur, le colonel Zenteno qui lui en a donné l’ordre, sur instruction de Barrientos. Rodriguez raconte qu’il a reçu l’ordre de maintenir Guevara vivant pour l’interroger lorsque la CIA apprend la capture. Un hélicoptère et un avion étaient affrétés pour pouvoir l’amener au Panamá mais le colonel Joaquin Zentena, commandant les forces boliviennes dit qu’il n’avait d’autre choix que d’obéir à ses supérieurs.

Rodríguez donne les instructions pour l’exécution à Mario Terán, un sergent de l’armée bolivienne, afin de ne pas le défigurer et que les blessures infligées à Guevara aient l’air d’avoir été au combat. Selon les versions, Teràn avait été désigné pour tuer Guevara par le hasard d’un tirage à la courte paille parce qu’une querelle sur qui aurait ce “privilège” avait eu lieu dans la troupe, ou sur ordre direct du colonel Zenteno. Dans le récit de Rodriguez, c’est lui qui annonce son exécution à Che Guevara. Ce dernier lui confie un message pour sa femme, les deux hommes s’embrassent puis Rodriguez quitte l’école. Cette version est contestée par le chef des forces spéciales boliviennes, le capitaine Gary Prado, qui souligne au contraire que Rodriguez n’avait eu qu’un seul échange avec Guevara : Rodriguez avait menacé le Che qui lui avait en réponse craché au visage en l’accusant d’être un traître.

Entre temps de nombreuses personnes ont pu venir rendre visite à Guevara, dont l’institutrice du village qui lui apporte à manger et rapporte une réponse du Che lors de sa dernière discussion avec lui : “Pourquoi avec votre physique, votre intelligence, votre famille et vos responsabilités vous êtes vous mis dans une situation pareille ?” “Pour mes idéaux”.

Peu avant le Che, Simeón Cuba et Juan Pablo Chang sont exécutés sommairement.

En 1977, la revue Paris Match publie un entretien avec Mario Terán qui relate les derniers instants de Che Guevara :

Je suis resté 40 minutes avant d’exécuter l’ordre. J’ai été voir le colonel Pérez en espérant que l’ordre avait été annulé. Mais le colonel est devenu furieux. C’est ainsi que ça s’est passé. Ça a été le pire moment de ma vie. Quand je suis arrivé, le Che était assis sur un banc. Quand il m’a vu il a dit Vous êtes venu pour me tuer. Je me suis senti intimidé et j’ai baissé la tête sans répondre. Alors il m’a demandé: Qu’est ce qu’ont dit les autres ?. Je lui ai répondu qu’ils n’avaient rien dit et il m’a rétorqué: Ils étaient vaillants!. Je n’osais pas tirer. À ce moment je voyais un Che, grand, très grand, énorme. Ses yeux brillaient intensément. Je sentais qu’il se levait et quand il m’a regardé fixement, j’ai eu la nausée. J’ai pensé qu’avec un mouvement rapide le Che pourrait m’enlever mon arme. Sois tranquille me dit-il, et vise bien ! Tu vas tuer un homme !. Alors j’ai reculé d’un pas vers la porte, j’ai fermé les yeux et j’ai tiré une première rafale. Le Che, avec les jambes mutilées, est tombé sur le sol, il se contorsionnait et perdait beaucoup de sang. J’ai retrouvé mes sens et j’ai tiré une deuxième rafale, qui l’a atteint à un bras, à l’épaule et dans le cœur. Il était enfin mort.

Son corps et ceux des autres guérilleros morts sont emmenés par l’armée bolivienne avec l’aide d’officiers américains et d’agents de la CIA en hélicoptère à Vallegrande, où ils sont exposés pour les medias du monde entier dans l’hôpital local. Des centaines de personnes, soldats, civils et curieux viennent voir le corps. Les nonnes de l’hôpital et les femmes de la ville notent sa ressemblance avec les représentations de Jésus et coupent de mèches de ses cheveux pour les garder en talisman. Les photographies qui sont prises du Che aux yeux ouverts donnent naissance à des légendes telles que San Ernesto de La Higuera et El Cristo de Vallegrande. Un culte religieux du Che lié au catholicisme est apparu au début des années 1990 dans les régions de Vallegrande et de La Higuera, avec des messes dites en son nom.

Après son amputation des mains par un médecin militaire afin d’authentifier le corps et de garder une preuve de sa mort, des officiers boliviens transfèrent les dépouilles dans un endroit tenu secret. Après son exécution, les militaires boliviens et Félix Rodríguez se partagent les possessions du Che, y compris deux montres (dont une Rolex qui avait été remise au Che par un de ses compagnons mourant) et le journal de Guevara en Bolivie qui disparaît pendant des années. Aujourd’hui certaines de ses affaires, y compris sa lampe torche, sont exposées au siège de la CIA.

Le 15 octobre, Castro reconnaît la mort de Guevara et proclame trois jours de deuil national. Sa mort est perçue sur le moment comme un coup sévère porté à la révolution sud-américaine et au Tiers monde.

En 1997, les restes de Guevara et de plusieurs guérilleros sont exhumés et identifiés par analyse de l’ADN, puis renvoyés à Cuba. Il est enterré avec six de ses compagnons d’armes de Bolivie dans un mausolée situé dans la ville de Santa Clara après des funérailles de héros national.

Alors que des photos du corps de Guevara étaient diffusées dans le monde entier et les circonstances de sa mort débattues, sa légende a commencé à s’étendre. Des manifestations contre son exécution, des articles, des hommages, des chansons et des poèmes ont été écrits sur sa vie et sa mort.

Les spécialistes de l’Amérique latine conseillant le Département d’État des États-Unis ont reconnu l’importance de la fin “du révolutionnaire le plus glamour et ayant la réputation d’avoir connu le plus de victoires”, notant que Guevara deviendrait pour les communistes et autres courants de gauche “le modèle révolutionnaire qui a rencontré une mort héroïque”. Mais les réactions sur les conséquences de la mort du Che suivaient typiquement des lignes partisanes, le département d’État américain avait finalement conclu que sa mort serait un soulagement pour les gouvernements d’Amérique Latine qui redoutaient des soulèvements dans leurs propres pays.

Ces prédictions ont été fondées quand Guevara est devenu un puissant symbole de rébellion et de révolution pendant les manifestations étudiantes globales de Mai 68. Des activistes de gauche admiraient l’apparente indifférence de Guevara aux récompenses et à la gloire et approuvaient sa justification de la violence comme nécessité pour établir l’idéal socialiste. Le slogan “Le Che est vivant !” (Che lives !) a commencé à apparaître sur les murs de tout le bloc ouest, alors que Jean-Paul Sartre, une personnalité et théoricien du mouvement, encourageait son adulation en décrivant Guevara comme “l’être humain le plus complet de notre époque”.

En dépit des controverses, le statut du Che comme icône populaire a continué à travers le monde et les époques, amenant à parler d’un “culte du Che” global. Une photographie de Che Guevara prise par Alberto Korda est devenue une des images les plus célèbres du XXème siècle. Transformé en graphique monochrome, le portrait a été reproduit sur toutes sortes de supports comme des tee-shirts, des posters, des tasses à café ou des casquettes, une manière plutôt ironique de faire de larges profits à partir du symbole de l’anticapitalisme.

L’image de Che Guevara est à comparer à une mode globale, perdant souvent beaucoup sa connotation idéologique et politique, et le culte du Che a été parfois relativisé comme un simple “romantisme révolutionnaire adolescent”.

À l’inverse, le journaliste Paul Berman critique vivement des films sur Guevara comme The Motorcycle Diaries. Il soutient que le culte moderne du Che occulte les très importantes luttes sociales et politiques qui ont aujourd’hui lieu à Cubacontre la dictature et empêche un meilleur soutien aux dissidents comme Raúl Rivero.

L’auteur Christopher Hitchens, un supporter de la révolution cubaine dans les années 1960, a résumé l’héritage de Guevara ainsi: “Le statut d’icône historique du Che a été assuré parce qu’il a échoué. Son histoire est une histoire de défaite et d’isolement, et c’est pourquoi il est si séduisant. Aurait-il vécu, et le mythe du Che serait mort depuis longtemps”.

Des mèches de cheveux du Che, photos inédites de son cadavre et empreintes digitales ont été vendues aux enchères à Dallas, le 25 octobre 2007, pour une valeur de 100 000 dollars, par Gustavo Villoldo, un des agents de la CIA qui avait participé à sa traque en Bolivie. La veuve de Che Guevara, Aleida March, a protesté contre ces enchères.

Outre la célèbre chanson Hasta Siempre, les chansons concernant le Che ont été nombreuses en particulier en langue espagnole.

Dans les années 1990, l’échec des réformes néolibérales en Amérique Latine a intensifié l’opposition au consensus de Washington, amenant la résurgence de nombreuses opinions politiques de Che Guevara tel que le panaméricanisme, le soutien de fronts populaires dans la région, la nationalisation d’industries clefs et la centralisation du gouvernement.

Au Nicaragua, les sandinistes guévaristes ont été réélus en 2006 après 16 ans au pouvoir, leurs supporters portant des tee-shirts de Guevara. Le président bolivien, Evo Morales a rendu hommage de nombreuses fois à Guevara et a installé un portrait de l’Argentin fait de feuilles de coca locales dans sa suite présidentielle.

En 2006, le président du Venezuela Hugo Chávez, qui est connu pour faire ses discours avec un tee-shirt du Che, a accompagné Fidel Castro pour une visite à Alta Gracia, la ville de la Province de Córdoba en Argentine, où Guevara avait vécu quelques années durant son enfance, accompagné d’une foule de milliers de personnes proclamant des slogans Guevaristes. La fille de Guevara, Aleida a écrit un livre d’entretiens avec Chávez où il explique ses plans pour “la nouvelle Amérique Latine”.

Guevara reste une des inspirations de la structure socioéconomique des FARC-EP, les Forces armées révolutionnaires de Colombie, et de l’Armée zapatiste de libération nationale au Mexique.

À Cuba, la mort de Guevara a précipité l’abandon de la guérilla comme instrument de politique étrangère, accélérant un rapprochement avec l’Union soviétique, et le remaniement du gouvernement selon des critères soviétiques. Quand des troupes cubaines sont retournées en Afrique dans les années 1970, cela a été dans le cadre d’une expédition militaire à grande échelle, et le soutien des mouvements révolutionnaires en Amérique latine et dans les Caraïbes devint logistique et organisationnel. Cuba a abandonné également les plans de Guevara de diversification économique et d’industrialisation qui était impraticable dans le cadre du COMECON.

Dès 1965, le journal yougoslave communiste Borba a observé de nombreuses usines abandonnées ou jamais terminées à Cuba, héritage du plan d’industrialisation raté.

L’état cubain continua à cultiver le culte de personnalité du Che, inaugurant de nombreuses statues et œuvres d’art en son honneur sur tout le territoire, décorant les écoles, les lieux de travail, les bâtiments publics, produisant des affiches et des billets à son image. Les enfants du pays commencent chaque jour d’école avec le chant “¡Pioneros por el Comunismo, Seremos como el Che!”(“Pionniers du communisme, nous serons comme le Che !”). Le mausolée de Che Guevara à Santa Clara est devenu un site de signification presque religieuse pour beaucoup de Cubains pendant que le tourisme bénéficiait grandement de l’intérêt international pour le Che. Sur 205 832 personnes qui ont visité le mausolée en 2004, 127 597 étaient des étrangers.

Canek Guevara, petit-fils du Che, a choisi de quitter Cuba en raison de son opposition au régime qu’il considère comme étant un capitalisme d’État. Il se dit “guévariste”, mais déclare que le Che “a commis des erreurs en apportant son appui à une révolution qui se transforma en dictature”.

Richey Edwards a dit de cette chanson (Revol ou “lover” lu à l’envers) : “Tous ces vers comme Brezhnev married into group sex ne sont que des analogies. Ce qu’elles essayent de dire, c’est que les relations en politique, et en général, sont des échecs”.

Melancholy Flower


http://www.polemicacubana.fr/?p=12504
Image------------ Demain Le Grand Soir --------- --------- C’est dans la rue qu'çà s'passe --------
Avatar de l’utilisateur-trice
Pïérô
 
Messages: 22436
Enregistré le: 12 Juil 2008, 21:43
Localisation: 37, Saint-Pierre-des-Corps

Re: Cuba

Messagede bipbip » 25 Jan 2018, 21:36

1960, Manifeste des syndicalistes libertaires de Cuba

La révolution Cubaine ne fut pas l'oeuvre unique des "barbudos" (Ché Guevara, Fidel Castro...) mais aussi de militants anarchistes ( en general anarchosyndicalistes sur l ile) qui furent, par la suite, traqués, emprisonnés, voir executés par le gouvernement castriste

Voici le texte du manifeste adopté par les libertaires cubains en Juin 1960.

Contre l'État sous toutes ses formes

Les adhérents de l'Association Syndicaliste libertaire, considèrent comme un devoir impérieux d'affirmer, dans cette étape de réalisations révolutionnaires de notre peuple, que nous sommes opposés, non seulement à certaines formes de l'Etat, mais à l'existence même de celui-ci comme organisme dirigeant de la société et partant, à toutes politique qui tende à créer une hypertrophie étatique, à amplifier les pouvoirs de l'Etat ou à lui donner un caractère totalitaire et dictatorial.

Les militants syndicalistes libertaires, ainsi que les camarades des autres pays estiment qu'il est impossible de réaliser une véritable révolution sociale, sans procéder en même temps qu'à l'élimination de l'Etat, en tant qu'entité politique et administrative, en lui substituant les organismes de base révolutionnaire, comme les syndicats ouvriers, les municipalités libres, les coopératives agricoles et industrielles d'usines et de paysans, libres de toutes ingérences autoritaires.

Les superstitieux de la politique croient que la société humanitaire est la conséquence de l'Etat, alors que la réalité montre que l'Etat n'est que l'expression la plus terrible de la dégénérescence de la société divisée en classes ; dégénérescence qui trouve son point culminant dans les brutales inégalités, les injustices et les antagonismes du régime capitaliste.

En définitive, l'Etat n'est qu'une excroissance parasitaire produite par le régime de Classe, appuyé sur la propriété privée des moyens de production et il doit commencer à disparaître définitivement dans l'étape de transformation révolutionnaire de la société bourgeoise en société socialiste.

Les syndicats sont les organes économiques de la révolution

Les syndicalistes libertaires affirment qu'il n'existe pas de représentation plus naturelle de la classe ouvrière que les syndicats et que par conséquent, ceux-ci sont appelés à réaliser la transformation économique de la société en remplaçant comme le dit le vieux mot d'ordre socialiste : le gouvernement des hommes par l'administration des choses

Les syndicats et les fédération d'industries, restructurées de façon rationnelle, contiennent en eux-mêmes tous les éléments techniques et humains nécessaires, pour développer pleinement les plans d'industrialisation collective.

Face aux arrivistes de la politique révolutionnaire et aux revanchards de la politique réactionnaire qui prétendent s'emparer de nouveau du pouvoir public, nous maintenons le critère suivant : avec la révolution sociale, non seulement les syndicats ne doivent pas disparaître, mais maintenant au contraire, en pleine période de réorganisation sociale, les organismes syndicaux ouvriers qui de moyens de luttes revendicatives se sont transformés en instruments de direction et de coordination économiques doivent remplir leur rôle le plus important et décisif.

Dans ces circonstances, la subordination des syndicats à la politique de l'Etat, bien que nous soyons dans une étape révolutionnaire et peut-être à cause de cela est une trahison envers la classe ouvrière, une basse manœuvre pour faire échouer dans un moment historique où elle doit remplir sa mission la plus importante du point de vue socialiste : l'administration au nom de la société tout entière, des moyens de production et la responsabilité d'organiser la distribution au peuple des produits de consommation nécessaires aux prix le plus bas et les plus justes.

La terre à celui qui la travaille

Les hommes et les femmes de l'Association Syndicaliste Libertaire maintiennent aujourd'hui plus que jamais la vieille consigne révolutionnaire : La terre à celui qui la travaille ". Nous pensons que le cri classique des paysans du monde entier " Terre et Liberté " est l'expression sa plus juste des aspirations immédiates des paysans cubains. Terre, afin de travailler et de la faire produire ; Liberté pour s'organiser et administrer les produits de leurs efforts et de leur sollicitude, suivant les préférences des intéressés ; par l'exploitation individuelle ou familiale, dans certains cas des fermes collectives, quand cela sera possible ; mais toujours suivant al libre volonté des paysans et non imposé par les représentants de l'Etat, qui peuvent être des hommes très capables au point de vue technique, mais dans la plus part des cas, ne connaissent pas les réalités matérielles de l'agriculture et ignorent les sentiments, les inquiétudes et les aspirations spirituelles des hommes de la terre.

Notre longue expérience des luttes révolutionnaire chez les paysans nous a convaincus que la planification de l'exploitation de la Terre, question vitale pour notre peuple, ne peut se concevoir comme un simple processus technique ; en effet, s'il existe des facteurs inertes, la terre, les machines, c'est le facteur humain qui est décisif, ce sont les paysans. C'est pour cela que nous prononçons en faveur de l'organisation du travail collectif et coopératif, sur des bases essentiellement volontaires, l'aide technique et culturelle devant être apportée comme un moyen -sans doute le meilleur- qui persuade les paysans des énormes avantages présentés par l'exploitation collective, par rapport au système individuel ou familial.

Faire le contraire, employer la contrainte et la force, serait en définitive, jeter les bases de l'échec total de la transformation agraire, c'est à dire l'échec de la révolution elle-même, dans son aspect le plus important.

En lutte contre le nationalisme

En tant que travailleur révolutionnaires, nous sommes internationalistes, partisans fervents de l'entente entre tous les peuples, par dessus toutes les frontières géographiques, linguistiques, raciales politiques et religieuses. Nous éprouvons un grand amour pour notre terre : le même que les autres pays pour le leur. De ce fait, nous sommes ennemis du nationalisme, quel que soit le manteau dont il se couvre : adversaire décidés du militarisme et de l'esprit belliqueux ; opposés à toutes les guerres ; partisans d'utiliser les énormes moyens économiques employés aujourd'hui en armements, pour diminuer la faim et le besoin des peuples défavorisés, de convertir les instruments de mort produits en quantité terrifiante par les grandes puissances en machines productrices de bien-être pour tous les Hommes de la terre.

Nous nous opposons résolument à l'éducation militariste de la jeunesse, à la création d'une armée de métier et l'organisation d'appareils militaires pour les adolescents et les enfants. Pour nous, nationalisme et militarisme sont synonymes de nazi-fascisme. Nous lutterons, invariablement et toujours pour qu'il y ait moins de soldats et davantage d'instituteurs, moins d'armes et plus outils, moins de canons et plus de pain pour tous.

Les syndicalistes libertaires sont contres toutes les manifestations de l'impérialisme démodé ; contre la domination économique des peuples qui est si en vogue en Amérique ; contre la pression militaire qui assujettit les peuples et les oblige à accepter des systèmes politiques étrangers à leur particularisme national et à leur idéologie sociale, comme cela se pratique dans une partie d'Europe et d'Asie. Nous estimons, que dans le concert des nations, les petites valent autant que les grandes et de la même façon que nous sommes adversaires des états nationaux parce qu'ils assujettissent leurs propres peuples, nous sommes aussi - et à un degré supérieur si cela est possible- ennemis des super-Etats qui se prévalent de leur force politique économiques et militaire repoussent les limites de leurs frontières pour imposer aux pays plus faibles leurs systèmes d'exploitation et de rapines. Face à toutes ces méthodes impérialistes, nous nous prononçons pour l'internationalisme révolutionnaire, pour la création de grandes confédération des peuples libres unis par des intérêts communs, des aspirations identiques par la solidarité et l'entr'aide.

Nous sommes partisans d'un pacifisme actif et militant qui rejette les subtilités dialectiques à propos des " guerres justes " et des " guerres injustes " ; d'un pacifisme qui impose la fin des armées de métier et le rejet de toutes sortes d'armes en premier lieu les armes nucléaires.

Au centralisme bureaucratique

Nous sommes, par nature, ennemis de toute forme d'organisation politique économique et sociale ayant des caractéristiques et des tendances centralisatrices. Nous estimons que l'organisation de la société humaine doit partir du simple au composé, de bas en haut, c'est à dire commencer dans les organismes de base : municipalités, syndicats, coopératives, centres culturels, associations paysannes, etc. pour s'intégrer dans les grandes organisations nationales et internationales sur la base du pacte fédéral entre égaux qui s'associent librement pour accomplir les tâches communes, sans dommage pour aucune des parties contractantes qui resteront toujours libres de se séparer des autres quand elles estimeront que cela convient à leur intérêts. Nous comprenons l'organisation sociale -aussi bien nationale qu'internationale- dans le sens et sous la forme de grandes confédérations syndicales, paysannes, culturelles, et municipales qui auront à charge la représentation de tous sans avoir d'autre pouvoir exécutif que celui qui leur sera confié, dans chaque cas par les organismes de bases fédérés. L'esprit de liberté des peuples ne peut trouver son expression complète que dans une organisation de type fédéraliste qui établisse les limites de la liberté de tous. La centralisation politique et économique que conduit comme nous le prouve l'expérience à la création d'Etats monstrueux supertotalitaires à l'agression et à la guerre entre peuples à l'exploitation et à la misère des grandes masses populaires du monde.

Sans liberté individuelle

Les syndicalistes libertaires sont partisans des droits individuels. Il n'y a pas de liberté pour l'ensemble si une partie est esclave. Il ne peut exister de liberté collective là où l'Homme en tant qu'individu est victime de l'oppression. Nous disons qu'il est urgent de garantir les droits de l'homme, c'est à dire la liberté d'expression, le droit au travail et à une vie décente, ma liberté de religion , l'inviolabilité du domicile, le droit d'être jugé par des personnes impartiales et justes, le droit à la culture et à la santé, etc. sans cela, il n'existe pas de possibilité de co-existence humaine et civilisée.

Nous sommes contre la discrimination raciale, les persécutions politiques, l'intolérance religieuse et l'injustice économique et sociale. Nous sommes partisans de la liberté et de la justice pour tous les hommes y compris pour les ennemis de la liberté et de la justice mêmes.

La révolution appartient à tous

L'Association syndicalistes libertaire renouvelle sa volonté d'appuyer la lutte pour la libération totale de notre peuple et affirme que la révolution n'appartient à personne en particulier, mais au peuple en général. Nous appuierons, comme nous l'avons fait jusqu'à ce jour, tous les moyens révolutionnaires tendent à résoudre les maux anciens dont nous soufrons, mais nous lutterons aussi sans trêve, ni repos, contre les tendances autoritaires qui s'agitent dans le sein même de la révolution.

Nous avons été contre la barbarie et la corruption du passé ; nous lutterons contre toutes les déviations qui prétendent amoindrir notre révolution claquant les modèles super-autoritaires qui écrasent la dignité humaine dans d'autres pays.

L'Etat quoi qu'en disent ses adorateurs de droites ou de gauche, est aussi quelque chose de plus qu'une excroissance parasitaire de la société de classes : c'est une source génératrice de privilèges économiques et politiques et de ce fait de nouvelles classes privilégiées.

Les vieilles classes réactionnaires qui essaient désespérément de reconquérir leurs privilèges abolis, nous trouvent dressés contre elles. Les nouvelles classes d'exploiteur et d'oppresseurs qui pointent déjà à l'horizon révolutionnaire, également. Nous sommes avec la justice, le socialisme et la liberté.

Nous luttons pour le bien-être de tous les Hommes, quelles que soient leur origine, leur religion ou leur race. Dans cette ligne révolutionnaire, travailleurs, paysans, étudiants, hommes et femmes de Cuba, nous resterons jusqu'à la fin. Pour ces principes, nous risquerons notre liberté et si c'est nécessaire, notre vie.

La Habana Juin 1960.


https://www.facebook.com/notes/flores-m ... 202320537/
Avatar de l’utilisateur-trice
bipbip
 
Messages: 35413
Enregistré le: 10 Fév 2011, 09:05


Retourner vers Histoire

Qui est en ligne

Utilisateurs parcourant ce forum : Aucun-e utilisateur-trice enregistré-e et 8 invités