Nouvelle-Calédonie - Kanaky

Re: Nouvelle-Calédonie - Kanaky

Messagede bipbip » 03 Mai 2018, 18:48

Prise d’otages d’Ouvéa. Les témoins racontent la violence coloniale

Le 5 mai 1988, la prise d’assaut de la grotte d’Ouvéa faisait 19 morts indépendantistes. Pour monter l’opération, l’armée terrorise les Kanak, renouant avec les méthodes de la guerre d’Algérie, comme le montrent des témoignages recueillis à l’époque par la mairie d’Ouvéa.

En cette fin d’avril 1988, deux événements dominent l’actualité : l’élection présidentielle et la prise d’otages de gendarmes français à Ouvéa par des indépendantistes kanak. Sur fond de référendum sur l’indépendance de 1987, dont les termes ont été décidés à Paris, c’est le résultat de tensions qui durent depuis des années. Le 22 avril au matin, sur Ouvéa, une des îles de l’archipel de Nouvelle-Calédonie (Kanaky en langue locale), les indépendantistes, menés par Alphonse Dianou, attaquent la gendarmerie de Fayaoué – initialement pour l’occuper jusqu’à l’élection présidentielle –, où les trois permanents ont été récemment renforcés par 28 gendarmes mobiles. Quatre militaires sont tués par balles, et 27 otages emmenés en deux groupes. L’un sera libéré quelques jours plus tard, les 16 hommes de l’autre transportés dans la grotte « des guerriers », non loin de Gossanah, au nord de l’île.

Une île en état de siège et une population terrorisée

Paris mobilise l’armée de Nouvelle-Calédonie, plusieurs escadrons de gendarmerie mobile, dépêche 48 super-gendarmes du GIGN, des parachutistes, des fusiliers marins, et même le 11e choc (troupes d’élites dépendant des services secrets)… L’île est en état de siège et la population est terrorisée. À force de pressions, y compris de tortures (lire ci-dessous) auxquelles Bernard Pons, le ministre RPR de l’Outre-Mer « aux pleins pouvoirs », aurait assisté sans broncher (selon plusieurs témoignages recueillis en mai 1988 par le comité Pierre-Declercq de l’Union calédonienne, et la mairie d’Ouvéa que nous reproduisons ici), la grotte est repérée le 27 avril. Des négociations commencent, sous la houlette du capitaine des GIGN Legorjus et du procureur Bianconi, qui se livreront eux-mêmes (avec cinq autres gendarmes) ce jour. Selon Legorjus, qui dit l’avoir expliqué à Pons, « une reddition était possible » après la présidentielle, mais ce dernier, relayant la volonté du premier ministre Jacques Chirac, décide de donner l’assaut (avec l’accord du président Mitterrand) le 5 mai au matin. Il dure plusieurs heures et fera 19 victimes, dont 12 – fait anormalement élevé selon les médecins légistes – morts d’une balle dans la tête, ce qui accréditerait la thèse d’exécutions sommaires avancée par les indépendantistes. Et même si une amnistie générale pour les preneurs d’otages et les militaires impliqués dans les morts suspectes a été décrétée à la suite des accords de Matignon de juin 1988, le doute subsiste.

Grégory Marin


https://www.humanite.fr/prise-dotages-d ... ale-654814
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Re: Nouvelle-Calédonie - Kanaky

Messagede bipbip » 06 Mai 2018, 16:44

« Ils ont fouillé partout (…) tout a été volé »

Lomani et Anna Omniwack racontent la dévastation après le passage des militaires, partis le 29 avril.

Lomani et Anna Omniwack racontent la dévastation après le passage des militaires, partis le 29 avril. « Nous avons été surpris de voir que la porte était cassée en deux. Celle de ma chambre aussi. Tout était par terre. Tout était mélangé : médicaments, linge. L’armoire était cassée. Elle était tombée par terre. Ma femme a cherché notre argent. Elle l’avait touché le jour même. À peu près 70 000 F (franc Pacifique – ndlr). C’était notre mandat car nous sommes tous les deux retraités. (…) Ils ont tout volé. (…) Ils ont cassé la vaisselle, les bijoux de ma femme. Tout était renversé. (…) Les valises, la malle de mon père et de ma mère que je gardais en souvenir, tout était détruit. Ils ont fouillé partout. Les couvre-lits étaient déchirés. Ils ont également saccagé l’armoire des deux gosses qui avaient aussi deux petits porte-monnaie. Il y avait de l’argent pour au moins 2 000 F, en pièces de 100 F. Tout a été volé. »

https://www.humanite.fr/ils-ont-fouille ... ole-654813

«  J’ai dit au petit “Cours, cours !” »

Daniel Anyigote, « petit chef » de la tribu de Wadrilla, violenté le 5 mai.

Daniel Anyigote, « petit chef » de la tribu de Wadrilla, violenté le 5 mai. « (Un militaire) m’a fait claquer un coup de fusil au-dessus de ma tête (…), le capitaine Bel Adj me traînait par les cheveux (…). À ce moment je lui disais que je ne savais pas où était Oukewen Gérard, il n’était pas ici. Il me proférait des paroles comme “je vais te faire sauter la cervelle”. (…) C’est malheureux quand on embarque des petits chefs ici. Il m’a traîné jusqu’en bas au rivage sous les cocotiers (…), à plat ventre, et il était en train de me casser les reins avec ses rangers, toujours le capitaine, ensuite il m’a fait relever et m’a dit de faire venir les jeunes (…). Il menaçait un jeune, un tout petit, de son fusil (un enfant de 10 ans). Le gars est parti en pleurant, il avait peur du capitaine qui le menaçait de son fusil : il lui a dit : “Si tu ne pars pas chercher (Oukewen – ndlr) je te tire dessus.” (…) J’ai dit au petit “cours, cours”. »

https://www.humanite.fr/jai-dit-au-peti ... urs-654812

« Tu mourras avec tes militaires »

Joseph Tangopi faisait partie des « porteurs de thé » qui ravitaillaient quotidiennement la grotte. Il s’y est retrouvé coincé le 5 mai.

Joseph Tangopi faisait partie des « porteurs de thé » qui ravitaillaient quotidiennement la grotte. Il s’y est retrouvé coincé le 5 mai. « Chaque fois qu’on arrivait avec notre thé, les premiers servis étaient les otages. Ensuite, les restes, c’était les Kanak. (...) Pendant l’assaut, je n’ai pas entendu que les militants allaient essayer de tuer les otages. (…) Vers midi ou 13 heures, des militaires sont rentrés dans la grotte et ont commencé à lancer des grenades à l’intérieur. Ils demandaient en même temps à (Alphonse) Dianou de libérer les otages. (...) Les militaires ont dit : “Si tu ne fais pas sortir les otages, eh bien tu mourras avec tes militaires.” (...) À ce moment-là il y avait deux militaires qui ont tiré sur Waïna parce que l’un des deux lui a dit de ne pas bouger et l’autre lui a demandé de se lever, et c’est ainsi qu’il a reçu un coup de flingue dans les côtes. Alors (ses supérieurs) lui ont demandé : Et il a répondu : “J’ai tiré parce qu’il a voulu se sauver.” (Une fois l’assaut terminé), un militaire est revenu nous demander : “Où est Lavellois ?” Et Lavellois s’est levé et il a répondu : “Je suis là.” Et l’autre a dit : “Ah c’est toi Rambo, et bien descends !” Et c’est de là que j’ai entendu un coup de fusil dans la grotte. »

https://www.humanite.fr/tu-mourras-avec ... res-654810

« C’est comme en Algérie, vous allez voir »

Cyrille Wea, secrétaire de mairie d’Ouvéa, interrogé le 25 avril.

Cyrille Wea, secrétaire de mairie d’Ouvéa, interrogé le 25 avril. « Il y avait des gendarmes qui venaient, un autre qui me disait : “Tu sais, vous avez tué le père d’un GIGN et son fils, qui est dehors, c’est lui qui va vous questionner. Tu vas voir, tu vas pisser du sang, tu vas voir un peu ce que c’est.” Il m’a menotté sur le poteau : “Sous le soleil, ça va t’éclaircir un peu les idées.” (…) “C’est comme en Algérie, vous allez voir, vous allez goûter un peu ce que c’est.” L’après-midi, un mec qui avait envie de parler venait nous voir et nous disait : “Vous allez voir ce que vous allez ramasser.” (Le lendemain), quand les militaires sont montés dans le car, il y en a un qui ressort : “Pouah ! ça pue là-dedans !” L’humiliation. (…) Quand il a plu dans la nuit (du 27 au 28 – NDLR) : “C’est bon, restez là, ça va vous laver un peu” et “sale con, sale Kanak, enculé”. (...) Mais on avait gardé la tête haute. »

https://www.humanite.fr/cest-comme-en-a ... oir-654809

« Les enfants pleuraient, ils avaient faim »

Félicité Dao, épouse d’Athanase, l’un des ravisseurs, enfermée durant une semaine par l’armée.

Félicité Dao, épouse d’Athanase, l’un des ravisseurs, enfermée durant une semaine par l’armée. « Dans la case, on était serrés avec les enfants ; on était obligées de plier les jambes pour avoir de la place et, pour aller aux toilettes, on allait dehors ou on faisait seulement dans la case. Il y avait un petit coin et nous faisions nos besoins dedans. Les enfants pleuraient toujours. Ils avaient faim. Il y avait un bébé qui pleurait toujours parce qu’il avait faim et il y avait pas d’eau chaude. Il buvait du lait et puis sa mère était obligée de le porter dans la nuit pour qu’il arrête de pleurer. Ce qu’ils faisaient aux autres, dehors, nous les empêchions (les enfants – NDLR) de regarder par la fenêtre. Nous étions obligés de rester toujours assis ou dormir. C’est cela que nous faisions seulement dans la case. Nous empêchions aussi les enfants de jouer pour qu’ils ne fassent pas de bruit. (...) Nous étions toujours enfermés, on ne sortait pas. »

https://www.humanite.fr/les-enfants-ple ... aim-654808

« Il a dit : ‘‘Je vais te couper la main, parle !’’ »

Bruno Mataou, de la tribu de Téouta, torturé le 25 avril

Bruno Mataou, de la tribu de Téouta, torturé le 25 avril. « Un (militaire) est arrivé avec un tamioc (une hachette traditionnelle – NDLR) et il a dit : “Laisse, je vais lui couper un doigt, amène-le.” Ensuite, il m’amène devant la porte. Là, devant la porte, il y a une fenêtre ; il a dit : “Pose ta main.” J’ai posé ma main. Il a dit : “Je vais te couper la main, parle !” Je répondais toujours la même chose, je ne savais rien. Je lui ai dit : “Tu veux couper combien ? Tu peux tout couper.” Là, il s’est arrêté. (...) Ils sont allés chercher mon fils. Moi, ils m’ont fait sortir, et ils ont mis mon fils à ma place. (...) Je crois qu’ils l’ont torturé, car j’ai entendu crier. »

https://www.humanite.fr/il-dit-je-vais- ... rle-654807

« Vous êtes assez libres quand c’est la France ici »

Maki Wea, de la tribu de Gossanah, torturé le 25 avril.

Maki Wea, de la tribu de Gossanah, torturé le 25 avril. « Ils m’ont collé au mur, les mains en l’air, puis ils ont commencé à m’interroger, me questionner. Moi, je ne répondais rien ; je disais que je ne savais pas. (…) Le GIGN avait une matraque à décharges électriques. Il a commencé à me mettre la matraque électrique au menton, chaque fois que je ne répondais pas aux questions, il appuyait (et) je tombais par terre à cause de l’électricité. (…) Chaque fois que je ne répondais pas, il me piquait avec la matraque électrique au cou, ensuite à la poitrine, au ventre, j’ai compté, j’ai reçu au moins 6 à 7 décharges électriques. (…) De la maison, j’entendais les cris de mes neveux, des jeunes qui étaient dehors, ils étaient torturés, mais je ne pouvais pas les voir. (…) Ils me parlaient de la Libye, des Russes : “Pourquoi vous demandez l’indépendance ? Si vous avez l’indépendance demain, la Libye ou les Russes vont faire une base militaire ici à la tribu. (…) Pourquoi vous demandez l’indépendance ? Vous êtes assez libres quand c’est la France ici.” »

https://www.humanite.fr/vous-etes-assez ... ici-654806
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Re: Nouvelle-Calédonie - Kanaky

Messagede bipbip » 06 Mai 2018, 20:32

Le massacre de la grotte d’Ouvéa

A un an du référendum sur l'indépendance de la Kanaky, il est temps de faire un retour sur un épisode tragique de l'histoire de cette colonie, le massacre organisé par l’État français d’indépendantistes kanaks dans la grotte d'Ouvéa qui rappelle ce qu'est un pouvoir coloniale. Et c'est 30 ans après le massacre de la grotte d'Ouvéa que le référendum pour l'indépendance de la Kanaky va avoir lieu.

... http://www.revolutionpermanente.fr/Le-m ... te-d-Ouvea
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Re: Nouvelle-Calédonie - Kanaky

Messagede bipbip » 08 Mai 2018, 13:34

Ouvéa une tragédie coloniale

5 mai 1988 : l’opération « Victor » en Nouvelle-Calédonie

5 mai 1988 : l’opération « Victor » est lancée par les autorités françaises sur la grotte d’Ouvéa, où une trentaine d’indépendantistes kanaksretiennent 16 gendarmes en otages. Bilan de l’assaut guerrier : 2 morts parmi les attaquants, 19 côté insurgés ; tous les otages sont libérés. L’anthropologue Alban Bensa, spécialiste de la civilisation kanak, a vécu les « événements » de l’intérieur. Il dévoile les rouages méconnus d’un drame qui aurait pu être évité et dont l’écho résonne encore à l’approche d’un référendum décisif.

Pourquoi revenir sur le drame d’Ouvéa aujourd’hui ? D’abord, pour mieux analyser, avec le recul, ce que ces événements tragiques peuvent nous enseigner sur les différentes idées et modalités d’action de leurs protagonistes. Ensuite, à quelques mois d’un référendum d’autodétermination décisif pour l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, afin de rappeler que, comme en 1988, les deux projets politiques, a priori incompatibles, qui s’affrontèrent à cette époque par les armes, sont toujours en lice sur le « Caillou ».

Sur l’île d’Ouvéa, l’attaque de la gendarmerie de Fayawé par des indépendantistes kanak, au matin du 22 avril 1988, coûta la vie à quatre gendarmes. Les deux assauts de la grotte de Gossanah, le 5 mai suivant, firent deux morts parmi les quelque trente hommes mobilisés au sein du GIGN et d’une unité d’élite de parachutistes de l’armée (le 11e Choc), et dix-neuf victimes dans les rangs des preneurs d’otages et de leurs soutiens, dont certains désarmés. Au total, vingt-cinq morts. Comment les partisans d’un accès de la Nouvelle-Calédonie à l’indépendance et les autorités politiques d’État ont-ils pu en arriver à cette tragédie ?
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Re: Nouvelle-Calédonie - Kanaky

Messagede bipbip » 12 Mai 2018, 20:51

Kanaky, quand le peuple voulait s’éduquer lui-même...

Alors que Macron - et son ministre Blanquer étaient il y a quelques jours en Kanaky, nous proposons à nos lecteurs et lectrices un article publié dans la revue N’Autre école (et repris dans une version plus longue dans l’ouvrage De l’autogestion, publié aux éditions CNT-RP) sur l’histoire méconnue de l’école en Kanaky et de la naissance des Écoles populaires Kanak au milieu des années 80 ...

Épisode méconnu, l’appel au boycott de l’école coloniale et la création d’une éducation populaire kanak (1) à l’occasion des « événements » qui ont secoué la Nouvelle-Calédonie au milieu des années 1980, est l’une des rares expérimentations à grande échelle (entre 6 et 15 % des enfants kanak concernés, selon les sources (2)) d’une « pédagogie sociale » par, à travers et pour le milieu.

Elle s’inscrit dans une longue tradition de lutte et de résistance que nous avons choisi de faire débuter ici, avec l’arrivée de Louise Michel et des communards en terre kanak.

Sommaire
- Article
- Encadré les EPK en 1995
- Encadré l’enseignement des langues kanak
- Chronologie
- Bibliographie
- Notes


Décembre1873 : c’est à bord de La Virginie, vieille frégate à voile reconvertie en « bateau-cage » pour le transport des bagnards, que les proscrits de la Commune de Paris atteignent la Nouvelle-Calédonie. Cela fait tout juste vingt ans que le « Caillou » a été officiellement intégré à l’Empire colonial français et sert de prison à ciel ouvert pour des insurgés venus du bout du monde. Outre les révoltés parisiens, on y croise également une poignée de rebelles kabyles rescapés de la féroce répression de 1872 (3).

Démoralisés, livrés à eux-mêmes et ruminant leur échec, les communards vivent en vase clos. Rares sont ceux qui s’intéressent au sort des indigènes, ces Kanak qui refusent pourtant, les armes à la main, de se soumettre à l’ordre colonial.

Louise Michel sera de ceux-là. Ancienne institutrice (4), elle reprend du service au sein de la communauté des déportés. Mais très vite, elle se découvre une proximité avec le peuple kanak, faisant l’effort d’apprendre sa langue et s’ouvrant à sa culture et ses traditions (elle publiera un recueil de contes et légendes kanak à la suite de son séjour (5)). Fidèle à sa devise d’ « apprendre toujours et de partager ce savoir », partageant leur révolte dans un même élan de résistance et d’espérance, elle devient à la fois leur élève et leur enseignante – ce qui lui vaudra, selon la légende, une relégation au « quartier des Incorrigibles (6). » Elle raconte dans ses Mémoires comment elle enseignait aux Kanak, à partir des rudiments de langue qu’elle maîtrisait, mettant au point des méthodes nouvelles de lecture et d’écriture à l’aide de lettres mobiles.

Je reviendrai !

En 1878, elle prend fait et cause pour le soulèvement d’Ataï, quand nombre de déportés n’hésitent pas à se ranger du côté de leurs anciens bourreaux.

Une fois l’ordre rétabli, le gouverneur Olry expédie les têtes coupées des chefs rebelles (7) à Paris pour l’Exposition universelle. Les vaincus sont vendus comme esclaves à des négriers. Un demi-millier de Kanak sont ainsi transportés sur les côtes du Chiapas pour connaître le servage des peones tzotziles ou tzeltales, où ils seront décimés par une épidémie de vérole (8).

Quelques mois avant que Jules Ferry – père de l’école républicaine mais également chantre du colonialisme français – ne proclame ses lois scolaires, l’exemple de Louise Michel se dresse comme un contre-modèle éducatif, inspiré des idéaux pédagogiques de la Commune, où l’instruction – considérée comme un outil d’émancipation et non de domestication - s’acquiert dans le respect des cultures opprimées (9).
On prétend que la communarde a fait don aux insurgés kanak de la fameuse écharpe rouge qu’elle arborait sur les barricades. « Je reviendrai ! », leur promet-elle, depuis le pont du navire la ramenant vers la France. Faut-il alors voir dans l’aventure des Écoles populaires kanak (EPK), un lointain écho aux rêves de la pétroleuse ?

Du boycott scolaire aux Écoles populaires kanak

En 1985, un siècle après les adieux de Louise Michel – et l’instauration des lois scolaires de Jules Ferry – le vent de l’insurrection souffle à nouveau sur la Nouvelle-Calédonie. Au cri de « Indépendance et socialisme », le peuple Kanak, organisé au sein de FLNKS et de l’USTAKE (10), défie le système colonial, dont l’école est un rouage essentiel, au point que « Le système éducatif - le contenu des programmes, la composition du corps enseignant, etc. - est, avec la terre, le point focal des revendications et des pressions kanak (11). »
Pour le gouvernement indépendantiste issu des barricades, il y a « urgence [à] mettre en place une école populaire kanak » (« Instruction du gouvernement de Kanaky aux Comités de lutte », 28 février 1985) pour partir à la conquête de l’indépendance éducative, culturelle, politique et économique.

Cette résolution, qui accompagne les occupations de terre et les barrages, appelle au « boycott scolaire » et invite les Comités de lutte à déserter les établissements coloniaux pour créer, investir et animer des écoles populaires kanak.

Histoire et échec de l’école coloniale

« 130 ans pour faire un médecin. [...] 1000 enfants kanak en maternelle, 15 ans plus tard, 4 bacheliers (12) » ; c’est avec cette ironie amère que le mouvement kanak dresse le bilan de l’éducation coloniale. À partir des années 1970, les premiers mouvements indépendantistes, comme le Groupe 1878 (en référence au soulèvement d’Ataï), intègrent la question éducative à la lutte politique : « Nous avons reçu l’éducation de la domination, c’est une éducation dont le but était de ne pas tenir compte de la façon dont les populations locales pensent et agissent, elle est orientée de telle sorte que le passé traditionnel est une donnée sans aucune importance » (Andi Ma Dhôn, juillet 1976). Tout au long de ces années, des campagnes autour des enjeux éducatifs sont menées : l’occupation, entre 1976 et 1978 d’un foyer pour étudiants calédoniens à Paris par des étudiants et des conscrits militaires, et une série de mobilisations, entre 1979 et 1981, pour s’opposer aux licenciements, par les autorités scolaires de Nouvelle-Calédonie, de personnels enseignants Kanak et pro-kanak.

En 1985, « un enfant mélanésien a 2,3 fois moins de chances objectives d’obtenir un CAP qu’un enfant européen ; il a trois fois moins de chances de glaner un BEPC, six fois moins de réussir un bac technique et douze fois moins de devenir bachelier des sections classiques (13) » ; désaveu cinglant de toutes les proclamations sur le rôle positif de la colonisation et sa mission civilisatrice. L’école en système colonial aiguise les tensions et exacerbe les mécanismes de la domination (coloniale et capitaliste). Mais, dans le même temps, confrontée aux impostures de ce système, la lutte indépendantiste met à nu ces contradictions : les Écoles populaires kanak s’inscrivent à coup sûr dans l’histoire spécifique de l’enseignement en Nouvelle-Calédonie et de sa contestation.

Évangélisation, soumission et civilisation

Dès l’annexion de l’archipel, l’éducation des « indigènes » est prise en main par les missionnaires religieux. La logique qui prédomine est celle de l’évangélisation, bien plus que celle de l’instruction. Une (ré)éducation qui prône l’éradication des langues kanak (interdites à l’école en 1863 et jusque dans les années 60-70). Le pouvoir local, à la différence de ce qui va se jouer en métropole, s’accommode et favorise cet enseignement religieux – moins coûteux et surtout conforme à l’entreprise de colonisation des esprits (la plupart de ces écoles sont des internats, ce qui permet d’arracher les enfants à leur milieu et à leur famille (14)). Jusqu’à la Première Guerre mondiale, l’enseignement public des Kanak relève d’ailleurs du ministère des Affaires indigènes et non de celui de l’Instruction publique. « Je tiens essentiellement, écrit en 1865 le Ministre de la Marine et des Colonies à ce qu’une œuvre [les écoles religieuses] dont le but principal est d’amener sans mesures violentes, la soumission et la civilisation des populations indigènes puisse se développer librement et soit certaine de trouver […] auprès de l’administration locale les facilités et les encouragements (15) » . Si bien que s’instaure un dualisme scolaire « inversé » : l’école publique accueille les enfants de colons – d’où son surnom « d’école des blancs » – et l’école privée religieuse, les enfants kanak. Paradoxalement, l’école publique fut longtemps l’école des milieux favorisés( ce n’est plus vrai aujourd’hui, peut-être pour des raisons politiques et stratégiques : il y a eu un clivage très sensible entre Nouméa et la brousse, les dirigeants des écoles confessionnelles de brousse, protestantes surtout, mais catholiques aussi, ayant pris très tôt position pour les revendications kanak d’une part ;aujourd’hui, parce que le développement des institutions scolaires fait partie des moyens accordés au rééquilibrage et à la mise au centre du dispositif des Accords de Nouméa du peuple kanak. En conséquence il y a eu un accroissement considérable des établissements scolaires de proximité). Cette « division du travail social d’éducation » (Kohler et Wacquant) - les écoles confessionnelles employant par ailleurs majoritairement des enseignants kanak - se prolonge bien au-delà de l’ouverture de l’école publique et l’abolition du code de l’indigénat (l’école primaire devient gratuite et obligatoire pour les kanak en 1953, et en 1956, les étudiants kanak ont été autorisés pour la première fois de fréquenter une école secondaire publique, D. SMall). Malgré la volonté de faire de l’école en Nouvelle-Calédonie une « vitrine » de la France (meilleurs salaires pour les enseignants, efforts pour scolariser l’ensemble de la population...), en 1985, l’école publique reste l’école « des blancs », n’accueillant en moyenne que la moitié des enfants kanak (à peine 30 % hors des zones urbaines) mais plus de 85 % des jeunes européens.

L’émergence des Écoles populaires Kanak comme structures privées, en marge du système public, s’enracine donc à la fois dans cette tradition ségrégative, dans l’absence de prestige de l’école coloniale (les événements de 1984 s’accompagnent de nombreuses attaques de gendarmeries mais aussi d’établissements scolaires) et par la spécificité d’un système public où se concentrent et s’aiguisent les inégalités « si l’école est la même pour tous, tous ne vont pas dans les mêmes écoles » résument Kohler et Wacquant, « L’inégalité, ethnique et de classe, devant l’école apparaît d’emblée comme inscrite dans la structure même de l’espace scolaire (16). »

Éduquer mais soumettre, instruire mais subordonner

Traversé par des contradictions profondes qui masquent difficilement son rôle dans la reproduction et la légitimation de l’ordre colonial, le système éducatif répond à une double injonction : sélectionner une élite intellectuelle locale (afin de disposer d’auxiliaires des pouvoirs coloniaux) tout en maintenant la majorité de la population colonisée dans une situation subalterne, par le biais d’un échec scolaire précoce. Cette réalité contredit les affirmations officielles sur le « lent mais continu » processus de rattrapage. Aujourd’hui encore (17), l’écart se creuse inexorablement malgré la progression de la scolarisation autochtone (18) : « La recomposition dynamique du champ éducatif solutionne ainsi la contradiction qui définit le travail scolaire imposé aux dominés dans le cadre de la société coloniale : éduquer mais soumettre, instruire mais subordonner (19) », c’est-à-dire, finalement, conforter la fonction de justification des inégalités sociales par un processus de légitimation de la place du colonisé dans une société coloniale pour occulter de son statut de dominé : « Le comble, c’est que le petit Métropolitain n’est pas dépaysé en allant à l’école en Calédonie, à 20 000 km de chez lui [...] Le petit Kanak, lui, est tous les jours dépaysé en allant à l’école qui est à deux pas de chez lui (20)... ». Quant au Vice-Rectorat, il décide en 1993 de suspendre les statistiques ethniques...

Inversement, pour le mouvement indépendantiste, l’enjeu est de soustraire la jeunesse autochtone à la puissance intégratrice de l’école et de dévoiler les ressorts de la domination. Il insiste sur ce double échec infligé à ses enfants : échec scolaire et échec dans sa culture et son milieu, qui lui deviennent étrangers. Parce qu’il met en avant de manière criante une culture au détriment d’une autre, le système se dévoile et se fragilise aux yeux d’une population dont la « dépendance » à l’école et la soumission à ses valeurs varient fortement en fonction de sa position sociale (21).

Dès lors, la question qui se pose, et que résument Kohler et Wacquant, est de savoir si la reconnaissance des cultures dominées, le changement de méthodes, la réforme des contenus suffisent à instaurer une démocratie scolaire et à inverser les logiques sociales.

Naissance des EPK

Pour ses promoteurs, les EPK sont « une structure de rupture », une entreprise de « décolonisation des structures scolaires » et de « décolonisation des esprits et lutte contre l’assistanat (22) ». Nées du combat contre les institutions et leur bilan (renforcement des inégalités et création d’une classe kanak bourgeoise), elles se présentent au premier abord comme un reflet inversé du système éducatif colonial (une « anti-institution (23) »). Méthodes, contenus, pédagogie, fonctionnement (refus des examens, recrutement, interaction avec les familles et le milieu), et même organisation du calendrier scolaire calqué sur le cycle de culture de l’igname (24)... prennent le contre-pied du modèle dominant – et parfois les EPK occupent (illégalement !) d’anciens bâtiments scolaires officiels.
Dénonçant le piège de la promotion intellectuelle d’une élite autochtone, mais aussi le scandale de la division savoir intellectuel/savoir manuel, elles opposent les principes de solidarité, de travail collectif, de respect, etc., à ceux de concurrence, d’individualisme (les sports de compétition sont proscrits, comme l’alcool, par le FLNKS) et de sélection. Un choc des valeurs mis en évidence par ces propos d’un directeur d’école : « le désir de se battre, de réussir est inconnu chez beaucoup, c’est ça le problème. Les Mélanésiens, ils vivent en tribu, parce que tout ce qu’ils font, c’est communautaire. […] On dit toujours qu’il n’y a pas de chef d’entreprise mélanésien, mais c’est forcé. Et on retrouve le même problème à l’école (25). » En face, c’est l’idée formulée par un « vieux de la tribu » que : « L’EPK est à contre-courant de l’école coloniale, qui forme des gosses ne sachant rien faire (26). » Définie comme une école du peuple pour le peuple, l’EPK vise à réhabiliter les valeurs culturelles dénigrées par l’école coloniale et à refuser la formation d’un peuple d’assistés.

En cohérence avec ce projet et avec l’appel au boycott scolaire, et alors que l’État décide immédiatement de supprimer les bourses pour les enfants fréquentant les EPK (souvent d’ailleurs la seule ressource financière des familles rurales...), celles-ci ne quémandent ni reconnaissance officielle ni subvention ou financement public (27). « Une des réussites de notre EPK notamment au début était la volonté des parents de participer et de donner de leur temps, de leurs idées, au sein de l’EPK. Ils étaient là, ils sont venus faire des sculptures, des chansons, ils ont apporté leur créativité. En d’autres termes, il s’agissait de leur EPK et ils ont ainsi été eux-mêmes un élément de la formation » (témoignage cité par D. Small). Les animateurs – bénévoles, parfois rétribués directement en nature – sont des jeunes issus des mouvements de lutte ou les propres parents des enfants scolarisés qui, partageant le travail quotidien des élèves, « s’auto-éduquent » à travers leurs pratiques au sein des EPK.

Pédagogie des EPK

Encore faut-il traduire - en pratique et dans le quotidien de la classe - ce projet.

Deux démarches pédagogiques sont expérimentées : la pédagogie « du milieu », par « alternance » (développée dans l’EPK de Kanala) et la pédagogie du thème.

Cette dernière, partant de la pratique du « Plan de travail » géré par l’enfant (sous la probable influence de stages Freinet organisés dans l’archipel à la fin des années1970 et au début des années 1980) tend à faire construire par les élèves eux-mêmes leur savoir à travers des enquêtes conscientisantes (sur le modèle de la pédagogie des opprimés de P. Freire). Un thème « générateur », issu de la culture populaire (l’igname, la case, le cocotier, l’être humain, l’environnement, etc.), est choisi pour favoriser la prise de conscience du milieu et de ses contradictions. Les enfants enquêtent auprès des « vieux » et se rendent sur le terrain (l’EPK se veut une école où l’enfant bouge par opposition au dressage des corps de l’école coloniale). La démarche part de l’observation vers la compréhension (plus abstraite) puis de la compréhension à la restitution (retour au concret mais structuré par l’abstraction). Les savoirs acquis sont restitués au milieu à travers des « productions » (écrites, orales, ou sous forme de spectacles) et donc validés par celui-ci.

Dans la pédagogie par « alternance », adoptée dans l’EPK de Kanala, l’enfant s’éduque à la fois dans l’école mais aussi dans, par et à travers son milieu, dans l’esprit de la pédagogie sociale de Radlinska (même si nous n’avons pas trouvé de référence explicite à cette dernière).

Quelle que soit la méthode privilégiée, un certain nombre de principes sont partagés : le travail en atelier, qui favorise l’apprentissage en groupe, avec et par les pairs, le refus du découpage du savoir par matière (l’enfant vit dans le « global »), l’enracinement dans l’histoire collective et l’attention portée à la production culturelle (dans les restitutions d’enquêtes, par exemple). Les EPK dénoncent l’idée d’un enseignement considéré comme transmission d’un produit, d’un savoir déjà élaboré par d’autres (J. Gauthier).

Surtout, ces pédagogies se retrouvent dans la place, l’autonomie et le pouvoir laissé aux élèves – en contradiction avec la coutume. Ceux-ci disposent d’une matinée consacrée au bilan critique de la semaine et à la préparation de celle à venir. En parallèle, les animateurs ont leur propre réunion et l’après-midi permet de mettre en commun les discussions des deux groupes.

Ghetto ou expérience universelle ?

On imagine que la mise en place et le développement de cette « révolution pédagogique » (sous-titre de l’ouvrage de J. Gauthier sur les EPK) ne se fit pas sans heurts ni déchirements. Outre l’opposition radicale de l’État (destruction de locaux, répression contre les animateurs, etc. (28)), les EPK firent l’objet d’une défiance, jusque dans les rangs du FLNKS qui mit fin, au bout de trois mois à peine, à son appel au boycott scolaire. Ces oppositions sont à interroger car elles en disent long sur les ruptures introduites par les EPK.
Nous en retiendrons deux : la critique sociologique – telle qu’elle est formulée par exemple par Kohler et Wacquant et la critique interne au FLNKS.

Après avoir décrypté le fonctionnement inégalitaire de l’école française en Nouvelle-Calédonie – où la bourgeoisie locale est peut-être plus proche de son équivalent européen que du prolétariat Kanak - ils s’interrogent sur la pertinence d’une grille d’analyse « culturelle » et ethnique des processus d’échec scolaire qui conduit à la création d’écoles séparées, image inversée de l’école coloniale. Une entreprise qu’ils condamnent, évoquant un « onirisme scolaire » et un retour aux sources illusoire puisque la société traditionnelle kanak est une société sans écriture et sans école ou plus exactement une société où l’école se confond avec la vie. Courir après cet âge d’or est une impasse qui, en séparant les deux communautés, fait finalement le jeu du colonialisme et ne permet pas de lutter contre les divisions sociales propres à chaque groupe.

Culture de luttes

Malgré leur finesse et leur pertinence, ces analyses négligent le contexte d’émergence des EPK et leur inscription dans une culture de luttes que définit l’un des jeunes scolarisé : « À l’EPK on apprend notre culture, on apprend la lutte, on apprend à être utile à la tribu (29). » Pour J. Gauthier, la pédagogie est en effet le point le plus faible de l’école coloniale (30).

En insistant sur le rôle des EPK comme pointe avancée de la révolte, ses animateurs ne cessent de rappeler que « l’EPK est une structure de lutte qui est toujours sur le terrain ». Sans céder à l’illusion pédagogique dénoncée par Kohler et Wacquant – mais sans tomber inversement dans la « désillusion pédagogique » redoutée par Freinet – les outils mis en pratique au sein des EPK, en particulier le travail de conscientisation dans et par le milieu tendent justement à mettre à nu les contradictions - entre le colon et le colonisé, mais aussi entre le capitaliste et l’ouvrier ou le paysan, l’homme et la femme, l’enfant et l’adulte et même le dirigeant et le dirigé au sein du mouvement de libération -, à les décrypter pour œuvrer si ce n’est à leur dépassement du moins à leur dévoilement. Preuve de cette dynamique, la méfiance et l’abandon rapide des EPK par la bureaucratie du FLNKS en voie d’institutionnalisation.

Progressivement, c’est autour des écoles les plus actives que va se construire un fonctionnement économique nouveau, d’inspiration autogestionnaire, fondé sur la coopération et l’échange. Cette rupture se joue aussi dans la division savoir manuel / savoir intellectuel puisque « Les cultivateurs, les chômeurs ont un rôle dans la production des connaissances (31). » Quand le système public fait de l’enseignement professionnel agricole une orientation par défaut (réservée aux élèves en situation d’échec scolaire) les EPK enracinent et valorisent cette activité dès le plus jeune âge (32).

Avant d’aborder les relations conflictuelles entre EPK et FLNKS, il nous reste à dire un mot sur le soupçon de création d’écoles-ghetto, enfermées dans les traditions. Débordant probablement les attentes de ses animateurs, la réactivation de la culture n’a pas été sans ébranler les traditions ancestrales. Du fait de leur structuration et de leur choix pédagogiques (l’importance des femmes dans leur gestion et leur animation et l’autonomie ou le pouvoir accordé aux enfants) les EPK procèdent d’une dialectique entre la coutume (nom donné à l’organisation sociale kanak) et la remise en cause de cette coutume (sur la place de l’enfant, des « vieux » mais aussi de la femme, sur les questions de contraception, de violence conjugale, etc.). Les adultes y ont aussi « appris à apprendre » : « La coutume a évolué dans un sens « socialiste », débarrassé de ses éléments « féodaux » Ninë Wea (33). Il s’agit de « faire pont » entre la modernité et la tradition quand l’école institutionnelle clive (à travers la pratique des examens et de la sélection, par exemple) – ces deux réalités de l’enfant. Même si les EPK sont loin d’ignorer que coutume et religion peuvent aussi bien être instrumentalisées par la droite...

Du singulier à l’universel

L’utopie éducative kanak se dissout-elle dans la singularité de l’insurrection indépendantiste ? Dans son ouvrage, J. Gauthier ose l’hypothèse de la « révolution pédagogique » des EPK comme une « expérience universelle ». Loin d’être un enfermement, un repli, le recours au milieu, à l’héritage historique, à la coutume ou à la tribu seraient des passerelles vers la diversité du monde. À l’inverse, la prétention universaliste de l’école coloniale serait un leurre.
C’est bien cette conviction qui, de l’enracinement de Simone Weil à P. Freire (« Personne n’éduque autrui, personne ne s’éduque seul, les hommes s’éduquent ensemble par l’intermédiaire du monde. », Pédagogie des opprimés, 1974), relie l’aventure des EPK à la pédagogie sociale (apprendre dans, à travers et pour le milieu, selon la formule d’H. Radlinska).

Si être éduqué c’est, étymologiquement, « être conduit au-dehors », l’articulation entre le collectif, l’universel et le singulier dans la pédagogie « par alternance » confirme ces intuitions : « En fait, le statut de l’enfant, l’autonomie de la pédagogie... sont liés à la façon dont le milieu porte l’école. Le milieu, c’est-à-dire le peuple. Il y a échec si l’école se sépare du milieu. Au contraire, l’enfant bien enraciné dans son milieu est un enfant ouvert, mûr pour aller vers l’extérieur (34). »

De l’anti-institution à la contre-institution

En établissant un parallèle entre la situation de l’enfant et du colonisé (G. Mendel (35)), en luttant contre l’assistanat et le « paternalisme », c’est-à-dire aussi contre l’infantilisation de l’adulte, les EPK se heurtaient également aux processus de domination internes du mouvement de libération. Alors que les EPK s’orientent vers une logique de « contre-institution », le FLNKS, en voie d’intégration, va se désolidariser des EPK trop « remuantes » – on n’apprend pas impunément aux dominés à critiquer les rapports de domination ! Leur refus de toute subvention ou de toute institutionnalisation est en opposition avec la logique dans laquelle va s’engouffrer une partie du mouvement lors des Accords de Matignon. Cette fracture met en lumière la double logique coloniale : « logique politique d’intégration du FLNKS » et « logique éducative de marginalisation de ce qui est incontrôlable (36). » C’est bien les contradictions sociales qui font éclater le Front : pour la bourgeoisie kanak, tirant sa légitimité - comme son pendant européen - de l’école officielle dont elle est issue, il s’agissait de « montrer aux blancs qu’on peut faire aussi bien qu’eux », mais aussi de former une élite interchangeable d’hommes d’État sur le modèle de l’administration française. Ce qui devient la ligne du FLNKS appelant les EPK à « faire leur preuve » au regard de l’école coloniale.

Mais l’œuvre éducative populaire échappe peu à peu à ces dirigeants. L’analyse des congrès successifs des EPK, menée par J. Gauthier, est riche d’enseignement, non seulement sur l’orientation politique des EPK mais plus généralement sur les liens entre pédagogie et révolution : « L ’EPK se radicalise politiquement par rapport au FLNKS quand elle approfondit la réflexion pédagogique et quand elle a un regard critique sur elle-même (37). » Les références aux aspirations révolutionnaires vont de pair avec la mise en avant de l’autonomie de l’enfant. La confiance en l’une progresse parallèlement à l’attention portée à l’autre. Inversement, quand l’autonomie de l’enfant est rognée (par exemple, les bilans hebdomadaires collectifs deviennent individuels), la dimension politique du projet se rétrécit également. Le retrait du soutien du FLNKS aux EPK est significativement concomitant de l’approfondissement de la pédagogie du thème et à l’affirmation du libre choix de l’enfant. Le rapprochement avec les fractions les plus radicales, actives sur le terrain (USTKE, Comité de revendication des Terres, Groupe des femmes Kanak en lutte – GFKEL) témoigne de cette évolution.

Les analyses de J. Gauthier confirment donc à la fois une parenté entre le processus révolutionnaire et l’audace pédagogique, tout en soulignant une certaine autonomie à cette dernière, qui parvient à survivre quelques temps à l’institutionnalisation politique du mouvement. Au bout de quelques mois, certaines EPK choisissent de s’auto-dissoudre. D’autres résistent pendant une dizaine d’années – au prix parfois de reniements pédagogiques. Il n’en subsiste aujourd’hui plus qu’une, celle de Kanala, qui maintient une scolarisation dans les tribus pour les enfants de 2 à 9 ans tout en établissant des passerelles avec l’enseignement public à partir du cours moyen.

L’héritage des EPK

Ce bilan conduit J. Gauthier à formuler l’hypothèse selon laquelle c’est le manque d’autonomie assumée vis-à-vis du FLNKS qui a empêché les EPK d’exprimer toute leur radicalité – et toute leur place au sein de l’entreprise d’émancipation. « La culture de luttes des EPK est née de ces brisures, de ces douleurs et de ces émerveillements. Elle ne pouvait, dans les conditions historiques de cette fin de siècle, que se développer à la marge des modes d’action et de pensée habituels, à la marge du FLNKS, des partis, de l’État, de l’Homme aliéné (38). » Ces propos disent assez ce que nos combats et nos pratiques d’aujourd’hui peuvent gagner à un retour critique sur cette expérience. Rares en effet sont les échappées hors de l’institution qui peuvent s’appuyer sur un élan social d’envergure. Ni l’éloignement géographique ni l’éloignement dans le temps n’effacent la portée de cette aventure où pédagogie et révolution se sont un temps confondues, permettant aux dominés d’arracher par leurs luttes une parcelle de liberté.

Grégory Chambat, collectif Q2C.

Les EPK en 1995

L’EPK de Canala. Le statut de cette EPK a toujours été particulier, du fait de ses choix politiques (recherche de reconnaissance officielle) et pédagogiques (pédagogie « par « alternance » et non pédagogie du thème). Eloi Machoro, instituteur indépendantiste abattu par le GIGN en 1985 travaillait dans l’école publique de Canala. L’autre victime de cette exécution, Marcel Nonnaro, était parent d’élève de l’EPK de Kanala.
En 1995, dix ans après sa création, l’école de Canala accueille 180 élèves de 6 mois (l’école est dotée d’une « crèche EPK ») à 23 ans. Elle pratique de la pédagogie par « alternance » : 4 journées de 6 heures à l’EPK et 3 heures professionnalisantes, le reste dans le milieu. Chaque élève se doit de réaliser une monographie à partir de son travail dans le milieu. 13 animateurs sont « indemnisés » mais ne sont pas reconnus comme instituteurs à part entière, ni par l’État ni par la province (pourtant à majorité indépendantiste). L’État paye les Bourses aux parents des enfants scolarisés. L’école de Canala est également à l’origine de la création d’un bac culturel pour qualifier les animateurs.

L’EPK de Gossanah-Téouta.
C’est à la suite des événements de 1988 qui virent la mort de nombreux parents d’élèves et d’animateurs des EPK sur les barrages, que le GIGN a abattu 19 personnes réfugiées dans une grotte près de Gossanah. Leur position avait été localisée suite à la torture d’habitants de Gossanah.
Partie absolument à revoir :

En 1995 l’EPK de Gossanah-Téouta compte 80 élèves et 25 animateurs (tous bénévoles). Les bilans collectifs ont lieu toutes les six semaines. Contrairement à la coutume, les femmes participent à égalité dans les prises de décisions. L’année scolaire est inversée par rapport au système officiel : elle est calquée sur le cycle de l’igname. Les ateliers et les groupes ne sont constitués ni en fonction du niveau scolaire ni de l’âge. Il n’y a pas d’examen mais des plans de travail et des évaluations en fin de trimestre. Les élèves ont leur champ et produisent des objets artisanaux et des gâteaux. L’école recrute aussi depuis des petites EPK pour permettre aux enfants de finir leurs études.
L’EPK a été à l’origine d’une Université populaire de Kanaky, aujourd’hui disparue.
L’EPK a toujours refusé de quémander à l’État le rétablissement des bourses pour les familles d’enfants scolarisés.
C’est d’ailleurs près du village de Gossanah qu’eurent lieu les les événements de 1988. Il s’agit d’une attaque de gendarmerie(celle d’Ouvéa) suivie d’une prise d’otages de gendarmes mobiles stationnant sur place. Certains seront retrouvés très vite dans un premier lieu au sud de l’île ; les autres seront enfermés dans une grotte tenue secrète et retrouvés plus tardivement ; ils seront libérés à la suite d’un assaut orchestré par l’armée, le GIGN (pourtant à l’origine de négociations qui auraient abouti sans l’intervention du pouvoir politique au plus haut sommet de l’État ), et un autre élément des services secrets (les marsouins ?). Au cours de cet assaut 19 kanak seront tués (porteurs d’eau et preneurs d’otages) dont certains dans des conditions rappelant les exécutions type corvée de bois). Les attaques de gendarmerie sont concomitantes de l’élection présidentielle de 1988 ; elles sont liées à l’alternance politique française, l’arrivée au pouvoir de la droite, la cohabitation avec Chirac premier ministre et Bernard Pons (ministre d’outre mer) en 1986 et à la mise en place d’un énième statut : le statut Pons qui remettait en cause le précédent ayant été accepté par le indépendantistes ; par ailleurs le mouvement indépendantiste avait adressé au candidat à sa réélection Mitterrand une lettre lui demandant de se prononcer sur l’accession à l’indépendance : Mitterrand avait répondu que celle-ci n’était pas à l’ordre du jour ; d’où la reprise des actions de lutte et les attaques de gendarmerie.

L’enseignement des langues kanak aujourd’hui

La défense et l’enseignement des langues kanak sont parmi les principaux enjeux définis par l’accord de Nouméa (Article 1.3.3) signé le 5 mai 1998. « Les langues kanakes sont, avec le français, des langues d’enseignement et de culture en Nouvelle-Calédonie. Leur place dans l’enseignement et les médias doit donc être accrue et faire l’objet d’une réflexion approfondie ». Cette démarche repose sur une démarche très « scolaire » pour ne pas dire élitiste : « Une recherche scientifique et un enseignement universitaire sur les langues kanak doivent être organisés en Nouvelle-Calédonie. L’institut national de langues et civilisations orientales y jouera un rôle essentiel. Pour que ces langues trouvent la place qui doit leur revenir dans l’enseignement primaire et secondaire, un effort important sera fait sur la formation des formateurs. Une Académie des langues kanak, établissement local dont le conseil d’administration sera composé de locuteurs désignés en accord avec les autorités coutumières, sera mise en place. Elle fixera leurs règles d’usage et leur évolution. »

Les enfants kanak suivent, dès la petite section de maternelle, des enseignements dans leur langue, à raison de 7 heures hebdomadaires en maternelle et de cinq heures à l’école élémentaire à la fois pour apprendre à la maîtriser et se familiariser avec leur culture d’origine, à l’écrire et à la lire mais aussi pour suivre tous les autres champs disciplinaires dans cette langue. J. Gauthier souligne (en 1996) que cet enseignement n’est souvent pas prodigué, les professeurs relevant le plus souvent d’autres aires linguistiques que celle où ils enseignent.
(Source article « Kanak », Wikipédia).

Depuis la situation a évolué plutôt positivement ; en tout cas à Lifou(aire Drehu) la langue est enseignée en maternelle, au primaire, au collège et au Lycée ;les élèves peuvent choisir option langue kanak au bac ;le grand problème reste la formation d’enseignants en langue ; et la problématique d’une langue kanak comme langue d’enseignement demeure un objectif loin d’être atteint si non poursuivi ; l’université de NC propose des cursus de langues kanak ;
Par ailleurs une des avancées majeures est la reconnaissance du bilinguisme comme propice à l’acquisition de la langue maternelle puis du français, à l’amélioration du taux de réussite et à l’amélioration des comportements ; les parents sont de moins en moins hostiles, non seulement à l’apprentissage de leur langue à l’école mais aussi à l’utilisation de leur langue dans les relations familiales.En effet nombreux étaient les parents qui pensaient « bien faire » en parlant français à leurs enfants(tous comme les enseignants !!)Le statut de la langue vernaculaire a été ainsi valorisé.

Chronologie

24 septembre 1853 : l’amiral Fébvrier Despointes « prend possession » de la Nouvelle-Calédonie : « A partir de ce jour, cette terre est française et propriété nationale ».
1863 : décret interdisant l’usage des langues kanak à l’école
2 septembre : décret choisissant la Nouvelle-Calédonie comme « lieu de transportation des individus de race blanche condamnés à plus de 8 ans de travaux forcés »
1873 : Arrivée de Louise Michel et des déportés communards en Nouvelle Calédonie.
1878 : Révolte Kanak avec le Grand Chef Ataï
1879 : octobre, exposition à la Société d’anthropologie de Paris des têtes tranchées de 6 guerriers kanak, dont celle du Grand Chef Ataï.
Louise Michel obtient l’autorisation de s’installer à Nouméa et de reprendre son métier d’enseignante, d’abord auprès des enfants de déportés, puis dans les écoles de filles. Elle enseigne aussi aux enfants Kanak le dimanche.
1880 : les déportés regagnent la France
1917 : 2ème grande insurrection kanak qui commence à Koné avec le Grand Chef Noël. Des postes de gendarmerie sont attaqués.
1918 : janvier, le Grand Chef Noël est tué à bout portant puis décapité.
1921 : toute publication en langue indigène est interdite
Le peuple Kanak atteint son niveau démographique le plus bas : entre 15 et 18 000 personnes sur Grande Terre contre 27 à 60 000 (selon les sources) en 1855, début de la colonisation de peuplement.
1925 : création de 2 écoles de formation indigène : l’une à vocation professionnelle, l’autre pour les moniteurs des écoles de tribu
mai 1931 : Exposition coloniale à Paris. Des Kanak sont exposés comme cannibales sur la place publique ; ils sont ensuite exhibés dans un cirque qui fait un circuit en Europe.
1953 : école primaire gratuite et obligatoire pour les enfants kana.
1956 : Les kanak accèdent à l’enseignement publique de la République( suite à la loi-cadre Deferre) et à l’abolition en 1946 du statut de l’indigénat
1962 : Boniface Ounou d’Ouvea : premier bachelier kanak
1969 : Apparition des Foulards Rouges créés par des étudiants revenus de France et qui donnent un sens revendicatif et non plus péjoratif au mot « kanak ». Le réveil kanak est amorcé par le mouvement des Foulards Rouges suivi du « Groupe 1878 », plus tard en 1974, qui dénonce la colonisation et demande la restitution, sans condition, des terres.
septembre : Nidoish Naisseline (1er kanak diplomé de l’Enseignement supérieur : maîtrise de sociologie) est arrêté pour distribution de tract en langue kanak.
1979 création du front indépendantiste qui deviendra FNLKS en 1984
1981. 6 décembre, Congrès constitutif du STKE (Syndicat des travailleurs Kanak et exploités).
1982. 5 et 19 septembre : 1er Congrès de l’USTKE (Union des syndicat des travailleurs Kanak et exploités) qui adopte le mot d’ordre « pas de socialisme sans indépendance kanak, pas d’indépendance kanak sans socialisme » et « Tribus-usines, même combat ».
1984
Mars : mise en place d’un comité exécutif chargé d’établir un programme de gouvernement, la constitution du pays kanak, la charte de l’indépendance.
22 au 24 septembre : congrès constitutif du FLNKS : un comité de lutte par commune + charte + calendrier d’actions : création du FLNKS, Front de libération national Kanak et socialiste par des organisations populaires et des partis politiques indépendantistes)
25 novembre : création du 1er Gouvernement provisoire de Kanaky
1985
Janvier : Machoro et Nonaro sont abattus par les gendarmes mobiles. Laroque provoque la liesse de la foule à Nouméa en donnant la nouvelle. Pisani décrète l’état d’urgence. Il y a 6300 militaires sur le territoire : 1 pour 12 Kanak, enfants compris. Au Congrès de Nakéty, Léopold Jorédié, constatant « l’urgence de mettre en place une Ecole Populaire Kanak » signe au nom du Gouvernement de Kanaky des « Instructions aux Comités de Lutte » pour qu’ils mènent avant fin mars une recherche en ce sens, et en rendent compte au prochain congrès.
Mars : création de la 1ère EPK . 1500 à 2 000 enfants et 230 animateurs dans 56 EPK. C’est une vague de fond, mais qui ne touche que 12 à 15% des enfants kanak vivant en tribu, soit une section de base du FLN sur 4 ou 5. L’État supprime bourses et allocations familiales aux parents d’élèves des EPK.
Mai : 3ème Congrès FLNKS à Hienghène : arrêt du boycott scolaire, mais libre choix de l’école, : les EPK continuent.
Août : première convention des EPK, implantées dans huit communes (soit environ 30% des communes existantes).
Septembre : le FLNKS reconnaît l’EPK comme une de ses « structures de lutte ».
1986 : février, arrêt de la seule EPK du Grand Nouméa, celle de Tiati-Conception.
Juin : naissance de deux EPK (qui avaient eu une vie éphémère en mars 1985) : Pouébo-Balade et Yaté.
1987 : fin de la plupart des EPK de Lifou et de celles de Ponérihouen.
1988 : massacre des 19 d’Ouvéa à la grotte de Gossanah et signature des accords de Matignon.
1989 : fin de l’EPK de Témala. Il reste sept EPK scolarisant trois cent cinquante enfants avec cinquante à soixante animateurs.
1994 : il reste 5 EPK : Gossanah (80 enfants et 25 animateurs et intervenants), Hwadrilla (10 enfants d’âge maternel, qui vont ensuite à Gossanah), Hadra (Lifou - 30 enfants), Kanala (180 enfants et 13 animateurs) et Yaté (13 enfants).
1998 : signature de l’accord de Nouméa voté à 72% par la population calédonienne. Le préambule de l’accord place le Kanak au centre de son dispositif.


Notes :

1. L’orthographe du mot Kanak est un enjeu de lutte. Il est aujourd’hui employé de manière invariable en genre et en nombre. Jusque dans les années 1970, ce mot s’écrivait canaque(s) (Calédonien était employé pour désigner les colons, ou Caldoches), en concurrence avec le terme Mélanésien - dans les documents administratifs par exemple - considéré comme moins péjoratif. Vers le milieu des années 1970, avec les revendications identitaires du peuple kanak, on a vu apparaître l’orthographe kanak(e)(s) (issue de Kanaka, terme polynésien originaire d’Hawaï, signifiant « animal-homme »), qui, du milieu des années 1980 aux années 1990, a progressivement remplacé canaque(s). Il donne naissance au mot Kanaky, nom choisi par les indépendantistes pour désigner l’archipel. Il est ensuite devenu invariable (orthographe préconisée par l’Académie des langue kanak, établissement public officiel, et employé dans le texte des Accords de Nouméa du 5 mai 1998). Sur le sujet voir Frédéric Angleviel (Université de la Nouvelle-Calédonie) « De Kanaka à Kanak : l’appropriation d’un terme générique au profit de la revendication identitaire », Revue Hermès n° 32-33, 2002, pp. 191-196.

2. Selon Small, D. (1996) (« The Rise and Fall of the Ecoles Populaires Kanak in New Caledonia ». Sydney, Australia : IX World Congress of Comparative Education, 1-6 Jul 1996. Cette étude est en ligne http://ir.canterbury.ac.nz/handle/10092/4718) les EPK concernaient 1500 élèves sur 25000 soit 6%, même s’il reconnaît que dans certaines zones, les EPK accueillaient la majorité des élèves quand d’autres étaient désertes de structures, obligeant les enfants à de longs trajets. Pour Jacques Gauthier (Les Écoles populaires kanak, une révolution pédagogique ?, L’Harmattan, 1996), cela pouvait aller jusqu’à 15 %.

3. L’insurrection qui éclate en janvier 1871 va unifier plus de 200 000 combattants menés par les Mokrani, famille de caïds kabyles, qui vont affronter 90 000 soldats français. Cette guerre s’achève le 17 janvier 1872 par une répression féroce. Les colons s’approprient au passage un demi-million d’hectares de terres. Les rebelles kabyles capturés partagent alors le bannissement des communards parisiens avec qui ils fraternisent dans les bagnes de Toulon ou de l’île de Ré, avant d’être déportés dans des bateaux-cages jusqu’en Nouvelle-Calédonie. CQFD n° 28, « Les vieux dossiers d’Anataole : Chassé-croisé Kabyles, Kanaks et Communards », Anatole Istria, en ligne sur l’ancien site du journal (www.cequilfautdetruire.org).

4. Voir « Louise Michel et l’école, Louise Michel institutrice », Daniel Armogathe, N’Autre école n° 10, printemps 2005, p. 44 et suiv. En ligne sur le site.

5. Louise Michel, Légendes et chansons de gestes canaques (1875), suivi de Légendes et chants de gestes canaques (1885) et de Civilisation, texte établi et présenté par François Bogliolo, Presses Universitaires de Lyon, 2006, 238 pages.

6. Joël Dauphiné dans La déportation de Louise Michel : vérité et légendes (Les Indes savantes, 2006, 150 p.) rapporte cette anecdote semble-t-il inventée de toute pièce : bien que le motif de la peine (« Mauvaise instruction donnée aux Canaques ») ne fut pas inscrit dans le règlement, le gouverneur aurait envisager de faire donner 25 coups de corde à Louise Michel, sanction ramenée par le conseil à un séjour au « quartier des Incorrigibles » où elle aurait été enchaînée « comme une bête féroce » (récit publié dans La Vie populaire n° 13 du 14 avril 1905).

7. Voir Didier Daeninckx, Le retour d’Ataï, Gallimard, collection Folio, 2006, 113 p.

8. CQFD n° 28, « Les vieux dossiers d’Anataole : Chassé-croisé Kabyles, Kanaks et Communards », Anatole Istria, en ligne sur l’ancien site du journal (www.cequilfautdetruire.org).

9. Dès 1863 un décret interdit l’usage des langues kanak à l’école. On songe également à la politique d’éradication des langues régionales dans l’école de la République.

10. FLNKS : Front de libération national kanak et socialiste fondé en 1984. USTKE : Union syndicale des travailleurs kanak et exploités crée en 1981. l’USTKE comporte une branche dans l’éducation, la fédération STKE-Enseignement.

11. Alan W. Ward, Land and Polilies in New Caledonia, 1982, Canberra, Australian National University, Research School of Pacifie Studies, Political and Social Change Monograph 2, p. 49.

12. Extrait du compte-rendu de la Première convention des EPK (août 1985).

13. Kohler J. M., Wacquant L., 1985, L’école inégale. Éléments pour une sociologie de l’école en Nouvelle-Calédonie, Institut Culturel Mélanésien, Nouméa, coll. Sillon d’igname, 1985, pp. 36-37.

14. Eddy Wayuone Wadrawane, dans « Emplacement et déplacement des écoles en milieu kanak. Un analyseur anthropologique de la place faite aux institutions de diffusion du savoir occidental dans une situation coloniale » (Les Sciences de l’éducation – Pour l’Ère nouvelle, vol. 41, n° 1, 2008) analyse très finement la manière dont les tribus ont manifesté, à travers la disposition spatiale des écoles, un sentiment ambiguë de fascination/répulsion pour l’action éducative coloniale.

15. Cité par Kohler J. M., Wacquant L. op. cit., p. 17.

16. Ibidem, p. 94.

17. « En 2009, on ne compte, que 12,5 % des bacheliers d’origine kanak, 14,2% d’origine wallisienne et futunienne, alors que 54,1 % de ces bacheliers sont d’origine européenne. Ainsi, les ethnies kanak et océaniennes du pays se trouvent être minorées en fin de cursus scolaire : majoritaire à l’entrée en 6ème, la population kanak et océanienne est minoritaire pour le premier diplôme important de l’école française, ouvrant les portes de l’enseignement supérieur. Pour celui-ci, du reste, "le constat est encore plus sévère : un jeune Européen sur cinq est diplômé de l’enseignement supérieur, contre un sur vingt dans les communautés kanak ou wallisiennes." (Broustet et Rivoilan, 2011) ». « Vingt années de politiques de rééquilibrage en Nouvelle-Calédonie : Démocratisation de l’école et persistance des inégalités », mai 2011, Communication aux xviiièmes Journées d’études sur les données longitudinales dans l’analyse du marché du travail, Toulouse, 19 et 20 mai 2011. Les nouvelles ségrégations scolaires et professionnelles. La plaquette du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie (L’État de l’école en Nouvelle-Calédonie) pourtant bien avare sur les statistiques liées à l’origine des élèves, nous apprend cependant que « Globalement le niveau d’échec scolaire reste préoccupant. Outre la proportion de jeunes qui sortent du système scolaire sans diplôme, évaluée à 20 %, 13,5 % des jeunes se présentant chaque année à la journée de préparation à la défense sont en situation de « difficultés sévères » vis-à-vis de la lecture, à comparer au taux métropolitain de 4,9 %. Lorsque l’on rajoute les « faibles lecteurs », le taux calédonien des personnes en difficulté monte à 33 %. Ces jeunes sont pour la plupart encore dans le système scolaire. »

18. Ce qui est vrai pour les élèves l’est également pour les personnels : entre 1977 et 1988 l’écart entre le nombre de Kanak travaillant dans l’enseignement et celui des européens se creuse 515/1639 – 652/2203.

19. Ibid., p. 47.

20. L’ Avenir de La Nouvelle-Caledonie en question(s), ou, Du Rééquilibrage des idées, Eric Douyère, Île de Lumière, 2000, 113 p.
21. Faut-il souligner une évidente similitude avec la situation en métropole pour les classes dominées socialement et culturellement (enfants d’immigrés mais aussi « de souche ») ?

22. Jacques Gauthier, Les Écoles populaires kanak, une révolution pédagogique ?, L’Harmattan, 1996, p. 275.

23. Jacques Gauthier fait ici référence à la distinction entre l’ « anti-institution » « qui oppose des contenus autres... mais selon les mêmes formes institutionnelles (bureaucratiques) » à la « contre-institution » « qui invente de nouvelles formes d’existence sociale, de nouveaux modes de fonctionnement (plus démocratiques, avec des assemblées générales, des bilans institutionnels réguliers en Ag) ». Il renvoie au Que sais-je ? De R. Hess et A. Savoye, L’Analyse institutionnelle, PUF, 1993.

24. L’igname est l’élément de base de l’alimentation kanak et de ce fait possède une forte valeur culturelle. Le cycle de sa culture est associé à de nombreux rites qui scandent le calendrier kanak.

25. Kohler J. M., Wacquant L., op. cit., p. 25.

26. J. Gauthier, op. cit., p. 28.

27. À l’exception notable de l’EPK de Kanala, la seule encore en activité, et qui a fait le choix de demander des aides publiques, contrairement aux autres structures. Ses animateurs sont reconnus, non pas en tant qu’instituteurs mais en tant que moniteurs et rémunérés par la région dirigée par les indépendantistes (J. Gauthier, op. cit.).

28. J. Gauthier, op. cit., p. 76. L’auteur évoque aussi des tirs de mitraillette de l’armée dans des classes. Mais nous n’avons pas trouvé d’autre référence confirmant ce propos.

29. Ibidem, p. 59.

30. Ibid., p. 240.

31. Ibid., p. 221.

32. Ibid., p. 248.

33. Ibid., p. 58.

34. Ibid., p. 222.

35. Gérard Mendel dans ses travaux sur l’éducation et l’autorité, fait de l’enfance une catégorie opprimée et colonisée à libérer (Pour décoloniser l’enfant, Sociopsychanalyse de l’Autorité, Coll. : Petite bibliothèque Payot, 1971).

36. J. Gauthier, Op. Cit., p. 226

37. Ibid., p. 195.

38. Ibid., p. 208.


Bibliographie

Sur les Écoles populaires kanak.


Les ressources sont assez maigres, y compris sur internet, les rares documents n’en sont que plus précieux :

Small, D., « The Rise and Fall of the Ecoles Populaires Kanak in New Caledonia ». Sydney, Australia : IX World Congress of Comparative Education, 1-6 Jul 1996. Cette étude est en ligne http://ir.canterbury.ac.nz/handle/10092/4718)

Un article synthétique qui résume l’aventure des EPK en soulignant – parfois à partir de documents internes et secrets de la frange du FLNKS hostile aux EPK – le rôle du mouvement indépendantiste bureaucratisé dans la disparition des EPK. Une bonne introduction (mais en anglais !).

Jacques Gauthier, Les Écoles populaires kanak, une révolution pédagogique ?, L’Harmattan, 1996, p. 275.

Probablement « le » livre sur la question qui ne se contente pas d’une « histoire » des EPK mais, dans un style très personnel et souvent très stimulant soulève de nombreuses questions qui dépassent la seule aventure des EPK. Un ouvrage engagé, et qui ne s’en cache pas, mais c’est aussi ce qui fait tout son intérêt.

Marie Adèle Joredie, « Atelier : Atelier Identité, Education, Langue, Culture », 1er Congrès des Peuples Autochtones Francophones, Agadir – 2-6 novembre 2006. http://www.unesco.org/culture/fr/indige ... OREDIE.pdf

Pas un texte à proprement parler sur les EPK mais une réflexion nourrie d’expérimentations d’enseignement des langues kanak dans un collège de Canala (autour des mathématiques) et auprès de très jeunes enfants (autour du livre).

Sur la culture et la langue Kanak

Frédéric Angleviel (Université de la Nouvelle-Calédonie) « De Kanaka à Kanak : l’appropriation d’un terme générique au profit de la revendication identitaire », Revue Hermès n° 32-33, 2002, pp. 191-196.

Présentation exhaustive du vocable « kanak », de son histoire et de ses enjeux politiques.

Sur l’école coloniale en Nouvelle-Calédonie

Kohler J. M., Wacquant L., 1985, L’école inégale. Éléments pour une sociologie de l’école en Nouvelle-Calédonie, Institut Culturel Mélanésien, Nouméa, coll. Sillon d’igname, 1985.

Une des premières études sociologiques de Loïc Wacquant. L’analyse du système éducatif colonial est implacable et emprunte aux travaux de Bourdieu. L’hypothèse EPK est en revanche rejetée, avec de solides arguments, mais sans prendre en compte la dynamique de luttes sociales qui les ont vu émerger.

Eddy Wayuone Wadrawane, dans « Emplacement et déplacement des écoles en milieu kanak. Un analyseur anthropologique de la place faite aux institutions de diffusion du savoir occidental dans une situation coloniale » (Les Sciences de l’éducation – Pour l’Ère nouvelle, vol. 41, n° 1, 2008).

Analyse ethnographique originale sur la manière dont les écoles coloniales ont été placées par les tribus sur leur territoire.

« Vingt années de politiques de rééquilibrage en Nouvelle-Calédonie : Démocratisation de l’école et persistance des inégalités », mai 2011, Communication aux xviiièmes Journées d’études sur les données longitudinales dans l’analyse du marché du travail, Toulouse, 19 et 20 mai 2011.

Les nouvelles ségrégations scolaires et professionnelles. La plaquette du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie (L’État de l’école en Nouvelle-Calédonie)

La Commission du Grand débat sur l’avenir de l’école calédonienne préparant le transfert des compétences scolaires aux autorités locale, a publié un compte rendu de ses travaux qui comporte de nombreuses interventions et quelques statistiques.
http://www.gouv.nc/portal/pls/portal/do ... 114009.PDF

Sur Louise Michel et la déportation des communards en Nouvelle-Calédonie

CQFD n° 28, « Les vieux dossiers d’Anataole : Chassé-croisé Kabyles, Kanaks et Communards », Anatole Istria, en ligne sur l’ancien site du journal (www.cequilfautdetruire.org). Où l’on apprend qu’après leur insurrection, les Kanak ont été déportés au... Chiapas !

Joël Dauphiné, La déportation de Louise Michel : vérité et légendes (Les Indes savantes, 2006, 150 p.)

Un livre terrible puisqu’il met à mal bien des idées reçues sur Louise Michel, en particulier en Kanaky et décortique le mythe fabriqué après sa mort par quelques journalistes en mal de sensationnel. Reste, et c’est peut-être l’essentiel, la consolation que ces mythes autour de Louise Michel nous en apprennent aussi beaucoup sur les utopies et les espoirs des exploités !

« Louise Michel et l’école, Louise Michel institutrice », Daniel Armogathe, N’Autre école n° 10, printemps 2005, p. 44 et suiv. En ligne sur le site.

Louise Michel, Légendes et chansons de gestes canaques (1875), suivi de Légendes et chants de gestes canaques (1885) et de Civilisation, texte établi et présenté par François Bogliolo, Presses Universitaires de Lyon, 2006, 238 pages.

Dans la continuité de son premier récit sur l’exposition universelle de 1931 à Paris qui exposa des Kanak présentés comme des cannibales (Cannibales, Gallimard, collection Folio) Didier Daeninckx s’est aussi intéressé au destin d’Ataï, le grand chef Kanak et au périple de son crâne, longtemps exhibé comme un trophée en France : Le retour d’Ataï, Gallimard, collection Folio, 2006, 113 p.


https://www.questionsdeclasses.org/?Kan ... r-lui-meme
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Re: Nouvelle-Calédonie - Kanaky

Messagede bipbip » 28 Juin 2018, 21:39

La grande révolte kanak, Juin 1878

Juin 1878 : La grande révolte kanak

Le 25 juin 1878, près de 3 000 Kanak investissent le bourg de La Foa, dans l’ouest de la colonie française de Nouvelle-Calédonie. Après avoir tué quatre gendarmes et quelques colons, les insurgés libèrent un chef kanak emprisonné. C’est le début d’une guérilla contre une colonisation qui avale très rapidement de très vastes territoires que les kanak ne peuvent plus cultiver.

« Le jour où nos taros iront manger votre bétail, nous dresserons des clôtures autour de nos cultures.  », (Ataï, avant l’insurrection de 1878.)

La prise de possession de la Nouvelle-Calédonie par le contre-amiral Febvrier-Despointes au nom de l’empereur Napoléon III a lieu le 24 septembre 1853 près de Balade, à l’extrême nord du territoire, en présence de missionnaires et d’une centaine de Kanak baptisés. «  À partir de ce jour, cette terre est française et propriété nationale  », proclame le représentant de la France. À partir de cet instant, les atteintes au patrimoine foncier kanak deviennent «  légitimes  » en droit français. Elles sont progressives et chassent les premiers occupants de leurs terres ancestrales et sacrées. Depuis cette date, véritable tournant dans l’histoire du peuple kanak et marquant le début de la colonisation, les Kanak sont maintenus en situation d’apartheid de fait dans un cadre colonial. Ils sont encore aujourd’hui porteurs d’une véritable civilisation communautaire originale organisée autour de la «  coutume  » faite de dons et de contre-dons, sans classes et sans État où les rapports humains et les formes de production en fonction des besoins de chacun sont liés à une philosophie qui exclut toute forme de domination, d’exploitation et d’oppression, avec des «  chefs  » que les fonctions de détenteur de la parole et de dépositaire de la mémoire orale ne situent pas au-dessus de la société et de ses règles.

Cette colonisation ne s’est pas faite sans réactions des populations locales passant du mal de vivre, du refus de procréer, du désespoir sur fond de mortelles épidémies dues à de nouveaux virus, de famines aboutissant au déclin de la population kanak durant les soixante-dix premières années (de 1853 à 1921) jusqu’aux révoltes violentes dont certaines aboutiront à de véritables insurrections.

«  La cause principale du soulèvement, c’est la terre qui est non seulement un moyen de subsistance pour le Kanak mais aussi sa raison d’être  : référence du clan dans ses échanges, symbole de son unité, lieu de repos de l’ancêtre commun  », écrira Wassissi Iopué, représentant du FLNKS en France à la fin des années 1980  [1].

Une insurrection pour la terre

Effectivement la spoliation des terres est au centre de la résistance kanak face à la colonisation. À la prise de possession, il fut question que l’État français achète les terres aux Kanak pour éviter toute colonisation sauvage. Mais l’arrivée du bagne changea la donne, et la propriété indigène fut supprimée en 1862, l’État français s’attribuant toutes les terres. En 1865, un permis provisoire d’occupation est créé pour faciliter l’implantation des «  déportés libres  »  ; ceux-ci, en général sans aucune compétence en agriculture, vont développer un élevage extensif sur les bonnes terres kanak produisant leur alimentation à base d’ignames et de taro, ce qui oblige les Kanak au repli sur des terres plus pauvres dans les montagnes. Depuis 1853, l’agressivité kanak va croissant. Ceux-ci incendient des fermes, massa­crent des colons isolés. En représailles, l’armée française ravage les villages, tue des chefs rebelles. En 1868, l’administration admet la «  propriété inaliénable et incommutable  » des autochtones tout en se réservant un droit d’expropriation, se permettant ainsi de délimiter à son gré les terres kanak. Mais en 1876, l’administration se met à délivrer des permis d’occupation pour toute la colonie. Près de 3 000 colons s’installent «  en brousse  ». Avec la sécheresse de 1877, les troupeaux de bétail se mettent à envahir les cultures kanak. Des villages entiers se retrouvent réduits à la disette. Tous ces éléments conjugués déclenchent l’insurrection.

Douze mois de guérilla

De juin 1878 à juin 1879, le grand chef Ataï réussit à unifier de nombreuses tribus contre la pression foncière des nouveaux colons et leurs élevages extensifs (les premiers habitants de l’archipel n’occupaient plus alors que 10 % de la Grande Terre, la grande île de l’archipel). Les insurgés mènent une véritable guérilla en se déplaçant sans cesse, tenant la brousse tout en se cachant dans des refuges secrets aménagés dans les montagnes. Ils coupent les transmissions en détruisant les fils télégraphiques. Les militaires incendient les villages désertés par leurs habitants. Des dizaines de fermes sont attaquées et près de 200 colons tués. La France envoit des renforts en hommes et en armes. C’est en quelque sorte la première manifestation «  nationale  » kanak.

Le «  nettoyage  » de la guérilla dure huit mois et nécessite de multiples expéditions tant par terre que par mer. On voit alors la majorité des déportés communards, arrivés en 1872 et porteurs des préjugés de l’époque à l’égard des populations dites «  primitives  », demander des armes à leurs gardiens pour mater les «  cannibales  », à l’exception de quelques-uns autour de Louise Michel et de Charles Malato, anarchistes solidaires des insurgés et véritables premiers acteurs blancs d’un soutien anticolonialiste – Louise Michel, engagée bénévolement dans un travail pédagogique dans les tribus, allant jusqu’à remettre son écharpe rouge de la Commune à des émissaires d’Ataï à la veille de l’insurrection. Des milliers de Kanak viendront saluer le départ de Louise Michel «  l’insoumise  » sur les quais de Nouméa en 1880  ; et encore aujourd’hui, sa mémoire est très présente dans la population mélanésienne.

Un siècle de révoltes

L’état de guerre dure près de dix-huit mois et la répression est terrible avec près de 2 000 morts kanak. Ataï est assassiné par des Kanak de la région de Canala «  ralliés  » en septembre 1878. Certaines tribus insurgées sont déportées en mars 1879 dans des îles aux extrémités de la Grande Terre, à Belep au nord, à l’île des Pins au sud.

La tête d’Ataï est envoyée en France dans un bocal de formol avec celle de son «  sorcier  » en trophée, puis étudiée par le célèbre professeur Broca, fondateur de la Société d’anthropologie de Paris, et exhibée en 1879. Re­trouvés en 2011 dans les réserves du Musée de l’homme au Musée national d’histoire naturelle, les deux crânes ont été restitués par le gouvernement français en août 2014 alors que les descendants d’Ataï et les nationalistes kanak réclamaient leur retour depuis des décennies en vain.

La deuxième grande révolte kanak, constituée de multiples opérations de harcèlement, aura lieu de février à juillet 1917 autour des chefs Doui Bouarate et Noël Néa. Préparée de longue date, elle est déclenchée par le recrutement forcé de «  volontaires  » kanak dans le cadre de la guerre de 14-18  [2]. Le gouvernement français mettra à profit les divisions suscitées par le système colonial au sein du monde kanak pour venir à bout du soulèvement en créant un corps expéditionnaire de tribus profrançaises sur fond de mise à prix de la capture des insurgés. Le chef Noël est tué et, en 1918, le procès de 73 Kanak aboutit à 5 condamnations à mort.

Ensuite, il faudra attendre le réveil kanak des années 1960 puis les «  événements  » des années 1980 pour que la revendication du peuple kanak de sa pleine souveraineté et de l’indépendance de la Kanaky soit mise à l’ordre du jour. Elle le reste.

Daniel Guerrier, ancien coprésident de l’association Information et soutien aux droits du peuple kanak


Un siècle de colonisation

3 000 ans : Arrivée sur l’île de populations du Sud-Est asiatique, les Austronésiens, ancêtres des Kanak. Civilisation «  lapita  », puis à partir environ de l’an 1000, civilisation kanak.

1774 : James Cook découvre les terres qu’il dénommera «  Nouvelle-Calédonie  », en référence à l’Ecosse.

1844 : débarquement des premiers militaires français.

1847 : Premiers massacres de Kanak.

20 janvier 1855 : les terres sont proclamées propriétés de l’État français.

1859 : création des «  réserves pour les indigènes  ».

1864 : le territoire devient colonie pénitentiaire pour accueillir des condamné.es aux travaux forcés, les «  transporté.es  ». Début de la colonisation de peuplement pénale (bagne) et libre sur la Grande Terre (les Loyauté ne connaitront aucune colonisation de peuplement).

1866 : découverte de la «  garniérite  » (minerai de nickel, du nom de son découvreur Jules Garnier). Début de l’exploitation du nickel, avec de la main-d’œuvre vietnamienne, javanaise et indienne.

24 décembre 1867 : arrêté créant la tribu ou «  chefferie  », avec regroupements des clans (sur le modèle d’influence polynésienne existant aux Loyauté), collectivité reconnue administrativement par le pouvoir colonial.

1870 : Arrivée de Réunionnais pour implanter la canne à sucre.

1872 : arrivée des 4 300 déporté.es de La Commune de 1871 (dont Louise Michel et Charles Malato). Arrivée de colons libres alsaciens et lorrains ayant refusé l’annexion de leur région dans l’Empire allemand après la défaite française.

1873 : Arrivée des plus de 2 000 déporté.es des insurrections en Algérie (principalement celle des Mokrani de 1871).

juin 1878 : début de l’insurrection. La Grande Terre ne compte plus qu’environ 21 000 Kanak (dont environ 8 000 guerriers potentiels).


Référendum d’autodétermination, une chance ou un piège ?

À la suite des Accords de Matignon de 1988, signés par Jean-Marie Tjibaou pour le FLNKS (dans une position d’extrême faiblesse à la suite de l’assaut d’Ouvéa), Jacques Lafleur pour le RPCR («  loyaliste  ») et Michel Rocard pour le gouvernement français, suivis de ceux de Nouméa de 1998 signés par le FLNKS, le Rassemblement pour la Calédonie dans la République (RPCR) et les représentants du gouvernement français sur place, la date butoir du référendum d’autodétermination arrive avec 2018. Le Comité des signataires en a choisi la date, le 4 novembre, et la question posée lors de sa dernière venue à Paris en mars  : «  Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante  ?  »

Son résultat est quasi connu d’avance, il sera négatif pour la revendication du peuple kanak, étant donné :

– la répartition démographique des différentes populations présentes sur le Territoire, au sein desquelles les Kanak ne représentent aujourd’hui, avec plus de 100 000 personnes (ce qui est en soi une «  victoire  » par rapport à la population tombée à quelques 20 000 individus dans les années 1920), que près de 40 % de la population totale ;

– du corps électoral spécial qui permet à des individus justifiant d’un domicile continu sur le Territoire depuis 1994 de voter (et les arrivées ont continué nombreuses après les accords de Matignon) ;

– que ce même corps électoral spécial est entaché de nombreuses failles (milliers de Kanak soit disant «  introuvables  » et non inscrits, nombreux jeunes Kanak non inscrits et abstentionnistes, inscriptions frauduleuses dans des municipalités majoritairement «  loyalistes  »…)

– et qu’il n’est pas organisé par une institution internationale comme l’Onu, mais par la puissance coloniale elle-même avec seulement le contrôle d’experts onusiens.

Certes, les accords prévoient que deux autres référendums d’autodétermination, en 2020 et 2022, puissent être organisés ; mais si le dernier était encore négatif, le corps électoral bloqué disparaîtrait et le dernier «  métro  » nouvellement nommé sur place pourrait voter suivant le droit commun français, et c’en serait fini de toute possibilité d’indépendance par la voie électorale. Heureusement, la Constitution française ne comporte pas un article semblable au 155 de la Constitution espagnole (qui a enlevé toute autonomie à la Catalogne). L’autonomie actuelle de la Nouvelle-Calédonie serait maintenue, et elle est importante (elle correspond d’ailleurs à celle qui est revendiquée aujourd’hui par les Corses de l’ex-FLNC !).

Dans ce contexte, le peuple kanak est divisé sur l’attitude à avoir  : les organisations signataires des Accords sont quasi obligées d’en accepter les règles du jeu tout en en prévoyant le résultat, et en cherchant des pistes pour que l’échec ne se reproduise pas trois fois ; tandis que d’autres courants préféreraient le boycotter d’entrée.

Mais comme l’a bien résumé, lors de la convention du FLNKS les 28 et 29 avril, Daniel Goa, actuel porte-parole du Front  : «  Un peuple qui perd uni est un peuple qui a été rendu minoritaire chez lui par la colonisation de peuplement. Si le peuple perd parce qu’il est divisé, quelle crédibilité garde-t-il pour la suite de son combat  ? »

Alors souhaitons au peuple kanak une position unitaire commune, quelle que soit celle qui émergera du consensus dans la tradition de sa culture, tout en rappelant les dernières paroles de Jean-Marie Tjibaou peu avant de mourir  : «  Le sang des morts demeure vivant.  » Quoiqu’il arrive le 4 novembre, la revendication demeure  !

Daniel Guerrier


[1] Wassissi Iopué, in Le Bicentenaire et ces îles que l’on dit françaises, Syllepse, 1989).

[2] «  1917 : Les Kanak font la guerre à la guerre  », Alternative libertaire, avril 2017.


http://www.alternativelibertaire.org/?J ... olte-kanak
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Re: Nouvelle-Calédonie - Kanaky

Messagede bipbip » 26 Oct 2018, 20:49

La Kanaky ne sera pas indépendante après le référendum du 4 novembre

Devant les sénateurs, Édouard Philippe a réaffirmé mardi 16 octobre l’impartialité de l’État quant au référendum d’autodétermination prévu le 4 novembre. Une position confortable dans la mesure où le résultat est couru d’avance : la Kanaky ne sera pas indépendante au lendemain du référendum. Un résultat déjà contenu en creux dans les accords de Nouméa en 1998, et de Matignon en 1988.

« Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? » C’est la question à laquelle devront répondre, par oui ou par non, quelque 174 154 électeurs le 4 novembre prochain. Le dernier sondage disponible prévoit une large victoire du non qui l’emporterait avec 66 % des suffrages exprimés contre 34 % pour le oui. Un résultat dont la compréhension est inséparable de la répartition ethnique de la population de l’archipel. Sur les 268 500 habitants que compte la Nouvelle-Calédonie, seulement 39,1% se déclarent Kanaks, contre 40,3 % cinq ans plus tôt. Viennent ensuite les Européens (27,1 %), puis des populations océaniennes originaires de Wallis-et-Futuna, du Vanuatu ou de Tahiti (11,4 %) non acquises à la séparation avec la France. Enfin, 8,6 % des habitants se déclarent de plusieurs communautés.

L’idée d’un référendum est évoquée pour la première fois en 1983 lors de rencontres entre l’État français et une délégation politique kanake, indique Daniel Guerrier. Pour l’ancien coprésident de l’association information et soutien des droits du peuple kanak (AISDPK), la délimitation du corps électoral est déjà un des nœuds du problème. « Les kanaks font preuve d’une grande ouverture d’esprit, ils acceptent l’idée qu’au référendum pourront participer les victimes de l’histoire : les descendants des bagnards, leurs gardiens et les agriculteurs des premières colonies de peuplement. » Mais les négociations s’enlisent et ouvrent une crise politique à partir de la fin 1984 avec le boycott des élections territoriales et la proclamation par le FLNKS d’un gouvernement provisoire de Kanaky présidé par Jean-Marie Tjibaou. Elle durera quatre années jusqu’au massacre de la grotte d’Ouvéa et aux accords de Matignon en 1988.

Corps électoral bloqué

Les accords de Matignon du 26 juin 1988 prévoient l’organisation d’un référendum d’autodétermination dans les dix années qui suivent. Mais le scrutin est repoussé par les accords de Nouméa en mai 1998 qui prévoient entre temps un transfert progressif de compétences de l’État en dehors des pouvoirs régaliens. Les deux accords acceptent l’idée d’un corps électoral bloqué pour cette consultation. « Il est moins bloqué que ne le souhaitaient les Kanaks. Les populations qui ont afflué sur le territoire lors du boom du nickel dans les années 60 et 70 ont été incluses dans le corps électoral. Cela noie les Kanaks dans leur propre pays », explique Daniel Guerrier qui évoque une circulaire de Pierre Mesmer en 1972 donnant instruction au haut-commissaire en Nouvelle-Calédonie de « faire du blanc ».

Finalement sur un collège électoral global en Nouvelle-Calédonie de 210 105 personnes, 174 154 pourront voter le 4 novembre. Pour les non-Kanaks, il faut résider dans l’archipel de façon continue depuis au moins le 31 décembre 1993. Ainsi, les métropolitains arrivés pendant la période du boom du nickel ne sont pas exclus du vote. « Si ne pouvaient voter que les autochtones et les victimes de l’histoire, le référendum serait gagné », considère Daniel Guerrier. Mais le militant anticolonialiste estime que « l’inclination naturelle de l’État français est de garder la Nouvelle-Calédonie pour des raisons stratégiques ». Il est vrai que ce territoire concentre un quart des réserves mondiales de nickel et participe à faire de la France la seconde puissance maritime mondiale, derrière les États-Unis.

Si les résultats du vote du 4 novembre confirment les sondages, les indépendantistes pourront réclamer un second et même un troisième référendum d’ici 2022. Mais sans changement du corps électoral, ils n’auront pas plus de chance d’aboutir, fermant la porte à une indépendance par des voies pacifiques, négociée par les accords de Matignon et d’Ouvéa.


et interview de Daniel Guerrier https://rapportsdeforce.fr/linternation ... e-10192359
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Re: Nouvelle-Calédonie - Kanaky

Messagede bipbip » 27 Oct 2018, 18:58

Pour défendre sa souveraineté et son indépendance en Océanie la France recolonise-t-elle la Nouvelle-Calédonie ?

L’accord de Nouméa et l’axe géopolitique indo-pacifique

Hamid Mokaddem, Nouvelle-Calédonie

Les voix d’un scrutin pour se faire entendre

À l’approche du référendum du 4 novembre 2018, on reste étonné, en Nouvelle-Calédonie, de l’immobilisme politique. Les questionnements sur la souveraineté/indépendance, suspendus et différés depuis 1988, sont maintenant posés de manière directe aux « populations intéressées » : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? » L’accord, signé à Nouméa le 4 mai 1998, avait délibérément remisé l’idée d’indépendance pour organiser et programmer pendant 20 ans, soit la durée des quatre mandatures des élections de province, un transfert évolutif et graduel de souveraineté « partagée ». Le concept d’indépendance, soustrait des négociations, ne pouvait être, n’a jamais été, et ne sera jamais ni mis en œuvre ni travaillé pendant la durée d’application de l’accord de Nouméa (1998-2018, voire 2023 en cas d’hypothèse d’un « non » à trois référendums successifs). La France, puissance administrante, en concertation avec les deux classes politiques hégémoniques, le RPCR (Rassemblement pour la Calédonie dans la République française) et FLNKS (Front de Libération Nationale Kanak et Socialiste), avait décidé de différer l’idée d’indépendance. L’accord de Nouméa est présenté comme un exceptionnel processus de décolonisation. En fait cette décolonisation n’est-elle pas une recolonisation programmée ? En effet, sous prétexte de transfert évolutif de souveraineté, le dispositif mis en place ne forclot-il pas la souveraineté kanak à l’avantage de l’axe géopolitique tracé par la France dans le Pacifique sud ?


Les populations intéressées

Le référendum, organisé à la sortie de l’accord de Nouméa, consulte les « populations intéressées » – citoyens-nationaux français ayant résidé sur le territoire calédonien pour une durée d’au moins 20 ans à compter de 1994 qui font partie du corps électoral référendaire défini par la loi organique de mars 1999 – sur la question : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? ». La LESC (liste électorale spéciale) définitive compte 174 154 électeurs inscrits sur une population recensée de 268 267 individus : 112 628 électeurs inscrits en Province sud; 40 160 en Province nord et 21 366 en Province des îles. Les sondages les plus récents donneraient 69% de « non » à l’indépendance. Les chiffres des votants kanak transmis par les services du Haut-Commissariat de la République sont contestés par le FLNKS. Parmi les 174 154 électeurs appelés aux urnes le 4 novembre 2018, 80 120 sont de statut coutumier et 94 034 de droit commun. Le statut coutumier est l’ancien statut de droit particulier qui légifère l’état civil des Kanak. Le droit commun concerne l’état civil de tous les autres citoyens nationaux français. Les Kanak ont voulu conserver ce statut pour préserver leurs droits et coutumes et leurs terres coutumières. Le votant kanak est dans la première catégorie mais aussi dans la deuxième. Le FLNKS affirme que le Haut-Commissariat a reçu au total 3259 demandes d’inscription en bureau de vote délocalisé alors que 11 000 électeurs étaient potentiellement intéressés par ce dispositif. Le FLNKS estime que les votants kanak représenteraient 63% du total des inscrits. En fait, on serait plus proche des 53 % de votants kanak, desquels il faudrait encore soustraire le pourcentage des « oui » des votants « kanak loyalistes », des abstentionnistes et des Kanak non favorables à l’idée d’indépendance.

Comment expliquer que l’accord de Nouméa ait ainsi différé l’accès à la souveraineté/indépendance ?


Le transfert de souveraineté, la pièce maîtresse du dispositif

Le pivot du dispositif juridico-politique mis en place par la France en Nouvelle-Calédonie est un transfert évolutif de souveraineté partagée. La pleine souveraineté, transfert des compétences régaliennes (la défense et la sécurité intérieure, les relations extérieures partiellement partagées entre la France et la Nouvelle-Calédonie, la monnaie, la justice), fait l’objet de la question du référendum. Moteur et fondement des mécanismes institutionnels, ce transfert avait constitué l’objet central des négociations en mai 1998 entre les trois forces et légitimités politiques.

Mais qu’entend-on au juste par accord de Nouméa ? Il s’agit en fait d’un pacte civil ou d’une parole contractée par un corpus de textes constituant une « police discursive ». Les ordres du discours procèdent par inclusion/exclusion, mobilisent différentes modalités de textes, exercent des séries de prescriptions : a/ le « préambule » et « document d’orientation », matière et support de la négociation mais aussi forme du pacte civil; b/ la traduction juridique en mars 1999 de l’accord par une loi organique (répartissant les pouvoirs et compétences administratives); c/ les contrôles de légalité des lois de pays par le Conseil d’État; d/ la garantie et contrôle de l’accord et du transfert de souveraineté par le Conseil constitutionnel; e/ la constitutionnalisation de l’accord de Nouméa; f/ les textes de jurisprudence écrits par les sténographes lors des différents comités des suivis des signataires de l’accord de Nouméa ;g/ la production de droit civil et coutumier « calédonien », etc.

Le dispositif politique met en œuvre des pratiques discursives par lesquelles la normativité et l’exercice des pouvoirs structurent la vie politique de la Nouvelle-Calédonie. Les partis politiques, les syndicats, les associations religieuses, culturelles, sportives, les conseils coutumiers, et y compris, bien entendu, les institutions créées par l’accord de Nouméa (gouvernement, congrès, sénat coutumier, conseil économique et social devenu conseil économique, social et environnemental), donnent vie et corps à la Nouvelle-Calédonie. La vie civile, économique, politique exprime et ramifie les structures, styles et procédures de l’État. L’État n’est pas qu’une institution représentant la puissance administrante de la France. Il constitue une ramification des essences, des pouvoirs, des « étatisations ». Une puissance perpétuelle et permanente qui produit discours et mécanismes des pouvoirs qui mettent en forme les fonctionnements « démocratiques » et « électoralistes » des partis politiques. Les partis kanak indépendantistes comme les partis politiques calédoniens anti-indépendantistes autoproduisent les modélisations et mécanismes des pouvoirs institués. Ils produisent et/ou reproduisent des procédures et paradigmes des actions de l’État du fait qu’ils n’existent que par ces étatisations perpétuelles et permanentes.

Tout ce dispositif est rendu possible par la mise en œuvre du transfert de « souveraineté partagée » qui repousse ainsi dans le temps un éventuel « transfert de souveraineté pleine et entière ». La mécanique juridico-politique ordonne, structure et fonde l’accord de Nouméa. Le transfert différé oriente, normalise et régule la trajectoire de la Nouvelle-Calédonie. La durée de vie de l’accord est séquencée par l’échéancier électoral et institutionnel que représentent les quatre mandatures des élections de provinces (20 voire 25 ans). Les cycles d’inquiétude des populations sont déterminés par ces calculs d’espérance : calculs des promesses de l’économie consécutifs à une durée politique.

Le discours est redoutable dans la mesure où il fait suite à une « mémorisation » des contentieux, des conflits et accords précédents. L’accord réactive l’histoire et fait accéder la Nouvelle-Calédonie à une étape dite de « décolonisation ». Cette étape suppose de forclore ou de suspendre la revendication de souveraineté de Kanaky. Lisons de près un point précis de l’accord de Nouméa :

La colonisation a porté atteinte à la dignité du peuple kanak qu’elle a privé de son identité. Des hommes et des femmes ont perdu dans cette confrontation leur vie ou leur raison de vivre. De grandes souffrances en sont résultées. Il convient de faire mémoire de ces moments difficiles, de reconnaître les fautes, de restituer au peuple kanak son identité confisquée, ce qui équivaut pour lui à une reconnaissance de sa souveraineté, préalable à la fondation d’une souveraineté partagée dans un destin commun1.


L’éclipse de la souveraineté de Kanaky

Une lecture littérale fait croire à une volonté de décolonisation par l’acte de reconnaissance de la confiscation de l’identité du peuple kanak. Tout le début du point 3 ne cesse de parler de reconnaissance de l’histoire coloniale et des traumatismes consécutifs aux spoliations foncières et parquages des populations kanak dans des réserves créés en 1887 suite à la répression militaire de la guerre kanak de 1878, aux assujettissements par les biopolitiques dénommées « code de l’indigénat » des Kanak, des transportés et des Indigènes de la République, après que la France a expérimenté ces mesures en Algérie : restrictions contrôlées par la gendarmerie des populations kanak, impôts de capitation par des travaux forcés, enrôlements pour l’armée française et participation à la première guerre mondiale, négation des coutumes et rituels qui scandent l’économie des échanges des sociétés kanak, transformations des structures sociales hiérarchisées propres aux souverainetés kanak en chefferies administratives. Le FLNKS avait exigé que l’accord reconnaisse l’identité kanak et l’histoire des spoliations foncières.

Le fait colonial reconnu est-il une action de décolonisation et une restitution de la souveraineté confisquée ?

Une lecture attentive indique que la reconnaissance de Kanaky, souveraineté revendiquée par le peuple kanak, passe par une éclipse de celle-ci en vue d’organiser une autre souveraineté, « partagée dans un destin commun ». La nouvelle souveraineté doit être refondée par un contrat social entre le peuple kanak et l’ensemble des autres communautés. Le contrat suppose une condition : substituer à la souveraineté de Kanaky la souveraineté partagée.

La souveraineté de Kanaky n’est reconnue que par confiscation de l’identité kanak. Une fois reconnue, Kanaky doit s’éclipser. Kanaky n’existe que dans le moment ponctuel du discours et disparaît pour faire place à une « souveraineté partagée ». Le nom de Kanaky est le point aveugle du discours.

En effet, l’ordre du discours est monolingue et fait parler les sujets, voire parle à leur place. Ici il fait parler et parle à la place du peuple kanak. La voix du peuple domestiquée, polie et civilisée, est réduite à une plainte identitaire que la puissance régalienne bienveillante feint d’entendre et de reconnaitre pour l’édulcorer et la castrer de son pouvoir de revendication. Dire, comme le fait dire l’accord, que la reconnaissance de l’identité confisquée équivaut « pour lui » – attribution d’une voix par l’ordre du discours – à une reconnaissance de sa souveraineté est un stratagème d’autant plus efficace que, par un coup de force symbolique, il est consenti par les signataires, dont le FLNKS, représentant du peuple kanak.

La pratique du discours enregistre voix et discours kanak prononcés lors des années 70, 80 ou 90, précisément par les militants nationalistes. La persistance du monolinguisme, étatisation sténographique, enregistre et archive les discussions : table ronde de Nainville-les-Roches (1983), accord de Matignon (juin 1988) suivi de celui d’Oudinot (août 1988). L’ordre élève les voix vers l’étape de la décolonisation. Le moment reconsidère le passé et réactualise l’histoire. La parole kanak transformée en voix « domestiquée », « officialisée » et « électoralisée », devient un discours convenu. Michel Rocard, le maître d’œuvre des accords de Matignon-Oudinot, le disait avec franchise :

Et je voudrais revenir sur ce concept [l’indépendance] pour vous dire d’abord, que ma vie durant, j’ai respecté non sans risque, les identités collectives de peuples opprimés qui exigeaient, qui se battaient pour que la reconnaissance de leur dignité passe par la reconnaissance de leur indépendance. J’ai commencé ma vie avec le combat contre l’Indochine, j’ai retrouvé cela à propos de la guerre d’Algérie, j’ai retrouvé cela en regardant et essayant de comprendre un peu le problème corse. Et le fait de reconnaître la légitimité d’une souffrance ou d’une revendication, n’équivaut pas naturellement à reconnaître la formalisation dans laquelle cette revendication veut aboutir2.


Le discours politique kanak

À tout bout de champ, les hauts-fonctionnaires de l’État, relayés par les politiciens locaux (kanak et calédoniens), ne cessent de se référer aux propos du leader charismatique Jean-Marie Tjibaou, notamment aux extraits d’une interview accordée aux Temps modernes en 1985 : « C’est la souveraineté qui nous donne le droit de pouvoir négocier les interdépendances. Pour un petit pays comme le nôtre, l’indépendance c’est de bien calculer les interdépendances3».

L’action et le discours de Tjibaou consistaient à reformuler les structures hiérarchisées des échanges dans les rapports sociaux kanak confrontés aux violences des capitalismes mondialisés. La souveraineté est la puissance de décision qui appartient au peuple colonisé à qui la France a confisqué son histoire. L’indépendance économique est le système des besoins transportés par l’histoire coloniale avec lequel le petit peuple insulaire doit construire ses propres modèles. On retrouve la même idée dans le discours de Raphaël Pidjot nommé en 1998 PDG de la SMSP (Société Minière Sud Pacifique). La France s’approprie le discours kanak et le convertit en voix pour lui faire dire ce qu’elle veut entendre. La « mémorisation », le « devoir de mémoire », l’histoire officialisée par le système d’enseignement mis en place par la France en Nouvelle-Calédonie, réussissent à faire parler les acteurs concernés dans une mise en scène et un scénario cousus par les sténographes « étatisés ». La parole kanak devient un discours redondant. Le contenu politico-économico-culturel de souveraineté de Kanaky est vidé de sa substance pour être réduit par le discours officiel à une revendication d’identité confisquée.


La souveraineté : propriété nationale de la France

Mais que transfère l’accord de Nouméa ? Une chose confisquée à restituer ? La souveraineté du peuple kanak délogé de son lien et de son lieu, son pays, son territoire ? Or, aujourd’hui, peut-on restituer une telle chose ? Une chose originelle est-elle reconnaissable?

L’histoire coloniale a modifié l’identité confisquée, la « propriété » ou la « souveraineté », au point d’en changer les propriétaires. Restituer pose la question de savoir à qui restituer et quoi restituer. La permanence ou l’identité de l’objet certes persiste, malgré les altérations du devenir et les modifications des interventions. Toutefois, la question du destinataire demeure. La propriété théorisée par le contrat social est contemporaine des capitalismes et colonialismes qui ont exproprié les populations autochtones de leur terre et patrie. Le colonisateur a transformé les terres spoliées en propriété privée pour produire une plus-value par l’exploitation et les travaux forcés. Le travail a transformé une terre qui confère un droit de propriété aux colons devenus nouveaux propriétaires. Les terres coutumières kanak ont préservé un mode culturel de vie, résistance et survie sociale contre ces expropriations. Les transformations foncières ont fait des colons des propriétaires. Leurs propriétés sont devenues des choses réelles.

Le discours persistant de la puissance souveraine essaie de faire croire qu’il n’y est pour rien. On reste admiratif face au cynisme de la raison d’État exprimé par la voix de François Mitterrand, président de la République, candidat à sa propre succession dans sa lettre adressée aux Français, et s’adressant indirectement à Jean-Marie Tjibaou en 1988 :

Je ne crois pas que l’antériorité historique des Canaques [sic] sur cette terre suffise à fonder le droit. Histoire contre histoire : les Calédoniens d’origine européenne ont aussi, par leur labeur, modelé ce sol, se sont nourris de sa substance, y ont enfoncé leurs racines4.

Le faux-semblant suppose que l’existence n’est pas l’essence. Un patron d’usine peut reconnaître l’existence d’une revendication. Cela ne signifie pas que la revendication sera satisfaite. La reconnaissance de la souveraineté est une étape, considérée comme dépassée, et fait place au transfert d’une autre souveraineté, une « souveraineté partagée », « dans un destin commun ». La souveraineté de Kanaky disparaît au moment du discours mis en place par la France en Nouvelle-Calédonie. Kanaky cède sa place à une souveraineté partagée. Partagée par la puissance souveraine qui consent à un transfert graduel des compétences juridiques jusqu’à un référendum qui pourrait transférer les compétences régaliennes, la pleine souveraineté. L’ordre du discours fait disparaître Kanaky. « Kanaky est en train de disparaître » est le pendant symétrique de la proclamation en 1984 avec la levée du drapeau de Kanaky par le président du FLNKS : « Kanaky est en train de naître. »


Ordre géopolitique et ordre du discours

On se demandera pour finir les raisons d’un tel dispositif. Le programme d’une recolonisation, consentie par la Nouvelle-Calédonie, s’explique par la stratégie géopolitique de la France. La France ne veut pas que l’une de ses possessions d’outre-mer accède à la souveraineté. La reconfiguration des ordres politiques mondiaux, qui fait suite à la perte des colonies d’Asie et d’Afrique, oblige la France à renégocier sa souveraineté nationale et son indépendance. La France trace de nouveaux axes géopolitiques et produit des souverainetés déterritorialisées. Ces stratégies géopolitiques planifient des programmes de recolonisation, dont fait partie l’accord de Nouméa. Ainsi dès le départ, la trajectoire de la Nouvelle-Calédonie est faussée. Les suspensions des souverainetés revendiquées, comme la Kanaky, font partie des histoires géopolitiques de la France en Océanie. La durée de l’accord de Nouméa sert les intérêts de la France qui calcule et construit des routes commerciales et pour ce faire assoit sa puissance souveraine à partir des territoires ultramarins et des ZEE (zones économiques exclusives). Pour conserver et multiplier sa souveraineté nationale et son indépendance, la puissance administrante réactive les ramifications déterritorialisées.

Il suffit de lire le document mis en ligne par la défense nationale, intitulé Le livre blanc de la défense nationale (2013), dont on ne citera ici qu’un extrait :

La France est présente sur tous les océans et sur la plupart des continents, notamment grâce aux outre-mer. Outre leur importance économique et stratégique, ces territoires permettent à notre pays d’entretenir des relations particulières avec des pays éloignés de l’Europe et lui valent d’être reconnu comme partenaire par de nombreuses organisations régionales pour lesquelles il est souvent le seul État européen ainsi associé. La zone économique exclusive de la France, qui couvre 11 millions de km2 – soit 3 % de la surface des mers du globe – est la deuxième derrière celle des Etats-Unis. Elle recèle de nombreuses ressources halieutiques, minérales et énergétiques dont l’exploitation constitue un atout très important pour notre économie.



Il est erroné de croire que la décolonisation des collectivités et territoires des outre-mer soit une des priorités politiques de la France. Si tel était le cas, la souveraineté et l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie auraient pu constituer le fondement de la politique publique et la question aurait été posée d’entrée de jeu de manière pragmatique. Comment aider un petit pays insulaire à construire une économie durable qui le conduise vers sa propre souveraineté? La trajectoire de la Nouvelle-Calédonie aurait pu être orientée de telle sorte que les énergies soient mobilisées vers des devenirs souverains. Il est cynique de déclarer que « Kanaky » n’est pas prête à devenir indépendante dès lors que le point de départ est faussé. Les partisans de la Calédonie française ne veulent pas devenir souverains. Ils ne se poseront jamais la question de la souveraineté/indépendance. Le référendum n’a pas lieu d’être dans la mesure où la souveraineté nationale appartient à la République française. Certains partis politiques « loyalistes » affirment qu’il faut « écraser » par une forte majorité de « non » pour « purger », une bonne fois pour toutes, l’idée d’indépendance. Les partisans d’une Calédonie française ou d’une Calédonie ensemble estiment que les pouvoirs monétaires, militaires, le contrôle et la sécurité des ZEE, appartiennent à la France. La France maintient un statu quo et dissuade le peuple kanak de vouloir encore revendiquer une indépendance dans un ordre mondial qui nécessite des puissances de dissuasions économiques et militaires qu’il ne peut posséder seul. La France a programmé un transfert de « souveraineté partagée » pour forclore la souveraineté de Kanaky au nom d’une « communauté de destin ».

1 JORF n° 121 du 27 mai 1998 : 8039.

2 Rocard, M., « Conclusion du colloque » p. 201-208 in Regnault, Jean-Marc et Viviane Fayaud (éditeurs), La Nouvelle-Calédonie. Vingt années de concorde- 1988-2008, Paris, Publications de la Société française d’histoire d’outre-mer, 2008, 212 pages.

3 Tjibaou, J.-M, « Entretien avec Jean-Marie Tjibaou » p. 1587-1601 in Les Temps Modernes. Dossier « Nouvelle-Calédonie : Pour l’indépendance », Paris, 41e année, mars 1985 n° 464.

4 Mitterrand, F., Lettre à tous les Français pour la campagne à l’élection présidentielle de 1988 reproduite p. 239-241 in Jean-Marie Tjibaou, La présence kanak, Paris ; Odile Jacob, 1996. Sur la confrontation entre François Mitterrand et Jean-Marie Tjibaou, je me permets de renvoyer à un article, Mokaddem, H., « Jean-Marie Tjibaou/François Mitterrand : un quiproquo ? » p. 345-352 in (sous la direction de) Jean-Marc Regnault, François Mitterrand et les territoires français du Pacifique (1981-1988), Paris, Les Indes savantes, 2003, 583 pages.


http://www.courtechel-transit.org/2018/ ... donie.html
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Re: Nouvelle-Calédonie - Kanaky

Messagede Pïérô » 28 Oct 2018, 16:30

Le référendum d’autodétermination : une mystification

NOUVELLE-CALÉDONIE

Le référendum d’autodétermination : une mystification

Avec l’accord de Matignon signé en 1988, l’Etat français a réussi à brouiller le tableau politique calédonien en provoquant dans les deux camps, indépendantiste et anti-indépendantiste, des clivages très forts entre ses partisans et ses opposants (1), et, en 1998, l’accord de Nouméa a aggravé ses effets.

L’accord de Nouméa a été conclu le 5 mai 1998 entre Jacques Lafleur au nom du Rassemblement pour la Calédonie dans la République (RPCR) et Roch Wamytan pour le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), Lionel Jospin représentant l’Etat français. Déclaré irréversible, il prévoit le transfert progressif aux nouvelles institutions calédoniennes de tous les pouvoirs… hormis le régalien (justice, ordre public, défense [2] et monnaie et affaires étrangères), qui reste au gouvernement français. Celui-ci finance le fonctionnement de ces institutions et a le droit de dissoudre le Congrès calédonien en cas d’instabilité institutionnelle. Composé de 54 membres issus des trois Assemblées de province, ce Congrès élit à la proportionnelle un exécutif. Un Sénat coutumier est consulté sur les sujets intéressant l’identité kanake – « culture de référence » que le Centre culturel Tjibaou qui naîtra en 1989 à Nouméa aura à charge de faire connaître et développer.
A ce propos, l’accord admet que « le choc de la colonisation a constitué un traumatisme durable pour la population d’origine », que « le moment est venu de reconnaître les ombres de la période coloniale », et aussi d’« ouvrir une nouvelle étape marquée par la pleine reconnaissance de l’identité kanake, préalable à la révision d’un contrat social entre toutes les communautés qui vivent sur le Caillou, et par un partage de souveraineté avec la France, sur la voie de la pleine souveraineté ». Des termes que la droite dure caldoche veut depuis faire disparaître.

Les répercussions des accords chez les indépendantistes

Côté kanak, des leaders se sont mis dès l’accord de Matignon à défendre les « acquis » et une « indépendance négociée », avec des étapes menant à une plus grande autonomie du territoire plutôt qu’à l’indépendance – au nom du pragmatisme ou pour servir leurs intérêts personnels. Les militant-e-s – en particulier au Palika – ont perdu de leur combativité en s’investissant dans l’administration des provinces à majorité kanake pour les faire fonctionner (3) ; et il s’est formé, au fil des ans, une petite bourgeoisie kanake (infirmiers, instituteurs…) favorable au statu quo.
L’Union syndicale des travailleurs kanaks et des exploités (USTKE) quitte le FLNKS en 1989 (4) ; le Front uni de libération (FULK), mené par Yann Céléné Uregei et qui a appelé à voter non au référendum, en 1990… Mais l’Union océanienne, composée de Wallisiens et Futuniens favorables à l’indépendance et rebaptisée Rassemblement démocratique océanien (RDO) en 1994, devient une composante du FLNKS, alors que ces communautés étaient traditionnellement sous la coupe du RPCR. Et le RDO y demeure actuellement, aux côtés de l’Union calédonienne (UC), du Palika et de l’Union progressiste mélanésienne (UPM, fondée en 1974 par des dissidents de l’UC).
De 1989 à 1992, il existe au Congrès calédonien comme un pacte de non-agression entre l’UC et le RPCR sur fond de développement séparé des provinces – le FLNKS gère celles du Nord et des îles Loyauté, le RPCR celle du Sud. Mais les dissensions dans le Front ont des répercussions dès les provinciales de 1995 : s’il garde le Nord – en dépit des listes rivales de l’UC et de l’Union nationale pour l’indépendance (UNI, lancée par le Palika et l’USTKE avec des membres de l’UC) –, il perd la présidence des îles car le parti Libération kanak socialiste (LKS) de Nidoïsh Naisseline s’allie pour le battre à la fois au Front pour le développement des îles Loyauté (FDIL, une dissidence de l’UC) et aux loyalistes…
De plus, les pourparlers débutés en octobre 1995 entre le FLNKS et le RPCR pour faire avancer les institutions s’interrompent. D’une part, les représentants du Front (François Burck, Léopold Jorédié et Roch Wamytan, figures de l’UC) sont désavoués pour avoir parlé dans la presse française de négociations avec le RPCR prévoyant le maintien du territoire dans l’ensemble français. D’autre part, le FLNKS pose en avril 1996 comme condition à la reprise de ces pourparlers la cession par la Société le nickel (dont l’Etat est actionnaire) de ses mines dans le Nord à la Société minière du Sud-Pacifique (SMSP, créée au début des années 1990 pour insérer les Kanaks dans l’exploitation du nickel). Le Palika est hostile à cette position ; aussi, tandis que le FLNKS opte pour l’abstention aux législatives de 1997, lui choisit avec l’USTKE de soutenir dans une circonscription Philippe Pentecost, homme d’affaires anti-indépendantiste.
En février 1998, le problème minier est réglé par la cession du massif de Koniambo à la SMSP et la décision d’y construire une usine de traitement de nickel. Le Front arrive enfin à fixer la date de son prochain congrès…
Pro et anti-indépendantistes appellent à voter l’accord de Nouméa (5), mais d’autres ruptures interviennent dans le FLNKS. Burck et Jorédié créent avec le numéro deux du Palika Raphaël Mapou, le LKS et le FDIL un Comité de coordination pour l’indépendance (CCI) qui entame des négociations directes avec Lafleur et devient la Fédération des comités de coordination indépendantistes ; aux provinciales de 1999, cette FCCI gagne 4 sièges au Congrès, et forme avec les 24 élus du RPCR un groupe qui donne à ce parti la majorité absolue jusqu’en 2004. En 2000, l’UC crée au Congrès et dans les Assemblées de province des groupes distincts de ceux du FLNKS tout en continuant à faire partie de cette structure, et elle présente des listes uniquement UC lors des élections. En 2001, les diverses composantes du FLNKS ne parvenant pas à s’entendre sur un président, il est décidé que cette fonction sera désormais assurée par un bureau politique collégial…
Crises et scissions rythment ainsi – depuis trente ans – la vie dans le mouvement indépendantiste. Aujourd’hui, le FLNKS conserve l’essentiel de l’électorat kanak mais n’a toujours pas de président. Aux provinciales de 2014, il n’a présenté de liste unitaire que dans le Sud. Sur les 20 sièges qu’il détient au Congrès, 11 sont à l’UC, 8 au Palika et 1 à l’UPM.

Les conséquences des accords chez les anti-indépendantistes

Les loyalistes se sont déchirés lors de la poignée de main entre Lafleur et Tjibaou, et de nouvelles formations de droite sont venues concurrencer soit le RPCR (6) – renommé Le Rassemblement UMP et soumis à de multiples dissidences à partir de 1989 –, soit le Front national. En particulier Avenir ensemble, d’Harold Martin, en 2004 (rebaptisé Les Républicains calédoniens en 2017) et Calédonie ensemble, de Philippe Gomès, en 2008. Ces partis, d’une droite plus modérée, ont fini par ravir le leadership au RPCR et sont désireux de trouver une solution consensuelle entre large autonomie et souveraineté pour la Nouvelle-Calédonie. Mais aucun n’a les moyens de faire seul sa politique au Congrès et dans la province Sud ; de plus, ils scissionnent sans cesse et s’opposent entre autres sur l’attitude à avoir par rapport aux accords.
Calédonie ensemble, qui se déclare pluriethnique et pour le maintien dans le giron français, détient présentement les deux sièges de députés calédoniens à l’Assemblée nationale et un des deux sièges de sénateurs. Il dirige aussi la Nouvelle-Calédonie, depuis l’élection de Philippe Germain à la tête du gouvernement en 2015… grâce notamment aux voix kanakes de l’UNI et de l’UC (le représentant de ce parti, Jean-Louis d’Anglebermes, est vice-président du gouvernement).
Enfin, on trouve une large part de l’électorat wallisien et futunien dans le camp anti-indépendantiste. Ce sous-prolétariat du bâtiment et des mines a peur de devoir retourner à Wallis-et-Futuna, petites îles sans terres cultivables, si l’indépendance l’emporte en Nouvelle-Calédonie. Alors, quoique très exploité et maltraité par les caldoches, il donne le plus souvent sa voix aux formations de droite ou au Rassemblement océanien pour une Calédonie plurielle (ROC plurielle) que préside Mikaële Tuifua. Cependant, si ce parti défend un « destin commun » calédonien dans lequel les Wallisiens et Futuniens auraient leur part, c’est par un rapprochement entre Polynésiens et Mélanésiens, et en accusant les loyalistes d’être à l’origine de l’antagonisme entre ces communautés et de l’entretenir (7).

Une situation sociale encore dégradée

Dans le même temps où l’Etat français neutralisait la revendication indépendantiste avec les accords, les inégalités sociales ont empiré pour la majorité des Kanak-e-s (8), qui subissent toujours oppression et exploitation, racisme et discriminations (en matière de salaires, emploi, niveau de vie, logement, santé ou éducation [9]). De plus, quoique les investissements de l’Etat se soient effectués à proportion d’un quart pour le Sud et des trois quarts pour le Nord et les îles, le déséquilibre entre les provinces s’est accentué.
Dans les banlieues de Nouméa, la population s’est fortement accrue parce que des jeunes Kanaks y arrivent des autres provinces pour faire des études ou chercher un travail, mais aussi par attrait pour la modernité et désir d’échapper aux contraintes collectives de la vie en tribu. Ils et elles sont ainsi 10 000 à vivre aujourd’hui, souvent dans des squats (cabanes sans eau ni électricité), autour de la capitale. Certains meurent, sous l’influence de la drogue ou de la boisson, dans un accident de la route un samedi soir ; d’autres attaquent un bar tenu par des caldoches pour se procurer de l’alcool…
Fin mai 2014, l’annonce que l’usine métallurgique de Vale, à Goro, allait fermer a provoqué blocages de routes, affrontements violents avec la police et détériorations importantes pendant une semaine ; des jeunes de Saint-Louis (la chefferie de Roch Wamytan, UC) ont exprimé ouvertement leur défiance vis-à-vis des chefs coutumiers et des leaders politiques. Fin octobre 2016, c’est la mort d’un jeune évadé de prison, tué d’une balle dans le thorax par la police alors qu’il tentait de forcer un barrage, qui y a entraîné le caillassage de centaines d’automobilistes, et même des tirs d’armes à feu contre eux… Une réalité de classe qui rappelle les révoltes des banlieues en France.
Sur le terrain social toujours, l’USTKE a mené de nombreuses luttes et grèves assez dures (une trentaine rien qu’en 1996). En particulier à Carsud, entreprise de transport en commun dans le grand Nouméa : une grève a démarré le 2 novembre 2007 après le licenciement de deux salariés ; mais, le 17 janvier 2008, 200 gardes mobiles sont intervenus, avec lacrymos et Flash-Ball… 44 personnes ont été placées en garde à vue, 14 syndicalistes emprisonnés jusqu’au 22 février ; Gérard Jodar, alors président de l’USTKE, a été condamné à douze mois de prison dont six ferme, et 22 autres syndicalistes à des peines de un mois à un an ferme.
L’USTKE a aussi organisé avec le Palika, le LKS et le FDIL des manifestations à Nouméa pour « défendre l’emploi local », lors de l’arrivée en novembre 1997 de 110 boat people chinois. Il s’agissait d’obtenir une embauche prioritaire pour les Kanaks – non par racisme (les Kanaks ont par exemple toujours intégré dans leurs partis « métros », Wallisiens ou Asiatiques [10]), mais parce que plus de 10 000 personnes s’étaient installées sur le territoire entre 1989 et 1996 et que les emplois administratifs créés étaient attribués pour l’essentiel à des Européens. Une loi sur la protection de l’emploi local a été votée en 2010 pour donner priorité, à qualifications et compétences égales, aux Calédoniens dans le privé et une partie du public, mais elle est contournée par les employeurs.
En 2007, l’USTKE a impulsé le Parti travailliste, qui dénonce la mainmise des caldoches et des « métros » sur le pouvoir politique et économique, la spoliation persistante des terres appartenant aux Kanaks, la pollution de l’environnement… et « la déliquescence des organisations politiques issues des rangs indépendantistes qui cogèrent la situation coloniale ».

Les stratégies des deux camps à la veille du référendum

Le 4 novembre 2018 va être posée la question laborieusement rédigée par le comité des signataires en mars dernier : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? » Mais comment ce référendum pourrait-il ne pas être un piège pour les Kanaks ? Si toutes les forces politiques se sont employées à le repousser jusqu’à la date limite imposée par l’accord de Nouméa parce qu’elles craignaient son résultat, ce choix a desservi en premier lieu la revendication indépendantiste. Les Kanaks ne représentant plus que 38,5 % de la population calédonienne, ils-elles ne possèdent pas les forces numériques nécessaires pour gagner le scrutin – d’autant que, malgré leurs divisions, les anti-indépendantistes mènent une campagne bien plus active et efficace que les indépendantistes.
C’est pourquoi la composition du corps électoral a aussi longtemps cristallisé les tensions. Celui qui a été retenu comprend les personnes arrivées avant le 31 décembre 1994 et pouvant justifier (même par une boîte aux lettres) de vingt ans de domicile continu en Nouvelle-Calédonie à la date de la consultation. L’Etat a ainsi réussi à imposer dans ce vote la colonie de peuplement qu’il a développée avec constance (notamment avec le boom du nickel entre 1969 et 1973).
Nombre de Kanaks – au moins 23 000, selon les indépendantistes – ne sont pas inscrits sur la liste générale (11) : seuls le sont automatiquement les jeunes ayant fait l’objet d’un recensement militaire à leurs 16 ans. Les experts de l’ONU, qui à plusieurs reprises se sont rendus sur le Caillou, regrettaient dans leur rapport de 2017 la persistance de dysfonctionnements (comme des inscriptions frauduleuses dans des municipalités à majorité loyaliste).
Le comité des signataires est parvenu le 2 novembre 2017 à un compromis en autorisant l’inscription de 10 900 personnes, dont 7 000 Kanaks. Mais on compte 30 % de chômeurs chez les 18-25 ans kanaks, et nombre d’entre eux ont l’intention de s’abstenir car ils-elles ne considèrent pas le référendum comme un moyen d’émancipation. Surtout, la crainte de voir renaître des affrontements violents (12) fait souhaiter à beaucoup de Calédoniens une indépendance accompagnée par l’Etat français. Enfin, le scrutin n’est pas organisé par une institution internationale, mais par la puissance coloniale elle-même. Il pourrait donc bien n’y avoir que 20 % de oui.
Certes il est prévu que, si l’indépendance est rejetée, deux autres référendums seront organisés, en 2020 et 2022, sur la même question ou non ; mais si les résultats demeurent négatifs, le corps électoral bloqué disparaîtra et le dernier « métro » nommé sur place pourra voter suivant le droit commun français. C’en sera fini de toute possibilité d’indépendance par la voie électorale. Le statut actuel de l’île sera maintenu, et la France pourra demander à l’ONU de retirer la Nouvelle-Calédonie de la liste des pays à décoloniser – celle-ci donne accès à des aides financières et des soutiens politiques.
Face aux dissensions dans le FLNKS, Daniel Goa, son actuel porte-parole, a appelé à l’unité, lors de la convention des 28-29 avril, en constatant : « Si nous perdons ce référendum comme conséquence d’une politique de peuplement qui a eu pour but de nous rendre minoritaires sur notre terre, et que nous le perdons en restant unis, notre revendication demeure. On perd mais on continue à réclamer la souveraineté kanake. En revanche, si nous perdons ce référendum en étant désunis, qu’est-ce qu’on pourra garder comme revendication ? »
Concernant l’avenir, le Palika soutient l’idée de l’indépendance puis d’un partenariat avec la France. Conscient que les autres populations ne partiront pas, il pense que le seul moyen de les inciter à voter l’indépendance est de garder des liens avec la France. L’UC, elle, souhaite une indépendance-association qui implique de négocier avec le centre sinon la droite de Nouméa, et que les autres formations kanaks considèrent comme bidon. Enfin, le Parti travailliste veut l’indépendance tout court et a opté le 14 juillet pour la non-participation au référendum (plutôt que son boycott, pour ne pas diviser davantage). Mais, à son 36e congrès des 2-3 février, le FLNKS a laissé ouvert le débat sur le type de société à construire dans un Etat indépendant (13). Le processus de « décolonisation douce » qu’il poursuit ne précise donc pas les liens qui l’uniront à son ex-colonisateur. Face à l’UC qui demandait l’élection d’un président pour « disposer d’une structure qui soit pilotée afin que [la] parole [du Front] soit forte, claire, sans ambiguïté », le Palika et l’UPM ont défendu le maintien d’un bureau politique collégial. De même, la proposition faite par l’UC d’élargir le FLNKS entre autres au Parti travailliste et à l’USTKE a été refusée, mais l’idée de constituer une plate-forme à son côté a été acceptée (14).

Quelle position défendre pour les anticolonialistes ?

Dans les années 80, l’Association information et soutien à la lutte du peuple kanak (AISDPK) a affirmé concrètement sa solidarité avec ce peuple, mais l’accord Matignon l’a fait exploser : une partie de ses membres estimaient qu’on devait le dénoncer car il était mauvais ; l’autre pensait qu’il fallait faire campagne en sa faveur puisque les leaders kanaks l’avaient signé.
La solidarité envers les Kanak-e-s est actuellement très faible en France (15), et rendue compliquée par la distance (il n’y a plus de représentation permanente du FLNKS en métropole pour fournir des informations et tisser des liens). Quoi qu’il en soit, il faut bien sûr continuer de dénoncer la France comme puissance coloniale défendant ses intérêts économiques et géopolitiques en Nouvelle-Calédonie (voir l’encadré), et soutenir les luttes sociales là-bas comme ailleurs.

Vanina

1. Ainsi, en apprenant la teneur de cet accord, les militants kanaks auteurs de la prise d’otages à Ouvéa ont refusé leur libération ; et, le 4 mai 1989, Tjibaou et son adjoint Yeiwéné Yeiwéné ont été assassinés par un de leurs porte-parole, qui leur reprochait d’avoir trahi en l’acceptant.
2. La Nouvelle-Calédonie peut néanmoins siéger à la Conférence du Pacifique Sud aux côtés de pays tels que l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les Etats-Unis.
3. La présence des Kanaks dans l’administration a été favorisée par un programme de formation professionnelle dit des « 400 cadres ».
4. L’USTKE, implantée dans le public et le privé, a été fondée pour faire passer une position de classe dans le mouvement indépendantiste – les idées de socialisme et d’indépendance étant selon lui logiquement mêlées puisque c’est dans le monde du travail que se vivent le plus les contradictions du système colonial.
5. Il y aura 51,92 % de oui contre 20,33 % de non, 25,92 % d’abstentions et 1,98 % de vote blancs-nuls.
6. Battu pour la première fois dans la province Sud en 2004, et dans son propre parti par Pierre Frogier, Lafleur a quitté le devant de la scène et est décédé en 2010.
7. Dans les années 80, Lafleur a créé des milices formées de Wallisiens et Futuniens et payées par les fonds publics pour « casser du Kanak ».
8. Par exemple, les fonctionnaires « métros » bénéficiant d’un salaire indexé, le FLNKS a obtenu que les très rares fonctionnaires kanaks y aient droit aussi, mais cela a contribué à diviser plus encore la communauté kanake.
9. Les Kanak-e-s représentent 57 % des non-diplômés, 75 % des ouvriers et 90 % des détenus, contre 6 % des diplômés de l’enseignement supérieur.
10. Pierre Declercq était « métro » ; à la tête de l’USTKE, sur les dix membres de son comité directeur il y avait en 1985 cinq non-Kanaks…
11. En Nouvelle-Calédonie coexistent trois listes électorales : la générale, ouverte à tous les Français résidant sur place depuis au moins six mois ; la provinciale, pour les personnes arrivées avant le 8 novembre 1998 et ayant dix ans de résidence en continu ; enfin, la référendaire.
12. Sur les cinq leaders de l’UC qui ont fait basculer ce parti de l’autonomie à l’indépendance, en 1977, quatre ont ainsi été assassinés.
13. Il doit actualiser le projet de Constitution qu’il a déposé en 1987 à l’ONU.
14. Les divergences portent aussi sur l’acceptation des trois référendums à venir : le Palika et l’UPM veulent y participer ; l’UC propose de répondre oui au scrutin de 2018, mais de ne pas donner de consignes de vote aux suivants.
15. La gauche dénonçait auparavant au moins la situation coloniale en Nouvelle-Calédonie ; aujourd’hui il n’y a guère qu’une partie de l’extrême gauche (notamment le NPA et Solidaires), des libertaires ou le Syndicat des travailleurs corses (STC) pour soutenir ouvertement les Kanaks.


ENCADRE

Le malheur d’être né-e dans un pays riche

La Nouvelle-Calédonie est importante pour la France tant sur le plan économique que stratégique. Elle est très riche en minerais : cobalt, chrome, fer, manganèse, et surtout nickel latéritique (elle renferme 45 % des réserves mondiales de ce métal, qui sert à la haute technologie et à l’armement et qui constitue 99,2 % de ses exportations). Mais c’est surtout sa position dans le Pacifique qui intéresse la France – et les Etats-Unis, la Chine ou la Russie. On comprend que, sur de telles bases, l’Elysée veuille la maintenir sous sa coupe. Sitôt nommé à la tête d’une mission parlementaire sur l’avenir institutionnel du Caillou, en octobre 2017, Valls s’est déclaré pour son maintien dans la République française – par choix tactique, Macron et Philippe se montrent plus mesurés dans leurs propos.
Les indépendantistes kanaks souhaiteraient voir la « Kanaky-Nouvelle-Calédonie » devenir membre d’une fédération mélanésienne regroupant la Nouvelle-Guinée, le Vanuatu, les îles Salomon et Fidji. Ils ne veulent pas l’appeler « Kanaky » tout court pour que les populations non kanaks s’y sentent aussi chez elles.


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Re: Nouvelle-Calédonie - Kanaky

Messagede bipbip » 04 Nov 2018, 22:47

« La terre est trop dure et le ciel est trop haut »

Les éditions Anacharsis réimpriment leur ouvrage sur la mémoire orale de l’insurrection kanak de 1917 provoquée par la levée de « volontaires » indigènes pour la guerre en Europe. On s’y attarde, à travers des récits publiés en version bilingue, sur la figure de Chef Noël, mort décapité à la faucille. Mais aussi sur la tour de Babel qu’a été la Nouvelle-Calédonie et son esprit rebelle. Extrait

« La Guerre de 1917 […] n’a en rien été un “choc des civilisations”. Elle s’est au contraire développée dans la “zone grise” des interactions entre les agents de la présence française (colons, militaires, missionnaires, administrateurs, commerçants…) et les “indigènes”. Toutes les initiatives protestataires kanak, sans exception, ont été prises par des hommes engagés dans des relations complexes avec les autorités françaises de Nouvelle-Calédonie, avec des Européens ou avec des personnes […] en provenance du Maghreb, des Indes néerlandaises, d’Indochine, du Japon, de Polynésie, de l’océan Indien, etc. […] Espace mouvant et interlope que cet entre-deux des Réserves, des villages côtiers, des terres accaparées et habitées par les colons, ou le long des routes. Là pouvaient se rencontrer Kanak en quête d’emploi avec ou sans autorisation de circuler, libérés du bagne installés sur des lopins proches des implantations mélanésiennes, commerçants itinérants, trimardeurs louant leurs bras. Espace aussi de dialogue entre tous ces réprouvés à divers titres, dominés par une caste de propriétaires de milliers d’hectares, de mines ou de grandes maisons de commerce, pour la plupart installés à Nouméa. […] Et sur ce terreau chaotique fleurissent utopies et idéologies colonialistes ou universalistes, qu’elles soient “julesferrystes”, fouriéristes, ruralistes, chrétiennes, franc-maçonnes…

Les premiers occupants de l’archipel perpétuent en les transformant des habitudes sociales et symboliques qui font lien, mais prennent aussi en compte les nouvelles attitudes qu’ils doivent adopter pour faire face au dispositif économique, religieux et politique que leur impose une France sûre d’elle-même, dominatrice et brutale à l’égard de presque toutes les populations de la Nouvelle-Calédonie. […] Paradoxe : chacun, chez soi, lisse son histoire pour en extraire un stock d’emblèmes identitaires, alors que le quotidien est fait du bric-à-brac de contacts intercommunautaires, particulièrement nombreux sur la côte ouest de la Nouvelle-Calédonie. Se forgent ainsi des personnalités bariolées où pratiques linguistiques, modes vestimentaires, valeurs sociales et économiques des uns et des autres se trouvent entremêlées. La Guerre de 1917 atteste bien de cette contradiction entre un métissage de fait et un discours puriste qui, entretenu par la politique coloniale, transforme les différences en des altérités qui seraient incompatibles entre elles. […] Les occasions de frictions, d’altercations, d’arrestations, mais parfois aussi d’amitiés, camaraderies conviviales, débrouillardise partagée, se multiplient. […]

Toutefois, dans le souci hautain de ne pas accéder à ces exigences populaires de participation équitable au développement du pays, les autorités coloniales auront tôt fait de qualifier leurs interlocuteurs indigènes (c’est-à-dire sujets de l’empire privés de citoyenneté) de “sauvages”, de “païens” et au besoin de “rebelles”. Les personnalités mélanésiennes ainsi vilipendées étaient cependant rompues de longue date aux relations avec les Blancs et porteuses d’une réflexion critique qui sonnait juste, trop juste sans doute. »

Alban Bensa, Kacué Yvon Goromoedo et Adrian Muckle, Les Sanglots de l’aigle pêcheur – Nouvelle-Calédonie : la guerre kanak de 1917, collection essais, série « anthropologie », éditions Anacharsis http://www.editions-anacharsis.com/, 2015.


http://cqfd-journal.org/La-terre-est-tr ... et-le-ciel
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