Nouvelle-Calédonie - Kanaky

Nouvelle-Calédonie - Kanaky

Messagede Pïérô » 02 Jan 2015, 09:49

1984 : Le FLNKS secoue la Nouvelle-Calédonie

1984 : Le FLNKS secoue la Nouvelle-Calédonie

Le 20 novembre 1984, la ville de Thio sur la côte est de la Nouvelle-Calédonie est occupée par des militants et militantes kanak, qui bloquent les accès routiers et maritimes, en faisant une commune autonome. Par cette action, le tout nouveau Front de libération national kanak et socialiste inaugure une nouvelle forme de lutte anti-coloniale, dont l’objectif proclamé est « l’indépendance kanak socialiste ».

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Le 18 novembre 1984, Eloi Machoro brise à la hache une urne à Canala.

Depuis la prise de possession de la Nouvelle-Calédonie au nom du gouvernement français en 1853, les Kanak, Mélanésiens originaires de l’Asie du Sud-Est, arrivées il y a près de quatre mille ans, ont été maintenus en situation d’apartheid de fait dans un cadre colonial. Ils sont encore aujourd’hui porteurs d’une véritable civilisation communautaire originale organisée autour de la « coutume » faite de dons et de contre-dons, sans classes et sans État où les rapports humains et les formes de production en fonction des besoins de chacun sont liés à une philosophie qui exclut toute forme de domination, d’exploitation et d’oppression. Les « chefs », détenteur de la « parole » et dépositaire de la mémoire orale, ne se situent pas au-dessus de la société.

Des premières révoltes...

La situation coloniale (relégation dans des « réserves » dès 1859, renommée en 1998 « aires coutumières », travail forcé et interdiction de circuler dans le cadre du code de l’indigénat de 1887 à 1946, droit de vote limité jusqu’en 1957, épidémies dues à de nouveaux virus, famines, mise en minorité par une colonisation de peuplement, surtout après le « boom du nickel » en 1963...) a bien sûr provoqué des réactions des populations locales, passant du mal de vivre, du refus de procréer, aux révoltes violentes dont certaines aboutiront à de véritables insurrections.

L’insurrection de 1878 dure douze mois, autour du grand chef Ataï qui unifia de nombreuses tribus contre la pression foncière des nouveaux colons et leurs élevages extensifs. Ce fut la première manifestation « nationale » kanak en quelque sorte. Le « nettoyage » de la guérilla dura six mois où l’on verra la majorité des 4.250 déportés communards, arrivés en 1872, demander des armes à leurs gardiens pour mater les « cannibales », à l’exception de quelques-uns autour de Louise Michel et de Charles Malato, anarchistes solidaires des insurgés et véritables premiers acteurs blancs d’un soutien anticolonialiste.

La répression fut terrible avec près de 2.000 morts kanak, l’assassinat par des Kanak ralliés d’Ataï (dont la tête fut conservée en trophée ; son crâne, longtemps « oublié » dans les réserves du Musée de l’Homme à Paris, vient d’être officiellement restitué aux autorités coutumières et est à nouveau en pays kanak depuis le 3 septembre 2014 – cf. La tête d’Ataï, film de Mehdi Lallaoui, 2014).

La deuxième grande révolte kanak aura lieu de février à juillet 1917 autour des chefs Doui Bouarate et Noël Néa, qui y trouvera la mort. Elle est déclenchée par le recrutement forcé de kanak dans le cadre de la guerre de 14-18.

...au mouvement d’émancipation moderne

La première forme « moderne » d’organisation politique des Kanak voit le jour en 1946 avec la création du Parti communiste calédonien (PCC) autour de Jeanne Tunica, européenne, rassemblant rapidement plus de 2 000 membres. Le PCC, victime d’attentats et de la répression, disparaît en 1948. Le contre-feu vient des Églises tant catholique que protestante qui susciteront la création d’associations d’indigènes à l’origine en 1953 de la création de l’Union calédonienne (UC) rassemblant des petits Blancs et des Mélanésiens.

Les années 1968-1969 verront rentrer au pays les quelques étudiants kanak partis étudier en métropole. Ils participeront à la fondation des « Foulards rouges » et du groupe « 1878 » à l’origine du Parti de libération kanak (PALIKA), en 1976.

L’UC glisse progressivement de la revendication d’autonomie à celle de l’indépendance clairement revendiquée à son congrès de 1978, à la fois sous la pression de ces nouveaux mouvements porteurs du « réveil kanak » et à la suite du départ de la majorité de ses membres européens. Une nouvelle direction est élue en 1977 avec entres autres Pierre Declercq, enseignant métropolitain arrivé sur le Territoire dans les années 60, comme secrétaire général ; Jean-Marie Tjibaou, ancien étudiant en sociologie et en ethnologie à Lyon et Paris de 1968 à 1970 et prêtre défroqué ; François Burck, Caldoche métis, et deux jeunes Kanak :Yéiwéné Yéiwéné et Eloi Machoro. L’UC et le PALIKA fondent en 1978 avec le Front uni de libération kanak (FULK, autour de Yann Céléné Uréguei) un Front indépendantiste (FI) en réponse au profond désir d’unité de la grande majorité du peuple kanak. Mais le 19 septembre 1981, Pierre Declercq, est assassiné. Il est remplacé par Eloi Machoro.

En 1982 d’autres acteurs entrent en scène dans le mouvement kanak : le Groupe des femmes kanak en lutte (GFKEL, véritable révolution dans un monde kanak resté très traditionnel sur la place des femmes) ; l’Union des syndicats de travailleurs kanak et exploités (USTKE), syndicat multiracial cherchant à élargir la lutte pour l’indépendance à l’émancipation sociale et aux luttes dans les entreprises, dont le mot d’ordre est « Usines, tribus, même combat ! » ; le Comité d’occupation des terres de la côte Ouest ; le Comité Pierre Declercq ; et, en métropole, l’Association information et soutien aux droits du peuple kanak (AISDPK), avec de nombreux comités locaux, qui rassemble des anticolonialistes engagés de longue date, des militants révolutionnaires de toutes tendances (avec une forte présence de la LCR et de toutes les composantes du mouvement libertaire : CNT, FA, OCL, UTCL), des syndicalistes, des individualités communistes et socialistes, des écologistes, des chrétiens, des militants des dernières colonies françaises (DOM-TOM) et divers « amis des Kanak ».

Dès le début de l’année 1983, la situation politique et sociale se durcit sur tout le Territoire, ce qui va provoquer la tenue de la table ronde de Nainville-les-Roches, en juillet en métropole entre le gouvernement français et toutes les composantes politiques du Territoire. Pour la première fois, un projet d’autonomie interne avec maintien de la présence française, reconnaît le « droit inné et actif des Kanak à l’indépendance ». Le débat sur le corps électoral pour le futur référendum d’autodétermination est ouvert mais le gouvernement français n’envisage en aucun cas de modifier le corps électoral calédonien.

La création du FLNKS

Ce marché de dupes aboutira à la radicalisation du mouvement et à la transformation du FI en FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste), lors de son congrès constitutif du 22 au 24 septembre 1984. Les différentes organisations du FI sont rejointes par l’Union progressiste mélanésienne et le PS calédonien (devenant le PSK). Sa charte spécifie « l’indépendance kanak socialiste » comme objectif. Avec une rare clairvoyance, son président Jean-Marie Tjibaou déclarera : « La souveraineté nous donnera le droit et le pouvoir de négocier les interdépendances. Pour un petit pays comme le nôtre, l’indépendance, c’est de bien calculer les interdépendances. »

Le FLNKS décide d’en finir avec le jeu politique institutionnel et propose un « boycott actif » des élections territoriales du 18 novembre 1984. Le jour du vote, Eloi Machoro, secrétaire général de l’UC, brise à coups de hache l’urne électorale dans la mairie de Canala, et l’opinion publique en métropole va découvrir la lutte du peuple kanak à travers cette photo choc symbolisant concrètement le refus radical du jeu politicien et de ses institutions.

L’abstention dépasse les 80 % chez les Kanak : la nouvelle Assemblée territoriale est une chambre blanche et réactionnaire élue par la moitié de la population du Territoire. Sur le terrain la mobilisation est intense : barrages sur tout le Territoire, mairies occupées. Dans les semaines qui suivent la mobilisation générale sous la double responsabilité des comités locaux et des tribus concernées vont bloquer toute activité économique.

Fin novembre une convention nationale des délégués des comités locaux désigne un gouvernement provisoire de « Kanaky » avec Jean-Marie Tjibaou comme président ; et le 1er décembre la direction du FLNKS confirme ce gouvernement et le complète en nommant Eloi Machoro ministre de la Sécurité. Eloi Machoro, instituteur, à Canala, né en 1946 dans la tribu de Nakéty, est issu d’un des clans ralliés en 1978 qui avait participé à l’assassinat d’Ataï et à l’écrasement de l’insurrection. Dans une société de culture orale, 1878 c’était hier, et Eloi et ses proches se doivent d’être parmi les premiers à reprendre la lutte des « combattants de la liberté ».

La « Commune de Thio » humilie la puissance coloniale

Le boycott actif a connu un gros succès à Thio : moins de 25 % des 1 700 inscrits sur la commune ont voté dont seulement 10 Kanak. La ville minière de Thio, est la seule municipalité de la côte est encore administrée par un Européen, Roger Gaillot, ancien membre exclus de l’UC, devenu dirigeant du Front national local. Le 20 novembre 7 barrages routiers et un blocus maritime isolent la commune du reste du Territoire. Toute circulation est interdite en ville, les véhicules de la Société Le Nickel sont réquisitionnés et ses dépôts de carburants occupés. 200 militants et militantes du FLNKS, conduit par Eloi Machoro, envahissent la gendarmerie. Vers 17 heures, les Kanak manifestent leur joie, drapeau de Kanaky en tête. Nouméa découvre ces images sur la télévision.

La très grande majorité de la population kanak participe au mouvement. Les autorités coutumières sont partie prenante de l’action. Les militants FLNKS engagent une opération de dialogue visant à désarmer les Européens surarmés : des dizaines d’armes sont récupérées. Des patrouilles ainsi que des tours de garde sont mis en place pour protéger les entreprises et les magasins. L’autodéfense des tribus locales est organisée. En fait pas un seul coup de feu n’est tiré contre des Européens et tout l’appareil de production reste en l’état durant toute l’occupation.

Le 2 décembre, Éloi Machoro et près de 400 hommes déterminés, armés de machettes, de sabres d’abattis, de casse-tête et, pour certains, de fusils, encerclent dès leur atterrissage 4 hélicoptères transportant environ 90 gendarmes mobiles et contraignent ceux-ci, sans aucune possibilité de réagir au risque d’un bain de sang de part et d’autre, à se rendre à Thio-Village où ils rejoignent, une fois désarmés, les autres gendarmes reclus dans leur casernement.

Près du pont de Thio, un 5e hélicoptère déverse une quinzaine d’hommes du GIGN. Ceux-ci se retrouvent rapidement bloqués par un solide barrage. Le face à face armé dure le temps qu’Éloi Machoro en termine avec la mise sous bonne garde de leurs 90 collègues et qu’il intime l’ordre à l’officier dirigeant le commando du GIGN, impuissant et humilié, de reculer. Devant la détermination et l’organisation des Kanak, le pouvoir colonial se retrouve dans l’obligation de négocier la libération de tous ses hommes retenus en otages et leur retour piteux sur Nouméa est mis en place sans qu’un seul coup de feu n’ait été tiré.

Les représailles

Dans le même temps, l’ensemble du Territoire est en situation de « pré-insurrection » : occupations de mairies, de gendarmeries, barrages. A Nouméa, les militants assurent la protection des indépendantistes les plus en danger, surtout les quelques Européens connus pour leur soutien à la lutte. L’aide au ravitaillement des tribus isolées est organisé. De l’autre côté, des escadrons de gendarmes mobiles continuent d’affluer de métropole, portant leur nombre à 6.000 hommes, soit un gendarme pour 10 Kanak (sans compter les forces armées proprement dites). Toute manifestation est interdite, l’armée s’affiche en ville, des bateaux de guerre ravitaillent le nord de l’île.

Le 2 décembre, un affrontement sur un barrage d’une autre région aboutira à la mort d’un éleveur blanc et Edgard Pisani part pour la Nouvelle-Calédonie comme émissaire spécial du gouvernement français avec pour mandat « d’assurer l’ordre, de maintenir le dialogue et préparer les modalités selon lesquelles sera exercé le droit à l’autodétermination ». Il débarque le 4 décembre. Avant toute négociation, il réclame la levée des barrages.

De son côté le FLNKS pose ses propres conditions : annulation des élections territoriales, organisation d’un référendum d’autodétermination réservé aux seuls Kanak et aux « victimes de l’Histoire » (non-Kanak nés de parents eux-mêmes nés sur le Territoire, c’est-à-dire surtout les Caldoches) et libération des prisonniers politiques. Mais, alors que le FLNKS s’apprête à lever les barrages, le 5 décembre, des « loyalistes » du « clan des métis » montent une embuscade sur la route de Tiendanite contre des militants kanak : 10 sont tués dont 2 frères de Jean-Marie Tjibaou.

Alors que la tension monte partout sur le Territoire et afin d’éviter l’escalade dans un rapport de force très défavorable aux Kanak, Jean-Marie Tjibaou fera malgré tout lever les barrages le 10 décembre. Ce jour-là les barrages encerclant Thio sont levés clôturant d’une certaine façon la « Commune de Thio » qui restera l’action plus significative de tous les « événements de 1984 ».

Fort du succès de Thio, Éloi Machoro tente de continuer sa stratégie d’occupation et de violence graduée. Le 11 janvier, près de La Foa, la mort du jeune Yves Tual, proche de Roger Gaillot, déclenche une émeute « loyaliste » à Nouméa. Edgard Pisani ordonne la « neutralisation » d’Éloi Machoro et dépêche un commando du GIGN. Vers 6 heures du matin, le 12 janvier, Éloi Machoro, qui participait à l’occupation d’une ferme, est atteint d’une balle à la poitrine et Marcel Nonnaro est tué sur le coup. Éloi agonise sans véritable soin. De nombreux témoignages issus des deux camps tendront à prouver que certains membres du GIGN venaient de laver l’affront du désarmement de Thio.

Le pouvoir colonial venait sans doute d’obtenir le retour à l’ordre à Nouméa en offrant aux « loyalistes » la mort de leur ennemi public numéro un. Ceux-ci vont d’ailleurs manifester leur joie et un commando tentera d’attaquer la morgue pour obtenir la tête d’Éloi. L’état d’urgence et le couvre-feu sont décrétés essentiellement à destination des Kanak, car une véritable collusion s’est installée entre les colons et les forces de l’ordre. Le bilan depuis le boycott actif du 18 novembre est lourd pour le peuple kanak : 15 tués, des centaines de blessés, 104 prisonniers à Nouméa, 20 tribus saccagées. Le projet d’indépendance-association, honnis par les tenants du statu quo colonial, présenté le 7 janvier par Edgard Pisani, est enterré avant même d’avoir pu être discuté.

La lutte continue

Jusqu’en 1988, la mobilisation perdure. La résistance s’accroît contre le statut Pons mis en place avec le retour de la droite au pouvoir en métropole, niant toute spécificité au peule kanak, et aboutit aux actions d’avril 1988 et à l’assaut de la grotte de Gossanah sur l’île d’Ouvéa le 5 mai (entre les 2 tours d’élection présidentielle dans un bras de fer sanglant entre Chirac et Mitterrand), véritable acte de guerre faisant 19 morts kanak dont certains exécutés après reddition.

Les Accords de Matignon de juin 1988 sont perçus comme des accords de « capitulation » pour les « loyalistes » du RPCR et le gouvernement français alors que pour le FLNKS ce sont des accords de « trêve » préservant l’avenir. Jean-Marie Tjibaou et Yéwéné Yéwéné sont assassinés par l’un des leurs, hostile à ces accords, le 4 mai 1989.

La lutte continue sous des formes plus institutionnelles, comme la rétrocession de mines de nickel dans le Province nord, ou sociales avec les combats menées par l’USTKE. Les Accords de Nouméa de juin 1998 prévoient la tenue d’un référendum d’autodétermination dans les 20 années à venir soit au plus tard en 2018 avec un électorat « gelé » aux votants de 1998 et aux résidents permanents depuis plus de 20 ans avant fin 2014.

Non seulement le peuple kanak n’a pas rejoint la longue liste des petits peuples premiers disparus sous toutes les latitudes, mais, depuis les années 1920, il a de nouveau cru en nombre (près de 100.000 individus aujourd’hui sur une population totale d’environ 250.000 personnes) et en fierté ; et sa civilisation, sans être intacte au contact du système marchand, est toujours vivante (cf. la Charte du peuple kanak initiée cette année par le Sénat coutumier). Et c’est déjà une victoire en soi pour ce petit peuple qui a eu le malheur d’échouer il y a plus de 4 000 ans sur un caillou qui vaut tant d’or.

La revendication de souveraineté demeure tout comme la nécessité du soutien des anticolonialistes en métropole. Aujourd’hui le peuple Kanak est moins uni qu’auparavant et le FLNKS n’est plus en mesure de porter seul ses mots d’ordre. Mais d’un autre côté une culture métissée se développe dans la jeunesse. Dans un pays qui a connu plus d’un siècle d’apartheid, ce n’est pas rien ! Les Kanak ont su éviter l’affrontement racial frontal, ils ont payés ce choix au prix du sang versé.

« Le sang des morts demeure vivant », dernières paroles de Jean-Marie Tjibaou, quelques minutes avant son assassinat, à Wadrilla, le 4 mai 1989.

Daniel Guerrier, ancien coprésident de l’AISDPK

http://alternativelibertaire.org/?En-19 ... -secoue-la
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Re: 1984 : Le FLNKS secoue la Nouvelle-Calédonie

Messagede bipbip » 20 Jan 2016, 16:28

Le devoir de mémoire

(29 janvier 2015)

Eloi Machoro avec son compagnon de route, Marcel Nonnaro auront tout juste voulu mettre un terme au colonialisme d’antan, c’est ainsi qu’ils parcouraient les environs, les chemins de Canala vers Thio ou de Canala vers La Foa. Partout, où ils passaient avec les leurs, la route leur était ouverte mais cette fois-là aux aurores, ils n’auront pas eu le bonheur de connaître le lendemain. Ils tombèrent sous les balles du GIGN 30 ans plutôt le 12 janvier 1985.

... http://ustke.org/actualites/actualite-p ... t_535.html
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Re: 1984 : Le FLNKS secoue la Nouvelle-Calédonie

Messagede bipbip » 20 Juil 2016, 01:53

Kanakÿ : une lettre oubliée de Pierre Messmer

Mort le 29 août 2007, Pierre Messmer, grand combattant de la première heure contre le nazisme, après 1945, en tant que haut-fonctionnaire, a accompagné la décolonisation, de l’Indochine française à l’Afrique, en s’efforçant de prévoir le maintien de l’influence française. Ministre des armées de De Gaulle, il s’est opposé au putsch des généraux de 1961 en Algérie, et semble avoir dissuadé le grand Charles de faire appel à l’armée en 1968. La suite est moins glorieuse.

Sous Pompidou, d’abord ministre des Dom-tom en 1971, il fut premier ministre de 1972 jusqu’à la mort du président en 1974. On retiendra qu’il a engagé la France dans le tout-nucléaire en lançant le chantier de 13 centrales nucléaires. Et en 1972, et oui en 1972, il entreprit de coloniser la Nouvelle Calédonie, comme le montre la lettre à Xavier Deniau, reprise ci-dessous. Colonisation massifiée sous Giscard, qui conduit jusqu’à aujourd’hui à une situation terrible pour les Kanaks marginalisés et ostracisés sur leur propre terre !

Pour Messmer, les Kanaks, qui peuplent cet archipel depuis près de 5 000 ans, c’est moins que rien, ils n’existent pas. Ou plutôt ils ne sont là que pour se révolter. C’est une justification terrible de la poursuite de l’apartheid, du racisme, de la spoliation, de l’exploitation, du pillage, de la répression, des exactions, des assassinats [1] qu’ont dû subir les Kanaks sur leur terre qui, ne l’oublions pas, fut un bagne [2] avant de devenir territoire d’outre-mer. [3]

Ce qui n’empêchera pas Messmer d’être élu à l’Académie des sciences morales (!) et politiques en 1988, et de finir à l’Académie française où il fut élu en 1999.

Dans une lettre du 19 juillet 1972, Pierre Messmer, alors Premier ministre, écrit à son secrétaire d’État aux DOM-TOM :

« La Nouvelle-Calédonie, colonie de peuplement, bien que vouée à la bigarrure multiraciale, est probablement le dernier territoire tropical non indépendant au monde où un pays développé puisse faire émigrer ses ressortissants.

Il faut donc saisir cette chance ultime de créer un pays francophone supplémentaire. La présence française en Calédonie ne peut être menacée, sauf guerre mondiale, que par une revendication nationaliste des populations autochtones appuyées par quelques alliés éventuels dans d’autres communautés ethniques venant du Pacifique.

À court et moyen terme, l’immigration massive de citoyens français métropolitains ou originaires des départements d’outre-mer (Réunion) devrait permettre d’éviter ce danger en maintenant et en améliorant le rapport numérique des communautés.

À long terme, la revendication nationaliste autochtone ne sera évitée que si les communautés non originaires du Pacifique représentent une masse démographique majoritaire. Il va de soi qu’on n’obtiendra aucun effet démographique à long terme sans immigration systématique de femmes et d’enfants.

Afin de corriger le déséquilibre des sexes dans la population non autochtone, il conviendrait sans doute de faire réserver des emplois aux immigrants dans les entreprises privées. Le principe idéal serait que tout emploi pouvant être occupé par une femme soit réservé aux femmes (secrétariat, commerce, mécanographie).

Sans qu’il soit besoin de textes, l’administration peut y veiller.

Les conditions sont réunies pour que la Calédonie soit dans vingt ans un petit territoire français prospère comparable au Luxembourg et représentant évidemment, dans le vide du Pacifique, bien plus que le Luxembourg en Europe.

Le succès de cette entreprise indispensable au maintien de positions françaises à l’est de Suez dépend, entre autres conditions, de notre aptitude à réussir enfin, après tant d’échecs dans notre Histoire, une opération de peuplement outre-mer. » [4]



Notes

[1] Ataï assassiné et décapité le 1er septembre 1878, lors d’une des plus importantes révoltes légitimes réprimées dans le sang - Et après cette lettre de Messmer : Richard Kamouda assassiné le 27 décembre 1975, Pierre Declercq assassiné le 19 septembre 1981, Eloi Machoro assassiné le 12 janvier 1985, le massacre de la grotte d’Ouvéa concocté par Chirac et Pasqua en 1988, Jean-Marie Djibaou assassiné le 4 mai 1989 ... et beaucoup d’autres. Sans parler des innombrables morts des guerres et par des maladies dûes aux conditions imposées par le gouvernement français.

[2] La Kanakÿ fut le bagne politique de 4 000 Communards et la merveilleuse Louise Michel y passa 7 ans de 1873 à 1880. Avant eux ce sont près de 200 Kabyles, ruant dans les brancards de la colonisation de l’Algérie, et d’autres Nord-Africains, qui y sont envoyés à vie. De nombreux criminels, ou supposés tels, étaient incités par la force, une fois leur peine effectuée, à rester sur place pour coloniser l’île. (Voir le livre de Roselène Dousset-Leenhardt, Nouvelle Calédonie 1878-1978 L’Harmattan,1978)

[3] Tout en demeurant dans l’idée une colonie de l’État français, une nouvelle appellation est née dernièrement : "collectivité sui generis", ou « de son propre genre », rattachée à la France. Deux articles de Wikipédia donnent une définition de la structuration institutionnelle de ce territoire : Nouvelle Calédonie et France d’outremer.

[4] Lettre citée dans le livre de Claude Gabriel et Vincent Kermel "Nouvelle-Calédonie La révolte kanake" (La Brèche, 1985)


https://rebellyon.info/Kanaky-une-lettre-oubliee-de
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Re: 1984 : Le FLNKS secoue la Nouvelle-Calédonie

Messagede bipbip » 20 Aoû 2016, 18:34

Nouvelle-Calédonie : Mémoires de colonisés

paru dans CQFD n°145 (juillet-août 2016), rubrique Le dossier, par Xavier Bonnefond

En avril 1917, des Kanak du nord de la Grande-Terre se lancent dans une guerre contre les colons et les autorités françaises douze mois durant. Vaincus, c’est par la parole et l’écriture qu’ils prirent le soin de garder mémoire de cet événement essentiel dans l’affirmation de l’identité kanak. Depuis les années 1970, l’anthropologue français Alban Bensa s’attache à recueillir des récits, en langue paicî [1] décrivant et interprétant la guerre de 1917 – dont des ténô, longs poèmes de tradition orale et écrite. Les textes polyphoniques qui composent le livre bilingue Les Sanglots de l’aigle-pêcheur (Anacharsis, 2015) donnent la voix aux récits des colonisés. Entretien avec Alban Bensa.

... http://cqfd-journal.org/Nouvelle-Caledonie-Memoires-de
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Re: 1984 : Le FLNKS secoue la Nouvelle-Calédonie

Messagede bipbip » 01 Oct 2016, 17:56

Le 24 septembre, journée de deuil pour le peuple Kanak colonisé par les Français

Le 24 septembre 1853, un colon Français pose le pied à Balade, un village sur une île du Pacifique Sud, la Kanaky. Il prend possession de l’île au nom de la France. Cette date symbolise aujourd’hui le jour de la prise de possession et le début du colonialisme en Kanaky.

Depuis 1853, les kanak ont été relégués géographiquement, économiquement et politiquement dans leur propre pays. Ils ont été dépossédés de leurs terres, ce qui revient pour eux à la perte de leur identité. Ils ont vu aussi leurs moyens de subsistance s’amoindrir et leurs sites sacrés confisqués.

De 1888 à 1946, ils furent confinés dans des réserves et régis par le Code de l’indigénat qui les maintenait en dehors du droit commun.

Les Kanak ont toujours manifesté leur opposition à cette colonisation, mais les incessants soulèvements furent tous réprimés brutalement par l’administration française.

Parmi les plus mémorables résistances, il y a le soulèvement de 1878 conduits par Ataï et d’autres chefs kanak visant la prise de la capitale, Nouméa, à la date anniversaire du 24 septembre.

Le 24 septembre est devenu une date anniversaire, symbolisant la prise de possession du pays par la France, marquant le début de la colonisation. C’est une journée de deuil pour le peuple kanak.

A de nombreuses reprises, la date anniversaire a été symboliquement reprise :
- Pierre Declercq, leader indépendantiste de l’UC [1], assassiné par les milices loyalistes [2], est symboliquement enterré le 24 septembre 1981 (son assassin court toujours).
- Le Front de Libération Nationale Kanak et Socialiste est fondé symboliquement le 24 septembre 1984.
- Radio Djiido Kanaky, la radio indépendantiste est elle aussi créée un 24 septembre.


Notes
[1] Union Calédonienne, parti politique indépendantiste
[2] Les milices loyalistes sont fidèles à la France et opposées à l’indépendance

https://rebellyon.info/Le-24-septembre-journee-de-deuil
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Re: 1984 : Le FLNKS secoue la Nouvelle-Calédonie

Messagede Pïérô » 10 Mar 2017, 00:57

Paris samedi 11 mars 2017

« La Nouvelle-Calédonie en marche vers Kanaky ? »

à 14h, Centre international de culture populaire (CICP), 21 ter, rue Voltaire (et non pas Boulevard Voltaire), Paris 11e

Point sur la décolonisation :
• projection film
•1e table ronde : situation politique et sociale en Kanaky (avec des militant-e-s de l'ustke et du Mjkf (mouvement des jeune kanak en France)
• 2e table ronde : quelle solidarité en France à l'aube du referendum de 2018.. (aisdpk, collectif solidarité kanaky, comités soutien corses, basques....)
• Repas
• 20h30 Concert du groupe kanak Pacific Family

https://paris.demosphere.eu/rv/52704
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Re: Nouvelle-Calédonie - Kanaky

Messagede bipbip » 22 Avr 2017, 16:04

1917 : Les Kanaks font la guerre à la guerre

Alors que la Première Guerre mondiale fait rage en Europe, des Kanaks entrent en résistance, en avril 1917, contre l’enrôlement forcé dans l’armée française.

Le 28 avril 1917, dans le hameau de Cémû au nord de la colonie française de Nouvelle-Calédonie, le pilou, rituel de danse, prévu pour réconcilier des tribus kanaks en conflit, finit en fusillade : le chef du service des affaires indigènes, Alfred Fourcade, déclare la guerre au petit chef kanak Noël de Cémû, qui résiste depuis quelques mois à l’enrôlement forcé pour la « Grande » Guerre. Pendant que l’Europe s’enlise dans l’horreur de la guerre depuis trois ans, que les premières mutineries commencent le 17 avril 1917 au lendemain de la boucherie du chemin des Dames, quelques centaines de Kanaks partent en guerre contre l’oppression coloniale.

Cette guerre n’est pas analogue aux massacres de masses qui se déroulent à 16 000 km de là dans les tranchées : les colonnes de combattants kanaks se limitent à quelques dizaines d’hommes, voire une centaine, les combats durent quelques heures maximum, sans artillerie, et ne font « que » 300 morts en 18 mois. Pourtant, on ne peut pas pour autant la réduire à une simple révolte, à une opération de « maintien de l’ordre » comme l’a fait la mémoire coloniale. Ces combats courts et ciblés correspondent à la façon kanak de faire la guerre.

Servir la France

Si les tensions à l’origine de l’incident de Cémû semblent n’être que des conflits entre tribus kanaks, elles sont en réalité directement liées à la politique coloniale. Alors que le premier contingent de soldats français est parti de Nouvelle-Calédonie dès avril 1915 pour combattre en Europe, les Kanaks, qui ne sont que des « sujets français » et non des citoyens, ne deviennent mobilisables qu’à la fin de l’année 1915, qui fut particulièrement meurtrière sur les fronts européens. Mais cette mobilisation des « indigènes » ne devait se faire que sur la base du volontariat. 700 Kanaks sont recrutés à partir de janvier 1916 et partent pour l’Europe à partir de juin. En 1917, tous les citoyens français sont mobilisés jusqu’à la classe 1889 et un nouvel appel au volontariat indigène est lancé… juste au moment où l’on apprend les premiers décès survenus dans le premier contingent de « volontaires » parti en 1916 [1]. Avec les annonces de ces morts arrivent aussi les lettres des vivants qui se plaignent de la surcharge de travail (durant les premiers mois, les Kanaks ne sont pas envoyés au combat, dont ils ne semblent pas dignes, jusqu’à ce que les besoins en troupes fraîches ne deviennent plus grands) et de la mauvaise nourriture.

Dès février 1917, les tribus des alentours de Koné, un village de colons de la côte ouest, se plaignent d’être menacées par les recruteurs envoyés par le petit chef de la réserve de Koniambo, Doui. L’administration coloniale avait confié aux grands chefs la mission de maintenir l’ordre dans les réserves, de prélever l’impôt (la capitation), mais aussi de fournir la main-d’œuvre demandée par les colons et les « volontaires » pour l’armée. À ce titre, les grands chefs pouvaient imposer des châtiments aux petits chefs des tribus et à tous les autres sujets… et pouvaient aussi être punis s’ils ne remplissaient pas leurs fonctions.

À partir de 1916, une pression accrue est mise sur les grands chefs, dont certains sont même internés à Nouméa suite aux maigres résultats des campagnes de recrutement. Les grands chefs font donc redescendre cette pression au niveau inférieur. Si cela ne suffit pas, le commandant militaire de la colonie, Bernard Durand, un vétéran de la bataille de la Marne, menace les tribus récalcitrantes de détruire leurs plantations et leurs villages.

Avant de devenir de la chair à canon, la population kanak a déjà subi de façon particulièrement meurtrière l’occupation coloniale : la population estimée à 100 000 personnes à la découverte de l’île en 1774 est réduite à 20 000 lors du recensement de 1911. Les maladies importées par les colons s’ajoutent aux répressions des différents soulèvements.

Lorsque le pasteur Maurice Leenhardt débarque en 1902 pour répandre le protestantisme, il est accueilli par le maire de Nouméa qui s’étonne : « Que venez-vous faire ici ? Dans dix ans il n’y aura plus de Kanaks. » L’année suivante, le missionnaire écrit à son père : « On nous a montré un peuple s’élançant dans les bras d’un bon Jésus, je ne trouve guère que le fier canaque de l’Insurrection qui, vaincu, préfère ne pas avoir d’enfants que de les voir exploités par les “Blancs”. » Soumises aux dégâts occasionnés par les divagations du bétail des colons, les populations sont « protégées » par leur cantonnement dans des réserves à partir de 1876. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le cheptel atteint son point culminant à 150 000 bêtes en 1917, l’année de la révolte !

Si la guerre de 1914 a accentué la pression sur les Kanaks, elle leur a aussi démontré que la France n’était pas aussi puissante qu’elle le paraissait. Depuis le bombardement de Papeete à Tahiti par un navire allemand, la légende du navire envoyé par Guillaume II pour livrer des armes aux Kanaks hante les colons et suscite l’espoir d’une vengeance chez les Kanaks. Le départ de nombreux colons aux armées et le souvenir des guerres précédentes, notamment celle de 1878 [2], accroissent encore le sentiment de peur des Européens.

« Puisque Noël veut la guerre... »

Ces tensions provoquent des préparatifs de guerre autour de Koné. Le 4 avril, une cinquantaine d’hommes se rassemblent en armes à Pwënäki, un village au nord de Koné, pour exprimer plus vigoureusement aux gendarmes venus négocier leurs griefs envers les policiers du chef Doui. Ils refusent une rencontre directe avec le chef et dansent un pilou qui semble particulièrement menaçant. Le lendemain, une trentaine d’hommes en armes investissent le village de Koné… pour faire des achats (vivres, étoffes). Cette démonstration de force suffit à terroriser les colons du village persuadés qu’ils sont à la recherche d’armes. Le maire demande immédiatement à Nouméa un déploiement militaire et des arrestations en dramatisant la situation.

Un an de guérilla kanak

Le 20 avril, après le déploiement d’un détachement composé notamment de tirailleurs tahitiens, le chef du service des affaires indigènes, Alfred Fourcade, rencontre Noël. Noël est le petit chef de Cémû exilé à Pwënäki depuis que son hameau a été ravagé par le bétail d’un colon en 1910. Il fait partie des meneurs de ces groupes en armes et accepte un pilou de réconciliation prévu le 28 avril, grâce à la présence des tirailleurs tahitiens, dont les chants et les danses semblent impressionner les Kanaks.

Le jour du pilou, on découvre que le hameau de Cémû a été incendié : Noël et ses proches refusent de participer, d’autant plus que le bruit court que Fourcade va tenter de l’arrêter. Le pilou a malgré tout lieu : des guerriers d’autres villages (Pwënäki notamment) dansent mais pour Fourcade, la vigueur et la fougue des danseur ressemble plus à une invitation à la guerre qu’à la paix. De leur côté, Noël et les siens apparaissent sur une colline surplombant le village et se mettent à danser un pilou qui semble tout aussi guerrier.

La tension monte et Fourcade ordonne aux soldats d’encercler les danseurs de Pwënäki à la fin de leur danse. Il espère montrer sa force pour convaincre Noël de venir se livrer. Mais Noël ne bouge pas... et Fourcade déclare « Puisque Noël veut la guerre, eh bien, il l’aura » : 17 danseurs sont enchaînés et conduits à Koné. Noël attaque alors le détachement : 5 Kanaks et 2 soldats, dont 1 Tahitien, sont blessés dans la fusillade.

Parmi les danseurs arrêtés, 2 meurent à Koné de la dysenterie en 2 semaines, un autre meurt en juin et les 14 autres, enfermés sur l’îlot Freycinet à Nouméa, s’évadent le 11 juillet. En avril 1919, lorsque s’ouvre un procès des insurgés, seuls 6 de ces danseurs sont encore vivants.

Après la fusillade de Cémû, l’armée renforce sa présence autour de Koné grâce aux troupes mobilisées pour partir en Europe (citoyens français et « volontaires » kanaks) mais qui attendent toujours leur navire, à des « cavaliers volontaires » (milices de colons) et aux auxiliaires kanaks recrutés dans des régions plus lointaines. Ces colonnes partent à la recherche des insurgés et détruisent systématiquement les villages censés les abriter, qu’elles trouvent souvent vides à leur arrivée.

Les guerriers de Noël et de quelques autres chefs qui le rejoignent rapidement, mènent des expéditions contre des propriétés isolées, espérant notamment trouver les fusils dont ils ne sont que peu équipés. Des colons sont parfois tués. Ils harcèlent aussi les troupes qui sillonnent les montagnes à leur recherche par de petites embuscades et de nombreuses invectives, remplaçant les munitions qui leur manquent.

La contre-insurrection coloniale

Les attaques plus importantes, comme celle du poste militaire de la mine de Kopéto le 23 mai, échouent. La guerre suit les pratiques coutumière : chaque attaque est préparée par des rituels pour s’attacher le secours des divinités et par la consultation de devins. Les récits ultérieurs insisteront sur les nombreuses négociations entamées depuis des mois entre certains chefs pour préparer cette guerre et les échanges de « monnaie de guerre » (colliers de coquillages polis noirs) servant à nouer des alliances. Cette préparation reste difficile à évaluer car les monnaies de guerre sont des messages complexes à analyser, qui peuvent porter plusieurs sens et permettre des manipulations.

À partir de juin, les combats se déplacent vers le littoral est de l’île, autour de la vallée de Tipindjé. Fin juin, l’armée tente une grosse attaque visant une concentration de rebelles à Pamalé mais est repoussée avant même d’atteindre le village. Les colonnes de l’armée subissent plusieurs embuscades sur le chemin du retour.

Face à cette guérilla, les autorités coloniales choisissent en juillet de privilégier l’utilisation d’auxiliaires indigènes, plus efficaces que les troupes régulières. Ne réussissant pas à s’attaquer aux guerriers ennemis, elles choisissent, dans la tradition de la guerre coloniale, de « nettoyer » les vallées de Pamalé et Tipindjé, c’est à dire de détruire tous les villages et les plantations, de déplacer les populations s’y trouvant. Les auxiliaires sont récompensés de 25 francs pour chaque tête de combattant et autant pour chaque femme ou enfant prisonniers. En un mois plus de 30 rebelles kanaks sont tués.

Les insurgés qui cherchent à échapper à la répression tentent de remonter le chemin de la monnaie de guerre qui avait été à l’origine de leur départ ou à se réfugier dans les quelques réserves neutres qui échappent à l’autorité de l’armée. Mais les attaques des rebelles continuent jusqu’en décembre. L’armée et ses auxiliaires finissent par attaquer en décembre les réserves neutres, pourchassant pendant des semaines les rebelles et les familles qui les suivent. Le 10 janvier, Noël est abattu puis décapité par Mohamed Ben Ahmed, un ancien bagnard libéré à qui il demandait de la nourriture. Les derniers petits groupes furent traqués jusqu’en mai 1918.

En mars 1918, plus de 250 personnes sont emprisonnées à Nouméa, dont une soixantaine vont mourir en captivité. Lors du procès de 1919, 78 hommes sont jugés, 61 condamnés et 2 guillotinés en 1920. Autour de 300 personnes sont mortes dans cette guerre, dont seulement 13 colons et soldats. La politique de terre brûlée a permis une extension considérable de la colonisation et une concentration des populations kanaks dans des villages plus gros, l’abandon des hameaux isolés.

Jean Marie Tjibaou considérait que les autorités coloniales avaient voulu « calmer les gens pour longtemps » [3]. Cette guerre est restée dans les mémoires kanaks, comme celle de 1878, transmettant le souvenir de combattants fiers et insoumis. 1917 est une rupture, un événement qui détermine encore aujourd’hui les alliances et les divisions dans la société kanak.

Renaud (AL Alsace)


Les Sanglots de l’aigle pêcheur

La guerre de 1917 a fait l’objet d’une publication d’Alban Bensa, Kacué Yvon Goromoedo et Adrian Muckle qui a le mérite de traiter cet événement de façon globale. Le récit détaillé des événements à partir de la confrontation des diverses sources offre une analyse historique et politique. Les récits de la mémoire kanak (en prose ou en vers) de cette guerre, commentés et expliqués, et même les enregistrements audio de certains de ces récits dans un CD joint au livre, donnent une dimension poétique et anthropologique à cette histoire.

Cette approche globale permet de mieux comprendre les événements et leur importance dans la survie d’un peuple menacé d’extermination coloniale, d’en finir avec la grille de lecture exotique et de mieux saisir les motivations politiques des acteurs kanak de cette guerre.

• Alban Bensa, Adrian Muckle, Kacué Yvon Goromoedo, Les Sanglots de l’aigle pêcheur, Anarchasis, 2015.


[1] Sur les 948 combattants kanaks en France durant l’ensemble de la guerre, 382 sont morts, dont 189 de maladies.

[2] Voir notamment Michel Millet, 1878, Carnets de campagne en Nouvelle-Calédonie, Anacharsis, septembre 2013 ou le documentaire de Mehdi Lalloui sur le retour de la tête du chef rebelle Ataï, retrouvée dans les réserves du musée de l’Homme, La Tête d’Ataï, Mémoire vives productions/ Société des océanistes, 2014.

[3] Jean-Marie Tjibaou, La présence kanak, 1996.

http://www.alternativelibertaire.org/?1 ... -la-guerre
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Re: Nouvelle-Calédonie - Kanaky

Messagede bipbip » 20 Mai 2017, 10:58

Grenoble samedi 20 mai 2017

Kanaky 2018, La revanche d’Ataï (?)

La CNT 38 vous invite à un après-midi de projections et d’échanges en présence de camarades de l’USTKE, syndicat Kanak luttant pour l’indépendance et la socialisation des moyens de production

Au 102, rue d'Alembert, Grenoble

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https://cric-grenoble.info/memoires-des ... d-atai-173
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Re: Nouvelle-Calédonie - Kanaky

Messagede bipbip » 15 Oct 2017, 16:03

Référendum de 2018 en Nouvelle-Calédonie : comment la France veut exclure 23 000 Kanaks du scrutin

En 2018 aura lieu en Nouvelle-Calédonie le référendum d'autodétermination prévu par les accords de Nouméa. À quelques mois du vote les populations kanaks dénoncent les conditions d'inscriptions au vote qui excluent 23 000 personnes qui pourraient renverser la balance en faveur du "oui".

De la colonisation à la volonté d’indépendance

La Nouvelle-Calédonie est une petite île située au milieu du Pacifique et qui représente un enjeu central pour la France. Pour mieux comprendre les enjeux du référendum d’autodétermination qui aura lieu en 2018, quelques éléments historiques sont indispensables. Dès le milieu du XVIIIème siècle, l’île est colonisée par la France qui pille les terres des autochtones, ces derniers sont en effets dépossédés de 80% de leurs terres ancestrales ; la France dissout les tribus, et impose sa langue. Et surtout la France impose dès 1887 en Nouvelle-Calédonie, comme dans toutes ses colonies, le Code de l’Indigénat (1887), qui assujettisse les autochtones aux travaux forcés, à l’interdiction de circuler la nuit, aux réquisitions forcées, et à un ensemble d’autres mesures tout aussi répressives. En 1931, une centaine de kanaks sont « exposés » lors de l’exposition universelle au jardin d’acclimatation, dans ce qu’on pourrait qualifier de zoo humains, forcés à se comporter comme des « sauvages » pour maintenir le mythe fantasmé sur les populations autochtones. Le Code de l’Indigénat n’est aboli qu’en 1946, date à laquelle la Nouvelle-Calédonie change de nom sur le papier pour s’appeler « Territoire d’outre-mer ».

Peu à peu les revendications indépendantistes s’intensifient, notamment autour de la figure de Jean-Marie-Tjibaou. A partir de l’élection de François Mitterrand en 1981, les attentes des indépendantistes se font plus pressantes, et ceux-ci exigent un référendum d’autodétermination réservé aux seuls Kanaks. C’est notamment la naissance du FLNKS, rassemblement de partis politiques indépendantistes fondé en 1984 et dirigé par Jean-Marie Tjibaou qui met en place un gouvernement provisoire de Kanaky, choisit un drapeau, boycotte les élections territoriales de 1984, avec pour but de préparer l’indépendance kanake socialiste.

Fin 1984, un massacre a lieu près d’une tribu située dans le nord de l’ile, à Hienghène, dans laquelle 10 indépendantistes Kanaks sont tués, dont deux frères de Jean-Marie Tjibaou. C’est le point de départ d’une véritable guerre entre opposants et partisans de l’indépendance ; le gouvernement instaure l’état d’urgence et le couvre-feu de janvier à juin 1985. Le point culminant des événements sera la prise d’otages de gendarmes par un groupe d’indépendantistes en avril-mai 1988, dans l’entre-deux tours des présidentielles. La situation est délicate pour le gouvernement Mitterrand, qui doit trouver une issue à cette situation de crise et désigne Michel Rocard pour s’occuper des négociations, ce qui va déboucher sur les accords de Matignon en juin 1988, prévoyant un scrutin d’autodétermination dix ans plus tard. Mais en 1998, les accords de Nouméa sont signés sous l’égide Lionel Jospin, prévoyant la tenue d’un référendum sur « le transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences régaliennes, l’accès à un statut international de pleine responsabilité et l’organisation de la citoyenneté en nationalité » qui n’aura lieu qu’entre 2014 et 2018.

Au coeur des intérêts français, le nickel, véritable mine d’or du Pacifique

Le sous-sol de l’île regorge d’un minerai extrêmement convoité : le nickel. En effet, l’île possède un quart des ressources mondiales de cette matière première indispensable à la fabrication de l’acier inoxydable, ce qui en fait une terre extrêmement intéressante pour la France. Tout au long de leur histoire, les kanaks ont été tenus à l’écart de l’exploitation du minerai, les européens ayant la main mise sur cette richesse bien que depuis quelques années cette tendance s’est atténuée avec la construction d’une nouvelle usine de nickel au nord de l’île, venant casser le monopole de la SLN, société historique du nickel calédonien qui exploite l’usine de Nouméa depuis 1910. La SLN appartient elle-même à Eramet, le géant des mines françaises, dont le chiffre d’affaire était de 2,9 milliards d’euros en 2016.

Cette mise à l’écart des kanaks des énormes bénéfices que produit le nickel n’a fait qu’accentuer tout au long du XXème siècle la colère et la frustration. Les kanaks voient de plus dans l’exploitation du nickel la garantie d’une indépendance réussie. De son côté, la France, derrière des apparences de neutralité, n’a aucune intention de laisser prendre son indépendance ce petit territoire très rentable au milieu du Pacifique. Derrière une soi-disant politique de « décolonisation » et une politique de rééquilibrage suite aux accords de Nouméa, les écarts restent considérables entre le sud de l’île, peuplé par les caldoches, et la province ainsi que les îles et le nord de l’île, terres kanakes, où le chômage atteint 30%.

Référendum : l’enjeu crucial de la liste électoral

Le résultat du référendum prévu en 2018 dépend notamment de la composition corps électoral restreint qui sera autorisé à voter, dont les modalités ne seront définies que lors du rendez-vous entre les signataires de l’accord de Nouméa prévu dans quelques semaines. C’est Manuel Valls qui a été nommé le 3 octobre pour diriger la mission parlementaire sur l’avenir institutionnel de l’île, ce qui a provoqué des polémiques.

Le 4 octobre, à New York, devant l’ONU, les indépendantistes ont dénoncé la manipulation et l’instrumentalisation autour de la composition de la liste électorale, qui pourrait faire basculer le résultat du scrutin. Le président du FLNKS, Mickael Forrest, a exprimé des « doutes sur l’organisation » du référendum et mis en cause la « sincérité du mécanisme français d’établissement de cette liste électorale », demandant aux Nations unies d’envoyer une mission de visite « avant, pendant et après le scrutin ».

En effet, en Nouvelle-Calédonie il existe plusieurs types de listes électorales en fonction de critères permettant de participer à certaines élections. Pour pouvoir voter au référendum, il faut faire partie de la liste référendaire, régie par l’article 218 de la loi organique de 1999. Tout personne au statut civil coutumier, qui est inscrite sur la liste générale, ou qui a été électeur en 1988 doit être automatiquement sur cette liste pour le référendum.

Mais voilà, selon la Direction de la gestion de la réglementation des affaires coutumières (DGRAC), 22 780 Kanaks qui devraient avoir leur nom inscrit sur cette liste n’y apparaissent pas. Plusieurs phénomènes expliquent cette absence qui pourrait faire peser la balance du côté du « non » : de nombreux kanaks ne sont pas inscrits sur la liste principale (condition obligatoire pour être sur la liste référendaire), car les indépendantistes ne se sentent historiquement pas concernés par les élections françaises, et ont souvent prôné le boycott. De même, certaines personnes inscrites sur la liste générale n’auraient pas été inscrites sur la liste référendaire, et de nombreux jeunes de 18 ans pour qui l’inscription est censée être automatique n’ont pas été inscrits. Aucune aide d’inscription n’a été mise en place pour les personnes handicapées et âgées, et les procédures pour les personnes ayant perdu leurs droits civiques sont complètement méconnues. De plus, près de 2000 kanaks se sont vus refusée leur inscription car ils étaient dans l’incapacité de réunir tous les justificatifs de résidence continue pendant dix ans : « Ces exigences sont inadaptées au regard des habitudes des Kanaks. Conserver les papiers n’est pas dans leur culture. S’inscrire sur les listes relève du parcours du combattant », indique Stéphanie Graff, docteure en anthropologie spécialiste des questions d’autodétermination, de décolonisation et d’autochtonie en Nouvelle-Calédonie.

De plus, ce « choix » délivré par le référendum ne laissera pas aux population le choix d’un réel mouvement de libération nationale remettant en cause la domination coloniale française car même si la soi-disant « autonomie » était votée elle ne remet pas en cause le contrôle des élites politiques et des groupes industriels mis en place depuis des années. Car au-delà de l’indépendance statutaire, il s’agit pour les Kanaks de se libérer totalement de l’impérialisme français, de sa domination politique qui perdurera si les anciennes élites gèrent l’île comme avant et si les grandes richesses de l’île, notamment le nickel, sont toujours gérées par les mêmes multinationales. C’est pourquoi l’émancipation du peuple Kanak, au-delà de l’indépendance de la France, devra se poser l’objectif de renverser l’ordre impérialiste, et donc l’ordre capitaliste, qui les maintient aujourd’hui dans un pays qui n’est autre qu’une colonie.

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Re: Nouvelle-Calédonie - Kanaky

Messagede bipbip » 02 Déc 2017, 20:48

Le massacre de la grotte d’Ouvéa

A un an du référendum sur l'indépendance de la Kanaky, il est temps de faire un retour sur un épisode tragique de l'histoire de cette colonie, le massacre organisé par l’État français d’indépendantistes kanaks dans la grotte d'Ouvéa qui rappelle ce qu'est un pouvoir coloniale. Et c'est 30 ans après le massacre de la grotte d'Ouvéa que le référendum pour l'indépendance de la Kanaky va avoir lieu.

En 1853, la Nouvelle-Calédonie est proclamée colonie française. Durant plus de 60 ans, le peuple kanak s’est rebellé contre le pouvoir colonial français qui, face à l’insubordination du peuple natif a incendié des villages, détruit des plantations, encouragé des vagues d’émigration pour rendre minoritaire les Kanaks et les déposséder, et procédé à de nombreux massacres. En 1878, la répression fait plus de 1600 morts kanaks et plus de 1500 déportés, soit au total, 7 % de la population kanak qui a subi de plein fouet la répression coloniale. La première guerre mondiale obligeant le départ de nombreux Kanaks sur le front, le pillage des richesses pour « l’effort de guerre », deux cyclones se succédant en 1916 et 1917… autant d’événements qui ont poussés les Kanaks a se révolter en 1917. La répressions sera une fois encore terrible.

La situation politique dans les années 80.

Fin 1960, un grand mouvement dans la jeunesse a lieu, pour protester contre le racisme et la misère économique dont ils sont victimes. La France appelle une fois de plus à une immigration massive de français de métropole et d’outre mer et d’européen vers la Nouvelle-Calédonie afin que les Kanaks deviennent minoritaires sur leur terre natale, ce qui va effectivement arriver.

En 1981, l’élection de Mitterrand redonne espoir aux indépendantistes kanaks ce qui se traduit par une augmentation des tensions entre les natifs, désireux d’’un changement social, et les colons, que l’on appelle les « caldoches » et qui se satisfont de la situation actuelle, quand ils ne regrettent pas l’époque coloniale pour les plus extrémistes d’entre eux. En 1983, le secrétaire d’État socialiste des Dom-Tom, Gorges Lemoine, annonce que la légitimité du peuple kanak sur sa terre natale et son droit inné à l’indépendance sont reconnus. Son successeur Edgard Pisani ira dans le même sens en mettant un découpage régional favorable aux kanaks et en prévoyant un référendum sur l’indépendance et les liens avec la France.

Cependant, en janvier 1985, au cours d’une manifestation, le leader indépendantiste Eloi Machoro est abattu par un sniper du GIGN, venu expressément de France pour l’abattre.

Avec la cohabitation de 1986 et l’arrivée de Chirac au poste de premier ministre, Bernard Pons est nommé au poste de ministre de l’Outre-mer et prend systématiquement le contre-pied des initiatives de ses prédécesseurs : il organise un véritable quadrillage militaires des territoires des tribus kanaks. Il veut ainsi briser le mouvement indépendantiste.

Les tensions qui s’accroissent de plus en plus vont mener en octobre 1987 à un tournant radical. Des métisses du parti caldoche, le RCPR, sont acquittés par la cours d’assise alors qu’il a été prouvé qu’ils avaient tué 10 militants kanaks, dont deux frères du leader indépendantiste Jean-Marie Tjibaou. Ce dernier change radicalement de politique, puisqu’ « il n’y a pas de justice pour les kanaks, puisqu’on peut les abattre comme des chiens », la justice ne peut s’exercer dorénavant qu’avec des coups de fusils pour les kanaks.

8 mois plus tard, c’est la prise d’otage et la tragédie de la grotte d’Ouvéa.

Les faits

En 1988, le ministre l’Outre-mer décide de jumeler les élections présidentielles avec les élections régionales qui doivent déboucher sur l’adoption d’un nouveau statut très défavorable aux indépendantistes. Le FLNKS, le principale parti kanak, appelle au boycott des élections tandis que le pouvoir envoie des contingents supplémentaires de gendarmes et de militaires préparant ainsi la répression. En réaction, les kanaks décident d’occuper les gendarmeries. L’opération est prévue deux jours avant les élections, le 22 avril 1988 à Ouvéa dans cette île de 25 km et à 185 km de Nouméa.

En temps normal, seulement 3 gendarmes occupent la gendarmerie mais avec les élections, 28 gendarmes supplémentaires y sont affectés, cela fait plus d’un gendarme par kilomètre.

Les kanaks veulent séquestrer les gendarmes, un officier résiste, sort son arme et tire sur un kanak. Les affrontements commencent alors et 4 gendarmes sont tués. Alors que la propagande de l’État français dénonce un massacre à la machette, au sabre et au couteaux la réalité est bien différente, c’est par balle qu’ils ont été tué. Cela permet de jouer sur les relents racistes en faisant passer les kanaks pour des sauvages. Tout était bon pour discréditer les Kanaks et justifier la mise en place d’une véritable mission militaire et le massacre qui va suivre.

Après la tournure que prend l’opération, les kanaks prennent en otages les gendarmes et raflent toutes les armes et véhicules de la caserne. Ils se séparent en deux équipes, l’une part vers le nord, l’autre vers le sud. Les hommes de ce dernier groupe libèrent rapidement leurs otages alors que le deuxième groupe s’enfonce dans la foret. Des renforts considérables, dont le GIGN, arrivent sur l’île et le gouvernement Chirac dessaisie la gendarmerie pour donner tous les pouvoirs au Général Vidal qui commande les forces armées en Nouvelle-Calédonie. Ce n’est donc pas une opération de police mais une véritable opération militaire qui se prépare. Cela rappelle les premières expéditions coloniales et la guerre d’Algérie, et toutes leurs exactions.

Ouvéa est déclarée zone militaire et est interdite à la presse pour éviter les témoins gênants. Les militaires savent qu’un groupe est allé vers le sud où les tribus sont très favorables aux indépendantistes. Ils investissent le territoire avec beaucoup de violence comme les paras l’ont fait en Algérie. L’armée procède à des interrogatoires musclés, à base de tabassage et de torture jusqu’à obtenir des informations : les kanaks se seraient réfugiés dans une grotte, la grotte des guerriers, lieu sacré où les mélanésiens déposaient les dépouilles des guerriers morts aux combats. Elle est donc inviolable et absolument interdite aux blancs.

Les preneurs d’otages sont repérés

Un jeune lieutenant et un pisteur s’enfoncent dans la grotte pour faire des repérages et tombent sur les kanaks qui les prennent en otage. Le GIGN qui a tout observé sait maintenant quelles sont les défenses mis en place par les kanaks.

Entre temps il y a eu les élections. Elles ont été massivement boycottées par les kanaks contrairement aux caldoches qui ont largement participés. Il est à noter que déjà il y a une forte montée du FN, ce qui aura une influence sur la prise d’otage. Chirac qui est premier ministre et candidat a fait un score médiocre et est tenté à l’idée de faire preuve de fermeté dans la prise d’otage pour draguer l’électorat de la droite dure.

Le substitut Bianconi et le chef du GIGN Legorjus essayent de parlementer avec les ravisseurs. Le substitut s’avance seul, sans arme, vers la grotte pour négocier mais il est rejoint par le chef du GIGN et quelques hommes à lui. Dianou le chef du groupe kanak menace d’exécuter des otages si Legorjus n’ordonne pas aux hommes qui l’ont accompagné d’entrer à leur tour dans la grotte, ce qui fera huit otage de plus.

Après des échanges entre les deux homme et Dianou, Legorjus et Bianconi constatent que celui-ci est bien embarrassé par cette situation qui lui a complètement échappée des mains. Une solution pacifique est donc envisageable et le chef du GIGN obtient même sa libération.

Celui-ci explique au Général Vidal qu’il peut aller convaincre les chefs du FLNKS de parler à Dianou afin qu’il se rende. Vidal s’en remet au règlement et explique que si on lui donne l’ordre il est prêt à reculer avec ses hommes afin que des négociations puissent se dérouler. Ses officiers par contre ne comprennent pas pourquoi ils le feraient et veulent en découdre pour « casser du kanaks ».

Des négociations, puis le choix de l’assaut

Le représentant du gouvernement sur place est le ministre de l’Outre-mer qui semble être partisan de la négociation, du moins dans un premier temps. La situation se détend et Legorjus fait des aller retour entre la grotte et l’extérieur. Bianconi peut se déplacer librement dans la grotte et les ravisseurs sont ravitaillés par les habitants de tribus voisines. Tout semble montrer que l’on s’achemine vers une solution pacifique. Entre temps, Chirac décide d’envoyer des contingents supplémentaires, notamment des troupes spéciales : les hommes du commando Hubert formé de nageurs de combat très expérimentés ainsi que des militaires du 11ème choc, les hommes du service action de la DGSE qui a remplacé le SDECE. Chirac a choisit, ça sera la force.

L’un des leader du FLNKS est contacté pour convaincre Dianou de se rendre. Avant d’accepter, il veut l’accord du bureau politique de son parti et aussitôt Bernard Pons se braque, il est hors de question de donner de la légitimité à un parti qu’il considère comme « terroriste ». Il envisage même de dissoudre le FLNKS. Il fait donc volte face et a choisi la rupture. Il interdit à Legorjus de retourner dans la grotte. A partir de ce moment, il n’y a quasiment plus de contact avec les kanaks. Pons subissait notamment des pressions de branches extrémistes caldoches qui sont nostalgiques de l’époque coloniale.

Legorjus joue alors une dernière carte et appelle Prouteau, le gendarme de l’Élysée afin que Mitterrand intervienne. C’est grâce à ce coup de fil que Mitterrand a pu savoir ce qu’il se tramait à Ouvéa. Apprenant l’immédiateté de l’intervention militaire, il menace Prouteau de publiciser l’affaire si le gouvernement passe à l’acte. De son côté Chirac décide justement de passer à l’action. Il demande à l’officier Vidal de s’engager par écrit sur les pertes envisageable « 1 a 2 tué 6 a 8 blessés minimum » écrit le général.

L’assaut

Legorjus avant de se retirer, et grâce à l’aide de Bianconi qui continuait à se déplacer librement, fait parvenir aux gendarmes retenus en otage deux petites armes de poing et des clefs de menotte. Chirac veut en finir avant le deuxième tour qui a lieu le 8 mai. L’assaut est programmé pour le 4 mai car il pleut violemment, les bruits seront ainsi étouffés et des défenseurs kanaks ont quitté momentanément la grotte. Au dernier moment, le plan est repoussé.

C’est donc dans la nuit du 5 mai que les trois équipes, le commando Hubert, le 11eme choc et le GIGN progressent silencieusement vers la grotte. A 6h du matin tout est prêt. 3 hélicoptères sont envoyés et font leur apparition au-dessus de la grotte afin de faire diversion et d’impressionner les preneurs d’otage pendant que les commandos se ruent à l’assaut et neutralisent les postes de défense installés à l’extérieur de la grotte. Les kanaks ripostent, les combats sont très violents, deux soldats sont tués, d’autres sont blessés et une douzaine d’indépendantistes trouvent la mort lors de ce premier combat. Un cesser le feu est décrété pour parlementer mais les kanaks après ce violent assaut refusent de se rendre.

En fin de matinée c’est l’assaut final. Les otages réussissent à se libérer et fuient par une cheminée de la grotte. Des indépendantistes sont tués, les autres finissent par se rendre, et parmi eux Alphonse Dianou qui a été blessé aux genoux. Sa vie ne semble pas en danger, pourtant lors de son arrivée à l’aéroport d’Ouloup on constate qu’il est mort, c’est Legorjus qui s’était occupé de sa perfusion. Soit on l’a laissé sans soin soit on l’a assassiné. Lors de son arrivé on constate qu’il porte des blessures au visage et qu’il n’a plus de perfusion. On se posera les même question pour deux autres indépendantiste morts après la fin des combats. Legorjus a parlé « d’acte contraire à l’honneur », c’est-à-dire, d’exécutions sommaires. En 2011, lors de la censure du film L’ordre et la morale de Mathieu Kassovitz relatant les faits, Legorjus avait défendu le réalisateur.

« Je n’ai pas assisté aux exécutions mais j’ai vu des choses. Par exemple la manière dont Alphonse Dianou a été traité après l’assaut. Il est mort d’un manque de soins. Pour les autres [deux Kanaks], les debriefings ont bien montré qu’il y avait eu exécution. Effectivement »

De jeunes kanaks qui n’étaient pas dans la grotte mais qui ravitaillaient les occupants ont également défendu cette version. L’un d’eux a été abattu d’une balle dans le dos, ce qui rappelle les « corvées de bois » en Algérie.

Une enquête diligentée par le ministre Chevènement a prouvé qu’un officier à violemment frappé aux visage les prisonniers. Ce fût un carnage, 19 kanaks sont morts ainsi que deux soldats français, alors même que les négociations en cours présagé une issue pacifique.

Mitterrand avait le pouvoir nécessaire, en tant que chef des armées pour faire interdire l’opération. D’’un coté, il a mené une opération sécrète à travers son représentant sur place, Pisani, pour trouver une solution pacifique. Pisani avait obtenu de Tjibaou que les otages soient libérés et que les kanaks puissent embarquer dans un avion pour rejoindre la métropole où ils auraient été emprisonné jusqu’à leur procès. Tout était prévu et le plan devait être effectif à partir du 9 mai, au lendemain de l’élection présidentielle. Même des places dans des maisons d’arrêt avaient été retenu, mais Mitterrand a donné un autre feu vert, celui de l’attaque. Il n’approuvait pas mais a laissé faire selon un calcul froid, afin que Chirac porte seul la responsabilité du massacre. La suite lui a donné raison, qu’importe que cela se fasse au dépend de la vie de jeunes kanaks avides de liberté, il en allait de l’intérêt de la France et des intérêts personnels de Chirac et Mitterrand.


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Re: Nouvelle-Calédonie - Kanaky

Messagede bipbip » 16 Déc 2017, 21:33

Grotte d'Ouvéa : autopsie d'un massacre - Enquête

L’histoire de la grotte d’Ouvéa est profondément gravée dans la mémoire collective et pourtant en y réfléchissant, aucune image précise ne nous vient à l’esprit. L’île a été interdite à la presse et placée sous le sceau du secret défense. Ce film raconte jour après jour la prise d’otage de 27 gendarmes par des indépendantistes kanaks. Elle débuta le 22 avril 1988 par l’attaque de la gendarmerie de Fayoué sur l’île d’Ouvéa et se termina le 5 mai par la libération des gendarmes sains et saufs et la mort de 19 ravisseurs. Y a-t-il eu une volonté de négocier de la part de François Mitterrand et de Jacques Chirac ? Quel a été le véritable rôle de Bernard Pons ? Jean-Marie Tjibaou avait-il des contacts avec les autorités politiques de l’époque ?

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Re: Nouvelle-Calédonie - Kanaky

Messagede Pïérô » 19 Déc 2017, 22:08

Le parcours d’obstacles de l’indépendance Kanak

La fin du processus de décolonisation de la Nouvelle Calédonie approche. La France et les opposants à l’indépendance n’ont pourtant pas encore abandonné leurs velléités de maintenir ce pays sous la coupe tricolore. Revue des enjeux de la lutte indépendantiste à 17 000 kilomètres de l’Europe, après plus de 160 ans d’aliénation coloniale.

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Re: Nouvelle-Calédonie - Kanaky

Messagede Pïérô » 16 Jan 2018, 18:22

"L'Ordre et la morale" : retour dans la grotte d'Ouvéa en vidéos

Le film de Mathieu Kassovitz, "L'ordre et la morale" permet de revenir sur les événements qui ont conduit à l'assaut de la grotte d'Ouvéa où 23 Kanaks et deux gendarmes du GIGN ont trouvé la mort en mai 1988. Arrêt sur images.

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Re: Nouvelle-Calédonie - Kanaky

Messagede Pïérô » 19 Jan 2018, 17:01

12 janvier 1985 : Assassinat de Machoro et état d’urgence en Kanaky

Membre du FLNKS [1], Eloi Machoro a été une figure de la lutte pour l’indépendance de la Kanaky. Partisan d’une lutte radicale, ne rechignant pas à utiliser les armes, il était devenu la bête noire de l’administration française et des colons. Il fut tué par les balles du GIGN le 12 janvier 1985.

L’histoire politique d’Eloi Machoro se construit en réponse à la violence des années 70 et 80 en Nouvelle Calédo­nie. Les colons, fortement marqués à droite et extrême­droite, disposaient d’armes dont ils n’hésitaient pas à se servir en tout impu­nité. Leur désarmement était un objectif po­litique pour les indépendantistes. Eloi Machoro prit la suite de Pierre Declercq, as­sassiné en 1981, comme secrétaire général de l’Union Calédonienne, parti membre du FLNKS.

Rapport de force anticolonial

En novembre 1984, le FLNKS mena une campagne de « boycott actif » des élections locales (au­-delà de l’abstention, cela consis­tait à perturber le vote). A cette occasion, Eloi Machoro se fit connaître en brisant une urne d’un coup de hache. Sa photo fit alors le tour de la presse française. En Nouvelle­ Calédonie, il s’opposa à l’extrême­-droite caldoche, en menant notamment des opéra­tions de désarmement des colons. Durant trois mois, de septembre à novembre 1984, un groupe dont il faisait partie tint le siège de la ville de Thio, coupant l’activité de la mine de nickel qui s’y trouve. Pour un de ses proches « Eloi était la bête noire de l’ex­trême­droite locale... Sans tirer un coup de feu, il avait désarmé la totalité des euro­ péens de Thio » [2].

L’usage des armes par Machoro ne fit ja­mais de victime, même lorsqu’il s’opposa à des groupes de gendarmes du GIGN venus pour briser le siège de Thio. Le 1er dé­cembre 1984, dès l’atterrissage de leurs héli­coptères, ceux­-ci furent entourés et neutralisés par plusieurs centaines de Ka­naks armés. La seule victime de cette his­toire fut l’amour­-propre du capitaine Picon, qui n’accepta de déposer son arme qu’après une gifle d’Eloi Machoro. Le gendarme gar­da une rancœur profonde de cette humilia­tion, qui eut des conséquences par la suite.

La stratégie de rapport de force d’Eloi Machoro pouvait être considérée comme complémentaire de celle de négociation portée par Jean­-Marie Tjibaou ou Yeiwene Yeiwene. « Il savait qu’à moins d’infliger une défaite retentissante à ses adversaires, rien de stable pour le peuple kanak ne pourrait jamais être mis en place. [...] L’esprit, non pas tant revanchard que ra­ ciste, des Européens locaux, leur ferait employer tous les moyens pour effacer la réalité kanak de la carte. [...] Dans quelques mois, le Gouvernement de droite allait être notre seul interlocuteur. Il serait alors indispensable, en face de lui, de se trouver en position de force. » [Ibid.]

Le siège de Thio apparaissait comme un moyen efficace d’établir ce rapport de force, sans effusion de sang. Eloi Machoro et ses camarades décidèrent alors de renouveler cette action dans la ville de la Foa. Le niveau de violence en Nouvelle­-Calédonie avait augmenté depuis le massacre d’Hienghène le 5 décembre 1984, où des Caldoches avaient tué 10 Kanaks dans une embuscade, probablement autant par haine que par vo­lonté d’envenimer la situation à l’heure où une partie du FLNKS négociait avec l’État français. Les menaces sur Eloi Machoro se faisaient plus concrètes : « Les Caldoches s’acharnaient sur Machoro. Les colons montaient embuscade sur embuscade, pour le coincer, sans résultats. La Gendar­merie le suivait à la trace, justement in­quiète de ses activités. En un certain sens, il avait la baraka, tout le monde venait der­rière sans parvenir à le précéder. » [3]

Les balles de la République

Le 10 janvier 1985, un jeune Caldoche, Yves Tual, est tué lors d’un accrochage avec deux Kanaks venus inspecter une ferme, qu’ils suspectaient probablement d’abriter des armes. Des émeutes sont déclenchées à Nouméa par les colons, qui s’attaquent à des locaux d’indépendantistes ou de sympathi­sants et affrontent les CRS. La rumeur enfle d’une responsabilité (hautement impro­bable) d’Eloi Machoro dans la mort du jeune Tual.

Le 11 janvier 1985, la ferme, où le leader indépendantiste se trouve en compagnie de plusieurs camarades pour préparer le siège de la Foa, est encerclée par des gendarmes. Parmi les militaires se trouvent trois tireurs d’élite du GIGN, dont le capitaine Picon, hu­milié par Machoro un mois et demi plus tôt. Au matin du 12 janvier, Eloi Machoro et Mar­cel Nonnaro sortent de la ferme suite aux appels des gendarmes. D’après les témoins indépendantistes, ils ont leurs armes mais ne les épaulent à aucun moment et ré­clament de parler au sous­-préfet. « À 6 heures, un ordre tombe de Nouméa : "Tir de neutralisation sur la personne d’Eloi Machoro et de Marcel Nonnaro" » [4]. Les deux hommes sont abattus par les tireurs du GIGN. Le Haut­Commissaire de la Répu­blique de l’époque Edgard Pisani s’en défen­dra plus tard, arguant que selon lui l’ordre était de « neutraliser » et non pas de « tuer » [5].
La version étatique est que les Kanaks, qui occupaient la ferme, avaient ouvert le feu contre les gendarmes, qui durent ripos­ter, les tuant « accidentellement ». Mais il ap­paraît que le terme d’occupation est inadapté, car les Kanaks connaissaient per­sonnellement le propriétaire des lieux. Sur­ tout, pour les témoins indépendantistes, mais aussi d’après un gendarme, Lahouari Bouhout, aucun coup de feu n’a été tiré par les Kanaks. Ce même gendarme affirmera plus tard que les ordres étaient précis « la gendarmerie devait tuer trois hommes. On nous a demandé de tenir secret et de dire que c’était un accident. » [6] La troisième cible, qui serait François Burck [7] d’après les indépendantistes [8], a eu la vie sauve. Les ca­marades de Machoro racontent également que les gendarmes auraient fait feu avec les armes des indépendantistes après les avoir abattus pour simuler une fusillade, et au­raient frappé les survivants pour les obliger à signer des témoignages en ce sens (ce qu’ils ont refusé de faire) [9].

À qui le crime profite

L’effet politique de la mort d’Eloi Macho­ro est immédiat. Le même jour, le maire de Nouméa annonce à un millier de colons ras­semblés sur une place la mort de l’indépen­dantiste. La foule explose de joie [10]. Edgard Pisani, qui a beau prétendre que la mort des Kanaks est accidentelle, insiste sur les béné­fices : « Pour être honnête, je dois dire qu’aussi involontaire qu’elle ait été, la mort d’Eloi Machoro rendait service à la cause de la paix. [...] Il aurait même représenté, au sein du FLNKS comme à l’extérieur de celui­-ci, un obstacle. Je regrette vraiment qu’il ait été tué, mais je crois que cette mort rendit service à la Nouvelle Calédonie ».
Dans la foulée, l’état d’urgence est ins­tauré sur le pays. « Le 12 janvier au matin donc, Nouméa sortait d’une nuit d’émeute, la population caldoche était en état d’in­surrection et on pouvait craindre que la mort d’Eloi Machoro ne déclenche une vague de violence chez les Canaques (sic). Je pris la décision d’instaurer l’état d’ur­gence. Il s’agissait moins de tirer avantage des dispositions autorisées par celui­-ci que de provoquer un choc dans la population, en Nouvelle Calédonie comme en métro­pole. Il fallait que les habitants de Nouvelle Calédonie aient conscience de ce qu’un pas avait été franchi au­-delà duquel la moindre atteinte à l’ordre serait réprimée ; il fallait que les extrémistes de la droite cal­doche de Nouméa comprennent qu’il n’était plus question qu’ils bénéficient, au regard de la loi, de la relative impunité dont ils bénéficiaient de fait depuis trente ans. Que faire quand on a une police qui, au quotidien, se sent viscéralement soli­daire de ceux qui menacent l’ordre public ? Il fallait que les Canaques s’en remettent à la seule action politique. » [11]
Ces propos portent, malgré tout, une re­connaissance de la violence coloniale subie par les Kanaks et de la rationalité du recours à la lutte armée pour s’y opposer, comme Eloi Machoro l’a fait, puisqu’il conclut que le musellement des colons, dont la police était complice, a ouvert la voie à une solution po­ litique. L’impunité des Caldoches y est clai­rement affirmée. Mais ils sont aussi une illustration de l’intérêt politique de l’état d’urgence pour l’État français, éclairante pour les enjeux contemporains.
A l’approche du référendum de décolo­nisation de la Nouvelle Calédonie, le rappel de l’histoire d’Eloi Machoro, comme d’autres épisodes, encore proches, est im­portant pour illustrer le caractère colonial et sanglant des rapports sociaux dans ce pays. Il est une contradiction douloureuse aux voix qui invitent à « passer à autre chose », à tourner la page d’un passé qui n’a pas été soldé pleinement, et qui poussent à accep­ter le fait accompli de l’occupation française.


[1] Front de libération nationale Kanak et socialiste, coa­lition de partis créée en septembre 1984 qui porte la re­vendication indépendantiste

[2] René Guiart, « La vie et la mort d’un héros Kanak : Eloi Machoro », Journal de la société des océanistes 92-­93

[3] Ibid.

[4] Ibid.

[5] Edgard Pisani, Persiste et Signe, p.340, ed. Odile Jacob.

[6] « Un ancien gendarme affirme qu’Eloi Machoro a été tué sur ordre », Le Monde, 04/12/1986.

[7] Seule figure indépendantiste de l’Union Calédonienne ayant survécu aux « événements » des années 80, il suc­cédera à Jean­-Marie Tjibaou à la tête de l’organisation en 1989

[8] David Robie,« Assassins in Kanaky », Covert Action In­ formation Bulletin n°29, 1988.

[9] René Guiart, op. cit

[10] Soir 3 du 12 janvier 1985, archives INA.

[11] Edgard Pisani, op. cit. p.342.


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Re: Nouvelle-Calédonie - Kanaky

Messagede Pïérô » 02 Mai 2018, 22:09

La présence d'Emmanuel Macron à Ouvéa serait un affront

Emmanuel Macron se rend en Kanaky - Nouvelle-Calédonie en pleines commémorations des 30 ans du massacre d'Ouvéa. Les signataires de cette tribune collective appellent le président de la République à respecter la mémoire des Kanak morts pour la lutte indépendantiste, à reconnaître officiellement les crimes commis à Ouvea et à s'abstenir de toute prise de position sur le processus de décolonisation.

Alors que les commémorations des 30 ans du massacre d'Ouvéa ont débuté le samedi 22 avril et à l'approche du référendum d'autodétermination, Emmanuel Macron sera en visite officielle en Kanaky - Nouvelle-Calédonie du 3 au 5 mai. Dans ce contexte, les organisations et personnalités signataires soutiennent les appels collectifs adressés au président français à respecter la mémoire des Kanak morts pour la lutte indépendantiste, nombre d'entre eux ayant été tués par l'armée française. Elles rappellent également que le référendum sur la pleine souveraineté de Kanaky concerne avant tout les Kanak et les descendants des « victimes de l'histoire »1 et que la puissance coloniale et ses représentants ne doivent pas fausser ce processus.

Le 22 avril 1988 des militants kanak indépendantistes lancent une occupation de la gendarmerie de Fayaoué sur l'île d'Ouvéa. Prévue pour être pacifique, l'action dérape : 4 gendarmes sont tués et 27 pris en otage. Une partie des otages est libérée très rapidement et l'autre maintenue dans la grotte d'Ouvéa. Alors que des négociations sont en cours, le gouvernement français décide dans l'entre-deux tours de la présidentielle de lancer un assaut militaire contre la grotte le 5 mai, au cours duquel 2 militaires et 19 militants indépendantistes sont tués, certains exécutés d'une balle dans la tête. Il est également avéré qu'avant l'assaut, les militaires français ont commis des mauvais traitements sur la population locale de Gossanah (un village à proximité), mais aussi ailleurs, afin d'obtenir des informations et de localiser la grotte2.

Chaque année les familles des victimes et les habitants d'Ouvéa commémorent cette tragédie du 22 avril au 5 mai, désormais aux côtés des gendarmes de Fayaoué dans une démarche de réconciliation. Le « Comité des 30 ans des événements de Iaai »3 qui participe à l'organisation des commémorations a fait savoir dès le 16 avril puis à plusieurs reprises que la présence d'Emmanuel Macron sur la tombe des 19 militants tués n'était pas souhaitée le 5 mai et serait considérée comme une « provocation »4, de même que le « Comité Vérité & Justice », qui juge que ce déplacement « n'est pas acceptable s'il n'est pas accompagné d'un geste dans le sens de la vérité et la justice »5. Pourtant à l'heure actuelle la visite officielle à Ouvéa est maintenue. La tragédie d'Ouvéa s'inscrit dans la terrible lignée des crimes coloniaux et néo-coloniaux commis par l'Etat français, qui présentent des similitudes inquiétantes : impunité pour les responsables, vérité soustraite aux victimes, secret défense appliqué aux archives. La présence de la puissance coloniale aux commémorations d'Ouvéa sera vue à juste titre comme un affront et comme la négation de la parole des Kanak habitant sur place.

La visite d'Emmanuel Macron a également pour contexte la fin du processus de décolonisation dans lequel Kanaky - Nouvelle Calédonie est engagée depuis 30 ans. Le dernier Comité des signataires des accords réuni à Paris en mars a fixé la date du référendum sur la pleine souveraineté et l'accession à l'indépendance au 4 novembre prochain. Lors de la campagne présidentielle française, Emmanuel Macron avait déclaré qu'il souhaitait que la Nouvelle-Calédonie reste « dans la communauté nationale ». D'autres représentants français, tels que Manuel Valls et Christian Jacob en déplacement dans l'archipel au sein de la mission d'information parlementaire sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle Calédonie, se sont également permis de déclarer officiellement leur préférence personnelle pour le maintien de la tutelle française. Aujourd'hui la position du chef de l'Etat, comme de tous les représentants français, doit être impartiale. Une impartialité certes factice puisque la France est la puissance coloniale, mais indispensable désormais dans les discours et dans les actes afin de ne plus interférer dans le choix et les débats des premiers concernés.

A l'approche de cette visite officielle, les organisations et personnalités signataires appellent donc le président français et sa délégation :

- à respecter la demande des Kanak d'Ouvéa de ne pas se rendre sur la tombe des 19 militants tués à Ouvéa à cette date symbolique ;
- à reconnaître officiellement les crimes commis à Ouvea et à ouvrir les archives les concernant ;
- à respecter le droit à l'autodétermination du peuple kanak et le processus de décolonisation engagé, et donc à s'abstenir de toute prise de position sur l'avenir de Kanaky - Nouvelle-Calédonie et de toute forme de pressions ou manipulations qui viseraient à influencer le résultat du référendum pour maintenir la tutelle française.

Notes
1. Les personnes déportées vers la Nouvelle-Calédonie
2. Cf les récits des exactions commises relatées notamment dans Mourir à Ouvéa, Alain Rollat et Edwy Plenel (Éditions La Découverte-Le Monde, 1988), ou le rapport de la LDH « Enquête sur Ouvéa: rapport et témoignages sur les évènements d'avril-mai 1988 »
3. Ouvéa dans une des langues de l'île
4. Voir le communiqué de presse du « Comité des 30 ans » du 16 avril 2018 et les déclarations dans la presse fin avril (par exemple « Gossanah : "NON au recueillement de Macron sur la tombe des 19" 3», francetvinfo.fr, 30 avril)
5. dans un courrier adressé par ce comité à Emmanuel Macron le 18 avril. Ce comité est une initiative des familles des leaders indépendantistes assassinés qui souhaitent connaître la vérité sur ces assassinats , il revendique le droit à la vérité et à la justice pour les familles des assassinés, comme pour l'ensemble du peuple kanak.

Organisations signataires :

Les organisations membres du collectif Solidarité Kanaky :
- Association Survie,
- Mouvement des jeunes kanak en France (MJKF),
- Union syndicale des travailleurs kanak et exploités (USTKE),
- Association Information et Soutien aux Droits du Peuple Kanak (AISDPK),
- Fasti,
- CNT
- Union syndicale Solidaires
Alternative libertaire
Collectif ni Guerre ni Etat de Guerre
Réseau Sortir du colonialisme
Comité vérité et justice pour Adama Traoré
Fondation Frantz Fanon
Revue Mouvements


Signataires individuels :

Vincent Charbonnier, philosophe, syndicaliste (SNESUP-FSU)
Sergio Coronado, ancien député écologiste
Laurence De Cock, historienne
Mireille Fanon Mendes France, Ex UN expert, Consultante juridique
Eric Fassin, sociologue, Paris 8
Nacira Guénif, sociologue, Professeure Université Paris 8
Jean Malifaud, universitaire
Pierre Khalfa, économiste
Silyane Larcher, chargée de recherche au CNRS en science politique
Olivier Lecour Grandmaison, politologue, Université d'Evry-Val d'Essonne
Seloua Luste Boulbina, philosophe, université Paris Diderot
Christian de Montlibert, sociologue professeur émérite à Strasbourg
Hélène Nicolas, maîtresse de conférences en anthropologie du genre, Paris 8-Vincennes-Saint-denis
Willy Pelletier, coordinateur général de la Fondation Copernic
Olivier Roueff, sociologue, chargé de recherche au CNRS
Catherine Samary, économiste
Omar Slaouti, militant antiraciste
Françoise Verges, politologue
Marie-Christine Vergiat, euro-députée Gauche européenne


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