Etymologie de mots, "libertaire,"Le grand soir,économie...
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histoire du mot libertaire, texte mis en ligne sur le site de la CLA (Coordination des libertaires de l'Ain)
http://www.cla01.org/
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http://www.cla01.org/spip.php?article129Histoire du mot libertaire
Le mot libertaire est formé à l’aide du suffixe -aire, qui a tout aussi bien servi à la formation de noms que d’adjectifs du vocabulaire politique (révolutionnaire, réactionnaire, prolétaire ou égalitaire), sur le radical libert-, qui apparaît tel quel dans le latin libertus (forme secondaire du participe parfait passif, liberatus, du verbe libero : « donner la liberté, affranchir ») : « esclave qui a reçu la liberté, affranchi ». Contrairement à libertin (Furetière, 1690 : « qui ne veut pas s’assujettir aux lois, aux règles de bien vivre, à la discipline d’un monastère »), qui a la même origine (Id., 1690 : « Dans le droit romain, on appelle libertin un esclave affranchi, par relation à son patron »), ce n’est pas un mot ancien, mais un néologisme introduit dans la langue française, sous une forme nominale, par l’anarchiste Déjacque. En témoigne l’inventeur du mot socialisme (voir L’Éclat n°2, p. 8), Leroux, qui écrivait en 1858 : « Ce n’est plus Proudhon, en effet, qui peut représenter aujourd’hui cette Secte [...]. L’étendard Liberté est aujourd’hui aux mains d’un de ses disciples, d’un anarchiste comme lui, mais qui prend l’anarchie plus au sérieux encore que lui. C’est Dejacque, un prolétaire, qui écrit à New York une feuille, dont le titre, néologisme inventé par lui, exprime bien sa pensée : Le Libertaire ».
Et de fait, le mot apparaît pour la première fois, au sens d’anarchiste radical opposé à anarchiste juste-milieu et libéral, dans un pamphlet de Déjacque adressé à Proudhon en 1857 :
Mettre la question de l’émancipation de la femme en ligne avec la question de l’émancipation du prolétaire, cet homme-femme, ou, pour dire la même chose différemment, cet homme-esclave – chair à sérail ou chair à atelier –, cela se comprend, et c’est révolutionnaire ; mais la mettre en regard et au bas du privilège-homme, oh ! alors, au point de vue du progrès social, c’est dépourvu de sens, c’est réactionnaire. Pour éviter toute équivoque, c’est l’émancipation de l’être humain qu’il faudrait dire. Dans ces termes, la question est complète ; la poser ainsi c’est la résoudre : l’être humain, dans ses rotations de chaque jour, gravite de révolution en révolution vers son idéal de perfectibilité, la Liberté [...]. Votre entendement bourrelé de petites vanités vous fait voir dans la postérité l’homme-statue, érigé sur le piédestal-femme comme dans l’antérité l’homme-patriarche, debout auprès de la femme-servante. Écrivain fouetteur de femmes, serf de l’homme absolu, Proudhon-Haynau qui avez pour knout la parole, comme le bourreau croate, vous semblez jouir de toutes les lubricités de la convoitise à déshabiller vos belles victimes sur le papier du supplice et à les flageller de vos invectives. Anarchiste juste-milieu, libéral et non libertaire, vous voulez le libre échange pour le coton et la chandelle, et vous préconisez des systèmes protecteurs de l’homme contre la femme, dans la circulation des passions humaines ; vous criez contre les hauts barons du capital, et vous voulez réédifier la haute baronie du mâle sur la vassale femelle ; logicien à bésicles, vous voyez l’homme par la lunette qui grossit les objets, et la femme par le verre qui les diminue ; penseur affligé de myopie, vous ne savez distinguer que ce qui vous éborgne dans le présent ou dans le passé, et vous ne pouvez rien dé-couvrir de ce qui est à hauteur et à distance, ce qui perspective de l’avenir : vous êtes un infirme !
Déjacque a beaucoup fait pour imposer son néologisme, à commencer par la publication d’une revue intitulée Le Libertaire, Journal du mouvement social, dont il a rédigé seul les 27 numéros parus à New York entre juin 1858 et février 1861. C’est dans le n°1, qu’en définissant la ligne de son journal, il a en même temps fixé le sens du mot libertaire (« partisan de la liberté absolue et universelle ») :
Il a pour principe, un et supérieur : La liberté et en tout et pour tous. Il ne reconnaît d’autorité que l’autorité du progrès. En tout et pour tous, il veut l’abolition de tous les esclavages sous toutes les formes, l’affranchissement de toutes les chairs et de toutes les intelligences. Le Libertaire n’a de patrie que la patrie universelle. Il est l’ennemi des bornes : bornes-frontières des nations, propriété d’État ; bornes-frontières des champs, des maisons, des ateliers, propriété particulière ; bornes-frontières de la famille, propriété maritale et paternelle. Pour lui, l’Humanité est un seul et même corps dont tous les membres ont un même et égal droit à leur libre et entier développement, qu’il soient les fils d’un continent ou d’un autre, qu’ils appartiennent à l’un ou l’autre sexe, à telle ou telle autre race. De religion, il n’en a aucune ; il est protestant contre toutes. Il professe la négation de Dieu et de l’âme ; il est athée et matérialiste, attendu qu’il affirme l’unité universelle et le progrès infini ; et que l’unité ne peut exister, ni individuellement ni universellement, avec la matière esclave de l’esprit et l’esprit oppresseur de la matière, comme le progrès non plus ne peut être infiniment perfectible s’il est limité par cette autre borne ou barrière où les humanicides ont tracé avec du sang et de la boue le nom de Dieu.
Malgré la tentative de Proudhon d’imposer au terme libertaire la signification réduite d’individualiste, c’est-à-dire de défenseur d’une « théorie de l’égoïsme bien entendu » (« l’utopie des libertaires »), qui « fait consister uniquement l’organisation sociale dans le développement de la liberté individuelle » et « n’a pu recevoir le moindre commencement d’exécution » (De la justice dans la Révolution et dans l’Église, 1860, t. i, p. 58-59), le mot libertaire a d’emblée concurrencé le vocable anarchiste (voir L’Éclat n°3, p. 10). Sous sa forme adjectivale, il en est même devenu synonyme après 1875, dans des expressions telles que communistes-anarchistes et communistes-libertaires, employées l’une et l’autre par les disciples de Bakounine. Vulgarisé par sa présence dans le titre de plusieurs périodiques (Le libertaire [1892, 1893-1894 et 1895-1956], Le Monde libertaire depuis 1954 et Alternative libertaire depuis 1991), c’est dans cette acception qu’il est entré dans la langue littéraire, puis dans celle de tous les jours : Zola parle ainsi, en 1901, d’un « artisan libertaire, vivant en dehors des coutumes et des lois » et Anatole France, en 1914, d’un « individu très dangereux, bien connu dans les milieux anarchistes et ayant déjà subi plusieurs condamnations pour écrits ou discours libertaires ». Depuis lors, la forme adjectivale du terme a même supplanté l’adjectif anarchiste dans des expressions comme communisme libertaire (la locution communisme anarchiste est aujourd’hui devenue rare) et école libertaire (l’expression école anarchiste est inusitée).