Kurdistan

Re: Kurdistan

Messagede GUERRE DE CLASSE » 15 Jan 2015, 19:19

Quelques commentaires sur la « Révolution au Rojava »
Mardi, 30 décembre 2014 @ 04:03 PM CST

Les récents reportages de témoins oculaires comme Janet Biehl, David Graeber et autres depuis le Rojava confirment deux choses :

1) La révolution économique y est encore plutôt modeste. Cela est davantage confirmé par une interview de RojavaReport avec un ministre de l’économie au Rojava qui veut que toutes les coopératives puissent concurrencer le capital privé. Il admet aussi que « avec le début de la révolution… il était même interdit de forcer une caisse ».

2) La révolution féministe a aussi été modeste. Les hommes prédominent toujours dans les rues comme sur les lieux de travail. Et, comme le site Web du PKK le montre, la théorie féministe de l’organisation provient plus des pensées de son patriarche, Abdullah Ocalan, que d’un quelconque mouvement féministe indépendant. En outre, il est peu probable que l’autonomisation des femmes provenant de leur engagement – ou de leur enrôlement de force – dans la milice puisse faire long feu. Comme lors de précédentes guerres révolutionnaires, elle sera inévitablement contredite par la déresponsabilisation due à l’obéissance aux ordres, conjuguée à la brutalité et au traumatisme de la guerre.

Peut-être que cette révolution modeste, c’est mieux que rien. Mais il est difficile de voir comment une telle révolution pourrait bien inspirer le nouveau printemps arabe qui est nécessaire pour renverser l’EIIS ainsi que leurs soutiens saoudiens, qataris et turcs. La révolution du Rojava, avec son « identité kurde radicale » et son bizarre culte semi-religieux autour d’Ocalan, aura toujours un attrait limité pour les Arabes. Seule une révolution qui offre clairement la perspective de communiser TOUT le capital privé et étatique du monde arabe (c.-à-d. l’immense richesse pétrolière) pourrait commencer à rivaliser avec l’appel de l’Islam.

Le PKK/PYD était peu disposé à se joindre au soulèvement anti-Assad en 2012 et est maintenant tout autant hésitant à renverser la propriété privée. Au contraire, après s’être allié avec la dictature meurtrière d’Assad dans le passé, il s’allie maintenant avec les USA et leur campagne de bombardement meurtrière. Cette campagne a pu sauver Kobane mais elle a aussi probablement encouragé encore plus d’Arabes à se méfier des Kurdes et à s’engager dans l’EIIS. Et cela pousse maintenant la région encore plus loin dans un bain de sang inter-impérialiste.

La délégation en visite au Rojava n’a jamais rencontré le politicien dirigeant du PKK/PYD, Saleh Muslim – peut-être parce qu’il était retenu dans une réunion plus importante avec des diplomates américains. Cette réunion a dû discuter le fait que le PKK/PYD essaie maintenant de travailler avec d’autres partis kurdes plus bourgeois – un arrangement qui peut avoir été une condition à davantage de soutien américain.

De toute évidence, le seul espoir pour le prolétariat kurde, c’est le renversement de TOUS les partis politique kurdes – y compris les technocrates des classes moyennes du PKK/PYD. Et une telle révolution authentique exigera inévitablement une source d’inspiration provenant de soulèvements prolétariens ailleurs.

Un tel scénario peut paraître incroyablement optimiste. Mais c’est probablement plus réaliste que l’espoir apparent de David Graeber de voir un jour l’État capitaliste du Rojava et sa police s’éteindre et disparaître on ne sait comment, une fois que les gens auront été formés à faire la police eux-mêmes !

Source en anglais : http://news.infoshop.org/article.php?st ... 0091831504
Traduction française : Třídní válka # Class War # Guerre de Classe [http://www.autistici.org/tridnivalka/]
GUERRE DE CLASSE
 
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Rojava : la Guerre Populaire, ce n’est pas la Guerre de Clas

Messagede GUERRE DE CLASSE » 15 Jan 2015, 19:22

Rojava : la Guerre Populaire, ce n’est pas la Guerre de Classe
http://www.autistici.org/tridnivalka/ro ... de-classe/

Le texte « Rojava : la Guerre Populaire, ce n’est pas la Guerre de Classe », que vous pouvez lire ci-dessous, représente une contribution de la « Tendance Communiste Internationaliste » (TCI) au débat qui a lieu depuis plusieurs semaines dans certains milieux qui se revendiquent de la « lutte anticapitaliste ». Les points centraux de cette discussion tournent autour des événements actuels au Kurdistan occidental, le Rojava.

Même si généralement nous ne sommes pas d’accord avec le corpus idéologique de la TCI (malgré certaines positions et références programmatiques communes), nous avons néanmoins décidé de publier ici ce texte et de le traduire en tchèque et en français à partir de la version originale anglaise, car nous partageons la défense des positions internationalistes qui y sont abordées. L’État n’est pas simplement une structure constituée du gouvernement, de la police, de l’armée et d’un appareil administratif ; l’État, comme le mouvement communiste l’a déjà saisi, est un rapport social, la matérialisation de l’ordre du monde capitaliste, peu importe si sa légitimité est basée sur des assemblées parlementaires ou communautaires. Si donc le PKK et ses affidés du PYD revendiquent qu’ils ne cherchent pas à créer un État, c’est seulement parce qu’en réalité ils représentent déjà l’État, en raison du rôle, pratique et idéologique, qu’ils jouent au Rojava. Ce que certains des partisans du PKK appellent très justement « un État sans État », c’est-à-dire un État qui ne se territorialise pas obligatoirement sous la forme d’un État-Nation, mais qui in fine constitue un État tout de même dans ce sens où les rapports sociaux capitalistes, la propriété privée, ne sont pas remis fondamentalement en question.

Contrairement aux euro-centristes de tout poil et autres adorateurs de la division du monde entre d’une part des « pays centraux » (d’où seuls pourrait provenir l’étincelle qui allumera le brasier de la révolution) et d’autre part la « périphérie » du capitalisme, nous n’avons aucun doute qu’il y ait un mouvement prolétarien au Rojava (comme dans toute la région du Moyen-Orient, et c’est là déjà un des désaccords de fond que nous avons avec les positions de la TCI en général), un mouvement qui malgré ses faiblesses vise, bien que seulement partiellement, à l’émancipation de la classe ouvrière, et qui dans ce sens fait intégralement partie du mouvement prolétarien mondial qui participe de l’abolition du capitalisme et de la création d’une réelle communauté humaine – le communisme. Ni le PKK ni le PYD cependant ne représentent ce mouvement et cela malgré leurs proclamations apparemment prosocialistes et en faveur de ce fétiche à la mode qu’est la démocratie directe (à travers le soi-disant « tournant politique » du PKK qui aurait adopté le « confédéralisme démocratique », le « communalisme » et le « municipalisme » chers à toute une kyrielle de libertaires proudhoniens à travers le monde). Et si de prétendus révolutionnaires continuent à les soutenir sans critique (ou même en adoptant un « soutien critique » à la Trotski), ils deviendront les fossoyeurs de ce mouvement fragile, de la même façon que cela s’est passé avec le soutien au Front Populaire en Espagne en 1936.

Les principaux acteurs de l’actuelle campagne de soutien international qui se développe pour le Rojava, en se faisant les porte-voix d’organisations comme le PKK ou le PYD et ses groupes armés (YPJ et YPG), ne font rien d’autre que de confondre le mouvement social existant avec les forces politiques organisées et formelles qui clament être les représentants et les dirigeants des luttes en cours. Que des organisations marxistes-léninistes (bolcheviks, staliniennes, maoïstes, trotskistes, etc.), qui n’ont jamais été historiquement que la gauche capitaliste dont la tâche a été, est et sera d’encadrer et de réprimer dans le sang les luttes de notre classe, que ces organisations étatistes soutiennent des organisations-sœurs comme le PKK ou le PYD, quoi de plus normal. Que des « anarchistes », des « libertaires », des « communistes libertaires », des « anarchistes communistes », qui ont toujours prétendu lutter contre l’État, contre toute forme d’État, fassent de même et participent de cette campagne (de manière « critique » ou non), cela ne nous étonne pas non plus mais nous pousse néanmoins à soulever la question et à développer quelques commentaires.

D’abord, cette campagne de « solidarité avec le Rojava », qui n’est qu’une distorsion d’un évident besoin de solidarité avec les prolétaires en lutte dans toute cette région, comme partout dans le monde, cette campagne de soutien à la lutte de libération nationale (ici kurde), n’est pas l’apanage d’une seule famille mais traverse les deux grandes familles idéologiques qui parlent au nom du prolétariat, et provoque même des divisions en leur sein alors qu’elles se déchirent entre d’une part les partisans de la « cause kurde » et des « peuples opprimés » et d’autre part les défenseurs de positions internationalistes. En effet, tant dans la famille idéologique « marxiste » que dans la famille de « l’anarchisme idéologique », on retrouve des pros et des contras. Il est dès lors très visible que les lignes de démarcation ne se situent pas, dans cette question comme de manière plus générale dans la question de la guerre et des tâches des militants révolutionnaires, entre « marxistes » et « anarchistes » mais entre d’un côté les tenants de la libération nationale et donc de l’État bourgeois et du capitalisme (même repeint en rouge) et de l’autre côté les militants qui développent le véritable internationalisme, bref entre les défenseurs du parti bourgeois à destination des prolétaires (la social-démocratie sous toutes les couleurs politiques dont elle est capable de se parer) et les combattants du seul « parti » qui libérera toute l’humanité, le parti du prolétariat révolutionnaire, le parti communiste mondial, « le Parti de l’Anarchie » (Karl Marx).

Ensuite, alors que la quasi-totalité des secteurs de l’anarchisme refuse historiquement et avec la dernière véhémence toute référence à « la dictature du prolétariat », qu’ils assimilent faussement à la véritable dictature de la valeur imposée au prolétariat durant plusieurs décennies au nom du communisme, dans des pays qui s’autoproclamaient « communistes » et étaient désignés comme tels par la propagande bourgeoise occidentale, aujourd’hui on voit ces mêmes « anarchistes » oublier tous leurs « principes » et brandir le drapeau du PKK et de son État comme un « moindre mal » comme l’a récemment révélée une prise de position publiée par le réseau Anarkismo : « La question des relations des anarchistes et des syndicalistes envers des mouvements comme le PKK – mouvements qui ne sont pas explicitement, ou même complètement anarchiste – est matière à controverse. Une partie substantielle du mouvement anarchiste, particulièrement le vaste réseau plateformiste et spécifiste autour d’Anarkismo.net, a soutenu le PKK, bien que de manière critique. […] Dans les circonstances actuelles où l’État Islamique essaye d’envahir Kobanê, même si le confédéralisme démocratique est vaincu au Rojava de manière interne par des éléments du PYD et leur mise en œuvre d’un État, cet État (d’après ce que nous avons lu sur le PYD) sera meilleur que les autres options qui sont de réelles possibilités, étant soit l’État Islamique, soit Assad ou le KRG. […] En résumé, en appliquant notre approche générale, nous pouvons dire de la bataille pour le Rojava : nous soutenons la lutte pour la libération nationale des kurdes, y compris le droit d’exister pour le mouvement de libération nationale ; […] ; notre soutien va, sur une échelle mobile, vers les anarchistes et syndicalistes kurdes en haut, suivis par le PKK, ensuite le PYD et nous traçons une ligne face au KRG ; en termes pratiques, nous nous offrons une solidarité (même si elle est juste verbale) et coopérons autour d’une série de questions concrètes, la plus immédiate étant la bataille pour arrêter l’État Islamique d’extrême droite et défendre la révolution du Rojava ; au sein de cette révolution nous nous alignons au coté du modèle de confédéralisme démocratique du PKK contre l’approche plus étatique des modèles du PYD, et même lorsque nous faisons cela, avec en tout temps l’objectif de proposer nos méthodes, buts et projets et de les faire gagner en influence : nous sommes avec le PKK contre le KRG, mais nous sommes pour la révolution anarchiste avant tout. » [http://www.anarkismo.net/article/27648/] [nous soulignons]

Comme on le voit dans cette citation, rien n’a vraiment changé depuis au moins 1936 et « l’anarchisme idéologique » continue tout autant à justifier le « moindre mal » (qui se révèle dans la pratique toujours être le pire !) et à sacrifier ainsi la révolution sociale sur l’autel de la rentabilité politique, du pragmatisme et de l’opportunisme, comme n’importe quelle autre expression de l’arc-en-ciel de la politique bourgeoise. Alors qu’hier en Espagne, ces mêmes « anarchistes » (CNT-FAI) dévoyaient les luttes de notre classe, qu’ils refusaient ce qu’ils ont appelé « la dictature de l’anarchie » (c’est-à-dire l’élaboration de mesures élémentaires et drastiques pour imposer à la bourgeoisie la satisfaction des besoins de la révolution, la lutte contre la propriété privée), alors qu’ils canalisaient le mouvement social sur les rails de la légalité républicaine, ces messieurs dames fricotaient avec les forces du Front Populaire, avec les « socialistes » et les staliniens, entraient dans les gouvernements bourgeois et assumaient ainsi leur rôle dans la répression étatique de notre classe. Aujourd’hui à nouveau, certains « anarchistes » frayent avec les mêmes forces politiques qui ne portent aucun programme prolétarien, aucune perspective révolutionnaire, allant jusqu’à revendiquer ouvertement leur soutien militant non pas aux quelques expressions révolutionnaire émergeant péniblement du bourbier de la paix sociale mais plus prosaïquement aux « luttes populaires progressistes » (cf. le texte d’Anarkismo déjà cité), et cela avec d’autant plus de facilité qu’il est bien difficile de déceler avec force et certitude l’autonomie programmatique et effective de notre classe sur le terrain au Rojava. Aucune force prolétarienne et communiste n’émerge puissamment (du moins au vu du peu d’informations militantes qui proviennent de là-bas) comme il a pu exister par exemple lors des soulèvements de 1991 en Irak où d’importantes expressions de l’associationnisme prolétarien se sont manifestées.

Ce ne sont ici que quelques commentaires par rapport à cet important débat qui dépasse en importance la seule « question kurde » ainsi que le soutien ou non (et comment) à « la résistance au Rojava ». C’est toute la question de la guerre qui est posée, ainsi que la question de la lutte de classe, de la guerre de classe et de l’affirmation du prolétariat comme force organisée imposant la satisfaction de ses besoins. Nous voudrions pour terminer cette petite introduction, proposer quelques autres textes critiques qui nous inspirent, même si nous tenons à émettre de vives réserves quant à certaines de leurs faiblesses et limites. Le débat et la discussion sont loin d’être clos…

• “Rojava: an anarcho-syndicalist perspective” by WSA [http://libcom.org/blog/rojava-anarcho-syndicalist-perspective-18102014], en français : « Rojava : Une perspective anarcho-syndicaliste » par la WSA [http://anarkismo.net/article/27647]
• “Anarchist Federation statement on Rojava: December 2014” [http://libcom.org/news/anarchist-federation-statement-rojava-december-2014-02122014]
• “Rojava: Fantasies and Realities” by Zafer Onat [http://www.servetdusmani.org/rojava-fantasies-and-realities/]

PS : Nous voudrions adresser un dernier mot à tous ceux qui, à la suite de ces quelques critiques très peu populaires, mettraient en doute notre solidarité avec les prolétaires en lutte au Moyen-Orient, et comme partout ailleurs : depuis l’émergence du soi-disant « printemps arabe », nous avons publié pas moins de cinq textes et/ou tracts directement consacrés à cette question, qui sont des affirmations tranchées et fermes en faveur des luttes contre la misère et l’exploitation (sans compter les divers textes d’autres groupes que nous avons traduits en tchèque, dont nous avons fait une présentation, et que nous avons diffusé à travers notre réseau militant internationaliste). Outre qu’ils aient été produits dans les trois langues de notre groupe (tchèque, anglais, français), nos textes propres ont été traduits et diffusés à leur tour par diverses expressions militantes à travers le monde, en allemand, arabe, espagnol, grec, italien, portugais, russe, serbo-croate, turc…

Guerre de Classe # Décembre 2014

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Rojava : la Guerre Populaire, ce n’est pas la Guerre de Classe

« Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d'ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce. (…)
La tradition de toutes les générations mortes pèse d’un poids très lourd sur le cerveau des vivants. (…)
La révolution sociale (…) ne peut pas tirer sa poésie du passé, mais seulement de l’avenir. Elle ne peut pas commencer avec elle-même avant d’avoir liquidé complètement toute superstition à l’égard du passé. Les révolutions antérieures avaient besoin de réminiscences historiques pour se dissimuler à elles-mêmes leur propre contenu. La révolution (…) doit laisser les morts enterrer leurs morts pour réaliser son propre objet. »
http://www.marxists.org/francais/marx/w ... /brum3.htm

L’Espagne dans un Contexte Historique

L’article de David Graeber, « Pourquoi le monde ignore-t-il les révolutionnaires Kurdes de Syrie ? », a été largement distribué dans la presse anarchiste et libérale. Il y parle de la façon dont la révolution sociale au Kurdistan occidental (Rojava) est « scandaleusement » ignorée par tous, y compris par une vague « gauche internationale ». Il choisit de commencer sur une note délibérément subjective en annonçant que son père s’était porté volontaire pour se battre dans les Brigades internationales durant la guerre civile espagnole en 1937. Il poursuit :
« Un possible coup d’Etat fasciste avait été temporairement arrêté par le soulèvement des travailleurs, dirigé par les anarchistes et les socialistes, et dans une grande partie de l’Espagne une véritable révolution sociale s’est produite, ce qui a placé des villes entières en autogestion démocratique, les industries sous le contrôle des travailleurs et l’autonomisation (empowerment) radicale des femmes.
Les révolutionnaires espagnols espéraient créer la vision d’une société libre que tout le monde pourrait suivre. Au lieu de cela, les puissances mondiales décrétèrent une politique de « non-intervention » et ont maintenu un strict blocus de la République, même après qu’Hitler et Mussolini, signataires ostensibles, aient commencé à envoyer des troupes et des armes pour renforcer le camp fasciste. Le résultat a été des années de guerre civile qui ont pris fin avec la défaite de la révolution et certains des massacres les plus sanglants d’un siècle sanglant.
Je n’ai jamais pensé qu’au cours de ma propre vie je verrais la même chose se reproduire. »
Source originale : http://www.theguardian.com/commentisfre ... yria-isis/, publié en français entre autre sur : http://oclibertaire.free.fr/spip.php?article1588 et http://rojavasolidarite.noblogs.org/pos ... -de-syrie/
Notre professeur d’anthropologie […] a clairement besoin d’étudier l’histoire avec plus de soin. Le coup d’Etat militaire du 18 juillet 1936 contre la Seconde République espagnole est arrivé après des années de lutte de classe. Le gouvernement du Front populaire des socialistes et des libéraux ne savait pas comment réagir, mais les ouvriers l’ont fait. Lorsque les ministres libéraux ont refusé d’armer les ouvriers, ils ont attaqué les casernes du régime et ils ont pris les armes. Cela a déclenché une révolution sociale qui, dans diverses parties d’Espagne, correspondait presque à ce que Graeber décrit. Toutefois, elle n’a pas touché au pouvoir politique de la République espagnole bourgeoisie. L’Etat n'a pas été détruit. Les leaders anarchistes de la CNT-FAI ont d’abord décidé de soutenir le gouvernement régional catalan du bourgeois Luis Companys, puis, à peine cinq mois plus tard, ils sont entrés dans le gouvernement de Madrid avec les libéraux et les staliniens. Ils ont décidé de faire passer la lutte contre « le fascisme » avant la révolution sociale. Ce faisant, ils ont abandonné tout ordre du jour de la classe ouvrière et ils ont livré la révolution à la bourgeoisie. C’est l’épisode le plus honteux de l’histoire anarchiste et la plupart des historiens anarchistes seront d’accord avec ce verdict […].
Bien qu’il invoque l’histoire, Graeber la retourne sur la tête. Pour lui, c’est le fait qu’Hitler et Mussolini ont armé Franco qui a mené à la défaite de la révolution. Il n’en fut pas ainsi. C’est l’abandon de la révolution sociale en faveur des besoins militaires de « l’antifascisme » qui était vraiment à blâmer. C’est la révolution sociale de juillet 1936 qui avait poussé la masse de la population à commencer à se battre pour elle-même et pour une nouvelle société. Nous ne disons pas que la révolution aurait pu l’emporter, compte tenu de son isolement à l’époque, mais elle nous aurait laissé aujourd’hui un héritage plus stimulant. En fait, l’histoire de la classe ouvrière espagnole était si différente du reste de l’Europe (la bourgeoisie espagnole n’a pas pris part à la Première Guerre mondiale, par exemple) que les travailleurs espagnols se sont retrouvés seuls à combattre. Le reste de la classe ouvrière européenne ne s’était pas remis de la défaite de la vague révolutionnaire qui mit fin à la Première Guerre mondiale. Cette défaite avait déjà permis au fascisme d’être victorieux en Italie et en Allemagne.

Manipulations impérialistes

Et cela a également défini le contexte impérialiste dans lequel la guerre civile espagnole est arrivée. Graeber n’est pas fiable non plus lorsqu’il dit que toutes les grandes puissances se sont inscrites dans la « non-intervention ». C’était la politique hypocrite des classes dirigeantes française et britannique qui espéraient convaincre les puissances de l’Axe d’attaquer l'URSS (les laissant ainsi libre de ramasser les morceaux plus tard). Ils y ont entraîné Mussolini dans une tentative de diviser l’Axe, mais cela a échoué.
Durant la période qui précède la Seconde Guerre mondiale, l’URSS de Staline a aussi dû trouver un moyen pour essayer de se gagner des alliés. Il avait déjà fait de « l’antifascisme » son slogan en novembre 1935. Et sur cette base, cela contribua à la formation des gouvernements du Front populaire en Espagne et en France. L’idée était de convaincre les démocraties occidentales qu’elles pouvaient faire confiance dans l’État « paria » soviétique. C’est l’URSS qui a secrètement armé la République espagnole dès le début (à l’exception du Mexique, le seul État à le faire). Et celui qui paie a le droit de décider comment sera dépensé son argent. Bien que le Parti communiste espagnol (PCE) n’avait que 6.000 membres en 1936, il a été immédiatement gonflé par la défection de la jeunesse du Parti socialiste dirigé par Santiago Carillo. Et il a grandi considérablement plus en s’opposant à la révolution sociale même qui avait déclenché la résistance. Les petits bourgeois dans l’Espagne républicaine ont afflué vers eux se défendre contre les anarchistes. Et bientôt, les ministres communistes sont apparus à Madrid et le PCE a pris en charge les services de la sûreté (SIM). Des laquais staliniens comme Palmiro Togliatti (« camarade Ercoli ») et Ernö Gerö ont été envoyés en Espagne afin de mener des chasses aux sorcières contre les vrais révolutionnaires. Celles-ci eurent principalement lieu après la débâcle de mai 1937 à Barcelone, où des combats ont éclaté entre la CNT et le POUM d’un côté, et les staliniens de l’autre. Cela s’est terminé par une trêve mais avec les staliniens aux commandes (comme la « lutte antifasciste » était primordiale) et plusieurs massacres de leurs adversaires dans le camp républicain. À chaque phase, les staliniens ont justifié leur prise de contrôle de l’appareil d’État par le besoin de rendre « la lutte contre le fascisme » plus efficace. Le seul résultat en fut de démoraliser et de détruire l’initiative des masses et d’ouvrir la voie à la victoire finale de Franco et à encore plus de massacres. Graeber a raison de dire que la révolution a été réprimée, non par Franco, mais par les « antifascistes » qu’il cherche maintenant à imiter.
C’est ce que beaucoup à gauche, des anarchistes du style de Graeber à la gauche marxiste traditionnelle des trotskistes et des staliniens, ne peuvent pas comprendre. L’antifascisme était l’idéologie d’un camp de l’équation impérialiste des années 1930 pour mobiliser la population pour la guerre impérialiste. Et cela a fonctionné. Le père de Graeber ne fut pas le seul à s’être engagé comme volontaire dans les Brigades internationales. C’est ce que fit mon père métallurgiste en 1938. C’était alors un jeune garçon boucher de 16 ans et il n’avait pas d’opinions politiques bien précises. On le refusa (heureusement !) au motif de son jeune âge, mais sa réaction était précisément ce que le bloc des Alliés escomptait durant la Seconde Guerre mondiale afin de mobiliser la classe ouvrière pour encore un autre massacre après la fin en 1918 de « la guerre qui devait mettre fin à toutes les guerres ». Personne ne se serait plus battu pour « le Roi et la Patrie » mais beaucoup ont jugé utile de risquer leur vie en combattant le mal fasciste.
Et une fois de plus, l’histoire se répète partiellement, en tragédie d’abord, en farce ensuite. Les Graeber, ainsi que les staliniens et les trotskystes, se parent des vêtements du passé pour appeler au soutien des nationalistes kurdes contre les « fascistes » ou les « crypto-fascistes » de Da’esh ou de l’ÉI au Rojava. Cela dit, Da’esh est une force monstrueuse réactionnaire qui perpètre des actes dignes de Gengis Khan et des Mongols, mais lutter pour ou contre eux ne favorise pas l’émergence d’une classe ouvrière autonome. Nous devons être conscients du contexte impérialiste de ce qui se passe en Syrie, en Turquie et en Irak avant d’exhorter quiconque à s’emballer et à combattre pour le PYD […]. Le PYD est dominé par le PKK, bien que pour des raisons diplomatiques il dit qu’il ne l’est pas (le PKK est condamné internationalement comme « terroriste » tandis que le PYD ne l’est pas). Le tournant « démocratique » ou « mutualiste » du PKK a été initié en grande partie afin d’essayer de gagner le soutien de l’Occident tout comme « l’antifascisme » et le « Front populaire » ont fonctionné pour l’impérialisme soviétique dans les années 1930.
Da’esh est une création de la coalition impérialiste qui maintenant la bombarde […]. Sans le démembrement dirigé par les USA de l’État irakien après 2003, il n’y aurait pas de possibilités d’agir pour l’ÉI. Sans la fourniture initiale d’armes des régimes sunnites d’Arabie saoudite et du Qatar, l’ÉI ne serait rien. Et le régime kurde dans le nord de l’Irak a été le plus grand bénéficiaire de la politique américaine. Le régime du Parti Démocratique Kurde de Barzani est un proche allié à la fois des États-Unis et de la Turquie et il exporte son pétrole vers la Turquie via un nouvel oléoduc récemment achevé. L’ÉI, ayant acquit ses propres ressources financières, s’est dégagé de ses maîtres impérialistes originels et il poursuit son propre agenda. Encore une fois, il y a des parallèles avec les années 1930, mais pas ceux auxquels nos antifascistes aiment à se référer. En 1939, Staline a abandonné « l’antifascisme » pour signer le pacte Hitler-Staline […] avec ces mêmes fascistes que les ouvriers en Espagne étaient censés avoir combattus jusqu’à la mort. Hier comme aujourd’hui, les impératifs impérialistes peuvent dicter le nom qu’ils vont donner à n’importe quelle cause. Quoi que Graeber et autres puissent affirmer, la lutte en Syrie aujourd’hui est une lutte pour le contrôle impérialiste du territoire.

« Expérience Sociale » au Rojava

Et ce qui se passe au Rojava n’est pas aussi merveilleux que le dit Graeber. Il ne fait que relayer la propagande du PYD. En fait, vous avez l’impression (compte tenu du poids relatif des mots qui lui est consacré) qu’il est plus impressionné par la « conversion » du stalinien Ocalan aux idées du « municipalisme libertaire » de feu Murray Bookchin, une idéologie que Graeber tient à cœur.
« Le PKK a déclaré qu’il n’essayait même plus de créer un Etat kurde. Au lieu de cela, en partie inspiré par la vision de l’écologiste social et anarchiste Murray Bookchin, il a adopté la vision du “municipalisme libertaire”, appelant les Kurdes à créer des communautés libres et autonomes, sur la base des principes de la démocratie directe, qui par la suite s’uniraient au-delà des frontières nationales – et qui seront appelées à être progressivement dénuées de sens. Ainsi, ils ont suggéré que la lutte kurde puisse devenir un modèle pour un mouvement mondial vers une véritable démocratie, une économie coopérative et la dissolution progressive de l’État-nation bureaucratique. »
Oh si était vrai ! Le PKK a révisé sa stratégie, il a fait passer la frontière turque à ses combattants, les a positionnés en Irak et il a édulcoré son stalinisme dans une tentative de se présenter comme « démocratique ». Mais même Graeber reconnaît que certains « éléments autoritaires » se maintiennent, bien qu’il ne donne aucun détail. Donnons-lui un coup de main. Selon le PYD lui-même, il y a une forme de double pouvoir avec les désormais célèbres communautés autonomes qui existent côte à côte avec un cadre de type parlementaire entièrement contrôlé par le PYD. Tout le monde peut aisément deviner qui a le poids réel. Le PYD a obtenu un quasi-monopole des armes. Ils sont l’État. Et dans chaque pays (Irak, Iran et Syrie), la bourgeoisie kurde locale a mis en place sa propre entité nationale dans la même veine. Ces entités pourraient ne pas être reconnues par l’impérialisme international, mais ce sont des États à tous points de vue sauf au niveau du nom. À certains égards, elles empiètent davantage sur la vie des gens que l’État au Royaume-Uni. Par exemple, si vous avez plus de 18 ans, vous êtes soumis à la conscription. Et quant à l’internationalisme supposé du PYD, son chef Saleh Muslim a menacé d’expulser tous les Arabes du territoire « kurde » en Syrie malgré le fait que la plupart d’entre eux y soient nés. Les femmes peuvent être plus libres au Kurdistan en général que dans les territoires environnants, mais tout est relatif. Il y a eu beaucoup d’accusations concernant une culture sexiste ainsi que de viols chez les peshmergas, et Ocalan lui-même semble non seulement fermer les yeux sur cela, mais personnellement l’admettre. Rien de tout cela n’est discuté dans le trop bref compte-rendu de Graeber à propos des merveilles du Rojava.
Le seul mot manquant dans le compte-rendu de Graeber, c’est le mot classe. Pour lui, Rojava est un « mouvement populaire », tout comme le mouvement « Occupy » l’était. La Seconde Guerre mondiale nous a été vendue par les Alliés comme une « guerre populaire ». Mais « le peuple », c’est la nation. Le cri de ralliement de la classe capitaliste, c’est qu’ils étaient les représentants du « peuple » contre l’ordre féodal. Mais il est admit pour nous que le peuple est une notion interclassiste. Il y inclut exploiteurs et exploités. C’est pourquoi nous posons le concept de classe en opposition à toute idée de peuple ou de « nation ». Le nationalisme est l’ennemi de la classe ouvrière qui ne possède aucune propriété privée, ni n’exploite personne. Comme Marx l’a dit « Les ouvriers n’ont pas de patrie ». La guerre de classe, ce n’est pas la « guerre du peuple ».
Nous reconnaissons bien sûr qu’il y a un besoin pour de nombreux ouvriers à rechercher des exemples stimulant d’organisation sociale. C’est pourquoi nous nous tournons vers la Commune de Paris de 1871 ou la Russie en 1905. C’est aussi pourquoi nous nous tournons vers l’Espagne de l’été 1936 ou la Russie de l’hiver 1917-1918. Aucun de ces exemples ne fut parfait, mais tous ont donné des indications sur ce que la classe ouvrière était capable de faire. Tous ont finalement été noyés par l’intervention impérialiste. Mais ils étaient beaucoup plus loin sur la voie de l’autonomie prolétarienne réelle que ce qui nous est vendu aujourd’hui au Rojava ou n’importe où ailleurs au Kurdistan. Nous sommes habitués à ce que la gauche capitaliste (trotskistes, staliniens, maoïstes) se précipite pour soutenir tel ou tel « moindre mal » ou chante les louanges de tel ou tel modèle considéré comme « le socialisme réellement existant » (Venezuela, Bolivie, Cuba, Vietnam, etc., etc.) mais tout ce qu’ils nous invitent à faire, c’est d’entrer dans le jeu de la propagande impérialiste de nos gouvernants. La révolution sociale réelle ne peut pas avoir lieu à l’intérieur d’un seul pays comme l’histoire des années 1920 et 1930 nous l’a montré. Si nous voulons voir un mouvement de classe autonome capable de créer une société sans classe, sans exploitation, sans État et sans guerre meurtrière, nous devons nous battre pour elle là où nous vivons et travaillons. Dans le long terme, nous devons créer nos propres organisations de classe […] ou tout ce qui est approprié à la lutte, mais nous devons aussi arriver à ce que ce soit une partie d’une lutte consciente contre le capitalisme sous toutes ses formes. Cela signifie que la création d’un mouvement politique international et internationaliste, contrairement à tous les projets nationaux aujourd’hui, est un élément indispensable de cette lutte. Cela doit pouvoir inspirer et unir la conscience révolutionnaire de pans plus larges de travailleurs. Ce n’est pas aussi facile ou instantanément gratifiant que de rabâcher des slogans à propos de tel ou tel paradis supposé des travailleurs, mais c’est la seule voie pour l’émancipation de l’humanité. […]

Jeudi 30 octobre 2014
Source en anglais : http://www.leftcom.org/en/articles/2014 ... ava-people’s-war-is-not-class-war
Traduction française : Třídní válka # Class War # Guerre de Classe
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Re: Kurdistan

Messagede abel chemoul » 15 Jan 2015, 20:23

alors en gros, Guerre de classe, un groupe tchèque de communistes anti-léniniste vient nous faire la leçon, fait des comparaisons Espagne 1936/Rojava 2014 pour nous montrer que tout le monde il est con, tout le monde il trahie la lutte de classe. Merci de nous éclairer sur notre trahison perpétuelle, sur notre incompréhension du monde en général et des processus révolutionnaires en particulier. Au moins il y a une constante en ce monde : les sectes marxistes et leur purisme doctrinal.

Cela dit, la critique du Rojava est bonne à prendre, l'extase de tous les révolutionnaires devant ce qu'il s'y passe est un peu inquiétant.
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Re: Kurdistan

Messagede Pïérô » 22 Jan 2015, 03:24

Carte dynamique du Kurdistan
Cette carte fait l’objet d’un travail régulier, fondé sur des recherches auprès de sources dignes de confiance, avec une mise à jour régulière deux à trois fois par semaine, si nécessaire, en fonction des informations géographiques sur les opérations militaires.
http://www.akb.bzh/spip.php?article889
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Re: Kurdistan

Messagede Pïérô » 25 Jan 2015, 03:24

10 quartiers sur 13 pour les Kurdes et les lignes d'approvisionnement de l'EI sont coupées, ce qui empêche les djihadistes de se ravitailler. Djihadistes qui envoient au carton femmes et enfants car ils n'ont plus de troupes depuis quelques temps...

VIDEO. Syrie : les forces kurdes reprennent Kobané à l'État islamique :
http://www.francetvinfo.fr/monde/revolt ... 03583.html
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Re: Kurdistan

Messagede Pïérô » 26 Jan 2015, 14:54

Syrie: Kobané libérée du joug de l'EI par les forces kurdes, selon l'OSDH

Les forces kurdes ont chassé le groupe Etat islamique (EI) de la ville syrienne de Kobané, une défaite cuisante pour les jihadistes après plus de quatre mois de combats, rapporte lundi une ONG.

"La milice des YPG (Unités de protection du peuple kurde) a chassé l'EI de Kobané et contrôle quasi-totalement la ville", a indiqué l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH), précisant que les jihadistes se sont repliés dans les environs de Kobané.

... http://www.rtbf.be/info/monde/detail_sy ... id=8851616
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Re: Kurdistan

Messagede Pïérô » 29 Jan 2015, 15:19

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Re: Kurdistan

Messagede GUERRE DE CLASSE » 29 Jan 2015, 18:22

« J’ai vu le futur, et ça fonctionne. » – Questions critiques pour les partisans de la révolution au Rojava
http://libcom.org/library/%C2%AB-j%E2%80%99ai-vu-le-futur-et-%C3%A7a-fonctionne-%C2%BB-%E2%80%93-questions-critiques-pour-les-partisans-de-la-r%C3%A9v
http://paris-luttes.info/j-ai-vu-le-futur-et-ca-fonctionne-2551

Il y a près de 100 ans, le journaliste américain Lincoln Steffens visita l’Union soviétique et proclama : « J’ai vu le futur, et ça fonctionne. » [1] Depuis lors, les gauchistes ont continué de se leurrer, non seulement à propos de l’Union soviétique, mais aussi de la Chine, Cuba, le Nicaragua, le Venezuela et ailleurs. Après un siècle de telles illusions, il est crucial que nous n’hésitions pas à poser des questions critiques sur chaque révolution – même si cette révolution est menacée par une contre-révolution brutale.

# Légende de la photo : Un autre « boulot de merde » ? Travail coopératif au Rojava. #

VOICI DONC QUELQUES QUESTIONS CRITIQUES POUR LES PARTISANS DE LA RÉVOLUTION AU ROJAVA :

Les femmes seront au premier plan de toute véritable révolution sociale et la participation des femmes dans la révolution au Rojava est certainement frappante. Mais les staliniens désabusés ont souvent utilisé le féminisme comme une excuse pour abandonner la politique de classe. En effet, les dirigeants du PKK disent que « la libération des femme est plus précieuse et significative que la libération des classes »et le patriarche du PKK, Abdullah Öcalan, soutient que la guerre de classe « a touché à sa fin ». [2]

Alors, comment des femmes kurdes des classes inférieures peuvent-elles rompre avec le PKK et s’émanciper vraiment ? N’y a-t-il au Rojava aucun mouvement de femmes qui soit véritablement indépendant de la direction du PKK/PYD qui est en grande partie issue de la classe moyenne ? Si, comme le proclament des témoins oculaires, les hommes continuent de prédominer dans les rues et sur les lieux de travail, comment les femmes peuvent-elles changer cette situation ? [3]

Le rôle des femmes dans la milice du PKK/PYD est également frappant. Mais qu’y a-t-il de si révolutionnaire que d’être recruté (ou enrôlé de force) dans une armée, d’obéir aux ordres et de subir le traumatisme du combat ? Le recrutement de femmes soldats n’a pas réussi à mener à la libération des femmes à long terme dans d’autres soulèvements nationalistes tels que la révolution sandiniste. Pourquoi cela devrait-il réussir au Rojava ? [4]

# Les recrues de la milice reçoivent à la fois « une formation militaire et une éducation politique sur les opinions écologiques et politiques d’Abdullah Öcalan. » #

Si le PKK a rompu avec le stalinisme, pourquoi son site très sectaire fait-il plus que jamais l’éloge d’Abdullah Öcalan ? Où y a-t-il de claires excuses pour les meurtres commis par le PKK de tant de ses opposants et dissidents de gauche ? Où y a-t-il des excuses pour ses nombreuses années d’alliance de facto avec la dictature meurtrière d’Assad ? [5]

Dans les années 1990, Öcalan s’est vanté que « Je suis l’homme le plus fort du Kurdistan, et le peuple me considère comme un prophète ». Plus récemment, il a recommandé que « [Murray] Bookchin doit être lu et ses idées… mises en pratique ». [6] Bien que Saleh Muslim, le leader du PYD, affirme qu’il est contre le fait de dire aux gens ce qu’il faut faire, il a également dit : « nous appliquons la philosophie et l’idéologie [d’Öcalan] en Syrie. » Et comme des témoins oculaires le confirment, « il y a des portraits d’Öcalan partout [au Rojava]. » Une révolution véritablement radicale est impossible à moins que les gens ne pensent par eux-mêmes. Alors, comment le prolétariat au Rojava peut-il rompre avec le culte de la personnalité d’Öcalan ? [7]

Un chef de la police du PKK/PYD a affirmé que la police au Rojava a l’intention d’un jour s’auto-dissoudre. [8] Mais la police moderne a été inventée dans les années 1800 afin d’imposer la propriété privée et le travail salarié. Assurément, elle ne peut être éliminée que par l’abolition complète tant de la propriété que du travail salarié !

# Des détenus d’une prison au Rojava. #

A la différence des proclamations radicales du chef de la police, il y a beaucoup d’autres affirmations concernant la répression violente par la police du PKK/PYD. Ces allégations sont-elles simplement de la propagande anti-PKK ? Il y a également des accusations selon lesquelles de nombreuses organisations « populaires » au Rojava ne sont que des façades pour le PKK/PYD qui, avec leurs milices, détiennent une grande partie du pouvoir réel. [9] Même si ces affirmations sont exagérées, comment des assemblées populaires locales peuvent-elles, avec presque aucune ressource, avoir un quelconque pouvoir réel, à moins qu’elles ne commencent à socialiser ou à communiser plus la propriété privée ?

Malheureusement, la révolution économique au Rojava a été plutôt modeste jusqu’à présent. Un ministre de l’Économie a déclaré que : « Avec le début de la révolution… il a même été interdit de casser une caisse ». Il a également dit qu’il voulait des coopératives qui rivalisent avec le capital privé. [10] Dans cette situation, comment le travail salarié dans les coopératives du Rojava est-il moins aliénant ou misérable que tout autre travail dans la société capitaliste ?

# Le chef du PKK/PYD, Saleh Muslim, rencontre le « néocon » étatsunien Zalmay Khalilzad. #

Un nouveau printemps arabe est désespérément nécessaire pour renverser à la fois l’EIIS et ses bailleurs d’Arabie Saoudite, des pays du Golfe et de Turquie. Comment la révolution au Rojava peut-elle, avec son « identité kurde radicale » et son étrange culte semi-religieux autour d’Öcalan, toujours inspirer la majorité des Arabes ? Assurément, seule une révolution qui offre la perspective de partager et de communiser TOUT le capital privé et étatique du monde arabe (c’est-à-dire son énorme richesse pétrolière) pourrait commencer à rivaliser avec l’appel de l’Islam ! (Une telle révolution véritablement radicale peut sembler une perspective impossible. Mais comme la crise du capitalisme continue, elle ne peut que devenir plus possible.)

En décembre 2014, tandis que des fonctionnaires subalternes du Rojava rencontraient les militants américains Janet Biehl et David Graeber, le haut responsable du PKK/PYD, Saleh Muslim, discutait de collaboration militaire avec le « néocon » étatsunien Zalmay Khalilzad. (En tant qu’ambassadeur américain en Afghanistan et en Irak, Khalilzad a orchestré l’occupation des deux pays – occupations dont la corruption et la brutalité ont provoqué un large soutien aujourd’hui pour les talibans et l’EIIS.) [11]

Incapables d’inspirer la révolution dans le monde arabe, le PKK/PYD a plutôt choisi de s’allier avec les États-Unis. Mais cette alliance ne va-t-elle pas encourager plus d’Arabes à se méfier des Kurdes et à rejoindre l’EIIS ? Ne va-t-elle pas pousser la région encore davantage dans un bain de sang inter-impérialiste ? Bien qu’à court terme, l’intervention occidentale peut parfois aider certaines personnes, n’a-t-elle pas à long terme, de la Palestine à l’Irak et à la Libye, toujours conduit à une catastrophe encore pire ? (Et le PKK/PYD est-il déjà en train de faire des concessions – comme par exemple en invitant d’autres partis kurdes plus bourgeois à gouverner conjointement le Rojava – afin de maintenir le soutien occidental ?) [12]

Il y a exactement 100 ans, la plupart des gauchistes d’Europe soutenaient l’un ou l’autre camp durant la Première Guerre mondiale au motif que chacun se battait en quelque sorte pour la démocratie et le socialisme. Depuis lors, les gauchistes ont pris parti dans pratiquement chaque guerre inter-impérialiste pour des raisons similaires. Après des dizaines de millions de morts, et peu de succès dans le renversement du capitalisme, ne devrions-nous pas envisager plus avant une meilleure attitude que de prendre parti dans les guerres inter-impérialistes barbares ?

Quelles que soient les bonnes réponses à toutes ces questions, beaucoup de gens au Rojava sont véritablement en train d’essayer de transformer la société dans des circonstances très difficiles. Nous avons certainement besoin de nous opposer à l’embargo du Rojava et d’exiger l’ouverture des frontières pour tous les réfugiés. Mais notre priorité doit sûrement être de trouver comment la révolution peut advenir ici, en Occident – une révolution qui serait un complément indispensable à toute révolution victorieuse au Moyen-Orient.

NOTES
1. Dans un troublant parallèle à la visite de Biehl et Graeber, Steffens visita l’Union soviétique en même temps qu’une délégation du gouvernement américain – quoiqu’au moins Biehl et Graeber soient allés dans des délégations distinctes ! Lincoln Steffens – Spartacus Educational.
2. “New Year Message from the KCK”, 31/12/14; A.Ozcan, “Turkey’s Kurds”, p.204-6.
3. Becky/SIC, “Starting from the Moment of Coercion”; Zaher Baher, “The Experiment of West Kurdistan”, libcom.org. [Disponible en français : « Kurdistan : Oui, le peuple peut changer les choses (l’expérience du Rojava) »]
4. “PYD Rounds up Conscripts”, Rudaw.net 10/12/14. Dans les années 1980, beaucoup de gauchistes ont été très impressionnés par le fait qu’une milice, ici dirigée par les sandinistes, était composée à 30% de femmes. Malheureusement, ces gauchistes ont complètement sous-estimé les conséquences de l’échec de la révolution nicaraguayenne quant à l’abolition de la propriété privée. La trahison ultérieure des femmes par les sandinistes est illustrée par le fait que l’actuel gouvernement sandiniste a imposé des lois anti-avortement qui sont encore plus strictes que celles de la dictature prérévolutionnaire de Somoza. “The Guardian”, 29/7/09.
5. PKK Online; P.J.White, “Primitive Rebels Or Revolutionary Modernizers?”, p.143-8; J.Tejel, “Syria’s Kurds”, p.75-9, 92-5, 137.
6. H.Tahiri, “The Structure of Kurdish Society”, p.223-4; M.Gunter, “Out of Nowhere?”, p.176.
7. Kurdwatch interview with Salih Muslim, 8/11/11; J.Biehl, “Impressions of Rojava”, roarmag.org. [Disponible en français : « Mes impressions du Rojava »]
8. D.Graeber, “No. This Is a Genuine Revolution”, libcom.org. [Disponible en français : « Non, c’est une véritable révolution »]
9. “Middle East Report” no.151, International Crisis Group website; H.Allsopp, “The Kurds of Syria”, p.202-9; KURDWATCH.ORG, en particulier “Report no.9”.
10. “Rojava Report”, 22/12/14. [Disponible en français : « Le Ministre de l’Économie du Canton d’Efrin : Le Rojava défie les normes de classe, de genre et de pouvoir »]
11. Rudaw.net, 9/12/14; A.Cockburn, “Harpers Magazine”, 12/6/14.
12. H.Hassan, “The Guardian”, 28/9/14; D.Postel, “Should We Oppose the Intervention Against ISIS?”, “In These Times” 18/24/14; E.Babacan, “False Friends of Kobane”, jacobinmag.com.

Source en anglais : http://libcom.org/library/%E2%80%98i-ha ... revolution
Traduction française : Třídní válka # Class War # Guerre de Classe
http://www.autistici.org/tridnivalka/
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Re: Kurdistan

Messagede Banshee » 30 Jan 2015, 20:59

Kobanê enfin libérée de la barbarie de Daesh !

Manifestation samedi 31 janvier, 14h, Place de la République*

Après 135 jours de combats acharnés et de lourds sacrifices, les combattant(e)s des Unités de Protection du Peuple (YPG et YPJ) ont libéré Kobanê, infligeant ainsi une défaite cuisante aux gangs de Daesh.

Malgré l’hostilité des Etats de la région, notamment de la Turquie qui a toujours soutenu Daesh et refusé l’ouverture d’un couloir pour l’acheminement de l’aide humanitaire et militaire, malgré la nette supériorité en armes de Daesh, les résistants de Kobanê ont combattu avec une détermination et un courage remarquables. Leur résistance a eu raison d’un ennemi de l’humanité.

*Pour rendre hommage à tous ceux qui sont morts dans ce combat pour l’humanité,*

*Pour célébrer la résistance et la victoire de Kobanê,*

*Pour demander la reconnaissance du canton autonome de Kobanê et des autres cantons du Rojava,*
*Soyons nombreux samedi 31 janvier, à partir de 14h, *
*sur la Place de la République !*

Conseil Démocratique Kurde en France (CDKF)
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Re: Kurdistan

Messagede bipbip » 31 Jan 2015, 03:54

Dans Kobané, libérée mais détruite

Pour entrer dans Kobané depuis la frontière turque, il faut enjamber les rails de la ligne Berlin-Bagdad. On passe des militaires turcs aux miliciens kurdes en longeant le flanc d’une gare ottomane, qui a longtemps été la principale curiosité de la ville. Derrière une porte de métal s’ouvre l’avenue des Douanes : ce qu’il en reste, du ciel entre deux rangées de bâtiments crevés, de piliers nus et de toitures écroulées au sol. A 200 mètres au sud, sur le rond-point de la place de la Paix, deux gros oiseaux de bétons blanchis à la chaux, presque intacts. Ils ont miraculeusement échappé au désastre.

Les djihadistes de l’Etat islamique (EI) se sont battus de la fin septembre 2014 à novembre pour couper cette voie de ravitaillement vitale pour la ville, qui comptait avant la guerre quelque 70 000 habitants. Puis ils ont été repoussés vers l’est, rue par rue, durant plus de deux mois. Les Unités de protection du peuple (YPG, affiliées au Parti des travailleurs du Kurdistan, le PKK, séparatiste, interdit en Turquie), aidées de peshmergas venus du Kurdistan irakien et de rebelles arabes de l’Armée syrienne libre (ASL), les y ont contraints. Ils ont reçu l’appui de plus de 700 frappes aériennes de la coalition internationale menée par les Etats-Unis. Soit près des trois quarts des bombardements qui ont visé l’EI en Syrie.

« Nous sommes heureux et fiers »

Les YPG affirment avoir chassé, depuis mardi 27 janvier, les derniers djihadistes du quartier de Mektele, à l’extrémité sud-est de la ville. Elles revendiquent « une victoire pour l’humanité, une victoire contre la barbarie et la brutalité de Daech [acronyme arabe de l’EI] ».

Depuis la place de la Paix, ce qui reste de Kobané se situe à main droite : dans une poche qui représente un peu plus d’un dixième de la ville, les quartiers ouest, où vivent tous les civils. Des combattants y passent en voiture, visages plombés de fatigue, levant des trombes de poussière. Parmi eux, on aperçoit un adolescent qui n’a probablement pas 15 ans, en uniforme, une kalachnikov en main. Le reste de la ville est en ruines.

Sur l’avenue qui mène à Jarablous, à l’ouest, Faradoun, 13 ans, traîne dans le magasin d’un parent mécanicien. Les garages de l’avenue ont été transformés en manufactures d’armes. Faradoun est resté en ville durant tout le conflit, il a travaillé à l’atelier. Il s’apprête à aider à nettoyer la carcasse d’un canon antiaérien soviétique, partiellement brûlé.

D’autres habitants sont revenus de leur exil en Turquie (200 000 réfugiés depuis la mi-septembre) depuis un peu plus d’un mois, famille après famille. Les autorités turques et kurdes limitent encore ces passages. Les YPG leur interdisent de s’installer dans le centre et l’est de la ville.

« Nous sommes très heureux et fiers d’avoir battu Daech. Mais il y a eu tant de morts… », raconte Adla Kassou, 41 ans, qui a perdu un frère dans les combats. Elle est revenue en ville il y a dix jours. Sa famille étendue, d’une dizaine de membres, trouve de l’eau dans un puits voisin. Les YPG fournissent l’essence pour un générateur. On en entend vrombir à tous les coins de rue.

La province reste aux mains de l’EI

« Nous nettoyons les rues, nous allons construire un camp de tentes sous les arbres derrière les quartiers ouest », explique Mohammed Saïdi, le chef de l’administration municipale, sous le seul minaret encore debout. « Dans l’est, nous aurons d’abord besoin de bulldozers pour dégager les corps des décombres », qui pourrissent et empuantissent la ville. « Mais nous ne pourrons jamais reconstruire seuls, il nous faudra de l’aide », ajoute-t-il. Pas rebuté par l’ampleur de la tâche, l’administrateur a commencé à faire le bilan des destructions. Il voudrait évaluer le montant des travaux rue par rue.

Une chose simplifiera le travail de cette administration : la ville est aux mains d’une seule organisation, le Parti de l’union démocratique (PYD), émanation en Syrie du PKK. Depuis que le régime de Bachar Al-Assad a abandonné la région aux Kurdes en 2012, le PKK, d’inspiration marxiste, a pris le contrôle de Kobané et des deux autres régions kurdes de Syrie. Après l’attaque de l’EI, les autres partis kurdes ont quitté la ville.

Pour reconstruire, les autorités du Kurdistan syrien devront s’entendre avec la Turquie voisine, où le PKK a mené durant trente ans une insurrection qui a fait 40 000 morts. La Turquie a laissé passer civils, combattants et approvisionnement durant la bataille. Elle l’a fait discrètement, en multipliant les embûches. Elle a aussi laissé passer à grand bruit, fin octobre, les 150 peshmergas venus d’Irak. Mardi, le président de la région autonome kurde d’Irak, Massoud Barzani, rival du PKK, a remercié M. Erdogan pour son rôle dans « le sauvetage » de Kobané.

Enfin, si les Kurdes de Syrie ont reconquis la ville, la province de Kobané reste aux mains des djihadistes. Les Kurdes affirment avoir « libéré » une demi-douzaine de villages, situés entre 4 et 8 kilomètres autour de la ville. Pour pousser plus loin sans attendre un retrait de l’EI, ils devraient progresser en terrain découvert. Il leur faudrait des armes lourdes, des blindés et des chars, ce qu’ils n’ont pas, à l’inverse de l’Etat islamique.

En quatre mois, les combats ont fait plus de 1 600 morts, dont plus de 1 000 dans les rangs des djihadistes.

Louis Imbert (Kobané (Syrie), envoyé spécial)
Journaliste au Monde

http://www.lemonde.fr/proche-orient/art ... FmSrfr9.99
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article34202

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Re: Kurdistan

Messagede bipbip » 01 Fév 2015, 03:08

L'EI tient encore 350 villages autour de Kobané
Le groupe Etat islamique (EI) contrôle toujours 350 villages dans les alentours de la ville kurde syrienne de Kobané, libérée cette semaine, a estimé une ONG, qui a fait état de 22 jihadistes tués jeudi dans les combats.
... http://www.lorientlejour.com/article/90 ... obane.html


Ces femmes combattantes qui ont libéré Kobané
Après quatre mois de combats avec les djihadistes, la ville de Kobané est de nouveau libre. Dans ce combat contre l’EI, les femmes ont tenu une place essentielle.
...http://kiosque.leditiondusoir.fr/data/4 ... 410/page/5
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Re: Kurdistan

Messagede GUERRE DE CLASSE » 06 Fév 2015, 20:37

Voici encore un texte critique sur la "Révolution au Rojava" co-écrit par le camarade Gilles Dauvé. Ce texte aborde des questions essentielles telles que l’armement, le nationalisme, la vie quotidienne, la structure sociale, les milices et le rôle des femmes, l’enthousiasme des milieux libertaires, la critique de l’Etat...

Un important bémol est (comme toujours) la faiblesse de compréhension de la nature fondamentalement capitaliste de la démocratie, qu’elle soit "bourgeoise" ou "ouvrière", qu’elle soit parlementaire ou directe...

Bonne lecture...

Initialement publié sur le blog DDT21 : http://ddt21.noblogs.org/?page_id=324

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KURDISTAN ?

« Il y a des périodes où l’on ne peut rien,Automatic word wrap
sauf ne pas perdre la tête »Automatic word wrap
Louis Mercier-Véga, La Chevauchée anonyme

Quand les prolétaires sont contraints de prendre leurs affaires en mains pour assurer leur survie, ils ouvrent la possibilité d’un changement social.

Des Kurdes sont forcés d’agir dans les conditions qu’ils trouvent et qu’ils tentent de se créer au milieu d’une guerre internationalisée peu favorable à l’émancipation.

Nous ne sommes pas là pour les « juger ».

Ni pour perdre la tête.

Auto (défense)

Dans diverses régions du monde, les prolétaires sont conduits à une auto-défense qui passe par l’auto-organisation :

« Une vaste nébuleuse de « mouvements » – armés ou non, balançant entre banditisme social et guérilla organisée – agissent dans les zones les plus déshéritées du dépotoir capitaliste mondial, et présentent des traits similaires à ceux du PKK actuel. Ils tentent, d’une manière ou d’une autre, de résister à la destruction d’économies de subsistance désormais résiduelles, au saccage des ressources naturelles minérales locales, ou encore à l’imposition de la propriété foncière capitaliste qui en limite ou empêche l’accès ou/et l’utilisation ; […] on peut citer pêle-mêle les cas de piraterie dans les mers de Somalie, du MEND au Nigeria, des Naxalistes en Inde, des Mapuches au Chili. […] il est essentiel de comprendre le contenu qui les réunit : l’autodéfense. […] on s’auto-organise toujours sur la base de ce que l’on est à l’intérieur du mode de production capitaliste (ouvrier de telle ou telle entreprise, habitant de tel ou tel quartier, etc.), alors que l’abandon du terrain défensif (« revendicatif ») coïncide avec le fait que tous ces sujets s’interpénètrent et que les distinctions s’évanouissent, puisque commence à se défaire le rapport qui les structure : le rapport capital/travail salarié. »[1]

Au Rojava, l’auto-organisation a-t-elle conduit (ou peut-elle conduire) d’une nécessité de survie à un bouleversement des rapports sociaux ?

Inutile de revenir ici sur l’histoire du puissant mouvement indépendantiste kurde en Turquie, Irak, Syrie, et Iran. Les rivalités entre ces pays, et la répression qu’ils y subissent déchirent les Kurdes depuis des décennies. Après l’explosion de l’Irak en trois entités (Sunnite, Chiite et Kurde), la guerre civile syrienne a libéré en Syrie un territoire où l’autonomie kurde a pris une forme nouvelle. Une union populaire (c’est-à-dire transclassiste) s’est constituée pour gérer ce territoire et le défendre contre un danger militaire : l’Etat islamique (EI) a servi d’agent de rupture. La résistance mêle liens communautaires anciens et nouveaux mouvements, en particulier de femmes, par une alliance de fait entre prolétaires et classes moyennes, avec « la nation » comme ciment. « La transformation qui se déroule à Rojava repose dans une certaine mesure sur une identité kurde radicale et sur un important groupe représentatif de la classe moyenne qui, en dépit de la rhétorique radicale, a toujours quelque intérêt à la pérennité du Capital et de l’Etat. »[2]

Révolution démocratique ?

En politique, beaucoup est dans les mots : quand le Rojava élabore sa constitution et la nomme Contrat social, c’est en écho aux Lumières du 18e siècle. Lénine et Mao oubliés, les actuels dirigeants kurdes lisent Rousseau, non Bakounine.

Le Contrat social proclame « la coexistence et la compréhension mutuelles et pacifiques entre toutes les couches de la société » et reconnaît « l’intégrité territoriale de la Syrie » : c’est ce que dit toute constitution démocratique, et il n’y a pas à en attendre l’apologie de la lutte des classes, ni la revendication de l’abolition des frontières, donc des états.[3]

C’est le discours d’une révolution démocratique. Dans la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 aussi, le droit de « résistance à l’oppression » explicitement prévu allait de pair avec celui de propriété. La liberté était complète mais définie et limitée par la Loi. Au Rojava, de même, la « propriété privée » est un droit dans le cadre de la loi. Bien qu’optant pour le qualificatif de « région autonome », le Contrat social prévoit une administration, une police, des prisons, des impôts (donc un pouvoir central récoltant de l’argent).

Mais nous sommes début 21e siècle : la référence à « Dieu tout puissant » côtoie « le développement durable », la quasi parité (40 % de femmes), et « l’égalité des sexes » (quoique liée à la « famille »).

Ajoutons la séparation des pouvoirs, celle de l’église et de l’Etat, une magistrature indépendante, un système économique devant assurer « le bien-être général » et garantissant les droits des travailleurs (dont le droit de grève), la limitation du nombre de mandats politiques, etc. : un programme de gauche républicaine.

Si certaines personnes en Europe et aux Etats-Unis voient dans de tels objectifs une annonce de révolution sociale, faute en est sans doute au « relativisme culturel ». A Paris, ce programme ne provoquerait que moqueries dans le milieu radical, mais « là-bas, c’est déjà pas mal… ».

Ceux qui font un parallèle entre Rojava et révolution espagnole devraient comparer ce Contrat social au programme adopté par la CNT en mai 1936 (et à la manière dont il s’est concrètement traduit deux mois plus tard).

Nationalisme nouveau

Comme tout mouvement politique, un mouvement de libération nationale se donne les idéologies, les moyens et les alliés qu’il peut, et il change quand cela l’arrange. Si l’idéologie est nouvelle, c’est qu’elle reflète un changement d’époque.

« On ne peut comprendre le devenir de la question kurde, ni la trajectoire de ses deux expressions politiques – le PKK en premier – sans prendre en considération la fin de la période d’or des « nationalismes d’en bas » – socialistes ou progressistes – dans les zones périphériques et semi-périphériques du système capitaliste. »[4]

Le PKK n’a pas renoncé à l’objectif naturel de tout mouvement de libération nationale. Quoiqu’il évite désormais un mot qui sonne trop autoritaire, c’est la création d’un appareil central de gestion et de décision politique sur un territoire que vise le PKK, aujourd’hui comme hier ; et il n’y a pas de meilleur mot qu’Etat pour désigner la chose. La différence, outre la qualification administrative, c’est qu’il serait tellement démocratique, tellement aux mains de ses citoyens, qu’il ne mériterait plus le nom d’Etat. Voilà pour l’idéologie.

En Syrie, le mouvement national kurde (sous l’influence du PKK) a donc remplacé la revendication d’un Etat de plein droit, par un programme plus modeste et plus « basiste » : autonomie, confédéralisme démocratique, droits de l’homme et de la femme, etc. Au lieu de l’idéologie d’un socialisme dirigé par un parti unique ouvrier-paysan développant l’industrie lourde, au lieu des références « de classe » et « marxistes », ce qui est mis en avant, ce sont l’autogestion, la coopérative, la commune, l’écologie, l’anti-productivisme et, en prime, le genre.

L’objectif d’une forte autonomie interne avec vie démocratique de base n’est pas absolument utopique : diverses régions du Pacifique vivent ainsi, les gouvernements laissant une large marge d’auto-administration à des populations qui n’intéressent personne (sauf quand des intérêts miniers sont en jeu : alors, on envoie l’armée). En Afrique, le Somaliland a les attributs d’un Etat (police, monnaie, économie) sauf qu’il n’est reconnu par personne. Au Chiapas (auquel beaucoup comparent le Rojava), les habitants survivent dans une semi-autonomie régionale protectrice de leur culture et de leurs valeurs sans que cela ne gêne grand monde. L’insurrection zapatiste, la première de l’ère altermondialiste, ne visait d’ailleurs pas à obtenir une indépendance ou à transformer la société, mais à préserver un mode de vie traditionnel.

Les Kurdes, eux, vivent au cœur d’une région pétrolifère convoitée, déchirée par des conflits sans fin et dominée par des dictatures. Cela laisse peu de marge au Rojava… mais peut-être une petite place quand même : quoique sa viabilité économique soit faible, elle n’est pas inexistante grâce à une menue manne pétrolière. L’or noir a déjà créé des Etats fantoches comme le Koweit, et permet la survie du mini-Etat kurde irakien. Autant dire que l’avenir d’un Rojava dépend moins de la mobilisation de ses habitants que du jeu des puissances dominantes.

Si l’abandon du projet d’Etat-nation par le PKK est réel, il faut se demander ce que serait une confédération de trois ou quatre zones autonomes sur au moins trois pays, à travers les frontières, car la coexistence de plusieurs autonomies n’abolit pas la structure politique centrale qui les réunit. En Europe, les régions transfrontalières (par exemple autour de l’Oder-Neisse) ne diminuent pas le pouvoir étatique.

Une autre vie quotidienne

Comme parfois en pareil cas, la solidarité contre un ennemi a provoqué un effacement provisoire des différences sociales : gestion des villages par des collectifs, liens entre combattants (hommes et femmes) et population, diffusion du savoir médical (amorce de dépassement des pouvoirs spécialisés), partage et gratuité de certaines denrées durant les pires moments (combats), traitement innovant des troubles mentaux, vie collective des étudiants et étudiantes, justice rendue par un comité mixte (élu par chaque village) arbitrant les conflits, décidant des peines, cherchant à réinsérer et réhabiliter, intégration des minorités ethniques de la région, sortie des femmes hors du foyer avec auto-organisation entre elles. [5]

S’agit-il d’ « une démocratie sans Etat » ? Notre intention n’est pas d’opposer une liste du négatif à la liste du positif dressée par les enthousiastes : il faut voir d’où vient cette auto-administration et comment elle peut évoluer. Car on n’a encore jamais vu l’Etat se dissoudre dans la démocratie locale.

Une structure sociale inchangée

Personne ne soutient que l’ensemble « les Kurdes » aurait le privilège d’être le seul peuple au monde vivant depuis toujours en harmonie. Les Kurdes, comme tous les autres peuples, sont divisés en groupes aux intérêts opposés, en classes, et si « classe » sent trop le marxisme, divisés en dominants et dominés. Or, on lit parfois qu’une « révolution » serait en cours ou en préparation au Rojava. Sachant que jamais les classes dirigeantes ne cèdent volontiers le pouvoir, où et comment ont-elles été mises en échec ? Quelle intense lutte de classe a donc eu lieu au Kurdistan pour déclencher ce processus ?

De cela on ne nous dit rien. Si les slogans et les gros titres parlent de révolution, les articles affirment que les habitants du Rojava combattent l’EI, le patriarcat, l’Etat et le capitalisme… mais, sur ce dernier point, personne n’explique en quoi ni comment le PYD-PKK serait anticapitaliste… et personne ne semble remarquer cette « absence ».

La dite révolution de juillet 2012 correspond en fait au retrait des troupes d’Assad du Kurdistan. Le précédent pouvoir administratif ou sécuritaire ayant disparu, un autre l’a remplacé, et une auto-administration appelée révolutionnaire a pris les choses en mains. Mais de quel « auto » s’agit-il ? De quelle révolution ?

Si l’on parle volontiers de prise de pouvoir à la base et de changement dans la sphère domestique, il n’est jamais question de transformations des rapports d’échange et d’exploitation. Au mieux, on nous décrit des coopératives, sans le moindre indice d’un début de collectivisation. Le nouvel état kurde a remis en fonction des puits et centres de raffinage et produit de l’électricité : rien n’est dit sur ceux qui y travaillent. Commerce, artisanat et marchés fonctionnent, l’argent continue à jouer son rôle. Citons Zaher Baher, un visiteur et admirateur de la « révolution » kurde : « Avant de quitter la région, nous avons parlé avec des commerçants, des hommes d’affaires et des gens sur le marché. Tout le monde avait une opinion plutôt positive sur la DSA [l’auto-administration] et le Tev-Dem [coalition d’organisations dont le PYD est le centre de gravité]. Ils étaient satisfaits de la paix, de la sécurité et de la liberté et pouvaient gérer leurs activités sans subir l’ingérence d’un parti ou d’un groupe. »[6] Enfin une révolution qui ne fait pas peur à la bourgeoisie.

Soldates

Il suffirait de changer les noms. Beaucoup de louanges adressées aujourd’hui à Rojava, y compris sur la question du genre, étaient adressées vers 1930 aux groupes de pionniers sionistes en Palestine. Dans les premiers kibboutz, outre l’idéologie souvent progressiste et socialiste, c’étaient les conditions matérielles (précarité et nécessité de se défendre) qui obligeaient à ne pas se priver de la moitié de la force de travail : les femmes devaient participer elles aussi aux activités agricoles et à la défense, ce qui impliquait de les libérer des tâches « féminines », notamment par l’élevage collectif des enfants.

Aucune trace de cela au Rojava. L’armement des femmes ne fait pas tout (Tsahal le montre bien). Z. Baher témoigne : « j’ai fait une curieuse observation : je n’ai pas vu une seule femme travaillant dans un magasin, une station-service, un marché, un café ou un restaurant. » Les camps de réfugiés « autogérés » en Turquie sont remplis de femmes s’occupant des gamins pendant que les hommes vont chercher du boulot.

Le caractère subversif d’un mouvement ou d’une organisation ne se mesure pas au nombre de femmes en arme. Son caractère féministe non plus. Depuis les années 60, sur tous les continents, la plupart des guérillas ont comporté ou comportent de très nombreuses combattantes, en Colombie par exemple. C’est encore plus vrai dans les guérillas d’inspiration maoïste (Népal, Pérou, Philippines, etc.) appliquant la stratégie de « Guerre populaire » : l’égalité hommes/femmes doit contribuer à mettre à bas les cadres traditionnels, féodaux ou tribaux (toujours patriarcaux). C’est bien dans les origines maoïstes du PKK-PYD que se trouve la source de ce que les spécialistes qualifient de « féminisme martial ».

Mais pourquoi les femmes en armes passe-t-elle pour un symbole d’émancipation ? Pourquoi y voit-on si facilement une image de liberté, jusqu’à en oublier pour quoi elles combattent ?

Si une femme armée d’un lance-roquettes peut figurer en couverture du Parisien-Magazine ou d’un journal militant, c’est qu’elle est une figure classique. Le monopole de l’usage des armes étant un privilège masculin traditionnel, son renversement doit prouver l’exceptionnalité et la radicalité d’un combat ou d’une guerre. D’où les photos de belles miliciennes espagnoles. La révolution est au bout de la Kalachnikov… tenue par une femme. A cette vision s’ajoute parfois celle, plus « féministe », de la femme armée vindicative, qui va flinguer les sales mecs, les violeurs, etc.

A noter que l’EI et le régime de Damas ont constitué quelques unités militaires entièrement féminines. Mais ne critiquant pas la distinction de genre, ils ne semblent pas, contrairement aux YPJ-YPG, en faire usage en première ligne, et les cantonnent dans des missions de soutien ou de police.

Aux armes

Lors de manifestations parisiennes de soutien au Rojava, la banderole du cortège anarchiste unitaire demandait « des armes pour la résistance kurde ». Le prolétaire moyen n’ayant pas de fusils d’assaut ou de grenades à envoyer clandestinement au Kurdistan, à qui demander des armes ? Faut-il compter sur les trafiquants d’armes internationaux ou sur les livraisons d’armes de l’OTAN ? Ces dernières ont prudemment débuté mais les banderoles libertaires n’y sont pour rien. A part l’EI, nul n’envisage de nouvelles Brigades Internationales. Alors, de quel appui armé s’agit-il ? S’agit-il de demander davantage de frappes aériennes occidentales avec les « victimes collatérales » que l’on sait ? Evidemment pas. C’est donc une formule creuse et c’est peut-être le pire de l’affaire : cette prétendue révolution sert de prétexte à mobilisations et à slogans dont personne n’attend sérieusement qu’ils soient suivis d’effet. On est en plein dans la politique comme représentation.

On s’étonnera moins que des gens toujours prêts à dénoncer le complexe militaro-industriel y fassent maintenant appel, si l’on se souvient qu’en 1999 déjà, pour le Kosovo, certains libertaires avaient soutenu les bombardements de l’OTAN… pour empêcher un « génocide ».

Libertaire

Plus que les organisations qui ont toujours soutenu les mouvements de libération nationale, ce qui peine, c’est que cette exaltation touche un plus large milieu, des camarades anarchistes, squatters, féministes ou autonomes, parfois des amis généralement plus lucides.

Si la politique du moindre mal pénètre ces milieux, c’est que leur radicalisme est invertébré (cela n’empêche ni le courage personnel ni l’énergie).

Il est d’autant plus facile de s’enthousiasmer pour le Kurdistan (comme il y a 20 ans pour le Chiapas) qu’aujourd’hui c’est Billancourt qui désespère les militants : « là-bas », au moins, il n’y a pas ces prolos résignés qui picolent, votent FN et ne rêvent que de gagner au loto ou de trouver un emploi. « Là-bas », il y a des paysans (bien que la majorité des Kurdes vivent en ville), des montagnards en lutte, pleins de rêves et d’espoir…. Cet aspect rural-naturel (donc écologique) se mêle à une volonté de changement ici et maintenant. Fini le temps des grandes idéologies et des promesses de Grand Soir : on édifie quelque chose, on « crée du lien », malgré la faiblesse des moyens, on cultive un potager, on réalise un petit jardin public (comme celui dont parle Z. Baher). Cela fait écho aux ZAD : retroussons nos manches et faisons du concret, ici, à petite échelle. C’est ce qu’ils font « là-bas », l’AK 47 en bandoulière.

Certains textes anars n’évoquent le Rojava que sous l’angle des réalisations locales, des assemblées de quartier, quasiment sans parler du PYD, du PKK, etc. Comme s’il ne s’agissait que d’actions spontanées. Un peu comme si, pour analyser une grève générale, on ne parlait que des AG de grévistes, des piquets de grève, sans s’occuper des syndicats locaux, des manœuvres de leurs états-majors, des négociations avec l’Etat et le patronat…

La révolution est de plus en plus vue comme une question de comportement : l’auto-organisation, l’intérêt pour le genre, l’écologie, la création du lien, la discussion, les affects. Si on y ajoute le désintérêt, l’insouciance quant à l’Etat et au pouvoir politique, il est logique de voir bel et bien une révolution, et pourquoi pas « une révolution des femmes » au Rojava. Puisqu’on parle de moins en moins de classes, de lutte des classes, qu’importe que cela soit aussi absent des discours du PKK-PYD ?

Quelle critique de l’Etat ?

Si ce qui gêne la pensée radicale dans la libération nationale, c’est l’objectif de créer un Etat. Il suffirait d’y renoncer et de considérer qu’au fond, la nation – pourvu qu’elle soit sans Etat – c’est le peuple, et le peuple, comment être contre ? C’est un peu nous tous, enfin presque : 99%. Non ?

L’anarchisme a pour caractéristique (et pour mérite) son hostilité de principe à l’Etat. Ceci posé, et qui n’est pas rien, sa grande faiblesse est de le considérer avant tout comme un instrument de contrainte – ce qu’il est assurément – sans se demander pourquoi et comment il joue ce rôle. Dès lors, il suffit que s’effacent les formes les plus visibles de l’Etat pour que des anarchistes (pas tous) en concluent à sa disparition advenue ou proche.

Pour cette raison, le libertaire se trouve désarmé devant ce qui ressemble trop à son programme : ayant toujours été contre l’Etat mais pour la démocratie, confédéralisme démocratique et auto-détermination sociale ont naturellement sa faveur. L’idéal anarchiste est bien de remplacer l’Etat par des milliers de communes (et de collectifs de travail) fédérées.

Sur cette base, il est possible à l’internationaliste de soutenir un mouvement national, pour peu que celui-ci pratique l’autogestion généralisée, sociale et politique, appelée aujourd’hui « appropriation du commun ». Quand le PKK prétend ne plus vouloir le pouvoir, mais un système où tout le monde partagera le pouvoir, il est facile à l’anarchiste de s’y reconnaître.

Perspectives

La tentative de révolution démocratique au Rojava, et les transformations sociales qui l’accompagnent, n’ont été possibles qu’en raison de conditions exceptionnelles : l’éclatement des Etats irakien et syrien, et l’invasion jihadiste de la région, menace qui a eu pour effet de favoriser une radicalisation.

Il semble aujourd’hui probable que, grâce à l’appui militaire occidental, le Rojava puisse (à l’image du Kurdistan irakien) subsister en tant qu’entité autonome en marge d’un chaos syrien persistant mais tenu à distance. En quel cas, ce petit Etat, quelque démocratique qu’il se veuille, en se normalisant ne laissera pas intactes les conquêtes ou avancées sociales. Au mieux subsisteront un peu d’auto-administration locale, un enseignement progressiste, une presse libre (à condition d’éviter le blasphème), un Islam tolérant et, bien sûr, la parité. Pas plus. Mais quand même assez pour que ceux qui veulent croire à une révolution sociale continuent d’y croire, en souhaitant évidemment que la démocratie se démocratise davantage.

Quant à espérer un conflit entre l’auto-organisation à la base et les structures qui les chapeautent, c’est imaginer qu’existe au Rojava une situation de « double pouvoir ». C’est oublier la puissance du PYD-PKK qui a lui-même impulsé cette auto-administration, qui conserve le pouvoir réel, politique et militaire.

Pour revenir sur la comparaison avec l’Espagne, en 1936 ce sont les « prémisses » d’une révolution qui ont été dévorées par la guerre. Au Rojava, il y a d’abord la guerre et, malheureusement, rien n’annonce qu’une révolution « sociale » soit sur le point d’en naître.

G. D. & T. L.

[1] Il Lato Cattivo, « Question Kurde, Etat islamique, USA et autres considérations ».

[2] Becky, “A revolution in daily life” une traduction ici.

[3] Le Contrat social de Rojava. l

[4] Il Lato Cattivo, op. cit.

[5] Eclipse relative des disparités sociales puisque les plus riches des Kurdes se sont dispensés de participer à l’auto-administration des camps en se réfugiant dans des pays et conditions plus confortables.

[6] Zaher Baher, « Vers l’autogestion au Rojava ? », Où est la révolution au Rojava ?, n°1, juillet-novembre 2014 p. 21
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Re: Kurdistan

Messagede bipbip » 08 Fév 2015, 11:56

Syrie. Kobané libéré, les Kurdes s’unifient
Ankara craint une poussée nationaliste au sein de la population kurde du Moyen-Orient, après que Kobané a été repris des mains de l’Etat islamique.
... http://www.courrierinternational.com/ar ... s-unifient


Syrie : les Kurdes s'emparent de dizaines de villages contrôlés par l'Etat islamique
Les combattants kurdes syriens se sont emparés, vendredi 6 février, de plusieurs dizaines de villages autour de Kobané tenus jusque-là par l'organisation djihadiste de l'Etat islamique, a déclaré l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), sis à Londres et qui s'appuie sur un large réseau de sources civiles, médicales et militaires en Syrie.
... http://www.lemonde.fr/proche-orient/art ... zDKzKG1.99
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Re: Kurdistan

Messagede Pïérô » 11 Fév 2015, 17:01

VIDEO. Des brigades de combattantes face aux jihadistes
Des centaines de femmes kurdes, mais aussi turques et iraniennes, ont fait reculer le groupe État islamique dans la ville de Kobane, enclave kurde en Syrie. Une de ces femmes a accepté de répondre aux questions de France 2.
http://www.francetvinfo.fr/monde/proche ... article%5D


Carte interactive du Kurdistan
Mise à jour le 10/02/2015
http://www.akb.bzh/spip.php?article889
Image------------ Demain Le Grand Soir --------- --------- C’est dans la rue qu'çà s'passe --------
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Re: Kurdistan

Messagede bipbip » 13 Fév 2015, 12:19

Résistance contre Daesh dans les montagnes du Sinjar

Reportage d’Arte de décembre 2014 sur la résistance dans les montagnes du Sinjar (Kurdistan d’Irak) contre les milices obscurantistes de Daesh. Comme à Kobanê, les femmes sont aux premiers rangs, les armes à la main, contre les réactionnaires fanatiques.

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