Kurdistan

Re: Kurdistan

Messagede Pïérô » 28 Nov 2014, 12:02

Un militant d’AL près de Kobanê

Du 13 au 16 novembre 2014, une délégation française (AL, NPA, PCF, Feyka) issue de la Coordination nationale solidarité Kurdistan était en mission en Turquie, dans la région frontalière de Kobanê, toujours assiégée par l’État islamique (Daech).

Objectif : exprimer de la solidarité, rapporter des témoignages, tisser des liens militants.

La vidéo ci-dessous a été réalisée dans la foulée.

Lisez le reportage de Mehdi Kabar (AL Montreuil) dans Alternative libertaire de décembre 2014, prochainement en kiosque.

http://www.alternativelibertaire.org/?U ... -de-Kobane

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Messagede bipbip » 01 Déc 2014, 02:35

Daesh a ouvert un nouveau front contre Kobanê : il attaque désormais à partir du territoire turc

Les affrontements entre Daesh et les résistants de Kobanê ont pris de l’ampleur suite à une offensive menée par les gangs de Daesh contre la porte frontière de Mursitpinar, notamment à partir des villages de Serxet et de Küçük Etmanek qui se trouvent en territoire turc. Ceux-ci avaient été évacués par l’armée turque sous prétexte de sécurité. Désormais, les offensives sur Kobanê sont menées sur les quatre fronts est, sud, ouest et nord.

Ce matin, vers 5 heures, une voiture piégée venant du territoire turc a explosé alors qu’elle se dirigeait vers Kobanê, après avoir traversé la frontière de Mursitpinar. Après l’explosion du véhicule, les gangs de Daesh sont passés à l’offensive sur les quatre fronts. Ils ont attaqué avec des armes lourdes et des mortiers sur les fronts est, ouest et sud. Ils attaquent par ailleurs la porte frontière de Mursitpinar à partir de la Turquie.

Les gangs de Daesh ont été aperçus à proximité de silos à blés situés juste à côté de la porte frontière, sur le territoire turc. Les unités de défense du peuple, YPG et YPJ, ont immédiatement répliqué.

On a également vu les gangs de Daesh attaquer à partir des villages de Küçuk Etmanek et de Serxet où ils occupent la mosquée et des maisons. Pourtant, ces villages évacués sont sous la surveillance constante de l’armée turque.

Le préfet d’Urfa, Izettin Küçük, a reconnu que Daesh était sur le territoire turc. Cependant, les forces de sécurité turques présentes près de la frontière n’ont aucunement réagi aux attaques menées par Daesh à partir du territoire turc.

Source : Firatnews

https://www.facebook.com/pages/FEYKA-F% ... 8417058368
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Messagede bipbip » 02 Déc 2014, 02:35

« Ankara craignait une contagion révolutionnaire »
Quand le siège de Kobanê par les troupes de l’État islamique (Daech) a débuté, à la mi-septembre, des milliers de jeunes gens ont afflué de toute la Turquie pour renforcer la défense de la ville, assurée par les YPG et les YPJ. Les militantes et les militants du groupe Devrimci Anarşist Faaliyet (Action anarchiste révolutionnaire, DAF) en faisaient partie.
... http://alternativelibertaire.org/?Dossi ... -craignait

Audio : La lutte des femmes au Kurdistan
Pendant une semaine, en novembre 2014, une mission féministe française a voyagé au Kurdistan turc. Le 28 novembre, au centre social auto-organisé Attiéké (Saint-Denis), des militantes libertaires qui y avaient pris part ont rendu compte de cette mission, de leurs rencontres, et de ce qu’elles ont observé sur place. La soirée était organisée par le collectif Anarchistes solidaires du Rojava.
Près d’une heure de son, découpée en 14 séquences :
http://alternativelibertaire.org/?Audio ... -femmes-au
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Messagede Pïérô » 07 Déc 2014, 02:07

Kobané : des combats rue par rue, maison par maison
Face au « mur de feu » des assaillants de l’« État islamique », Pierre Barbancey, l’envoyé spécial de "l’Humanité", a rencontré des combattants kurdes qui tiennent bon, malgré les bombardements les plus intenses depuis 76 jours.
... http://www.humanite.fr/kobane-des-comba ... 7Zp1J.dpbs


« Kobané, la clé de la cause kurde »
déroulé de l’entretien avec les kurdes de l’association franco-kurde à Bordeaux sur la Clé des Ondes
dans l’émission Achaïra n°169, émission mensuelle du Cercle libertaire Jean-Barrué, le 1er décembre 2014
... http://cerclelibertairejb33.free.fr/?p=3494
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Messagede Pïérô » 19 Déc 2014, 09:13

Vendredi 19 décembre, à Paris

Rassemblement en solidarité avec les prisonniers kurdes iraniens en grève de la faim

Depuis le 20 novembre 2014, 29 prisonniers politiques kurdes incarcérés dans la prison d’Urmiyeh, en Iran, sont en grève de la faim.

29 prisonniers politiques kurdes, dont plusieurs condamnés à mort, ont débuté le 20 novembre dernier une grève de la faim à la suite de mesures aggravant leurs conditions de détention à la prison d’Urmiyeh (Nord-ouest de l’Iran).

Le président iranien Rohani, salué par les gouvernements occidentaux pour sa "modération", multiplie les exécutions publiques et la répression des militant-e-s politiques, syndicalistes et féministes, en particulier envers les kurdes iraniens. Le même qui pourtant déclare soutenir ses "frères" kurdes irakiens.

La Feyka, la fédération des associations kurdes de France, appelle à un rassemblement, ce vendredi 19 décembre :
Appel à manifester - Grève de la faim des prisonniers politiques kurdes en Iran.
Voilà 32 jours que les prisonniers politiques kurdes sont en grève de la faim en Iran pour protester contre les conditions de détention inhumaines. Leurs vie sont désormais gravement en danger. Un rassemblement en solidarité avec les grévistes de la faim aura lieu ce vendredi 19 décembre, à 15h au métro Iéna, ligne 9, près de l’ambassade d’Iran à Paris (4 avenue d’Iéna).

Plus d’une centaine de condamnés à mort de la prison de Karaj (province de Téhéran) auraient rejoint le mouvement de grève de la faim. 35 ont été placés en cellule d’isolement. À la prison d’Urmiyeh, 8 grévistes ont été hospitalisés avec tentatives de réhydratation forcées.

«
Un des responsables de l’administration pénitentiaire de la prison a récemment déclaré : « Les cas de grèves de la faim de ces prisonniers politiques ne seront bientôt plus traités par nos autorités pénitentiaires, mais plutôt par les représentants du gouvernement qui sont a même de correctement gérer et statuer sur l’affaire ». La semaine dernière les Agents du Bureau local du Ministère des Renseignements, ont convoqué l’Imam et principal Clerc religieux de la ville d’Urmiyeh qui a déclaré après avoir visité la prison : « Ne faites pas attention à leurs grèves de la faim, la meilleure réponse à leur apporter, c’est d’ignorer leurs exigences ».

Plus d’infos sur la situation en Iran et les dernières nouvelles des grévistes de la faim sur le site du Collectif Solidarité Iran Paris https://soliranparis.wordpress.com/

http://paris-luttes.info/rassemblement- ... -avec-2315
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Messagede bipbip » 21 Déc 2014, 14:37

Kurdes : «  Nous vivons sous la menace d’un génocide. »

CQFD a rencontré Aydin [1], porte-parole de l’Association du centre démocratique des Kurdes à Marseille alors que la ville de Kobanê en Syrie menaçait de tomber entre les griffes de Daesh. L’occasion de revenir avec lui sur l’effervescence révolutionnaire et la tragédie qui secouent le Rojava.


CQFD : Comment perçois-tu l’évolution actuelle du PKK mise en relief par ce qui se joue en ce moment à Kobanê et dans le Rojava [région du Nord de la Syrie à ­majorité kurde] ?

Aydin : Pour répondre à ta question, il faut refaire un historique du mouvement. Le PKK, dans les années 1970, a été créé par de très jeunes gens partageant l’idéal d’un Kurdistan indépendant et socialiste. Il s’agissait d’un mouvement de libération nationale concernant des populations situées en Turquie, Syrie, Irak et Iran mais avec une forte dimension internationaliste. La libération ne devait pas concerner les seuls Kurdes mais faire en sorte que toutes les jeunesses de ces pays puissent prendre leur élan pour s’émanciper. Le tournant nationaliste et militariste des années 1980 a été provoqué par le coup d’état en Turquie qui a jeté en prison ou contraint à l’exil tous les militants des mouvements de gauche. Le PKK est devenu progressivement le seul lieu de rassemblement pour tous ceux, villageois des zones rurales comme étudiants des zones urbaines, qui voulaient s’opposer les armes à la main à la criminalisation de tous les Kurdes. L’évolution va s’amorcer dans les années 1990, sous la double influence de la disparition de l’URSS et d’un renforcement du soutien militaire de l’OTAN à l’armée turque, avec une multiplication des factions, au sein du pouvoir d’Ankara comme au sein du mouvement kurde. Dès lors, la guerre devient incontrôlable et personne ne sait plus qui tue qui, chaque groupe jouant la logique du pire : des soldats turcs sont massacrés, des dirigeants kurdes assassinés, des villages rasés et des milliers de personnes déplacées de force. Le point d’orgue de cette période étant l’enlèvement puis le transfert dans les geôles turques du leader du mouvement, Abdullah Öcalan, qui fait craindre à tout le monde l’explosion d’une guerre civile. A partir de 2001, d’un côté le PKK revoit sa doctrine en s’orientant vers une stratégie de changement social à partir de la base et en fonction des diverses implantations nationales des organisations kurdes, de l’autre, le gouvernement turc, estimant avoir gagné la guerre, alterne épisodes de répression, tentatives de division par l’achat de certaines familles et moments d’apaisement à l’amorce de chaque élection. L’expérience démocratique dans le Rojava naît de cette volonté du mouvement kurde de ne plus se battre avec les armes d’une guérilla insaisissable mais en s’appuyant désormais sur une confédération de communes capables de contrôler durablement des territoires entiers réunis dans une structure de coordination, la KCK.

Quelle est l’implication du PKK dans la situation en Syrie ?

Pendant longtemps et dans un contexte de rivalités territoriales avec l’état turc, le pouvoir syrien a soutenu le PKK en laissant ses cadres et ses militants transiter par son territoire vers la plaine de la Bekaa au Liban, sorte de villégiature pour de nombreux groupes armés de cette époque. Mais, à partir des années 2000, le président syrien Bachar el-Assad s’est rapproché du gouvernement turc en concluant des accords de coopération économique et militaires dont certains volets ont conduit à la livraison de militants kurdes à la Turquie. Avec le déclenchement du soulèvement en 2011, le pouvoir syrien a commencé à jouer les différents groupes en rébellion les uns contre les autres. S’il a libéré de nombreux cadres du PYD, il a aussi élargi de futurs dirigeants de Daesh pour islamiser la révolte. Dictée par les circonstances, la position actuelle du PYD à l’égard des forces loyales au régime est « ni paix ni guerre ». En effet, les alliances qui se nouent sur le théâtre des opérations sont extrêmement fragiles. Les gouvernements occidentaux auraient voulu que les Kurdes soient le bras armé de l’Armée syrienne libre. Bachar a proposé un accord sur la base d’une entité arabo-musulmane. Les Kurdes, qui n’ont pas les moyens militaires d’attaquer les puissantes bases fidèles au régime, ne veulent pas risquer une confrontation avec les Arabes. Daesh, avec la complicité objective du gouvernement turc qui ne veut pas d’un territoire kurde à ses frontières et d’une partie des dirigeants du Kurdistan irakien qui y voient un projet politique concurrent, est en train de concentrer tous ses moyens pour éliminer l’enclave du Rojava et le PYD. Tout le monde tente d’instrumentaliser tout le monde et le risque c’est que tout le monde se retourne contre la proie la plus facile, les Kurdes du Rojava.

La position des dirigeants du Kurdistan irakien semble quelque peu paradoxale ?

Ce qu’il faut comprendre, c’est que le pouvoir de Barzani [2] n’est pas du tout sur la même ligne politique que celle du PKK et du PYD. Il se serait bien vu continuer à profiter de la rente pétrolière et des affaires à conclure avec les belligérants les plus fortunés. D’ailleurs, des patrons kurdes irakiens ont été mis en cause pour avoir vendu plusieurs centaines de pick-ups aux troupes de Daesh. Il n’y a pas de forces militaires organisées et motivées au Kurdistan irakien qui serait tombé depuis longtemps sans le soutien des militants du PKK basés dans la zone montagneuse à cheval sur les trois états et les frappes aériennes américaines. Aujourd’hui, Barzani a négocié avec le président turc Erdogan [3] l’envoi de 150 peshmergas irakiens à Kobanê pour redorer le blason médiatique de l’un et de l’autre. Une rigolade face aux combattants aguerris de Daesh qui encerclent la ville alors que la frontière turque reste toujours hermétiquement fermée à tout renfort digne de ce nom.

L’ennemi le plus redoutable reste donc l’organisation de l’état islamique ?

Ce sont eux qui profitent le plus de la situation actuelle. Ils n’ont cessé de se renforcer en troupes, en armes modernes et en argent. Pour eux, Kobanê, qui a osé leur résister pendant 40 jours sans aucun soutien extérieur, est devenu un symbole et ils sont prêts à mobiliser tous leurs moyens pour faire tomber la ville. Cette organisation a franchi une étape, elle a pris conscience de sa puissance. Elle sait qu’elle peut s’appuyer sur l’immense vide identitaire que rencontre une partie de la jeunesse aussi bien dans les pays arabes que dans les pays occidentaux. Avec une idéologie très simpliste qui ne laisse rien entre Dieu et l’individu, avec la promotion d’une violence sans limite en direction d’une jeunesse sans repères, elle peut convaincre n’importe qui de faire n’importe quoi, y compris l’acte isolé le plus absurde, y compris foncer en voiture sur une foule quelconque n’importe où, n’importe quand.

Qu’est-ce qui permet aux populations kurdes de résister à cette instrumentalisation généralisée de la religion ?

D’abord ce vide dont je parlais est beaucoup moins présent dans des régions qui ont conservé une forte identité tribale. Ensuite, les mouvements les plus dynamiques sont sécularisés, voire progressistes. Même si les mosquées sont pleines, la religion est cantonnée dans la sphère privée, elle n’est pas un enjeu de pouvoir. Le PKK n’a jamais considéré la religion comme une menace pour la société et de nombreux groupes d’obédience religieuse (musulmans, chrétiens…) lui ont apporté leur soutien. Par exemple, les imams kurdes ont été tout autant persécutés par le gouvernement turc. Au Rojava, le modèle politique est de laisser les individus et les communautés s’organiser en fonction de leurs croyances, de refuser que la religion devienne un ferment de division.

Ce modèle du Rojava possède-t-il des fondements anciens ?

C’est vrai qu’il existe au moins depuis l’époque sumérienne un ancrage historique d’opposition des tribus montagnardes au centralisme impérial. La dimension locale, tribale, l’a toujours emporté. La dimension assembléiste paraît donc habituelle pour des populations kurdes qui ont toujours été exclues des centres de décision. Le revers de la médaille, c’est que beaucoup encore aujourd’hui ont peur de prendre des décisions seuls.

Des relais dans la société turque après le mouvement de Gezi de 2013 ?

Depuis sa création, le mouvement kurde a recherché des partenaires dans la société turque. Ce qui s’est passé à Gezi [4] a été malheureusement très vite récupéré et Gezi est resté à Gezi. Certes, il existe une très forte politisation, une très grande agitation progressiste et démocratique de la société turque. Mais une quelconque alliance avec les Kurdes continue de faire très peur après des décennies de bourrage de crâne autour de la figure de l’ennemi intérieur. Si le parti HDP a pu rassembler des voix, notamment dans les milieux populaires et chez les partisans de la démocratisation du régime, au-delà de l’électorat kurde, il se heurte au poids du travail gouvernemental de criminalisation. A qui appartenaient les commerces incendiés ? A des partisans de l’AKP d’Erdogan. Qui étaient les jeunes en train de brûler des drapeaux turcs malgré les consignes ? Pas seulement des jeunes kurdes énervés.

Le modèle politique du Rojava semble faire une grande place aux femmes. Une révolution dans la révolution ?

Dès les années 1990, le mouvement kurde s’est préoccupé de l’amélioration de la condition des femmes dans la société kurde. La libération de la femme, parce qu’elle était la plus ancienne esclave, parce qu’elle était exclue de l’éducation, était même présentée comme une priorité par rapport à la libération nationale. Ce n’est pas un choix tactique mais stratégique. J’ai des oncles très machistes qui considéraient la femme comme une bête et qui se battent aujourd’hui pour envoyer leurs filles à l’école. Au Rojava, une femme co-responsable d’une assemblée populaire, cela ne choque plus personne. En réalité, il faut faire la différence entre les milieux militants au sein desquels la mixité a toujours été assurée et les milieux sympathisants de la diaspora, notamment à Marseille, parmi lesquels les femmes voyaient le soleil deux fois par an. Aujourd’hui, elles sont en première ligne des manifestations. Dans les milieux sympathisants du Kurdistan, il existe encore des différences selon les régions. Mais l’évolution des mentalités va dans le sens d’une banalisation de la place des femmes à l’intérieur de la sphère publique. Est-ce complètement réussi ? Non. Il faudra peut-être trois générations à condition que le modèle du Rojava ne soit pas éradiqué d’ici là. On peut d’ailleurs observer que la société turque connaît une évolution exactement inverse alors qu’elle avait été en pointe sur ce plan. J’aimerais finir en insistant sur le fait que ce qui se passe au Rojava est un exemple pour le monde entier en termes de démocratie directe, de partage des richesses ou d’égalité entre les sexes. Mais rien n’est joué et tous les ingrédients sont réunis pour que les Kurdes connaissent un véritable génocide. Étant donné l’extrême complexité de la situation, l’attitude des USA comme la capacité des différentes factions kurdes à faire taire leurs ­divergences seront déterminantes.



Notes

[1] Il faisait partie du groupe de représentants de la communauté kurde de Marseille qui avait enregistré les dérapages du sous-préfet Gilles Gray lors d’une réunion le 2 octobre dernier. Le représentant de l’état, annoncé sur le départ mais toujours en poste, avait reproché à ses interlocuteurs de ne pas être français, d’être des « fouteurs de merde » voire des « clodos » tout en leur conseillant d’aller se battre là-bas plutôt que de rester ici.

[2] Massoud Barzani, leader historique du Parti démocratique du Kurdistan, règne sur la région autonome du Kurdistan irakien depuis 2003.

[3] Recep Tayyip Erdogan, fondateur de l’AKP, est au pouvoir en Turquie depuis 2003. Son credo politique est souvent assimilé à de l’islamisme modéré sans que personne ne sache à quoi cela correspond vraiment. Sinon à constater dans les faits une politique mêlant conservatisme sur les plans politique et sociétal et ultra-libéralisme sur le plan économique.

[4] Du nom du parc qui avait été le déclencheur et le théâtre d’une large contestation populaire (voir CQFD n°113 http://cqfd-journal.org/En-Turquie-une-revolte).

http://cqfd-journal.org/Kurdes-%E2%80%8 ... ns-sous-la
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Re: Kurdistan

Messagede Pïérô » 23 Déc 2014, 00:08

Carte géopolitique des zones de conflits

Pour comprendre la situation dans cette partie du monde, le Collectif Marseille-Rojava avait réalisé cette carte pour la soirée de soutien du 14-12. Nous la mettons en ligne pour celles et ceux qui n’ont pas pu venir et qui s’intéressent aux expérimentations autogestionnaires, tant sur le plan social, politique et écologique, en cours dans cette partie du kurdistan syrien.

Carte : http://www.millebabords.org/IMG/jpg/irak-syrie.jpg
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Re: Kurdistan

Messagede Pïérô » 26 Déc 2014, 01:21

[video] Le point sur le siege de Kobanê
Deux journalistes, dont l’envoyé spécial du quotidien l’Humanité, sont de retour de la ville kurde syrienne Kobanê, assiégée depuis 3 mois par les djihâdistes de l’Etat islamique. Un rare reportage télé en Français sur ce qui se passe là bas.
http://nicolasphebus.tumblr.com/


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Re: Kurdistan

Messagede Lila » 27 Déc 2014, 15:00

Une émission de radio (FPP) sur la lutte des femmes au Kurdistan, par des membres de la délégation féministe partie à Suruç en novembre :
http://www.vivelasociale.org/les-emissi ... -kurdistan

Deux membres du groupe féministe Solidarité femmes Kobané qui s’est rendu en novembre dans le Kurdistan turc confinant avec le Rojava, là où vivent de nombreux réfugiés ayant fui la guerre en Syrie, nous font part de ce que leur ont appris les femmes kurdes qu’elles ont rencontrées là-bas.

La participation des femmes aux combats contre Daesh et leur rôle décisif dans l’organisation du soutien aux réfugiés ne peuvent s’expliquer sans remonter aux formes d’organisation non mixtes qu’elles se sont données depuis longtemps : celles-ci leur ont permis de faire reculer significativement les manifestations de la violence masculine au sein de leur communauté, mais également de prendre part à plein titre aux structures d’organisation à la base mises en place dans cette partie du Kurdistan.
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Re: Kurdistan

Messagede bipbip » 29 Déc 2014, 09:00

Kurdistan : Un nouveau Chiapas ?

« Savez-vous qu’il y a un nouveau Chiapas,au Kurdistan ? » C’est à peu près en ces termes que les militants d’Alternative libertaire ont été interpellés par un camarade de la gauche kurde en février 2014, à l’occasion du Salon anticolonial, à Paris. Dans ce lieu où fraient différentes sensibilités de gauche de l’anticolonialisme et des luttes de libération nationale (de la Palestine aux Antilles, en passant par le Tibet et le Kurdistan), l’évocation du Chiapas était sûre de faire mouche. Elle conférait à la cause kurde, légitime en elle-même faut-il le souligner, un caractère autogestionnaire, donc subversif, d’autant plus attrayant.

Que se passe-t-il au Chiapas  ? Dans cet État du sud du Mexique, l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) mène une stratégie de double pouvoir. Après l’insurrection de janvier 1994, les zapatistes ont mis en place des structures d’autogouvernement, fondées sur les assemblées populaires, pour prendre en main la plupart des aspects de la vie sociale (économie, éducation, santé, justice...).

Des dizaines de milliers d’indigènes chiapanèques ont ainsi fait sécession des institutions étatiques pour se rattacher à leurs propres institutions autonomes. Cette contre-société autogestionnaire perdure depuis plus de dix ans, dans une situation de « paix armée » entre l’EZLN et l’État mexicain, qui préfère le statu quo au risque d’une nouvelle insurrection.

Une «  auto-administration démocratique  »

Le « nouveau Chiapas » évoqué plus haut, ce sont en fait les trois cantons (Cizîrê, Kobanê, Efrîn) qui forment le Kurdistan syrien (Rojava). Ces cantons, tenus par les milices armées du Parti de l’union démocratique (PYD), organisation-sœur du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, marxiste), sont devenus le refuge des minorités persécutées (Assyriens, Arméniens, chrétiens, ­yézidis...). Ces diverses composantes côtoient d’ailleurs les Kurdes au sein des YPG-YPJ, les milices d’autodéfense qui défendent le Rojava contre les djihadistes.

La Rojava expérimente, depuis janvier 2014, un système d’autogouvernement populaire laïc, social et même, au regard du contexte, féministe (voir le témoignage de Zaher Baher). Le Monde a d’ailleurs pu parler, au sujet du Rojava, de « vitrine » du PKK  [1], sans que la situation y soit idyllique, comme l’a fait remarquer Human Rights Watch en juin  [2].

Dès 2011 Le PYD y a impulsé une organisation de masse, le Mouvement pour la société démocratique (Tev-Dem), dans la perspective d’instaurer un double-pouvoir vis-à-vis de l’administration syrienne.

Les trois cantons ont proclamé leur autonomie le 19 juillet 2012 dans la ville désormais célèbre de Kobanê. Puis, en janvier 2014, ils ont proclamé une Constitution (dite «  Contrat social  ») et élu chacun une assemblée et un gouvernement cantonal baptisé «  Auto-administration démocratique  » (DSA). Sa particularité  ? Il est censé n’être que l’organe exécutif du Tev-Dem et de ses comités de base. Son ambiguïté  ? Il ne tient que grâce à la bonne volonté de Damas, qui continue de verser les salaires des fonctionnaires.

Cette stratégie de double-pouvoir de n’est pas nouvelle de la part de la gauche kurde. À la fin des années 2000, s’inspirant du Chiapas, le PKK avait déjà tenté de mettre en place, en Anatolie, des institutions autonomes concurrentes de celles de l’État turc. Mais celui-ci avait tué dans l’œuf ce mouvement de déso­béissance civile en emprisonnant près de 10.000 personnes participant au processus (maires, délégué.e.s, militant.e.s divers).

La guerre civile en Syrie a fourni au PKK l’occasion de relancer le processus dans une zone hors d’atteinte de l’armée turque.

Un parti qui reste pyramidal

Alors, le PKK est-il devenu néozapatiste ? Une nouvelle EZLN ? Hélas, on en est loin. En phase avec son projet autogestionnaire, l’EZLN est une force armée non militarisée, fondée sur l’autodiscipline et dont le commandement est élu par la base. Au contraire, le PKK, malgré une évolution ces dix dernières années, reste une organisation pyramidale, cimentée par un effarant culte du leader. Cela représente un hiatus avec la forme d’autogouvernement – louable par ailleurs – qu’il a impulsé au Rojava.

Pour lui mettre des bâtons dans les roues en 2012-2013, Ankara n’a en tout cas rien trouvé de mieux que de fournir discrètement des armes à son pire ennemi : l’État islamique (Daech). On connaît la suite : des assauts répétés contre le Rojava  ; la magnifique contre-offensive d’août 2014 pour sauver les yézidis du Sinjar.

Deux pôles politiques rivaux

Avec cette montée en puissance du PKK, le mouvement national kurde apparaît plus que jamais divisé entre deux pôles rivaux.

Le premier a son épicentre en Irak, avec le Gouvernement régional autonome installé à Erbil sous l’autorité de Massoud Barzani. Il incarne un modèle nationaliste traditionnel, laïc et patriarcal, fondé sur le business du pétrole. Enfant chéri des puissances occidentales, il tient Bagdad à distance et entretient des relations cordiales avec Ankara.

Le second pôle est celui qui gravite autour du PKK, en Syrie et en Turquie, sur un modèle aussi laïc mais plus démocratique, ­progressiste et féministe. À cette heure, il suscite une sympathie croissante de par le monde, dans les milieux de gauche et révolutionnaires, y compris libertaires.

Pour un soutien critique

Le monde entier a suivi le siège de Kobanê par Daech, et la coalition arabo-occidentale dirigée par Washington, n’a pu faire autrement que d’aider les miliciennes et les miliciens kurdes qui se sont battus héroïquement.

Comment les choses vont-elles tourner à présent ?

Les États-Unis vont-ils nouer un partenariat non dit avec le PKK, comme c’est le cas avec Téhéran ? Quel va être le deal ? Vont-ils radier le PKK de la liste des organisations terroristes ? Comment va réagir la Turquie ?

Dans ce labyrinthe géopolitique qu’est, plus que jamais, le Moyen-Orient, les alliances sont mouvantes, et les lignes de fracture se déplacent. Chaque force, dont la gauche kurde, cherche à tirer son épingle du jeu. A Kobanê, elle a forcé la main des impérialistes arabo-américains pour obtenir de l’aide et des armes. Il ne faut surtout pas que, de fil en aiguille, elle en devienne dépendante, et réduite à jouer un rôle sur leur échiquier politique.

Elle doit mener sa propre barque et, pour le moment, elle y parvient très bien. La gauche kurde incarne sans conteste la seule force autonome [3] représentant un espoir d’indépendance, de paix et de démocratie pour les peuples du Moyen-Orient. C’est dans cette mesure qu’elle mérite amplement notre soutien  : face aux fanatiques de Daech ; face à l’axe Damas-Téhéran ; face à l’axe Ankara-Washington.

Guillaume Davranche (AL Montreuil), avec Édith Soboul (SF d’AL)


[1] Allan Kaval, « La lutte contre l’État islamique impose le PKK comme puissance régionale », Le Monde du 9 septembre 2014.

[2] « Syrie : Des abus sont commis dans les enclaves sous contrôle kurde » http://www.hrw.org/fr/news/2014/06/19/s ... role-kurde, HRW, 19 juin 2014.

[3] A d’autres époques, le PKK a pu bénéficier de l’aide de l’URSS, de la Grèce ou de la Syrie, intéressées pour diverses raisons à déstabiliser la Turquie.

http://www.alternativelibertaire.org/?D ... Un-nouveau
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Re: Kurdistan

Messagede Pïérô » 31 Déc 2014, 02:16

Réflexions et rappels sur la lutte kurde, l’enjeu de Kobanê et la solidarité
Kobanê est devenue un symbole qui dépasse de loin Kobanê. Un mois et demi de combats acharnés pour défendre cette ville pratiquement sous les caméras du monde entier, ont fait que la lutte des Kurdes de Kobanê pour défendre à la fois l’autonomie territoriale et politique du Rojava et résister jusqu’à la mort aux vagues d’attaques des tueurs djihadistes cinq fois plus nombreux et surarmés, a ouvert une nouvelle séquence à plusieurs niveaux.
... http://oclibertaire.free.fr/spip.php?article1619



De retour du Rojava : impressions et réflexions

Janet Biehl / David Graeber

Ces derniers mois, parler du Kurdistan syrien, c’était parler de la bataille de Kobanê, de ce qui s’y joue et de sa signification. Or dans cette dernière, l’expérience sociale et politique originale de l’autonomie proclamée du Rojava occupe pratiquement tout l’espace... quand elle n’est pas justement niée ou dénigrée, au profit de considérations géostratégiques mettant en scène les seules puissances impériales, leurs intérêts et leur défense des cadres nationaux existant dans la région. D’où l’intérêt d’y revenir, pour apprendre, en savoir plus, faire connaître et de tenter de comprendre. Ce qui signifie aussi, par définition, poser des questions.

Début décembre 2014, un groupe d’une dizaine de personnes (activistes, étudiants, universitaires) de différents pays d’Europe et des États-Unis, ont visité la plus grande région du Rojava (Kurdistan de Syrie) pendant 10 jours. Tournée de personnes a priori sympathisantes et solidaires de l’expérience en cours autant que voyage d’étude du « modèle kurde » avec de multiples rencontres, discussions, visites d’écoles, de conseils communaux, d’assemblées de femmes, de coopératives et de diverses réalités nées de la “révolution du Rojava”.

Voici deux premiers ‟compte rendus” que nous avons reçu. L’un est de Janet Biehl, proche des idées de Murray Bookchin sur l’écologie sociale et le communalisme libertaire. L’autre, sous la forme d’une interview publiée dans un quotidien turc, de David Graeber, anthropologue, activiste anarchiste issu du mouvement altermondialiste et engagé dans le mouvement Occupy Wall Street, et beaucoup plus connu pour ses écrits, en particulier son ouvrage sur l’histoire de la dette.

... http://oclibertaire.free.fr/spip.php?article1623
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Re: Kurdistan

Messagede bipbip » 02 Jan 2015, 00:26

Ce qui a vraiment changé au PKK

La gauche kurde a beaucoup évolué depuis dix ans. Si le PKK (officiellement rebaptisé Kongra Gêl en 2003) reste son centre de gravité, avec une structure autoritaire, des tendances autogestionnaires ont vu le jour, notamment dans ses organisations satellites. Une situation ambivalente mais riche de potentialités.

Pendant longtemps, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) a souffert d’une très triste image : autoritaire, sanguinaire, pratiquant le culte du leader... Tout juste lui reconnaissait-on son rôle dans l’émancipation des femmes au sein de la guérilla. Cependant, aujourd’hui qu’il apparaît comme un môle de résistance au ­djihadisme, les regards sur lui changent à toute allure.

On a pu voir, dans les médias, plusieurs reportages ouvertement sympathiques, notamment sur ses unités de femmes combattantes. Et sur la Toile circulent des textes quelque peu sensationnels annonçant un « nouveau PKK » devenu quasi autogestionnaire et même « éco-anarchiste » en s’alignant sur son leader Abdullah Öcalan, converti en prison aux thèses libertaires de Murray Bookchin. C’est en tout cas la thèse défendue par quelques intellectuels anarchistes anglo-saxons comme Janet Biehl, Rafael Taylor, et David Graeber  [1].

Sans les suivre dans une vision quelque peu idyllique, il faut reconnaître que le PKK a beaucoup évolué. Ce parti a connu plusieurs périodes :
- la période de formation, de 1978 à 1984, durant laquelle le PKK fut un parti indépendantiste et marxiste-léniniste à direction collégiale, bientôt réprimé et contraint à l’exil ;
- la période la lutte armée, de 1984 à 1999, fut celle de la mutation en une guérilla puissante et hiérarchisée. Harcelé par la répression impitoyable de l’armée turque, le PKK a alors connu une dérive sectaire qui s’est traduite par la mise en place d’un culte du chef, Abdullah Öcalan (dit Apo, « l’oncle »), un contrôle de fer sur ses membres, et des pratiques internes particulière­ment violentes  : autocritique et contrition publique, exécution des dissidents, etc. [2].
- la période de latence, de 1999 à 2003, a vu le PKK, désemparé par l’arrestation d’Öcalan, appeller à un cessez-le-feu.
- la période actuelle, depuis 2003, est celle d’un repositionnement du PKK qui a répudié le léninisme, puis renoncé à fonder un État-nation pour revendiquer une autonomie confédérale du Kurdistan, par-dessus les frontières étatiques existantes. Aujour­d’hui, plusieurs tendances cohabitent au sein du parti, allant des nationalistes (assez marginaux) aux sociaux-démocrates, en passant par les fidèles du maoïsme et une mosaïque de sensibilités.

Le rôle d’Öcalan

Abdullah Öcalan pèse tant qu’il peut dans cette évolution. Dès les années 1990, il critiquait l’État-nation et s’efforçait de fixer un cadre théorique nouveau à la « question kurde ».

Ses idées ont mûri depuis son incarcération. Dans Guerre et Paix au Kurdistan (2009), puis dans Le Confédéralisme démocratique (2011), il prônait une « démocratie sans État », antipatriarcale, laïque, fédéra­liste, reposant sur les conseils populaires et la socialisation de l’économie. Bref, un programme anarchisant, inattendu sous sa plume.

Il regrettait même que le PKK ait engendré une « structure hiérarchique similaire à celle des États » et recommandait aux élus et aux cadres politiques kurdes de lire certains ouvrages de Murray Bookchin, comme Urbanization without Cities : The Rise and Decline of Citizenship [3].

Forum social mésopotamien

Cette évolution d’Öcalan a sans doute influencé le PKK, mais ­surtout ses « vitrines légales », le HDP et le DBP. On a pu l’observer en septembre 2009, lors du Forum social mésopotamien, à Diyarbakir (Kurdistan turc).

Lors de l’assemblée plénière « Gestion de la ville », les élus locaux du parti avaient suivi avec un vif intérêt l’exposé du délégué zapatiste sur l’autogestion communale au Chiapas. C’était à l’époque de la création des communes autonomes, tentative étouffée dans l’œuf par l’armée turque.

Plus récemment, lors de l’élection présidentielle d’août 2014, le HDP est apparu comme le nouveau pivot de la gauche alternative turque, son candidat, Selahattin Demirtaş, ayant reçu le soutien de diverses organisations socialistes, féministes, écologistes et LGBTI. Il a recueilli 9,8 % des voix, principalement au Kurdistan  [4].

Ce que toute cette évolution n’a pas remis en cause, c’est le rôle dirigeant du PKK, ni sa structure militarisée et hiérarchisée.

Aujourd’hui la gauche kurde est donc traversée par cette ambivalence : au centre du jeu, un parti-guide militaire ; à ses côtés, un mouvement civil avec de réelles tendances autogestionnaire ; et, planant au-dessus de l’ensemble, la figure tutélaire d’Abdullah Öcalan.

Cette évolution est porteuse de potentialités... à condition que le mouvement civil gagne une prééminence claire sur la direction militaire.

Il y a cinquante ans, l’Algérie fit l’amère expérience d’une direction militaire FLN phagocytant puis confisquant la révolution à son profit, malgré les velléités autogestionnaires des débuts de l’indépendance. On est donc encore loin, aujourd’hui, de la formule zapatiste selon laquelle « le peuple commande ».

Cela n’empêche pas l’autonomie démocratique au Rojava d’être, comme l’écrit David Graeber, « l’un des rares points lumineux – et même très lumineux – issus de la tragédie de la révolution syrienne ». Plus que jamais, la gauche ­kurde constitue un laboratoire politique de première importance pour l’ensemble du Moyen-Orient.

Guillaume Davranche (AL Montreuil), avec Mathieu Colloghan et Cem Akbalik (socialiste libertaire kurde)


[1] Voir leurs articles «  Bookchin, Öcalan, and the Dialectics of Democracy  » sur New-compass.net  ; « The new PKK : unleashing a social revolution in Kurdistan », sur Roarmag.org  ; «  Why is the world ignoring the revolutionary Kurds in Syria  ?  » sur Theguardian.com.

[2] Öcalan, à son procès, a lui-même évoqué 15.000 à 17.000 morts dans des « règlements de compte » internes au PKK ou dans des accrochages avec d’autres organisations. Ces pratiques sanglantes se sont éteintes dans les années 2000.

[3] Black Rose Press, 1992. Témoignage de Janet Biehl, veuve de Bookchin, en février 2012 (sur New-compass.net).

[4] Lire « L’AKP, colosse aux pieds d’argile ? » http://www.alternativelibertaire.org/?T ... ux-pieds-d dans Alternative libertaire de septembre 2014.

http://www.alternativelibertaire.org/?D ... n-Ce-qui-a
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La Démocratie sans État

Messagede digger » 08 Jan 2015, 08:56

La Démocratie sans État : Comment le Mouvement des Femmes Kurdes a Libéré la Démocratie de l’état

Dilar Dirik


Texte inédit traduit
Texte original :Stateless Democracy: How the Kurdish Women’s Movement Liberated Democracy from the State
http://vimeo.com/107639261

“Azadî”, liberté. Une notion qui s’est emparée depuis longtemps de l’imagination collective du peuple kurde. “Le Kurdistan Libre”, l’idéal apparemment inatteignable, épouse de nombreuses formes selon où l’on se situe sur le large spectre politique kurde. L’indépendance croissante du Gouvernement Régional Kurde (GRK) dans le sud du Kurdistan (Bashur) vis à vis du gouvernement central irakien, tous comme les immenses progrès du peuple kurde dans l’ouest du Kurdistan (Rojava) malgré la guerre civile syrienne depuis l’année dernière ont réanimé le rêve d’une vie libre pour les kurdes au Kurdistan.

Mais que signifie la liberté? La liberté pour qui? La question kurde est souvent conceptualisée en termes de relations internationales, d’états, de nationalisme et d’intégrité territoriale. La liberté est cependant une notion qui transcende l’ethnicité et les frontières artificielles. Afin de pouvoir parler d’un Kurdistan qui mérite le qualificatif de « libre » tous les membres de la société doivent avoir un accès égal à cette « liberté », pas seulement au sens légal abstrait du terme. Ce n’est pas le caractère officiel d’une entité nommée Kurdistan (qu’il soit un état indépendant, fédéral, un gouvernement régional ou toute autre forme d’autodétermination kurde) qui détermine le bien-être de sa population. Un des indicateurs de la vision du peuple de la démocratie et de la liberté est la situation des femmes.

A quoi sert “un Kurdistan”, si cela se termine par l’oppression de la moitié de sa population?

Les femmes kurdes sont confrontées à plusieurs strates d’oppression comme membres d’une nation sans état dans un contexte largement féodal-islamiste patriarcal, et luttent, par conséquent sur de multiples fronts. Alors que les quatre différents états qui divisent le Kurdistan présentent de fortes caractéristiques patriarcales, qui oppriment toutes les femmes au sein de leurs populations respectives, les femmes kurdes sont en plus discriminées comme kurdes et font généralement partie de la classe socio-économique la plus basse.

Et, bien sûr, les structures féodales patriarcales internes de la société kurde empêchent aussi les femmes d’accéder à une vie libre et indépendante. Les violences domestiques, les mariages forcées des enfants et des adultes, les viols, les crimes d’honneur, la polygamie, par exemple, sont souvent considérés comme des questions privées, plutôt que comme des problèmes qui demandent un engagement sociétal et des politiques publiques actives. Cette étrange distinction entre le public et le privé à coûté leur vie à de nombreuses femmes.

Les hommes kurdes sont souvent très véhéments contre la discrimination ethnique et de classe, mais beaucoup d’entre eux rentrent à la maison après des manifestations et ne réfléchissent pas à leurs propres abus de pouvoir, à leur propre despotisme, quand ils usent de violence contre les femmes et les enfants dans leur vie « privée ». La fréquence habituelle de la violence contre les femmes kurdes, et, à vrai dire, partout ailleurs dans le monde, est un problème systémique — et donc sa solution exige des mesures politiques.

La situation des femmes n’est pas une « question de femmes » et ne doit pas être par conséquent prise en considération comme une question spécifique, d’ordre privé, qui n’intéresse que les femmes. La question de légalité des genres est, en réalité, une question de démocratie et de liberté pour toute la société; il s’agit d’un critère (bien que pas le seul) à l’aide duquel l’éthique d’une communauté devrait être mesuré. Puisque le capitalisme, l’étatisme et le patriarcat sont étroitement liés, la lutte pour la liberté doit être radicale et révolutionnaire — elle doit considérée la libération des femmes comme un objectif central et non comme une question secondaire.

Même si les femmes kurdes partagent une longue histoire de lutte pour la libération nationale avec les hommes, elles ont souvent été marginalisées y compris dans ces mouvements de libération. Alors que les féministes majoritaires des quatre états qui divisent le Kurdistan excluent souvent les femmes kurdes de leurs luttes (en attendant d’elles qu’elles adoptent les doctrines nationalistes de l’état ou en les considérant avec condescendance comme des victimes d’une culture primitive arriérée), les partis politiques kurdes dominés par les hommes, avec des structures très féodales et patriarcales, dont la vision de la liberté ne dépasse pas un nationalisme vide et primaire, réduisent souvent aussi au silence les voix des femmes.

Soutenir que les femmes kurdes ont toujours été plus fortes et plus émancipées que leurs voisines (et des sources historiques semblent le confirmer), ne devrait pas être utilisé comme une excuse pour arrêter la lutte pour leurs droits. Même si la singularité historique des femmes kurdes dans les quatre pays mérite d’être reconnue, les nombreuses manifestations terribles de violence cruelle contre elles illustrent les réalités du terrain et devraient servir comme base d’examen de la réalité. Si les femmes kurdes jouissent aujourd’hui d’un statut politique relativement élevé, cela est le résultat d’une lutte constante, sur de multiples fronts de leur part et non d’une condition offerte par la société kurde!

La participation des femmes aux luttes de libération ou révolutionnaires n’est pas propre au Kurdistan. Dans toutes sortes de contextes différents, les femmes ont toujours joué des rôles actifs dans le combat pour la liberté. Les temps de guerre, les insurrections, l’agitation sociale ont souvent offert aux femmes l’espace pour s’affirmer que la vie civile normale ne leur aurait pas permis. Leur engagement dans des postes de responsabilité sociale, que ce soit la participation à des syndicats ou le militantisme politique, légitiment souvent leurs demandes d’émancipation. Néanmoins, une fois la situation de crise terminée, une fois la « libération » ou la « révolution » considérées comme réalisées, on juge souvent nécessaire le retour à la normalité d’avant-guerre et au conservatisme pour rétablir la vie civile. Cela revient souvent à ré-instituer les rôles traditionnels sexués, au détriment des statuts nouvellement acquis par les femmes.

C’est un phénomène malheureusement tout à fait courant de voir les femmes subir un retour en arrière de leurs droits après la « libération », après la « révolution », « une fois notre pays libre », même si elles ont été des actrices énergiques de la lutte. L’espoir qu’une fois le but rassembleur de la « liberté » atteint, chacun-e dans la société vivra librement, s’est révélé être un vœu pieux — les femmes aux USA, en Algérie, en Inde, au Vietnam peuvent le confirmer. La manifestation la plus récente de ce phénomène est le statut des femmes dans les pays du soi-disant « printemps arabe ».
Bien que durant ces dernières années, nos écrans de TV étaient emplis de femmes qui manifestaient contre des régimes répressifs, et qui jouaient un rôle clé dans les mouvements, la situation des femmes a même parfois empirée depuis les soulèvements. Cela est dû au fait que, alors que le mécontentement et la désillusion générale vis à vis du système transcendent souvent les genres, les classes, les ethnicités et les religions, il est clair que ceux qui ont le plus à gagner en se soulevant sont les femmes, la classe ouvrière et les minorités et groupes opprimés. Si les mouvements sociaux ne prêtent pas attention aux spécificités, les nouveaux régimes pourraient ne former que de nouvelles élites qui opprimeront les groupes vulnérables à leur façon. Le besoin d’organisations de femmes, autonomes, indépendantes, se fait aussi sentir dans l’expérience des luttes des femmes kurdes …

La région qui a été le plus communément qualifiée de « libre » est le sud du Kurdistan. Les kurdes y jouissent d’une semi-autonomie, y ont leurs propres structures de gouvernance et n’y sont plus persécutés du fait de leur ethnicité comme le sont encore les kurdes dans d’autres régions. Le Gouvernement Régional du Kurdistan (GRK) a reçu en fait des éloges internationaux pour avoir établi une entité économiquement forte et relativement démocratique, comparée notamment au reste de l’état démembré d’Irak. Le GRK puise souvent une légitimité à travers cette comparaison avec l’Irak malgré ses structures internes profondément anti-démocratiques. Alors même que ses membres dominants ont l’esprit extrêmement tribal, autocratique et corrompu, que l’opposition est réduite au silence et que les journalistes sont assassinés dans des circonstances troubles.

Le pragmatique GRK est amical envers des régimes tels que l’Iran et la Turquie qui répriment brutalement leur propre population kurde et rejettent même les ambitions d’autonomie des kurdes en Syrie. Il est assez intéressant de noter également qu’il semble s’agir là des endroits les plus déplaisants pour les femmes kurdes.

Il est intéressant de noter également que l’entité kurde la plus semblable à un état, la mieux intégrée au système capitaliste, et qui satisfait aux exigences des puissances régionales comme l’Iran et la Turquie ainsi qu’à celles des puissances mondiales, ne montre le moindre d’intérêt pour le droit des femmes et la remise en cause du patriarcat. Cela nous en apprend beaucoup sur les manières dont les différentes formes d’oppression se recoupent, mais aussi sur le type de Kurdistan que peut tolérer la communauté internationale.

On doit certainement tenir compte du fait que le sud est une région en voie de développement, mais bien que le gouvernement dispose de nombreux outils à sa disposition pour donner du pouvoir aux femmes, il ne semble pas intéressé pour les utiliser. En théorie, on pourrait s’attendre à ce que les femmes au sud Kurdistan bénéficient d’une meilleure situation que dans les autres régions du pays, puisqu’elles vivent dans une région prospère gouvernée par des kurdes, où elles ne sont plus persécutées du fait de leur ethnicité. Même si les femmes y souffrent de moins de strates d’oppression, elles sont victimes du féodalisme tribal des partis politiques dominants, qui semblent considérer le nationalisme futile et la croissance capitaliste comme une conception adéquate de la « liberté ».

Dans le sud du Kurdistan, les femmes sont très actives dans la revendication de leurs droits, mais le GRK rechigne souvent à améliorer ses lois. La violence contre les femmes est épidémique, en augmentation même, mais le gouvernement n’en fait tout simplement pas assez pour la combattre. En 2011/12, on a enregistré presque 3 000 cas de violence contre des femmes, mais 21 personnes seulement furent poursuivies, sans parler des cas qui n’ont pas été dénoncés. Les rares hommes condamnés sont souvent libérés peu après. Parfois, les victimes de la violence féminine sont montrées du doigt et blâmées pour avoir « provoqué » les hommes. Comme la punition n’apparaît pas comme dissuasive pour la violence masculine, le système perpétue l’oppression des femmes.
L’absence d’organisations de femmes réellement indépendantes, non-partisanes, est également très problématique. De nombreuses organisations de femmes dans le sud Kurdistan sont même dirigées par des hommes! Les politiques féodales, tribales encouragent sans aucun doute des attitudes patriarcales qui représentent d’immenses obstacles à la libération des femmes. Même si la condamnation des actes de violence contre les femmes semble se développer, il n’y a pas de remise en question fondamentale du système patriarcal dans son ensemble.

Des instances de décisions autonomes de femmes sont essentielles pour garantir une représentation de leurs intérêts spécifiques. Une approche du haut vers le bas des droits des femmes est souvent inadéquate et et renforce le patriarcat de manière passive. Des projets issus de la base semblent plus efficaces pour transformer la société : Par exemple, un projet documentaire indépendant sur la mutilation génitale des femmes (qui semble pratiqué uniquement dans le sud Kurdistan) a réussi à faire modifier la loi par le GRK. Malheureusement, elle reste largement pratiquée sans châtiment.

Il est important de souligner qu’il ne s’agit nullement d’une situation qui serait originaire du sud Kurdistan. La condition des femmes a pour origine ici le manque d’intérêt des partis politiques à s’engager dans la libération des femmes. Il s’agit d’un choix politique délibéré de la part des partis dominés par des hommes. Cela ne doit pas en être ainsi!

L’idée selon laquelle « Maintenant que nous avons un ‘Kurdistan libre’, ne le critiquons pas trop » semble très répandue, même si cela se fait au détriment d’une réelle compréhension de la démocratie et de la liberté pour tous.

Demander le châtiment des violences contre les femmes et une meilleure représentation de leurs intérêts dans la sphère publique ne signifie pas que les femmes ne soient pas « loyales envers l’état ». Il semble difficile d’être loyale envers un tel état patriarcal. Les femmes ont besoin de de transgresser les affiliations partisanes et de développer un mouvement des femmes, au-delà de petites ONG. Les femmes du sud Kurdistan ne devraient pas se contenter de moins que cela, tout particulièrement depuis qu’elles disposent de davantage d’outils, d’instances et de ressources que les femmes kurdes dans d’autres régions, pour travailler en faveur d’une société plus égalitaire.

Même les militantes des partis politiques kurdes de gauche, socialistes, ont fait l’expérience que, sans instances autonomes, leurs voix sont réduites au silence dans la société patriarcale kurde. Bien que le Parti des Travailleurs du Kurdistan, PKK, soit connu pour les nombreuses femmes à des postes de responsabilité au sein de ses rangs et pour son engagement déclaré en faveur de la libération des femmes, les choses n’ont pas été toujours faciles pour les femmes dans le mouvement de guérilla. Dans les années 1980, la composition démographique du PKK, qui avait son origine dans les milieux universitaires socialistes, a été bouleversé lorsque de nombreuses personnes issues des régions féodales, rurales et moins éduquées du Kurdistan ont rejoint les montagnes après que leurs villages aient été détruits par les turcs.

La plupart de ces gens n’avaient pas été en contact avec des idéaux tels que le socialisme et le féminisme et considéraient par conséquent, le nationalisme comme principale motivation de leur combat pour la libération nationale. A l’époque, de nombreuses femmes dans le mouvement de guérilla se sont battues pour convaincre leurs camarades masculins qu’elles étaient leurs égales. L’expérience négative de la guerre acharnée des années 1980 a aussi négligé l’aspect éducatif dans l’entraînement à la guérilla, puisque la guerre était plus urgentes, mais cela a permis aux femmes de prendre conscience d’une chose: Nous avons besoin d’organisations autonomes de femmes!

Le PKK et les partis qui partagent la même idéologie réussissent à créer des mécanismes qui garantissent la participation des femmes à la sphère politique et , au delà, à remettre en question la culture patriarcale elle-même. L’idéologie du PKK est explicitement féministe et est intransigeante lorsqu’il s’agit de la libération des femmes. A la différence des autres partis politiques kurdes, le PKK n’a pas fait pas appel à des propriétaires terriens féodaux et tribaux pour atteindre ses buts, mais a mobilisé les régions rurales, la classe ouvrière, les jeunes et les femmes.

La force du mouvement des femmes qui en a résulté illustre le fait que établir des structures telles que la coprésidence (partagée par une femme et un homme) et une répartition sexuée de 50-50 dans les comités à tous les niveaux administratifs n’est pas purement symbolique pour donner une visibilité aux femmes. L’officialisation de la participation des femmes leur donne un point d’appui pour s’assurer que leurs voix ne seront pas déformées et cela a réellement remis en question et transformé la société kurde sous de nombreux aspects.

Cela conduit à son tour à une vaste popularisation du féminisme au nord Kurdistan. La lutte des femmes n’est plus un idéal parmi des cercles militants de l’élite mais un prérequis pour la lutte de libération. La domination masculine n’est pas acceptée dans ces milieux politiques, des plus hauts niveaux de l’administration jusqu’aux communautés locales de base. Cela a été obtenu à travers l’établissement d’instances autonomes de femmes au sein du mouvement.

Même si il reste beaucoup de problèmes en ce qui concerne la violence envers les femmes au nord Kurdistan, l’intérêt pour l’égalité des sexes comme mesure de liberté d’une société a, en fait, politisé les femmes, jeunes comme âgées, et a établi un mouvement des femmes incroyablement populaire. Beaucoup de femmes turques cherchent aujourd’hui l’inspiration dans le riche trésor que constitue l’expérience des femmes kurdes. Alors que la Turquie a aujourd’hui un premier ministre qui encourage les femmes à se marier jeunes, à se voiler et à faire au moins quatre enfants, et que les trois partis les plus représentatifs de Turquie comptent moins de 5% de femmes dans leurs rangs, le Parti Démocratique des Régions Kurdes (BDP) ainsi que le Parti Démocratique du Peuple (HDP) nouvellement créé comptent fièrement au moins 40% de femmes dans leurs rangs, en se focalisant explicitement sur les questions féministes et LGBT. Le mouvement des femmes kurdes lui-même critique le patriarcat au Kurdistan et souligne que les progrès obtenus à ce jour ne signifient pas la fin de la lutte.

Influencé par ce discours sur la libération des femmes, les principaux partis politiques de l’ouest du Kurdistan, Rojava, ont adopté l’idéologie du PKK et renforcent la coprésidence ainsi que la parité 50-50 au sein de leurs appareils politiques. En entérinant la libération des femmes dans tous les appareils légaux, organisationnels et idéologiques de leurs structures de gouvernance depuis la base même, y compris les forces de défense, ils s’assurent que les droits des femmes ne seront pas remis en question.

Les hommes avec des antécédents de violence domestique ou de polygamie sont exclus des organisations. La violence contre les femmes et le mariage des enfants sont illégaux et passibles des tribunaux. Les observateurs internationaux qui visitent l’ouest du Kurdistan avouent qu’ils sont profondément impressionnés par la révolution des femmes qui a émergé malgré la terrible guerre civile en Syrie.

En même temps, les cantons récemment créés dans l’ouest du Kurdistan ont intégré fermement aussi d’autres ethnies et groupes religieux au sein de leur système. Dans l’esprit du paradigme du « confédéralisme démocratique » tel que proposé par le dirigeant du PKK, Abdullah Öcalan, ils ont renoncé à la création d’ un état comme solution, puisqu’ils pensent que les états sont des entités hégémoniques par nature qui ne représentent pas le peuple. Les principaux partis politiques insistent sur le fait qu’ils ne veulent pas faire sécession d’avec la Syrie mais rechercher une solution démocratique à l’intérieur des frontières existantes, tout en incluant les minorités dans le gouvernement et en accordant aux femmes une voix égale dans la création « d’un système démocratique radical partant de la base fondé sur légalité des sexes et l’écologie”, au sein duquel différents groupes ethniques et religieux peuvent vivent sur un pied d’égalité.

Les avancées du peuple de l’ouest du Kurdistan ont été constamment attaquées par le régime syrien de Assad comme par les groupes jihadistes liés à al Qaeda qui semblent être financés et soutenus en partie par la Turquie.

Il est intéressant d’observer que l’entité kurde, la plus ressemblante à un état, la plus prospère, la mieux acceptée et établie, le GRK, est incapable de respecter le droit des femmes, alors que l’ouest du Kurdistan, malgré un embargo politique et économique et l’épouvantable situation de guerre, ne se tourne pas vers le nationalisme ou un état, mais un confédéralisme démocratique, comme solution et a déjà créé de nombreuses structures pour garantir la représentation des femmes. Les préférences de la communauté internationale sont intéressantes au plus haut point sous cet angle! Alors que le GRK est souvent loué comme un modèle de démocratie dans la région, l’ouest du Kurdistan est totalement discrédité.

Si les acteurs internationaux qui se présentent eux-mêmes comme des défenseurs de la liberté et de la démocratie au Moyen-Orient étaient réellement intéressés par la paix en Syrie, ils soutiendraient auraient probablement soutenu le projet laïque, progressiste, dans l’ouest du Kurdistan. Au contraire, les kurdes ont été exclus de la conférence de Genève II de janvier 2014. Cela s’est fait, en outre, en partie avec l’accord du GRK, qui a aidé à marginaliser les avancées dans l’ouest du Kurdistan, principalement parce que les principaux partis politiques – idéologiquement et non de manière organisationnelle – sont alliés avec le PKK, le rival traditionnel du parti GRK au pouvoir.

La cadre du GRK concernant le progrès, la démocratie, la liberté et la modernité ne remet pas en cause le système mondial capitaliste, étatiste, nationaliste et patriarcal. C’est pourquoi il semble que ce soit le genre de Kurdistan qui peut être toléré par la communauté internationale, alors que les partis politiques qui ont la capacité de perturber le système sont marginalisés.

Des événements récents illustrent les manières sexistes avec lesquelles les idéologies féministes de quelques partis politiques kurdes sont attaquées. Dans une tentative pour démontrer qu’il était un ami des kurdes, le premier ministre turc, Erdogan, a invité le président du GRK, Masoud Barzanî, dans la capitale kurde officieuse Amed (Diyarbekir). Accompagné par des chanteurs comme Sivan Perwer et Ibrahim Tatlises, connus pour leur opportunisme et leur féodalisme sexuel, une comédie d’événement a été montée à Amed. La rencontre a été avant tout une occasion pour essayer de marginaliser les kurdes de Turquie, notamment le PKK et les partis politiques légaux du Kurdistan nord, comme le Parti Démocratique des Régions (BDP).

Lors d’une cérémonie de mariage, les deux dirigeants, Erdogan et Barzanî, ont béni l’union de quelques centaines de couples, tous représentant la femme selon l’image qu’ils en ont. La plupart des mariées portaient le voile, tous les couples étaient très jeunes. Cette démonstration de conservatisme au nom de la « paix » illustrait la similarité entre les mentalités féodales et patriarcales des deux dirigeants et de leur entourage. En essayant de marginaliser le PKK, ils essayaient en réalité de marginaliser toutes les femmes kurdes. Sous cet aspect, cette cérémonie de mariage extrêmement conservatrice, était plus une insulte délibérée au mouvement des femmes kurdes qu’une représentation d’une coexistence pacifique des peuples.

Mais le partenariat intéressé entre Barzanî et Erdogan est il surprenant? La Turquie n’a pas de problème avec le GRK ou même avec les kurdes en général. Le problème est idéologique.

Selon les termes de Selahattin Demirtas, coprésident du Parti Kurde pour la Paix et la Démocratie : “Si nous l’avions voulu, nous aurions pu déjà créé dix Kurdistan. L’important n’est pas d’avoir un état appelé Kurdistan, ce qui importe, c’est que nous ayons un Kurdistan avec des principes, des idéaux.”

L’attitude des puissances régionales comme l’Iran et la Turquie, qui ont des traditions répressives vis à vis de leur population kurde respective, et le comportement des puissances internationales le démontrent : un Kurdistan qui souhaite coopérer avec ces régimes, qui maintient des liens économiques avec ces états et qui est désireux de marginaliser les partis politiques kurdes les plus radicaux au nom de son propre opportunisme, peut très bien être toléré par la communauté internationale. Une structure comme le GRK, compatible avec le cadre du système dominant est accepté, alors que des partis politiques qui remettent en cause le système capitaliste, féodal-patriarcal, étatiste sont ostracisés. Cette préférence asymétrique de la part de la communauté internationale dévoile sa réelle nature anti-démocratique. Et les femmes kurdes vivent tout cela à travers leurs propres corps.

Afin que le Kurdistan devienne une société réellement libre, la libération des femmes ne doit en aucune manière être remise en cause. Critiquer l’échec du Gouvernement Régional Kurde dans les domaines des femmes, de la liberté de la presse, etc. ne signifie pas que l’on « divise » les kurdes.Quel genre de société serait le sud Kurdistan si l’on n’apprenait pas aux gens à être critiques de peur de perdre ce qui a été obtenu au travers de tant de sacrifices? Les gens ne devraient-ils pas être critiques, même si cela signifie s’opposer à son propre gouvernement? N’est-ce pas là l’essence même de la démocratie? Ne devons-nous pas cela à tous ces gens qui sont morts pour construire une société où cela vaille la peine de vivre? Se satisfaire de moins, au nom du maintien du statu, c’est se représenter la liberté au sens le plus abstrait possible du terme. Les femmes du Kurdistan qui luttent quotidiennement méritent certainement mieux que cela.

Le nationalisme, le capitalisme, l’étatisme, ont été les piliers du patriarcat et ont souvent utilisé le corps et les attitudes des femmes pour contrôler les sociétés. Le niveau de liberté a considérablement baissé dans le système capitalisme mondial dans lequel nous vivons. Il semble, dès lors, assez tentant de se satisfaire du , étant donné qu’il est devenu une forteresse de la modernité capitaliste. Mais, en reproduisant les défauts et les lacunes du reste du monde, le GRK restreint considérablement sa conception de la liberté.

Par conséquent, les femmes ne devraient pas attendre la libération de la part d’une structure hégémonique bâti sur le modèle étatique. A partir du moment où nous considérons le fait d’organiser l’élection d’une Miss Kurdistan comme un signe de progrès et de modernité, nous reproduisons exactement les mêmes mécanismes qui ont asservi l’humanité en premier lieu. Est cela que nous appelons liberté? Un consumérisme débridé? Un nationalisme primaire? La reproduction des éléments d’un capitalisme et d’un patriarcat mondial, en les étiquetant du drapeau kurde afin de nous vanter d’être modernes?

La liberté ne se trouve pas dans les hôtels turcs, les investissements iraniens, les chaînes de restaurants, les concours de beauté sponsorisés par l’étranger, ou dans les vêtements traditionnels kurdes. La liberté ne vient pas lorsque nous pouvons prononcer librement le mot Kurdistan. La liberté est une lutte sans fin, un processus de construction d’une société éthique, égalitaire. Le vrai travail commence après que la « libération ». “Azadî” doit être être évaluée au regard de la libération des femmes. A quoi sert un état kurde si il perpétue la culture du viol, le meurtre des femmes, la maladie antique du patriarcat? Les apologistes du viol, les dirigeants sexistes kurdes, et les institutions officielles seraient-ils très différents des structures étatiques répressives si ils portaient nos vêtements traditionnels?

“Kurdistan”en lui-même n’équivaut pas à liberté. Un Kurdistan patriarcal est un tyran plus insidieux que des agresseurs habituels. Être colonisées et asservies la moitié de sa propre communauté selon des critères sexuels par ses partenaires proches est un acte encore plus violent et honteux qu’une invasion étrangère.

Par conséquent, les femmes kurdes doivent constituer l’avant-garde d’une société libre. Cela demande du courage de s’opposer à des états répressifs, mais cela demande parfois encore plus de courage de s’opposer à sa propre communauté. Car ce n’est pas réellement une simple gouvernance kurde, ni même un état kurde, qui est dangereux pour le système dominant. Une plus grande menace pour les structures hégémoniques réside dans une femme kurde consciente et active politiquement.

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Dilar Dirik est une femmes universitaire kurde licenciée en histoire et science politique, avec une maîtrise en Études internationale. Actuellement elle étudie la sociologie à l’Université de Cambridge. Elle collabore régulièrement à diverses revues et médias ainsi qu’à différentes ONG kurdes en Europe, notamment des organisations de femmes.

Le blog de Dilar Dirik http://dilar91.blogspot.fr/
Voir également de Dilar Dirik : Western fascination with ‘badass’ Kurdish women
http://www.aljazeera.com/indepth/opinion/2014/10/western-fascination-with-badas-2014102112410527736.html
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Re: Kurdistan

Messagede Pïérô » 11 Jan 2015, 13:03

Rojava : Fantasmes et réalités

Par Zafer Onat

Ce texte critique en anglais est tiré du site « SERVET DÜŞMANI » (http://www.servetdusmani.org/rojava-fan ... realities/) où Il a été mis en ligne le 1er novembre 2014. Il a été traduit en français en décembre 2014 par une personne du Collectif Anarchiste de Traduction et de Scannérisation de Caen (et d’ailleurs) : http://ablogm.com/cats/ . Le texte a été féminisé et il est librement utilisable par tous et toutes.

La résistance de Kobanê qui a passé ses 45 jours a maintenant causé le fait que l’attention des révolutionnaires du monde entier s’est tournée vers le Rojava. Comme résultat du travail mené par l’Action Révolutionnaire Anarchiste1 des camarades anarchistes de nombreuses parties du monde ont envoyé des messages de solidarité à la résistance de Kobanê2. Cette position internationaliste a sans doute une grande importance pour les gens qui résistent à Kobanê. Toutefois, si nous n’analysons pas ce qui est en train d’arriver dans toute sa vérité et si, au lieu de cela, nous romançons, nos rêves se transformeront rapidement en déception.

En outre, afin de créer l’alternative révolutionnaire mondiale qui est urgemment nécessitée, nous devons avoir la tête froide et être réaliste, et nous devons faire des évaluations correctes. Sur ce point laissez nous mentionner en passant que ces messages de solidarité qui ont été envoyés à l’occasion de la résistance de Kobanê démontrent l’urgence de la tâche de créer une association internationale où les anarchistes révolutionnaires et les communistes libertaires peuvent discuter les questions locales et globales et être en lien solidaire durant les luttes. Nous avons ressenti le manque d’une telle internationale durant les quatre dernières années lorsque de nombreux soulèvements sociaux eurent lieu dans de nombreuses parties du monde – nous avons au moins ressenti ce besoin durant le soulèvement qui eut lieu en juin 2013 en Turquie.

Aujourd’hui, cependant, nous devons discuter du Rojava sans illusions et baser nos analyses sur le bon axe. Il n’est pas très facile pour des personnes d’évaluer les développements qui se produisent au sein du cadre temporel dans lequel elles vivent à partir de ce qu’elles voient en ce moment. Évidemment, des évaluations faites avec l’esprits obscurci par le sentiment d’être acculéEs et désespéréEs rendent encore plus dur pour nous le fait de produire des réponses solides.

Nulle part dans le monde d’aujourd’hui n’existe un mouvement révolutionnaire efficace dans notre sens du terme ou un fort mouvement de classe qui peut être un précurseur d’un tel mouvement. Les luttes qui émergent s’amenuisent soit en étant violemment réprimées ou soit en étant entraînées dans le système. Il semble qu’à cause de cela, juste comme dans le cas d’une importante partie des marxistes et des anarchistes en Turquie, des organisations révolutionnaires et des individus dans diverses parties du monde, sont en train d’attribuer à la structure qui a émergé au Rojava un sens qui est au delà de sa réalité. Avant tout autre chose, il est injuste pour nous de charger le fardeau de notre échec à créer une alternative révolutionnaire dans les endroits où nous vivons et le fait que l’opposition sociale est largement cooptée au sein du système sur les épaules des personnes qui luttent au Rojava. Ce Rojava, où l’économie est dans une large mesure agricole et qui est encerclé par des blocs impérialistes menés d’un coté par la Russie et de l’autre coté par les USA, par des régimes répressifs, réactionnaires et collaborateurs dans la région et par des organisations djihadistes brutales comme l’État Islamique qui ont prospéré dans cet environnement. En ce sens, il est également problématique d’attribuer une mission au Rojava qui est au delà de ce qu’il est ou de ce qu’il peut être ou de blâmer ces gens engagés dans une lutte à la vie à la mort parce qu’ils et elles escomptent du soutien de la part des forces de la Coalition ou qu’ils et elles ne mènent pas “une révolution à notre goût”.

Tout d’abord nous devons identifier le fait que le processus du Rojava a des caractéristiques progressistes telles qu’un important bond en avant dans la direction de la libération des femmes, la tentative de construire une structure laïque, en faveur de la justice sociale, démocratique et pluraliste et le fait que les autres groupes ethniques et religieux aient une part dans l’administration. Toutefois, le fait que la nouvelle structure émergente ne vise pas l’élimination de la propriété privée, c’est à dire l’abolition des classes, que le système tribal demeure et que les leaders tribaux prennent part à l’administration montre que le but n’est pas la suppression des relations de production féodales ou capitalistes mais, au contraire, dans leurs propres mots “la construction d’une nation démocratique”.

Nous devons également nous souvenir que le PYD est une partie de la structure politique dirigée par Abdullah Öcalan depuis 35 ans qui vise à la libération nationale et que toutes les limitations politiques que les mouvements nationalement orientés possèdent s’appliquent aussi au PYD. De plus, l’influence des éléments qui appartiennent à la classe dirigeante à l’intérieur du mouvement kurde est en augmentation constante avec le “processus de solution”, spécialement en Turquie.

Sur ce point, il est utile d’examiner le Contrat de la KCK3 qui définit le confédéralisme démocratique qui forme la base du système politique au Rojava4. Quelques points dans l’introduction écrite par Öcalan méritent notre attention :

“Ce système prend en compte les différences éthniques, religieuses et de classe sur une base sociale.” (..)

“Trois systèmes de lois s’appliqueront au Kurdistan : la loi de l’UE (Union Européenne), la loi de l’État unitaire, la loi confédérale démocratique.”

En résumé, il est déclaré que la société de classe demeurera et qu’il y aura un système politique fédéral compatible avec le système global et l’État-nation. De concert avec cela, l’article 8 du Contrat, intitulé ” Droits personnels, politiques et libertés” défend la propriété privée et la section C de l’article 10 intitulée “Responsabilités basiques” définit la base constitutionnelle du service militaire obligatoire et déclare “En cas de guerre de légitime défense, en tant qu’exigence de patriotisme, il y a la responsabilité de rejoindre activement la défense du pays natal et des droits et libertés basiques”. Tandis que le Contrat déclare que le but n’est pas le pouvoir politique, nous comprenons également que la destruction de l’appareil d’État n’est pas visée, ce qui signifie que le but est l’autonomie au sein des États-nations existants. Quand le Contrat est vu dans son ensemble, l’objectif qui est présenté n’est pas vu comme allant au delà d’un système démocratique bourgeois qui est appelé confédéralisme démocratique. Pour résumer, tandis que les photos des deux femmes portant un fusil, qui sont souvent répandues dans les réseaux sociaux, l’une prise durant la Guerre Civile Espagnole, l’autre prise au Rojava, correspondent à une similarité dans le sens de femmes combattant pour leurs libertés, il est clair que les personnes combattant l’État Islamique au Rojava n’ont pas, en ce moment précis, les mêmes buts et idéaux que les travailleurs-euses et paysanNEs pauvres qui luttaient au sein de la CNT-FAI afin de renverser à la fois l’État et la propriété privée.

En outre, il y a de sérieuses différences entre les deux processus en terme de conditions d’émergence, de positions de classe de leurs sujets, de lignes politiques de celles et ceux qui conduisent le processus et de force du mouvement révolutionnaire mondial.

Dans cette situation, nous ne devons ni être surpris ou blâmer le PYD s’ils et elles sont même forcés d’abandonner leur position actuelle, de manière à trouver une alliance avec les pouvoirs régionaux et globaux afin de briser le siège de l’État Islamique. Nous ne pouvons attendre des personnes qui luttent à Kobanê qu’elles abolissent l’hégémonie du capitalisme à l’échelle mondiale ou qu’elles résistent longtemps à cette hégémonie. Cette tâche peut seulement être réalisée par un fort mouvement de classe mondial et une alternative révolutionnaire.

Le capitalisme est en crise à un niveau global et les impérialistes, qui sont en train d’essayer de transcender cette crise en exportant la guerre à chaque coin du monde, ont transformé, avec l’aide des politiques des régimes répressifs de la région, la Syrie et l’Irak en un enfer. Du fait des conditions où n’existe pas une alternative révolutionnaire, le soulèvement social qui a émergé en Ukraine contre le gouvernement pro-russe et corrompu a eu pour résultat l’arrivée au pouvoir des forces pro-Union Européenne soutenues par les fascistes et la guerre entre deux camps impérialistes continue. Le racisme et le fascisme se développent rapidement dans les pays européens. En Turquie, les crises politiques se succèdent les unes aux autres et la division ethnique et sectaire de la société s’approfondit. Tandis que dans ces circonstances, le Rojava peut apparaître comme une planche de salut sur laquelle s’appuyer, nous devons considérer qu’au delà du siège militaire de l’État Islamique, le Rojava est également sous le siège politique de forces comme la Turquie, Barzani et l’Armée Syrienne Libre. Aussi longtemps que le Rojava n’est pas soutenu par une alternative révolutionnaire mondiale sur laquelle se reposer, il semble qu’il ne sera pas facile pour le Rojava ne serait-ce que de maintenir sa position actuelle sur le long terme.

Le sentier, pas seulement pour défendre le Rojava physiquement et politiquement mais aussi pour l’emmener plus loin, réside dans la création de terrains basés sur la classe pour l’organisation et la lutte, et reliés à une forte alternative révolutionnaire organisée globalement. La même chose s’applique pour prévenir l’atmosphère de conflit ethnique, religieux et sectaire qui saisit un peu plus chaque jour les peuples de la région et pour empêcher les travailleurs-euses de glisser dans un radicalisme de droite face à la crise du capitalisme à un niveau mondial. La solidarité avec Kobanê, bien qu’importante est insuffisante. Au delà de celle-ci, nous avons besoin de voir qu’il est impératif de discuter de ce qu’il faut faire pour créer un processus révolutionnaire et s’organiser pour cela à un niveau international, partout où nous sommes, pas seulement pour celles et ceux qui résistent à Kobanê mais aussi pour des millions de travailleurs-euses à travers le monde entier.


1 DAF en turc, pour Devrimci Anarşist Faaliyet. C’est une des principales organisations anarchiste en Turquie.

2 http://meydangazetesi.org/gundem/2014/1 ... yanismasi/

3 Le Contrat est lisible en français ici : http://blogs.mediapart.fr/blog/maxime-a ... -de-rojava. Le sigle KCK désigne le “Groupe des Communautés du Kurdistan”, un structure politique émanant du PKK, et qui regroupe le PKK de Turquie, le PYD de Syrie, le PJAK d’Iran et le PÇDK d’Irak ainsi qu’un certain nombre d’organisations sociales qui sont plus ou moins liées à ces partis frères. Le KCK est dirigé par une sorte de parlement appelé “Kongra Gelê” ou Congrès du Peuple du Kurdistan.

4 http://tr.wikisource.org/wiki/KCK_S%C3%B6zle%C5%9Fmesi

http://rojavasolidarite.noblogs.org/pos ... -realites/


Le Ministre de l’Économie du Canton d’Efrin : Le Rojava défie les normes de classe, de genre et de pouvoir.

Ce texte est tiré du site en anglais « The Rojava Report : News from the Revolution in Rojava and Wider Kurdistan » (https://rojavareport.wordpress.com/) où Il a été mis en ligne le 22 décembre 2014. Il a été traduit en français en décembre 2014 par une personne du Collectif Anarchiste de Traduction et de Scannérisation de Caen (et d’ailleurs) : http://ablogm.com/cats/

Les noms de lieux ont été repris tels quels pour des raisons de facilité. Le texte a été féminisé et il est librement utilisable par tous et toutes.

Nous l’avons traduit car, directement ou indirectement, il apporte, politiquement, économiquement et socialement, des éléments d’information et de réflexion sur la nature concrète de l’expérience démocratique en cours au Kurdistan Syrien. Or ces d’informations concrètes sont rares, souvent partielles et parfois contradictoires. Et cela devrait nous inciter, en tant que révolutionnaires, à parfois un peu plus de prudence dans nos déclarations et publications, car, sans tomber dans un purisme idéologique facile et méprisant, il ne faudrait pas non plus prendre la réalité pour ce qu’elle n’est pas.


Le Ministre de l’Économie du Canton d’Efrin : Le Rojava défie les normes de classe, de genre et de pouvoir.

L’entretien suivant a eu lieu avec le Dr. Amaad Yousef,le Ministre de l’Économie du Canton d’Efrin au Rojava (Kurdistan syrien) et il a été publié dans le journal « Özgür Gündem ». Yılmaz a parlé avec le Dr. Yousef alors qu’il prenait part à une conférence organisée par le Congrès de la Société Démocratique (DTK en kurde) dans la ville de Van le mois dernier. Le sujet de la conférence était « l’économie démocratique ». L’interview a ensuite été traduite en anglais.

-Parlons un peu d’avant la révolution. Quel était le statut des kurdes ? Quelles choses avaient-ils ?


Géographiquement, le Rojava couvre une zone de 18 300 kilomètres carrés. Il est divisé en trois cantons1. Toutefois le Rojava peut supporter une population deux ou trois fois plus grande que celle qui vit là. 60% des pauvres de Syrie étaient des kurdes. Parce qu’ils (le régime des El Assad – NDT) n’autorisaient pas l’ouverture des usines ou le développement de toute forme d’enrichissement dans la région du Rojava. Par exemple, à Efrin, il y avait près de 200 usines de transformation des olives. En dehors de cela, il n’y avait pas le moindre petit atelier. Les kurdes riches vivaient à Damas et Alep et avaient des relations proches avec le régime. Le régime a pris des terres dans certaines régions en utilisant des arabes qu’il a établis dans certaines régions sous le couvert de sa politique de « ceinture arabe »2. Cette politique fut appliquée particulièrement dans le canton du Cizîrê.

- Comme pour Efrin…

La politique du régime était quelque chose comme « laissons les gens avoir des difficultés à survivre, vendre leurs biens et leur propriété et émigrer ». Ils ont laissés les arabes venir et s’établir dans la zone. Du fait de l’embargo en place sur la région, les gens bougeaient vers Damas et Alep. Par exemple, il y avait un endroit à Damas appelé « Zorava ». Comme on le comprend à partir du nom, les kurdes ont construit cette zone avec leur propre travail. C’était un quartier sous l’administration du centre de la ville et une zone pauvre. Avant la révolution, la population kurde à Alep avait atteint un million. Presque tous et toutes vivaient à Şex Meqsut et Eşrefi. Si cette politique avait continué encore 10 ans de plus, les kurdes auraient perdu toute connexion avec leur propre géographie.

- Qu’est-ce que les kurdes vivant à Alep et Damas faisaient comme travail ?

Ils et elles travaillaient dans les restaurants, les usines, la construction, c’est-à-dire des emplois que personne ne voulait faire. Des travaux difficiles et dangereux… Tous les « sales » boulots que les arabes ne faisaient pas. 90% vivaient dans la pauvreté.

- Était-ce une politique systématique ?


Le régime a passé une loi en 2008 afin de forcer les kurdes à émigrer. Avec cette loi il était très difficile pour les kurdes de posséder une propriété. En même temps elle rendait beaucoup plus facile pour les arabes le fait d’acheter cette propriété.

- Y avait-il des écoles et des hôpitaux ?

Il y avait des écoles élémentaires et moyennes dans chaque village du canton d’Efrin. Ces écoles étaient construites pour l’assimilation. Vous ne trouviez pas un seul lycée ou école professionnelle qui étaient interdits. L’éducation en langue kurde était interdite. Les routes étaient un peu développées pour la sécurité. À Kobanê il y avait un hôpital et dans le canton du Cizîrê, dans la ville de Qamişo, il y avait un hôpital d’État mais ce n’était pas un hôpital avancé. Les patientEs sérieusement malades étaient transféréEs à Alep ou à Damas. UnE patientE à Efrin ne pouvait être traitéE à Efrin. Il n’y avait rien pour satisfaire les nécessités de la vie. Par exemple, si vous alliez acheter des vêtements pour un mariage, vous deviez aller à Damas ou à Alep.

- Si vous parliez des quelques choses qu’il y avait ?

La chose qui était développée, c’était l’usure. Dans le district de Reco du canton d’Efrin, vous saviez quelle maison appartenait à qui. Vous pouviez regarder une maison et dire que c’était celle d’unE usurierE. Il y avait une tribu arabe appelée les Boben. Le travail principal de cette tribu était l’usure. Ils et elles rendaient les kurdes sans maison et sans propriété. En échange de l’intérêt, ils et elles prenaient leur propriété et les forçaient à émigrer. La chose qui nous faisait le plus de peine avant 2011, c’était l’effondrement de la morale et de la conscience. Cette vie était très difficile pour nous…

- Quelle est la situation en ce qui concerne l’infrastructure ?

Il n’y avait pas d’élections au sein du système municipal en Syrie. Le parti Baath était nommé et choisi comme une formalité. Ceux qui voulaient être nommés distribuaient de l’argent et étaient choisis.

- Pouvez vous expliquer un peu à propos des premiers jours de la révolution ?


Le processus appelé le Printemps Arabe a duré 28 jours en Tunisie. En Égypte, la résistance continua durant 18 jours. En Libye plus de sang fut versé et Kadhafi s’en alla. Au Yémen beaucoup de sang fut versé. En ce qui nous concerne nous comptions sur une période de 3,5 ou 10 mois. Nous nous trompions sur ce sujet, toutefois tous nos autres calculs étaient bons. Si nous avions été du coté de l’opposition en Syrie, pas grand-chose n’aurait changé parce que l’approche de l’opposition envers les kurdes n’était pas différente de celle du régime.

- Quelle fut l’attitude du régime durant ces [premiers] jours ?

Les arabes disaient « Nous vous attendons. Rebellez-vous, nous sommes prêts, renversons le régime ». Nous disions « Non, nous sommes 15% de la Syrie et vous êtes 85% de la Syrie. Que 50% d’entre vous se soulève et 100% d’entre nous se soulèvera ». Ils se sont trouvés être des menteurs. Si nous avions fait comme ils voulaient que nous le fassions, le régime aurait dit « Ceux-là veulent briser la Syrie » et ils auraient organisé tous les arabes contre nous. Et les kurdes au Rojava auraient dû faire face à un génocide. Nous avons réalisé la situation. Nous disions que nous allions mettre en application notre modèle sur une fondation démocratique et sans bain de sang et que notre porte était ouverte à celles et ceux qui voulaient se joindre à nous.

-Quelle est la première tâche que vous ayez entreprise ?

Avec le début de la révolution, passé la première année, nous avions fondé un journal et une chaîne de télé. Nous avons formé une assemblée du peuple. Nous avons jeté dehors les éléments du régime qui étaient parmi nous. Nous avons mis à la porte les organisations et les gens connectés au régime mais nous n’avons pas fait de tort où que ce soit. Il était même interdit de forcer une caisse. Avant la révolution, 450 000 personnes vivaient à Efrin. Après la révolution, la population dépassa 1 million. Près de 200 000 arabes sont venuEs et se sont installéEs.

- Quelle fut votre première tâche en terme d’économie ?

Quand Efrin fut sûre et paisible, le développement du commerce rétablit son pas. Des bâtiments furent construits, des ateliers furent ouverts. De manière à mettre un système en place, un Centre de Développement Économique fut fondé dans le district central de Derik. Des branches s’occupant de choses comme le commerce, l’agriculture, les métiers, l’architecture et qui étaient connectées à ce centre furent ouvertes à Qamişlo, Kobanê et Efrin. Après cela, des associations de métiers et de commerce furent fondées.

- Qu’est ce qui existe maintenant en terme d’usines, d’ateliers etc ?

Il y a maintenant à Efrin 50 fabriques de savon, 20 usines de production d’huile d’olive, 250 fabriques de transformation de l’olive, 70 fabriques de matériaux de construction, 400 ateliers textile, 8 usines de chaussures, 5 usines produisant du nylon, 15 fabriques de marbre. 2 minoteries et 2 hôtels ont été construits. Nous sommes le premier et unique lieu de production de savon en Syrie. Nous travaillons à développer le commerce autour des produits de laiterie, des fruits et des autres produits alimentaires. Nous faisons tout cela dans les villages donc les gens retournent à leurs villages. Une nouvelle fois un barrage fut construit pour fournir de l’eau potable. Nous avons créé une marque « Made in Efrin ». Nous avons interdit la création de toute nouvelle usine d’olive dans une perspective environnementale. Nous avons également interdit les ateliers de fonderie de plomb pour protéger la santé humaine.

- Quelle est la situation concernant les droits personnels et l’organisation ?

Plusieurs organisations de droits civiques ont été fondées. Les ingénieurs, les agriculteurs-rices et les fermierEs ont formé leurs propres unions. Des syndicats ont été créés. Pour la première fois à Efrin, six instituts ont été fondés dans les domaines de la santé, du commerce, de l’agriculture, des sports, du théâtre et de la musique.

- Métiers, emploi…

Avant la révolution, il n’y avait pas de travail en dehors d’une paire de métiers. Maintenant, à Efrin, il n’y a pas de chômage avec une population de plus d’un million. Celui ou celle qui le veut peut avoir un emploi…

- Y a-t-il eu un retour des kurdes qui étaient alléEs à Damas ou à Alep comme travailleurs et travailleuses ?

Oui – tailleurs-euses, serveurs-euses, travailleurs de la construction, docteurs, enseignantEs, toutes sortes de gens sont revenus et ils et elles fournissent maintenant des services à leur propre peuple. Certaines personnes ont émigré en Europe, mais une proportion significative de travailleurs et travailleuses qualifiées sont revenus. La qualité a augmenté. Le retour des kurdes qui faisaient les métiers « les plus sales » et les plus difficiles est devenu fantastique3.

- Quelle est la monnaie et comment circule-t-elle ?

Nous continuons avec la monnaie syrienne. Les intérêts sont interdits et personne ne peut en toucher. Celles et ceux qui le font passent en procès et doivent faire face aux conséquences. Il y a des banques d’État, survivance du régime, mais elles ne travaillent pas. Nous avons travaillé autour des banques et il y a des banques dans tous les cantons. Toutefois, dans les villages, des banques de village doivent être ouvertes. Pour l’instant, les gens épargnent en mettant l’argent sous leurs matelas.

- Et les choses comme les taxes, la douane et les importations…

Nous sommes en train d’étudier le système de taxe de la Région Autonome Basque. Les taxes sont collectées et ces taxes sont distribuées aux ministères en fonction des besoins. Il y a une transparence autour de ces questions. Les citoyenNEs savent où les taxes qu’ils et elles payent sont dépensées. Cependant nous ne pouvons pas encore dire que ce système est entièrement en place.

- Comment faites vous pour vos besoins énergétiques ?

Toute notre électricité provient de l’Armée Syrienne Libre et par conséquent nous ne pouvons pas beaucoup la contrôler. Il y a des groupes électrogènes dans tout le canton et dans chaque village. Ils fournissent au moins 12 heures d’électricité [par jour]. Nous avons commencé un projet pour aménager l’énergie éolienne. Auparavant, l’eau était amenée dans des citernes. Grâce à une coopérative populaire qui a été fondée avec la municipalité, un barrage a été construit et il fournit les besoins en haut.

- Comment déterminez vous votre politique des prix ?

Efrin a subi un « siège » l’hiver dernier. Ces circonstances ont rendu les choses un peu difficiles pour nous. Un sac de farine est monté de 3000 à 6500 livres syriennes. L’administration du canton a pris une décision et a annoncé que tout sac de farine vendu plus 4100 livres syriennes serait confisqué. Après cela nous avons formé un comité et déterminé que la farine produite dans le canton d’Efrin serait suffisante pour nous-mêmes. Nous avons immédiatement commencé à faire travailler deux moulins et stoppé l’exportation de farine. De cette manière le prix de la farine a été ramené à 3500 livres syriennes. En même temps nous mettons en place des routes d’importation pour le commerce, les stocks alimentaires et les produits médicaux4.

- Comment faites vous pour la santé et l’éducation ?

Un hôpital appartenant au canton a été construit. Il y a aussi des hôpitaux privés. Maintenant il y a en moyenne près d’un millier de personnes recevant un traitement chaque jour. Il y a même des gens qui viennent d’Alep. Nous travaillons pour que, dans la période qui vient, nous comblions les déficiences technique et médicales de manière que nous puissions faire de la plus grosse chirurgie comme la chirurgie cardiaque. Il n’y a pas de factures encaissées pour les pauvres en échange des services médicaux. Les factures encaissées auprès de celles et ceux qui ont les moyens couvrent complètement les coûts de l’hôpital. Le système de salaire n’a pas encore été entièrement fixé. Cependant, certaines factures sont également prises en charge par le canton. Les écoles ont été ouvertes dans tous les villages. Maintenant nous avons des préparatifs pour ouvrir une université.

- Le gouvernement turc et quelques autres cercles prétendent que « le Rojava est sous l’oppression du PYD »5. Que dites vous de telles affirmations ?

Celles et ceux qui disent cela sont prisES dans une course de chevaux politique. Celles et ceux qui avancent cela ont des intérêts politiques à ce que ce système ne fonctionne pas. Je suis le Ministre du Commerce et de l’Économie pour le canton mais je ne suis pas un membre du PYD. Nous avons nos amiEs arabes. Nous avons des amiEs de différents peuples et différentes organisations sociales qui travaillent avec nous. Nous ouvrons le chemin pour le commerce.

- Il y en a aussi, dans les mêmes cercles, qui décrivent le système comme étant « celui de la Corèe du Nord ». Est-ce que le capital ou la propriété privée sont interdits ou menacés ?

Le capital privé n’est pas interdit mais il est fait pour s’ajuster à nos idées et à notre système. Nous développons un système autour des coopératives et des communes. Cependant, cela ne prouve pas que nous sommes contre le capital privé. Ils se compléteront l’un l’autre. Nous croyons que quand le système des coopératives est développé le capital privé moral peut être ajouté dans certaines parties de l’économie. La société du Rojava sera rendue meilleure de cette manière et éloignée du système libéral. Dans le système libéral, le gros poisson avale le petit et il n’y a pas de moralité. Dans notre canton, une Organisation du Commerce et de l’Industrie a été fondée et elle a 7000 membres. Ici il n’y a qu’une seule chose qui est interdite et c’est le capital financier.

- Il est dit que le régime paye les salaires de vos travailleurs et travailleuses. Est-ce vrai ?

Cela n’est pas vrai. Aucun de nos projets n’est financé par le régime. Maintenant, il y a, dans l’ensemble de la Syrie, d’ancienNEs employéEs de l’État qui vont s’adresser au régime en disant « Je suis en poste et je fais mon travail » et qui prennent leur salaire. Cela ne fait aucune différence qu’ils et elles fassent ou pas leur travail, ils et elles disent cela. C’est pareil dans les zones sous le contrôle de l’Armée Syrienne Libre, et c’est également comme cela dans des zones sous le contrôle d’autres pouvoirs. Les gens prenant un salaire du régime font cela dans toute la Syrie.

-Maintenant, quelle est la chose la plus bon marché et la plus chère dans le canton ?

Tout ce qui est produit dans le canton d’Efrin est bon marché. Parce que c’est une zone sûre, les loyers sont chers, cependant nous avons commencé des préparatifs de coopératives de construction et nous allons assurer le droit au logement pour tous et toutes.

- Vous avez expliqué que vous êtes en train d’instituer une « modernité démocratique » au coté de la « modernité capitaliste ». Y a-t-il des contradictions qui sont en train d’émerger ?


Afin de construire le système d’une nation démocratique, il y a besoin d’un peu de temps. Nous ne pouvons pas tout faire en un jour. Afin de créer ce système, nous avançons jour après jour. Nous travaillerons jusqu’à ce que nous y arrivions et nous agirons toujours par rapport à un compas moral. Nous protègerons les droits des pauvres et des sans pouvoir, des coopératives et des communautés contre le riche.

- Où sont les femmes dans ce système que vous avez décrit ?

Je peux confortablement répondre que les femmes sont le cœur de ce système. Il fonctionne avec un système de quota de 40% de femmes. Les femmes ont eu un rôle dans la sphère économique depuis le début. En fait les femmes ont eu un grand rôle dans tous les aspects du processus révolutionnaire et dans la construction de ce système.

- Y a-t-il quelque chose que vous aimeriez ajouter ?

Je peux dire ceci aux gens du Kurdistan du Nord (c’est-à-dire la partie du Kurdistan située en territoire turc – NDT). Le Rojava est un tube respiratoire pour le Nord. Et le Nord est un tube respiratoire pour le Rojava. Nous devons travailler ensemble de manière à construire ensemble en suivant ce principe et montrer ses développements. Nous devons faire des efforts ensemble afin de construire le système de la nation démocratique.

- De quoi avez-vous le plus besoin ? Avez-vous un appel pour le gouvernement turc ?


Nous avons besoin que le gouvernement turc ouvre la porte de la frontière.


1 Ces 3 cantons sont le long de la frontière avec la Turquie, qui les place sous blocus, et ils sont séparés entre eux par des zones contrôlées par les djihadistes du Front Al-Nosra ou de l’État Islamique ou par des unités de l’Armée Syrienne Libre.

2 Le régime syrien a favorisé, dans les années 60-70, l’installation de populations arabes afin de mettre en minorité les kurdes dans certaines parties du Kurdistan syrien. Cette politique de colonisation intérieure a pris le nom de “ceinture arabe”.

3 Le retour des kurdes vers le canton d’Efrin est loin de tenir uniquement à d’hypothétiques raisons matérielles, économiques ou politiques. La situation économique du canton d’Efrin est précaire et hormis quelques produits de base dont l’auto-production semble suffisante ou en passe de le devenir, tout le reste doit être importé au prix fort par des filières de contrebande. Cette situation a entraîné il y a peu un appel à la solidarité humanitaire internationale de la part de l’administration du canton, particulièrement en ce qui concerne la situation médicale qui est apparemment très dégradée faute de médicaments et de matériels en quantité suffisante. La situation économique, matérielle des populations du canton d’Efrin n’apparaît pas meilleure que celle des quartiers kurdes de Damas et Alep.

La différence semble surtout concerner la situation sécuritaire des populations. À Damas, elles vivent sous la botte répressive du régime El Assad et dans des zones où des combats intermittents se produisent entre le régime et la rébellion syrienne et à Alep les combats n’ont pratiquement pas cessé soit entre la rébellion et le régime soit entre différentes factions de la rébellion (pour la plupart hostiles aux kurdes). Les kurdes y vivaient retranchéEs, au sens militaire du terme, dans leurs quartiers communautaires, subissant suivant les périodes soit les attaques des troupes du régime, soit celles de tel ou tel groupe rebelle, ou alliance fluctuante et réversible de groupes rebelles, plus ou moins islamistes. Plus que des raisons économiques, c’est cette situation qui semble avoir poussé de nombreux-ses kurdes à aller chercher refuge dans le canton d’Efrin, relativement épargné par les combats terrestres, à part ponctuellement sur sa bordure, et qui n’est pas bombardé par l’aviation du régime.

Cette absence de bombardements, cette situation de « ni paix ni guerre » entre le régime et les territoires kurdes constitue d’ailleurs une zone d’ombre. Le régime est parti des territoires kurdes plus qu’il n’en a été chassé et ce départ a fait l’objet de tractations occultes entre le régime et la direction du PYD. En se retirant des territoires kurdes en 2012, le régime a récupéré une force de frappe militaire qu’il a rapidement retourné contre la rébellion et il a créé, aux portes de la Turquie, un territoire autonome kurde, un véritable cauchemar pour le gouvernement turc qui veut la chute du régime mais est toujours confronté, en Turquie même, aux aspirations autonomistes de la partie kurde de sa propre population. Du coup, le gouvernement turc a poussé les factions islamistes présentes en Syrie (qu’il arme, finance et soutient logistiquement en sous-main) à attaquer militairement les territoires kurdes, ce qui a également contribué à soulager militairement le régime El Assad. Les kurdes y ont quant à eux et elles gagné des territoires autonomes, mais fréquemment attaqués militairement, où ils et elles peuvent mener leur expérience démocratique et aussi apparemment l’assurance que le régime ne les bombarderait pas.

En tout état de cause, et non sans raisons, le mouvement kurde a choisi de ne lier son sort qu’à lui-même et pas au régime ni à la rébellion, celle-ci n’a d’ailleurs jamais rien proposé politiquement aux populations kurdes discriminées en terme de reconnaissance sociale et culturelle et en terme d’autonomie politique régionale et les éléments islamistes qui gangrènent la rébellion ont rapidement attaqué unilatéralement les enclaves kurdes, confirmant ainsi les craintes kurdes quant au type de « libération » que la majeure partie de la rébellion leur réservait. NDT.

4 Le canton d’Efrin est en grande partie enclavé par le territoire turc et le gouvernement turc a placé sous blocus les cantons autonomes kurdes. La situation au sud du canton, la partie qui débouche sur le territoire syrien, semble assez mouvante. L’Armée Syrienne Libre (ASL) y est présente, et les relations de celle-ci avec le canton kurde sont parfois conflictuelles. Des forces djihadistes, comme le Front Al-Nosra, très hostiles aux populations kurdes, sont également de plus en plus présentes et elles semblent chercher à chasser progressivement les forces de l’ASL des abords du canton (qu’elles attaqueront tôt ou tard si elles en ont finalement la possibilité géographique). Les routes commerciales dont il est ici question doivent donc vraisemblablement être entendues plus comme d’onéreuses filières de contrebande, ou des échanges limités et de proximité avec les zones proches tenues par l’ASL, que comme de véritables routes commerciales libres et ouvertes. NDT.

5 Le PYD est le principal parti kurde en Syrie et un des principaux déclencheurs de la dite « révolution démocratique » au Kurdistan syrien. C’est un parti frère du PKK du Kurdistan de Turquie. Son fonctionnement semble assez vertical et autoritaire. Ses bases politiques sont socialisantes, laïques, antisexistes et promeuvent la coexistence démocratique et autonome des différentes communautés ethniques, culturelles et religieuses présentes au Kurdistan syrien. Il est très implanté dans l’administration des cantons et il contrôle la direction des YPG (mixtes) et des YPJ (composées uniquement de femmes), les unités militaires chargées de la défense des cantons.

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