Mexique : Barbare, vraiment ?
Seuls l’Irak et l’Afghanistan font pire : au Mexique, 105 journalistes sont morts assassinés depuis l’an 2000. À l’occasion d’une tournée en France, le reporter Sergio Ocampo dresse le portrait d’un pays ni vraiment en paix, ni très démocratique.
Trente‑six journalistes mexicains ont été tués depuis 2012, début du mandat du président Enrique Peña Nieto. Et sept depuis le début de l’année, dont Javier Valdez et Miroslava Breach, correspondants à Sinaloa et Chihuahua du quotidien de gauche La Jornada, dans lequel écrit Sergio Ocampo. CQFD l’a rencontré dans les locaux de Solidaires, à Marseille. Dans l’État méridional du Guerrero, où il vit et travaille, « treize de [s]es confrères ont été abattus ces dernières années ». Et l’impunité règne. « Si l’on en croit le gouvernement, la gâchette est toujours actionnée par des sicarios [1] des cartels de la drogue, dans les affaires desquels les victimes auraient imprudemment mis le nez. Ce serait donc presque de leur faute… En tout cas, aucun de ces meurtres n’a été élucidé. »
Enquête à la ramasse
Sergio Ocampo a été témoin de « la nuit d’Iguala », quand 43 élèves de l’école normale d’Ayotzinapa ont disparu entre le 26 et le 27 septembre 2014. Ce soir‑là, prévenu, il a accouru sur les lieux, alors que cinq cadavres jonchaient encore l’asphalte et que l’escamotage des étudiants était en cours. « À peine arrivés sur place, mes collègues et moi avons essuyé une rafale d’arme automatique. C’était en pleine conférence de presse des rescapés, sur le bord d’un trottoir. » Trois ans ont passé et la « vérité historique » proclamée par le procureur de la République n’a jamais convaincu personne. Selon cette version officielle, des policiers municipaux corrompus auraient livré les jeunes activistes à des hommes de main du cartel Guerreros Unidos, qui les auraient ensuite exécutés, puis incinérés dans la décharge publique de Cocula.
Depuis, les familles des disparus et la Cour inter-américaine des droits humains réclament des éclaircissements. « Pourquoi les militaires présents sur place ne sont intervenus que pour menacer les survivants qui fuyaient les meurtriers ? Comment a pu disparaître le fameux “ autobus n°5 ”, que des investigateurs indépendants soupçonnent d’avoir servi à transporter une cargaison d’héroïne à destination de Chicago, et que les normaliens d’Ayotzinapa aurait malencontreusement tenté de détourner pour aller à Mexico participer à la commémoration du massacre des étudiants d’octobre 1968 ? Pourquoi les enquêteurs n’ont‑ils pas fait “ parler ” les téléphones portables de certains disparus, dont plusieurs signaux auraient été détectés dans ou à proximité de la caserne d’Iguala ? Pourquoi le chef des armées refuse‑t-il de laisser témoigner les gradés en poste ce soir-là ? » Peut‑être parce que l’imbrication des cartels et des autorités, qui fait dire à certains Mexicains qu’on a aujourd’hui affaire à un narco‑État, est‑elle plus grave que ce qu’on croit. Peut-être que ce juteux négoce illégal étend ses tentacules bien au‑delà des administrations municipales – échelon largement infiltré par le crime organisé et pointé du doigt par l’enquête officielle.
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