Apparemment ce serait une fausse rumeur lancée par les services secrets français (j'ignore pour quelle raison).kuhing a écrit:J'ai lu ce matin que Ben Ali aurait fui en Arabie Saoudite avec 1,5 tonne d'or .
Bonjour les valises.
Apparemment ce serait une fausse rumeur lancée par les services secrets français (j'ignore pour quelle raison).kuhing a écrit:J'ai lu ce matin que Ben Ali aurait fui en Arabie Saoudite avec 1,5 tonne d'or .
Bonjour les valises.
Vivre, mourir et faire la révolution à Sidi-Bouzid
Chers lecteurs, la semaine dernière était une semaine particulière : le peuple tunisien désarmé, ne comptant que sur ses propres forces, confronté à la sauvagerie d’une répression aveugle, a su mettre un terme à une dictature. Sans se laisser berné par des discours lénifiants, montrant ses capacités d’auto-organisation, en faisant fi des menaces et des provocations policières, en organisant sur le terrain social les solidarités élémentaires et en inventant au jour le jour ses modalités de réactions et d’organisation à la base, il nous a montré la voie à suivre : sans le savoir, il a adopté les modes d’organisation libertaires, ceux-là mêmes mis en avant par les valeureux camarades anarchistes de 1936 en Espagne. Aujourd’hui, le plus dur reste à faire. Pour un très court instant, en dépit de mes convictions internationalistes et anarchistes, permettez moi d’être fier d’être Tunisien.
Depuis la mi-décembre, après qu’à Sidi-Bouzid un jeune marchand de fruits et légumes à la sauvette s’est immolé par le feu en signe de protestation contre les humiliations subies, un vaste mouvement spontané de protestation et de contestation s’est propagé à toute la Tunisie. D’ordinaire relégué aux pages voyages et vacances des news magazines, ce pays s’est subitement retrouvé sous les feux de l’actualité politique et sociale. On a pu découvrir alors la face cachée d’un pays dirigé d’une main de fer depuis vingt-trois ans par Ben Ali, qui a instauré un régime policier avec la bénédiction de la France et des États-Unis, qui n’ont jusqu’alors pas tari d’éloges sur ce bon élève du FMI. Loin des plages où se pressent les salariés européens en mal de soleil et d’exotisme de proximité, c’est la Tunisie de l’intérieur, celle des zones oubliées du développement qui s’est rappelée au bon souvenir de dirigeants véreux. Les taux de chômage réels y dépassent 25 % chez les jeunes, dont de nombreux diplômés, qui n’ont pour seule issue que l’émigration sauvage, au péril de leur vie, ou les petits trafics les mettant à la merci de la police et des autorités locales, comme ce fut le cas pour ce marchand de Sidi-Bouzid, poussé au désespoir par la hargne des flics à son encontre et la surdité des potentats locaux à ses doléances. Comme en 2008 dans le bassin minier de Gafsa, où la population s’était soulevée contre le chômage et l’opacité des procédures d’embauche, qui favorisait la corruption et le piston, c’est contre la clique maffieuse au pouvoir que les gens se sont retrouvés. Clique maffieuse où différents clans proches du pouvoir se partagent les richesses du pays, détournant à leur profits et avec rapacité les activités économiques les plus rentables, selon l’adage « ce qui est à toi est à moi 1 ». C’est ce qu’ont pu lire les tunisiens qui se sont connectés sur Wikileaks 2, qui révèle les câbles des diplomates américains en poste en Tunisie, exposant crûment l’état de pourrissement avancé du régime. Mais cette fois, contrairement à ce qui s’était passé en 2008, la contestation s’est étendue comme une traînée de poudre à tout le pays, fédérant un ras-le-bol généralisé : ras-le-bol de la précarité, ras-le-bol de l’appauvrissement, ras-le-bol de l’étouffoir et de l’absence de liberté. Malgré la mainmise du gouvernement sur des médias aux ordres 3, rivalisant d’obséquiosité à l’égard du régime, et malgré le verrouillage d’internet, l’information a pu circuler et a permis de déclencher un mouvement qui a surpris par son ampleur les supplétifs d’un régime honni par l’écrasante majorité des Tunisiens. Régime qui s’accroche au pouvoir au fallacieux prétexte de barrage contre l’hydre islamiste, et à qui les États du nord de la Méditerranée ont sous-traité la surveillance des frontières du sud et les activités industrielles avides de main d’œuvre à bas prix, comme le textile et les centres d’appels téléphoniques. Ainsi, la belle image d’un pays moderne, au taux de croissance enviable, à la stabilité politique légendaire, attirant les investisseurs étrangers et les touristes à devises fortes s’est trouvée mise à mal par la triste réalité. Ce pays qu’on qualifiait il y a peu de petit dragon africain, en référence aux dragons asiatiques, ce bon élève des institutions monétaires internationales, qui n’en finissent pas de vanter ce « modèle de développement et de démocratie sensible aux droits des femmes » (héritage de Bourguiba, « héros » de la lutte pour l’indépendance et premier président de la Tunisie) ; ce pays se retrouve aujourd’hui pour ce qu’il est et a toujours été, un État autoritaire où règnent inégalité, corruption et misère. Un mot d’ordre qui revient dans les manifestations est « désormais, nous n’avons plus peur ». Malgré le déchaînement de la répression (des dizaines de morts par balles, notamment à Kasserine où des snipers postés sur les toits ont semé la terreur les 8 et 9 janvier derniers, des centaines de blessés, des arrestations et des tortures), ce mouvement a permis la libération d’une parole, et l’émergence d’un sursaut populaire qui rendra un peu de leur fierté aux Tunisiens et Tunisiennes trop longtemps humiliés. Dans les cortèges, dans les réunions, se retrouvent entre autres des militants et militantes de base de l’union générale tunisienne des travailleurs (UGTT), qui ont entraîné la direction de ce syndicat à se démarquer puis à s’opposer au pouvoir, avec le lancement d’un mot d’ordre de grève générale. Alors que les premiers slogans se concentraient sur la dénonciation du chômage et l’absence de libertés, c’est maintenant des slogans hostiles à Ben Ali et à sa clique qui prennent le dessus, et qui réclament le départ du dictateur. Tous les témoignages rapportent la maturité des manifestants : dans les quartiers populaires de Tunis et de sa banlieue, gagnés par l’insurrection, les gens s’organisent pour maintenir le minimum des conditions de vie, contre le chaos voulu par la police et les provocateurs du parti présidentiel qui utilisent toutes les ficelles des régimes policiers (fausses rumeurs, casseurs infiltrés, manipulation de l’information, etc.) ; des collectes sont organisées par les jeunes, que le pouvoir qualifie de voyous, pour venir en aide aux familles des victimes de la répression. Spontanément, les Tunisiens créent les bases d’une société solidaire : les multiples réunions spontanées, indépendantes des partis, montrent le bouillonnement révolutionnaire d’une société trop longtemps maintenue sous le boisseau. Les reculades du régime, les limogeages de ministres et des éminences grises du président, obtenus sous la pression de la rue, ne font pas faiblir la mobilisation. Au lendemain du discours présidentiel télévisé du 13 janvier, annonçant la fin des tirs de la police contre les manifestants et quelques ouvertures (non représentation en 2014 de Ben Ali aux prochaines élections présidentielles, levée de la censure de la presse et d’internet), la mobilisation ne faiblit pas, et des manifestations se déroule partout en Tunisie. Le sang coule encore, malgré les promesses. Ce n’est pas le libre accès à Facebook où à You Tube qui arrêtera les émeutiers. La dictature vacille, elle a un genou en terre : à l’issue d’une folle journée, Ben Ali abandonne le pouvoir, une partie du clan Trabelsi, la belle famille du président déchu, est arrêtée. Pour la première fois dans l’histoire moderne, un dictateur arabe est renversé par la population : tremblez Moubarak, Kadhafi, et autres Assad !
Ce qui ce passe met en exergue ce que je crois être le fondement même de l’anarchisme, et que des hommes comme Orwell et d’autres ont su théoriser : un peuple uni, intransigeant sur les modalités de sa pratique, peut s’approprier, sans le savoir, et de manière spontanée, les pratiques libertaires telles que celles de nos valeureux précurseurs de 36 en Espagne, simplement parce qu’elles sont ce que Orwell, témoin des événements de 1937 à Barcelone, appelait la morale commune (common decency) : morale et humanisme, spontanément associés à ses pratiques, au sens simple d’une intransigeance morale qui entraînait un comportement politique de relation à autrui dénué de rapport de pouvoir, mais pourvu de liens d’affection morale et politique : c’est utopique mais c’est essentiel, à mon sens pour l’évolution morale d’une révolution ; rien ne nous permet de dire aujourd’hui que c’est la voie suivie en Tunisie, mais les événements relatés par les témoins, nous poussent à y croire. Le plus dur reste à faire. À nous anarchistes de pousser à la roue…
Mohamed, groupe Pierre-Besnard de la Fédération anarchiste
1. N. Beau & C. Graciet, La Régente de Carthage, La Découverte, 2009.
2. En version française sur ce site (rechercher Wikileaks, Tunisie) : www.maghrebemergent.com
3. Sur l’état de la presse en Tunisie, lire http://fr.rsf.org/tunisie.html
Tunisie : la révolution n'est pas finie
Après un mois d'insurrection populaire, le tyran est tombé. Ben Ali et sa clique ont pris le chemin de l'exil. C'est une immense victoire pour le peuple tunisien qui ne peut que réjouir toute personne éprise de liberté. C'est aussi un exemple et un grand espoir pour les peuples de la région qui vivent dans des régimes policiers.
Mais la révolution n'est pas finie : le Rassemblement Constitutionnel Démocratique (RCD) détient toujours le pouvoir avec 161 sièges sur 214 au parlement, et le président par interim Foued Mebazaa et le premier ministre Mohamed Ghannouchi sont des piliers de la dictature. Plus qu'un réel changement, les premières mesures prises dans l'urgence montrent surtout la volonté du pouvoir de calmer la rue. Il y aura des élections dans soixante jours, mais selon les règles de l'actuelle constitution... taillée sur mesure pour le RCD. Les consultations pour la constitution d'un gouvernement d'union nationale ont commencé, mais c'est le RCD qui sélectionne les partis qui lui conviennent. Le but de la manoeuvre est clair : il s'agit de confisquer à la rue sa victoire en canalisant la révolte vers le terrain politicien. Le risque est grand que le parti au pouvoir co-opte une opposition servile et instaure une démocratie de façade une fois le souffle de la révolte retombé. On ne peut pas non plus écarter l'éventualité d'un nouveau dictateur ayant, comme Ben Ali, l'aval de l'Élysée et de la Maison Blanche.
Les Tunisiennes et les Tunisiens sont conscient-e-s des écueils qui mettent en danger la liberté qu'ils viennent d'arracher au prix de dizaines de morts. Partout dans le pays, ils s'auto-organisent en comités d'auto-défense pour lutter contre les milices du clan Ben Ali-Trabelsi qui continuent de sévir. Ils ne sont pas dupes des manœuvres visant à maintenir le RCD au pouvoir. Bravant l'état d'urgence toujours en vigueur, le 16 janvier des manifestant-e-s sont à nouveau descendu-e-s dans la rue pour exiger un vrai changement, en criant : « Nous ne nous sommes pas révoltés pour la formation d'un gouvernement d'union avec une opposition de carton-pâte. »
La révolution n'est pas finie, car aucun des problèmes de fond n'est réglé : pauvreté, chômage de masse, corruption, clientélisme, inégalités, etc… Au-delà de l'instauration d'un régime démocratique, la question sociale reste au centre des préoccupations des Tunisien-ne-s. Les maux que connaît le pays ne pourront être réglés que par une politique énergique de redistribution des richesses en rupture avec la dictature des marchés.
Nos organisations affirment leur entière solidarité avec la lutte du peuple tunisien pour la liberté et la justice sociale et son soutien aux militants anticapitalistes tunisiens ; elles condamnent l'attitude des États occidentaux et plus généralement de leur classe politique, de droite comme social-démocrate, investie depuis toujours dans le soutien au pouvoir autoritaire de Ben Ali.
19 janvier 2011
Signataires :
Alternative Libertaire (France), http://www.alternativelibertaire.org/
Federazione dei Comunisti Anarchici (Italie), http://www.fdca.it/
Organisation Socialiste Libertaire (Suisse), http://www.rebellion.ch/
Union Communiste Libertaire (Québec, Canada),
Libertäre Aktion Winterthur (Suisse), http://libertaere-aktion.ch/
Zabalaza Anarchist Communist Front (Afrique du Sud), http://www.zabalaza.net/
Libertære Socialister (Danmark), http://libsoc.dk/
North-Eastern Federation of Anarchist Communists (États-Unis), http://nefac.net/
TUNISIE : Le mouvement tunisien est politique et social
publié par Yves, le vendredi 28 janvier 2011
http://www.magmaweb.fr/spip/spip.ph...
Entretien à deux voix de camarades militants tunisiens.
Propos recueillis le 26 janvier 2011 par le Collectif Lieux Communs.
Le monde entier vient d’assister au premier renversement, qu’on ne croyait plus possible, d’un régime arabe caricaturalement autocratique et corrompu. Malgré le mécontentement latent et des soulèvements ponctuels de ces dernières années, l’insurrection a surpris tout le monde, y compris les gens les plus au contact des réalités sociales. Pourquoi ? Et comment qualifieriez-vous ces événements ?
L’insurrection a été imprévue par tout le monde, pratiquement, même si elle n’est pas une surprise pour beaucoup, dont nous.
Pour caractériser exactement ce qui s’est passé, nous disons qu’il s’agit d’un soulèvement populaire : ce n’est pas une révolution dans le sens traditionnel c’est -à-dire strict et plein du terme. Ce qui s’est passé est comparable aux intifadas, aux soulèvements, aux révoltes qui se sont déroulées dans les territoires occupés dans les années 90 du siècle passé. C’est donc un mouvement populaire qui vise la démocratie, les libertés fondamentales et la satisfaction de revendications sociales : les dimensions politiques et sociales sont imbriquées, enchevêtrées.
On peut dire que la situation était mûre pour ce soubresaut, ce soulèvement, surtout depuis les événements de la région des mines de phosphate en 2008, autour de Gafsa. Les ingrédients étaient donc déjà en place et le jeune de Sidi Bouzid qui s’est immolé le 17 décembre, c’est l’étincelle qui a mis le feu à l’ensemble de la situation. Nous pensons que c’est ainsi qu’on doit caractériser ce qui s’est passé. Ce n’est donc pas une révolution dans le sens d’un mouvement politique qui permet à une force sociale particulière, une classe sociale à une ou plusieurs formations politique de prendre le pouvoir. Ça c’est une interprétation qu’il faut éviter absolument et qui délimite bien le cadre général de l’analyse.
Ce soulèvement était essentiellement dirigé contre une dictature personnifiée et constituait une mobilisation essentiellement anti-autoritaire. La fuite de Ben Ali le 14 janvier ne règle évidemment pas tous les problèmes de la société tunisienne : Pensez-vous que la situation pourrait déboucher sur une révolution telle que vous la définissez ?
Ce sont les gauchistes qui pensent comme ça... Ils disent qu’il faut insister, qu’on doit continuer la mouvement jusqu’à la victoire finale – avec des accents qui rappellent celle des bolcheviques... Et c’est ce qu’ils sont en train de faire maintenant. Mais ce n’est pas une révolution : c’est un soulèvement populaire qui a débouché sur des acquis : l’éviction du grand dictateur et de sa famille, la découverte du niveau de corruption qui a caractérisé le pouvoir tunisien, des luttes au sein des entreprises pour évincer les responsables corrompus. Il y a donc un mouvement général de conquête de liberté qui ne se limite pas à la liberté de former des partis, la liberté de la presse, etc. mais qui s’étend jusqu’à la liberté même au sein des entreprises, des administrations, etc. Tout le monde maintenant s’est libéré de ce blocage qui a été imposé par la dictature et a été entretenu depuis maintenant 54 ans - parce qu’il ne s’agit pas que de l’ère Ben Ali, c’est-à-dire le parti unique aux commandes, l’Etat-parti qui surplombe tout, etc... Le propre du régime de Ben Ali, ses caractéristiques singulières, c’est que la corruption y avait dépassé les limites de l’imaginable.
Surtout, il ne faut pas commettre l’erreur que les gens ici commentent facilement. Il ne faut jamais, à notre sens, dresser une muraille de Chine entre le régime de Ben Ali issu du coup d’Etat du 7 novembre 1987 et le régime issu de l’indépendance politique de la Tunisie en 1956. Il n’y a pas vraiment de rupture : il y a une continuité. En bref, le régime du parti unique instauré par l’élite destourienne dont le symbole politique était le président Bourghuiba a fait le lit, s’est prolongé à travers un régime policier. C’est-à-dire plus clairement, ça a consisté en la consolidation et le renforcement du dispositif et des appareils de répression. Donc entre les deux régimes, avant et après le 7 novembre 1987, il y a une continuité. Le mouvement populaire actuel vise à détruire les handicaps qui peuvent se formuler comme, en gros, un silence politique imposé par le régime destourien depuis 1956, jusqu’au 14 janvier 2011. A notre sens, c’est la méthodologie à suivre pour comprendre ce qui vient de se passer.
Le régime est tombé mais depuis longtemps, c’est tout l’appareil étatique, politique et administratif qui a été infesté par les cadres du RCD, qui sont toujours en place, sans parler des nombreuses entreprises qui appartenaient directement au clan Ben Ali. Que se passe-t-il aujourd’hui dans ces lieux particulièrement ?
D’abord il faut savoir que les avoirs, les biens de la famille, du clan Ben Ali représentent 40 % du PIB de la Tunisie et 60% du budget national. En l’espace d’une dizaine d’années, ils ont tout accaparé, toutes les branches essentielles et lucratives de l’économie tunisienne : Aéroport, grandes entreprise, GSM, téléphonie, bâtiment, etc. Avant les employés avaient peur, d’autant plus qu’elles étaient la propriété du sommet de l’Etat : Il y avait donc une peur accentuée, redoublée par rapport à celle du reste de la population. Après la chute de Ben Ali et de sa famille, ces entreprises ont été mises sous la tutelle juridique, et à l’intérieur on assiste à des luttes, des mouvements de contestation, actuellement.
Justement, la peur et la dépression qui dominent actuellement le monde entier ont été spectaculairement vaincues un peu partout en Tunisie. La parole se libère aujourd’hui, comme cela est arrivé en France pour la dernière fois en Mai 68 : Que se dit-il ? Quelles sont aujourd’hui les aspirations actuelles du peuple tunisien ? Comment les gens envisagent-ils l’avenir ?
Tout dépend de la période. Au début, dans les deux ou trois jours après la chute, il était surtout question de la corruption, et des partis politiques et des individus qui allaient prendre en charge la situation, prendre le pouvoir. Maintenant, les gens s’interrogent sur la poursuite du mouvement. Des gens disent : puisque le gouvernement est toujours en place, quatre ministres font partie de l’ancien régime, il faut que les manifestations continuent, jusqu’à leur départ. D’autres pensent que derrière ce mouvement il y a des partis qui sont en train d’usurper le mouvement pour leurs intérêts propres et ils se questionnent à propos du nombre étrangement important de formations politiques, se demandent quand est-ce qu’ils se sont constitués, etc. D’ailleurs pour eux c’est une découverte : c’est la première fois qu’ils entendent parler d’organisations politiques. Il s’est alors avéré que la population ne connaissait pas ces formations politiques, ni aucune, d’ailleurs : pour eux c’était les deux ou trois qui étaient au pouvoir, point. Par exemple, certains veulent que la vie normale reprenne, que rouvrent les lycées, les écoles primaires, ils craignent l’avenir. Il y a en a qui craignent que l’armée prenne les choses en main si le mouvement se poursuit.
De toute façon, quelles que soient les divergences, les gens sont d’accord sur une chose : on a chassé un dictateur, une famille corrompue, un régime totalitaire, c’est le mouvement de s’exprimer et il ne faut plus avoir peur. Et c’est le plus important. Les petites divergences sur l’appréciation de la situation actuelle, ça peut se comprendre. Mais de toute façon, tout le monde est d’accord : fini la peur, fini la répression, fini le parti unique, le reste est secondaire.
Dès les premiers jours après la fuite du dictateur, le pouvoir en place - qui n’a guère changé - a joué la carte de la peur. Il y a des couches de la petite bourgeoisie ou en général des classes moyennes qui veulent avec insistance qu’on revienne à la normale : Il faut que l’appareil productif reprenne ses activités, que nos enfants retournent à leurs classe, etc. et que donc tout ça doit finir le plus tôt possible. De l’autre côté, il y a ce qui se passe : les marches, les manifestations, les revendications, qui sont quotidiennes.
Il y a donc deux composantes : le mouvement populaire spontané qui veut faire valoir ses droits et se revendications. De l’autre côté, il y a les formations politiques petites bourgeoises qui veulent confisquer et récupérer le mouvement, pour servir leurs intérêts privés et on pourrait dire sectaires – car c’est vraiment un comportement sectaire.
Avant d’aborder les petites manoeuvres politiques, quelques questions sur le processus insurrectionnel. Vous connaissez la France et l’émiettement social qui la ravage : il y a en Tunisie comme dans tous les pays qui n’ont pas été complètement ravagés par le repli sur soi, l’égoïsme et l’indifférence, une vie sociale dense et un peuple vivant et réactif digne de ce nom : en quoi cela a joué dans le mouvement ? Quels sont les réflexes populaires maintenus qui ont aidé à l’insurrection ?
Bien sur ça a joué. Ces relations ont joué dans les petites villes et les villages, parce plus la ville est grande, moins il y a de relations, plus elles sont lâches. Dans les patelins, les gens se connaissent, tous. C’est la même chose en France, dans les milieux ruraux. C’est donc toute une conception de l’urbanisme qui est à méditer et à revoir, tout un aménagement du territoire. C’est un sujet énorme mais capital dans le projet d’une société authentiquement démocratique. C’est donc les rapports de voisinage, les liens familiaux, les connaissances qui ont joué, il n’y a pas de spécificité culturelle qui ferait qu’on serait héréditairement conçu pour faire des révolutions... D’ailleurs, on disait que les Tunisiens étaient un peuple de peureux : il s’est avéré que c’était absolument faux. Ils ont affronté une répression avec une courage exemplaire.
L’absence totale de leaders lors de l’insurrection puis la mise en place de comités de quartiers et la grande défiance de la population vis-à-vis des bureaucraties politiques ne rendent-elles pas la situation favorable à la propagation de vos idées et pratiques de démocratie directe ?
Ce qui est paradoxal c’est que les staliniens d’ici appellent les gens, dans leurs tracts, à se constituer en conseils populaires : c’est complètement en contradiction avec leurs discours et leur idéologie. Ce sont des loups : ils peuvent aider à ce que se constitue de tels comités, mais pour se les accaparer ensuite à leur profit : on l’a déjà vu dans l’histoire... Mais de toute façon, ils n’ont pas la possibilité de la faire, ni la clairvoyance nécessaire. En tout cas, d’ici un mois, les choses vont se clarifier : l’idée centrale qui émane de la population, c’est que ce soulèvement est le nôtre et on ne veut pas qu’il soit récupéré par les partis. Déjà c’est un acquis important. Quant à la récupération, tout le monde est contre, qu’elle vienne du pouvoir ou des opposants. Pour nous, ces positions vont dans le sens d’une démocratie directe, en tous cas, ce sont les prémisses. Nous allons continuer à oeuvrer en ce sens en tous cas.
Justement quelles perspectives vous donnez-vous aujourd’hui ? Le soulèvement commencé à la mi-décembre ouvre effectivement une période d’incertitude, et d’opportunités : où en sont la population d’un côté et les bureaucraties politiques de l’autre ? Pensez-vous que l’insurrection est finie ou n’est-elle qu’un commencement ?
Il y a plusieurs manières de voir les choses, c’est une question de jugement politique. Pour nous, nous assistons pratiquement à la fin du mouvement, du moins sur le plan général, national – c’est différent dans les régions. Il y a donc deux façons de voir les choses. Il y a d’abord celle des gauchistes, les nationalistes arabes et tous les prétendus opposants - il y a aujourd’hui 26 formations politiques ! Pour eux, il faut continuer le mouvement jusqu’à la fin pour s’accaparer le pouvoir. Pour nous, c’est du grand n’importe quoi. Ce qu’on peut faire maintenant, c’est continuer la révolution mais pas sous les formes de manifestations, d’émeutes, etc, mais sous la forme de luttes partout où c’est possible, dans les entreprises, dans les administrations, etc. Donc, en fin de compte, ce qu’elle a donné cette « révolution », c’est que les gens n’ont plus peur de s’exprimer, et non pas seulement dans les journaux, sur internet, mais surtout sur les lieux de travail, là où ils sont. Il n’y a plus de peur. Donc sur ce plan-là, on a dépassé un stade, on a fait un saut qualitatif sur le plan politique. Mais il ne faut pas avoir l’illusion que le mouvement va continuer dans le sens d’une révolution sociale avec prise de pouvoir : c’est de l’aventurisme, de l’infantilisme et c’est ce qui est en train de se passer maintenant, sous la pression des mouvements staliniens, nationalistes arabes, baasistes, etc. parce pour eux c’est une occasion qui ne va pas se représenter dans l’avenir, donc ils profitent de l’occasion pour pousser les jeunes, tenter de mobiliser les masses, et les instrumentaliser à cette fin. Mais nous pensons que cela va déboucher sur des résultats contraires à leurs intentions...
Comme en France les « responsables politiques » ne visent qu’à faire partie de l’oligarchie , des dominants, qui n’agissent plus que pour leurs propres intérêts. Pensez-vous que le soulèvement puisse donner naissance à des structures populaires autonomes avant que les cliques politiciennes ne confisquent les affaires du peuple ?
La récupération a déjà commencé. Nous assistons à une récupération opérée non seulement par les forces traditionnelles mais aussi par les formations de l’opposition - plus exactement ils veulent carrément avoir leur part du gâteau, du butin. C’est ce processus-là qui se déroule actuellement sous nos yeux. En ce qui concerne la conquête de la liberté, c’est le seul acquis véritable, dans la mesure où tout le monde s’exprime librement, sans rien craindre, de telle sorte que la principale artère de Tunis, l’avenue Bourguiba, est devenue un énorme espace de discussion : on y voit partout des gens qui discutent, qui débattent ou qui manifestent... Il y a des manifestations tous les deux-trois heures, maintenant. C’est donc un mouvement démocratique, dans la mesure où même la satisfaction des revendications sociales fait partie des droits démocratiques. Il y a donc des manifestations devant les administrations, les sociétés, les sièges de compagnie, il y a des pétitions, des occupations de locaux, des lieux de travail, pour exiger la satisfaction de revendications qui datent d’une vingtaines d’années. C’est un peu comparable à des grèves sauvages, c’est en tout cas les prémisses de grèves sauvages.
D’autre part, un autre acquis, c’est la constitution de comités de quartiers. Ces structures-là sont totalement spontanées. Devant tout le monde et officiellement, elles ont été constituées pour épauler les forces de l’ordre, pour le maintien de l’ordre : cela c’est la terminologie officielle. En fait, dans la pratique, ces comités ont permis aux gens de décompresser, de se défouler, de discuter, toutes les nuits et ont ainsi, de fait, bravé le couvre-feu gouvernemental. Et puis cela confirme la tendance générale qu’on peut résumer ainsi : dès que les masses commencent à prendre leur destinées en main, à réfléchir, elles constituent des structures, des comités, des conseils, des soviets - qu’importent les dénominations - des chouras comme en Iran. Et ça s’est passé partout : lors des grèves en 1946 an Caire, en Iran en 1978 et actuellement en Tunisie. Ce qui constitue un pas supplémentaire vers le pouvoir populaire et les soviets. Il faut absolument souligner cette dimension-là.
Précisément, cette formation de groupe de défense dans les quartiers contre les pillards et les milices de Ben Ali n’ont qu’une fonction d’auto-défense aujourd’hui. Pourraient-il vraiment constituer les germes d’une démocratie directe face aux pouvoirs oligarchiques qui ne manqueront pas de sortir des prochaines élections ? Quel peut être leur avenir si la sécurité se rétabli ?
En fait, les comités de quartier sont finis, pratiquement. Les militaires nous ont dit : Regagnez vos maison, on a plus besoin de vous, vous avez joué un rôle pendant une période, finito... Mais on a noué des relatiosn avec les voisins. Avant les gens ne se disaient même plus bonjour. Ils font connaissance, maintenant, ils discutent, se connaissent : il y a un mouvement d’entraide, de soutien mutuel, qui n’existait pas avant. On a même nourri les soldats lors de la fraternisation, avec les couscous, la chorba, etc.
Il n’y a donc plus d’auto-organisation populaire parallèlement à la rupture profonde entre le peuple et les bureaucraties politiques tunisiennes. Ne craignez-vous pas que, comme en France, cela se transforme finalement en un refus viscéral de toute organisation, voire de tout discours un peu général ?
Non. Les gens ne sont pas contre le principe de l’organisation : ils s’organisent tout seuls, eux-mêmes. Ils disent : qui sont ces gens-là qui viennent nous parler à la télévision, nous donner des leçons, nous parler de révolution ? Tout le monde ici est devenu révolutionnaire : on n’a pas besoin de révolutionnaires professionnels. C’est vraiment ça. Quand les gens disent : on ne veut pas de parti, qu’est-ce que c’est que tous ces partis et ces gens nouveaux tous les jours qui viennent nous parler avec leurs lunettes à la télévision pour confisquer notre révolution ? Les gens sont contre tous ces partis et c’est un acquis ! Les gens veulent contrôler eux-mêmes leur avenir.
Il y a eu cette fraternisation, ces discussions, qui sont l’essence même du processus insurrectionnel, mais les divisions au sein de la société tunisienne sont très importantes : entre classes sociales, entre hommes et femmes, entre régions pauvres et les autres, entre quartiers populaires ou bourgeois, entre milieux urbains ou rural...
Bien sûr. Par exemple, pour reprendre les questions brûlantes, il y a toujours ces régions de l’intérieur du pays qui se sentent toujours un peu délaissées par rapport aux régions côtières et c’est normal car la bourgeoisie ne veut pas investir dans ces régions peu rentables en termes de profit. Il y a donc de forts déséquilibres régionaux. La réponse des gauchistes est qu’il faut investir, créer des entreprises, développer les régions : c’est une réponse essentiellement productiviste. L’UGTT (Union Générale des Travailleurs Tunisiens) prépare un programme dont l’unique objectif est de générer une croissance économique. Ce serait la solution, pour eux. Comme au temps de la collectivisation, l’UGTT se considère comme un parti qui collabore à la gestion du pays. Notre conception est tout à fait différente : il faudrait revoir les choix technologiques, agricoles, sociaux, etc. Il faudrait un système basé sur l’entraide : ce n’est pas parce qu’une région produit beaucoup qu’elle doit tout s’accaparer. Il faut redistribuer pour que tout le monde profite des richesses nationales. On demande donc une distribution équitable entre individus mais aussi entre régions. Par exemple Sidi Bouzid, la ville d’où tout est parti, produit 17% des fruits et légumes de Tunisie et pourtant même les gens de là-bas n’en profitent pas.
Alors il y a ces injustices énormes qui demeurent et en même temps un mouvement profond qui traverse toute la société et tout le pays. Quelles sont les revendications qui sont avancées précisément, dans toutes ces luttes ?
Les revendications sont multiples. Il y a en Tunisie beaucoup d’ouvriers qui n’ont pas de statut, des journaliers, mal payés. Et c’est ainsi dans la plupart des branches, les PME font beaucoup de sous-traitance pour les grandes entreprises européennes. Donc les conditions de travail sont vraiment lamentables. On a par exemple cette loi d’avril 1972, instauré par Hedi N. l’ancien premier ministre de l’époque, qui permet aux entreprises étrangères d’ouvrir des boîtes ici avec exemption d’impôts pendant 5 ans avec une production destinée à l’exportation. Elles bénéficient pratiquement de la protection de l’Etat, de la gratuité des infrastructures de base, par exemple, sous couvert de lutte contre le chômage - et il n’y a bien entendu ni syndicats ni rien du tout malgré des salaires de misère.
Et il y a d’autre part des revendications d’ordre plus politique. Dans les entreprises, les administrations, il y a la corruption, le piston, le favoritisme : il y a tout un mouvement aujourd’hui contre toutes ces pratiques, cette mentalité. Il y a même les policiers qui se sont mobilisées pour de meilleures conditions de travail, par exemple, mais il y a surtout les travailleurs dans les aéroports, les salariés municipaux, les infirmiers, les ouvriers de la voirie, etc. Pour les médecins, par exemple, un secteur que je connais, il y a une pétition qui a circulé pour dire que, dorénavant, les soignants et les internes n’acceptaient plus d’être malmenés par les grands chefs de service : ils veulent la fin du mandarinat. Il y a donc des revendications d’ordre purement économique, mais aussi une dimension plus politique, qui réclame la démocratie dans tous les établissements. Et c’est le plus important : si on veut profiter des acquis de ce soulèvement, il faut continuer dans ce sens-là, travailler à ça.
Oui, mais parallèlement, il y a un processus électoral en cours pour établir un gouvernement élu. Que peut-il en sortir ? Verra-t-on émerger autre chose qu’un petit jeu d’oligarques obsédés par le pouvoir comme le connaissent tous les pays où règnent une oligarchie libérale appelée « démocratie représentative » ?
Il y a bien sur cette autre voie, qui a été choisie par d’autres : continuer les manifestations, pousser le système à bout, parce qu’ils pensent qu’ils ont les forces suffisantes pour faire tomber ce gouvernement-là. Bien sûr, ils peuvent avoir raison. Ils sont encadrés par l’UGTT et cet organisme-là a une spécificité en Tunisie : il a toujours eu un rôle politique primordial dans le pays : par exemple l’expérience de collectivisation des années 60 en Tunisie. Le programme collectiviste, c’était le projet de l’UGTT. Elle a soutenu par la suite, à partir des années 70 la montée du capitalisme sauvage, ce qu’on appelle la « démocratie libérale ». Donc l’UGTT a toujours été un appui pour le gouvernement. Comme le soulèvement a largement dépassé tous les cadres des partis, syndicats, etc. depuis sa naissance, l’UGTT fait maintenant semblant de l’épouser, elle prend le train en marche et récupère toutes les organisations politiques d’opposition. Par exemple, tous les partis d’opposition se réunissent aujourd’hui au siège de l’UGTT. Elle a évidemment présenté trois ministres pour le prochain gouvernement, et puis s’est retirée. Pourquoi ? Parce que tous les formations politiques, gauchistes, nationalistes arabes, etc. essentiellement petites-bourgeoises, s’étant mises sous le patronage de l’UGTT, celle-ci est devenue la force politique principale du pays. Donc elle n’est plus simplement un syndicat, mais elle est pratiquement devenue un gouvernement dans le gouvernement. Ce front commun est en train de faire des tractations pour aboutir à un gouvernement où tous ces mouvements-là, donc les 25, seraient présents - et ça c’est impossible. On va donc au-devant de grands affrontements politiciens pour les places au pouvoir...
L’UGTT, l’équivalent de la CGT en France, a été fondée en 1946 et a toujours été une force politique. Je dirai même un parti politique et une composante de la machine politique de la bourgeoisie tunisienne. Depuis sa création elle a participé activement à la lutte de libération nationale et la dimension revendicative a toujours été escamotée. Ce qui a prévalu a été l’aspect lutte de libération nationale et même la lutte armée à partir de 1952. On peut dire que le soulèvement qui se passe maintenant est comparable à celui de 1952, qui a abouti à la création de formations de partisans qui ont pris le maquis et qui ont lutté contre les forces colonialistes les armes à la main, avant même le déclenchement de l’insurrection algérienne en 1954. Donc il y avait un soulèvement populaire de masse en 1952 et l’histoire a fait que le deuxième soulèvement depuis cette date est décembre-janvier 2011. Ces événements ne se produisant pas tous les jours...
D’autre part, l’armée a joué un rôle très important dès le début en apparaissant comme une force de non-collaboration - un général ayant été limogé pour avoir refusé de tirer sur la foule dès les premières manifestations – et à la fin pour maintenir un semblant d’ordre : qu’en est-il exactement ? Et n’y a-t-il pas là un danger d’une mainmise militaire sur l’évolution de la situation ?
Il faut dire que Ben Ali a tout fait, dès le début, pour limiter le rôle des militaires : il est lui-même d’origine militaire et sait donc très bien le danger que l’armée pouvait représenter pour son pouvoir. Par contre, il a consolidé l’appareil répressif du ministère de l’intérieur : il a aujourd’hui 50.000 soldats mais 220.000 policiers... Alors les militaires n’ont pas voulu intervenir dès le début pour limiter les dégâts. Mais par la suite, pendant 24 h, on a eu une anarchie totale provoquée par l’absence des policiers, avec l’intervention de l’ancien responsable du ministère de l’intérieur nommé par Ben Ali. Là-dessus les militaires sont intervenus, mais juste pour rétablir l’ordre. Pour l’avenir, leur intervention n’est possible que si la situation empire et surtout que si les manifestations se poursuivent de la même manière, ce qui est probable, et cela se fera bien entendu avec l’aval du ministère de l’intérieur, qui est en pleine restructuration. Le gouvernement va faire des concessions dans l’avenir : si le mouvement se poursuit de la sorte, l’armée interviendra directement car la bourgeoisie ne tolérera jamais une telle situation. Elle fait déjà appel à tous ses ténors à la télé, qui se remet à désinformer aujourd’hui et joue un grand rôle dans la récupération par la bourgeoisie. Objectivement il y a des formations politiques soi-disant révolutionnaires qui, à la fois, poussent le mouvement vers une prétendue radicalisation et, en même temps, sont invitées sur les chaînes de télévisions et assurent leur avenir personnel.
On peut dire que l’institution militaire est partie prenante dans ce qui s’est passé, dans le soulèvement, même indirectement. Car cette institution a refusé de tirer sur les masses et a exercé une pression sur le dictateur pour qu’il fasse ses bagages et qu’il parte. Ça c’est clair. Maintenant, l’institution militaire est politisée et intervient directement dans le champ politique et social.
On sait que la population tunisienne est une des plus laïques du monde mais que la religion est un refuge face à la perte de sens du monde actuel. Comme dans tous les pays arabo-musulmans, les islamistes conquièrent peu à peu la rue, laissant le pouvoir aux États policiers ou militaires. Les islamistes tunisiens ont payé un lourd tribut durant le règne de Ben Ali, qui fondait sa légitimité auprès de l’Occident sur cette répression féroce, mais ils ont été invisibles durant ce soulèvement, exactement comme le Front National en France lors des mouvements sociaux. Ont-ils participé à l’insurrection et comment la voient-ils ? Quelles sont l’état de leur force aujourd’hui, leurs intentions et quelles sont leurs capacités de nuisance dans un avenir prévisible ?
Nous pensons qu’ils sont très dangereux. Ils ont été absents du soulèvement, sauf le dernier jour où ils ont tenté une manoeuvre de récupération, à travers l’instrumentalisation des martyrs, mais sans succès. Leur tactique aujourd’hui est de participer mais de manière invisible. Dans les faits, ils ont infiltré plusieurs quartiers populaires de Tunis. Le leader du parti Ennahdha intégriste va regagner Tunis et il pense restructurer le courant pour laisser la place aux nouvelles générations. Ils ont donc un agenda secret : ils ne se présentent pas immédiatement mais se préparent pour les prochaines élections. Ils sont là, ils sont prêts. Quand les autres seront essoufflés, ils vont monter à l’assaut. D’autant plus qu’on sent que Khadafi s’allie avec eux : c’est une magouille, évidemment, il n’est pas intégriste, mais il pratique la politique de la terre brûlée car il a très peur pour son pouvoir : le résultat de ce soulèvement tunisien est qu’il a une ampleur internationale et il est le premier à craindre que l’exemple chez nous soit suivi chez lui. Il y a déjà des petites manifestations en Libye et il a limogé quelques officiers de l’armée - soit-disant pour corruption... Alors il est terriblement gêné : la meilleure chose à faire pour lui est donc de créer l’anarchie, le chaos, et pour ça il faut qu’il soutienne les Frères musulmans. D’ailleurs Ghannouchi, le leader des intégristes tunisiens, a déclaré qu’il apprécie la position de Khadafi, qui était contre le mouvement depuis le départ. Nous pensons donc qu’il y a une alliance objective entre le gouvernement libyen et les intégristes, et que c’est un grand danger.
Ce qui soulage un peu, c’est que la nouvelle génération, disons les 15 – 25 ans, n’a pas vécu la montée de l’islamisme des années 80, donc elle est quand même un peu vaccinée contre l’intégrisme, même si rien n’est certain. On sent d’ailleurs que les gens, dans les comités de quartier, ont déjà peur de l’arrivée de l’intégrisme, de l’arrivée de Ghannouchi. Et cette même génération n’a pas vécu non plus les ravages de la montée du gauchisme. C’est donc, en quelque sorte une génération vierge de ces idéologies-là, elle n’a pas été contaminée.
Bon, tout cela n’empêche que les intégristes veulent reprendre les choses en mains, même si c’est pas pour demain. Il faut donc rester très vigilant. D’autant plus que les gauchistes sont en train de faire des alliances avec ces gens-là, et ça c’est le plus dangereux. Par exemple, lors la réunion de tous les partis qui a eu lieu récemment, il y a eu aussi des représentants des intégristes : on a donc dans la même salle des trotskystes, des staliniens, des islamistes, etc. C’est vraiment incompréhensible pour nous, des gens qui s’allient de la sorte.... C’est comme chez vous : vous vous avez les islamo-gauchistes, nous on a aussi ces alliances, mais avec toutes les nuances, les degrés différents d’un groupe à un autre. De toutes les façons, d’ici dix ans ils ne représenteront pas un danger. C’est une menace évidente et lourde, mais pas immédiate.
Les gouvernements français successifs ont toujours été d’un soutien sans faille pour le régime monstrueux de Ben Ali et sa mise à sac du pays. Lors des événements le quai d’Orsay a été d’une complicité à peu près totale et aujourd’hui il est d’une nullité consternante…
La France a été dépassé par les Américains. Alors même qu’Alliot-Marie préparait ses caisses de tonfas à destination de Tunis, les Etats-Unis préparaient l’éviction de Ben Ali avec l’aide de l’armée tunisienne... Les bombes lacrymogènes sont finalement restées à l’aéroport, mais on voit quand même que la diplomatie américaine est plus fine... Il n’y avait pas d’accord entre les deux puissances, alors ce sont les Américains qui ont décidé seuls de sacrifier ce pauvre Ben Ali...
La révolution tunisienne, laïque, spontanée, fraternelle et déterminée est un espoir éclatant mais fragile pour tout le Maghreb et le monde arabe. Certains espèrent en un effondrement général comme celui qui a sapé l’empire soviétique, il y a vingt ans. Les dictatures environnantes ne risquent-ils pas de toute tenter pour étouffer dans l’oeuf ce mouvement d’émancipation ? Comment la Tunisie pourrait-elle se dégager de tous les chantages internationaux, que le FMI en premier lieu excelle à pratiquer ?
Quand on discute avec certains gauchistes, ici, on leur dit qu’il faut toujours analyser le mouvement dans son contexte régional, national, international et aussi géopolitique. On sait très bien que même si on était dans une situation révolutionnaire, comme ils le croient, le capitalisme mondial empêcherait tout changement radical. Donc il faut voir les choses avec leurs limites et travailler sur le long terme, en renforçant les acquis qui sont les nôtres aujourd’hui, etc.. Les événements en Egypte témoignent del’influence de l’insurrection ici, qui a des échos comme en Algérie où c’est plus limité ou même en Albanie, notre petite soeur cadette... Et pourquoi pas de là à l’Italie, on ne peut pas savoir...
De toute façon, il faut travailler sur le fond, en maintenant nos positions. Il y a encore beaucoup de choses à faire.
Révolution en Tunisie In Le Monde libertaire n°1621 (3-9 février 2011)
Au début des années soixante, Jean Duvignaud, professeur de sociologie à la faculté de Tunis, emmena ses étudiants à Chebika, une oasis pauvre et archaïque du sud de la Tunisie, dans le but de réaliser une étude sociologique de terrain. Les jeunes hommes et femmes qui participèrent à cette recherche, issus de la moyenne et haute bourgeoisie tunisoise, découvrirent avec stupeur la réalité d’un pays qu’ils ne soupçonnaient même pas, un pays à mille lieues des promesses de développement que la toute jeune république tunisienne d’alors, encore ivre de sa toute fraîche indépendance, servait au peuple tunisien 1. Cinquante ans plus tard, c’est avec la même surprise, teintée d’incrédulité, que les opinions publiques occidentales découvrent la face cachée du « miracle » tunisien, avec l’irruption du peuple de Sidi-Bouzid. Qu’un pays aussi calme, vanté pour sa stabilité, sa modernité et sa prospérité fasse irruption de manière aussi inattendue sur la scène de l’histoire, et s’invite dans le mouvement des insurrections ; diantre, voilà de quoi réviser les certitudes selon lesquelles les peuples de la périphérie n’ont d’autre choix que la chicotte autoritaire ou la férule religieuse. D’un tel événement, on ne peut dire qu’il surgisse de nulle part, comme si le peuple qui l’a mis au jour n’avait pas d’histoire, et aucune conscience de celle-ci.
Des origines
Des insurrections, l’histoire tunisienne en a connu, et certaines des plus célèbres, comme celle de 1864 2, sont nées précisément dans cette même région du centre-ouest déshérité et frondeur, qui a déclenché la révolution de décembre 2010. Plus tard, au premier temps du protectorat français, instauré en 1881, d’autres soulèvements populaires ont marqué la mémoire du peuple tunisien et la naissance du mouvement indépendantiste. Des grèves, des affrontements parfois durement réprimés, des assassinats, dont celui du leader syndicaliste Ferhat Hached 3 en 1952, ont scandé la marche vers l’indépendance, acquise en 1956. Et le long règne de Habib Bourguiba ne s’est pas passé sans heurts ni frictions : 1969, émeutes dans tous le pays contre la collectivisation des terres (la Tunisie vit alors une expérience « socialiste » sous la conduite du Premier ministre Ben Salah) ; 1972, manifestations des étudiants durement réprimées (et coup de pouce donné aux islamistes par le gouvernement pour contrer les gauchistes) ; 1978, le jeudi noir du 26 janvier, 200 morts lors de la répression contre les manifestations à l’appel de l’Union générale tunisienne du travail (un certain Ben Ali à la direction de la sécurité) ; 1984, émeutes dites du pain, encore une fois durement réprimées. Mais s’il faut chercher une source au mouvement qui a pris naissance le 17 décembre dernier, c’est dans la révolte du bassin minier de Gafsa de 2008.
Gafsa 2008
Cette région du sud-ouest, à l’orée du désert, prés de la frontière algérienne, a été le théâtre durant l’année 2008 d’une série d’émeutes et de mouvements de protestation préfigurant ce qui vient de se produire en décembre 2010 et janvier 2011 4. Dans cette région, le principal employeur est la Compagnie générale du phosphate. Ses salariés sont bien payés, eu égard au standard tunisien : 1 000 dinars (500 euros), soit près de cinq fois le salaire minimum. Cette activité a subi les plans de libéralisation et de restructuration qui ont divisé par trois les effectifs en vingt ans, sans qu’aucun projet de réindustrialisation ou de reconversion ne vienne suppléer à cette situation, alors que les cours mondiaux du phosphate s’envolaient (+125 % entre 2007 et 2008 !) : le taux de chômage officiel, dans la région, atteignait près de 30 %. Ce sont les jeunes chômeurs diplômés, regroupés au sein d’une Union des diplomés chômeurs, non reconnue, qui ont lancé le mouvement de protestation, rejoint par les lycéens, les travailleurs précaires, les familles d’ouvriers accidentés du travail. Sit-in, manifestations, blocages des routes et des chemins de fer (par où transite le phosphate extrait des mines), affrontements avec la police : toutes les modalités d’action ont été mises en œuvre dans cette lutte, de manière spontanée, sans cadres politiques et avec très peu de soutien syndical. La maigre opposition politique reconnue alors par Ben Ali est loin du terrain, et préoccupée par l’élection présidentielle de 2009, à laquelle, toute honte bue, elle a décidé de prendre part : on connait les résultats de cette mascarde 5. Et le soutien syndical est resté strictement local, sans pratiquement aucune implication de l’échelon régional, voire contre lui, et encore moins national. L’isolement, l’absence de soutien extérieur 6, l’inexpérience des protestataires et surtout le déploiement de tout l’appareil répressif ont eu raison de ce mouvement. Mais des « germes ont été semés dans le désert 7».
Du régime
Lorsque le général Ben Ali prend le pouvoir, le 7 novembre 1987, à la faveur de ce qu’on a appelé un coup d’État médical, le régime issu de l’indépendance est à bout de souffle. Le président Bourguiba, qui a fait modifier la Constitution en 1975 afin d’être président à vie, est quasiment sénile. Le mouvement islamiste a posé des bombes et menace de prendre le pouvoir. La situation est extrêmement tendue ; aussi, l’annonce de la déposition du « Combattant suprême » est accueillie avec soulagement par un grand nombre de Tunisiens. D’autant plus que le nouveau président s’engage à réformer l’état, à démocratiser la société, et à préserver les principaux acquis du bourguibisme que sont le droit des femmes et l’accès à l’éducation pour tous. Mais faut-il croire en la parole d’un flic ?
Très vite, le nouveau maître de Carthage va cadenasser la Tunisie. Après avoir durement réprimé le mouvement islamiste, emprisonnant 30 000 de ses membres avec l’aval de tous les partis, il va peu à peu retourner son appareil répressif contre ces mêmes partis, les faisant disparaître, contraignant les leaders de l’opposition à l’exil. Peu à peu, une chape de plomb va tomber sur la Tunisie. Dans le même temps, il va obtenir l’appui des puissances occidentales, en leur servant le discours frelaté du rempart contre l’islamisme, de défenseur du droit des femmes et de modernisateur de la Tunisie. L’ouverture des frontières avec la suppression progressive des droits de douane, l’adoption des plans d’ajustement du FMI et l’application du modèle économique capitaliste dans sa version néolibérale, ainsi que sont alignement sans réserve sur la politique extérieure des États-Unis et de la France au lendemain de la chute du mur de Berlin, vont en faire un des meilleurs élèves du système. Alors qu’il n’a aucune étoffe, aucune légitimité historique, contrairement à son prédécesseur, il va imposer son style, ou plutôt son absence de style, en s’appuyant sur les deux principaux piliers de son système : la police et le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), qu’il a construit à sa main à partir du vieux parti socialiste destourien, héritier du Néo-Destour de Bourguiba. La conjoncture internationale lui est propice : l’économie tunisienne décolle, avec des taux de croissance annuels de 5 % entre 1995 et 2002. La faible croissance démographique (1,3 % par an), l’installation de nombre d’industries étrangères, attirée par une main-d’oeuvre bon marché et réputée travailleuse et docile, le développement du tourisme, tout cela concourt à ce qu’on appelle alors la naissance du dragon africain. Le revenu par tête d’habitant devient le premier d’Afrique du Nord. La politique du crédit facile permet à la classe moyenne de se donner l’impression d’accéder à la prospérité : ce sont les années du « consomme et tais-toi ». Ben Ali s’achète ainsi facilement l’accord de la majorité de la population, attirée par ce nouveau modèle économique qui lui apporte les joies du consumérisme. Cela vaut bien qu’on ferme les yeux sur les dérives autoritaires. Et puis le voisin, le géant algérien, depuis toujours craint par les Tunisiens, est plongé dans une atroce guerre civile, dont Ben Ali profite indirectement : « C’est moi ou le chaos. » Le RCD étend alors son emprise sur la société : pas un village, pas une administration ou une entreprise qui ne possède sa cellule. Elle voit tout, sait tout et presque tout passe par elle. Une démarche administrative ? Un emploi dans la fonction publique ? Un logement ? Le RCD est là. Il finira par revendiquer près de 2 millions d’adhérents (soit 20 % de la population !). La plupart par opportunisme, plus que par idéologie. L’autre pilier du régime, la police, va prendre un essor considérable. Selon les sources, il y a dans la Tunisie de Ben Ali entre 100 000 et 180 000 flics : ceux en tenue, mais aussi les polices parallèles, les indicateurs, les milices. Autant de flics qu’en France, pour une population deux fois moindre.
La famille
Ce qui est nouveau dans ce régime, c’est la mainmise sur l’économie du pays par une clique maffieuse, qui se constitue autour des familles de Ben Ali et de sa femme, Leila Trabelsi 8. Depuis la chute du dictateur, les médias, jusque-là aveugles, ont fait leurs choux gras des comportements de ces voleurs et de leurs prédations. Tout ce qui pouvait être source de profit était accaparé par la famille, au besoin par la violence et les menaces, et pratiquement au vu et au su de tous. Des industriels, des banquiers, des hommes d’affaires, tunisiens et même étrangers, ont été soumis au racket de cette bande. Au point que des investisseurs potentiels ont préféré mettre un terme à leur projet, plutôt que de composer avec les clans. Ces attitudes ne sont pas spécifiques à la Tunisie, mais ils ont atteint un tel degré qu’ils ont fini par alerter l’ambassade des États-Unis, qui y voyait une menace pour la stabilité économique et politique du pays 9. Alors que sous Bourguiba la corruption était quasiment inexistante, elle est devenue systématique, à tous les échelons de la société. Même le Tunisien lambda se voyait harcelé par les flics qui lui extirpaient 20 dinars pour une infraction imaginaire au code de la route.
La société
Ce qui frappait le voyageur qui débarquait en Tunisie, à condition de sortir des réserves à touristes du bord de mer, c’était l’omniprésence du portrait du dictateur, partout, dans la rue, les boutiques ; les avenues du 7 novembre, places du 7 novembre, cafés du 7 novembre, avec leurs monuments sommet du kitch à la gloire du 7 novembre, «7», chiffre fétichisé jusqu’à paraître idolâtre dans un pays musulman, 7 novembre, date du début de « l’ère du changement » selon la logomachie officielle. La peur, qui devient surtout palpable depuis la fin des années quatre-vingt-dix, avec la méfiance qui s’instille sournoisement et qui pourrit les relations. La présence policière permanente, pesante, que l’on ressent dès l’arrivée à l’aéroport, avec ces flics arrogants, méprisants, sûrs de leur force et de leur impunité. Les discussions chuchotées, le silence devant l’étranger, la peur du mouchard au café ou dans le taxi : voilà quel a été le quotidien des Tunisiens pendant toutes ces années. Avec aussi le sentiment d’être pris pour des demeurés, des idiots auxquels on devait inlassablement répéter, par la télé, la radio et les journaux, tous les jours, que le président avait « pris en charge le destin de la nation et que sous sa conduite clairvoyante la société, forte de ses acquis en matière de démocratie et de droits humains, dus à la sûreté des choix présidentiels, allait relever tous les défis posés à la nation sur la voie du changement ». Véridique ! Pour ceux qui n’avait pas connu les démocraties populaires de l’autre côté du rideau de fer, et pour ceux qu’un voyage en Corée du Nord effrayaient (à juste titre), la Tunisie de Ben Ali offrait tout ce qu’un Big Brother était à même de fournir : le décalage total, radical, entre le discours et la réalité, à des sommets qu’Orwell lui-même aurait eu du mal à imaginer. Pour la galerie, il y avait quelques partis d’opposition tolérés, certains ayant mêmes des strapontins à l’Assemblée nationale. Lors des élections présidentielles, des opposants, choisis par le parti présidentiel, se présentaient, en s’excusant et en appelant le peuple à voter pour leur supposé adversaire. À l’issue de ces mascarades, le président Ben Ali se trouvait crédité de 95 % des voix… Et il recevait les félicitations de ceux, nombreux, qui, en France et ailleurs, voulaient faire croire à la démocratie en Tunisie. Par souci d’humanité, nous ne citerons aucun nom, les mêmes qui aujourd’hui apportent leur soutien « désintéressé et sincère aux légitimes aspirations du peuple tunisien 10 ». Mais dans cette société maintenue sous l’étouffoir, quelques-uns et quelques-unes, courageux, ont résisté. Des avocats, des militants et militantes des droits de l’homme, des politiques, des écrivains, des internautes ; certains l’ont payé cher, certains y ont laissé leur vie, je pense à Zouhair Yahyaoui, entre autres…
Et puis le peuple...
Celui qu’on croyait absent, écrasé, marginalisé est réapparu, presque par surprise, par une sorte de pied de nez que l’histoire nous réserve. Et il y a eu Mohamed Bouazizi, le marchand ambulant de Sidi-Bouzid dont le geste de désespoir a soulevé tout un peuple ; ce qui n’avait pu se faire en 2008 à Gafsa à tout à coup été possible, la jonction entre les différents acteurs de la société s’est faite : jeunes des villes et des campagnes, chômeurs et ouvriers, avocats et marginaux. Et très tôt, ce que nos pitoyables journaux français ont appelé une émeute, comme s’il s’agissait d’un fait divers de banlieue, s’est transformé en une gigantesque tornade qui a balayé un dictateur, et qui s’en prend maintenant à la dictature. Aujourd’hui un peuple a retrouvé sa dignité, un peuple d’un petit pays de la périphérie, assigné au rôle de destination du tourisme de masse et de réserve de main-d’œuvre bon marché, a su renversé le cours de l’histoire et a soulevé une gigantesque vague d’espoir dans le monde entier; un peuple désarmé, seul, sans aide extérieure est en train de filer la trouille à tous les tyrans, est en train de démentir tous ceux qui pensaient que seule la dictature convient aux métèques arabo-musulmans, qui seraient par essence incompatibles avec l’idée même de démocratie 11. Un peuple aux prises avec son histoire, qui a bien d’autres obstacles à surmonter. Par sa volonté de vivre, il a forcé le destin, il a dissipé les ténèbres et il a brisé ses chaînes.
Mohamed, groupe Pierre-Besnard de la Fédération anarchiste
1. Jean Duvignaud, Chebika, Plon. Un très beau film a été tiré de ce livre : Les Remparts d’argile de Jean Bertucelli.
2. B. Slama, L’Insurrection de 1864 en Tunisie, Ceres, 1967.
3. Ferhat Hached a fondé l’Union générale tunisienne du travail en 1947, qui a été l’un des principaux artisans de l’indépendance. Les rapports de ce syndicat avec le pouvoir ont toujours été conflictuels, et même Ben Ali n’a pu totalement le mettre à sa botte.
4. Pour de plus amples informations : Larbi Chouikha et éric Gobe, « La Tunisie entre la révolte du bassin minier de Gafsa et l’échéance électorale de 2009 », L’Année du Maghreb, vol. V, 2009 (http://anneemaghreb.revues.org/623).
5. Lors de cette élection, Ben Ali n’obtient que 89,62 % des suffrages…
6. À l’exception de la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH), du Parti communiste ouvrier tunisien (PCOT, interdit à l’époque) et de quelques personnalités…
7. Moncef Marzouki, opposant de la première heure à Ben Ali, ancien dirigeant de la LTDH, président du Conseil pour la république (CPR, interdit sous Ben Ali).
8. Nicolas Beau et Catherine Graciet, La Régente de Carthage, La Découverte, 2009.
9. Les câbles américains sur la Tunisie sont consultables en français sur internet : taper « tunileaks » dans un moteur de recherche. Les Français n’ont rien vu venir…
10. Pour immortaliser cette amitié franco-tunisienne du temps de Ben Ali, un mur de la honte (wall of shame) se constitue sur Facebook.
11. Michel Onfray, préface à L’Impasse islamique, Hamid Zanaz, éditions libertaires, 2009.
Après la manif en mémoire du 17 octobre 1961, la CNT avait organisé une rencontre-débat avec un militant tunisien de l’UDC (Union des diplômés chômeurs), pour expliquer et donner son point de vue sur la révolution de 2011.
Un témoignage de la révolution.
Il nous a d’abord montré un film (Liberté Liberté) tourné par lui et des gens de l’UDC ou des militants qu’il connaît pendant les événements de 2011, dans la région de Regueb, une ville plutôt agricole du centre du pays à une centaine de km du bassin minier de Gafsa.
Un de ses buts est de montrer que la révolution s’est amplifiée à partir du 17 décembre, et qu’il ne s’agit pas d’une révolution du 14 janvier.
Le film montre les manifestations et les résistances mais aussi la répression policière, les tirs à balle réelles dès le mois de décembre. Les cadavres de leurs camarades sont amenés à l’hôpital et la caméra montre que les tirs les ont touchés en plein cœur à chaque fois et que la police avait donc bien la volonté de tuer.
Le film montre aussi les exactions policières telles que les saccages des boutiques car les manifestants se réfugiaient parfois dedans pour échapper à la police. Ces saccages avaient été présentés à la télé tunisienne (Canal 7) comme un fait des manifestants.
Ensuite le film suit une marche partant de Regueb, de Sidi Bouzid pour aller à Tunis (400 km) dans le quartier de la Casbah où se trouve la primature, le ministère des affaires étrangères, et celui des finances.
Les gens étant partis sans eau ni nourriture, elle a été extrêmement difficile à mener même s’ils ont pu s’appuyer sur la solidarité des gens au long de leur marche.
A Tunis, l’idée était de signifier que le pouvoir était au peuple, et que la révolution était le fait du peuple et non d’un parti ou d’une tendance et que les sbires de Ben Ali encore en place devaient partir. En effet Mohammed Ghannouchi, était maintenu à la tête du gouvernement élargi après avoir été le 1er ministre de Ben Ali pendant 10 ans.
D’où le slogan inscrit sur le bâtiment occupé avant par le 1er ministre: « Ministère du peuple » et la revendication de démission du gouvernement élargi sachant que les ministres de la défense, de l’intérieur, des affaires étrangères et des finances étaient d’ex-ministres de Ben Ali.
Le film insiste aussi sur l’évolution des slogans, qui en décembre sont d’ordre social et économique puis évoluent sur des slogans politiques « Ben Ali dégage ! ». Le film se termine sur une chanson Liberté Liberté, écrite par des jeunes militants de Regueb.
-Un processus révolutionnaire ancien
Une fois la diffusion terminée, il nous a ensuite expliqué que pour lui la Tunisie n’avait pas vécu une Révolution de Jasmin (mot qu’il récuse comme une invention médiatique) ni la révolution du 14 janvier mais un processus révolutionnaire engagé depuis de nombreuses années avec Redeyef en 2008, des actions dans les années 80, voire même depuis 1956 et dont le tournant a été l’immolation de Bouaziz le 17 décembre 2010.
Des marges de liberté ont été gagnées (d’expression, de presse…°) et les gens peuvent désormais tenir des AG, des réunions publiques, organiser des actions mais sur le plan social et économique, pour l’instant c’est un échec.
Pourtant, le processus révolutionnaire est né sur un constat d’inégalité, d’exploitation des plus pauvres et de répression féroce de toute contestation.
-La récupération politique de la révolution et la nécessité de poursuivre la lutte
Pour lui, il y a une désinformation, une récupération idéologique de la révolution qui n’a de toutes façons pas aboutie puisque même si Ben Ali est parti, le pouvoir politique et économique reste aux mains d’une élite, la corruption continue de marquer la société et la bourgeoisie a repris à son compte une partie seulement des idées de la révolution.
Etant militant anticapitaliste, il est donc toujours en lutte puisqu’à son sens la révolution a fait partir Ben Ali mais n’a pas changé le mode de gouvernement du pays, aux mains de la même bourgeoisie qu’hier.
Il l’explique par le fait que les médias sont restés les mêmes que sous Ben Ali donc passe le plus clair de leur temps à désinformer.
Pour lui, il est très grave d’occulter l’aspect social et économique de la révolution puisque c’est une manière de la rendre acceptable aux yeux de l’Europe, des Etats-Unis… et donc de lui enlever tout potentiel de changement social véritable, en se félicitant de l’élan démocratique des pays « arabes ».
Il a aussi précisé que pour l’UGTT, autant il y avait une base syndicale qui avait participé à la révolution autant l’appareil bureaucratique avait au départ promis à Ben Ali, d’encadrer et calmer les manifestations, bref d’en venir à bout.
Pour lui, on ne peut donc pas s’appuyer sur l’UGTT en tant qu’organisation même si on peut compter sur des militants, et les Tunisiens au sortir de décennies de dictature manquent de culture révolutionnaire et de pratiques politiques.
Il faut à son sens dépasser le stade de la spontanéité et développer une réflexion et une vraie lutte contre le capitalisme responsable des inégalités, de la misère et de la confiscation démocratique.
C’est donc ce qu’essaie de construire l’UDC en tenant des réunions expliquant comment s’auto-organiser, mettre en place l’autogestion…
Il est pessimiste sur la tenue des élections du 23 octobre 2011, puisque 140 partis se présentent, la plupart évidemment complètement inconnus des Tunisiens, et que pour beaucoup, ces partis sont financés par exemple par le Qatar, l’Arabie Saoudite, la France …
De plus, il expliquait que beaucoup de choses qui devaient être supprimées comme symboles d’une société inégalitaire et corrompue comme le CAPES que l’on obtenait avec de l’argent, sont en fait remises en place comme sous Ben Ali, sous un nouveau nom.
Cependant, selon lui, le mouvement social commence à reprendre dans les régions les plus pauvres, car la misère est aussi criante qu’avant.
-La spécificité de la révolution tunisienne par rapport à la Syrie, au Yémen…
Il a aussi insisté sur les raisons expliquant la chute de Ben Ali, alors qu’en Syrie ou au Yémen, cela n’a pas fonctionné pour l’instant, car en Tunisie, des facteurs internes ont permis la chute de Ben Ali.
Pour lui, le conflit entre Ben Ali et l’armée (cf : l’attentat où 13 généraux ont trouvé la mort dans un hélicoptère) explique son affaiblissement. Cependant même si dans certaines situations l’armée a refusé de tirer sur des civils désarmés, il a rappelé qu’elle ne s’était pas rangée non plus du côté du peuple tunisien comme le font croire les médias et que l’armée avait aussi participé à des opérations de répression féroces.
Un autre élément c’est le conflit entre Ben Ali et les Trabelsi, la famille de sa femme Leila, détestée et symbole de la corruption et de l’accaparement des richesses.
Les Trabelsi, (les frères de la femme de Ben Ali) avaient entrepris de noyauter encore plus visiblement le pouvoir, et avaient des projets pour 2013, ce qui évidemment entraînait des tensions importantes avec Ben Ali.
-Et bien sûr, l’existence d’un processus révolutionnaire ancien a permis de structurer les luttes et les slogans.
En conclusion, à la question de Catherine (Printemps des Peuples) sur ce que les Tunisiens attendaient de nous, il a répondu, que leur but était de donner une information véritable sur les événements de l’année dernière et aussi de montrer que pour l’instant, les conditions de vie des gens sont les mêmes car la logique capitaliste est toujours celle qui préside.
Pour l’instant, donc, aux yeux des militants tunisiens, la révolution a peut-être commencé mais n’a pas aboutie, elle est donc à poursuivre et à soutenir.
Les Tunisiennes laïques donnent de la voix
vendredi 4 novembre 2011, par La Rédaction
Les Tunisiennes laïques sont bien décidées à faire entendre leur voix et à défendre leur mode de vie occidental face à la montée du parti islamiste Ennahda, arrivé largement en tête des premières élections libres organisées dans le pays. Réunies au sein d’organisations, ces femmes ont entamé une intense campagne de lobbying auprès des partis politiques pour défendre les droits des femmes, et notamment une loi de 1956 qui consacre l’égalité entre les hommes et les femmes en Tunisie. Mercredi, elles étaient un demi-millier à manifester devant le siège du gouvernement à Tunis pour défendre leurs acquis, menacés, selon elles, par certains mouvements fondamentalistes musulmans. Elles ont été brièvement reçues par le Premier ministre par intérim, Béji Caïd Essebsi.
"Nous sommes ici pour dénoncer toutes les formes d’extrémisme et d’entraves aux libertés des femmes", a expliqué l’une des manifestantes, Madiha Bel Haj. "Nous voulons une Constitution qui respecte les droits des femmes et ne revienne pas sur les acquis que nous avons obtenus." En attendant, et malgré les promesses répétées des principaux partis politiques qui se sont engagés à ne pas rogner sur les droits des femmes, les organisations ne baissent pas la garde et restent vigilantes face à toute forme de dérive. Plusieurs professeurs d’université ont ainsi observé, jeudi, une grève pour protester contre l’agression d’enseignantes par certains fondamentalistes qui les jugeaient trop peu vêtues.
Au coeur des inquiétudes de ces militantes laïques, une éventuelle réforme du Code du statut personnel, une série de lois introduites par le père de l’indépendance, Habib Bourguiba, en 1956. Ce code abolit notamment la polygamie et accorde aux femmes les mêmes droits que les hommes en cas de divorce et de mariage. "Je suis venue ici pour soutenir l’idée que le Code du statut personnel et les droits de femmes devraient être inscrits dans la nouvelle Constitution", a indiqué Mounira, lors de la manifestation de mercredi.
Face aux inquiétudes internationales et intérieures sur une domination de l’intégrisme islamiste, Ennahda et les autres partis politiques siégeant au sein de la nouvelle assemblée ont assuré que la défense des droits de l’homme serait renforcée dans la nouvelle Constitution.
Mais certaines voix s’élèvent déjà parmi les laïcs pour s’inquiéter du nombre d’élues issues d’Ennahda. Sur les 49 femmes siégeant dans la nouvelle Assemblée constituante, 42 sont membres de la formation islamiste réputée modérée. Rachid Ghannouchi, qui a fondé Ennahda en 1989, assure que sa formation respecte la parité homme-femme plus que n’importe quel autre parti politique du pays.
"Le principe d’égalité est plus respecté à Ennahda que dans les partis laïques", a-t-il dit à Reuters. "Ces femmes (les élues d’Ennahda) vont se battre pour défendre leurs droits. Les femmes laïques ne monopoliseront pas la définition des droits des femmes." Le voile islamique, qui a été interdit dans les écoles et les administrations publiques sous le régime de l’ancien président Zine Ben Ali, est devenu le symbole de la forte divergence des points de vue entre femmes laïques et islamistes.
L’interdiction du voile a été levée depuis la révolution de janvier qui a chassé l’ancien président du pouvoir. Depuis, les Tunisiennes laïques réclament des garanties du pouvoir sur le fait que son port ne deviendra pas obligatoire. Les islamistes, elles, demandent à l’inverse à pouvoir continuer à le porter à tout moment.
(Vendredi, 04 novembre 2011 - Avec les agences de presse)
Al oUFOK
Face à Ennahda, les modernistes tunisiens s’organisent
dimanche 6 novembre 2011, par La Rédaction
Battus aux élections par les islamistes d’Ennahda, les "modernistes" de la gauche et du centre en Tunisie tentent de s’organiser, soit au sein de l’exécutif soit dans l’opposition, pour faire "contrepoids" à la nouvelle force dominante, source d’inquiétude pour une partie de la société. Les partis les mieux placés derrière Ennahda au scrutin du 23 octobre, le Congrès pour la République (CPR) et Ettakatol, ont choisi de composer avec les islamistes et sont engagés dans des tractations pour la formation d’un gouvernement en principe dirigé par l’islamiste Hamadi Jebali.
Il semble impératif aux yeux de ses deux mouvements de gauche de peser sur les décisions gouvernementales à venir et de juguler de l’intérieur les éventuels "dérapages" d’Ennahda, de faire en sorte que son engagement démocratique, maintes fois réaffirmé depuis sa victoire électorale, soit respecté. Ennahda "doit prouver que son discours de tolérance sera concrétisé", a déclaré Mustapha Ben Jaafar, le chef du parti d’Ettakatol, l’un des principaux acteurs des tractations en cours. Pour Mustapha Ben Jafaar, la "vigilance est de mise" et il n’est pas question de "céder sur les acquis sociaux et culturels, ni sur les libertés fondamentales".
Avec Ennahda qui, selon les résultats préliminaires de l’élection, dispose de 91 sièges (sur un total de 217), le CPR (30 sièges) et Ettakatol (21 sièges) sont en passe de constituer une majorité absolue au sein de la nouvelle assemblée constituante. Celle-ci est appelée, dans les prochains jours, à élire le nouveau président de la république par intérim, le premier ministre - qui nommera le gouvernement - et doit ensuite s’atteler à la rédaction de la future constitution. La "politique consensuelle" du CPR et d’Ettakatol suscite de vives critiques auprès d’autres formations qui se refusent, elles, à travailler au côté des islamistes.
Dans un entretien, Ahmed Nejib Chebbi, fondateur du PDP (Parti démocrate progressiste), reproche à ceux qui acceptent de "collaborer" de se laisser "utiliser pour enrober la dragée islamiste". "Nous, nous disons non à cela. Nous ne voulons pas servir de décor" à Ennahda, tranche Ahmed Nejib Chebbi. Le dirigeant du CPR (17 sièges) se dit prêt à former "un groupe d’opposition constructive au sein de la Constituante". "La chose a été soulevée au cours de discussions entre démocrates qui seront en dehors du gouvernement (...), ces discussions vont continuer, nous devons faire contrepoids au nouveau pouvoir et nous préparer à une alternative en cas d’échec du gouvernement", souligne-t-il.
Car, insiste Ahmed Nejib Chebbi, "la façon dont les islamistes se comportent sur le terrain laisse planer un doute sur leurs intentions. Ennahda a un projet à long terme, il veut tout contrôler et diriger les ministères sociaux pour renforcer son assise populaire. Sa base est conservatrice et l’objectif est d’amener la société à se conformer à sa doctrine". "Tel est le projet initial, il n’a jamais été renié", martèle le responsable. Selon le quotidien La Presse, "il y a en ce moment une manière de tester la bonne foi des dirigeants d’Ennahda : c’est de leur demander de mieux contrôler leurs troupes" alors que "les incidents liés au non respect des libertés individuelles" se multiplient depuis plusieurs jours en Tunisie.
Le journal évoque notamment "le harcèlement d’enseignantes et d’étudiantes pour leur tenue vestimentaire à l’université de Tunis ou, dans la région de Jendouba (ouest), la menace d’exclusion d’un collège d’une jeune fille qui ne porte pas le voile". "Il faut qu’Ennahda se prononce clairement sur ces pratiques illégales. Sans quoi il va falloir dire adieu à la paix civile", poursuit La Presse. "D’où, selon le quotidien, la nécessité de s’organiser dès maintenant (...) et de mettre en place une force pacifique d’opposition qui prêche la tolérance et le respect des institutions républicaines. Elle s’impose comme une urgence".
(Dimanche, 06 novembre 2011 - Avec les agences de presse)
La religion absente de la Constitution tunisienne, dit Ennahda
vendredi 4 novembre 2011, par La Rédaction
La religion sera absente de la nouvelle Constitution tunisienne qui accordera en revanche une place importante aux questions des droits de l’homme, de la démocratie et de l’économie de marché, assure le parti islamiste Ennahda qui a remporté les premières élections libres du pays.
Le gouvernement, dont la composition devrait être dévoilée la semaine prochaine, n’introduira pas le principe de la charia ni d’autres principes islamiques susceptibles de rogner sur le caractère laïque de la Constitution en vigueur lorsque l’ancien président Zine ben Ali a été chassé du pouvoir par la rue en janvier.
"Nous ne voulons pas imposer un style de vie particulier", déclare à Reuters le responsable d’Ennahda, Rachid Ghannouchi, exilé à Londres pendant plus de vingt ans.
Depuis la large victoire de son parti réputé modéré aux élections constituantes du 23 octobre, certains soupçonnent Ennahda de vouloir imposer une application stricte des principes religieux à une société tunisienne habituée depuis la décolonisation à un mode de vie libéral.
La première tâche de l’Assemblée nouvellement élue, chargée de rédiger la Constitution, sera donc avant tout de rassurer les Tunisiens et les investisseurs étrangers, indispensables à la relance de l’économie, estiment analystes et observateurs.
Avant même le début des discussions sur la Constitution, tous les partis politiques du pays sont convenus de conserver le premier article de l’actuelle loi fondamentale, qui déclare que l’islam est la religion et l’arabe la langue officielle du pays.
"Il s’agit juste de la description de la réalité", explique Ghannouchi. "Cela n’a aucune implication légale."
"Il n’y aura pas d’autres références à la religion dans la Constitution. Nous voulons accorder la liberté à l’ensemble du pays", poursuit le chef de file d’Ennahda, qui ne jouera aucun rôle dans le nouveau gouvernement. La nouvelle Constitution devrait entrer en vigueur d’ici un an.
Publiés dans les années 1980-1990, les écrits de Ghannouchi ont inspiré le Parti de la Justice et du Développement (AKP) au pouvoir en Turquie, qui applique un subtil mélange entre démocratie et islam.
Ghannouchi affirme également que les 22 années passées en exil lui ont permis de constater l’importance de la société civile.
Comme la Turquie, la Tunisie a connu des décennies de dictature laïque avant d’évoluer vers un régime démocratique dans lequel les islamistes modérés se sont imposés dans le paysage politique.
"La loi par elle-même ne change pas la réalité", lance Ghannouchi, interrogé au siège de son parti.
"Il ne devrait pas y avoir de loi qui tente de rendre les gens plus religieux", estime-t-il. Dans la foulée de sa victoire aux élections constituantes, son parti s’est engagé à ne pas interdire l’alcool et les vêtements occidentaux et à poursuivre les politiques économiques en faveur du tourisme, de l’investissement étranger et de l’emploi.
La charia et les lois de l’islam sont un ensemble de valeurs morales individuelles et sociétales et non un code de conduite strict à appliquer au niveau national, dit-il.
"L’Egypte dit que la charia est le principal fondement de sa loi mais cela n’a pas empêché (l’ancien président déchu Hosni) Moubarak de devenir un dictateur."
Pour Samir Ben Amor, chef de file du Congrès pour la République (CPR) qui devrait participer au gouvernement de coalition aux côtés d’Ennahda et d’un autre parti laïque, il y a un consensus autour de la référence à l’islam dans le premier article de la constitution.
Ces partis politiques s’accordent également pour renforcer la démocratie en introduisant notamment des références aux conventions internationales des droits de l’homme.
"Nous voulons un régime libéral"", dit Ben Amor.
Alors que les partis s’accordent pour défendre les droits des femmes, parmi les plus avancés du monde arabe, Ben Amor se dit toutefois opposé à l’inscription du Code du statut personnel dans la Constitution.
"Aucune constitution au monde n’a ça", note-t-il. Ces droits seront protégés par la législation, argue-t-il.
Le principal point d’achoppement porte sur le type de régime politique. Ghannouchi a une préférence pour le système parlementaire quand les autres partis politiques soutiennent un système à la française, avec un pouvoir partagé entre un président élu au suffrage universel direct et un parlement.
"Le système parlementaire peut entraîner une instabilité politique, et sortant tout juste d’une dictature, nous pensons que nous ne pouvons pas courir ce risque", explique Ben Amor.
Pour Radouan Mamoudi, directeur du Centre pour l’étude de l’islam et de la démocratie basé à Washington, les élections d’octobre ont montré que le pays avait opté pour une "révolution évolutionnaire" sans changements radicaux.
"Les Tunisiens sont d’accord sur presque tout", note-t-il. "Ils veulent garder leur identité arabe et musulmane sans vivre dans une théocratie. Je pense que la Tunisie peut ouvrir la voie dans le monde arabe en construisant une véritable démocratie pleinement compatible avec l’islam."
(Vendredi, 04 novembre 2011 - Avec les agences de presse)
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