Tunisie

Re: Tunisie

Messagede Ian » 19 Jan 2011, 01:08

kuhing a écrit:J'ai lu ce matin que Ben Ali aurait fui en Arabie Saoudite avec 1,5 tonne d'or .
Bonjour les valises.
Apparemment ce serait une fausse rumeur lancée par les services secrets français (j'ignore pour quelle raison).
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Re: Tunisie

Messagede kuhing » 20 Jan 2011, 12:21

En tous cas les tunisiens ont fait la preuve que spontanément un mouvement d'ampleur peut se mettre en branle du jour au lendemain et faire tomber un dictateur en quelques jours.

Des comités de quartier d'auto défense se sont également mis en place spontanément.

Aujourd'hui le peuple est confronté aux bureaucrates et membres de l'ancien régime qui essayent de reprendre les rennes du pouvoir en utilisant les institutions de l'État.

Ce qui manque cruellement au peuple tunisien ( et aux autres) ce ne sont que quelques personnes faisant partie du peuple lui-même aident à organiser la coordination entre ces comités de quartiers pour aller plus loin que l'auto défense mais aussi la prise en charge directe de la production et la distribution des services et denrées, en autogestion, en reprenant les ressources naturelles, en montrant à tous les peuples la voie à suivre.

La révolution pourrait aller dans ce cas jusqu'au bout très très rapidement n'en déplaisent à tous nos théoriciens marxistes qui rêvent de gérer la société à la place de tout le monde au moyen de leurs États pourris.

Nous avons besoin qu'un mouvement anarchiste se mette en place au Maghreb.
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Re: Tunisie

Messagede barcelone 36 » 20 Jan 2011, 18:57

extrait du Monde Libertaire n°1619 (20-26 janvier 2011)

Vivre, mourir et faire la révolution à Sidi-Bouzid

Chers lecteurs, la semaine dernière était une semaine particulière : le peuple tunisien désarmé, ne comptant que sur ses propres forces, confronté à la sauvagerie d’une répression aveugle, a su mettre un terme à une dictature. Sans se laisser berné par des discours lénifiants, montrant ses capacités d’auto-organisation, en faisant fi des menaces et des provocations policières, en organisant sur le terrain social les solidarités élémentaires et en inventant au jour le jour ses modalités de réactions et d’organisation à la base, il nous a montré la voie à suivre : sans le savoir, il a adopté les modes d’organisation libertaires, ceux-là mêmes mis en avant par les valeureux camarades anarchistes de 1936 en Espagne. Aujourd’hui, le plus dur reste à faire. Pour un très court instant, en dépit de mes convictions internationalistes et anarchistes, permettez moi d’être fier d’être Tunisien.
Depuis la mi-décembre, après qu’à Sidi-Bouzid un jeune marchand de fruits et légumes à la sauvette s’est immolé par le feu en signe de protestation contre les humiliations subies, un vaste mouvement spontané de protestation et de contestation s’est propagé à toute la Tunisie. D’ordinaire relégué aux pages voyages et vacances des news magazines, ce pays s’est subitement retrouvé sous les feux de l’actualité politique et sociale. On a pu découvrir alors la face cachée d’un pays dirigé d’une main de fer depuis vingt-trois ans par Ben Ali, qui a instauré un régime policier avec la bénédiction de la France et des États-Unis, qui n’ont jusqu’alors pas tari d’éloges sur ce bon élève du FMI. Loin des plages où se pressent les salariés européens en mal de soleil et d’exotisme de proximité, c’est la Tunisie de l’intérieur, celle des zones oubliées du développement qui s’est rappelée au bon souvenir de dirigeants véreux. Les taux de chômage réels y dépassent 25 % chez les jeunes, dont de nombreux diplômés, qui n’ont pour seule issue que l’émigration sauvage, au péril de leur vie, ou les petits trafics les mettant à la merci de la police et des autorités locales, comme ce fut le cas pour ce marchand de Sidi-Bouzid, poussé au désespoir par la hargne des flics à son encontre et la surdité des potentats locaux à ses doléances. Comme en 2008 dans le bassin minier de Gafsa, où la population s’était soulevée contre le chômage et l’opacité des procédures d’embauche, qui favorisait la corruption et le piston, c’est contre la clique maffieuse au pouvoir que les gens se sont retrouvés. Clique maffieuse où différents clans proches du pouvoir se partagent les richesses du pays, détournant à leur profits et avec rapacité les activités économiques les plus rentables, selon l’adage « ce qui est à toi est à moi 1 ». C’est ce qu’ont pu lire les tunisiens qui se sont connectés sur Wikileaks 2, qui révèle les câbles des diplomates américains en poste en Tunisie, exposant crûment l’état de pourrissement avancé du régime. Mais cette fois, contrairement à ce qui s’était passé en 2008, la contestation s’est étendue comme une traînée de poudre à tout le pays, fédérant un ras-le-bol généralisé : ras-le-bol de la précarité, ras-le-bol de l’appauvrissement, ras-le-bol de l’étouffoir et de l’absence de liberté. Malgré la mainmise du gouvernement sur des médias aux ordres 3, rivalisant d’obséquiosité à l’égard du régime, et malgré le verrouillage d’internet, l’information a pu circuler et a permis de déclencher un mouvement qui a surpris par son ampleur les supplétifs d’un régime honni par l’écrasante majorité des Tunisiens. Régime qui s’accroche au pouvoir au fallacieux prétexte de barrage contre l’hydre islamiste, et à qui les États du nord de la Méditerranée ont sous-traité la surveillance des frontières du sud et les activités industrielles avides de main d’œuvre à bas prix, comme le textile et les centres d’appels téléphoniques. Ainsi, la belle image d’un pays moderne, au taux de croissance enviable, à la stabilité politique légendaire, attirant les investisseurs étrangers et les touristes à devises fortes s’est trouvée mise à mal par la triste réalité. Ce pays qu’on qualifiait il y a peu de petit dragon africain, en référence aux dragons asiatiques, ce bon élève des institutions monétaires internationales, qui n’en finissent pas de vanter ce « modèle de développement et de démocratie sensible aux droits des femmes » (héritage de Bourguiba, « héros » de la lutte pour l’indépendance et premier président de la Tunisie) ; ce pays se retrouve aujourd’hui pour ce qu’il est et a toujours été, un État autoritaire où règnent inégalité, corruption et misère. Un mot d’ordre qui revient dans les manifestations est « désormais, nous n’avons plus peur ». Malgré le déchaînement de la répression (des dizaines de morts par balles, notamment à Kasserine où des snipers postés sur les toits ont semé la terreur les 8 et 9 janvier derniers, des centaines de blessés, des arrestations et des tortures), ce mouvement a permis la libération d’une parole, et l’émergence d’un sursaut populaire qui rendra un peu de leur fierté aux Tunisiens et Tunisiennes trop longtemps humiliés. Dans les cortèges, dans les réunions, se retrouvent entre autres des militants et militantes de base de l’union générale tunisienne des travailleurs (UGTT), qui ont entraîné la direction de ce syndicat à se démarquer puis à s’opposer au pouvoir, avec le lancement d’un mot d’ordre de grève générale. Alors que les premiers slogans se concentraient sur la dénonciation du chômage et l’absence de libertés, c’est maintenant des slogans hostiles à Ben Ali et à sa clique qui prennent le dessus, et qui réclament le départ du dictateur. Tous les témoignages rapportent la maturité des manifestants : dans les quartiers populaires de Tunis et de sa banlieue, gagnés par l’insurrection, les gens s’organisent pour maintenir le minimum des conditions de vie, contre le chaos voulu par la police et les provocateurs du parti présidentiel qui utilisent toutes les ficelles des régimes policiers (fausses rumeurs, casseurs infiltrés, manipulation de l’information, etc.) ; des collectes sont organisées par les jeunes, que le pouvoir qualifie de voyous, pour venir en aide aux familles des victimes de la répression. Spontanément, les Tunisiens créent les bases d’une société solidaire : les multiples réunions spontanées, indépendantes des partis, montrent le bouillonnement révolutionnaire d’une société trop longtemps maintenue sous le boisseau. Les reculades du régime, les limogeages de ministres et des éminences grises du président, obtenus sous la pression de la rue, ne font pas faiblir la mobilisation. Au lendemain du discours présidentiel télévisé du 13 janvier, annonçant la fin des tirs de la police contre les manifestants et quelques ouvertures (non représentation en 2014 de Ben Ali aux prochaines élections présidentielles, levée de la censure de la presse et d’internet), la mobilisation ne faiblit pas, et des manifestations se déroule partout en Tunisie. Le sang coule encore, malgré les promesses. Ce n’est pas le libre accès à Facebook où à You Tube qui arrêtera les émeutiers. La dictature vacille, elle a un genou en terre : à l’issue d’une folle journée, Ben Ali abandonne le pouvoir, une partie du clan Trabelsi, la belle famille du président déchu, est arrêtée. Pour la première fois dans l’histoire moderne, un dictateur arabe est renversé par la population : tremblez Moubarak, Kadhafi, et autres Assad !
Ce qui ce passe met en exergue ce que je crois être le fondement même de l’anarchisme, et que des hommes comme Orwell et d’autres ont su théoriser : un peuple uni, intransigeant sur les modalités de sa pratique, peut s’approprier, sans le savoir, et de manière spontanée, les pratiques libertaires telles que celles de nos valeureux précurseurs de 36 en Espagne, simplement parce qu’elles sont ce que Orwell, témoin des événements de 1937 à Barcelone, appelait la morale commune (common decency) : morale et humanisme, spontanément associés à ses pratiques, au sens simple d’une intransigeance morale qui entraînait un comportement politique de relation à autrui dénué de rapport de pouvoir, mais pourvu de liens d’affection morale et politique : c’est utopique mais c’est essentiel, à mon sens pour l’évolution morale d’une révolution ; rien ne nous permet de dire aujourd’hui que c’est la voie suivie en Tunisie, mais les événements relatés par les témoins, nous poussent à y croire. Le plus dur reste à faire. À nous anarchistes de pousser à la roue…

Mohamed, groupe Pierre-Besnard de la Fédération anarchiste



1. N. Beau & C. Graciet, La Régente de Carthage, La Découverte, 2009.
2. En version française sur ce site (rechercher Wikileaks, Tunisie) : www.maghrebemergent.com
3. Sur l’état de la presse en Tunisie, lire http://fr.rsf.org/tunisie.html
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Re: Tunisie

Messagede Pïérô » 21 Jan 2011, 11:26

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Re: Tunisie

Messagede Pïérô » 25 Jan 2011, 12:37

Déclaration internationale, sur Anarkismo http://www.anarkismo.net/article/18558 :

Tunisie : la révolution n'est pas finie

Après un mois d'insurrection populaire, le tyran est tombé. Ben Ali et sa clique ont pris le chemin de l'exil. C'est une immense victoire pour le peuple tunisien qui ne peut que réjouir toute personne éprise de liberté. C'est aussi un exemple et un grand espoir pour les peuples de la région qui vivent dans des régimes policiers.
Mais la révolution n'est pas finie : le Rassemblement Constitutionnel Démocratique (RCD) détient toujours le pouvoir avec 161 sièges sur 214 au parlement, et le président par interim Foued Mebazaa et le premier ministre Mohamed Ghannouchi sont des piliers de la dictature. Plus qu'un réel changement, les premières mesures prises dans l'urgence montrent surtout la volonté du pouvoir de calmer la rue. Il y aura des élections dans soixante jours, mais selon les règles de l'actuelle constitution... taillée sur mesure pour le RCD. Les consultations pour la constitution d'un gouvernement d'union nationale ont commencé, mais c'est le RCD qui sélectionne les partis qui lui conviennent. Le but de la manoeuvre est clair : il s'agit de confisquer à la rue sa victoire en canalisant la révolte vers le terrain politicien. Le risque est grand que le parti au pouvoir co-opte une opposition servile et instaure une démocratie de façade une fois le souffle de la révolte retombé. On ne peut pas non plus écarter l'éventualité d'un nouveau dictateur ayant, comme Ben Ali, l'aval de l'Élysée et de la Maison Blanche.

Les Tunisiennes et les Tunisiens sont conscient-e-s des écueils qui mettent en danger la liberté qu'ils viennent d'arracher au prix de dizaines de morts. Partout dans le pays, ils s'auto-organisent en comités d'auto-défense pour lutter contre les milices du clan Ben Ali-Trabelsi qui continuent de sévir. Ils ne sont pas dupes des manœuvres visant à maintenir le RCD au pouvoir. Bravant l'état d'urgence toujours en vigueur, le 16 janvier des manifestant-e-s sont à nouveau descendu-e-s dans la rue pour exiger un vrai changement, en criant : « Nous ne nous sommes pas révoltés pour la formation d'un gouvernement d'union avec une opposition de carton-pâte. »

La révolution n'est pas finie, car aucun des problèmes de fond n'est réglé : pauvreté, chômage de masse, corruption, clientélisme, inégalités, etc… Au-delà de l'instauration d'un régime démocratique, la question sociale reste au centre des préoccupations des Tunisien-ne-s. Les maux que connaît le pays ne pourront être réglés que par une politique énergique de redistribution des richesses en rupture avec la dictature des marchés.

Nos organisations affirment leur entière solidarité avec la lutte du peuple tunisien pour la liberté et la justice sociale et son soutien aux militants anticapitalistes tunisiens ; elles condamnent l'attitude des États occidentaux et plus généralement de leur classe politique, de droite comme social-démocrate, investie depuis toujours dans le soutien au pouvoir autoritaire de Ben Ali.

19 janvier 2011

Signataires :

Alternative Libertaire (France), http://www.alternativelibertaire.org/
Federazione dei Comunisti Anarchici (Italie), http://www.fdca.it/
Organisation Socialiste Libertaire (Suisse), http://www.rebellion.ch/
Union Communiste Libertaire (Québec, Canada),
Libertäre Aktion Winterthur (Suisse), http://libertaere-aktion.ch/
Zabalaza Anarchist Communist Front (Afrique du Sud), http://www.zabalaza.net/
Libertære Socialister (Danmark), http://libsoc.dk/
North-Eastern Federation of Anarchist Communists (États-Unis), http://nefac.net/
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Re: Tunisie

Messagede kuhing » 25 Jan 2011, 15:01

Un des grands enseignements de ce mouvement en Tunisie c'est que la mobilisation générale et la détermination même de tout un peuple ne suffit pas pour aller jusqu'au bout du processus.

Il faut des personnes qui aident au sein même de la population à la création de comités de quartiers, de production, de distribution pour les coordonner horizontalement et organiser immédiatement des échanges non marchands au moyen des ressources naturelles rendues à tout le monde.

Supprimer immédiatement toute forme de monnaie d'échange et de quantification du travail : produire et distribuer gratuitement selon le principe : chacun donne ce qu'il veut et se qu'il peut de ce qu'il sait et veut faire.

De cette façon il y en aura 100 fois plus pour tout le monde que ce qu'il y avait avant.

Sans ce passage direct à une société autogérée, les parasites réussiront à reprendre le pouvoir par le biais des institutions de l'Etat.
Et c'est ce qu'il se passe actuellement en Tunisie.
kuhing
 

Re: Tunisie

Messagede kuhing » 26 Jan 2011, 17:35

ça se propage en Egypte.

C'est souvent là où l'on s'y attend le moins.

Encore plusieurs enseignements :

- N'en déplaise à ceux pour qui ce qu'ils appelent le "spontanéîsme" est une illusion, le processus révolutionnaire est bien une réaction en chaine à laquelle il faut un substrat ( il existe c'est la situation objective de crise systémique du capitalisme ) un déclencheur ( dans le cas de la Tunisie il s'est agit de l'immolation du jeune père de famille ) et un catalyseur . Il se met en place spontanément et toute autre façon le fait capoter ( prise du palais d'hiver par les bolcheviks en 1917 par exemple)

-C'est actuellement le catalyseur qui n'est pas assez consistant pour que le processus aille jusqu'au bout.

Le catalyseur ce sont des personnes au sein même du peuple qui sans pour autant prendre la direction du mouvement, passent le message et aident à la constitution de comités d'autogestion coordonnés horizontalement pour le passage immédiat à une société non marchande.


- deuxième enseignement important : l'islamisme qui jusque là a détourné l'aspiration révolutionnaire et le sentiment de révolte dans les pays arabes et à majorité musulmane n'est plus en mesure de contenir le mouvement de contestation contre le système capitaliste et les pouvoirs en place, mouvement qui s'oriente maintenant vers la bonne cible.

Donc : Soutien inconditionnel aux luttes des peuples tunisiens et égyptiens .
kuhing
 

Re: Tunisie

Messagede kuhing » 28 Jan 2011, 18:04

Une interview de camarades tunisiens qui est conseillée par Yves Coleman dont je rappelle l'adresse du site :

TUNISIE : Le mouvement tunisien est politique et social
publié par Yves, le vendredi 28 janvier 2011


http://www.mag­ma­web.fr/spip/spip.ph...

Entretien à deux voix de cama­ra­des mili­tants tuni­siens.

Propos recueillis le 26 jan­vier 2011 par le Collectif Lieux Communs.

Le monde entier vient d’assis­ter au pre­mier ren­ver­se­ment, qu’on ne croyait plus pos­si­ble, d’un régime arabe cari­ca­tu­ra­le­ment auto­cra­ti­que et cor­rompu. Malgré le méc­ont­en­tement latent et des soulè­vements ponc­tuels de ces der­nières années, l’insur­rec­tion a sur­pris tout le monde, y com­pris les gens les plus au contact des réalités socia­les. Pourquoi ? Et com­ment qua­li­fie­riez-vous ces évé­nements ?

L’insur­rec­tion a été imprévue par tout le monde, pra­ti­que­ment, même si elle n’est pas une sur­prise pour beau­coup, dont nous.

Pour caracté­riser exac­te­ment ce qui s’est passé, nous disons qu’il s’agit d’un soulè­vement popu­laire : ce n’est pas une révo­lution dans le sens tra­di­tion­nel c’est -à-dire strict et plein du terme. Ce qui s’est passé est com­pa­ra­ble aux inti­fa­das, aux soulè­vements, aux rév­oltes qui se sont déroulées dans les ter­ri­toi­res occupés dans les années 90 du siècle passé. C’est donc un mou­ve­ment popu­laire qui vise la démoc­ratie, les libertés fon­da­men­ta­les et la satis­fac­tion de reven­di­ca­tions socia­les : les dimen­sions poli­ti­ques et socia­les sont imbri­quées, enchevêtrées.

On peut dire que la situa­tion était mûre pour ce sou­bre­saut, ce soulè­vement, sur­tout depuis les évé­nements de la région des mines de phos­phate en 2008, autour de Gafsa. Les ingrédients étaient donc déjà en place et le jeune de Sidi Bouzid qui s’est immolé le 17 déc­embre, c’est l’étinc­elle qui a mis le feu à l’ensem­ble de la situa­tion. Nous pen­sons que c’est ainsi qu’on doit caracté­riser ce qui s’est passé. Ce n’est donc pas une révo­lution dans le sens d’un mou­ve­ment poli­ti­que qui permet à une force sociale par­ti­cu­lière, une classe sociale à une ou plu­sieurs for­ma­tions poli­ti­que de pren­dre le pou­voir. Ça c’est une inter­pré­tation qu’il faut éviter abso­lu­ment et qui déli­mite bien le cadre général de l’ana­lyse.

Ce soulè­vement était essen­tiel­le­ment dirigé contre une dic­ta­ture per­son­ni­fiée et cons­ti­tuait une mobi­li­sa­tion essen­tiel­le­ment anti-auto­ri­taire. La fuite de Ben Ali le 14 jan­vier ne règle évid­emment pas tous les pro­blèmes de la société tuni­sienne : Pensez-vous que la situa­tion pour­rait déb­oucher sur une révo­lution telle que vous la défin­issez ?

Ce sont les gau­chis­tes qui pen­sent comme ça... Ils disent qu’il faut insis­ter, qu’on doit conti­nuer la mou­ve­ment jusqu’à la vic­toire finale – avec des accents qui rap­pel­lent celle des bol­che­vi­ques... Et c’est ce qu’ils sont en train de faire main­te­nant. Mais ce n’est pas une révo­lution : c’est un soulè­vement popu­laire qui a déb­ouché sur des acquis : l’éviction du grand dic­ta­teur et de sa famille, la déc­ouv­erte du niveau de cor­rup­tion qui a caractérisé le pou­voir tuni­sien, des luttes au sein des entre­pri­ses pour évincer les res­pon­sa­bles cor­rom­pus. Il y a donc un mou­ve­ment général de conquête de liberté qui ne se limite pas à la liberté de former des partis, la liberté de la presse, etc. mais qui s’étend jusqu’à la liberté même au sein des entre­pri­ses, des admi­nis­tra­tions, etc. Tout le monde main­te­nant s’est libéré de ce blo­cage qui a été imposé par la dic­ta­ture et a été entre­tenu depuis main­te­nant 54 ans - parce qu’il ne s’agit pas que de l’ère Ben Ali, c’est-à-dire le parti unique aux com­man­des, l’Etat-parti qui sur­plombe tout, etc... Le propre du régime de Ben Ali, ses caractér­is­tiques sin­gu­lières, c’est que la cor­rup­tion y avait dépassé les limi­tes de l’ima­gi­na­ble.

Surtout, il ne faut pas com­met­tre l’erreur que les gens ici com­men­tent faci­le­ment. Il ne faut jamais, à notre sens, dres­ser une muraille de Chine entre le régime de Ben Ali issu du coup d’Etat du 7 novem­bre 1987 et le régime issu de l’indép­end­ance poli­ti­que de la Tunisie en 1956. Il n’y a pas vrai­ment de rup­ture : il y a une conti­nuité. En bref, le régime du parti unique ins­tauré par l’élite des­tou­rienne dont le sym­bole poli­ti­que était le pré­sident Bourghuiba a fait le lit, s’est pro­longé à tra­vers un régime poli­cier. C’est-à-dire plus clai­re­ment, ça a consisté en la conso­li­da­tion et le ren­for­ce­ment du dis­po­si­tif et des appa­reils de répr­ession. Donc entre les deux régimes, avant et après le 7 novem­bre 1987, il y a une conti­nuité. Le mou­ve­ment popu­laire actuel vise à détr­uire les han­di­caps qui peu­vent se for­mu­ler comme, en gros, un silence poli­ti­que imposé par le régime des­tou­rien depuis 1956, jusqu’au 14 jan­vier 2011. A notre sens, c’est la mét­ho­do­logie à suivre pour com­pren­dre ce qui vient de se passer.

Le régime est tombé mais depuis long­temps, c’est tout l’appa­reil éta­tique, poli­ti­que et admi­nis­tra­tif qui a été infesté par les cadres du RCD, qui sont tou­jours en place, sans parler des nom­breu­ses entre­pri­ses qui appar­te­naient direc­te­ment au clan Ben Ali. Que se passe-t-il aujourd’hui dans ces lieux par­ti­cu­liè­rement ?

D’abord il faut savoir que les avoirs, les biens de la famille, du clan Ben Ali représ­entent 40 % du PIB de la Tunisie et 60% du budget natio­nal. En l’espace d’une dizaine d’années, ils ont tout acca­paré, toutes les bran­ches essen­tiel­les et lucra­ti­ves de l’éco­nomie tuni­sienne : Aéroport, gran­des entre­prise, GSM, télép­honie, bâtiment, etc. Avant les employés avaient peur, d’autant plus qu’elles étaient la pro­priété du sommet de l’Etat : Il y avait donc une peur accen­tuée, redou­blée par rap­port à celle du reste de la popu­la­tion. Après la chute de Ben Ali et de sa famille, ces entre­pri­ses ont été mises sous la tutelle juri­di­que, et à l’intérieur on assiste à des luttes, des mou­ve­ments de contes­ta­tion, actuel­le­ment.

Justement, la peur et la dépr­ession qui domi­nent actuel­le­ment le monde entier ont été spec­ta­cu­lai­re­ment vain­cues un peu par­tout en Tunisie. La parole se libère aujourd’hui, comme cela est arrivé en France pour la der­nière fois en Mai 68 : Que se dit-il ? Quelles sont aujourd’hui les aspi­ra­tions actuel­les du peuple tuni­sien ? Comment les gens envi­sa­gent-ils l’avenir ?

Tout dépend de la pér­iode. Au début, dans les deux ou trois jours après la chute, il était sur­tout ques­tion de la cor­rup­tion, et des partis poli­ti­ques et des indi­vi­dus qui allaient pren­dre en charge la situa­tion, pren­dre le pou­voir. Maintenant, les gens s’inter­ro­gent sur la pour­suite du mou­ve­ment. Des gens disent : puis­que le gou­ver­ne­ment est tou­jours en place, quatre minis­tres font partie de l’ancien régime, il faut que les mani­fes­ta­tions conti­nuent, jusqu’à leur départ. D’autres pen­sent que der­rière ce mou­ve­ment il y a des partis qui sont en train d’usur­per le mou­ve­ment pour leurs intérêts pro­pres et ils se ques­tion­nent à propos du nombre étr­an­gement impor­tant de for­ma­tions poli­ti­ques, se deman­dent quand est-ce qu’ils se sont cons­ti­tués, etc. D’ailleurs pour eux c’est une déc­ouv­erte : c’est la pre­mière fois qu’ils enten­dent parler d’orga­ni­sa­tions poli­ti­ques. Il s’est alors avéré que la popu­la­tion ne connais­sait pas ces for­ma­tions poli­ti­ques, ni aucune, d’ailleurs : pour eux c’était les deux ou trois qui étaient au pou­voir, point. Par exem­ple, cer­tains veu­lent que la vie nor­male reprenne, que rou­vrent les lycées, les écoles pri­mai­res, ils crai­gnent l’avenir. Il y a en a qui crai­gnent que l’armée prenne les choses en main si le mou­ve­ment se pour­suit.

De toute façon, quel­les que soient les diver­gen­ces, les gens sont d’accord sur une chose : on a chassé un dic­ta­teur, une famille cor­rom­pue, un régime tota­li­taire, c’est le mou­ve­ment de s’expri­mer et il ne faut plus avoir peur. Et c’est le plus impor­tant. Les peti­tes diver­gen­ces sur l’appréc­iation de la situa­tion actuelle, ça peut se com­pren­dre. Mais de toute façon, tout le monde est d’accord : fini la peur, fini la répr­ession, fini le parti unique, le reste est secondaire.

Dès les pre­miers jours après la fuite du dic­ta­teur, le pou­voir en place - qui n’a guère changé - a joué la carte de la peur. Il y a des cou­ches de la petite bour­geoi­sie ou en général des clas­ses moyen­nes qui veu­lent avec insis­tance qu’on revienne à la nor­male : Il faut que l’appa­reil pro­duc­tif reprenne ses acti­vités, que nos enfants retour­nent à leurs classe, etc. et que donc tout ça doit finir le plus tôt pos­si­ble. De l’autre côté, il y a ce qui se passe : les mar­ches, les mani­fes­ta­tions, les reven­di­ca­tions, qui sont quo­ti­dien­nes.

Il y a donc deux com­po­san­tes : le mou­ve­ment popu­laire spon­tané qui veut faire valoir ses droits et se reven­di­ca­tions. De l’autre côté, il y a les for­ma­tions poli­ti­ques peti­tes bour­geoi­ses qui veu­lent confis­quer et récupérer le mou­ve­ment, pour servir leurs intérêts privés et on pour­rait dire sec­tai­res – car c’est vrai­ment un com­por­te­ment sec­taire.

Avant d’abor­der les peti­tes manoeu­vres poli­ti­ques, quel­ques ques­tions sur le pro­ces­sus insur­rec­tion­nel. Vous connais­sez la France et l’émi­et­tement social qui la ravage : il y a en Tunisie comme dans tous les pays qui n’ont pas été com­plè­tement ravagés par le repli sur soi, l’égoïsme et l’indiffér­ence, une vie sociale dense et un peuple vivant et réactif digne de ce nom : en quoi cela a joué dans le mou­ve­ment ? Quels sont les réflexes popu­lai­res main­te­nus qui ont aidé à l’insur­rec­tion ?

Bien sur ça a joué. Ces rela­tions ont joué dans les peti­tes villes et les vil­la­ges, parce plus la ville est grande, moins il y a de rela­tions, plus elles sont lâches. Dans les pate­lins, les gens se connais­sent, tous. C’est la même chose en France, dans les milieux ruraux. C’est donc toute une concep­tion de l’urba­nisme qui est à méditer et à revoir, tout un amé­na­gement du ter­ri­toire. C’est un sujet énorme mais capi­tal dans le projet d’une société authen­ti­que­ment démoc­ra­tique. C’est donc les rap­ports de voi­si­nage, les liens fami­liaux, les connais­san­ces qui ont joué, il n’y a pas de spé­ci­ficité cultu­relle qui ferait qu’on serait héré­dit­ai­rement conçu pour faire des révo­lutions... D’ailleurs, on disait que les Tunisiens étaient un peuple de peu­reux : il s’est avéré que c’était abso­lu­ment faux. Ils ont affronté une répr­ession avec une cou­rage exem­plaire.

L’absence totale de lea­ders lors de l’insur­rec­tion puis la mise en place de comités de quar­tiers et la grande défi­ance de la popu­la­tion vis-à-vis des bureau­cra­ties poli­ti­ques ne ren­dent-elles pas la situa­tion favo­ra­ble à la pro­pa­ga­tion de vos idées et pra­ti­ques de démoc­ratie directe ?

Ce qui est para­doxal c’est que les sta­li­niens d’ici appel­lent les gens, dans leurs tracts, à se cons­ti­tuer en conseils popu­lai­res : c’est com­plè­tement en contra­dic­tion avec leurs dis­cours et leur idéo­logie. Ce sont des loups : ils peu­vent aider à ce que se cons­ti­tue de tels comités, mais pour se les acca­pa­rer ensuite à leur profit : on l’a déjà vu dans l’his­toire... Mais de toute façon, ils n’ont pas la pos­si­bi­lité de la faire, ni la clair­voyance néc­ess­aire. En tout cas, d’ici un mois, les choses vont se cla­ri­fier : l’idée cen­trale qui émane de la popu­la­tion, c’est que ce soulè­vement est le nôtre et on ne veut pas qu’il soit récupéré par les partis. Déjà c’est un acquis impor­tant. Quant à la récu­pération, tout le monde est contre, qu’elle vienne du pou­voir ou des oppo­sants. Pour nous, ces posi­tions vont dans le sens d’une démoc­ratie directe, en tous cas, ce sont les prém­isses. Nous allons conti­nuer à oeu­vrer en ce sens en tous cas.

Justement quel­les pers­pec­ti­ves vous donnez-vous aujourd’hui ? Le soulè­vement com­mencé à la mi-déc­embre ouvre effec­ti­ve­ment une pér­iode d’incer­ti­tude, et d’oppor­tu­nités : où en sont la popu­la­tion d’un côté et les bureau­cra­ties poli­ti­ques de l’autre ? Pensez-vous que l’insur­rec­tion est finie ou n’est-elle qu’un com­men­ce­ment ?

Il y a plu­sieurs manières de voir les choses, c’est une ques­tion de juge­ment poli­ti­que. Pour nous, nous assis­tons pra­ti­que­ment à la fin du mou­ve­ment, du moins sur le plan général, natio­nal – c’est différent dans les régions. Il y a donc deux façons de voir les choses. Il y a d’abord celle des gau­chis­tes, les natio­na­lis­tes arabes et tous les prét­endus oppo­sants - il y a aujourd’hui 26 for­ma­tions poli­ti­ques ! Pour eux, il faut conti­nuer le mou­ve­ment jusqu’à la fin pour s’acca­pa­rer le pou­voir. Pour nous, c’est du grand n’importe quoi. Ce qu’on peut faire main­te­nant, c’est conti­nuer la révo­lution mais pas sous les formes de mani­fes­ta­tions, d’émeutes, etc, mais sous la forme de luttes par­tout où c’est pos­si­ble, dans les entre­pri­ses, dans les admi­nis­tra­tions, etc. Donc, en fin de compte, ce qu’elle a donné cette « révo­lution », c’est que les gens n’ont plus peur de s’expri­mer, et non pas seu­le­ment dans les jour­naux, sur inter­net, mais sur­tout sur les lieux de tra­vail, là où ils sont. Il n’y a plus de peur. Donc sur ce plan-là, on a dépassé un stade, on a fait un saut qua­li­ta­tif sur le plan poli­ti­que. Mais il ne faut pas avoir l’illu­sion que le mou­ve­ment va conti­nuer dans le sens d’une révo­lution sociale avec prise de pou­voir : c’est de l’aven­tu­risme, de l’infan­ti­lisme et c’est ce qui est en train de se passer main­te­nant, sous la pres­sion des mou­ve­ments sta­li­niens, natio­na­lis­tes arabes, baa­sis­tes, etc. parce pour eux c’est une occa­sion qui ne va pas se représ­enter dans l’avenir, donc ils pro­fi­tent de l’occa­sion pour pous­ser les jeunes, tenter de mobi­li­ser les masses, et les ins­tru­men­ta­li­ser à cette fin. Mais nous pen­sons que cela va déb­oucher sur des rés­ultats contrai­res à leurs inten­tions...

Comme en France les « res­pon­sa­bles poli­ti­ques » ne visent qu’à faire partie de l’oli­gar­chie , des domi­nants, qui n’agis­sent plus que pour leurs pro­pres intérêts. Pensez-vous que le soulè­vement puisse donner nais­sance à des struc­tu­res popu­lai­res auto­no­mes avant que les cli­ques poli­ti­cien­nes ne confis­quent les affai­res du peuple ?

La récu­pération a déjà com­mencé. Nous assis­tons à une récu­pération opérée non seu­le­ment par les forces tra­di­tion­nel­les mais aussi par les for­ma­tions de l’oppo­si­tion - plus exac­te­ment ils veu­lent carrément avoir leur part du gâteau, du butin. C’est ce pro­ces­sus-là qui se dér­oule actuel­le­ment sous nos yeux. En ce qui concerne la conquête de la liberté, c’est le seul acquis véri­table, dans la mesure où tout le monde s’exprime libre­ment, sans rien crain­dre, de telle sorte que la prin­ci­pale artère de Tunis, l’avenue Bourguiba, est deve­nue un énorme espace de dis­cus­sion : on y voit par­tout des gens qui dis­cu­tent, qui déb­attent ou qui mani­fes­tent... Il y a des mani­fes­ta­tions tous les deux-trois heures, main­te­nant. C’est donc un mou­ve­ment démoc­ra­tique, dans la mesure où même la satis­fac­tion des reven­di­ca­tions socia­les fait partie des droits démoc­ra­tiques. Il y a donc des mani­fes­ta­tions devant les admi­nis­tra­tions, les sociétés, les sièges de com­pa­gnie, il y a des pétitions, des occu­pa­tions de locaux, des lieux de tra­vail, pour exiger la satis­fac­tion de reven­di­ca­tions qui datent d’une ving­tai­nes d’années. C’est un peu com­pa­ra­ble à des grèves sau­va­ges, c’est en tout cas les prém­isses de grèves sau­va­ges.

D’autre part, un autre acquis, c’est la cons­ti­tu­tion de comités de quar­tiers. Ces struc­tu­res-là sont tota­le­ment spon­tanées. Devant tout le monde et offi­ciel­le­ment, elles ont été cons­ti­tuées pour épauler les forces de l’ordre, pour le main­tien de l’ordre : cela c’est la ter­mi­no­lo­gie offi­cielle. En fait, dans la pra­ti­que, ces comités ont permis aux gens de déc­ompr­esser, de se déf­ouler, de dis­cu­ter, toutes les nuits et ont ainsi, de fait, bravé le couvre-feu gou­ver­ne­men­tal. Et puis cela confirme la ten­dance géné­rale qu’on peut résumer ainsi : dès que les masses com­men­cent à pren­dre leur des­tinées en main, à réfléchir, elles cons­ti­tuent des struc­tu­res, des comités, des conseils, des soviets - qu’impor­tent les déno­mi­nations - des chou­ras comme en Iran. Et ça s’est passé par­tout : lors des grèves en 1946 an Caire, en Iran en 1978 et actuel­le­ment en Tunisie. Ce qui cons­ti­tue un pas sup­plém­ent­aire vers le pou­voir popu­laire et les soviets. Il faut abso­lu­ment sou­li­gner cette dimen­sion-là.

Précisément, cette for­ma­tion de groupe de déf­ense dans les quar­tiers contre les pillards et les mili­ces de Ben Ali n’ont qu’une fonc­tion d’auto-déf­ense aujourd’hui. Pourraient-il vrai­ment cons­ti­tuer les germes d’une démoc­ratie directe face aux pou­voirs oli­gar­chi­ques qui ne man­que­ront pas de sortir des pro­chai­nes élections ? Quel peut être leur avenir si la sécurité se rétabli ?

En fait, les comités de quar­tier sont finis, pra­ti­que­ment. Les mili­tai­res nous ont dit : Regagnez vos maison, on a plus besoin de vous, vous avez joué un rôle pen­dant une pér­iode, finito... Mais on a noué des rela­tiosn avec les voi­sins. Avant les gens ne se disaient même plus bon­jour. Ils font connais­sance, main­te­nant, ils dis­cu­tent, se connais­sent : il y a un mou­ve­ment d’entraide, de sou­tien mutuel, qui n’exis­tait pas avant. On a même nourri les sol­dats lors de la fra­ter­ni­sa­tion, avec les cous­cous, la chorba, etc.

Il n’y a donc plus d’auto-orga­ni­sa­tion popu­laire parallè­lement à la rup­ture pro­fonde entre le peuple et les bureau­cra­ties poli­ti­ques tuni­sien­nes. Ne crai­gnez-vous pas que, comme en France, cela se trans­forme fina­le­ment en un refus viscéral de toute orga­ni­sa­tion, voire de tout dis­cours un peu général ?

Non. Les gens ne sont pas contre le prin­cipe de l’orga­ni­sa­tion : ils s’orga­ni­sent tout seuls, eux-mêmes. Ils disent : qui sont ces gens-là qui vien­nent nous parler à la télé­vision, nous donner des leçons, nous parler de révo­lution ? Tout le monde ici est devenu révo­luti­onn­aire : on n’a pas besoin de révo­luti­onn­aires pro­fes­sion­nels. C’est vrai­ment ça. Quand les gens disent : on ne veut pas de parti, qu’est-ce que c’est que tous ces partis et ces gens nou­veaux tous les jours qui vien­nent nous parler avec leurs lunet­tes à la télé­vision pour confis­quer notre révo­lution ? Les gens sont contre tous ces partis et c’est un acquis ! Les gens veu­lent contrôler eux-mêmes leur avenir.

Il y a eu cette fra­ter­ni­sa­tion, ces dis­cus­sions, qui sont l’essence même du pro­ces­sus insur­rec­tion­nel, mais les divi­sions au sein de la société tuni­sienne sont très impor­tan­tes : entre clas­ses socia­les, entre hommes et femmes, entre régions pau­vres et les autres, entre quar­tiers popu­lai­res ou bour­geois, entre milieux urbains ou rural...

Bien sûr. Par exem­ple, pour repren­dre les ques­tions brûlantes, il y a tou­jours ces régions de l’intérieur du pays qui se sen­tent tou­jours un peu délaissées par rap­port aux régions côtières et c’est normal car la bour­geoi­sie ne veut pas inves­tir dans ces régions peu ren­ta­bles en termes de profit. Il y a donc de forts déséq­ui­libres rég­ionaux. La rép­onse des gau­chis­tes est qu’il faut inves­tir, créer des entre­pri­ses, dével­opper les régions : c’est une rép­onse essen­tiel­le­ment pro­duc­ti­viste. L’UGTT (Union Générale des Travailleurs Tunisiens) pré­pare un pro­gramme dont l’unique objec­tif est de générer une crois­sance éco­no­mique. Ce serait la solu­tion, pour eux. Comme au temps de la col­lec­ti­vi­sa­tion, l’UGTT se considère comme un parti qui col­la­bore à la ges­tion du pays. Notre concep­tion est tout à fait différ­ente : il fau­drait revoir les choix tech­no­lo­gi­ques, agri­co­les, sociaux, etc. Il fau­drait un système basé sur l’entraide : ce n’est pas parce qu’une région pro­duit beau­coup qu’elle doit tout s’acca­pa­rer. Il faut redis­tri­buer pour que tout le monde pro­fite des riches­ses natio­na­les. On demande donc une dis­tri­bu­tion équi­table entre indi­vi­dus mais aussi entre régions. Par exem­ple Sidi Bouzid, la ville d’où tout est parti, pro­duit 17% des fruits et légumes de Tunisie et pour­tant même les gens de là-bas n’en pro­fi­tent pas.

Alors il y a ces injus­ti­ces énormes qui demeu­rent et en même temps un mou­ve­ment pro­fond qui tra­verse toute la société et tout le pays. Quelles sont les reven­di­ca­tions qui sont avancées précisément, dans toutes ces luttes ?

Les reven­di­ca­tions sont mul­ti­ples. Il y a en Tunisie beau­coup d’ouvriers qui n’ont pas de statut, des jour­na­liers, mal payés. Et c’est ainsi dans la plu­part des bran­ches, les PME font beau­coup de sous-trai­tance pour les gran­des entre­pri­ses europé­ennes. Donc les condi­tions de tra­vail sont vrai­ment lamen­ta­bles. On a par exem­ple cette loi d’avril 1972, ins­tauré par Hedi N. l’ancien pre­mier minis­tre de l’époque, qui permet aux entre­pri­ses étrangères d’ouvrir des boîtes ici avec exemp­tion d’impôts pen­dant 5 ans avec une pro­duc­tion des­tinée à l’expor­ta­tion. Elles béné­ficient pra­ti­que­ment de la pro­tec­tion de l’Etat, de la gra­tuité des infra­struc­tu­res de base, par exem­ple, sous cou­vert de lutte contre le chômage - et il n’y a bien entendu ni syn­di­cats ni rien du tout malgré des salai­res de misère.

Et il y a d’autre part des reven­di­ca­tions d’ordre plus poli­ti­que. Dans les entre­pri­ses, les admi­nis­tra­tions, il y a la cor­rup­tion, le piston, le favo­ri­tisme : il y a tout un mou­ve­ment aujourd’hui contre toutes ces pra­ti­ques, cette men­ta­lité. Il y a même les poli­ciers qui se sont mobi­lisées pour de meilleu­res condi­tions de tra­vail, par exem­ple, mais il y a sur­tout les tra­vailleurs dans les aéroports, les sala­riés muni­ci­paux, les infir­miers, les ouvriers de la voirie, etc. Pour les médecins, par exem­ple, un sec­teur que je connais, il y a une pétition qui a cir­culé pour dire que, doré­navant, les soi­gnants et les inter­nes n’accep­taient plus d’être mal­menés par les grands chefs de ser­vice : ils veu­lent la fin du man­da­ri­nat. Il y a donc des reven­di­ca­tions d’ordre pure­ment éco­no­mique, mais aussi une dimen­sion plus poli­ti­que, qui réc­lame la démoc­ratie dans tous les établ­is­sements. Et c’est le plus impor­tant : si on veut pro­fi­ter des acquis de ce soulè­vement, il faut conti­nuer dans ce sens-là, tra­vailler à ça.

Oui, mais parallè­lement, il y a un pro­ces­sus élec­toral en cours pour établir un gou­ver­ne­ment élu. Que peut-il en sortir ? Verra-t-on émerger autre chose qu’un petit jeu d’oli­gar­ques obsédés par le pou­voir comme le connais­sent tous les pays où règnent une oli­gar­chie libé­rale appelée « démoc­ratie représ­en­ta­tive » ?

Il y a bien sur cette autre voie, qui a été choi­sie par d’autres : conti­nuer les mani­fes­ta­tions, pous­ser le système à bout, parce qu’ils pen­sent qu’ils ont les forces suf­fi­san­tes pour faire tomber ce gou­ver­ne­ment-là. Bien sûr, ils peu­vent avoir raison. Ils sont enca­drés par l’UGTT et cet orga­nisme-là a une spé­ci­ficité en Tunisie : il a tou­jours eu un rôle poli­ti­que pri­mor­dial dans le pays : par exem­ple l’expéri­ence de col­lec­ti­vi­sa­tion des années 60 en Tunisie. Le pro­gramme col­lec­ti­viste, c’était le projet de l’UGTT. Elle a sou­tenu par la suite, à partir des années 70 la montée du capi­ta­lisme sau­vage, ce qu’on appelle la « démoc­ratie libé­rale ». Donc l’UGTT a tou­jours été un appui pour le gou­ver­ne­ment. Comme le soulè­vement a lar­ge­ment dépassé tous les cadres des partis, syn­di­cats, etc. depuis sa nais­sance, l’UGTT fait main­te­nant sem­blant de l’épouser, elle prend le train en marche et récupère toutes les orga­ni­sa­tions poli­ti­ques d’oppo­si­tion. Par exem­ple, tous les partis d’oppo­si­tion se réun­issent aujourd’hui au siège de l’UGTT. Elle a évid­emment présenté trois minis­tres pour le pro­chain gou­ver­ne­ment, et puis s’est retirée. Pourquoi ? Parce que tous les for­ma­tions poli­ti­ques, gau­chis­tes, natio­na­lis­tes arabes, etc. essen­tiel­le­ment peti­tes-bour­geoi­ses, s’étant mises sous le patro­nage de l’UGTT, celle-ci est deve­nue la force poli­ti­que prin­ci­pale du pays. Donc elle n’est plus sim­ple­ment un syn­di­cat, mais elle est pra­ti­que­ment deve­nue un gou­ver­ne­ment dans le gou­ver­ne­ment. Ce front commun est en train de faire des trac­ta­tions pour abou­tir à un gou­ver­ne­ment où tous ces mou­ve­ments-là, donc les 25, seraient présents - et ça c’est impos­si­ble. On va donc au-devant de grands affron­te­ments poli­ti­ciens pour les places au pou­voir...

L’UGTT, l’équi­valent de la CGT en France, a été fondée en 1946 et a tou­jours été une force poli­ti­que. Je dirai même un parti poli­ti­que et une com­po­sante de la machine poli­ti­que de la bour­geoi­sie tuni­sienne. Depuis sa création elle a par­ti­cipé acti­ve­ment à la lutte de libé­ration natio­nale et la dimen­sion reven­di­ca­tive a tou­jours été esca­motée. Ce qui a pré­valu a été l’aspect lutte de libé­ration natio­nale et même la lutte armée à partir de 1952. On peut dire que le soulè­vement qui se passe main­te­nant est com­pa­ra­ble à celui de 1952, qui a abouti à la création de for­ma­tions de par­ti­sans qui ont pris le maquis et qui ont lutté contre les forces colo­nia­lis­tes les armes à la main, avant même le décl­enc­hement de l’insur­rec­tion algéri­enne en 1954. Donc il y avait un soulè­vement popu­laire de masse en 1952 et l’his­toire a fait que le deuxième soulè­vement depuis cette date est déc­embre-jan­vier 2011. Ces évé­nements ne se pro­dui­sant pas tous les jours...

D’autre part, l’armée a joué un rôle très impor­tant dès le début en appa­rais­sant comme une force de non-col­la­bo­ra­tion - un général ayant été limogé pour avoir refusé de tirer sur la foule dès les pre­mières mani­fes­ta­tions – et à la fin pour main­te­nir un sem­blant d’ordre : qu’en est-il exac­te­ment ? Et n’y a-t-il pas là un danger d’une main­mise mili­taire sur l’évo­lution de la situa­tion ?

Il faut dire que Ben Ali a tout fait, dès le début, pour limi­ter le rôle des mili­tai­res : il est lui-même d’ori­gine mili­taire et sait donc très bien le danger que l’armée pou­vait représ­enter pour son pou­voir. Par contre, il a conso­lidé l’appa­reil répr­essif du ministère de l’intérieur : il a aujourd’hui 50.000 sol­dats mais 220.000 poli­ciers... Alors les mili­tai­res n’ont pas voulu inter­ve­nir dès le début pour limi­ter les dégâts. Mais par la suite, pen­dant 24 h, on a eu une anar­chie totale pro­vo­quée par l’absence des poli­ciers, avec l’inter­ven­tion de l’ancien res­pon­sa­ble du ministère de l’intérieur nommé par Ben Ali. Là-dessus les mili­tai­res sont inter­ve­nus, mais juste pour rétablir l’ordre. Pour l’avenir, leur inter­ven­tion n’est pos­si­ble que si la situa­tion empire et sur­tout que si les mani­fes­ta­tions se pour­sui­vent de la même manière, ce qui est pro­ba­ble, et cela se fera bien entendu avec l’aval du ministère de l’intérieur, qui est en pleine restruc­tu­ra­tion. Le gou­ver­ne­ment va faire des conces­sions dans l’avenir : si le mou­ve­ment se pour­suit de la sorte, l’armée inter­vien­dra direc­te­ment car la bour­geoi­sie ne tolé­rera jamais une telle situa­tion. Elle fait déjà appel à tous ses ténors à la télé, qui se remet à dés­inf­ormer aujourd’hui et joue un grand rôle dans la récu­pération par la bour­geoi­sie. Objectivement il y a des for­ma­tions poli­ti­ques soi-disant révo­luti­onn­aires qui, à la fois, pous­sent le mou­ve­ment vers une prét­endue radi­ca­li­sa­tion et, en même temps, sont invitées sur les chaînes de télé­visions et assu­rent leur avenir per­son­nel.

On peut dire que l’ins­ti­tu­tion mili­taire est partie pre­nante dans ce qui s’est passé, dans le soulè­vement, même indi­rec­te­ment. Car cette ins­ti­tu­tion a refusé de tirer sur les masses et a exercé une pres­sion sur le dic­ta­teur pour qu’il fasse ses baga­ges et qu’il parte. Ça c’est clair. Maintenant, l’ins­ti­tu­tion mili­taire est poli­tisée et inter­vient direc­te­ment dans le champ poli­ti­que et social.

On sait que la popu­la­tion tuni­sienne est une des plus laïques du monde mais que la reli­gion est un refuge face à la perte de sens du monde actuel. Comme dans tous les pays arabo-musul­mans, les isla­mis­tes conquièrent peu à peu la rue, lais­sant le pou­voir aux États poli­ciers ou mili­tai­res. Les isla­mis­tes tuni­siens ont payé un lourd tribut durant le règne de Ben Ali, qui fon­dait sa légi­timité auprès de l’Occident sur cette répr­ession féroce, mais ils ont été invi­si­bles durant ce soulè­vement, exac­te­ment comme le Front National en France lors des mou­ve­ments sociaux. Ont-ils par­ti­cipé à l’insur­rec­tion et com­ment la voient-ils ? Quelles sont l’état de leur force aujourd’hui, leurs inten­tions et quel­les sont leurs capa­cités de nui­sance dans un avenir pré­vi­sible ?

Nous pen­sons qu’ils sont très dan­ge­reux. Ils ont été absents du soulè­vement, sauf le der­nier jour où ils ont tenté une manoeu­vre de récu­pération, à tra­vers l’ins­tru­men­ta­li­sa­tion des mar­tyrs, mais sans succès. Leur tac­ti­que aujourd’hui est de par­ti­ci­per mais de manière invi­si­ble. Dans les faits, ils ont infil­tré plu­sieurs quar­tiers popu­lai­res de Tunis. Le leader du parti Ennahdha intégr­iste va rega­gner Tunis et il pense restruc­tu­rer le cou­rant pour lais­ser la place aux nou­vel­les géné­rations. Ils ont donc un agenda secret : ils ne se prés­entent pas imméd­ia­tement mais se pré­parent pour les pro­chai­nes élections. Ils sont là, ils sont prêts. Quand les autres seront essouf­flés, ils vont monter à l’assaut. D’autant plus qu’on sent que Khadafi s’allie avec eux : c’est une magouille, évid­emment, il n’est pas intégr­iste, mais il pra­ti­que la poli­ti­que de la terre brûlée car il a très peur pour son pou­voir : le rés­ultat de ce soulè­vement tuni­sien est qu’il a une ampleur inter­na­tio­nale et il est le pre­mier à crain­dre que l’exem­ple chez nous soit suivi chez lui. Il y a déjà des peti­tes mani­fes­ta­tions en Libye et il a limogé quel­ques offi­ciers de l’armée - soit-disant pour cor­rup­tion... Alors il est ter­ri­ble­ment gêné : la meilleure chose à faire pour lui est donc de créer l’anar­chie, le chaos, et pour ça il faut qu’il sou­tienne les Frères musul­mans. D’ailleurs Ghannouchi, le leader des intégr­istes tuni­siens, a déclaré qu’il apprécie la posi­tion de Khadafi, qui était contre le mou­ve­ment depuis le départ. Nous pen­sons donc qu’il y a une alliance objec­tive entre le gou­ver­ne­ment libyen et les intégr­istes, et que c’est un grand danger.

Ce qui sou­lage un peu, c’est que la nou­velle géné­ration, disons les 15 – 25 ans, n’a pas vécu la montée de l’isla­misme des années 80, donc elle est quand même un peu vac­cinée contre l’intégr­isme, même si rien n’est cer­tain. On sent d’ailleurs que les gens, dans les comités de quar­tier, ont déjà peur de l’arrivée de l’intégr­isme, de l’arrivée de Ghannouchi. Et cette même géné­ration n’a pas vécu non plus les rava­ges de la montée du gau­chisme. C’est donc, en quel­que sorte une géné­ration vierge de ces idéo­logies-là, elle n’a pas été conta­minée.

Bon, tout cela n’empêche que les intégr­istes veu­lent repren­dre les choses en mains, même si c’est pas pour demain. Il faut donc rester très vigi­lant. D’autant plus que les gau­chis­tes sont en train de faire des allian­ces avec ces gens-là, et ça c’est le plus dan­ge­reux. Par exem­ple, lors la réunion de tous les partis qui a eu lieu réc­emment, il y a eu aussi des représ­entants des intégr­istes : on a donc dans la même salle des trots­kys­tes, des sta­li­niens, des isla­mis­tes, etc. C’est vrai­ment incom­préh­en­sible pour nous, des gens qui s’allient de la sorte.... C’est comme chez vous : vous vous avez les islamo-gau­chis­tes, nous on a aussi ces allian­ces, mais avec toutes les nuan­ces, les degrés différents d’un groupe à un autre. De toutes les façons, d’ici dix ans ils ne représ­en­teront pas un danger. C’est une menace évid­ente et lourde, mais pas imméd­iate.

Les gou­ver­ne­ments français suc­ces­sifs ont tou­jours été d’un sou­tien sans faille pour le régime mons­trueux de Ben Ali et sa mise à sac du pays. Lors des évé­nements le quai d’Orsay a été d’une com­pli­cité à peu près totale et aujourd’hui il est d’une nul­lité cons­ter­nante…

La France a été dépassé par les Américains. Alors même qu’Alliot-Marie pré­parait ses cais­ses de tonfas à des­ti­na­tion de Tunis, les Etats-Unis pré­paraient l’éviction de Ben Ali avec l’aide de l’armée tuni­sienne... Les bombes lacry­mogènes sont fina­le­ment restées à l’aéroport, mais on voit quand même que la diplo­ma­tie amé­ric­aine est plus fine... Il n’y avait pas d’accord entre les deux puis­san­ces, alors ce sont les Américains qui ont décidé seuls de sacri­fier ce pauvre Ben Ali...

La révo­lution tuni­sienne, laïque, spon­tanée, fra­ter­nelle et dét­erminée est un espoir éclatant mais fra­gile pour tout le Maghreb et le monde arabe. Certains espèrent en un effon­dre­ment général comme celui qui a sapé l’empire sovié­tique, il y a vingt ans. Les dic­ta­tu­res envi­ron­nan­tes ne ris­quent-ils pas de toute tenter pour éto­uffer dans l’oeuf ce mou­ve­ment d’éman­ci­pation ? Comment la Tunisie pour­rait-elle se dégager de tous les chan­ta­ges inter­na­tio­naux, que le FMI en pre­mier lieu excelle à pra­ti­quer ?

Quand on dis­cute avec cer­tains gau­chis­tes, ici, on leur dit qu’il faut tou­jours ana­ly­ser le mou­ve­ment dans son contexte rég­ional, natio­nal, inter­na­tio­nal et aussi géo­po­li­tique. On sait très bien que même si on était dans une situa­tion révo­luti­onn­aire, comme ils le croient, le capi­ta­lisme mon­dial empêc­herait tout chan­ge­ment radi­cal. Donc il faut voir les choses avec leurs limi­tes et tra­vailler sur le long terme, en ren­forçant les acquis qui sont les nôtres aujourd’hui, etc.. Les évé­nements en Egypte tém­oignent del’influence de l’insur­rec­tion ici, qui a des échos comme en Algérie où c’est plus limité ou même en Albanie, notre petite soeur cadette... Et pour­quoi pas de là à l’Italie, on ne peut pas savoir...

De toute façon, il faut tra­vailler sur le fond, en main­te­nant nos posi­tions. Il y a encore beau­coup de choses à faire.
kuhing
 

Re: Tunisie

Messagede Nico37 » 03 Fév 2011, 19:50

Révolution en Tunisie In Le Monde libertaire n°1621 (3-9 février 2011)

Au début des années soixante, Jean Duvignaud, professeur de sociologie à la faculté de Tunis, emmena ses étudiants à Chebika, une oasis pauvre et archaïque du sud de la Tunisie, dans le but de réaliser une étude sociologique de terrain. Les jeunes hommes et femmes qui participèrent à cette recherche, issus de la moyenne et haute bourgeoisie tunisoise, découvrirent avec stupeur la réalité d’un pays qu’ils ne soupçonnaient même pas, un pays à mille lieues des promesses de développement que la toute jeune république tunisienne d’alors, encore ivre de sa toute fraîche indépendance, servait au peuple tunisien 1. Cinquante ans plus tard, c’est avec la même surprise, teintée d’incrédulité, que les opinions publiques occidentales découvrent la face cachée du « miracle » tunisien, avec l’irruption du peuple de Sidi-Bouzid. Qu’un pays aussi calme, vanté pour sa stabilité, sa modernité et sa prospérité fasse irruption de manière aussi inattendue sur la scène de l’histoire, et s’invite dans le mouvement des insurrections ; diantre, voilà de quoi réviser les certitudes selon lesquelles les peuples de la périphérie n’ont d’autre choix que la chicotte autoritaire ou la férule religieuse. D’un tel événement, on ne peut dire qu’il surgisse de nulle part, comme si le peuple qui l’a mis au jour n’avait pas d’histoire, et aucune conscience de celle-ci.

Des origines

Des insurrections, l’histoire tunisienne en a connu, et certaines des plus célèbres, comme celle de 1864 2, sont nées précisément dans cette même région du centre-ouest déshérité et frondeur, qui a déclenché la révolution de décembre 2010. Plus tard, au premier temps du protectorat français, instauré en 1881, d’autres soulèvements populaires ont marqué la mémoire du peuple tunisien et la naissance du mouvement indépendantiste. Des grèves, des affrontements parfois durement réprimés, des assassinats, dont celui du leader syndicaliste Ferhat Hached 3 en 1952, ont scandé la marche vers l’indépendance, acquise en 1956. Et le long règne de Habib Bourguiba ne s’est pas passé sans heurts ni frictions : 1969, émeutes dans tous le pays contre la collectivisation des terres (la Tunisie vit alors une expérience « socialiste » sous la conduite du Premier ministre Ben Salah) ; 1972, manifestations des étudiants durement réprimées (et coup de pouce donné aux islamistes par le gouvernement pour contrer les gauchistes) ; 1978, le jeudi noir du 26 janvier, 200 morts lors de la répression contre les manifestations à l’appel de l’Union générale tunisienne du travail (un certain Ben Ali à la direction de la sécurité) ; 1984, émeutes dites du pain, encore une fois durement réprimées. Mais s’il faut chercher une source au mouvement qui a pris naissance le 17 décembre dernier, c’est dans la révolte du bassin minier de Gafsa de 2008.

Gafsa 2008

Cette région du sud-ouest, à l’orée du désert, prés de la frontière algérienne, a été le théâtre durant l’année 2008 d’une série d’émeutes et de mouvements de protestation préfigurant ce qui vient de se produire en décembre 2010 et janvier 2011 4. Dans cette région, le principal employeur est la Compagnie générale du phosphate. Ses salariés sont bien payés, eu égard au standard tunisien : 1 000 dinars (500 euros), soit près de cinq fois le salaire minimum. Cette activité a subi les plans de libéralisation et de restructuration qui ont divisé par trois les effectifs en vingt ans, sans qu’aucun projet de réindustrialisation ou de reconversion ne vienne suppléer à cette situation, alors que les cours mondiaux du phosphate s’envolaient (+125 % entre 2007 et 2008 !) : le taux de chômage officiel, dans la région, atteignait près de 30 %. Ce sont les jeunes chômeurs diplômés, regroupés au sein d’une Union des diplomés chômeurs, non reconnue, qui ont lancé le mouvement de protestation, rejoint par les lycéens, les travailleurs précaires, les familles d’ouvriers accidentés du travail. Sit-in, manifestations, blocages des routes et des chemins de fer (par où transite le phosphate extrait des mines), affrontements avec la police : toutes les modalités d’action ont été mises en œuvre dans cette lutte, de manière spontanée, sans cadres politiques et avec très peu de soutien syndical. La maigre opposition politique reconnue alors par Ben Ali est loin du terrain, et préoccupée par l’élection présidentielle de 2009, à laquelle, toute honte bue, elle a décidé de prendre part : on connait les résultats de cette mascarde 5. Et le soutien syndical est resté strictement local, sans pratiquement aucune implication de l’échelon régional, voire contre lui, et encore moins national. L’isolement, l’absence de soutien extérieur 6, l’inexpérience des protestataires et surtout le déploiement de tout l’appareil répressif ont eu raison de ce mouvement. Mais des « germes ont été semés dans le désert 7».

Du régime

Lorsque le général Ben Ali prend le pouvoir, le 7 novembre 1987, à la faveur de ce qu’on a appelé un coup d’État médical, le régime issu de l’indépendance est à bout de souffle. Le président Bourguiba, qui a fait modifier la Constitution en 1975 afin d’être président à vie, est quasiment sénile. Le mouvement islamiste a posé des bombes et menace de prendre le pouvoir. La situation est extrêmement tendue ; aussi, l’annonce de la déposition du « Combattant suprême » est accueillie avec soulagement par un grand nombre de Tunisiens. D’autant plus que le nouveau président s’engage à réformer l’état, à démocratiser la société, et à préserver les principaux acquis du bourguibisme que sont le droit des femmes et l’accès à l’éducation pour tous. Mais faut-il croire en la parole d’un flic ?
Très vite, le nouveau maître de Carthage va cadenasser la Tunisie. Après avoir durement réprimé le mouvement islamiste, emprisonnant 30 000 de ses membres avec l’aval de tous les partis, il va peu à peu retourner son appareil répressif contre ces mêmes partis, les faisant disparaître, contraignant les leaders de l’opposition à l’exil. Peu à peu, une chape de plomb va tomber sur la Tunisie. Dans le même temps, il va obtenir l’appui des puissances occidentales, en leur servant le discours frelaté du rempart contre l’islamisme, de défenseur du droit des femmes et de modernisateur de la Tunisie. L’ouverture des frontières avec la suppression progressive des droits de douane, l’adoption des plans d’ajustement du FMI et l’application du modèle économique capitaliste dans sa version néolibérale, ainsi que sont alignement sans réserve sur la politique extérieure des États-Unis et de la France au lendemain de la chute du mur de Berlin, vont en faire un des meilleurs élèves du système. Alors qu’il n’a aucune étoffe, aucune légitimité historique, contrairement à son prédécesseur, il va imposer son style, ou plutôt son absence de style, en s’appuyant sur les deux principaux piliers de son système : la police et le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), qu’il a construit à sa main à partir du vieux parti socialiste destourien, héritier du Néo-Destour de Bourguiba. La conjoncture internationale lui est propice : l’économie tunisienne décolle, avec des taux de croissance annuels de 5 % entre 1995 et 2002. La faible croissance démographique (1,3 % par an), l’installation de nombre d’industries étrangères, attirée par une main-d’oeuvre bon marché et réputée travailleuse et docile, le développement du tourisme, tout cela concourt à ce qu’on appelle alors la naissance du dragon africain. Le revenu par tête d’habitant devient le premier d’Afrique du Nord. La politique du crédit facile permet à la classe moyenne de se donner l’impression d’accéder à la prospérité : ce sont les années du « consomme et tais-toi ». Ben Ali s’achète ainsi facilement l’accord de la majorité de la population, attirée par ce nouveau modèle économique qui lui apporte les joies du consumérisme. Cela vaut bien qu’on ferme les yeux sur les dérives autoritaires. Et puis le voisin, le géant algérien, depuis toujours craint par les Tunisiens, est plongé dans une atroce guerre civile, dont Ben Ali profite indirectement : « C’est moi ou le chaos. » Le RCD étend alors son emprise sur la société : pas un village, pas une administration ou une entreprise qui ne possède sa cellule. Elle voit tout, sait tout et presque tout passe par elle. Une démarche administrative ? Un emploi dans la fonction publique ? Un logement ? Le RCD est là. Il finira par revendiquer près de 2 millions d’adhérents (soit 20 % de la population !). La plupart par opportunisme, plus que par idéologie. L’autre pilier du régime, la police, va prendre un essor considérable. Selon les sources, il y a dans la Tunisie de Ben Ali entre 100 000 et 180 000 flics : ceux en tenue, mais aussi les polices parallèles, les indicateurs, les milices. Autant de flics qu’en France, pour une population deux fois moindre.

La famille

Ce qui est nouveau dans ce régime, c’est la mainmise sur l’économie du pays par une clique maffieuse, qui se constitue autour des familles de Ben Ali et de sa femme, Leila Trabelsi 8. Depuis la chute du dictateur, les médias, jusque-là aveugles, ont fait leurs choux gras des comportements de ces voleurs et de leurs prédations. Tout ce qui pouvait être source de profit était accaparé par la famille, au besoin par la violence et les menaces, et pratiquement au vu et au su de tous. Des industriels, des banquiers, des hommes d’affaires, tunisiens et même étrangers, ont été soumis au racket de cette bande. Au point que des investisseurs potentiels ont préféré mettre un terme à leur projet, plutôt que de composer avec les clans. Ces attitudes ne sont pas spécifiques à la Tunisie, mais ils ont atteint un tel degré qu’ils ont fini par alerter l’ambassade des États-Unis, qui y voyait une menace pour la stabilité économique et politique du pays 9. Alors que sous Bourguiba la corruption était quasiment inexistante, elle est devenue systématique, à tous les échelons de la société. Même le Tunisien lambda se voyait harcelé par les flics qui lui extirpaient 20 dinars pour une infraction imaginaire au code de la route.

La société

Ce qui frappait le voyageur qui débarquait en Tunisie, à condition de sortir des réserves à touristes du bord de mer, c’était l’omniprésence du portrait du dictateur, partout, dans la rue, les boutiques ; les avenues du 7 novembre, places du 7 novembre, cafés du 7 novembre, avec leurs monuments sommet du kitch à la gloire du 7 novembre, «7», chiffre fétichisé jusqu’à paraître idolâtre dans un pays musulman, 7 novembre, date du début de « l’ère du changement » selon la logomachie officielle. La peur, qui devient surtout palpable depuis la fin des années quatre-vingt-dix, avec la méfiance qui s’instille sournoisement et qui pourrit les relations. La présence policière permanente, pesante, que l’on ressent dès l’arrivée à l’aéroport, avec ces flics arrogants, méprisants, sûrs de leur force et de leur impunité. Les discussions chuchotées, le silence devant l’étranger, la peur du mouchard au café ou dans le taxi : voilà quel a été le quotidien des Tunisiens pendant toutes ces années. Avec aussi le sentiment d’être pris pour des demeurés, des idiots auxquels on devait inlassablement répéter, par la télé, la radio et les journaux, tous les jours, que le président avait « pris en charge le destin de la nation et que sous sa conduite clairvoyante la société, forte de ses acquis en matière de démocratie et de droits humains, dus à la sûreté des choix présidentiels, allait relever tous les défis posés à la nation sur la voie du changement ». Véridique ! Pour ceux qui n’avait pas connu les démocraties populaires de l’autre côté du rideau de fer, et pour ceux qu’un voyage en Corée du Nord effrayaient (à juste titre), la Tunisie de Ben Ali offrait tout ce qu’un Big Brother était à même de fournir : le décalage total, radical, entre le discours et la réalité, à des sommets qu’Orwell lui-même aurait eu du mal à imaginer. Pour la galerie, il y avait quelques partis d’opposition tolérés, certains ayant mêmes des strapontins à l’Assemblée nationale. Lors des élections présidentielles, des opposants, choisis par le parti présidentiel, se présentaient, en s’excusant et en appelant le peuple à voter pour leur supposé adversaire. À l’issue de ces mascarades, le président Ben Ali se trouvait crédité de 95 % des voix… Et il recevait les félicitations de ceux, nombreux, qui, en France et ailleurs, voulaient faire croire à la démocratie en Tunisie. Par souci d’humanité, nous ne citerons aucun nom, les mêmes qui aujourd’hui apportent leur soutien « désintéressé et sincère aux légitimes aspirations du peuple tunisien 10 ». Mais dans cette société maintenue sous l’étouffoir, quelques-uns et quelques-unes, courageux, ont résisté. Des avocats, des militants et militantes des droits de l’homme, des politiques, des écrivains, des internautes ; certains l’ont payé cher, certains y ont laissé leur vie, je pense à Zouhair Yahyaoui, entre autres…

Et puis le peuple...

Celui qu’on croyait absent, écrasé, marginalisé est réapparu, presque par surprise, par une sorte de pied de nez que l’histoire nous réserve. Et il y a eu Mohamed Bouazizi, le marchand ambulant de Sidi-Bouzid dont le geste de désespoir a soulevé tout un peuple ; ce qui n’avait pu se faire en 2008 à Gafsa à tout à coup été possible, la jonction entre les différents acteurs de la société s’est faite : jeunes des villes et des campagnes, chômeurs et ouvriers, avocats et marginaux. Et très tôt, ce que nos pitoyables journaux français ont appelé une émeute, comme s’il s’agissait d’un fait divers de banlieue, s’est transformé en une gigantesque tornade qui a balayé un dictateur, et qui s’en prend maintenant à la dictature. Aujourd’hui un peuple a retrouvé sa dignité, un peuple d’un petit pays de la périphérie, assigné au rôle de destination du tourisme de masse et de réserve de main-d’œuvre bon marché, a su renversé le cours de l’histoire et a soulevé une gigantesque vague d’espoir dans le monde entier; un peuple désarmé, seul, sans aide extérieure est en train de filer la trouille à tous les tyrans, est en train de démentir tous ceux qui pensaient que seule la dictature convient aux métèques arabo-musulmans, qui seraient par essence incompatibles avec l’idée même de démocratie 11. Un peuple aux prises avec son histoire, qui a bien d’autres obstacles à surmonter. Par sa volonté de vivre, il a forcé le destin, il a dissipé les ténèbres et il a brisé ses chaînes.

Mohamed, groupe Pierre-Besnard de la Fédération anarchiste

1. Jean Duvignaud, Chebika, Plon. Un très beau film a été tiré de ce livre : Les Remparts d’argile de Jean Bertucelli.
2. B. Slama, L’Insurrection de 1864 en Tunisie, Ceres, 1967.
3. Ferhat Hached a fondé l’Union générale tunisienne du travail en 1947, qui a été l’un des principaux artisans de l’indépendance. Les rapports de ce syndicat avec le pouvoir ont toujours été conflictuels, et même Ben Ali n’a pu totalement le mettre à sa botte.
4. Pour de plus amples informations : Larbi Chouikha et éric Gobe, « La Tunisie entre la révolte du bassin minier de Gafsa et l’échéance électorale de 2009 », L’Année du Maghreb, vol. V, 2009 (http://anneemaghreb.revues.org/623).
5. Lors de cette élection, Ben Ali n’obtient que 89,62 % des suffrages…
6. À l’exception de la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH), du Parti communiste ouvrier tunisien (PCOT, interdit à l’époque) et de quelques personnalités…
7. Moncef Marzouki, opposant de la première heure à Ben Ali, ancien dirigeant de la LTDH, président du Conseil pour la république (CPR, interdit sous Ben Ali).
8. Nicolas Beau et Catherine Graciet, La Régente de Carthage, La Découverte, 2009.
9. Les câbles américains sur la Tunisie sont consultables en français sur internet : taper « tunileaks » dans un moteur de recherche. Les Français n’ont rien vu venir…
10. Pour immortaliser cette amitié franco-tunisienne du temps de Ben Ali, un mur de la honte (wall of shame) se constitue sur Facebook.
11. Michel Onfray, préface à L’Impasse islamique, Hamid Zanaz, éditions libertaires, 2009.
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Re: Tunisie

Messagede Pïérô » 20 Oct 2011, 13:51

j'ai demandé à pouvoir poster ici, et j'en remercie les camarades d'AL de Nantes, un compte rendu d'une soirée débat à Nantes organisée par la CNT avec un révolutionnaire tunisien, Arbi Kadri, qui amène des éléments intéressants :

Après la manif en mémoire du 17 octobre 1961, la CNT avait organisé une rencontre-débat avec un militant tunisien de l’UDC (Union des diplômés chômeurs), pour expliquer et donner son point de vue sur la révolution de 2011.

Un témoignage de la révolution.

Il nous a d’abord montré un film (Liberté Liberté) tourné par lui et des gens de l’UDC ou des militants qu’il connaît pendant les événements de 2011, dans la région de Regueb, une ville plutôt agricole du centre du pays à une centaine de km du bassin minier de Gafsa.
Un de ses buts est de montrer que la révolution s’est amplifiée à partir du 17 décembre, et qu’il ne s’agit pas d’une révolution du 14 janvier.
Le film montre les manifestations et les résistances mais aussi la répression policière, les tirs à balle réelles dès le mois de décembre. Les cadavres de leurs camarades sont amenés à l’hôpital et la caméra montre que les tirs les ont touchés en plein cœur à chaque fois et que la police avait donc bien la volonté de tuer.
Le film montre aussi les exactions policières telles que les saccages des boutiques car les manifestants se réfugiaient parfois dedans pour échapper à la police. Ces saccages avaient été présentés à la télé tunisienne (Canal 7) comme un fait des manifestants.
Ensuite le film suit une marche partant de Regueb, de Sidi Bouzid pour aller à Tunis (400 km) dans le quartier de la Casbah où se trouve la primature, le ministère des affaires étrangères, et celui des finances.
Les gens étant partis sans eau ni nourriture, elle a été extrêmement difficile à mener même s’ils ont pu s’appuyer sur la solidarité des gens au long de leur marche.
A Tunis, l’idée était de signifier que le pouvoir était au peuple, et que la révolution était le fait du peuple et non d’un parti ou d’une tendance et que les sbires de Ben Ali encore en place devaient partir. En effet Mohammed Ghannouchi, était maintenu à la tête du gouvernement élargi après avoir été le 1er ministre de Ben Ali pendant 10 ans.
D’où le slogan inscrit sur le bâtiment occupé avant par le 1er ministre: « Ministère du peuple » et la revendication de démission du gouvernement élargi sachant que les ministres de la défense, de l’intérieur, des affaires étrangères et des finances étaient d’ex-ministres de Ben Ali.
Le film insiste aussi sur l’évolution des slogans, qui en décembre sont d’ordre social et économique puis évoluent sur des slogans politiques « Ben Ali dégage ! ». Le film se termine sur une chanson Liberté Liberté, écrite par des jeunes militants de Regueb.


-Un processus révolutionnaire ancien

Une fois la diffusion terminée, il nous a ensuite expliqué que pour lui la Tunisie n’avait pas vécu une Révolution de Jasmin (mot qu’il récuse comme une invention médiatique) ni la révolution du 14 janvier mais un processus révolutionnaire engagé depuis de nombreuses années avec Redeyef en 2008, des actions dans les années 80, voire même depuis 1956 et dont le tournant a été l’immolation de Bouaziz le 17 décembre 2010.
Des marges de liberté ont été gagnées (d’expression, de presse…°) et les gens peuvent désormais tenir des AG, des réunions publiques, organiser des actions mais sur le plan social et économique, pour l’instant c’est un échec.
Pourtant, le processus révolutionnaire est né sur un constat d’inégalité, d’exploitation des plus pauvres et de répression féroce de toute contestation.


-La récupération politique de la révolution et la nécessité de poursuivre la lutte

Pour lui, il y a une désinformation, une récupération idéologique de la révolution qui n’a de toutes façons pas aboutie puisque même si Ben Ali est parti, le pouvoir politique et économique reste aux mains d’une élite, la corruption continue de marquer la société et la bourgeoisie a repris à son compte une partie seulement des idées de la révolution.
Etant militant anticapitaliste, il est donc toujours en lutte puisqu’à son sens la révolution a fait partir Ben Ali mais n’a pas changé le mode de gouvernement du pays, aux mains de la même bourgeoisie qu’hier.
Il l’explique par le fait que les médias sont restés les mêmes que sous Ben Ali donc passe le plus clair de leur temps à désinformer.
Pour lui, il est très grave d’occulter l’aspect social et économique de la révolution puisque c’est une manière de la rendre acceptable aux yeux de l’Europe, des Etats-Unis… et donc de lui enlever tout potentiel de changement social véritable, en se félicitant de l’élan démocratique des pays « arabes ».
Il a aussi précisé que pour l’UGTT, autant il y avait une base syndicale qui avait participé à la révolution autant l’appareil bureaucratique avait au départ promis à Ben Ali, d’encadrer et calmer les manifestations, bref d’en venir à bout.
Pour lui, on ne peut donc pas s’appuyer sur l’UGTT en tant qu’organisation même si on peut compter sur des militants, et les Tunisiens au sortir de décennies de dictature manquent de culture révolutionnaire et de pratiques politiques.
Il faut à son sens dépasser le stade de la spontanéité et développer une réflexion et une vraie lutte contre le capitalisme responsable des inégalités, de la misère et de la confiscation démocratique. 
C’est donc ce qu’essaie de construire l’UDC en tenant des réunions expliquant comment s’auto-organiser, mettre en place l’autogestion…
Il est pessimiste sur la tenue des élections du 23 octobre 2011, puisque 140 partis se présentent, la plupart évidemment complètement inconnus des Tunisiens, et que pour beaucoup, ces partis sont financés par exemple par le Qatar, l’Arabie Saoudite, la France …
De plus, il expliquait que beaucoup de choses qui devaient être supprimées comme symboles d’une société inégalitaire et corrompue comme le CAPES que l’on obtenait avec de l’argent, sont en fait remises en place comme sous Ben Ali, sous un nouveau nom.
Cependant, selon lui, le mouvement social commence à reprendre dans les régions les plus pauvres, car la misère est aussi criante qu’avant.


-La spécificité de la révolution tunisienne par rapport à la Syrie, au Yémen…

Il a aussi insisté sur les raisons expliquant la chute de Ben Ali, alors qu’en Syrie ou au Yémen, cela n’a pas fonctionné pour l’instant, car en Tunisie, des facteurs internes ont permis la chute de Ben Ali.
Pour lui, le conflit entre Ben Ali et l’armée (cf : l’attentat où 13 généraux ont trouvé la mort dans un hélicoptère) explique son affaiblissement. Cependant même si dans certaines situations l’armée a refusé de tirer sur des civils désarmés, il a rappelé qu’elle ne s’était pas rangée non plus du côté du peuple tunisien comme le font croire les médias et que l’armée avait aussi participé à des opérations de répression féroces.

Un autre élément c’est le conflit entre Ben Ali et les Trabelsi, la famille de sa femme Leila, détestée et symbole de la corruption et de l’accaparement des richesses.
Les Trabelsi, (les frères de la femme de Ben Ali) avaient entrepris de noyauter encore plus visiblement le pouvoir, et avaient des projets pour 2013, ce qui évidemment entraînait des tensions importantes avec Ben Ali.

-Et bien sûr, l’existence d’un processus révolutionnaire ancien a permis de structurer les luttes et les slogans.

En conclusion, à la question de Catherine (Printemps des Peuples) sur ce que les Tunisiens attendaient de nous, il a répondu, que leur but était de donner une information véritable sur les événements de l’année dernière et aussi de montrer que pour l’instant, les conditions de vie des gens sont les mêmes car la logique capitaliste est toujours celle qui préside.
Pour l’instant, donc, aux yeux des militants tunisiens, la révolution a peut-être commencé mais n’a pas aboutie, elle est donc à poursuivre et à soutenir.


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Tunisie: un autre futur

Messagede nemo3637 » 29 Oct 2011, 22:13

En un âpre combat séculaire
La lutte pour l’émancipation entreprise en Tunisie a avant tout un caractère social. Elle a été menée par le Peuple, celui des pauvres gens, qui, plus que tout autre, sentait peser sur lui un inexorable talon de fer. Mohammed Bouazizi a été un de ses héros « ordinaires », inoubliables, mettant leur vie dans la balance de la Justice sociale et de la Liberté. On sait quel prix a payé la jeunesse tunisienne dans la conquête de la liberté . Des centaines de morts, sans que justice n’ait encore été rendue, nous rappellent son courage exemplaire. Cette attitude des femmes et des hommes de Tunisie devraient donc encore aujourd’hui faire réfléchir tous les politiciens retors et ploutocrates aspirants au pouvoir .
Si aujourd’hui des combats décisifs s’annoncent encore, ce n’est ce pendant pas d’hier que le peuple s’est levé. Contre le colonialisme. Contre la dictature bourguibiste et son avatar Ben Ali, de grandes grèves avaient éclaté ces dernières années où beaucoup ont sacrifié leur vie. La féroce répression n’avait rencontré que peu de protestations à l’échelle internationale. Car il était bien décidé que les travailleurs tunisiens constituaient un réservoir de main d’œuvre bon marché dans cette division internationale du travail qui permettaient aux entreprises des vieux pays industrialisés de délocaliser.

La situation économique et la question sociale
La Tunisie est-elle un pays de misère ? Elle ne l’est certainement pas pour tout le monde. Quelques mois avant sa chute, Ben Ali avait été invité en grande pompe à Paris. Et le président Sarkozy s’était félicité des progrès de l’économie tunisienne et même des avancées du régime…. vers la liberté et la démocratie !
Il est vrai que bien des investisseurs étrangers, fermant leurs entreprises dans leur pays d’origine, s’étaient installés en Tunisie. Les salaires des ouvriers restaient misérables, permettant à peine aux familles de se nourrir (1). Le syndicat UGTT était rassurant car corrompu. Un vrai pays de cocagne…quand on a de l’argent.
Une ancienne ministre des affaires étrangères, par exemple, dont la famille, comme beaucoup de Français nantis ayant des intérêts dans le pays, était sans doute elle aussi attachée à cet état des choses….
Dans la révolte qui surgit, à la question sociale s’est trouvée reliée tout naturellement la question de la Liberté, la volonté d’une démocratie à construire.

Une voie tracée… vers l’impasse.
A peine le peuple tunisien en lutte, avait-il fait, de façon conséquente, reculer le pouvoir et ses sbires, qu’on vit surgir de toute part, comme en Egypte, toute une série de « sauveurs suprêmes » qui venaient, « modestement » se mettre « au service de la population ». Il en était de prestigieux et de courageux. Torturés, emprisonnés, exilés, ils se voulaient d’une probité exemplaire, pleins de bonnes intentions pour exercer le pouvoir et faire le bien du Peuple.
Mais, comme en Egypte, préoccupé par leur lutte, par la défense de leurs intérêts et leurs passions, les insurgés qui avaient payé de leur sang leurs acquis de Liberté, s’en désintéressaient.
Et comme toujours les conseils ne manquèrent pas, issus de ces opposants lettrés revenus de l’étranger, passant au devant de la scène car sur médiatisés par la presse internationale.. Il fallait à présent être raisonnable, se méfier des extrémistes, et se diriger sagement vers la Démocratie, entendez par là la démocratie bourgeoise parlementaire, « la-seule-la-vraie »..
On a bien compris bien sûr que dans notre monde globalisé dominé encore par les puissances occidentales, la Démocratie signifie ici le modèle anglo-saxon qui dirige le monde depuis le XVIIIe siècle. Non sans hypocrisie il laisse croire, à travers les « trois pouvoirs» , que le Peuple, à travers des élections, a son mot à dire. Le vote serait le pivot, le symbole de ce « droit démocratique » et donc de la Liberté, oubliant que dans maintes dictatures il existe aussi ce passage, parfois obligé, aux urnes. Il est toujours bon de rappeler qu’à sa naissance en Angleterre, au XVIIe siècle, les élections et le droit de vote n’intéressait guère plus de 400 000 personnes – les plus riches évidemment - sur une population de plus de cinq millions d’habitants. Et la Révolution Française ne fit qu’enfoncer le clou en favorisant la prise du pouvoir par une élite bourgeoise (2).
De nos jours le Peuple tunisien, sa jeunesse (3), s’il veut une véritable démocratie, n’est pas dupe d’une fausse démocratie représentative partout contestée.

Les avatars de l’électoralisme
Comment ne pas organiser d’élections cependant ? Si l’on voulait en finir avec l’ancien régime et se tourner vers l’avenir, il fallait bien sanctionner la légitimité d’une nouvelle Constitution.
Mais dans les faits comment s’y prendre ? Qui allaient être les maîtres d’œuvre du nouveau régime à mettre en place ?
Là les candidats se pressèrent au portillon ! On allait dire à ce peuple ce qu’il devait faire. Les benalistes y virent rapidement sinon un moyen de se remettre en selle du moins l’occasion de se refaire une virginité de « résistant » …de la dernière heure ! Classique. Et puis c’est l’argent qui aurait le dernier mot : ceux qui en avaient pouvaient avec démagogie tout se permettre pendant la campagne électorale.
Cela devenait cacophonie inaudible. On allait gouverner, siéger, sans possibilité de révocation des élus, condamnés à l’attente des prochaines élections, et ce « naturellement » pendant les années du mandat de l’élu.
On connait ce système de représentativité, ce « nec plu ultra de la Démocratie »… de plus en plus contesté dans les pays même qui l’ont vu naître. Aller faire un tour à Central Park ou à Totenham.
Mais bon gré malgré, en Tunisie, il fallait bien y passer, exorciser la dictature. Ce ne peut pas être pire se disent beaucoup. Alors on le savait bien au fond.. Rien de concret ni de palpable ne sortirait des urnes. On était résigné à cette étape, et dans ce cas de figure, à voir Momo roupiller quelques années dans son fauteuil de cuir. S’il ne se réveille pas trop au moins ne nous ferait-il pas trop de mal pense déjà certains….
Et dans ce genre de situation, pour beaucoup, les résultats électoraux ne sont pas à la hauteur des attentes
La question sociale avait été éludée, même par ceux qui se disaient à gauche et qui s’étaient finalement enfoncés dans des débats de droit et de constitutionnalité.
On a donc voté aux sentiments, à « la tête du client »,… quand on la connaissait ! On a demandé aux voisins. Certains partis ont même proposé de faire accompagner les personnes âgées ou d’autres, afin de les aider « à bien voter ». Les braves cœurs !

Le péril islamique
Et qui remporte les élections dans ce genre de situation ? Les populistes et les conservateurs. Mais en Tunisie, pour l’occasion, comme hier en Algérie, ce conservatisme a le visage d’un islamisme politique. L’Islam émancipateur pour ceux qui connaissent un tant soit peu l’Histoire, est une sinistre plaisanterie quand on sait le rôle que lui attribua le colonisateur dans le maintien de la « paix civile »et de l’oppression. De Bugeaud en Algérie à Lyautey au Maroc, les élites de l’Islam ont toujours été courtisées par le pouvoir colonial, répondant présent, lui rendant un fier service dans le maintien des populations dans la servitude. Et ce n’est pas pour rien que les leaders de l’indépendance s’en sont toujours méfiés.
Cependant comme les autres oppresseurs, Bourguiba puis Ben Ali ont su eux aussi se servir de l’Islam . Un membre de la famille du tyran déchu possédait même une radio qui émettait la bonne parole coranique du matin au soir. Et l’actuel président du gouvernement provisoire ne rate pas une occasion pour rappeler l’importance de la Bonne Parole. Les films, les artistes, les athées voilà les victimes expiatoires qui sont toujours choisis par les islamistes qui aujourd’hui prétendent hypocritement soutenir la démocratie. Leur rêve fétichiste, caché avec plus ou moins d’habileté et d’ostentation est bien celui de la Charia et de l’enfermement des femmes à la maison.
Mais un tel risque pour la société tunisienne inquiète t-il vraiment « l’opinion internationale » ? Pas vraiment.
Les médias occidentaux ne tarissent en effet pas d’éloge pour le gouvernement de tendance « islamiste-démocrate » du Président turc Erdogan. (4). Un pouvoir stable tel est la quête des investisseurs occidentaux. Un pouvoir qui fasse accepter à la population les bas salaires et un niveau de vie misérable, là est l’essentiel pour ces messieurs. Alors un plus ou un peu moins d’Islam, du moment qu’on ramasse la monnaie, ces messieurs là, n’est-ce pas, ils s’en foutent ! Voilà où s’arrête leur sympathie pour le peuple tunisien, pour n’importe quel autre peuple, par ailleurs. Et là c’est la bourgeoisie tunisienne, réfugiée dans ces grands principes, plutôt indifférente au sort du peuple, qui risquait bien d’être sacrifié. Car d’autres, nous l’avons dit, populistes et réactionnaires, avait su avec un peu de monnaie, caresser l’électorat dans le sens du poil, lui faire prendre les vessies pour des lanternes.
Au passage cependant, afin de mettre tout le monde à l’aise, ne serait-il pas nécessaire de rappeler que les Eglises chrétiennes en Europe, adoptèrent, elles aussi, la même attitude de soumission, avec les occupants étrangers, avec tous les régimes, même les plus tyranniques. Et d’où vient l’argent de l’Eglise catholique ou celui des sectes protestantes qui oeuvrent avec tant de zèle en Amérique latine ou en Afrique ?
Des gouvernements et des partis chrétiens réactionnaires ont existé, existent encore en Europe, mettant en péril des libertés qu’on croyait acquises (5). Mais cela nos « spécialistes de la liberté » occidentaux n’en parlent guère, préférant , avec des larmes de crocodiles, s’attarder sur les menaces – réelles au demeurant – qui pèsent sur la société tunisienne et particulièrement les femmes.
Qu’il soit islamiste, chrétien ou venant de n’importe quelle croyance, le pouvoir religieux, niant la raison et l’individu, aux mains de « propriétaires » patentés, devient toujours une tyrannie. Et Ennahta est bien un groupement réactionnaire financé de l’étranger. Car d’où est venu l’argent pour payer ces autobus qui amenaient ainsi les « bons électeurs » aux urnes ? De quoi vivent tous ces professionnel(le)s de la politique ?
Appelons un chat un chat et Ennahta une clique dirigée par des hypocrites financés via l’Arabie Saoudite.

Vers un autre futur par la Démocratie Directe.
On pourra empiler les lois et pondre mille et une constitutions, résoudre la Question Social est la seule clé ouvrant la porte vers un autre futur. Pour cela il faut s’attaquer concrètement aux problèmes économiques, à ceux de la production et ce dans l’unique but de satisfaire les besoins et non pas celui de faire du profit. Dans cette économie prétendument « mondialisé » il faut prévoir au vu des crises et savoir aller à contre-courant pour préserver l’avenir, et donc s’attacher à recenser déjà ce que nous avons sur place. Car sans capitaux, dans une économie mondiale en crise, nous ne pourrons compter essentiellement que sur nos propres forces. La principale force pérenne est le Travail. Et en Tunisie, même s’il manque des matières premières et des machines, on sait faire de tout ou presque.
Un conseil économique de production et de distribution, doit être formé. Il recense donc toutes les données économiques localité par localité. Il y recense parallèlement les besoins.
Ce conseil est constitué de deux fédérations, celle des producteurs et celles des consommateurs organisés fédérale ment de l’échelon local à l’échelon national. Ce sont les assemblées de producteurs et celles des consommateurs de quartiers qui décident par leur concertation. Ainsi dans telle région – ou quartier – on arrive à connaître les besoins en chaussures par le comité des consommateurs. On s’adresse alors au comité des producteurs et en l’occurrence à la fédération des fabricants de chaussures. S’il n’y en a pas dans la région on s’adresse à la fédération des producteurs pour qu’elle nous oriente vers la fabrique la plus proche. Les informations que nous donne la fédération des producteurs nous indiquent si la demande est recevable en l’état, s’il faut développer le moyen de production pour répondre à la demande.
La seule hiérarchie à respecter est celle de la compétence : quand j’ai besoin d’une paire de chaussures c’est vers le cordonnier que je dois me tourner et non pas vers le député quelque soit sa belle parole.
Représentants et délégués doivent partout être révocable avec un mandat limité dans le temps, autant que possible à une mission bien précise. Soyons sûr alors que les aspirants au Pouvoir et aux prébendes s’en trouveraient découragés !
Chacun peut être producteur et consommateur. Si l’on est postier, par exemple, on est ainsi producteur – de services – mais on participe aussi aux réunions des consommateurs pour ce qui est des autres biens et productions. On arrive ainsi sans beaucoup d’efforts à planifier la production sans gaspillage.
Un tel système peut convenir à tous quelque soit sa philosophie et sa religion car on ne cherche qu’à satisfaire les besoins de tous. Il n’a rien de coercitif puisqu’il est basé essentiellement sur l’information. Celle-ci circule rapidement via internet.
Dans la réalité les discussions si elles sont nécessaires et indispensables, se révèlent assez courtes, prenant des aspects techniques, chacun essayant de trouver des solutions dans l’intérêt général.

La garantie d’un revenu pour tous.
Sans démagogie, en tenant compte des moyens, par un fonctionnement de Démocratie Directe (6), le principal objectif est d’assurer un revenu suffisant pour tous. Mais ce revenu doit-il rester fiduciaire, monétarisé ? Ne reste t-il pas alors exposé à toutes les spéculations ? Que vaudra le dinar de demain ?
Prenons l’exemple d’un système de retraite convenable… qui reste bien sûr à mettre sur pied !
Si l’on pait les retraites en argent, celles-ci restent à la merci de décisions défavorables de l’Administration, sous divers prétextes « économiques ». C’est ce qui se passe actuellement dans nombre de pays occidentaux où les retraites sont révisées à la baisse, disparaissent même parfois (7)..
Ce qu’il faut assurer à chacun c’est un revenu vital: un toit, une maison, des soins, l’alimentation, de l’instruction, des moyens de transports, des loisirs. Ne vaut-il pas mieux fournir alors tout cela en nature plutôt que de rester à la merci de la monnaie et des spéculations qui en découlent ?
Récemment une amie travaillant pour une association de micro-crédit, m’a relaté qu’une coopérative agricole équatorienne a refusé un prêt en dollars, préférant , non sans finesse, un don de tracteurs…
Les tracteurs restent. Les dollars s’envolent.
Ainsi en démonétarisant progressivement les échanges, on assure un revenu pour tous et on met un coup d’arrêt à la spéculation.
Mais on voit venir les objections. Le spectre du totalitarisme est vite brandi. N’irait-on pas simplement vers un régime de type nord-coréen ou castriste condamné à gérer la pénurie? Sauf que ces régimes n’ont jamais tenu compte de leurs peuples, des initiatives personnels et des véritables potentiels des populations. La dictature de chefs éclairés, de « l’avant-garde » devait tout résoudre n’est-ce pas … Mais depuis à part quelques idéologues à la traine on sait quand même où a mené cette absence de démocratie réelle (8).
Dans le système proposé tout est clairement au vu et au su de tout le monde. L’effort à fournir est prévisible, facile à fournir car exempt de surexploitation. Il ne s’agit pas en effet d’exploiter qui que ce soit mais de parvenir à des objectifs de production, comme lorsqu’une entreprise a une commande.
A ce propos d’entreprise, si la collectivisation des grandes entreprises par leurs employés s’avèrent indispensables, que dire des petites, de l’artisan ou du boutiquier ? Peut-on sérieusement voir en eux les capitalistes qui mènent le monde ? Et dans la perspective d’un revenu assuré, on peut donc compter sur le ralliement de nombre de ces petits entrepreneurs à notre Conseil Economique de Distribution..
Une telle organisation rationnelle, n’ayant plus comme aiguillon l’exploitation des hommes et le profit, aboutira également à une diminution globale du travail et ce pour une production supérieure à ce qu’elle était

Nemo, le 27/10/2011.


:v: 1. Un ouvrier tunisien gagne chaque mois entre 115 et 130 euros (pour 40 à 48 heures de travail hebdomadaire). Mais c’est déjà trop pour les capitalistes car dans le même temps un ouvrier chinois perçoit entre 50 et 60% de moins ! En attendant la concurrence sur ce marché du travail, de la Corée du nord ou du Cambodge…(source wikipedia).

2. Voir également la Constitution Française de 1791 et la notion de « citoyen actif » Chapitre Premier – Section II - Article 2. Les domestiques, par exemple , n’ont pas le droit de vote. Seuls un peu plus de deux millions d’hommes votaient alors sur une population estimée à 27 millions d’habitants.

3. Les jeunes de moins de 25 ans représentent 42% de la population (source :EuroMedYouth).

4. La « démocratie » d’Erdogan, si elle satisfait les puissances occidentales – encore que la Turquie se soit vu refusée son entrée dans l’Union Européenne… - ne semble pas faire l’unanimité en Turquie parmi les journalistes ou parmi une population « minoritaire » comme celle des Kurdes…

5. La Hongrie est un exemple de prise de pouvoir par des populistes qui prétendent s’appuyer sur des traditions et bien sûr le christianisme. Même chose en Autriche ces dernières années. En Pologne le poids du clergé devient pour certains insupportables…

6. Ce terme de Démocratie Directe qui signifie la représentation du peuple par lui-même, sans intermédiaire patenté, a été déformé, souillé, par le Fou de Lybie qui derrière des mots s’enrichissait lui et sa famille et assassinaient des milliers d’individus…


7« Le retraitébritannique perçoit une maigre pension de l'Etat : environ 80 livres, soit 115 euros par semaine pour une personne seule, 127 livres (184 euros) pour un couple. Ce système étatique lui procure 20 % des revenus dont il disposait lorsqu'il travaillait, et 60 % de ses revenus globaux de retraité. Résultat : un retraité sur dix vit au dessous du seuil de pauvreté. » Journal « Le Monde » 13/10/04.

8Le capitalisme d’état , qui a fait ouvertement faillite en 1989 ,prévalant encore dans certaines dictatures par la surexploitation des travailleurs, ne permet pas de satisfaire les besoins des populations.
Les dirigeants, bien décidés à faire-le-bonheur-du-peuple-malgré-lui , reconnaissent aujourd’hui cette faillite, comme à Cuba, et convertis au « libéralisme », baissent les salaires, licencient et vendent leurs populations laborieuses « clés en mains » au plus offrant….
En un âpre combat séculaire
La lutte pour l’émancipation entreprise en Tunisie a avant tout un caractère social. Elle a été menée par le Peuple, celui des pauvres gens, qui, plus que tout autre, sentait peser sur lui un inexorable talon de fer. Mohammed Bouazizi a été un de ses héros « ordinaires », inoubliables, mettant leur vie dans la balance de la Justice sociale et de la Liberté. On sait quel prix a payé la jeunesse tunisienne dans la conquête de la liberté . Des centaines de morts, sans que justice n’ait encore été rendue, nous rappellent son courage exemplaire. Cette attitude des femmes et des hommes de Tunisie devraient donc encore aujourd’hui faire réfléchir tous les politiciens retors et ploutocrates aspirants au pouvoir .
Si aujourd’hui des combats décisifs s’annoncent encore, ce n’est ce pendant pas d’hier que le peuple s’est levé. Contre le colonialisme. Contre la dictature bourguibiste et son avatar Ben Ali, de grandes grèves avaient éclaté ces dernières années où beaucoup ont sacrifié leur vie. La féroce répression n’avait rencontré que peu de protestations à l’échelle internationale. Car il était bien décidé que les travailleurs tunisiens constituaient un réservoir de main d’œuvre bon marché dans cette division internationale du travail qui permettaient aux entreprises des vieux pays industrialisés de délocaliser.

La situation économique et la question sociale
La Tunisie est-elle un pays de misère ? Elle ne l’est certainement pas pour tout le monde. Quelques mois avant sa chute, Ben Ali avait été invité en grande pompe à Paris. Et le président Sarkozy s’était félicité des progrès de l’économie tunisienne et même des avancées du régime…. vers la liberté et la démocratie !
Il est vrai que bien des investisseurs étrangers, fermant leurs entreprises dans leur pays d’origine, s’étaient installés en Tunisie. Les salaires des ouvriers restaient misérables, permettant à peine aux familles de se nourrir (1). Le syndicat UGTT était rassurant car corrompu. Un vrai pays de cocagne…quand on a de l’argent.
Une ancienne ministre des affaires étrangères, par exemple, dont la famille, comme beaucoup de Français nantis ayant des intérêts dans le pays, était sans doute elle aussi attachée à cet état des choses….
Dans la révolte qui surgit, à la question sociale s’est trouvée reliée tout naturellement la question de la Liberté, la volonté d’une démocratie à construire.

Une voie tracée… vers l’impasse.
A peine le peuple tunisien en lutte, avait-il fait, de façon conséquente, reculer le pouvoir et ses sbires, qu’on vit surgir de toute part, comme en Egypte, toute une série de « sauveurs suprêmes » qui venaient, « modestement » se mettre « au service de la population ». Il en était de prestigieux et de courageux. Torturés, emprisonnés, exilés, ils se voulaient d’une probité exemplaire, pleins de bonnes intentions pour exercer le pouvoir et faire le bien du Peuple.
Mais, comme en Egypte, préoccupé par leur lutte, par la défense de leurs intérêts et leurs passions, les insurgés qui avaient payé de leur sang leurs acquis de Liberté, s’en désintéressaient.
Et comme toujours les conseils ne manquèrent pas, issus de ces opposants lettrés revenus de l’étranger, passant au devant de la scène car sur médiatisés par la presse internationale.. Il fallait à présent être raisonnable, se méfier des extrémistes, et se diriger sagement vers la Démocratie, entendez par là la démocratie bourgeoise parlementaire, « la-seule-la-vraie »..
On a bien compris bien sûr que dans notre monde globalisé dominé encore par les puissances occidentales, la Démocratie signifie ici le modèle anglo-saxon qui dirige le monde depuis le XVIIIe siècle. Non sans hypocrisie il laisse croire, à travers les « trois pouvoirs» , que le Peuple, à travers des élections, a son mot à dire. Le vote serait le pivot, le symbole de ce « droit démocratique » et donc de la Liberté, oubliant que dans maintes dictatures il existe aussi ce passage, parfois obligé, aux urnes. Il est toujours bon de rappeler qu’à sa naissance en Angleterre, au XVIIe siècle, les élections et le droit de vote n’intéressait guère plus de 400 000 personnes – les plus riches évidemment - sur une population de plus de cinq millions d’habitants. Et la Révolution Française ne fit qu’enfoncer le clou en favorisant la prise du pouvoir par une élite bourgeoise (2).
De nos jours le Peuple tunisien, sa jeunesse (3), s’il veut une véritable démocratie, n’est pas dupe d’une fausse démocratie représentative partout contestée.

Les avatars de l’électoralisme
Comment ne pas organiser d’élections cependant ? Si l’on voulait en finir avec l’ancien régime et se tourner vers l’avenir, il fallait bien sanctionner la légitimité d’une nouvelle Constitution.
Mais dans les faits comment s’y prendre ? Qui allaient être les maîtres d’œuvre du nouveau régime à mettre en place ?
Là les candidats se pressèrent au portillon ! On allait dire à ce peuple ce qu’il devait faire. Les benalistes y virent rapidement sinon un moyen de se remettre en selle du moins l’occasion de se refaire une virginité de « résistant » …de la dernière heure ! Classique. Et puis c’est l’argent qui aurait le dernier mot : ceux qui en avaient pouvaient avec démagogie tout se permettre pendant la campagne électorale.
Cela devenait cacophonie inaudible. On allait gouverner, siéger, sans possibilité de révocation des élus, condamnés à l’attente des prochaines élections, et ce « naturellement » pendant les années du mandat de l’élu.
On connait ce système de représentativité, ce « nec plu ultra de la Démocratie »… de plus en plus contesté dans les pays même qui l’ont vu naître. Aller faire un tour à Central Park ou à Totenham.
Mais bon gré malgré, en Tunisie, il fallait bien y passer, exorciser la dictature. Ce ne peut pas être pire se disent beaucoup. Alors on le savait bien au fond.. Rien de concret ni de palpable ne sortirait des urnes. On était résigné à cette étape, et dans ce cas de figure, à voir Momo roupiller quelques années dans son fauteuil de cuir. S’il ne se réveille pas trop au moins ne nous ferait-il pas trop de mal pense déjà certains….
Et dans ce genre de situation, pour beaucoup, les résultats électoraux ne sont pas à la hauteur des attentes
La question sociale avait été éludée, même par ceux qui se disaient à gauche et qui s’étaient finalement enfoncés dans des débats de droit et de constitutionnalité.
On a donc voté aux sentiments, à « la tête du client »,… quand on la connaissait ! On a demandé aux voisins. Certains partis ont même proposé de faire accompagner les personnes âgées ou d’autres, afin de les aider « à bien voter ». Les braves cœurs !

Le péril islamique
Et qui remporte les élections dans ce genre de situation ? Les populistes et les conservateurs. Mais en Tunisie, pour l’occasion, comme hier en Algérie, ce conservatisme a le visage d’un islamisme politique. L’Islam émancipateur pour ceux qui connaissent un tant soit peu l’Histoire, est une sinistre plaisanterie quand on sait le rôle que lui attribua le colonisateur dans le maintien de la « paix civile »et de l’oppression. De Bugeaud en Algérie à Lyautey au Maroc, les élites de l’Islam ont toujours été courtisées par le pouvoir colonial, répondant présent, lui rendant un fier service dans le maintien des populations dans la servitude. Et ce n’est pas pour rien que les leaders de l’indépendance s’en sont toujours méfiés.
Cependant comme les autres oppresseurs, Bourguiba puis Ben Ali ont su eux aussi se servir de l’Islam . Un membre de la famille du tyran déchu possédait même une radio qui émettait la bonne parole coranique du matin au soir. Et l’actuel président du gouvernement provisoire ne rate pas une occasion pour rappeler l’importance de la Bonne Parole. Les films, les artistes, les athées voilà les victimes expiatoires qui sont toujours choisis par les islamistes qui aujourd’hui prétendent hypocritement soutenir la démocratie. Leur rêve fétichiste, caché avec plus ou moins d’habileté et d’ostentation est bien celui de la Charia et de l’enfermement des femmes à la maison.
Mais un tel risque pour la société tunisienne inquiète t-il vraiment « l’opinion internationale » ? Pas vraiment.
Les médias occidentaux ne tarissent en effet pas d’éloge pour le gouvernement de tendance « islamiste-démocrate » du Président turc Erdogan. (4). Un pouvoir stable tel est la quête des investisseurs occidentaux. Un pouvoir qui fasse accepter à la population les bas salaires et un niveau de vie misérable, là est l’essentiel pour ces messieurs. Alors un plus ou un peu moins d’Islam, du moment qu’on ramasse la monnaie, ces messieurs là, n’est-ce pas, ils s’en foutent ! Voilà où s’arrête leur sympathie pour le peuple tunisien, pour n’importe quel autre peuple, par ailleurs. Et là c’est la bourgeoisie tunisienne, réfugiée dans ces grands principes, plutôt indifférente au sort du peuple, qui risquait bien d’être sacrifié. Car d’autres, nous l’avons dit, populistes et réactionnaires, avait su avec un peu de monnaie, caresser l’électorat dans le sens du poil, lui faire prendre les vessies pour des lanternes.
Au passage cependant, afin de mettre tout le monde à l’aise, ne serait-il pas nécessaire de rappeler que les Eglises chrétiennes en Europe, adoptèrent, elles aussi, la même attitude de soumission, avec les occupants étrangers, avec tous les régimes, même les plus tyranniques. Et d’où vient l’argent de l’Eglise catholique ou celui des sectes protestantes qui oeuvrent avec tant de zèle en Amérique latine ou en Afrique ?
Des gouvernements et des partis chrétiens réactionnaires ont existé, existent encore en Europe, mettant en péril des libertés qu’on croyait acquises (5). Mais cela nos « spécialistes de la liberté » occidentaux n’en parlent guère, préférant , avec des larmes de crocodiles, s’attarder sur les menaces – réelles au demeurant – qui pèsent sur la société tunisienne et particulièrement les femmes.
Qu’il soit islamiste, chrétien ou venant de n’importe quelle croyance, le pouvoir religieux, niant la raison et l’individu, aux mains de « propriétaires » patentés, devient toujours une tyrannie. Et Ennahta est bien un groupement réactionnaire financé de l’étranger. Car d’où est venu l’argent pour payer ces autobus qui amenaient ainsi les « bons électeurs » aux urnes ? De quoi vivent tous ces professionnel(le)s de la politique ?
Appelons un chat un chat et Ennahta une clique dirigée par des hypocrites financés via l’Arabie Saoudite.

Vers un autre futur par la Démocratie Directe.
On pourra empiler les lois et pondre mille et une constitutions, résoudre la Question Social est la seule clé ouvrant la porte vers un autre futur. Pour cela il faut s’attaquer concrètement aux problèmes économiques, à ceux de la production et ce dans l’unique but de satisfaire les besoins et non pas celui de faire du profit. Dans cette économie prétendument « mondialisé » il faut prévoir au vu des crises et savoir aller à contre-courant pour préserver l’avenir, et donc s’attacher à recenser déjà ce que nous avons sur place. Car sans capitaux, dans une économie mondiale en crise, nous ne pourrons compter essentiellement que sur nos propres forces. La principale force pérenne est le Travail. Et en Tunisie, même s’il manque des matières premières et des machines, on sait faire de tout ou presque.
Un conseil économique de production et de distribution, doit être formé. Il recense donc toutes les données économiques localité par localité. Il y recense parallèlement les besoins.
Ce conseil est constitué de deux fédérations, celle des producteurs et celles des consommateurs organisés fédérale ment de l’échelon local à l’échelon national. Ce sont les assemblées de producteurs et celles des consommateurs de quartiers qui décident par leur concertation. Ainsi dans telle région – ou quartier – on arrive à connaître les besoins en chaussures par le comité des consommateurs. On s’adresse alors au comité des producteurs et en l’occurrence à la fédération des fabricants de chaussures. S’il n’y en a pas dans la région on s’adresse à la fédération des producteurs pour qu’elle nous oriente vers la fabrique la plus proche. Les informations que nous donne la fédération des producteurs nous indiquent si la demande est recevable en l’état, s’il faut développer le moyen de production pour répondre à la demande.
La seule hiérarchie à respecter est celle de la compétence : quand j’ai besoin d’une paire de chaussures c’est vers le cordonnier que je dois me tourner et non pas vers le député quelque soit sa belle parole.
Représentants et délégués doivent partout être révocable avec un mandat limité dans le temps, autant que possible à une mission bien précise. Soyons sûr alors que les aspirants au Pouvoir et aux prébendes s’en trouveraient découragés !
Chacun peut être producteur et consommateur. Si l’on est postier, par exemple, on est ainsi producteur – de services – mais on participe aussi aux réunions des consommateurs pour ce qui est des autres biens et productions. On arrive ainsi sans beaucoup d’efforts à planifier la production sans gaspillage.
Un tel système peut convenir à tous quelque soit sa philosophie et sa religion car on ne cherche qu’à satisfaire les besoins de tous. Il n’a rien de coercitif puisqu’il est basé essentiellement sur l’information. Celle-ci circule rapidement via internet.
Dans la réalité les discussions si elles sont nécessaires et indispensables, se révèlent assez courtes, prenant des aspects techniques, chacun essayant de trouver des solutions dans l’intérêt général.

La garantie d’un revenu pour tous.
Sans démagogie, en tenant compte des moyens, par un fonctionnement de Démocratie Directe (6), le principal objectif est d’assurer un revenu suffisant pour tous. Mais ce revenu doit-il rester fiduciaire, monétarisé ? Ne reste t-il pas alors exposé à toutes les spéculations ? Que vaudra le dinar de demain ?
Prenons l’exemple d’un système de retraite convenable… qui reste bien sûr à mettre sur pied !
Si l’on pait les retraites en argent, celles-ci restent à la merci de décisions défavorables de l’Administration, sous divers prétextes « économiques ». C’est ce qui se passe actuellement dans nombre de pays occidentaux où les retraites sont révisées à la baisse, disparaissent même parfois (7)..
Ce qu’il faut assurer à chacun c’est un revenu vital: un toit, une maison, des soins, l’alimentation, de l’instruction, des moyens de transports, des loisirs. Ne vaut-il pas mieux fournir alors tout cela en nature plutôt que de rester à la merci de la monnaie et des spéculations qui en découlent ?
Récemment une amie travaillant pour une association de micro-crédit, m’a relaté qu’une coopérative agricole équatorienne a refusé un prêt en dollars, préférant , non sans finesse, un don de tracteurs…
Les tracteurs restent. Les dollars s’envolent.
Ainsi en démonétarisant progressivement les échanges, on assure un revenu pour tous et on met un coup d’arrêt à la spéculation.
Mais on voit venir les objections. Le spectre du totalitarisme est vite brandi. N’irait-on pas simplement vers un régime de type nord-coréen ou castriste condamné à gérer la pénurie? Sauf que ces régimes n’ont jamais tenu compte de leurs peuples, des initiatives personnels et des véritables potentiels des populations. La dictature de chefs éclairés, de « l’avant-garde » devait tout résoudre n’est-ce pas … Mais depuis à part quelques idéologues à la traine on sait quand même où a mené cette absence de démocratie réelle (8).
Dans le système proposé tout est clairement au vu et au su de tout le monde. L’effort à fournir est prévisible, facile à fournir car exempt de surexploitation. Il ne s’agit pas en effet d’exploiter qui que ce soit mais de parvenir à des objectifs de production, comme lorsqu’une entreprise a une commande.
A ce propos d’entreprise, si la collectivisation des grandes entreprises par leurs employés s’avèrent indispensables, que dire des petites, de l’artisan ou du boutiquier ? Peut-on sérieusement voir en eux les capitalistes qui mènent le monde ? Et dans la perspective d’un revenu assuré, on peut donc compter sur le ralliement de nombre de ces petits entrepreneurs à notre Conseil Economique de Distribution..
Une telle organisation rationnelle, n’ayant plus comme aiguillon l’exploitation des hommes et le profit, aboutira également à une diminution globale du travail et ce pour une production supérieure à ce qu’elle était

Nemo, le 27/10/2011.


1. Un ouvrier tunisien gagne chaque mois entre 115 et 130 euros (pour 40 à 48 heures de travail hebdomadaire). Mais c’est déjà trop pour les capitalistes car dans le même temps un ouvrier chinois perçoit entre 50 et 60% de moins ! En attendant la concurrence sur ce marché du travail, de la Corée du nord ou du Cambodge…(source wikipedia).

2. Voir également la Constitution Française de 1791 et la notion de « citoyen actif » Chapitre Premier – Section II - Article 2. Les domestiques, par exemple , n’ont pas le droit de vote. Seuls un peu plus de deux millions d’hommes votaient alors sur une population estimée à 27 millions d’habitants.

3. Les jeunes de moins de 25 ans représentent 42% de la population (source :EuroMedYouth).

4. La « démocratie » d’Erdogan, si elle satisfait les puissances occidentales – encore que la Turquie se soit vu refusée son entrée dans l’Union Européenne… - ne semble pas faire l’unanimité en Turquie parmi les journalistes ou parmi une population « minoritaire » comme celle des Kurdes…

5. La Hongrie est un exemple de prise de pouvoir par des populistes qui prétendent s’appuyer sur des traditions et bien sûr le christianisme. Même chose en Autriche ces dernières années. En Pologne le poids du clergé devient pour certains insupportables…

6. Ce terme de Démocratie Directe qui signifie la représentation du peuple par lui-même, sans intermédiaire patenté, a été déformé, souillé, par le Fou de Lybie qui derrière des mots s’enrichissait lui et sa famille et assassinaient des milliers d’individus…


7« Le retraitébritannique perçoit une maigre pension de l'Etat : environ 80 livres, soit 115 euros par semaine pour une personne seule, 127 livres (184 euros) pour un couple. Ce système étatique lui procure 20 % des revenus dont il disposait lorsqu'il travaillait, et 60 % de ses revenus globaux de retraité. Résultat : un retraité sur dix vit au dessous du seuil de pauvreté. » Journal « Le Monde » 13/10/04.

8Le capitalisme d’état , qui a fait ouvertement faillite en 1989 ,prévalant encore dans certaines dictatures par la surexploitation des travailleurs, ne permet pas de satisfaire les besoins des populations.
Les dirigeants, bien décidés à faire-le-bonheur-du-peuple-malgré-lui , reconnaissent aujourd’hui cette faillite, comme à Cuba, et convertis au « libéralisme », baissent les salaires, licencient et vendent leurs populations laborieuses « clés en mains » au plus offrant….
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Re: Tunisie

Messagede DjurDjura » 03 Nov 2011, 13:40

ACTES DE VIOLENCE, INTIMIDATIONS ET EXIGENCE DU PORT DU VOILE
Les Tunisiennes ne se laissent pas faire
Par Neffousi OULD SI AHMED - Jeudi 03 Novembre 2011 - Lu 2452 fois

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Après Sidi Bouzid, c'est au sein de la gent féminine que ça grogne depuis hier à Tunis. Ça bouillonne encore, dix jours après les élections à la nouvelle Assemblée tunisienne, gagnées «relativement» par le parti islamiste Ennahda. La colère gronde de nouveau et tout présage d'un éventuel dérapage. Ainsi, hier, en début d'après-midi, quelques centaines de femmes se sont donné rendez-vous à la Casbah pour dénoncer devant le siège du Premier ministère les exactions commises dans certaines universités tunisiennes par des étudiants islamistes. La manifestation fait suite aux agressions dont ont fait l'objet, depuis deux jours des enseignantes et les étudiantes non voilées à l'université de Manouba, dans la banlieue sud-est de Tunis. Selon nos informations recueillies sur place, des étudiants barbus ont empêché certaines enseignantes de poursuivre leurs cours. A Montfleury, des étudiants salafistes ont également refusé, la semaine dernière, que des professeurs femmes non voilées fassent leurs cours.Une manifestante, la soixantaine, nous a déclaré que d'autres actes graves se déroulent à Kairaouan au sud-est de Tunis. Interrogée sur le fait que la liberté et le travail de la femme sont menacés, Mme Cheikh Ilhem, directrice d'une entreprise privée, déclare: «Je ne sais pas ce qui se passe actuellement, mais on peut tout prévoir puisque dans certains restaurants universitaires, il y a des gens qui obligent à séparer les étudiantes des étudiants. Même le jour des élections dans certains bureaux de vote, il y a eu deux files, une pour les femmes et l'autre pour les hommes. Ça commence déjà mal. On va lutter pour être toujours un modèle pour les femmes arabes». Comme pour endosser la responsabilité au parti Ennahda, notre interlocutrice enchaîne: «C'est le double discours non convaincant du fait qu'Ennahda disait qu'il ne retire rien des droits de la femme alors qu'il y a étrangement, depuis trois jours, le port du voile qui est devenu plus important dans les quartiers populaires qui risque de diviser les citoyens tunisiens». «Ennahda est une erreur», s'est-elle exclamée. Afifa, enseignante, nous a déclaré que cette manifestation est spontanée, organisée par des femmes de bouche à l'oreille, les SMS et Facebook échangés par des femmes. «Nous exigeons que nos acquis soient mentionnés dans la future Constitution car réellement on ne fait pas confiance au parti Ennahda tant qu'il existe une différence entre la parole et l'action». Narjess Bouraoui-Triki, cadre à Tunis Air, et militante pour les droits de la femme et qui n'est autre que la fille du défunt syndicaliste Abdelaziz Bouraoui, leader de première heure, nous déclare à chaud: [i]«On n'a pas peur et sommes conscientes des actions contre la femme qui peuvent émerger à travers les jeunes d'Ennahda. Hier, les jeunes étudiants des années 60/70 étaient surtout des communistes. Aujourd'hui, celui qui n'est pas handhaoui n'est pas considéré comme étant un activiste parmi ses camarades. Il va y avoir une face qui communique et une fourmillière qui va tirer vers l'extrémisme au sein d'Ennahdha. On ne peut pas leur faire confiance tant qu'on n'a pas vu la Constitution et le Code de statut personnel (CSP). On ne demande rien de plus que du copier-coller de la partie qui a trait aux droits et aux acquis de la femme et de la famille». [/i ]Sur place, l'on a appris qu'une même manifestation devait avoir lieu à Sfax devant le théâtre municipal. Une manifestation, selon nos sources, qui sera un cycle permanent dans toutes les villes de Tunisie. A noter qu'une délégation de femmes, qui a été reçue par Caïd Essebsi au moment de la manifestation, a déclaré à la presse que ce dernier se porte garant des droits de la femme tout en l'incitant à continuer à revendiquer ses droits. Selon Ons hattab, représentante du syndicat de l'enseignement supérieur, Caïd Essebsi a salué cette manifestation, notant que la femme doit défendre ses droits et ses acquis.

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Re: Tunisie

Messagede DjurDjura » 04 Nov 2011, 20:02

Les Tunisiennes laïques donnent de la voix


vendredi 4 novembre 2011, par La Rédaction

Les Tunisiennes laïques sont bien décidées à faire entendre leur voix et à défendre leur mode de vie occidental face à la montée du parti islamiste Ennahda, arrivé largement en tête des premières élections libres organisées dans le pays. Réunies au sein d’organisations, ces femmes ont entamé une intense campagne de lobbying auprès des partis politiques pour défendre les droits des femmes, et notamment une loi de 1956 qui consacre l’égalité entre les hommes et les femmes en Tunisie. Mercredi, elles étaient un demi-millier à manifester devant le siège du gouvernement à Tunis pour défendre leurs acquis, menacés, selon elles, par certains mouvements fondamentalistes musulmans. Elles ont été brièvement reçues par le Premier ministre par intérim, Béji Caïd Essebsi.
"Nous sommes ici pour dénoncer toutes les formes d’extrémisme et d’entraves aux libertés des femmes", a expliqué l’une des manifestantes, Madiha Bel Haj. "Nous voulons une Constitution qui respecte les droits des femmes et ne revienne pas sur les acquis que nous avons obtenus." En attendant, et malgré les promesses répétées des principaux partis politiques qui se sont engagés à ne pas rogner sur les droits des femmes, les organisations ne baissent pas la garde et restent vigilantes face à toute forme de dérive. Plusieurs professeurs d’université ont ainsi observé, jeudi, une grève pour protester contre l’agression d’enseignantes par certains fondamentalistes qui les jugeaient trop peu vêtues.
Au coeur des inquiétudes de ces militantes laïques, une éventuelle réforme du Code du statut personnel, une série de lois introduites par le père de l’indépendance, Habib Bourguiba, en 1956. Ce code abolit notamment la polygamie et accorde aux femmes les mêmes droits que les hommes en cas de divorce et de mariage. "Je suis venue ici pour soutenir l’idée que le Code du statut personnel et les droits de femmes devraient être inscrits dans la nouvelle Constitution", a indiqué Mounira, lors de la manifestation de mercredi.

Face aux inquiétudes internationales et intérieures sur une domination de l’intégrisme islamiste, Ennahda et les autres partis politiques siégeant au sein de la nouvelle assemblée ont assuré que la défense des droits de l’homme serait renforcée dans la nouvelle Constitution.
Mais certaines voix s’élèvent déjà parmi les laïcs pour s’inquiéter du nombre d’élues issues d’Ennahda. Sur les 49 femmes siégeant dans la nouvelle Assemblée constituante, 42 sont membres de la formation islamiste réputée modérée. Rachid Ghannouchi, qui a fondé Ennahda en 1989, assure que sa formation respecte la parité homme-femme plus que n’importe quel autre parti politique du pays.
"Le principe d’égalité est plus respecté à Ennahda que dans les partis laïques", a-t-il dit à Reuters. "Ces femmes (les élues d’Ennahda) vont se battre pour défendre leurs droits. Les femmes laïques ne monopoliseront pas la définition des droits des femmes." Le voile islamique, qui a été interdit dans les écoles et les administrations publiques sous le régime de l’ancien président Zine Ben Ali, est devenu le symbole de la forte divergence des points de vue entre femmes laïques et islamistes.
L’interdiction du voile a été levée depuis la révolution de janvier qui a chassé l’ancien président du pouvoir. Depuis, les Tunisiennes laïques réclament des garanties du pouvoir sur le fait que son port ne deviendra pas obligatoire. Les islamistes, elles, demandent à l’inverse à pouvoir continuer à le porter à tout moment.

(Vendredi, 04 novembre 2011 - Avec les agences de presse)
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Re: Tunisie

Messagede DjurDjura » 07 Nov 2011, 19:10

Face à Ennahda, les modernistes tunisiens s’organisent


dimanche 6 novembre 2011, par La Rédaction

Battus aux élections par les islamistes d’Ennahda, les "modernistes" de la gauche et du centre en Tunisie tentent de s’organiser, soit au sein de l’exécutif soit dans l’opposition, pour faire "contrepoids" à la nouvelle force dominante, source d’inquiétude pour une partie de la société. Les partis les mieux placés derrière Ennahda au scrutin du 23 octobre, le Congrès pour la République (CPR) et Ettakatol, ont choisi de composer avec les islamistes et sont engagés dans des tractations pour la formation d’un gouvernement en principe dirigé par l’islamiste Hamadi Jebali.

Il semble impératif aux yeux de ses deux mouvements de gauche de peser sur les décisions gouvernementales à venir et de juguler de l’intérieur les éventuels "dérapages" d’Ennahda, de faire en sorte que son engagement démocratique, maintes fois réaffirmé depuis sa victoire électorale, soit respecté. Ennahda "doit prouver que son discours de tolérance sera concrétisé", a déclaré Mustapha Ben Jaafar, le chef du parti d’Ettakatol, l’un des principaux acteurs des tractations en cours. Pour Mustapha Ben Jafaar, la "vigilance est de mise" et il n’est pas question de "céder sur les acquis sociaux et culturels, ni sur les libertés fondamentales".

Avec Ennahda qui, selon les résultats préliminaires de l’élection, dispose de 91 sièges (sur un total de 217), le CPR (30 sièges) et Ettakatol (21 sièges) sont en passe de constituer une majorité absolue au sein de la nouvelle assemblée constituante. Celle-ci est appelée, dans les prochains jours, à élire le nouveau président de la république par intérim, le premier ministre - qui nommera le gouvernement - et doit ensuite s’atteler à la rédaction de la future constitution. La "politique consensuelle" du CPR et d’Ettakatol suscite de vives critiques auprès d’autres formations qui se refusent, elles, à travailler au côté des islamistes.

Dans un entretien, Ahmed Nejib Chebbi, fondateur du PDP (Parti démocrate progressiste), reproche à ceux qui acceptent de "collaborer" de se laisser "utiliser pour enrober la dragée islamiste". "Nous, nous disons non à cela. Nous ne voulons pas servir de décor" à Ennahda, tranche Ahmed Nejib Chebbi. Le dirigeant du CPR (17 sièges) se dit prêt à former "un groupe d’opposition constructive au sein de la Constituante". "La chose a été soulevée au cours de discussions entre démocrates qui seront en dehors du gouvernement (...), ces discussions vont continuer, nous devons faire contrepoids au nouveau pouvoir et nous préparer à une alternative en cas d’échec du gouvernement", souligne-t-il.

Car, insiste Ahmed Nejib Chebbi, "la façon dont les islamistes se comportent sur le terrain laisse planer un doute sur leurs intentions. Ennahda a un projet à long terme, il veut tout contrôler et diriger les ministères sociaux pour renforcer son assise populaire. Sa base est conservatrice et l’objectif est d’amener la société à se conformer à sa doctrine". "Tel est le projet initial, il n’a jamais été renié", martèle le responsable. Selon le quotidien La Presse, "il y a en ce moment une manière de tester la bonne foi des dirigeants d’Ennahda : c’est de leur demander de mieux contrôler leurs troupes" alors que "les incidents liés au non respect des libertés individuelles" se multiplient depuis plusieurs jours en Tunisie.

Le journal évoque notamment "le harcèlement d’enseignantes et d’étudiantes pour leur tenue vestimentaire à l’université de Tunis ou, dans la région de Jendouba (ouest), la menace d’exclusion d’un collège d’une jeune fille qui ne porte pas le voile". "Il faut qu’Ennahda se prononce clairement sur ces pratiques illégales. Sans quoi il va falloir dire adieu à la paix civile", poursuit La Presse. "D’où, selon le quotidien, la nécessité de s’organiser dès maintenant (...) et de mettre en place une force pacifique d’opposition qui prêche la tolérance et le respect des institutions républicaines. Elle s’impose comme une urgence".

(Dimanche, 06 novembre 2011 - Avec les agences de presse)



La religion absente de la Constitution tunisienne, dit Ennahda


vendredi 4 novembre 2011, par La Rédaction

La religion sera absente de la nouvelle Constitution tunisienne qui accordera en revanche une place importante aux questions des droits de l’homme, de la démocratie et de l’économie de marché, assure le parti islamiste Ennahda qui a remporté les premières élections libres du pays.

Le gouvernement, dont la composition devrait être dévoilée la semaine prochaine, n’introduira pas le principe de la charia ni d’autres principes islamiques susceptibles de rogner sur le caractère laïque de la Constitution en vigueur lorsque l’ancien président Zine ben Ali a été chassé du pouvoir par la rue en janvier.

"Nous ne voulons pas imposer un style de vie particulier", déclare à Reuters le responsable d’Ennahda, Rachid Ghannouchi, exilé à Londres pendant plus de vingt ans.

Depuis la large victoire de son parti réputé modéré aux élections constituantes du 23 octobre, certains soupçonnent Ennahda de vouloir imposer une application stricte des principes religieux à une société tunisienne habituée depuis la décolonisation à un mode de vie libéral.

La première tâche de l’Assemblée nouvellement élue, chargée de rédiger la Constitution, sera donc avant tout de rassurer les Tunisiens et les investisseurs étrangers, indispensables à la relance de l’économie, estiment analystes et observateurs.

Avant même le début des discussions sur la Constitution, tous les partis politiques du pays sont convenus de conserver le premier article de l’actuelle loi fondamentale, qui déclare que l’islam est la religion et l’arabe la langue officielle du pays.

"Il s’agit juste de la description de la réalité", explique Ghannouchi. "Cela n’a aucune implication légale."

"Il n’y aura pas d’autres références à la religion dans la Constitution. Nous voulons accorder la liberté à l’ensemble du pays", poursuit le chef de file d’Ennahda, qui ne jouera aucun rôle dans le nouveau gouvernement. La nouvelle Constitution devrait entrer en vigueur d’ici un an.

Publiés dans les années 1980-1990, les écrits de Ghannouchi ont inspiré le Parti de la Justice et du Développement (AKP) au pouvoir en Turquie, qui applique un subtil mélange entre démocratie et islam.

Ghannouchi affirme également que les 22 années passées en exil lui ont permis de constater l’importance de la société civile.

Comme la Turquie, la Tunisie a connu des décennies de dictature laïque avant d’évoluer vers un régime démocratique dans lequel les islamistes modérés se sont imposés dans le paysage politique.

"La loi par elle-même ne change pas la réalité", lance Ghannouchi, interrogé au siège de son parti.

"Il ne devrait pas y avoir de loi qui tente de rendre les gens plus religieux", estime-t-il. Dans la foulée de sa victoire aux élections constituantes, son parti s’est engagé à ne pas interdire l’alcool et les vêtements occidentaux et à poursuivre les politiques économiques en faveur du tourisme, de l’investissement étranger et de l’emploi.

La charia et les lois de l’islam sont un ensemble de valeurs morales individuelles et sociétales et non un code de conduite strict à appliquer au niveau national, dit-il.

"L’Egypte dit que la charia est le principal fondement de sa loi mais cela n’a pas empêché (l’ancien président déchu Hosni) Moubarak de devenir un dictateur."

Pour Samir Ben Amor, chef de file du Congrès pour la République (CPR) qui devrait participer au gouvernement de coalition aux côtés d’Ennahda et d’un autre parti laïque, il y a un consensus autour de la référence à l’islam dans le premier article de la constitution.

Ces partis politiques s’accordent également pour renforcer la démocratie en introduisant notamment des références aux conventions internationales des droits de l’homme.

"Nous voulons un régime libéral"", dit Ben Amor.

Alors que les partis s’accordent pour défendre les droits des femmes, parmi les plus avancés du monde arabe, Ben Amor se dit toutefois opposé à l’inscription du Code du statut personnel dans la Constitution.

"Aucune constitution au monde n’a ça", note-t-il. Ces droits seront protégés par la législation, argue-t-il.

Le principal point d’achoppement porte sur le type de régime politique. Ghannouchi a une préférence pour le système parlementaire quand les autres partis politiques soutiennent un système à la française, avec un pouvoir partagé entre un président élu au suffrage universel direct et un parlement.

"Le système parlementaire peut entraîner une instabilité politique, et sortant tout juste d’une dictature, nous pensons que nous ne pouvons pas courir ce risque", explique Ben Amor.

Pour Radouan Mamoudi, directeur du Centre pour l’étude de l’islam et de la démocratie basé à Washington, les élections d’octobre ont montré que le pays avait opté pour une "révolution évolutionnaire" sans changements radicaux.

"Les Tunisiens sont d’accord sur presque tout", note-t-il. "Ils veulent garder leur identité arabe et musulmane sans vivre dans une théocratie. Je pense que la Tunisie peut ouvrir la voie dans le monde arabe en construisant une véritable démocratie pleinement compatible avec l’islam."

(Vendredi, 04 novembre 2011 - Avec les agences de presse)


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Re: Tunisie

Messagede spleenlancien » 09 Nov 2011, 11:38

[…] Ce n’est pas dans ce torchon mensonger qu’est devenu depuis longtemps Le Monde que tu trouveras des informations fiables sur la situation en Tunisie (ni non plus, évidemment, dans la litanie de fausses nouvelles, amalgames et rumeurs policières débitée depuis peu par les infiltrés identitaires de « Lieux Communs »). Voici donc, pour publication sur Le Jura Libertaire :
http://juralib.noblogs.org/2011/11/09/i ... a-tunisie/
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