Angleterre

Re: émeutes en Angleterre

Messagede Nico37 » 16 Aoû 2011, 10:44

Petit commentaire autour de l’appareil répressif post-émeutes, c’est-à-dire la "vengeance de classe" mise en place par David Cameron Federico Campagna, 14 Aout 2011, London (Original en italien paru sur infoaut.org et traduit en français par LeReveil.ch)

Une fois que les les gens à capuches sont revenus à leurs refuges, que les incendies se sont éteints et que la menace s’est estompée, la police a repris pleine possession des villes anglaises. Pendants des journées entières, les seize milles hommes armés envoyés par le gouvernement ont fait entendre leur monologue assourdissant, avec des colonnes de blindés se lançant à sirènes hurlantes sur les routes désertes et des patrouilles dans chaque quartier.

Cameron avait annoncé qu’il n’y aurait pas de pitié, et la pitié - obéissante - a decidé de s’enfouir sous terre, alors que les tribunaux restaient ouverts toute la nuit pour juger les 2300 arrêtés pendant les émeutes. Les jugements ont été lourds. "Exemplaires", selon la définition des journaux. Pour le vol de deux bouteilles d’eau, d’une valeur de trois livres, Nicholas Robinson, 23 ans, a été condamné à six mois de prison. Pour le vol de deux vestes, Eoin Flanagan, 18 ans de Manchester, a été condamné à huit mois d’enfermement. Pour avoir dit à un policier : "Si t’avais pas l’uniforme sur toi, je te défoncerais la gueule", Ricky Gemmel, 18 ans, a été condamné à six semaines de prison. Et ainsi de suite, au moins pour les plus chanceux. Pour tous les autres, de bonne grâce, les juges ont retenu opportunément les peines les plus sévères et ils les ont renvoyé au jugement des ‘crown courts’, les tribunaux royaux qui ont le pouvoir d’infliger des sentences à outrance.

Entretemps les policiers se sont organisés en équipes et ils sont allés, maison par maison, arrêter les centaines de suspects encore en liberté.
Avec eux, comme des chiens d’arrêt avec leurs chasseurs, se déplaçait un attroupement de journalistes. Le quotidien The Telegraph, par exemple, a transmis avec fierté sur son site la vidéo de l’arrestation de Shereka Leigh, mère célibataire de 22 ans de Tottenham, coupable du vol d’une paire de chaussures. La vidéo montre les agents defoncer la porte, entrer dans la maison en hurlant, marcher sur les jouets de son fils de 4 ans et ramener dehors la jeune fille menottée.

Mais les agents ne doivent pas faire tout le boulot. Des fois, les parents leurs donnent aussi un coup de main. Avec un dévouement qui aurait fait pleurer Staline, après avoir reconnu sa fille de dix-huit ans, Chelsea, dans des vidéos transmises à la télévision, l’héroïque Madame Adrienne Ives n’a eu aucune hésitation à appeler la police locale. Les journaux n’ont pas pu s’empêcher de chanter les louanges de cette extraordinaire mère-courage. Dommage qu’à l’époque de Saturne, il n’y avait pas de journaux, ils auraient pu faire briller comme il faut ceux qui dévorent leurs fils.

" Nous vous retrouverons", avaient dit, il y a quelques jours, des agents sur leurs pages Facebook, "et on vous fera sentir tout le poids de la loi". Et cela s’est passé. On espère bien que ce poids n’est pas écrasant au point d’étouffer, comme c’est arrivé à Jimmy Mubega, ce quadragénaire angolais mort par asphyxie pendant qu’il était "mis en sécurité" par les agents qui étaient chargés de le déporter depuis l’aéroport de Heathrow.

Mais le poids de la loi, c’est connu, tombe souvent comme de la grêle du ciel, et il arrive qu’elle détruise en entier la vie de certaines personnes. D’ailleurs, les fautes des pères tombent sur les fils et donc, par propriété transitive, celle des enfants doivent tomber sur leurs parents. Avec une détermination salomonique, David Cameron a déclaré que les familles des arrêtés qui profitent des rentes étatiques pour les plus démunis perdront tout. Plus de logement social, plus d’allocation chômage, plus de ‘house in benefit’, plus de welfare. Interviewé à la BBC, le secrétaire d’état pour les communautés locales, M. Eric Picklesa, a réaffirmé ce concept. Les émeutiers et leurs familles seront délogées, et les circonscriptions de Wandsworth, Westminster, Greenwich, Hammersmith, Nottingham et Salford ont déjà rendu exécutoires les expulsions.

Mais on craint que même ces dispositions au gout médiéval ne seront pas suffisantes. Le problème est bien plus profond, disent certains, et il s’est infiltré sous la peau des sujets britanniques. David Starkey, célèbre commentateur de la BBC, l’a expliqué très clairement en direct à la télévision : le problème, en ce pays, est que les blancs sont devenus nègres, ils ont perdu le sens de la dignité occidentale, sont devenus des sauvages. Le multiculturalisme, dit Starkey, a changé la couleur de notre peau et notre ADN.

Heureusement, le gouvernement n’est pas seul à affronter ce défis bio-génétique. Comme ça arrive assez souvent en Angleterre, l’aide est soudainement arrivée d’en haut. Et par "en haut", bien entendu, nous parlons des États-Unis, la mère-patrie dont la Grande-Bretagne est l’une des colonies fidèles. Inspiré par l’exemple américain, David Cameron a convoqué le super-flic Bill Bratton, inventeur du régime de la "tolérance zéro" qui a rendu obèses autant de prisons d’outre-atlantique. Le crime de la rue, a déclaré Cameron, sera raclé de l’île, comme si c’était un mélanome sur la peau candide d’Albion.

Peut-être que le premier ministre n’a pas choisi le bon homme pour ces nettoyages. Plutôt qu’à Bill Bratton, Cameron aurait dû s’adresser à Conrad Murray, le célèbre médecin de Michael Jackson, aujourd’hui sous enquête pour l’assassinat du chanteur. Enlever le noir de la peau est une question difficile et il y a peu de gens au monde qui sont capables de le faire. Des bains de mercure, des infiltrations de cortisone et des applications d’hydroquinone sont le seuls soins possibles. Avec quelques injections de médicaments anti-douleur, pour rendre l’ensemble plus supportable. Seulement de cette façon la candide Angleterre pourra gratter sa négritude superficielle. Au risque d’en mourir, si cela devait être nécessaire. D’ailleurs, suite aux magnificences du mariage royal, il n’y a que l’enterrement d’une nation toute entière qui pourrait offrir au monde un événement le plus spectaculaire pour la prochaine décennie.
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Re: émeutes en Angleterre

Messagede Nico37 » 17 Aoû 2011, 12:25

Angleterre, la colère est légitime. par le NPA

Depuis plusieurs jours des émeutes embrasent la Grande Bretagne, émeutes qui sont une réponse compréhensible de la jeunesse des quartiers abandonnés devant les mesures "d’austérité" qui les touchent pour préserver la richesse des possédants et les profits des banques ! Dès le début de l’année les jeunes manifestaient contre le doublement des montants d’inscription à l’université. Depuis, le gouvernement Cameron a supprimé les aides aux lycéens, les crédits aux associations de quartier, les services publics disparaissent et le taux de chômage atteint 30% dans la jeunesse...

Leur colère est légitime, nous sommes des millions à la partager. "Je ne vole pas, je récupérère les produits de luxe que ma classe sociale ne pourra jamais se payer, et que pourtant elle a produit", disait ce matin un jeune de Liverpool interviewé. Les émeutes sont l’expression des plus démunis, contre une politique au service des possédants. Possédants qui envoient la police et peut-être demain l’armée, parce qu’ils ont peur et n’ont aucune solution à apporter, puisqu’ils sont les seuls résponsables de la crise et de la situation que l’ont connait. La violence c’est eux, qui emploient la force pour mater la révolte, qui distillent la division dans notre camp en stigmatisant les jeunes et les travailleurs sans emploi et sans avenir, sous le terme de "casseurs". Les vrais casseurs sont ceux qui suppriment les services publics, les voleurs sont ceux qui continuent d’empocher des profits faramineux en temps de crise, les délinquants sont ceux qui continuent à licencier et à délocaliser.

La solution ce n’est pas la répression mais :

la gratuité de l’éducation
la défense des services publics et rétablissement des services supprimés : La Poste, maisons de quartier, santé publique...
la réquisition des entreprises qui licencient ou délocalisent, sans indémnité ni rachat...

Un plan d’urgence anticapitaliste s’impose si nous ne voulons pas payer leur crise !


Les émeutes sont l’expression d’une véritable révolte sociale ... Editorial de Socialist Resistance, organisation-sœur de la LCR en Grande-Bretagne. http://socialistresistance.org. Publié sous le titre : « Con Dem chickens come home to roost ». Traduction française par Sylvia Nerina pour le site www.lcr-lagauche.be

La première année de la coalition dirigée par le Premier Ministre David Cameron s’est déroulée sous le signe de l’austérité, d’une montée des inégalités, d’un appauvrissement rapide de la population, de la destruction des services publics, de la corruption des médias, de la police et des politiciens. Sa seconde année, elle, semble marquée par les actions revendicatives syndicales massives et par les conflits entre l’État et une population qui semble ne plus avoir rien à perdre dans les quartiers les plus pauvres des villes britanniques. Voilà quel est le sens des émeutes qui se déroulent à Londres.

En fait, ces émeutes sont directement liées à deux actions menées par la police. La première est l’assassinat par des policiers de Mark Duggan et le mauvais traitement infligé par la suite à sa famille. C’est une manifestation de colère légitime qui a eu lieu devant le commissariat de police samedi dernier. C’est le comportement de la police qui a mis le feu aux poudres, mais ce fait a été largement occulté dans les reportages des médias sur le sujet.

Un coup d’oeil sur cette video nous montre comment la police a attaqué une jeune fille de 16 ans à coups de matraques. Cet autre enregistrement donne un aperçu de la violence du comportement policier. Il est pratiquement impossible que ce type d’agression ne provoque pas un paroxysme d’explosion de violence dans la communauté locale.

Les rapaces du néo-libéralisme se préparent à descendre

La décision de faire une coupe de 41 millions de livres, prise par le conseil municipal de Haringey (où on éclaté les émeutes, NdT), détruit littéralement les espoirs de toute cette génération qui se trouve à présent dans les rues. Le mois dernier, déjà, un élu local, David Lammy, avait demandé au gouvernement de prendre des mesures pour combattre la montée de 10% du chômage à Tottenham, qui compte aujourd’hui 10.514 sans-emploi.

Des habitants du quartier, récemment interviewés, ont expliqué que des milliers de jeunes approchant de la trentaine n’ont jamais pu trouver de travail. Ce n’est pas une surprise de constater que les magasins qui vendent des vêtements de sport, des téléphones mobiles, des télévisions ou des MP3, éveillent des convoitises parmi ceux qui savent qu’ils ne pourront jamais posséder de telles choses.

Le capitalisme ne peut pas tout avoir. D’un côté il nous dit que nous avons besoin de ces objets pour nous sentir complets et pour avoir une certaine importance et de l’autre côté, la plupart des offres d’emplois n’offrent que des salaires de misère et des conditions précaires et à court terme.

Ces faits contrastent avec une classe riche qui n’a jamais possédé autant de choses qu’au jour d’aujourd’hui. La Commission sur les hauts salaires indique ce 8 août que les dirigeants d’une centaine d’entreprises privées ont reçu un revenu annuel moyen de plus ou moins 175.000 livres. Le revenu annuel d’un britannique moyen est de 5.860 livres et le gouvernement « Con Dem » (Conservateurs et Libéraux Démocrates, NdT) voudrait que les travailleurs deviennent encore plus pauvres. En même temps, ils sont inclinés à transférer beaucoup d’argent aux 300.000 personnes qui payent le taux maximum de 50% d’impôts sur les revenus de plus de 150.000 livres. Le maire de Londres, Boris Johnson veut supprimer ce taux d’imposition tout comme son pote millionnaire George Osborne, Chancelier de l’Échiquier (Ministre des finances, NdT).

Il est possible que ce genre de considérations ne se retrouve pas dans l’esprit des adolescents qui ont piqué 100 livres à « JD Sport ». Mais ce qu’ils savent très bien, c’est qu’il y a des gens, là dehors, qui ont un bien-être et des privilèges et qui utilisent leur pouvoir pour maintenir dans la pauvreté des millions de personnes.

Une émeute est un spasme de colère destructrice et une protestation sans structure, mais c’est un des moyens pour les sans-voix de se faire entendre. À la rentrée, les syndicats et la gauche radicale devront faire entendre leur voix et commencer à faire reculer l’offensive des « Con Dem » contre notre classe.
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Re: émeutes en Angleterre

Messagede Nico37 » 18 Aoû 2011, 08:49

Angleterre : Quand David Cameron cassait les vitrines - Marco D’Eramo Edition de vendredi 12 août 2011 de Il Manifesto

Dans une ville anglaise une bande de jeunes défonce une vitrine, s’enfuit dans la nuit, et se dirige en courant vers le jardin botanique. La police les suit, en charge quelques uns sur ses téléphones portables et les met au trou.

Le problème c’est que nous ne parlons pas d’un épisode survenu ces jours-ci. Et que les jeunes arrêtés ne sont pas des casseurs sous-prolétaires. Non, l’épisode a lieu il y a 24 ans à Oxford et les 10 jeunes gens étaient tous membres du Bullingdon Club, une association étudiante oxfordienne de 150 ans d’âge, fameuse pour ses frasques estudiantines, ses cuites et pour considérer la vandalisation de boutiques et restaurants comme le fin du fin de la distraction. Restaurateurs, commerçants et dénonciations à la police, tout est remis en ordre avec quelques généreuses indemnisations qu’on va puiser dans les grassouillets portefeuilles paternels. Quelques heures plus tôt, les dix jeunes gaillards s’étaient fait tirer le portrait sur les marches d’un grand escalier, tous en uniforme du club, habit de soirée à 1.000 livres sterling (1.150 euros) pièce. Emergent du groupe un jeune David Cameron et un, tout aussi imberbe, Boris Johnson.

Il se trouve qu’aujourd’hui Cameron est premier ministre conservateur (britannique NdT) et Johnson maire conservateur du Grand Londres. Et que l’un comme l’autre tonnent contre les vandales qui détruisent les propriétés privées. Que l’un et l’autre invoquent la ligne dure, la main de fer. Cameron veut avoir recours à l’armée et censurer les réseaux sociaux ; Johnson veut augmenter les effectifs de police. Sans même la moindre compréhension pour qui ne fait rien d’autre, dans le fond, qu’émuler leur geste d’autrefois.

Mais évidemment, c’est justement le propre de la mentalité d’un fils à papa de considérer que les autres ne peuvent pas -et ne doivent pas- se permettre ce qu’on lui a permis, à lui, par droit de naissance et d’extraction sociale.

Image
(1) Sebastian Grigg, (2) David Cameron, (3) Ralph Perry-Robinson, (4) Ewen Fergusson, (5) Matthew Benson, (6) Sebastian James, (7) Jonathan Ford, (8) Boris Johnson, (9) Harry Eastwood

David Cameron est né en 1966 d’un père agent en bourse et d’une mère fille d’un baronet : l’actuel premier ministre tient à faire savoir qu’il est le descendant illégitime du roi Guillaume IV et de sa maîtresse Dorothée, et qu’il est donc un lointain parent de la reine Elisabeth II. Snob typique, Cameron fut envoyé à sept ans à Heatherdown, école élémentaire fréquentée aussi par les princes Andrew et Edward, école dont l’attitude de classe était sans équivoque : les jours d’excursion, les toilettes portables étaient désignées par « Ladies », « Gentlemen » et « Chauffeurs ». Et quand Margaret Thatcher fut élue premier ministre, l’école célébra ça par une partie de cricket improvisée entre élèves contre enseignants. Au lycée, Cameron fut envoyé dans la plus prestigieuse école privée d’Angleterre, Eton (frais annuels de scolarité : 27.000 livres sterling, environ 31.000 euros), le creuset de la classe dominante (Boris Johnson fut aussi son camarade de classe à Eton) : c’est drôle comme en Grande-Bretagne les écoles privées s’appellent public schools. Là le vilain garçon Cameron fut surpris en train de se rouler un joint et, en punition, dut recopier 500 lignes de latin. Après Eton, ce fut naturellement l’université à Oxford, et son club, le Bullington. En snob parfait, Cameron a ensuite épousé Samantha Gwendoline Sheffield, dont le père est un baronnet propriétaire terrien, et dont le parrain est vicomte. Samantha Gwendoline travaille dans la célèbre maison de produits de luxe Smyrne de Bond Street et a reçu le prix de Meilleure désigner d’accessoires par le British Glamour Magazine.

Quand ils se sont rangés de leurs bombes estudiantines, les fils à papa font d’habitude une belle carrière : Boris Johnson devient directeur du Spectator (même si sa carrière trébuche dans ses aventures d’homme à femmes invétéré, bien que marié). Cameron devient directeur des Corporate Affairs chez Carlton Communication, une société de media ensuite absorbée par Granada plc pour former ITV plc.

Quand, en 2006, Cameron emporte le congrès Tory et devient leader du parti conservateur, il n’a que 38 ans. Et c’est tout naturellement que, dans le gouvernement ombre qu’il forme (le premier ministre à l’époque était Tony Blair), trois des membres sont d’anciens élèves de Eton (Old Etonians). Mais dans le groupe de ses collaborateurs les plus proches, 15 au moins sont des Old Etonians. Et il en va de même quand, en mai 2010, Cameron gagne (à moitié) les élections et devient premier ministre à la tête d’une coalition avec les néo-libéraux conduits par Nick Clegg : ici aussi le noyau dur du gouvernement est constitué d’aristocrates, d’etonians ou oxfordians, comme l’actuel Chancelier de l’Echiquier (c’est-à-dire ministre de l’économie) George Gideon Osborne, lui aussi noble, héritier de la baronnie Osborne, lui aussi diplômé d’Oxford, et lui aussi, ça alors, ancien membre du Club Bullingdon.

Comme on disait avant : bon sang ne saurait mentir. La classe (sociale, NdT) non plus.
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Re: émeutes en Angleterre

Messagede Pïérô » 18 Aoû 2011, 14:01

Analyse intéressante du WSM Irlande, Workers Solidarity Movement, http://www.wsm.ie/c/london-riots-causes ... -anarchist, traduite sur Liberation Irlande : http://liberationirlande.wordpress.com/

en deux parties car les posts ont sur le forum une limitation maximale de signes.

je met le PS en intro :

PS : Pourquoi un article venant d’Irlande ?

Il peut sembler curieux qu’un groupe anarchiste d’Irlande fasse tant d’efforts pour comprendre une émeute en Angleterre. Mais c’est une erreur, car non seulement Londres continue de gouverner le Nord-Est de l’Irlande (où ils n’ont jamais eu de complexes à utiliser les canons à eau, les matraquages et à faire feu sur les émeutiers), mais nos deux pays sont liés sous beaucoup d’autres aspects. Cet article nous sert aussi à montrer que les émeutes ne sont pas toujours une bonne chose, et me de prendre conscience du danger des escouades d’auto-défense mono-ethniques. Dans le Nord [de l’Irlande], nous avons vu beaucoup d’émeutes réactionnaires et beaucoup d’escadrons de la mort se faisant passer pour des groupes d’auto-défense.

Deux personnes du groupe des auteurs de cet article font partie des gens qui ont littéralement construit Londres et y ont travaillé et vécu pendant de longues périodes. Nous voyageons régulièrement là-bas et maintenons des contacts avec des amis et des camarades qui vivent, travaillent et luttent dans ces étendues tentaculaires. Nous avons vu et participé à quantité de manifestations et d’émeutes, nous avons squatté à Hackney et nous avons, comme des centaines de milliers de travailleurs immigrés qui sont revenus chez eux, notre mot à dire en ce qui concerne cette ville. Par contre, les inconvénients sont que nous n’avons pas pu voir ou participer aux événements que nous discutons dans cet article, mais si ça avait été le cas, nous n’aurions pas eu le loisir d’écrire.



WSM : Londres brûle – causes et conséquences des émeutes, une perspective anarchiste

Le meurtre de Mark Duggan par la police a engendré quatre nuits d’émeutes dans toute l’Angleterre. Le déclencheur immédiat en a été le meurtre lui-même, mais aussi la goujaterie de la police envers la famille et les amis de Mark. Cependant, les émeutes ont rapidement pris une dimension plus large, exprimant une colère et une aliénation plus générales, colère qui trop souvent a été mal ciblée, frappant les cibles les plus proches et à portée de main. Il y eut par conséquent de grandes destructions de biens, dans des quartiers déjà déshérités, et des attaques anti-sociales contre des riverains. Malgré ces aspects, les racines des émeutes résident dans les conditions économiques et politiques qui régissent ces zones, non pas dans la “piètre éducation” des parents ou dans la “criminalité aveugle”. Ces conditions ont été créées par cette même élite de politiciens et d’hommes d’affaire qui en appellent maintenant à un retour à la normalité et à la répression.

Les émeutes surgissent à un moment particulier, qui voit le capitalisme atteint d’une crise profonde. En effet, les émeutes ont eu lieu au même moment qu’un nouveau krach dans les marchés mondiaux. Les deux événements se sont tenus la dragée haute dans les Unes de la presse. Il ne s’agit pas d’une coïncidence, car le krach et les coupes budgétaires, destinées à rejeter son coût sur les épaules des gens ordinaires, ont non seulement fait monter en flèche le chômage, mais aussi saigné à blanc les services publics.

Le montant total des destructions provoquées par les émeutes est estimé à 200 millions de £, chiffre dont l’insignifiance pâlit à côté des destructions de richesses causées par les marchés boursiers. De même, alors que les médias se concentrent sur les centaines de travailleurs et de petits commerçants qui vont perdre leur emploi à cause de la destruction de leurs lieux de travail, le système qui a enfanté les émeutes a refusé du travail à des millions de personnes, environ un million de personnes entre 16 et 24 ans sont aujourd’hui au chômage au Royaume-Uni.

Désormais, alors que la vague est retombée, il est clair que ceux qui ont fait l’erreur de prendre ce qu’on leur avait demandé de désirer, sont en passe d’être brutalement punis afin de faire un exemple pour les autres, inculquant que les lois de la propriété doivent être respectées à tout prix, car après tout, si nous pouvions tous prendre ce dont nous avons besoin, où le capitalisme pourrait-il exister ? Il n’y a pas d’autre explication aux sentences qui sont tombées, dont l’une est une peine de six mois pour un vol de bouteilles d’eau à 3,50 £ !

Et bien sûr, les banquiers qui ont déclenché beaucoup plus de destruction et de chômage, loin d’avoir subi de telles punitions, ont été récompensés. Dans un article d’un blog, Russell Brand pose la question suivante : “ Comment définir ces actions des banquiers de la city qui ont mis à genoux notre économie en 2010 ? Altruiste ? Respectueuse ? Gentille ? Mais comme ils portent des costumes-cravates, on leur fait crédit, et c’est peut-être pour cela qu’aucun d’entre eux n’a été emprisonné. D’ailleurs ils s’en sont sortis avec beaucoup plus qu’une paire de baskets.”


Que s’est-il passé ?

Dans la guerre, on dit que la première victime indique la vérité. Après quatre jours d’émeutes de masse ininterrompues qui sont parties du Nord de Londres, il faut revenir en arrière et considérer ce que nous avons appris. Le caractère massif des désordres s’illustre par le fait que la police dit avoir arrêté plus de 1.500 personnes, un chiffre qui ne peut représenter qu’une petite partie de celles qui ont participé aux émeutes.


Le meurtre de Mark Duggan

La cause immédiate des émeutes a été le meurtre de Mark Duggan par la police armée, le jeudi 4 août, alors qu’il rentrait chez lui à bord d’une camionnette. Au départ, la police a parlé d’une fusillade ayant entraîné la mort, mais quelques temps plus tard, il s’est avéré que la balle qui avait frappé la radio d’un policier avait été tirée par le policier qui avait tué Duggan par balles, et qu’il n’y avait pas de preuves que Mark Duggan eût ouvert le feu sur les policiers. Une semaine plus tard, la Independent Police Complaints Commission (IPCC) [sortes de bœufs-carottes britanniques] a fini par reconnaître dans les pages du Guardian : “Il semble possible que nous ayons par nos paroles induit les journalistes à croire que des coups de feu avaient été échangés”.

Mark Duggan, homme noir de 29 ans et père de trois enfants, rentrait chez lui en camionnette lorsqu’eut lieu la tentative d’interpellation. Un agent de l’escouade CO19 de la police métropolitaine armée lui tira dessus par deux fois, une balle dans la tête le laissa raide mort. L’autre balle s’est logée dans la radio d’un de ses collègues. Sur les lieux, les policiers ont retrouvé une arme qu’ils attribuent à Mark Duggan. Il s’agit d’après eux d’un pistolet d’alarme, transformé pour pouvoir utiliser de vraies balles.

La police s’empresse de justifier le meurtre en présentant Duggan comme un gangster. Mais sa fiancée Semone Wilson a expliqué à la chaîne de télévision Channel 4 News que s’il avait fait de la prison en préventive, lui et elle s’apprêtaient à quitter Tottenham pour entamer une nouvelle vie avec leurs enfants. Elle a dit également : “Même s’il avait une arme, chose que j’ignore, Mark aurait fui. Mark est un homme qui s’esquive. Il aurait pris la tangente, plutôt que de faire feu, je vous dis cela car ça me vient du fond du cœur.”


L’exigence de réponses et le début de l’émeute

Semone Wilson et d’autres membres de la famille sont allés au commissariat de Tottenham à 17h le samedi 8 août, avec des dirigeants de la communauté, pour qu’on leur donne des réponses au sujet du meurtre. La police ne leur a présenté aucun responsable et aucune réponse ne leur a été fournie, et trois heures et demi plus tard, l’émeute a commencé au moment de la dispersion de la manifestation, apparemment suite à la bastonnade par la police d’une jeune fille de 16 ans qui se tenait aux avant-postes de la foule.

Lors des émeutes qui ont eu lieu cette nuit-là, deux voitures de police et un bus ont été incendiés et plusieurs magasins attaqués. L’émeute s’est propagée de Tottenham à Enfield et à Brixton. Les rapports de police font état de 55 arrestations et de 26 blessés parmi les forces de l’ordre. A cette étape, la famille Duggan a pris ces distances avec le mouvement émeutier.


La propagation de l’émeute

Lors des trois nuits qui ont suivi, l’émeute s’est propagée dans toute l’Angleterre, avec des points chauds signalés à Birmingham, Salford, Liverpool, Nottingham, Leicester, Manchester, Wolverhampton, West Bromwich, Gloucester, Chatham, Oxford et Bristol.

La police a tôt fait d’être débordée, et a profité du fait que la majorité des émeutes se soient focalisées sur le pillage plutôt que sur l’affrontement direct avec elle. Ceci ne s’est pas vérifié partout. A Nottingham, pas moins de cinq commissariats ont été attaqués, mais dans la majorité des cas, les émeutiers se sont dispersés à l’arrivée en force de lourdes forces de police, pour se regrouper plus tard et reprendre ailleurs les pillages.

Quand elles prennent cette forme, il est très difficile pour la police de contenir ces émeutes. Dans une émeute traditionnelle dirigée contre la police, il y a des lignes de policiers denses et statiques, lourdement équipées, qui font face à des émeutiers qui leur jettent des projectiles à distance. Chaque camp peut avancer, reculer et tenter de prendre à revers son adversaire, mais ce schéma implique que la destruction et le pillage sont relativement limités. Mais dans le cas qui nous occupe, la plupart des émeutes qui ont eu lieu après la première nuit se sont concentrées sur le pillage et ont esquivé la police, sans confrontation directe.

Hugh Orde, président de l’association des commissaires de police, a écrit un article dans le Guardian au beau milieu du mouvement émeutier, qui critiquait l’usage du canon à eau et des balles en plastic. Non pas pour des raisons morales, puisqu’il avait ordonné leur emploi à plusieurs reprises lorsqu’il était chef du PSNI en Irlande du Nord. Il considérait évidemment que des citoyens britanniques à Londres ne devraient pas subir le même traitement que des citoyens britanniques en Irlande, mais, ceci mis à part, son argument principal est d’ordre tactique. Il écrit : « Les canons à eau, dont la logistique est difficile à mettre en œuvre, fonctionnent bien contre de grandes foules statiques qui jettent des projectiles sur la police (…) Cela permet de maintenir une distance, parfois vitale, entre la police et des foules hors-la-loi. Les matraquages, tactique plus sévère, sont là fondamentalement pour protéger la vie. (…). Ce que nous avons vu jusque-là dans ces émeutes, ce sont de petits groupes de hors-la-loi se déplaçant rapidement, situation qui exige un traitement policier particulier et approprié. »

Dans sa couverture des événements, le journal The Economist a confirmé la raison pour laquelle la police avait perdu le contrôle : « L’ancien manuel policier se base sur deux principes qui se sont montrés soudain inappropriés. Le premier affirme que les émeutiers cherchent à aller attaquer la police, la situation est donc plus facile lorsqu’on sait qu’ils seront là où vous êtes. Le second affirme que l’objectif principal est de tenir le terrain, plutôt que les gens. Mais comme le remarque M. Innes, la police doit aller chercher les « flash mobs » [rassemblements-éclairs], qui se servent des nouveaux réseaux sociaux pour aller se rassembler et piller un endroit, puis se disperser et se réunir ailleurs : « Il nous faut les suivre, les harceler et les éloigner. » Le problème reste que lorsque les pillards sont chassés, ils se divisent, ce qui disperse d’autant les forces de l’ordre. Même si la police en interpelle et en arrête un ou une (tâche qui accapare au moins deux policiers dont on pourrait avoir besoin ailleurs), elle ne pourra l’accuser que d’un délit mineur de trouble à l’ordre public. »

La forme particulière qu’a prise ce mouvement émeutier se voit aussi au pourcentage d’arrestations liées aux violences à agent. A part la première nuit à Tottenham, qui a vu la police être la cible de l’émeute, le nombre de policiers blessés comptabilisés est inférieur à celui qu’on dénombre dans les émeutes où la police est affrontée ou chargée. On comptabilisa lors des émeutes de 1981 à Brixton quelque 299 policiers blessés contre seulement 82 arrestations, d’après les chiffres officiels de la police. Evidemment, du point de vue de la police et de l’élite britannique, c’est une chance que l’émeute ait pris cette forme pillarde, d’autant plus que les pillages se sont en général cantonnés aux quartiers les plus déshérités des villes, ce qui signifie qu’aucune parcelle massive du capital ou de l’Etat n’a été lourdement endommagé.


Quel parti prendre ?

Dans Hommage à la Catalogne, George Orwell a donné un point de départ général utile aux anarchistes pour ce qui touche aux émeutes : « Je n’ai pas d’affection particulière pour l’ouvrier idéalisé tel que la mentalité communiste bourgeoise se le représente, mais quand je vois un ouvrier en chair et en os entrer en conflit avec son ennemi naturel le policier, je n’ai pas besoin de me demander quel parti prendre. » Ce qui s’est passé à Londres et qui s’est étendu ailleurs n’a pas été quelque glorieux soulèvement prolétarien idéalisé, mais l’explosion très réelle de la colère qui surgit lorsque des années de pauvreté, de répression policière et de racisme atteignent leur point de rupture.

Des choses horribles ont eu lieu pendant les émeutes, mais les politiciens qui versent des larmes de crocodile devant les incendies de boutiques et les agressions anti-sociales sont ceux-là mêmes qui ont bombardé l’Irak jusqu’à faire revenir ce pays à l’âge de pierre, qui ont organisé la guerre et l’occupation qui ont tué des centaines de milliers de personnes. Il n’est pas nécessaire de considérer les émeutiers comme des exemples d’ouvriers idéalisés pour mesurer l’hypocrisie et les mensonges étalés par les politiciens et les médias qui ont décrit, à qui mieux-mieux, les événements comme le spectacle d’une stupéfiante horreur, plutôt que comme la conséquence d’une société profondément divisée.

Ceci ne veut pas dire que nous suggérions que la ‘réponse’ aux émeutes consisterait à multiplier les séances de pourparlers communautaires, destinées à tenir les jeunes loin des rues. Ce genre d’aménagement de surface peut bien être appliqué pendant les lendemains pour examiner des symptômes, mais la cause gît dans l’inégalité profonde qui est inhérente au capitalisme. Cette division a des effets terribles sur les individus qui sont captifs au fin fond de la pyramide des richesses, le plus souvent dans des conditions de pauvreté, de chômage et d’exclusion partagées entre plusieurs générations.


Brève histoire des meurtres policiers

Les motivations du mouvement émeutier, une fois passée la première nuit, ne peuvent se réduire au simple facteur qu’a été le meurtre de Mark Duggan. C’était plutôt l’étincelle qui a enflammé le papier d’allumage au dessus d’un petit bois tout prêt à s’embraser.

Le meurtre de Mark Duggan est le dernier en date d’une longue série de morts violentes perpétrées par la police. Depuis 1990, 900 personnes sont mortes entre les mains de policiers, dont un quart dans les commissariats de la Police Métropolitaine. On compte 333 morts depuis 1998, 87 d’entre elles ont eu lieu alors que les victimes étaient retenues entre les mains des policiers. Aucune de ces morts n’a été suivie de procès victorieux contre les policiers impliqués ; en fait, aucun policier n’a été reconnu coupable des morts dans les locaux de police s’étant produites dans les quarante dernières années.

En 1979, Blair Peach a succombé à ses blessures alors qu’il participait à une manifestation anti-raciste à Londres. Quatorze témoins virent Blair se faire frapper par des policiers du Special Patrol Group de la Metropolitan Police Force, mais personne ne fut accusé et l’enquête conclut à un « décès malencontreux » [‘death by misadventure’]. En 1989, cette police métropolitaine réussit à débouter le frère de Blair Peach de sa plainte. En 1985, les émeutes de Broadwater Farm furent déclenchées par un incident semblable : une mère de 49 ans, Cynthia Jarrett, s’était évanouie et était morte alors qu’elle se faisait perquisitionner son domicile.

En 2005, Jean Charles de Menezes, Brésilien et innocent, fut frappé de sept balles dans la tête par la police métropolitaine alors qu’il entrait dans le métro à la station Stockwell. Plus récemment, des milliers de personnes ont manifesté au Sud de Londres au début de cette année pour protester contre la mort de l’artiste reggae Smiley Culture, que les policiers accusaient de s’être poignardé à mort alors qu’ils perquisitionnaient chez lui.

Ceux qui meurent dans les commissariats viennent en général des sections les plus pauvres de la classe ouvrière. En Grande-Bretagne en général et à Londres en particulier, les minorités ethniques sont massivement sur-représentées dans les 10% les plus pauvres de la population, et cela, en plus du racisme direct, explique que les minorités ethniques sont encore une fois sur-représentées parmi la masse de gens qui meurent dans les commissariats. Depuis 1998, sur les 333 qui sont morts dans les commissariats, il y avait « une majorité de Blancs (75%), hommes (90%) et âgés entre 25 et 44 ans. » Mais comme 91% de la population britannique est classée comme « blanche », cela signifie que les 9% qui restent comptent pour 25% des morts dans les commissariats.

La police en Grande-Bretagne n’est pas différente des polices ailleurs dans le monde sous ce rapport. En Irlande, les morts au commissariat de Terence Wheelock, John Maloney et Brian Rossiter, parmi d’autres, ont encore des zones d’ombre. Si le meurtre de Mark Duggan n’avait pas été suivi d’émeutes, son assassinat n’aurait pas représenté autre chose qu’un bref entrefilet dans les informations.


La situation économique de Tottenham

Tottenham se trouve dans l’arrondissement d’Harringey, c’est là que l’émeute a commencé. Le taux de chômage y est de 8,8%, ce qui représente le double de la moyenne nationale, on estime qu’il y a en moyenne un emploi pour 54 demandeurs. Sur la liste des 354 arrondissements d’Angleterre, Tottenham est à la 18è place des plus déshérités (en partant du bas), et d’après les chiffres de l’organisme End Child Poverty, environ 8.000 enfants vivent dans des logements temporaires. Harringey a le 4è plus haut taux de pauvreté infantile de Londres, avec le chiffre vertigineux de 61% d’enfants vivant dans des familles à bas revenus.

Les coupes budgétaires affectant les dispositifs de maintien dans le système éducatif, qui étaient considérés comme un moyen d’encourager les jeunes défavorisés à rester scolarisés, jointes à la hausse du prix des inscriptions à l’université, ont frappé durement les jeunes des villes, qui voient toutes les options disparaître. Symeon Brown, activiste de 22 ans contre les coupes budgétaires à Harringey, explique : « Comment est-ce qu’on crée un ghetto ? En faisant disparaître les services dont les gens dépendent pour vivre, pour améliorer leur sort ».

Plusieurs clubs de jeunesse ont été récemment forcés de fermer leurs portes à Tottenham, suite à une coupe de 75% des allocations destinées aux services à la jeunesse, alors que le conseil d’arrondissement subit une réduction de 41 millions de £ par rapport à sa subvention ordinaire de la part du gouvernement central. Fin juillet, le Guardian avait sorti une vidéo sur les fermetures de clubs, dans laquelle on voyait un jeune habitué de ces clubs prédire une émeute.


La crise et les coupes budgétaires

Le contexte dans lequel est pris le mouvement émeutier n’est pas seulement celui de la pauvreté sévissant à Tottenham et dans d’autres quartiers populaires de Londres intra-muros, il s’agit de la détérioration du sort de la classe ouvrière engendré par la crise capitaliste. Même avant la crise, le néo-libéralisme a élargi le fossé séparant riches et pauvres. Les 1% les plus riches en Grande-Bretagne ont une richesse estimée a minima à 2,6 millions de £ ; quant aux 10% les plus pauvres, ils possèdent pour moins de 8.800 £, automobile comprise. Ce qui fait que les moins riches parmi les 1% sont environ 300 fois plus riches que les plus riches parmi les 10%. Ces statistiques ont été divulguées dans un rapport gouvernemental intitulé ‘Anatomie de l’inégalité économique au Royaume-Uni’ et publié en janvier 2010.

Comme on peut s’y attendre, la race coïncide largement la classe quand il s’agit de pauvreté. « Comparés à un Britannique blanc et chrétien de même niveau de qualification, d’âge et d’emploi, un Pakistanais ou un Bangladeshi musulman ou un Africain chrétien a un revenu inférieur de 13 à 21%. Presque la moitié des foyers bangladeshi et pakistanais vivent dans la pauvreté. »

Les banquiers du Royaume-Uni se sont octroyés des bonus de presque 14 milliards cette année, et David Cameron n’a pas poussé de cris d’orfraie. Au contraire, il s’est échiné à accabler d’impôts les travailleurs du secteur public et à saigner à blanc les services sociaux. Une partie de l’explication de la profondeur des émeutes, de leur extension et de leur colère, se trouve dans les effets que ces coupes budgétaires ont produit sur ceux qui vivaient déjà au fin fond de la pyramide sociale.

Dans un article publié par le London Independant, Boff Whalley de Chumbawamba [un groupe de rock] cite Andrew Maxwell, un comédien irlandais, disant : « Créons une société qui valorise les choses matérielles au-dessus de tout. Séparons-nous de l’industrie. Augmentons les taxes des pauvres et réduisons celles des riches et des grandes entreprises. Alimentons les institutions financières d’argent public. Demandons plus de taxes tout en réduisant les services publics. Mettons des publicités partout, sans prendre en compte la capacité des gens à s’acheter les marchandises dont elles font l’article. Permettons que le coût de la nourriture et du logement dépasse la capacité de les payer. Enflammons le papier d’allumage. »

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La droite et la majorité des médias veulent nier tout rapport entre la pauvreté et le mouvement émeutier, mais la cartographie des émeutes exhibe clairement que celles-ci ont eu lieu dans et autour des quartiers où vivent les sections les plus pauvres de la classe ouvrière.


La politique des émeutes

Les gens ne sont pas idiots. Ils peuvent saisir l’injustice du sort qui leur est fait. Ils ne sont pas entendus. Lorsque ce sentiment d’être ignoré et exploité se répand dans une société, il ne faut pas grand chose pour enflammer le papier d’allumage au dessus du petit bois. Mais, dépourvue d’organisation politique, ou au moins d’une politisation extensive, la colère se manifeste d’une façon fruste et mal ciblée. Ceci ne veut pas dire que les émeutes étaient apolitiques, étant donné qu’elles étaient animées par des ressorts économiques et sociaux. Le journal Daily Mail cite une jeune femme qui dit avoir quitté l’école à 13 ans : « Toutes ces enseignes cossues pour richards reçoivent un peu de la monnaie de leur pièce, et il est temps pour nous, les pauvres pékins de base, d’avoir notre mot à dire dans ce pays ».

La Gazette de Montreal a publié des interviews d’émeutiers intéressantes. Ils sont d’un quartier d’Hackney [quartier populaire de Londres] et défendent l’émeute en termes directement politiques. L’un d’entre eux dit : « Ce n’étaient pas les voyous typiques du coin, non. C’était des travailleurs, des gens en colère. Ils ont augmenté les prix, ils ont baissé les allocs. Alors tout le monde ici a pris ça comme une chance à ne pas rater. » Une femme de 39 ans est citée ainsi, au discours indirect : « Ni elle ni d’autres n’ont de sympathie pour la plupart des commerçants dont les boutiques ont été pillées et brûlées, qu’elles identifient aux chaînes de grands magasins qui ont peu à offrir à leur communauté. Nombre de boutiques en vue à Hackney ont de plus en plus comme clientèle des salariés des classes moyennes et des bobos blancs qui ont déménagé ces derniers temps dans les belles maisons d’Hackney, qui sont à quelques pas des coins les plus sordides. »

Les politiciens cherchent à nier tout aspect politique dans les émeutes, et jouent d’intimidation contre tous ceux qui font remarquer ces évidences, en les accusant de soutenir l’incendie et l’agression. Sous cet aspect, ces émeutes sont traitées différemment des émeutes estudiantines de l’hiver dernier et des émeutes anti-coupes budgétaires du mois de mars. Pendant ces mouvements, les politiciens laissaient entendre que les désordres étaient le fait d’une minorité d’anarchistes et d’‘agitateurs extérieurs’. Cette fois-ci, ils cherchent à empêcher toute discussion sur les raisons qui ont engendré quatre nuits d’émeute massive.

Ils disent que dans de nombreux quartiers, le caractère parfois déconcertant des cibles attaquées prouvait le manque de politique collective derrière le désir de latter. Ce n’est pas que les gens étaient désorganisés. Les émeutes ont témoigné d’un grand sens de l’organisation lorsqu’il s’est agi de piller ces biens que les émeutiers ont été poussés à désirer mais sans pouvoir se les payer, mais à part cela, il y avait une tendance à latter toute figure de l’autorité, même minime, qui se trouvait en chemin et à portée de main. Il y a des parallèles évidents avec le mouvement émeutier des banlieues de France en 2005, qui vit des écoles et des structures municipales être détruites pour les mêmes raisons.

Mais, comme nous l’avons vu, au moins certains possédaient une compréhension politique claire de ce contre quoi ils se battaient, et il y eut aussi des attaques contre les véhicules de police et même contre des commissariats, chose qui exige une organisation et une coordination collective. Cinq commissariats ont été attaqués à Nottingham, avec destruction de véhicules de police à Nottingham, Bristol et à Tottenham même.


Mais qui se soucie des Jeux olympiques ?

Quelques médias ont donné dans le : « Juste Ciel, mais que vont devenir les Jeux Olympiques ? » Mais oui, bigre ! que vont-ils devenir ? Des émeutes ont eu lieu près des futurs sites olympiques. Ces endroits où les services publics sont saignés reçoivent de la région 10 millions de £ qui sont dilapidés pour ces jeux, qui ne bénéficieront que fort peu aux riverains, et qui leur causent tout un tas d’embêtements quotidiens, chose qui montre bien où sont les priorités de ceux qui sont au pouvoir.

Le journal The Economist a sonné l’alerte en ces termes : « Imaginons que par une funeste coïncidence, des membres du comité olympique international viennent cette semaine pour voir où en sont les préparations des jeux de l’année prochaine, la plupart des événements sportifs auront lieu près des pires terrains d’émeutes. »

On peut supposer qu’à l’image de la répression lors des Jeux olympiques mexicains en 1968, où des étudiants protestataires furent flingués, les sentences sévères qui ont frappé cette semaine servaient en partie à rassurer le comité olympique sur le fait que Londres serait pacifiée pendant les Jeux. L’emprisonnement de tant de fils, filles, frères et sœurs venant des quartiers où les Jeux vont se tenir ajoute à l’insulte faite à la population locale. La réalité des Jeux olympiques est revenue dans la figure de Londres lorsque la première femme emprisonnée, âgée de 18 ans, s’est révélée être une athlète locale, qui avait en outre été sélectionnée en tant qu’‘ambassadrice olympique’ et avait rencontré Sebastian Coe, le chef des Olympiades britanniques, et le maire de Londres Boris Johnson !


Classe et race

Dans la gauche institutionnelle, les explications des émeutes, lorsqu’il ne s’agit pas tout simplement de traiter les émeutiers de voyous sans conscience, se concentrent le plus souvent sur l’élément racial pour tenter de faire rentrer les événements dans le moule tout prêt de « l’émeute raciale », c’est-à-dire le meurtre d’un homme noir par un policier blanc (probablement), qui débouche sur l’échauffement des esprits chez les jeunes Noirs, constamment harcelés par des vérifications d’identité [’Stop and search’ : il s’agit d’arrestations et de fouilles], et ainsi de suite.

Il y a certainement du vrai dans cette analyse : les jeunes noirs ont 26 fois plus de chances de subir une vérification d’identité au hasard que leurs alter-égos blancs, et leur chances de se faire blesser ou tuer par la police sont sans égales.

Dans le Royaume-Uni, comme ailleurs, la pauvreté coïncide fortement avec l’appartenance à une minorité ethnique. D’après l’organisme Oxfam : « 69% des Bangladeshi et des Pakistanais vivent dans la pauvreté au Royaume-Uni, comparés à 20% de la population blanche ». Même si cela ne veut pas dire que la majorité des pauvres au Royaume-Uni est blanche, dans Londres intra-muros, où le mouvement émeutier a commencé, 70% des pauvres font partie des groupes ethniques minoritaires. Nulle coïncidence ici, mais le symptôme d’un système qui utilise le racisme comme arme pour diviser la classe ouvrière afin de préserver les privilèges d’une classe d’élite bourgeoise (majoritairement blanche).

Des problèmes comme la brutalité et le harcèlement policier, le chômage et la pauvreté ne sont pas l’apanage exclusif des minorités ethniques. Ce sont des problèmes touchant toute la classe, qui affectent les sections les plus pauvres et les plus marginalisés de la classe ouvrière et reflètent le mépris avec lequel la police traite les gens du peuple. Cette vérité se vérifie quand on voit la mixité de la composition ethnique des émeutiers.

Un sondage fait pour le compte du Guardian après les émeutes a montré que seul 1% de la population sondée considérait la tension raciale comme une cause, bien que 5% fussent d’avis que la cause était le meurtre de Mark. La vaste majorité des sondés a choisi les explications réactionnaires en termes de « criminalité » (45% des sondés pensent cela, les gens riches optant en général pour cette thèse), ou en termes de « manque de respect dans les familles et les communautés » (28%). La somme des sondés optant pour des explications tant soit peu progressistes ne dépasse pas les 21%. Seuls 8% des sondés sont d’avis que la raison réside dans le manque de travail pour les jeunes. 5% disent que c’est le meurtre par balles de Mark Duggan qui a engendré les premiers désordres à Tottenham, alors que 4% font porter le blâme sur le gouvernement de coalition, 2% sur la police et 2% sur l’état de l’économie.

Bien qu’à un niveau rhétorique, l’establishment britannique ait reconnu le problème du racisme institutionnel et adopté le multi-culturalisme depuis les émeutes des années 1980, peu de choses ont été faites pour s’occuper vraiment du racisme structurel qui traverse la société britannique. La formation au ‘ménagement des susceptibilités’ [‘sensitivity training’ - cf le début du film Hot Fuzz où le personnage principal reprend ses collègues flics avec son langage neutre et non-agressif, NdT] et autres initiatives n’ont pas beaucoup changé le racisme policier qui porte sa marque sur l’expérience des Noirs urbains. Cependant, cette explication simpliste, qui voit la race séparément de l’oppression de classe, a peu de pouvoir explicatif pour rendre raison de la totalité de ces quatre nuits d’émeutes.

Pourquoi ? Une explication simple dirait que la police ne prend pas assez au sérieux le racisme en son sein. Une explication plus satisfaisante reconnaît que des pourcentages disproportionnés de minorités se rencontrent dans les sections les plus pauvres et marginalisées de la classe ouvrière, et que le rôle central de la police, qui est de faire appliquer les lois qui font fonctionner le capitalisme, aboutit au fait que celle-ci cible cette section qui a le moins à perdre et le plus à gagner en outrepassant ces lois.


Comment racisme et pauvreté s’entrecroisent

Alex Carver, témoin des émeutes a expliqué ceci, dans une interview donnée à wsm.ie : « On éreinte encore et toujours la police pour son racisme, qui doit être endémique dans cette institution, vu les chiffres des contrôles d’identité et de la population carcérale. Mais si elle avait pu faire quelque chose à ce sujet, elle l’aurait fait. Je pense que le fait d’exiger un changement dans ces chiffres n’est qu’une mascarade politicienne pour embrouiller un problème qui est directement un problème de classe et de pauvreté. Les zones géographiques d’où viennent la population carcérale et les gamins qui se prennent des contrôles d’identité à tout bout de champ, ce sont les quartiers pauvres, abandonnés par la classe politique, dont les besoins ne sont pas satisfaits par l’économie. »

Si cette analyse est juste, le racisme structurel est une conséquence imparable du système capitaliste qui a piégé une grande proportion des minorités ethniques dans la pauvreté et l’exclusion. Une confirmation éloquente de cette thèse, selon laquelle la pauvreté et l’exclusion sont les causes des émeutes, c’est sa réfutation débitée à longueur de temps, fondée sur des exemples d’individus qui ont réussi à se sortir de ce piège. Dans cette phase du capitalisme, où la crise aboutit à des saignées dans les aides sociales, la seule ‘solution’ proposée, c’est la fuite individuelle, accouplée à des appels de plus en plus furieux à une discipline imposée de l’extérieur. Nous ne voulons pas dire par là qu’il ne faut pas combattre le racisme institutionnel, mais tirer au clair le fait que, dans une période de crise comme la nôtre, ce combat ne peut pas être gagné, parce que les conditions re-créerons continuellement ce racisme.

Une bonne preuve de cela peut être trouvé aux USA, où, après les victoires des mouvements pour les droits civils, les villes majoritairement noires (ou hispaniques) se dotèrent de forces de police et de conseils municipaux majoritairement noirs (ou hispaniques). Or, dans ces villes, telles Atlanta, Detroit, El Paso, Miami et Washington, les victimes de la violence policière proviennent très largement des populations noires et hispaniques. Le chercheur Ronald Weitzer, a expliqué dans son article “Can the police be reformed ?” [« peut-on réformer la police ? »] la chose suivante : « Bien que les études d’Etat montrent que les policiers noirs sont plus disposés que leurs alter-égos blancs à admettre que la police traite les minorités et les pauvres moins bien que les Blancs et que les bourgeois, la plupart des recherches montrent pourtant que les policiers noirs et blancs diffèrent fort peu lorsqu’il s’agit de leur action concrète face aux citoyens. Quand ils passent à la pratique, les policiers sont principalement « bleus », non pas noirs, bruns ou blancs.

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Re: émeutes en Angleterre

Messagede Pïérô » 18 Aoû 2011, 14:02

deuxième partie

Qui a pris part aux émeutes ?

Contre l’idée selon laquelle le racisme a été le seul ou le principal motif du mouvement émeutier après la première nuit, l’argument-massue a consisté à montrer que beaucoup d’émeutiers étaient blancs. En soi, cela ne démontre rien, car dans les prétendues émeutes raciales des années 1980, beaucoup de Blancs avaient décidé d’aller affronter la police aux côtés des minorités ethniques, cibles directes du racisme policier, dans un geste de solidarité politique. Mais aller piller un magasin Curry [un équivalent de Darty en plus petit] n’a rien à voir avec la solidarité, mais avec un intérêt commun. Les nombreuses photos de pillards, ainsi que les témoignages oculaires des participants, font état de foules multi-ethniques.

Le premier procès a confirmé cela. Le Telegraph a rapporté que parmi ceux qui étaient mis en examen, « seuls quelques uns n’avaient pas de casier. Beaucoup semblaient être des criminels professionnels. La plupart étaient des adolescents ou avaient une vingtaine d’années, mais un nombre étonnant d’entre eux étaient plus âgés. Le plus intéressant, c’est que la grande majorité était blanche, et beaucoup avaient un emploi. » Parmi eux, un ouvrier du bâtiment, un postier, et un agent de l’éducation nationale gagnant 1.000 £ par mois. Le Torygraph [jeu de mots sur Telegraph, journal réac] glisse savamment sur cette liste d’emplois souvent mal payés et précaires pour se focaliser sur une des personnes attrapées, qu’il isole du lot : « Laura Johnson, 19 ans, fille de son père, riche PDG ».

Parmi les premières personnes emprisonnées à Manchester
Image, il y avait un employé de call-center et un ouvrier dans une usine de biscuits. Parmi une autre fournée de condamnés, se trouvent un chef cuisinier au chômage et un coiffeur stagiaire. Un SDF accusé d’avoir volé de la nourriture a été mis en prison préventive, un homme « qui a proféré des jurons devant les policiers et qui s’est battu avec eux a été soupçonné d’émeute, vu qu’il portait des habits noirs à capuche et conduisait un vélo » en a pris pour 10 semaines. Pendant ce temps-là, à Londres, un étudiant a pris 6 mois pour un vol de bouteille d’eau.

En somme, le tableau qui émerge des arrestations nous montre que ces personnes ont en commun d’être au chômage ou mal payés, et si ce sont des adolescents, de venir de familles qui vivent cette condition. Quand la police prend les trognes des gens en photo, ils ne font pas de cadeau, mais il reste que ces nombreux visages marqués que l’on voit dans les journaux ne mentent pas et disent leur propre histoire, une histoire de douleur, de pauvreté et d’exclusion. Le Sun s’est plu à comparer un homme au personnage de Frank Gallagher de la série télévisée Shameless, mais on pourrait trouver facilement ces spécimens d’humanité dans une autre galerie, faite de politiciens dorlotés et bien nourris et d’hommes d’affaire. Et le SDF susmentionné détenu pour vol de nourriture n’était pas seul : une jeune fille de 17 ans a reconnu avoir rempli des sacs de nourriture dans une boulangerie. Une grande proportion des accusés n’a fait que voler de l’alcool et-ou des cigarettes.

Il y a bien sûr des exceptions, comme cette Laura susmentionnée, mais le gros des emprisonnés au lendemain des émeutes sont pauvres et viennent de tous les groupes ethniques, avec sur-représentation des minorités, sûrement à cause de l’emplacement géographique des émeutes, de la sur-représentation massive des minorités dans la tranche des 10% les plus pauvres, et probablement aussi en raison de la présence d’une bonne vieille louchée de racisme policier.


Tensions inter-communautaires, boutiquiers, classe et groupes d’auto-défense

Lorsqu’on examine le lien entre race et émeute, un facteur perturbant apparaît : le conflit potentiel entre les émeutiers et les divers groupes ethniques qui ont formé des escouades d’auto-défense. A Birmingham, cela a abouti tragiquement à la mort de trois membres d’une escouade informelle de ce genre. Si les émeutiers étaient en général multi-ethniques, ces escouades étaient souvent mono-ethniques et dirigées par les boutiquiers du coin.

La stratégie policière à Londres pendant les émeutes semble avoir été d’abandonner provisoirement les quartiers pauvres pour y contenir l’émeute et protéger la city [quartier d’affaires] et West End, où se trouvent la véritable richesse. Tenter d’aller à West End, tel est l’objectif traditionnel de la plupart des émeutes politiques londoniennes, mais bien qu’à Birmingham les émeutiers aient ciblé des boutiques de luxe du centre-ville, à Londres le mouvement émeutier a été presque totalement confiné dans les quartiers pauvres où vivent les émeutiers.

Le Daily News de Londres a cité un membre dirigeant des escouades de Green Lanes disant : « Nous n’avons aucune confiance en la police locale, nos commerces sont les prochains sur la liste des bandits qui ont mis à sac Tottenham, nous protègerons notre propriété. »

Le Guardian a lui aussi interviewé un de ceux-là, Yilmaz Karagoz, propriétaire d’un café : « Il y en avait un paquet. Nous sommes sortis de nos commerces, mais la police nous a dit de ne rien faire. Mais la police elle non plus n’a rien fait, donc, comme il en venait de plus en plus, nous avons dû les chasser nous-mêmes. » Quant aux employés d’un certain kébab, ils ont couru droit sur les assaillants, couteaux à viande à la main. « Je ne crois pas qu’ils reviendront de si tôt. »

Voilà en partie un reflet des tensions de classe où, comme pendant les émeutes de Los Angeles [en 1992], se distinguent d’une part des petits-bourgeois travaillant dur, relativement pauvres, issus d’un même groupe ethnique et qui possèdent les boutiques du coin, et d’autre part la majorité, issue d’un autre groupe ethnique. S’il s’agit certes de tensions de classe, d’un point de vue anarchiste, ce n’en sont pas d’utiles, loin de là. Les batailles locales entre ouvriers pauvres et petits-bourgeois pauvres ne servent qu’à renforcer et protéger la domination de ceux qui sont les véritables riches, et mènent aux travailleurs de ces groupes ethniques-là à faire cause commune avec leurs patrons.

L’enquête du Guardian établit que les travailleurs turcs et kurdes ont fait cause commune avec leurs patrons en défendant les locaux où ils travaillaient. Karagoz donne un aperçu de cette façon de penser : « Nous avons des commerces et nous y travaillons dur. En tant que parents, nous voulons que nos enfants travaillent, gagnent de l’argent et soient capables de s’acheter ce qu’ils veulent, pas de le voler. Nos jeunes savent que nous aurions honte d’eux s’ils faisaient ce genre de choses ». Cette alternative est identique à celle que proposent les Tories [le parti conservateur].

Toutefois, cette perspective n’est pas sans opposants. Des militants des communautés turques et kurdes ont fait une conférence de presse le 10 août à Green Lanes, au nom de « neuf groupes de bienfaisance différents qui soutiennent les membres des communautés turques et kurdes », pendant laquelle ils ont condamné la police et les médias dominants. Ils ont en particulier pointé l’utilisation goguenarde d’une interview de Darcus Howe [ancien membre des Black Panthers britannique, aujourd’hui publiciste connu] par la BBC. Ils ont accusé la police d’avoir cherché à suscité des troubles entre communautés turques et kurdes d’une part et « jeunes Noirs qui se soulèvent pour combattre la police ».

La situation semble avoir été la même dans le quartier de Southall. La BBC cite Satjinder Singh, membre de la communauté Sikh : « Nous commencions à recevoir des textos nous indiquant qu’il était hautement probable que les pillards attaqueraient Southall à cause du grand nombre de bijouteries qui s’y trouvent et du fait que celles-ci soient proches du temple Sikh et d’autre lieux de culte. Les Sikhs se sont dit qu’il fallait protéger nos lieux de culte. » Dans une interview télévisée, un membre du comité d’organisation [des groupes d’auto-défense locaux] a dit qu’ils protégeaient tout Southall et qu’ils avaient avec eux des musulmans, des chrétiens et des hindous.

Le caractère interclassiste des groupes d’auto-défense, qui unissaient les employés et les employeurs sur des bases communautaires, devrait donner à réfléchir à ceux qui, dans la gauche, ont défendu de façon acritique leur position, faisant de la surenchère pour mieux se dissocier des émeutes. De son côté, USDAW, le syndicat des employés du petit commerce, a sorti une déclaration appelant ses membres à « ne pas se mettre physiquement en danger en dissuadant le vol à l’étalage, le pillage ou les attaques contre la propriété ». Mais, de même qu’avec les émeutiers, c’est une erreur de ne rechercher qu’un seul aspect, bon ou mauvais, et le confondre avec le phénomène tout entier. L’une et l’autre partie sont des produits d’une même situation économique et politique, elles contiennent des éléments sur lesquels nous pouvons faire fond, mais aussi des éléments qui doivent être combattus.


Divagation de l’extrême-droite

Les exemples que nous venons de citer concernent des groupes des minorités ethniques qui s’opposent aux émeutiers pour défendre leurs locaux. Cela peut déboucher ou pas sur les tensions à long terme, mais ce qui est infiniment plus préoccupant, c’est que la English Defence League (EDL), organisation raciste, a pu tirer parti de la vague de peur pour mobiliser ce qui semble être des groupes entièrement blancs. A Eltham, le Guardian a cité un homme qui déclarait : « Ceci est un quartier populaire blanc et nous sommes là pour protéger notre communauté. » Toutefois, la capacité de l’EDL ou du British National Party (BNP) à convaincre une partie importante du public de son rôle de protecteur est sans doute limitée, car cela vient très peu de temps après le forfait d’Anders Behring Breivik, lié à l’EDL, qui a massacré tant d’enfants sans défense en Norvège.

L’extrême-droite va continuer à divaguer sur le fait que c’est le début de la guerre des races qu’elle appelle de ses vœux depuis longtemps, mais la réalité est que les émeutiers semblent avoir été d’origines assez mélangées, unis par la pauvreté et l’exclusion plus que par la race. Qui plus est, ces deux groupes d’extrême-droite doivent se trouver un peu coincés aux entournures, eux qui avaient déclaré récemment : « Les Noirs britanniques sont OK, ce sont les Musulmans britanniques que nous détestons. » Avec des Musulmans britanniques qui se retrouvent aux avant-postes des escouades de défense locales anti-émeute, et une émeute qui se déclenche lors d’une manifestation de protestation contre le meurtre d’un Noir britannique, les bases de l’extrême-droite doivent être en proie à une confusion certaine.

Une chose beaucoup plus préoccupante est la mort tragique de trois Asiatiques britanniques dans le quartier de Winston Green à Birmingham, qui se sont apparemment faits renverser par un groupe d’Afro-caribéens britanniques qui faisaient partie d’un convoi de quatre voitures soupçonnés d’aller mener des pillages dans ce quartier, pour la défense duquel 80 Asiatiques, dit-on, s’étaient mobilisés. Ceux qui étaient présents sur place ont dit au Guardian que la police leur avait auparavant dit de monter eux-mêmes la garde près de leurs commerces, puisque « les policiers étaient trop occupés à veiller aux endroits importants du centre-ville, préférant pourchasser l’émeute toute la nuit plutôt que de se faire du mauvais sang. »

Il est probable que ce sont les appels au calme des parents des tués qui ont empêché le déchaînement d’une bataille inter-communautaire dans la zone. En outre, il y eut la décision de tenir une assemblée de quartier, lors de laquelle, selon le Guardian : « 300 Musulmans et Sikhs se sont réunis pour débattre de la façon dont ils devaient répondre à cette tragédie. »


Le côté négatif de la spontanéité

La nature spontanée des émeutes, n’ayant pas d’organisation politique informelle en son sein, ni de formelle cela va sans dire, explique la nature fortuite et contre-productive de beaucoup de pillages et d’incendies. Cela ne doit pas être minimisé, quatre personnes ont été semble-t-il tuées par des émeutiers parce qu’elles défendaient des aménagements ou des commerces locaux.

A moins qu’il n’y ait un contexte particulier que nous ignorons, le pillage et l’incendie d’une boulangerie de quartier ou le pillage d’un fleuriste à son compte n’a aucun sens, si ce n’est que dans un flux d’adrénaline tout a l’air de ressembler à une cible. Sous cet angle, les émeutes de Londres ressemblent plus aux émeutes de Los Angeles de 1992 qu’aux émeutes des années 1980, ou bien sûr aux émeutes étudiants de l’année dernière, pendant lesquelles les attaques d’édifices semblaient soigneusement choisies. Évidemment, la couverture médiatique a mis l’accent sur ces attaques-là. L’histoire de l’incendie d’un salon de coiffure tenu par un homme de 81 ans a plus d’intérêt sensible immédiat que le pillage d’une succursale de la chaîne Curry ou Footlocker. Mais les comptes-rendus des procès, ainsi que les témoignages oculaires suggèrent que le pillage des chaînes a été de beaucoup plus répandu.

Il n’est pas rare dans les émeutes que des individus ou des groupes dans la furie de l’extase perdent la tête et se mettent à viser tout type de choses. Mais dans des situations politiques conscientes, ce type de comportement est rapidement arrêté par d’autres émeutiers, qui ont leur mot à dire. Il n’est pas rare, au lendemain de ce genre d’émeutes, des enseignes McDonalds ou Starbucks ou des galeries d’exposition de voitures neuves complètement retournées et vandalisées, alors que le marchand de journaux et le café au milieu sont quasi intacts.

A certains endroits, il semble que cela se soit passé ainsi. Un anarchiste a dit qu’à Brixton, sauf une exception, un café portugais, chaque cible était une succursale d’une grande chaîne. » Quand nous avons interviewé Alex, témoin des émeutes d’Hackney, il nous a raconté que lorsqu’il est entré dans une boutique pour éteindre un feu, « personne ne nous en a empêché, beaucoup de gens dans la foule ont couru nous aider, un peu comme s’ils revenaient à eux. »

Nous avons tous entendu ces commentaires : « Ils devraient se trouver un travail au lieu de tenter de piquer une paire de baskets de chez Footlocker, ou d’arracher cet écran plasma cloué au mur du magasin. » Dans le petit monde des usagers de Twitter, on en rajoute une couche : « Je pourrai comprendre qu’ils volent un sac de riz, mais ils volent des ordinateurs portables. » Les émeutes ne marchent pas comme ça. Si vous créez une société qui est largement basée sur la consommation, vous ne devriez pas être surpris que des gamins de 14 ans saisissent leur chance d’avoir une nouvelle paire de baskets. Ce qu’il faut voir, ce n’est pas la nature de l’émeute, mais pourquoi elle a lieu.

En 2009 est sorti le livre intitulé : ‘The Spirit Level : Why More Equal Societies Almost Always Do Better’ [‘Le Niveau de l’Esprit : pourquoi les sociétés où il y a plus d’égalité réussissent presque toujours mieux’]. Ses auteurs, Richard G. Wilkinson et Kate Pickett ont arguments et statistique à l’appui démontré que dans les sociétés fortement inégalitaires, se produisent érosion de la confiance, anxiété et maladies croissantes, consommation excessive accompagnée de récompense. Les onze quartiers qui sont passés en revue montrent tous des résultats plus mauvais dans les sociétés les plus inégalitaires que ce soit en matière de santé physique, de santé mentale, d’abus de drogues, d’éducation, d’incarcération, d’obésité, de mobilité sociale, de relations de confiance et de vie communautaire [ = d’immeuble, de village, de quartier], de violence, de grossesses précoces et de bien-être infantile. Et en effet, le sous-titre « pourquoi les sociétés où il y a plus d’égalité réussissent presque toujours mieux » résume bien l’argumentation.


La politique de la peur

Les comptes-rendus dont nous avons eu connaissance sur l’implication anarchiste dans le mouvement émeutier montrent des efforts menés pour faire cesser la destruction de boutiques locales, effort qui semble assez localisé. D’autres comptes-rendus que nous avons reçus montrent un tableau assez différent de celui qui a été brossé par les médias dominants : des foules ensauvagées attaquant à vue n’importe qui et quoi. Au contraire, il nous a été rapporté que les passants et les badauds étaient en général ignorés. Il y a clairement des exceptions (il y a sur youtube des scènes d’agression filmées), mais étant donné que des dizaine de milliers de personnes ont été impliquées dans les émeutes et les pillages, il semble que ces incidents soient l’exception et non la règle, mais ces exceptions sont utilisées pour propager la peur et la panique.

Nous n’avons aucune objection quant au fait de piller des succursales de chaînes comme Curry ou Footlocker pendant des émeutes, mais nous ne sommes pas disposés à applaudir à cela comme si c’était grandiose. Ce qui est plus dangereux, ce sont les incendies. Ils peuvent déboucher sur des drames s’il y a des gens dans les immeubles en feu, ou lorsque le feu prend dans les immeubles à-côté. L’année dernière en Grèce, trois employés de banque sont morts dans ce genre d’incendie, et à part la tragédie que leur mort représente, cela a eu un effet massivement démobilisateur sur le mouvement.

Alex, que nous avons interviewé, est allé voir les émeutes vêtu de son costume de travail. La plupart des médias sensationnalistes nous feraient croire qu’il serait immanquablement pris à partie et agressé, mais, tout en faisant remarquer qu’il n’en va pas de même partout, Alex nous dit : « Les kids volaient dans les magasins parce que c’est là qu’on trouve ce qu’on cherche. Ils attaquaient les flics parce qu’ils allaient les arrêter. C’était simultané, il n’y avait pas deux groupes de gens, les uns là pour casser du flic, les autres là pour la fauche, c’était un seul groupe de gens en général jeunes. Ils ne s’attaquaient pas les uns les autres, ni ne se violaient, ni ne s’agressaient. J’ai pu déambuler librement parmi eux dans mon costume réglementaire de travail, belle chemise, beau pantalon ; beaucoup de gens qui visiblement ne participaient pas à l’émeute marchaient dans la foule en plein jour, certains ont dit que plus tard l’ambiance avait changé, mais moi j’y suis resté avec un ami, qui lui non plus n’était pas habillé en tenue ad hoc, jusqu’après minuit. »

Voilà un tableau bien différent ce celui qui a été brossé par les médias ou par la vague de spéculations frénétiques qui se donnaient libre cours sur Twitter pendant les émeutes. Dans les deux cas, on parlait de foules ensauvagées vadrouillant dans les rues et attaquant à vue n’importe qui et quoi. Ces spéculations sur fond de peur étaient agrémentées de termes comme « engeance », « vermine », « rats », destinés à déshumaniser les émeutiers et les jeter en pâture à la répression.


Conséquences de l’‘engeance’

Cette histoire de foule ensauvagée [‘feral mob’] est une botte médiatique standard employée dès qu’il y a une rupture un peu massive avec l’ordre établi. A ceux qui choisissent d’accepter et de répéter ce genre d’histoires portent une lourde responsabilité, parce que la peur qu’elles suscitent crée une atmosphère favorable à la répression la plus extrême de la part de la police.

Au lendemain du passage de l’ouragan Katrina, des histoires horrifiques ont été colportées et largement acceptées, parlant de violences collectives à la Nouvelle Orléans, qui provoquèrent un climat tel qu’il permit à la police de tirer sur des Noirs qui tentaient de fuir la ville, l’exemple le plus connu étant celui du pont de Danziger où cinq membres d’une même famille qui essayaient de passer le pont reçurent des coups de feu, faisant un mort et blessant un homme de 40 ans, handicapé mental. Après coup, il s’est avéré que la plupart de ces récits étaient mensongers, mais les trois morts n’ont pas été considérées comme des meurtres et, le 11 septembre 2005, le chef de la police de la Nouvelle Orléans a reconnu qu’il n’y avait « aucun rapport de police confirmant des crimes sexuels. »

Les médias, les faux savants et autres vrais charlatans ont tout fait pour avancer l’idée que les gens qui ont participé aux émeutes ne sont que des bandits et des criminels, dans l’intention de les déshumaniser. C’est un phénomène dangereux : une fois transformés en sous-hommes dans la conscience publique, la possibilité de nouveaux niveaux de répression est grande ouverte.

Les conséquences sont visibles dans les résultats d’un sondage YouGov mené pour le compte du Sun. 33% des sondés sont d’avis que « la police devrait être autorisée à utiliser des armes à feu et des balles réelles », et le soutien pour des options ‘moins léthales’ était encore plus élevé : « sur 10 personnes ayant accepté de répondre au sondage, 9 pensaient que la police devrait être autorisée à utiliser des canons à eau dans la répression des émeutes. L’emploi d’autres tactiques est aussi très populaire : la police montée (84%), le couvre-feu (82%), les gaz lacrymogènes (78%), le taser (72%) et les balles en plastic (65%), tous ces moyens jouissent du soutien de la grande majorité. »

L’idiotie de tout cela apparaît dans toute sa splendeur quand on se souvient que le déclencheur de ces émeutes a été le meurtre par la police de Mark Duggan. Apparemment, la solution de la violence policière meurtrière, c’est davantage de violence policière meurtrière. « Solution » qui bien sûr, engendrera de nouvelles vagues d’émeutes, comme cela s’est produit sous Thatcher dans les années 1980.

Cette déshumanisation a eu d’autres conséquences. Avec 1.500 arrestations, il est évident qu’un grand nombre de gens va être emprisonné par un Etat anxieux de rétablir son autorité. Les premiers procès ont été clairs en ce sens : les juges prennent très au sérieux leur rôle de défenseurs du capitalisme et de l’Etat. Des condamnations d’une lourdeur démentielle sont tombées, comme celle de cette femme de 22 ans qui a pris 6 mois de prison pour le vol de 10 paquets de chewing gums.

En outre, la police va recevoir des pouvoirs supplémentaires et on peut augurer qu’elle ira plus loin dans le contrôle de l’espace public. On parle déjà d’expulser de leur logis les condamnés qui sont locataires d’appartements possédés par les municipalités, et de couper toute aide sociale qu’ils demanderaient. Les premiers avis d’expulsion ont été enregistrés à Clapham, contre un locataire dont le fils a été condamné pour participation à émeute. Même d’un point de vue de droite, c’est de la folie pure, comment peut-on attendre d’un ex-prisonnier SDF sans revenu qu’il gagne sa vie ? A quel point d’aliénation une personne dans cette situation pourrait-elle se sentir au milieu du reste de la société ?

Et qu’arrivera-t-il lorsque dans quelques mois, des centaines d’entre eux seront relâchés mais se retrouveront sans logis, sans ressources, et dans l’impossibilité de trouver du travail ? L’Etat s’imagine pouvoir faire abstraction de ces problèmes puisqu’une partie si importante de la population a rejoint le chœur de la déshumanisation des émeutiers. La conséquence sera immanquablement une exclusion et un ressentiment encore plus profonds, et, avec de telles réponses, la réponse sera un mouvement de destruction encore plus indiscriminé.


Les émeutes sont souvent contradictoires

Tout le monde a son opinion sur les émeutes, et il est frappant de voir à quel point ceux qui ont pris partie pour les émeutes et même l’insurrection, dans un passé lointain et pas si lointain, ne cherchent qu’à déshumaniser ceux qui font des émeutes dans la Grande-Bretagne d’aujourd’hui. Comme nous l’avons vu, des problèmes extrêmement sérieux se sont posés quant à la conduite de certains émeutiers. Mais ces problèmes, qui sont sans doute pires cette fois que dans les émeutes passées, ne sont rien de nouveau. Par nature, les émeutes spontanées de masses englobent toujours des éléments variés. Il y avait parmi les émeutiers londoniens des gangsters et des opportunistes anti-sociaux profitant de l’émeute comme couverture pour attaquer les plus faibles. C’est un aspect fréquent dans les émeutes, et c’est la faiblesse de la présence politique formelle ou informelle qui a permis à ces éléments de s’en tirer à bon compte.

La réalité, c’est que les émeutes sont souvent des expressions indiscriminées de colère. Les gens sont assez conscients pour savoir qu’ils n’ont pas leur part dans la société telle qu’elle est. Ils ont expérimenté la pauvreté inter-générationnelle et le manque d’opportunités. Ce qu’ont vécu leurs ascendants, ils le vivent eux aussi. La mobilité sociale est un mythe que plus personne ne prend au sérieux, c’est l’équivalent capitaliste de la jarre d’or qui se tient au pied des arcs-en-ciel. Les dés du jeu sont pipés et ils finissent toujours perdants. Le système politique n’accueille pas et n’écoute pas les gens qui font des émeutes. D’ailleurs personne ne les écoute, personne ne parle en leur nom, et personne ne cherche à investir dans leur avenir. Quand on ne voit pas d’avenir pour soi-même, quand on n’a vu aucun avenir se matérialiser pour nos parents et grands-parents, incendier un immeuble ou piller une boutique est un cri pour se faire entendre, un cri de survie.

En mars 1968, Martin Luther King a prononcé un discours dans un lycée devant un public hostile, où il parlait des émeutes violentes qui avaient ébranlé les villes US pendant l’été passé, émeutes qui devaient culminer en une orgie de destruction suite à son assassinat quelques temps plus tard. Il était pacifiste mais expliquait néanmoins que : « Je ne saurais me contenter de m’adresser à vous ce soir et de condamner les émeutes. Il serait irresponsable de ma part d’agir ainsi sans en même temps condamner les conditions intolérables qui régissent notre société. Ce sont ces conditions qui font que des individus pensent qu’ils n’ont pas d’autre choix que de mener des rébellions violentes pour attirer l’attention. Et je dois dire ce soir que l’émeute est la voix des sans-voix.

Le groupe Hackney Unites a sorti « Un Message à la Jeunesse d’Hackney », le 9 août, qui disait ce qui suit : « Le fait de participer à une émeute peut sembler être un acte de rébellion et une réponse à une série complexe de problèmes : mettre pour une fois la police sur la défensive et adopter les stéréotypes de témérité, de criminalité et de brutalité qu’on vous colle si souvent sur le dos. Cependant, une émeute détruit le peu d’équipements de quartier que nous avons et met grandement en danger les émeutiers et les spectateurs. » Le message continue ainsi : « En Amérique, suite à l’assassinat de Martin Luther King, les ghettos noirs sont entrés en éruption. Cependant, à ce moment, le Black Panther Party qui s’organisait et qui était la plus militante des organisations radicales noires, demandait à la communauté de ne pas faire d’émeutes, mais de s’organiser pour la justice. Nous vous demandons de faire pareil. »

Les émeutes de 1967 dont parle King étaient considérablement plus violentes et contradictoires que tout ce qui a pu se passer à Londres. Mais le point de vue de King n’était pas d’appeler les gens à rentrer chez eux et à accepter leur sort, mais de se demander s’il n’y avait pas un meilleur moyen d’organiser leur mécontentement : « J’ai longtemps cherché une alternative aux émeutes d’un côté, et aux supplications timides d’un autre côté, et je crois que cette alternative, c’est la militance non-violente de masses. »

Contrairement à King, nous ne pensons pas que ceux qui se battent doivent limiter leur résistance à la non-violence, une émeute est l’un des nombreux instruments qui peuvent être utilisés lorsque les circonstances s’y prêtent et qui de toutes façons auront lieu spontanément quand les circonstances l’imposeront, comme cette fois-ci. Mais les paroles de King sont d’une grande utilité pour la gauche et pour les « libéraux » [« liberals » : en français, on dira les « humanistes » ou les « démocrates », NdT] qui n’ont réagi aux émeutes que sous la forme du blâme des participants, tout en l’accompagnant trop souvent d’un appel à la répression et à la restauration de la normalité. Si vous ne voulez pas voir les résultats chaotiques et dévastateurs d’une émeute, la tâche n’est pas de sermonner ceux qui au moins ont le courage de résister, mais de s’organiser pour proposer une autre façon de résister, plus efficace.

Si l’Etat est prêt à emprisonner des centaines de personnes, comme il semble vouloir le faire, il y aura probablement des émeutes en prison, comme cela a eu lieu suite aux emprisonnements de masses après la Grande Émeute contre la Poll Tax en 1990, pendant laquelle on entendit de la bouche des médias les mêmes mots, « voyous », « bandits », « engeance », mais qui sont encore plus populaire qu’à cette époque qui était celle du thatchérisme finissant. D’ailleurs, on peut voir aujourd’hui au Musée de Londres une peinture représentant l’émeute à Trafalgar square.


Qu’est-ce qui va changer ?

La blogueuse Penny Red a cité un jeune homme de Tottenham interviewé par un journaliste de la chaîne NBC, qui lui demandait si les émeutes n’allaient pas finalement rien changer : « Si, si », dit-il. « Vous ne seriez pas là à me parler si nous n’avions pas fait d’émeutes, n’est-ce pas ? Il y a deux mois, nous avons manifesté devant Scotland Yard, à plus de 2.000, que des Noirs, c’était pacifique et calme et vous savez quoi ? Eh bien, pas un mot dans la presse. Par contre, la nuit dernière, un peu d’émeutes et de pillage, et regardez autour de vous. »

Les émeutes ont incontestablement attiré l’attention des médias et provoqué dans la presse plus de discussions sur le racisme, la pauvreté et l’exclusion, que dans les années passées. Cela vaut mieux que l’ignorance délibérée, mais la couverture de presse n’aboutit par elle-même à rien, d’autant plus que ces couvertures positives sont contrecarrées par une campagne très réussie de déshumanisation et de criminalisation, et par les cinq morts, les 1.500 arrestations et le nombre inconnu de blessés. Comme on l’a vu lors des émeutes précédentes, une fois l’onde de panique passée, l’opinion publique se départira probablement de son attitude extrême à la « pendez-les haut et court » en vigueur en ce moment, mais dans tous les cas il est clair que les émeutes seront l’occasion d’instaurer des lois plus répressives et de marginaliser et de criminaliser encore plus les sections les plus pauvres de la classe ouvrière.

A court terme hélas, nous assisterons sûrement à une exhibition massive de répression policière, destinée faire en sorte que la renommée de Londres ne soit pas flétrie par les événements, condition nécessaire à la croissance de l’entreprise olympique. Par contre, ce que nous ne verrons pas émerger, c’est une société ou un système politique où les gens ont leur mot à dire et un pouvoir sur leur avenir. Ce type de système n’apparaît pas sur les cartes du capitalisme. C’est quelque chose qui ne peut pas être toléré et ce genre de pensée est vu comme séditieux par les pouvoirs en place.

Les causes profondes de l’émeute ne sont pas quelque chose de soluble dans le cadre des solutions humanistes [’liberal’] consistant à ouvrir des clubs de jeunesse et multiplier les séances de pourparlers communautaires. Cela ne peut avoir lieu que dans le traitement des inégalités de richesses. Les politiciens qui ont laissé cette année les banquiers empocher des bonus de 14 milliards de £ ne sont pas susceptibles de le faire. Les entrepreneurs qui investissent dans les Jeux olympiques non plus. Le projet des Olympiades qui a déjà porté sa marque sur le territoire ne va pas être mis en question par les événements. Nous verrons davantage de répression et de barrières policières. Des gens seront sévèrement châtiés pour avoir « mis le feu à leurs communautés », afin que la prochaine fois ils ne viennent pas tenter de le mettre à Chelsea ou au West End.

Les maîtres politiques jouent un jeu dangereux. Ils veulent faire passer ces émeutes pour du brigandage aveugle. Mais les gens ont vu les rues de nombreuses villes devenir les plate-formes du changement dans les six derniers mois, de Tunis au Caire, de Damas à Madrid. Nos maîtres ne désirent pas voir les émeutes se muer ainsi en démonstrations massives de refus et de révolte civile contre le système existant, un système hanté par l’injustice et l’inégalité, et par le BESOIN désespéré d’autre chose. En ce sens, c’est notre devoir de citoyen du monde de faire que ces démonstrations de colère se transforment en un combat politique pour le changement.

Le système capitaliste n’offre aucune solution en ce qui concerne les causes fondamentales des émeutes. Il ne peut répondre qu’avec plus de violence et de répression policière contre ces communautés, garnie éventuellement de promesses pour la galerie ou ce qui est moins sûr, d’améliorations pour ce qui touche à certains des pires effets de la pauvreté, afin de faire disparaître provisoirement le problème loin des yeux du public. La pauvreté, l’aliénation, la privation des droits et la violence sont inévitables dans un système qui se fonde sur la division entre dominants et dominés, riches et pauvres, patrons et ouvriers, et ces choses-là montent en crue jusqu’à leurs pires excès pendant les crises capitalistes périodiques.

La seule solution est de créer une société où chacun a une part et un pouvoir véritable, et dans laquelle chacun a un contrôle effectif sur sa propre vie, sur son lieu de travail et de vie. Ce genre de système n’apparaît pas sur les cartes du capitalisme, réprimé à la fois par les projets socio-démocrates et néo-libéraux qui ont échoué à traiter les besoins et les préoccupations des gens ordinaires. Ce système ne peut voir le jour qu’en canalisant contre le capitalisme le genre de colère qu’on voit à l’œuvre dans les rues de Grande-Bretagne, au moyen d’une organisation de masses de la classe ouvrière.

Les émeutes ont tracé dans le sable une ligne de démarcation, en fonction de laquelle chacun est appelé à se prendre position. Est-ce que ce que vous voulez, c’est la sécurité de l’Etat Big Brother tout puissant, ayant les moyens de protéger le sommeil des riches alors que les pauvres sont littéralement jetés à la rue ou en prison s’ils résistent ? Un Etat qui fera en sorte que ceux qui n’ont pas les moyens de se payer les babioles du jour soient tenus en lisière, réduits à les convoiter derrière des vitres ou à se faire les esclaves de ceux qui peuvent se les payer ? Peut-être qu’avec une quantité suffisante de canons à eau, de matraquages et de vidéo-surveillance le statu quo pourra rester en place. C’est que ce monde ne montre pas encore à l’horizon les limites de tes désirs. Mais leur utopie ne commence-t-elle pas à ressembler à ces cellules de prison qui accueillent tant de gens lorsqu’on veut la préserver ?

Ce monde est polarisé et il faut choisir son camp. Nous n’avons pas hésité à critiquer les faiblesses, la stupidité aveugle et parfois la cruauté de ces émeutes. Mais est-ce que le retour à leur stau quo nous offre quoi que ce soit de bon, à part la vaine illusion de sécurité ? Pour en revenir à Martin Luther King, si l’émeute n’est pas la solution, alors quelle est-elle ? Avec confiance, nous disons que la solution n’est pas de refaire plus de la même chose. Si nous voulons la liberté, nous devons nous organiser pour combattre pour la liberté et convaincre d’autres de mener ce combat avec nous. Ensemble, nous avons le pouvoir. La question demeure : est-ce que nous allons nous organiser pour l’utiliser ?
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Re: émeutes en Angleterre

Messagede Nico37 » 19 Aoû 2011, 22:57

Les émeutes ne sont pas qu’une "violence insensée"
Tract distribué par la Solfed à Londres en Août 2011 / Traduit par le SIA32 / CNT-AIT

La fureur de nos cités est ce qu’elle est, laide et incontrôlée. Mais nous savions tous que ces émeutes allaient survenir. La grande-Bretagne a dissimulé ses problèmes sociaux pendant des décennies, les encerclant d’un brutal cordon de policiers. Les aides sociales sont supprimées, les centres d’assistance sociale fermés, et les loyers augmentent ainsi que le chômage. Les gens qui eurent toujours très peu n’ont plus rien à présent, plus rien à perdre.

Et même quand les grands de ce monde et les bons sont avertis, avec l’intox flagrante que constitue le cas Mark Duggan [1], les médias et les politiciens seraient restés aussi silencieux que s’il n’y avait eu qu’une manifestation silencieuse devant un poste de police. Il semble que c’est uniquement quand les gens se rebellent dans les rues que les médias se sentent obligés de leur donner une couverture médiatique à tout prix - et ils parlent alors seulement des éléments anti-sociaux, des gens qui blesseront n’importe qui, et jamais des gens qui se saisissent un peu de la richesse qu’ils peuvent parce qu’il n’y a aucune chance de le faire autrement.

On ne nous explique pas pourquoi les incendiaires, les agresseurs et les gangs sont ce qu’ils sont ou pourquoi les cités sont ce qu’elles sont, ni ce qui pourrait être fait pour eux pas seulement aujourd’hui, mais aussi demain et dans les années à venir. Ces problèmes existent depuis aussi longtemps qu’on s’en souvienne. Ils ont conduit aux émeutes des années quatre-vingt et quatre vingt-dix - et les choses empirent.
Le point de vue anarchiste

Il ne devrait donc pas y avoir de surprise à ce que des gens vivant une existence de pauvreté et de violence soient enfin partis en guerre, à ce que des gens pillent les écrans de télé à plasma qui paieront deux mois de loyer. Pour beaucoup, c’est la seule occasion de bénéficier d’une miette de redistribution économique quand les emplois disparaissent et que les riches accaparent tout.

Toute notre société est basée sur l’adoration de la richesse et l’exploitation des pauvres ; si les gens choisissent de riposter et de prendre des biens chez Argos ou Lidl, nous ne condamnerons pas cela. Mais brûler des boutiques avec des logements à l’étage, commettre des agressions... constituent une attaque contre les nôtres et l’on doit s’y opposer car le résultat final est le même que lorsque nous laissons n’importe qui nous exploiter et nous diviser - nous sommes tous perdants. Nous disons : ciblez les riches, les patrons et les politiciens. Ils ne se sont pas souciés de Hackney ni de Lewisham hier, ils ne s’en soucieront pas demain. Les politiciens parlent déjà de la crise économique - ils veulent juste une fois de plus tirer le rideau sur les problèmes et qualifier ceci de "faits criminels insensés". Les riches réclament davantage de fusils dans les cités - ils déclencheraient avec joie une guerre civile avec nous au milieu. Ne les laissez pas s’en tirer avec cela !

Nous devons nous unir et commencer à nous organiser pour faire reculer ces gens, pour construire un monde où nous autogérerons notre société sans patron, ni propriétaires, ni charge policière à la matraque. Le coup d’envoi n’est qu’un début. Nous devons aller plus loin. Nous devons nous organiser et récupérer le monde qui nous a été volé.


[1] Ndt : Mark Duggan était un jeune homme de 29 ans, père de famille. Il a été tué par la Police à Tottenham le 4 août 2011, ce qui a déclenché les émeutes. Dans leur grand respect dû aux défunts, les médias réactionnaires ont rappelé son casier judiciaire, montrant leur nostalgie de la peine capitale, et leur peu d’estime du Droit qui ne la prévoit pas, quand ils se montrent tâtillons pour punir le pillard voleur d’électroménager au nom du Droit de la Propriété
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Re: émeutes en Angleterre

Messagede Nico37 » 20 Aoû 2011, 07:37

Une pub dont la diffusion a été retardée (le visionnage vous rappellera une info postée plus haut) en Angleterre et son détournement :

L'original :
Le détournement :
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Re: émeutes en Angleterre

Messagede Nico37 » 21 Aoû 2011, 08:02

NE MORALISEZ PAS, NE JUGEZ PAS, NE PRENEZ PAS DE PHOTOS (sur les émeutes prolétariennes en Angleterre)

« Il existe une classe sous-prolétarienne en Angleterre qu’il y a nulle part ailleurs. Blancs, peu éduqués, dépourvus de tout moyen d’évolution sociale, ils sont l’exemple parfait des résultats du capitalisme anglo-saxon et de son programme déshumanisant. La perversion anglaise, c’est de rendre cette population fière de leur misère et de leur ignorance. La situation est sans espoir. J’ai plus d’espoir pour la jeunesse de nos banlieues. »

Jean-Baptiste Clemence ; « La chute » d’Albert Camus, 1956

Ce matin, quelqu’un s’est tourné vers moi et m’a dit qu’il pensait qu’il y avait quelque chose d’étrange par rapport à ce pays, dans le sens qu’il y a toujours eu cette classe sous-prolétarienne que la plupart d’autres pays européens ont évité. J’ai répliqué en mentionnant les troubles dans les banlieues de Paris, il y a quelques années, mais dans ce qu’il a dit, il avait toutefois raison. Ces pays affichent une image écœurante de sophistication, de haute cuisine, de haute culture, de valeurs civilisées, de thé et d’intellectualisme, mais ici comme là, leurs dessous obscènes font irruption pour se révéler à tout le monde.

C’est quelque chose que l’on pourrait appeler une culture Fritzl, en référence à cet homme autrichien qui a réussi à maintenir une façade plaisante dans son domicile suburbain, qui a causé avec ses voisins, qui est allé au travail, qui a élevé des enfants tout en gardant ce secret horrifiant dans sa cave, la famille incestueuse cachée qu’il élevait. C’est cela, notre société néolibérale et cela se reflète dans les reporters de la BBC montrant les cafés branchés avec leurs vitres cassées à Enfield et continuant à nous bourrer le crâne avec leur bavardage terne et ignorant.

Qu’est-ce qui a été révélé ces derniers jours ? Bon, on peut voir que ce n’est évidemment pas la même chose que les émeutes à Brixton ou à Broadwater Farm dans les années 1980, ou même à Notting Hill en 1958. Il semble que les premiers événements à Tottenham aient probablement été déclenchés par les tirs policiers mortels sur Mark Duggan, mais cela a clairement fait appel à une rage qui dépasse des questions de police et d’ethnies. En quelques heures, des émeutiers, surtout des jeunes dont beaucoup noirs, mais comportant toutes les ethnies, ont bouté le feu à une partie de la High Street et ont cassé et pillé les magasins le long de la rue. Les « leaders des communautés » ont été présentés à la télé comme c’était prévisible ; David Lammy qui a émis une condamnation condescendante accompagnée des chants des chahuteurs en arrière-plan, et le révérend Nims Obunge qui a affirmé sa préoccupation, tout autant condescendante, quant à l’inégalité, y ajoutant des lamentations sur la violence et précisant à quel point celle-ci n’était pas nécessaire.

En réalité, ils ont clairement perdu le contrôle de la situation à ce moment-là. Ce n’était pas une émeute ethnique, ou même tant politique. Ce qui est nouveau par rapport à ces émeutes, c’est qu’elles ont l’air perversement non-politiques, et quasiment purement économiques. Jusque là, ça n’a pas été une émeute contre la police en tant que telle, mais contre des vitres de magasins brillantes. La destruction a surtout visé des commerces, le pillage de magasins de téléphone, l’invasion de McDonalds pour faire des burgers, la prise de magasins pour distribuer des boissons. La télé a montré l’image des pillards de Debenhams, ayant eu libre accès au lieu pendant une heure et demie et en ayant sorti tout ce qu’ils ont pu. Il y a aussi un sentiment transgressif et carnavalesque – pourquoi cibler un magasin plein de costumes chics ? Les énormes feux ayant allumé l’horizon y contribuent plutôt qu’ils ne réduisent cet effet.

On est donc effectivement face à ce que Theresa May appelle de la « casse gratuite » mais cette phrase a bien sûr déjà perdu sa valeur puisqu’elle a été employée par rapport à UK Uncut et les manifestants étudiants. Mais cette fois-ci, la gauche aussi penche déjà dans ce sens. Maintenant, ce n’est pas du soutien inconditionnel – l’IWW s’est manifesté et a déclaré sur Facebook qu’ils ne soutenaient pas les attaques contre les « domiciles ouvriers » dans des quartiers pauvres – je ne dirais pas du tout que c’est une mauvaise évaluation, c’est politiquement juste, mais il faut aussi voir comment cela correspond avec la présentation médiatique et gouvernementale de l’émeute comme destruction terroriste par plaisir de détruire. Le commentaire de The Commune sur Twitter illustre mieux cette tension, il demande de « trouver le juste milieu entre le caractère justifié et légitime des émeutes » et la légitimité des gens ayant peur des « trucs stupides ».

Cette question est largement sans rapport avec le sujet, comme s’il importait comment « nous », le petit milieu de la gauche radicale, « on » choisit de l’évaluer ou qu’est-ce qu’« on » en pense – nous n’avons aucune importance, notre jugement est sans importance et toute tentative d’introduire un jugement moral entre différentes formes de violence est une trahison du principe révolutionnaire. Ce n’est pas une manière révolutionnaire de penser puisqu’elle ne conçoit pas la société et la violence à l’intérieur de celle-ci comme une totalité. Ce qui se passe se passe, c’est le résultat de forces auxquelles on doit répondre et qu’on doit comprendre. Et je pense que là, l’analogie avec Fritzl s’impose car on se trouve face à une nouvelle dialectique entre le régime consumériste néolibéral et le pillard, ce que quelqu’un a appelé le « consommateur raté », ceux qui ne voient plus le besoin de formuler leurs revendication en de termes politiques, mais de simplement prendre ce qu’ils veulent.

Et c’est sérieux, ce n’est pas pour les dénigrer, c’est peut-être le seul moyen pour que cela arrive, pour que tous ces jeunes laissés aux marges de cette société puissent s’y engager et lui résister. C’est leur expression ; l’État fera tout pour la contenir. Mais on sait qu’elle ne disparaîtra pas tant que cette société intensifie les mesures d’austérité. L’État s’est évidé par les exigences du capitalisme financier et toutes les discussions sur le retour à la social-démocratie ne sont que un faux raisonnement et un rêve.

Il faut qu’on reste loyal envers cette crise. Il faut que nous soutenions l’irruption de ceux que l’on n’entend pas et dont on ne parle pas dans notre société obscène. Il est assez cohérent que les bourses chutent un peu partout et qu’en même temps, cette histoire est éclipsée par la violence d’en-bas. Ce sont les meilleures conditions auxquelles on pouvait espérer, de nos jours. Il faut cependant que l’on réalise que le problème n’est pas l’excès de telle ou telle action, mais le fait que les émeutiers ne sont simplement pas assez radicaux. Il faut que l’on les radicalise davantage, que l’on les politise et que l’on fasse en sorte qu’ils se prennent aux véritables cibles de notre aliénation et notre pauvreté – non pas les domiciles ouvriers, mais le régime capitaliste fléchissant. Il faut que l’on soutienne la rage tout en la rendant politique et ainsi faire en sorte qu’elle devienne quelque chose de réellement puissant et dangereux – un moment révolutionnaire plutôt qu’une émeute.

The Commune, 9 août 2011 – Traduit de l’anglais par Le Réveil.
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Re: émeutes en Angleterre

Messagede Nico37 » 22 Aoû 2011, 18:28

About the social and economical background of the riots in Britain
À propos du contexte économique et social des émeutes en Grande-Bretagne Traduction du SIA32 / CNT-AIT

Comme vous avez pu le voir grâce à la couverture médiatique, il y a eu des émeutes en Grande-Bretagne. Le fait que des émeutes se produisent n’est pas surprenant dans la mesure où une large part de la classe prolétaire britannique vit dans la misère et les privations. De nombreuses communautés de la classe ouvrière britannique ne se sont jamais remises de la fermeture des industries telles que les mines de charbon ou les aciéries...

Ceci remonte aux années soixante-dix et quatre-vingt quand les structures industrielles britanniques furent décimées. Au début des années quatre-vingt, le phénomène émeutier s’installa en Grande-Bretagne avec le chômage de masse. Les émeutes étaient largement concentrées dans les quartiers défavorisés et les cités HLM - ces endroits sont de vastes zones de lotissement construites par les autorités locales et font partie des communautés les plus pauvres en Grande-Bretagne. Les cités HLM ont tendance à être habitées majoritairement par la classe des travailleurs blancs alors que les zones de quartiers défavorisés voient un taux élevé de population émigrée. Dans les années quatre-vingt, les médias ont essayé tout d’abord de caricaturer les émeutes en émeutes raciales, mais le fait que tant d’émeutiers proviennent des cités HLM de la classe prolétaire blanche a obligé les médias à abandonner leur tentative de rejeter la faute des émeutes sur les immigrés.

Bien que la Grande-Bretagne se soit dans une certaine mesure remise de la perte des industries, l’effondrement de la classe ouvrière organisée a signifié que la richesse en Grande-Bretagne s’est concentrée de manière croissante en haut de la société. La société britannique est maintenant aussi inégalitaire qu’au dix-huitième siècle. La situation dans les lotissements et les cités a empiré de bien des manières depuis les années quatre-vingt - la richesse est aux mains des dix pour cent de la population la plus riche et la pauvreté s’est accrue pour les vingt pour cent les moins riches. Le chômage est en général élevé, et le chômage des jeunes est massif dans les lotissements et les cités. La criminalité y est élevée et l’usage de la drogue et la criminalité afférente sont également répandus. Les taux de mortalité y sont plus élevés que dans des zones plus riches du pays. Les carences sociales sont importantes et la vie est en général assez triste pour une majorité luttant constamment pour juste survivre. Il n’est donc pas surprenant que les émeutes se soient concentrées dans les lotissements et les cités, comme dans les années quatre-vingt.

Le secteur des services publics combla dans une certaine mesure le vide laissé par la perte des emplois industriels mais ces emplois sont souvent à temps partiel et mal payés. Les salaires dans le secteur public sont si faibles qu’ils doivent souvent être complétés par des allocations. Même ceux qui travaillent sont donc allocataires sociaux. Dans le cadre des coupes sombres à l’œuvre en ce moment en Grande-Bretagne, ce sont les travailleurs du secteur public qui sont durement touchés avec la perte de centaines de milliers d’emplois dans le secteur public. Ce sont donc les zones les plus pauvres qui souffrent le plus de ces suppressions d’emplois, puisqu’elles dépendaient des emplois publics depuis la perte des emplois industriels.

Dans les quartiers défavorisés et les cités HLM, la vie est particulièrement difficile pour les jeunes. Comme dans toute récession, la première chose que font les employeurs est d’arrêter d’embaucher des travailleurs, ce qui signifie qu’il n’y a tout simplement plus aucun emploi pour les jeunes sortant de l’école. Il n’y a officiellement qu’un million de jeunes au chômage en Grande-Bretagne mais la réalité est bien pire. Les médias et le Gouvernement ont de plus attaqué les sans-emplois ces dernières années, les qualifiant de parasites refusant de travailler et heureux de vivre d’assistance. Ils n’ont pas fait que réduire les allocations, ils ont de plus rendu la vie plus difficile pour ceux qui en réclamaient, en harassant les gens, surveillés et forcés de prouver qu’ils cherchent du travail.

Inutile de dire que la colère s’est accumulée chez les gens dans les quartiers défavorisés et les cités HLM, en particulier parmi les jeunes qui sont constamment harcelés par l’État et la Police. Les jeunes gens de classe prolétaire se voient aussi caricaturés par les médias et les politiciens comme étant stupides et violents. Un nouveau terme dépréciatif ("charv"), utilisé pour décrire les jeunes de classe modeste, est maintenant d’un usage courant en Grande-Bretagne. La profondeur de la haine parmi les jeunes peut être évaluée par la vitesse à laquelle les émeutes se répandent.Il y a eu explosion de haine de la part des licenciés et des abandonnés. Le problème à l’œuvre, c’est que la colère des jeunes n’a pas de direction. Bien que l’essentiel des émeutes aient été concentrés vers les grands magasins, des boutiques et des domiciles ont été attaquées aussi dans les zones populaires, créant la peur dans des communautés de travailleurs. La colère n’est pas organisée bien que cela puisse heureusement changer si les choses se développent.

Les syndicats réformistes n’ont jamais réussi à s’organiser dans les classes laborieuses et parmi les chômeurs, et le syndicalisme ne signifie rien pour la plupart des jeunes travailleurs au chômage. Comme une partie de la Solidarity Federation commence à devenir un syndicat "fonctionnel", nous avons été dans un processus de développement d’une stratégie communautaire destinée à s’assurer du fait qu’ en tant que syndicat anarchosyndicaliste, nous nous organisons sur le lieu de travail et dans la communauté.

Durant la semaine dernière, la Solidarity Federation a émis des communiqués destinés à refléter la véritable nature des émeutes. Certains de nos commentaires ont été repris par les médias nationaux, avec pour résultat un site web surchargé comme les gens cherchaient plus d’informations. Nous distribuerons aussi des tracts dans les zones ouvrières.La dernière version du texte est en pièce-jointe. Cependant, le but de la Solidarity Federation est de construire une présence permanente dans les zones ouvrières. Notre but est de devenir une partie de la lutte quotidienne des travailleurs contre le capitalisme.

Secrétaire International de SF-AIT
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Re: émeutes en Angleterre

Messagede Nico37 » 24 Aoû 2011, 12:15

Deptford residents demonstrate against the social causes of the riots Fri, 12/08/2011 - 12:26

A Deptford assembly organiser and SLSF member hurriedly writes:

On Wednesday 10th August, around 200 Deptford and Lewisham residents were joined by a smattering of political activists for a demonstration in the name of DEPTFORD UNITY, against the social inequalities behind this week riots and disturbances across the country. The demonstration had been agreed by an impromptu neighbourhood assembly on Deptford High Street the night before, which had progressed from discussing fire safety to political and social problems within a matter of hours.

With a lot of tension and fear in the air, and with the EDL mobilising nearby in Eltham, it was an uphill battle for the assembly to convince their neighbours to join the demonstration. In the end, the weariness of Londoners was illustrated both by the legions of folk who sheepishly made their apologies, and by the march’s overtly ‘peaceful’ nature, confusedly talking about “discipline” while going through areas where there was abundant evidence of violent clashes between locals and cops.

The police presence on the demonstration was typically exaggerated, with police horses at the front and back and a large number of –all-white – cops pushing and barracking demonstrators. They also told Muslim youth who had gathered outside a mosque that it was a far-right march, despite the banners and chants of “BLAME THE GOVERNMENT, NOT OUR KIDS” and the number of non-white folk.

Even so, the march was joined by a number of passers-by, including a rollerblading crew, who were being gossiped about on Twitter as “a group of black youth on Smartphones”. South London Solidarity Federation made efforts to overcome the ethnic tensions and ignore the bigotry of some of the local Twitterati, distributing leaflets in which they talked about their sympathy with rioting youth, but calling on them to organise and focus their rage constructively in order to change their situation.

When the march arrived at Lewisham Town Hall, lipservice was paid to trade unions by the usual suspects, while a young black man and an Asian girl spoke about their experiences and the problems they encounter with the police and living in inner city London. Simultaneously, Channel 4 News and the Iranian Press TV hovered around, interviewing demonstrators.

In the end, the demonstration was a mitigated success. Not as many locals attended as was hoped, while the local left’s attempts to blame the riots on “the cuts” was shallow and ill-conceived. Clearly the motivations behind this week’s disturbances are more fundamental than the recent budget cuts, appearing to hint at whole lives of atomisation, disengagement and anger on our estates. The efforts of Deptford residents to talk to each other and collectivise their problems can only be positive. Together we can fight to improve our lives and our neighbourhoods.

More worryingly, racial tensions are once again rearing their ugly head, and SLSF stands in solidarity with the spontaneous demonstration of black men from Lewisham, who gathered a few hours later against the EDL, solely chanting “PEACEFUL PROTEST, WE’RE HERE TO PROTECT OUR COMMUNITIES”, only to be surrounded by more cops. Any attempts by the far-right – and the police, who tried to block supporters from joining them – to divide us along racial lines must be resisted by Lewisham residents of all colours.

Finally, with the state’s reaction now in full force, we must act to defend those accused of rioting and looting in the last week. This means mobilising in defence of politically-motivated council house evictions or benefit cuts, as well as distributing legal advice and offering solidarity to those facing charges.
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Re: émeutes en Angleterre

Messagede Nico37 » 29 Aoû 2011, 10:53

Angleterre : "A time to buy, and a time to sell" lundi 29 août 2011, par John Saint-Croix

Dix août, lendemain d’émeute. La bonne société anglaise se réveille avec la gueule de bois. Après Londres et ses banlieues, Manchester et Birmingham se sont jointes aux affrontements, embrasement généralisé. Parmi les commentateurs, rares ceux qui dévient de la ligne « ce sont des sauvageons à abattre ». Il y a pourtant beaucoup à dire sur cet été anglais. De Manchester, analyse.

L’association des assureurs britanniques vient d’évaluer les dégâts des récentes émeutes à 200 millions de livres sterling. C’est bien la seule abstraction à laquelle il soit conseillé de s’élever. Aux journalistes, aux politiciens, aux sociologues, et à tous ceux qui sont invités à discourir, ces émeutes posent un certain nombre de contradictions qu’ils ne tiennent pas à résoudre. Les médias anglais font mine de beaucoup s’interroger, sans parvenir à fournir un semblant de réponse aux centaines de questions accumulées, toutes accessoires. Une émission a même recensé les dix causes probables des émeutes, partant du principe qu’il vaut mieux dix hypothèses fallacieuses qu’une bonne raison. Ne pouvant invoquer une question purement raciale, ou religieuse ou même générationnelle [1], les analystes s’en remettent à une condamnation morale qui présente les acteurs de ces journées de la même manière que les émeutiers français des années précédentes : des casseurs, des délinquants, des incendiaires, des brutes et des lâches.
Cet « angle », répété de nombreuses fois, dès le début de la « couverture médiatique » déployée sur ces événements, est résumé en un mot, martelé dans un reportage de Mark Stone sur Sky News : « mindless », sans cerveau. Le géographe américain David Harvey a également souligné, dans un article paru immédiatement après les émeutes, la déshumanisation qui se cache derrière ces choix de langage mettant en avant l’animalité des protagonistes : « "Des adolescents sauvages et nihilistes", comme les a décrits le Daily Mail. Le mot "sauvage" m’a arrêté. Il m’a rappelé que les Communards, à Paris en 1871, étaient dépeints comme des bêtes sauvages, des hyènes, qui ne méritaient qu’une exécution sommaire (et parfois la recevaient) au nom du caractère sacré de la propriété privée, de la morale, de la religion et de la famille » [2]. Quelques jours après les « incidents », sur la façade du centre commercial Debenhams, à Londres, on appelait les honnêtes gens à dénoncer les « rats à capuche » [3].

Dans le même temps, les émeutiers sont dépeints non plus comme des brutes assoiffées de sang ou de dangereux agitateurs, mais comme d’opportunistes pillards dont la seule ambition est de dérober les biens que l’emploi de leurs talents n’a pu leur procurer. Ce qui est étonnant, c’est qu’il y a dix manières de voler bien plus efficaces (elles sont en tout cas pratiquées chaque jour à haut niveau) et beaucoup moins risquées que de se jeter sous les caméras de surveillance qui quadrillent les villes anglaises et dont la concentration n’est jamais plus forte qu’aux abords des magasins... Que les deux thèses, celle du fou sanguinaire et celle du rusé malfaiteur, paraissent contradictoires, n’est pas un problème. Pas plus qu’il n’est difficile de concilier que les émeutiers aient pu vouloir, dans le même temps, piller les marchandises et les détruire par le feu : on prêtera aux incendiaires l’avidité du voleur, et aux pillards l’inconscience homicide du pyromane. Ainsi, en alternant rapidement les « analyses », et sans jamais les confronter, l’une chassant l’autre indéfiniment, il est possible aux responsables du télécran de faire leur métier, c’est-à-dire raconter n’importe quoi et son contraire, simultanément.
Ils sont plus rares à avoir souligné l’euphorie fébrile et provocatrice qui se dégageait presque malgré eux des émeutiers, tout comme de ceux descendus dans les rues pour « défendre leur quartier » ou leur « communauté » et qui, pour beaucoup, étaient aussi excités que les premiers à l’idée de se réapproprier brièvement le contrôle du pavé.

On signale tout de même des morts ; cinq au total. Qu’on arrête les assassins. La police britannique voudra tenir sa réputation. Elle a même reçu des renforts inespérés de la population, encouragée à se constituer en milice. Les associations de commerçants, lourdement équipées en vidéosurveillance, ne se le sont pas fait dire deux fois. Comme en témoigne l’article d’Elise Vincent dans Le Monde, le système de délation s’est révélé « très efficace », selon Phil Burke, « responsable de la sécurité dans un hôtel du centre-ville » et porte-parole de Pub and Club, l’association de Manchester qui veille à ce que la ville « ait une vie nocturne sûre et vibrante ». Son acolyte, Andrew Stokes, président de l’association des commerçants du Village, le quartier gay historique de Manchester, n’est pas en reste :
« "Nous ne les laisserons pas gagner !", assure M.Stokes qui, comme une grande partie de l’opinion publique anglaise, voit dans les violences des jeunes moins l’expression d’un malaise social que l’assouvissement d’une forme "d’avidité". » « Ce qu’on veut ici, c’est ‘business as usual’ », ajoute le petit commerçant, sans sourire [4]. C’est très sérieux en effet : l’enjeu est de taille. « Nous devons montrer au monde, qui nous a observés avec horreur, que les auteurs des violences que nous avons vues dans nos rues ne sont en aucun cas représentatifs de notre pays ni de notre jeunesse », a insisté (Dave Cameron). « L’immobilier londonien, l’un des plus chers du globe, doit rester un havre pour tous les nantis de la terre. Et les touristes continueront à apporter à l’économie locale ses 102 milliards d’euros de revenus annuels. » [5] On retrouve dans le jargon des promoteurs immobiliers le même plaidoyer pour « un centre-ville vibrant ». En parcourant le catalogue du promoteur Urban Splash, qui propose des « lofts » à 200 000 livres sterling (à peu près 230 000 euros), à Albert Mills, une charmante ancienne fabrique de coton du XIXe reconvertie, on ne croise rien qui ne soit pas « an area of exciting new developpement at the edge of Manchester’s vibrant city »

De la cité industrielle en déclin à la dynamique métropole globale, la métamorphose ne s’est pas réalisée d’elle-même. Pour accueillir les plus aisés, il a fallu nettoyer le centre de la ville de tous les pauvres qui y demeuraient. Les promoteurs immobiliers se sont chargés de la besogne à partir du début des années 1980, souvent aidés financièrement par les pouvoirs publics ou l’Union européenne. La transformation subie par la ville aux mains des urbanistes, architectes et autres décorateurs a été radicale. Du patrimoine industriel, on a conservé les façades : les plus vieux entrepôts des docks, Merchant’s Warehouse, sont devenus des bureaux ; le Royal Exchange, la bourse du coton, est devenu le Royal Exchange Theater ; les immenses entrepôts de briques rouges de la Nothern Railway Company ont été transformés en un ensemble de cafés, de restaurants, de magasins et de vastes aires de stationnement ; Central Station, l’imposante gare construite en 1880 pour desservir Liverpool et fermée en 1969, se fait aujourd’hui appeler Manchester Central Convention Center. Ceux qui peuvent se le permettre quittent leur bureau pour consommer, à quelques pas de là, dans un quartier où plus personne ne vit, les marchandises qu’ils viennent de contribuer modestement à produire. Ce n’est pas sans intérêt que les autres assistent au spectacle, de plus ou moins loin. Les derniers rangs se sont remplis ces derniers temps, en Angleterre comme partout ailleurs.

Quelques-uns avaient tenté de réinvestir la ville abandonnée, lorsqu’elle était au plus mal. En 1976, les Sex Pistols étaient venus jouer au Free Trade Hall, un édifice qui accueillit les rassemblements politiques et corporatistes de la nouvelle bourgeoisie, puis des événements culturels de toute sorte. Ce soir-là, il n’y avait pas plus de quarante personnes dans la salle, mais plusieurs d’entre eux furent à l’origine de l’aventure du label Factory Records, qui édita notamment Joy Division, New Order ou les Happy Mondays, et qui ouvrit un club, l’Haçienda, en 1982, prenant au mot le Formulaire pour un urbanisme nouveau de Gilles Icvain, écrit 30 ans plus tôt : « Et toi oubliée, tes souvenirs ravagés par toutes les consternations de la mappemonde, échouée au Caves Rouges de Pali-Kao, sans musique et sans géographie, ne partant plus pour l’hacienda où les racines pensent à l’enfant et où le vin s’achève en fables de calendrier. Maintenant c’est joué. L’hacienda, tu ne la verras pas. Elle n’existe pas. Il faut construire l’hacienda. »
Comme dans tout bon épisode du Rock’n’roll, il y eut des soucis avec la drogue et l’argent. L’Haçienda ferma définitivement ses portes en 1997. Aujourd’hui, à son emplacement, des logements de standing, sous l’appellation Hacienda Appartements. La citation de Gilles Ivain est imprimée, en anglais, sur des T-Shirts que le centre d’information des touristes écoule à 25 livres sterling la pièce. Et au sommet du Free Trade Hall flotte désormais le drapeau de l’hôtel Radisson Edwardian Manchester, cinq étoiles.

« Ceux qui voudraient revivre les raves d’antan peuvent se rendre au Fac251, le club de Peter Hook, ancien bassiste de Joy Division et New Order, et Ben Kelly, le designer de l’Haçienda. Fac 251 a ouvert en février 2011 dans les anciens locaux de Factory Records. [...] Conçu pour mettre en valeur la fonctionnalité froide que le nom suggère, Fac251 consiste en trois étages de parpaings de béton, de lumières saccadées et de machines à fumée. Un portrait de Tony Wilson, l’un des fondateurs de Factory Records et de l’Haçienda, se trouve au-dessus de l’entrée. Avec des sets rétro par les DJs locaux Mr.Hook et Mr. Haslam, le club fait recette sur le nom et le son des grandes heures de Madchester, mais il tente aussi d’en rendre l’intégralité de l’expérience sensorielle. Bien sur, on ne note pas sans ironie qu’un club né de l’insatisfaction de la classe ouvrière et de son opposition fondatrice au disco de masse, fasse aujourd’hui l’objet d’un repackaging commercial. » [6] Là, comme dans les nombreux clubs qui refusent la nostalgie et où l’on peut goûter raggaclash, ghetto house, wonky-hop, post-dubstep, fidget house, chillwave ou encore electro-boogie, la scène est « vibrante ».
« Ailleurs se retrouvent d’autres beautés fragmentaires, et de plus en plus lointaine la terre des synthèses promises. Chacun hésite entre le passé vivant dans l’affectif et l’avenir mort dès à présent. Nous ne prolongerons pas les civilisations mécaniques et l’architecture froide qui mènent à fin de course aux loisirs ennuyés. » [7]

Le long des berges réaménagées, les immeubles ont jailli. Les murs de la ville entière sont couverts du programme des travaux à venir, de l’offre de bureaux et d’appartements de choix, sous le contrôle étroit de la fameuse CCTV, closed circuit television, qui s’affiche fièrement au front de chaque immeuble qui en vaut la peine. Les caméras ont colonisé jusqu’aux saules pleureurs qui bordent les canaux de l’ancien port industriel, où l’on peut désormais s’arrêter pour prendre un verre coûtant le prix d’un dîner.
Un peu plus loin, à Salford - où les troubles furent violents -, les signes de ce changement sont également visibles. Cette banlieue attenante à Manchester comprend les anciens docks de la ville, fermés en 1982 et devenus quelques années plus tard l’objet d’un des plus vastes plans de réaménagement du Royaume-Uni. Élégamment rebaptisé Salford Quays, l’endroit abrite maintenant son centre commercial géant, un port de plaisance, et des monuments d’artiste à la mémoire de l’activité industrielle. Architecturalement, par un jour de soleil, ça ressemble à Doha. Sous la pluie, ça ressemble à Doha si jamais il y pleuvait.
Où sont donc passés les gens de Manchester ? Peut-être à Old Trafford, le stade de football tout proche, qui héberge Manchester United. Vendredi 5 août, on y célèbre Paul Scholes, un enfant de Salford, qui aura porté dix-sept années durant le maillot écarlate des Red Devils, avec un succès qui sera difficile à égaler. Peut-être y en a-t-il quelques-uns dans les virages, là où le prix des places descend sous les 30 livres. Les clubs anglais ont depuis longtemps résolu le problème du hooliganisme en augmentant les tarifs. Manchester United, l’un des clubs les plus titrés - et les plus riches - de l’histoire de la discipline, n’a pas de problème pour garnir ses tribunes. Mais combien sont-ils - de ces gens de Manchester - parmi la file d’attente qui s’étend au pied de la statue de Matt Busby [8], à l’entrée de la boutique officielle, le ‘Old Trafford Megastore’ ?
Mercredi 11 août, alors que la fumée se dissipait au-dessus de Londres, Manchester, Birmingham et de quelques autres villes du Royaume-Uni, on fêtait aussi le 46e anniversaire des émeutes de Watts, qui ne sont pas sans porter quelques similitudes avec les événements récents [9]. Le fait que les rangs des émeutiers britanniques de 2011 aient été composés avec beaucoup plus de « diversité » que ceux des Américains de 1965 montre seulement que la colère et l’amertume se sont étendues et ne sont plus le privilège de l’origine.

Vient à l’esprit le texte que Guy Debord avait écrit à ce sujet :
« La révolte de Los Angeles est une révolte contre la marchandise, contre le monde de la marchandise et du travailleur-consommateur hiérarchiquement soumis aux mesures de la marchandise. Les Noirs de LA, comme les bandes de jeunes délinquants de tous les pays avancés, mais plus radicalement parce qu’à l’échelle d’une classe globalement sans avenir, d’une partie du prolétariat qui ne peut pas croire à des chances notables de promotion et d’intégration, prennent au mot la propagande du capitalisme moderne, sa publicité de l’abondance. Ils veulent tout de suite les objets montrés et abstraitement disponibles, parce qu’ils veulent en faire usage. De ce fait, ils en récusent la valeur d’échange, la réalité marchande qui en est le moule, la motivation et la fin dernière, et qui a tout sélectionné. Par le vol et le cadeau, ils retrouvent un usage qui, aussitôt, dément la rationalité oppressive de la marchandise, qui fait apparaître ses relations et sa fabrication mêmes comme arbitraires et non-nécessaires.
(...)
La société de l’abondance trouve sa réponse naturelle dans le pillage, mais elle n’était aucunement abondance naturelle et humaine, elle était abondance de marchandises. Et le pillage, qui fait instantanément s’effondrer la marchandise en tant que telle, montre aussi l’ultima ratio de la marchandise : la force, la police et les autres détachements spécialisés qui possèdent dans l’État le monopole de la violence armée. Qu’est-ce qu’un policier ? C’est le serviteur actif de la marchandise, c’est l’homme totalement soumis à la marchandise, par l’action duquel tel produit du travail humain reste une marchandise dont la volonté magique est d’être payée, et non vulgairement un frigidaire ou un fusil, chose aveugle, passive, insensible, qui est soumise au premier venu qui en fera usage. Derrière l’indignité qu’il y a à dépendre du policier, les Noirs rejettent l’indignité qu’il y a à dépendre des marchandises. La jeunesse sans avenir marchand de Watts a choisi une autre qualité du présent, et la vérité de ce présent fut irrécusable au point d’entraîner toute la population, les femmes, les enfants et jusqu’aux sociologues présents sur ce terrain. Une jeune sociologue noire de ce quartier, Bobbi Hollon déclarait en octobre au Herald Tribune : "Les gens avaient honte, avant, de dire qu’ils venaient de Watts. Ils le marmonnaient. Maintenant ils le disent avec orgueil. Des garçons qui portaient toujours leurs chemises ouvertes jusqu’à la taille et qui vous auraient découpé en rondelles en une demi-seconde ont rappliqué ici chaque matin à sept heures. Ils organisaient la distribution de la nourriture. Bien sûr, il ne faut pas se faire d’illusion, ils l’avaient pillée... Tout ce bla-bla chrétien a été utilisé contre les Noirs pendant trop longtemps. Ces gens-là pourraient piller pendant dix ans et ne pas récupérer la moitié de l’argent qu’on leur a volé dans ces magasins pendant toutes ces années..." »

Citer Debord est toujours une faute de goût. Cela ne fait pas très sérieux, d’autant que l’intéressé n’a pas le moindre diplôme universitaire. On peut donc, depuis qu’il est mort et que l’on ne craint plus une riposte, s’en donner à cœur joie. La récupération, dans ce cas précis, consiste à le faire passer pour un aimable bouffon ou un joyeux déconneur. Il ne faut pas prendre tout ça au pied de la lettre, Debord a beaucoup exagéré... Parce qu’on a pas pu l’attaquer sur le plan de la logique, on a décidé que ses positions ne pouvaient être soutenues sur un ton sérieux.
L’État français est bien prêt à préempter ses archives pour éviter qu’une grande université américaine ne mette la main sur ce ‘patrimoine’, mais de là à lui reconnaître un quelconque caractère de vérité, il y a un pas. Ceux-là même qui ont consacré ses papiers ‘trésor national’ ne le franchiront pas, trop préoccupés de récupérer l’œuvre pour s’en servir, s’il se trouvait qu’ils en eussent jamais eu les moyens [10]. Ce n’est pas par dévotion que je cite ce texte désormais vieux d’un demi-siècle. En d’autres circonstances, on pourrait laisser à d’autres le soin de regarder la suite. Mais, dans le moment où nous sommes, il m’a semblé que personne ne le ferait.

C’est pourtant la marchandise que l’on trouve au cœur des actions apparemment désorganisées des émeutiers de Manchester et d’ailleurs. Les dépossédés ont décidé de se faire voir brutalement, au centre même de la ville, dans les quartiers qui leur sont interdits, non par décret - nous sommes en démocratie ! - mais de fait : si vous n’avez rien à acheter, circulez. Derrière la rage des incendiaires et des casseurs, derrière l’ « avidité » des pillards, le dénominateur commun, c’est la cible : la marchandise, le « bien de consommation », dont le nom suggère déjà les qualités éthiques dont il est paré. En lançant une brique dans la devanture d’un magasin désert, c’est l’idole que l’on attaque.
Il aura fallu 140 ans pour établir le magasin de meubles House Of Reeves, mais seulement quelques minutes pour le détruire. Le 9 août, au matin, après que les incendiaires ont laissé ce symbole de Croydon en ruines, son propriétaire présentait un visage digne aux journalistes : « Le magasin était là depuis 1867, il avait survécu à deux guerres, une dépression. Et pourtant, il semble que la communauté l’a détruit par les flammes » [11].
Alors que tout le monde pleurait, avec moins de dignité que son propriétaire, la perte de ce monument historique de la distribution, personne ne s’est demandé si ce n’était pas la raison même pour laquelle certains des émeutiers les plus résolus en avaient fait leur cible, spontanément.


On s’accorde pour l’instant à dire qu’il est tout à fait impossible à de si faibles esprits, qui se traduisent dans une langue de plus en plus inaccessible, de concevoir un projet si profond. Leur incapacité à fournir les motifs de leur colère ou le détail de leurs requêtes constitue du reste la meilleure preuve de leurs sombres motivations. Si ces malheureux avaient pu articuler trois mots sur leur malaise social et leur mal à l’Angleterre, alors peut-être aurait-on pu repérer un leader, et discuter avec lui. S’ils s’avançaient groupés, comme un seul manifestant derrière sa banderole, on pourrait appliquer la même vielle méthode : « Confinement dans un espace restreint, déploiement d’experts de la surveillance sur les toits, infiltration par des policiers en civil et contrôle des stations de métro et des gares », comme le rappelle Le Monde (12 août), qui ajoute que « la collecte de renseignements sur les leaders et leurs actions joue un rôle-clé dans ce processus : hélas !, les pires émeutes depuis des années n’étaient pas organisées » [12].

En dédaignant la manifestation organisée pacifique, les émeutiers proclament sa défaite, de la même manière qu’ils n’ont pas adopté de slogan. S’il y avait eu un slogan, il aurait été récupéré par l’extrême-gauche, qui les a tous brevetés. C’est le rôle de l’extrême-gauche que d’empêcher les débordements. Quiconque déborde la manifestation syndicale unitaire par la gauche commet une lourde faute technique, immédiatement sanctionnée. Il est toujours préférable de rester dans le rang et de goûter la parole des révolutionnaires professionnels, forts d’une expérience du combat si longue qu’on en vient à se demander s’ils ont jamais souhaité une victoire. La seule chose que quelques-uns avouent désirer encore, c’est un retour au bon vieux temps de l’État-providence, du keynesianisme glorieux, au cours duquel les aspirations du peuple profitèrent de leur brève coïncidence avec les intérêts de l’État. Incapable de voir que ce n’est pas la répartition de la valeur qui pose problème mais bien le principe qui a présidé à sa création et qui régit son développement, la vieille extrême-gauche gauche, après avoir promis longtemps que les lendemains chanteraient, réclame aujourd’hui le retour des jours meilleurs, sur des airs d’antan. Elle n’a pas encore compris qu’ « on ne s’évadait pas du temps », et qu’elle était condamnée à revoir, à chaque manifestation, à chaque inutile cortège rigoureusement encadré et chaque fois un peu plus mince, « l’instant de sa propre mort », c’est-à-dire celui où elle a commencé à marchander [13].

Avec l’assentiment des contestataires identifiés, on peut en conclure que cette horde immorale de lumpenprolétaires analphabètes n’a pas la classe des bandits de grand chemin d’autrefois. Il est plus simple de mettre tout cela sur le compte d’un coup de chaud passager, d’un climat économique temporairement dégradé, d’un égarement momentané de la conscience. On trouvera des excuses à quelques-uns de ceux qui s’excuseront bien bas et on condamnera lourdement le reste [14]. Il faudra s’employer à ce que rien de fondamental ne soit changé, mais il y a heureusement beaucoup de gens formés à cela.
On pourrait aussi s’étonner de ce que ces jeunes enragés détruisent et brûlent ce qui pourrait leur permettre de « s’en sortir ». À Arndale cette fois, l’immense centre commercial du centre-ville de Manchester, on pouvait contempler à la veille des émeutes, derrière la vitrine d’un magasin Shakeway, un individu dont l’emploi consistait à se dandiner joyeusement d’un pied sur l’autre, intégralement recouvert d’un costume de milkshake à taille humaine. C’est l’emploi qu’on avait trouvé aux qualités de cet homme (cette femme ?). Il est douteux que le salaire dont on le récompensait lui permît d’habiter le cœur vibrant de la ville ; seulement d’y venir aux heures ouvrables se transformer, au sens propre comme au sens figuré, en marchandise. Deux jours plus tard, quelques mètres plus loin, quelqu’un incendiait un magasin de vêtements.


Fondée au XVe siècle, la cathédrale de Manchester fut rattrapée au milieu du XIXe siècle par la croissance exubérante de l’agglomération et se trouve aujourd’hui dans le centre-ville. Dans une de ses ailes, pour instruire le visiteur, quelques panneaux évoquent le long processus qui aboutit à la traduction en anglais des Écritures, la King James Bible ; les luttes qui amenèrent les autorités religieuses à se saisir de ce projet a priori hérétique plutôt que de courir le risque d’en laisser d’autres, plus audacieux, commettre un péché d’interprétation. Le texte note que si le Roi se contenta en 1610 d’agréer le résultat sans le commenter, l’influence de l’ouvrage se diffusa largement dans la littérature et la culture anglo-saxonnes. Et rappelle, en conclusion, les mots de l’Ecclésiaste : To every thing there is a season :

« Il y a un moment pour tout et un temps pour toute chose sous le ciel.
Un temps pour enfanter, et un temps pour mourir ;
un temps pour planter, et un temps pour arracher le plant ;
un temps pour tuer, et un temps pour guérir ;
un temps pour détruire, et un temps pour bâtir... » [15]

Un peu plus loin, sur Exchange Street, le magasin French Connection placarde sur sa façade de grandes photos de ses produits : une jupe, un manteau, un costume. En légende, ce sont les vêtements qui parlent, et pas ceux qui les portent, dont on distingue assez mal le visage : « I am the skirt », minaude la jupe. « I am the suit », assène le costume ; « I am the coat » ; « I am the blouse »... Est-ce l’homme ou la marchandise qui parle ? S’est-elle incarnée en lui ou bien s’est-il confondu avec elle ? Et comment nommer ce phénomène consistant à faire entendre la voix d’une autre entité, a fortiori inhumaine ? On pourrait parler sans doute de réification, mais dans le cas présent, c’est le langage religieux qui semble le plus approprié : on dirait que l’individu est possédé.
La marchandise et le capital écrivent chaque jour leur évangile sur les murs des centre-villes, de New York à Sao Paulo, de Paris à Manchester, et il n’a qu’une seule ligne : Il y a un temps pour acheter et il y a un temps pour vendre.
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Re: émeutes en Angleterre

Messagede Nico37 » 29 Aoû 2011, 23:24

La colère des nouveaux prolétaires 9 août 2011 THE DAILY TELEGRAPH LONDRES Mary Riddell

Un bus à deux étages brûle alors que la police tente de réprimer la foule en colère à Tottenham, au nord de Londres, le 6 août.

Les émeutiers de Londres sont le produit d'une société en voie de délitement et d'une classe politique indifférente à leur sort, affirme une chroniqueuse du Daily Telegraph.

Personne n'a eu l'air étonné. Ni les adolescents à capuches s'enfuyant de chez eux à l'aube, ni Ken et Tony, qui vivaient autrefois à Tottenham et sont venus voir cette zone de guerre urbaine parsemée de projectiles et de voitures calcinées. Tony affirme qu'il avait pressenti l'événement. "Il fallait s'y attendre", assure-t-il.

La police a abattu un Noir dans des circonstances suspectes. De jeunes chômeurs sont devenus fous furieux. Pour Tony, cette émeute n'attendait qu'un prétexte pour éclater. A l'heure des premiers bilans, cette flambée de violence qui a embrasé Londres paraissait à la fois inévitable et impensable. En quelques jours, les émeutes ont gagné toute la capitale d'un pays avancé, la plongeant dans le chaos et la violence.

On a affaire au plus mystérieux et au plus moderne des soulèvements. Ses participants, rameutés sur Twitter, semblent avoir rejoué le printemps arabe dans une version sinistre. L'été de Tottenham, où se sont également illustrés des enfants de sept ans, est dirigé non pas contre un régime tyrannique, mais contre l'ordre établi d'une démocratie. Une question plane désormais au-dessus des artères commerçantes dévastées de Londres : comment en est-on arrivé là ?

Parmi les quelques réponses évidentes, l'incurie des forces de l'ordre figure en bonne place. Si l'on en croit les dernières informations, la Police métropolitaine (MET) aurait franchi un nouveau cap dans l'ignominie. En effet, des doutes commencent à apparaître quand au fait que Mark Duggan, dont la mort a déclenché les premières émeutes, ait tiré sur la police. L'indignation de la famille de M. Duggan a précipité la crise, et la non-intervention des policiers face aux pillages a donné lieu à des situations dignes des territoires livrés à l'anarchie dans un Etat défaillant.

La débâcle financière, responsable des émeutes

Le deuxième coupable, nous dit-on, serait l'appartenance ethnique. Mais comme l'a affirmé David Lammy, député de Tottenham, ces émeutes n'ont pas un caractère racial. Celles de Broadwater Farmer, comme celles de Toxteth et de Brixton, survenues dans les années 1980, avaient pour origine, du moins en partie, un racisme féroce qu'on ne retrouve pas aujourd'hui à Tottenham, où une épicerie chinoise voisine avec un magasin turc et un coiffeur africain.

Alors, on pense inévitablement au chômage et aux réductions budgétaires. Il est vrai que Tottenham fait partie des quartiers les plus pauvres de Londres : 10 000 personnes y perçoivent une allocation-chômage et sur chaque offre d'emploi, il se présente en moyenne 54 candidats. Dans d'autres quartiers touchés [par les émeutes], comme Hackney, les maisons de jeunes ferment. Si de telles coupes sont peu avisées, il serait trop facile d'attribuer les ravages de la crise économique au manque de tournois de ping-pong et de parcs de skateboard.

Les vraies causes sont plus insidieuses. Ce n'est pas un hasard si les pires violences que Londres ait connu depuis de nombreuses décennies ont lieu sur fond de débâcle financière mondiale. Les causes de la récession, telles que les définit J. K. Galbraith dans The Great Crash [La crise économique de 1929], sont les suivantes : mauvaise répartition des revenus, entrepreneurs filous, faiblesse du système bancaire et déséquilibre du commerce extérieur.

L'échec d'un Etat inégalitaire

Tous ces facteurs sont de nouveau à l'œuvre. Dans la bulle des années 1920, les 5% les plus riches de la société accaparaient un tiers des revenus. Aujourd'hui, la Grande-Bretagne est moins égalitaire qu'elle ne l'a jamais été depuis lors, que ce soit du point de vue des salaires, de la richesse et des perspectives d'avenir. L'année dernière, les fortunes cumulées des 1 000 Britanniques les plus riches ont augmenté de 30%, atteignant 335,5 milliards de livres [environ 405 milliards d'euros].

Tandis que Londres brûlait, les leaders européens, notamment notre Premier ministre et son ministre des Finances, se prélassaient dans des chaises longues. Même si l'épicentre de l'actuelle crise économique est la zone euro, les gouvernements britanniques successifs ont fait le lit de la pauvreté, des inégalités et de l'inhumanité aujourd'hui exacerbées par la tourmente financière.

Le manque de croissance de la Grande-Bretagne n'est pas seulement un point de débat économique ou une arme contre le ministre des Finances George Osborne. Pas plus que notre main-d'œuvre sous-qualifiée, démotivée et peu instruite n'est simplement une tache dans le bilan national. Ces bandes de jeunes déchaînés dans les rues de nos villes n'augurent rien de bon pour l'avenir. La "génération perdue" se prépare pour la guerre.

Rien à voir avec les manifestations de Grèce ou d'Espagne

Les émeutes de Londres ne sont pas les aimables rassemblements de Grèce ou d'Espagne, où les classes moyennes tentent de conjurer leur déclin annoncé. Elles sont la preuve qu'une frange de la jeunesse britannique – les cogneurs, les tireurs, les pillards, les profiteurs et leurs acolytes effrayés – est tombée du bord de la falaise dans ce pays en plein délitement.

L'échec des marchés va de pair avec le malaise social. Entre-temps, on voudrait nous faire croire que la démocratie sociale, avec ses filets de sécurité, son éducation coûteuse et son système de santé pour tout, n'est pas viable dans les temps difficiles qui s'annoncent. Or, la réalité, c'est qu'il n'y a pas d'autre solution. Après le Grand Krach [la crise de 29], la Grande-Bretagne a rectifié le tir. Les écarts de revenus se sont réduits, l'Etat-providence est né, les compétences se sont accrues et la croissance a augmenté.

Ce modèle n'est pas transposable à l'identique. Mais, comme s'interrogeait Adam Smith, une société bien ordonnée peut-elle se développer quand un nombre important de ses membres sont dans la misère, et par conséquent dangereux ? Il ne s'agit pas de prêcher le déterminisme, car la pauvreté n'entraîne pas forcément l'anarchie. Cela étant, il ne suffit pas de fustiger les émeutiers comme s'ils étaient des parias.

Les krachs financiers et les catastrophes humaines sont cycliques. Chaque nouvel épisode menace d'être plus grave que le précédent. Comme l'a écrit Galbraith, "la mémoire vaut bien mieux que la loi" pour se protéger contre les illusions et la folie financières. En ces temps d'austérité, il y a des luxes que la Grande-Bretagne ne peut plus s'offrir. L'amnésie figure en tête de cette longue liste.
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Re: émeutes en Angleterre

Messagede Nico37 » 04 Sep 2011, 08:39

Naomi Klein,traduit par Viktor Dedaj a écrit: http://www.tlaxcala-int.org/article.asp?reference=5615
On nous rabâche que les émeutes en Grande-Bretagne n’avaient rien de politique – mais les émeutiers savent que leurs élites, elles, pratiquent le vol à grande échelle et en plein jour..

Je n’arrête pas d’entendre des comparaisons entre les émeutes à Londres et celles d’autres villes européennes – bris de vitrines à Athènes, feux de joie de bagnoles à Paris. Il est certain qu’il y a des similitudes : une étincelle provoquée par la violence policière, une génération qui se sent abandonnée.

Mais les évènements à Londres ont été marqués par des destructions massives, le pillage était un phénomène marginal. Il y a eu cependant d’autres pillages massifs ces dernières années, et peut-être devrions-nous en parler aussi. Il y a eu Bagdad au lendemain de l’invasion par les USA – une vague d’incendies et de pillages qui ont vidé les bibliothèques et les musées. Les usines aussi ont été touchées. En 2004 j’ai visité une usine qui fabriquait des réfrigérateurs. Les employés avaient pris tout ce qui avait de la valeur, puis ils y ont méthodiquement mis le feu jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’une structure métallique tordue.

A l’époque les gens à la télé trouvaient que le pillage était un geste hautement politique. Ils disaient "voici ce qui arrive lorsqu’un régime n’a plus de légitimité populaire". Après avoir vu pendant des années à Saddam Hussein et ses fils se servir de n’importe quoi et n’importe qui, de nombreux Irakiens ordinaires ont pensé qu’ils avaient eux-aussi le droit de se servir à leur tour. Mais Londres n’est pas Bagdad, et le Premier ministre britannique, David Cameron, n’a rien d’un Saddam, il n’y donc aucune leçon à en tirer.

Bon, alors que diriez-vous d’un exemple pris dans une démocratie ? L’Argentine, vers 2001. L’économie était en chute libre et des milliers d’habitants des quartiers défavorisés (qui étaient jadis des zones industrielles prospères, avant l’arrivée du néolibéralisme) ont pris d’assaut les supermarchés détenus pas des sociétés étrangères. Ils sont ressortis avec des chariots remplis de produits qu’ils n’avaient plus les moyens d’acheter – vêtements, matériel électronique, viande. Le gouvernement a instauré « un état de siège » pour rétablir l’ordre. Les gens n’ont pas apprécié et ils ont renversé le gouvernement.

Le pillage massif en Argentine fût baptisé el saqueo - la mise à sac, le pillage. Ce qui est politiquement significatif parce que c’est exactement ce terme qui fut employé pour décrire ce que les élites du pays avaient fait en bradant les biens de la nation lors d’opérations de privatisation à l’évidence entachées de corruption, en planquant leur argent dans des paradis fiscaux pour ensuite faire payer le peuple par des mesures brutales d’austérité. Les Argentins avaient bien compris que le saqueo des centres commerciaux n’aurait pas eu lieu sans le saqueo plus vaste du pays, et que les véritables gangsters se trouvaient au pouvoir.

Mais l’Angleterre n’est pas l’Amérique latine, et ses émeutes ne sont pas politiques, du moins c’est ce que l’on nous rabâche. En Angleterre, ce sont juste des gamins paumés qui profitent d’une situation pour s’emparer de ce qui ne leur appartient pas. Et la société britannique, nous dit Cameron, a horreur de ce genre de comportement.

Tout cela est dit avec le plus grand sérieux. Comme si les sauvetages massifs des banques n’avaient jamais eu lieu, suivis par des distributions de primes aux dirigeants battant tous les records, une véritable provocation. Suivis par des réunions d’urgence du G8 et du G20, où les dirigeants ont décidé, collectivement, de ne pas punir les banquiers ni de prendre des mesures pour éviter que cela ne se reproduise. Au lieu de cela, ils sont retournés chez eux pour imposer des sacrifices aux plus vulnérables. En licenciant des fonctionnaires, en réduisant le nombre d’enseignants, en fermant des bibliothèques, en augmentant les frais de scolarité, en dénonçant les accords sociaux, en se précipitant pour privatiser les biens publics et diminuer les retraites – choisissez parmi ce qui précède pour l’adapter à votre situation locale. Et qui voit-on à la télévision nous faire la leçon sur la nécessité de renoncer à ces « avantages acquis » ? Les banquiers et les gestionnaires de hedge-funds, évidemment.

C’est le saqueo global, le temps du Grand Hold-up. Alimenté par un sentiment maladif de droit sacré, le pillage se déroule en plein jour, comme s’il n’y avait rien à cacher. Cela dit, ils ont quand même quelques craintes. Début juillet, dans le Wall Street Journal, un sondage indiquait que 94% des millionnaires craignaient « des violences dans les rues ». Il s’avère que cette crainte n’est pas complètement injustifiée.

Bien sûr, les émeutes à Londres n’avaient rien de politique. Mais ceux qui volaient de nuit savaient parfaitement bien que leurs élites commettent leurs vols en plein jour. Les saqueos, c'est contagieux ! Les Conservateurs ont raison lorsqu’ils disent que les émeutes n’ont rien à voir avec les coupes budgétaires. Mais elles ont beaucoup à voir avec ce que ces coupes représentent : être coupé du monde. Se retrouver coincé dans une sous-classe sociale qui ne cesse de s’élargir et voir les rares portes de sortie – un vrai travail, une éducation à portée de bourse – se refermer rapidement les unes après les autres. Les coupes budgétaires sont un message. Un message envoyé à des pans entiers de la société pour leur dire : vous êtes coincés là où vous êtes, comme ces immigrés et ces réfugiés repoussés à nos frontières qui deviennent de plus en plus infranchissables.

La réponse de Cameron aux émeutes est de matérialiser cette exclusion par des mesures concrètes : expulsion des habitations à loyers modérés, coupures des outils de communication et des peines de prison scandaleuses (cinq mois pour une femme qui a accepté un short volé). Une manière d’enfoncer le clou : disparaissez, et en silence.

Au « sommet de l’austérité » du G20 l’année dernière à Toronto, les protestations ont dégénéré et de nombreuses voitures de police ont brûlé. Rien à voir avec Londres 2011, mais pour nous les Canadiens, ce fut un choc. Mais la grande controverse qui a suivi concerna le montant des dépenses effectuées par le gouvernement pour la « sécurité » du sommet, 675 millions de dollars (et avec tout ça ils ont eu du mal à éteindre les feux). A l’époque, nombre d’entre nous ont fait remarquer que tout ce nouvel arsenal coûteux que la police venait d’acquérir – canons à eau, canons soniques, gaz lacrymogènes et balles de caoutchouc – n’était pas uniquement destiné aux manifestants dans les rues. A long terme, il était destiné à contrôler les pauvres qui, dans la nouvelle ère d’austérité, n’auront plus grand chose à perdre.

C’est là où Cameron s’est trompé : on ne peut pas réduire le budget de la police en même temps que tout le reste. Parce que lorsqu’on vole aux gens le peu qui leur reste pour protéger les intérêts de ceux qui ont largement plus qu’il ne leur en faut, il faut s’attendre à une résistance – que ce soit sous la forme de protestations organisées ou des pillages spontanés.

Et ça, ce n’est pas de la politique, c’est de la physique.
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Re: émeutes en Angleterre

Messagede spleenlancien » 10 Nov 2011, 10:45

Pour éviter les debordements de l'an dernier lors des manifs contre l'augmentation des frais de scolarité, le siège du parti conservateur ayant été "malmené", le gouvernement de sa Gracieuse Majesté a pris les devants. Il a décidé "d'encadrer" les manifs étudiantes avec un dispositif qui ressemble à celui mis en place en Irlande : Blindés et tirs de balles en caoutchouc.

http://www.rfi.fr/europe/20111108-blind ... ts-londres

Reportage sur la manif :
http://observers.france24.com/fr/conten ... pes-etudes
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Re: émeutes en Angleterre

Messagede kuhing » 10 Nov 2011, 14:26

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