10 arguments contre l’intervention « humanitaire » en LibyePlus d’une semaine que l’intervention dite humanitaire a débuté en Libye, une intervention aujourd’hui sous direction de l’OTAN. Des mouvements de la paix, des personnalités et des experts s’y opposent. Pourquoi? Voici les arguments chocs.
Bert De Belder
1. Le remède est pire que le mal.
« Il n’est pas difficile de prévoir que, au nom de la protection de la population civile, un nombre incalculable de personnes perdront la vie » en Libye, écrit Ludo De Brabander (a.s.b.l. Vrede). L’intervention humanitaire deviendra rapidement une catastrophe humanitaire. C’est ce que nous ont démontré les exemples d’ « intervention humanitaire » en Somalie, au Kosovo et en Irak (voir cadre). Si les violences provoquées par Kadhafi sont terribles, une intervention qui provoquerait un bain de sang beaucoup plus important n’est pas non plus justifiable.
2. Attention aux mensonges des médias et à la propagande de guerre
« Chaque guerre est précédée de grands médiamensonges. » avertit Michel Collon lors de l’émission de France 3 « Ce soir ou jamais »1. « Qui peut prétendre savoir tout ce qui se passe maintenant en Libye et avoir les preuves de tout ce qu’on nous a avancé ? La prudence vaut de se remémorer que chaque guerre est précédé d’un grand médiamensonge. Quand les Etats-Unis ont attaqué le Vietnam, ils ont dit que c’était parce que deux navires vietnamiens avaient attaqué leur flotte. Après, ils ont reconnu que c’était faux. Quand on a attaqué l’Irak, on a dit que c’était parce qu’il (Saddam Hussein) avait des armes de destruction massive, qu’il était complice d’Al Qaida, ou toute sorte de choses qui se sont avérées fausses. Quand on a attaqué la Yougoslavie, on a dit que c’était parce qu’il y avait un génocide au Kosovo. Un an après, j’ai eu un débat avec le porte-parole de l’OTAN et il a dit « ah non, on n’a pas dit ça ». C’était faux. La guerre en Afghanistan, on nous a dit que c’était parce qu’ils étaient responsables du 11 septembre. À chaque guerre, il y a un médiamensonge. Après on sait que c’est faux, mais le mal est fait. »
3. L'humanitaire, mon oeil
« Devrions-nous croire aux raisons humanitaires ? », se demande Michel Collon : « Obama, Cameron et Sarko sauveurs des Libyens alors qu’ils envoient des troupes saoudiennes massacrer les démocrates du Bahreïn ? L’Occident soucieux de démocratie alors qu’il protège la répression du dictateur au Yémen ? »2. Les véritables motivations de l’attaque occidentale en Libye résident ailleurs : l’intérêt géostratégique de la région, la rivalité entre les grandes puissances, le pétrole…
4. Intervention partout, guerre partout ?
Les interventions humanitaires établissent « le règne de l’arbitraire », écrit Jean Bricmont3, professeur à l’UCL. « En effet, le conflit libyen n’a rien d’exceptionnel. Il y en a beaucoup d’autres dans le monde, que ce soit à Gaza, à Bahreïn ou, il y a quelques années, au Congo. Dans ce dernier cas, nous étions dans le cadre d’une agression extérieure de la part du Rwanda et du Burundi. L’application du droit international aurait permis de sauver des millions de vie mais on ne l’a pas fait. Imaginons que les Russes interviennent à Bahreïn ou les Chinois au Yémen : ce serait la guerre généralisée et permanente. Une grande caractéristique du droit d’ingérence est donc le non-respect du droit international classique. Et si on devait modifier le droit international par de nouvelles règles légitimant le droit d’ingérence, cela déboucherait sur la guerre de tous contre tous. » Et si le devoir d’intervention n’est pas universel, il y deux poids, deux mesures, et on assiste à des interventions à la carte (des plus puissants).
5. Une nouvelle course aux armements
« Ces ingérences renforcent l’ « effet barricade », enchaîne Bricmont : tous les pays qui sont dans la ligne de mire des Etats-Unis vont se sentir menacés et vont chercher à renforcer leur armement. La conséquence de l’ingérence humanitaire est de relancer la course à l’armement et de créer des logiques de guerre à long terme. » Même au sein des grandes puissances d’ailleurs. Les États-Unis peuvent maintenant tester et perfectionner leurs systèmes d’armement stratégiques en Libye, la Russie nous fait part de l’amélioration de son potentiel défensif grâce à un impressionnant armement, comprenant l’arme nucléaire.4
6. Les violences armées bloquent une solution diplomatique.
« Une intervention militaire accroît les oppositions existantes et amoindrit les chances d’une issue politique », affirme Action pour la Paix5. Pour Ludo de Brabander, la logique de guerre constitue un obstacle à une solution. Nous risquons en effet « d’aggraver la guerre civile et d’assister à des interventions encore plus sanglantes de la part de la coalition internationale », qui « encourageront les rebelles à obtenir une victoire militaire, et rien d’autre. »6
7. Les responsables de la guerre, comme les États-Unis, éprouvent des difficultés à instaurer la paix.
Selon De Brabander, une coalition de guerre est inadaptée pour une « intervention humanitaire ». Étonnant pourtant : des pays comme les États-Unis et le Royaume-Uni, responsables de centaines de milliers de morts au cours de guerres illégales (en Irak par exemple), d’occupations et d’interventions, de tortures (souvenez-vous des tortures dénoncées d’Abou Ghraib et aujourd’hui en Afghanistan), de kidnapping et d’emprisonnement sans aucune forme de procès (comme à Guantanamo), reçoivent aujourd’hui la bénédiction pour empêcher des massacres dans d’autres pays ?!
8. Contre la volonté du Sud.
Les pays du Sud – la grande majorité de la population mondiale – n’ont jamais été en faveur des interventions « humanitaires ». Ils ont déjà fait l’expérience des « bonnes intentions » occidentales. Un haut responsable de la diplomatie brésilienne explique : « Le Brésil est, par principe, hostile à l'ingérence, comme l'ensemble des pays du Sud. Les promoteurs du droit d'ingérence s'obstinent à présenter celui-ci comme étant uniquement refusé par les dictatures du Sud, mais soutenu par l'ensemble des démocraties. La ligne de clivage sur ce concept ambigu n'est pas là, mais bien entre les pays du Nord et ceux du Sud. Ces derniers voient quasi unanimement dans le droit d'ingérence dans les affaires intérieures des pays du Sud. Ceux-ci sont donc viscéralement méfiants et voit l’ingérence comme le déguisement d'une politique de puissance traditionnelle, que comme résultant d'une motivation généreuse. »
9. Pas de paix, ni de développement
Une intervention humanitaire aboutit rarement à une société d’« amour et d’eau fraîche ». Cela donne naissance à un régime totalement soumis à l’impérialisme, ou un chaos complet, voire au deux. Michel Collon : « Le peuple libyen mérite certainement un meilleur leader qu’un dictateur qui a rempli les comptes en Suisse de toute sa famille. Si demain, les Libyens étaient dirigés par un Chavez ou un Evo Morales, pour une véritable démocratie avec une justice sociale, qui n’applaudirait pas ? Mais si c’est pour le remplacer par des chefs d’Etat proches des Etats-Unis comme Karzaï (Afghanistan) ou Al-Maliki (Iran) et plonger ce pays dans le chaos pour des décennies comme l’Irak et l’Afghanistan... »
10. Un poignard dans le dos des révolutions arabes.
La présence militaire des pays de l’OTAN, juste entre la Tunisie et l’Égypte, constitue une menace pour les processus révolutionnaires naissants au sein de ces pays, et dans le reste du monde arabe. « Un poignard en plein cœur, comme le qualifie Seamons Milne, journaliste au Guardian. Un poison que le mouvement démocratique peut éradiquer. »7
Le chiffre: 100 millions d’euros par jour
L’intervention libyenne coûte 100 millions d’euros par jour8 ! Qui va payer la note ?
1. France 3, “Ce soir ou jamais”, 21 mars, à revoir sur
www.ptb.be ; 2.
www.michelcollon.info ; 3. Idem ; 4.
www.ilmanifesto.it ; 5.
www.dewereldmorgen.be ; 6. idem ; 7.
www.guardian.co.uk/commentisfree/2011/m ... revolution ; 8. De Standaard, 25 maart