Vénézuela

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Messagede barcelone36 » 06 Aoû 2009, 21:21

http://international.federation-anarchi ... article135

El Libertario prend la parole

jeudi 30 juillet 2009

Le texte suivant est une synthèse de l’action et des positions de ce journal anarchiste vénézuélien. Il reprend en les réorganisant les principales réponses données lors de deux récentes interviews : une première publiée dans le journal catalan Solidaridad Obrera en janvier 2009 ; la seconde, réalisée en juin 2009 par le groupe anarchiste Star de Madrid.

Texte traduit du vénézuélien par Kléron et Alicia



– Qui êtes-vous ?

El Libertario est un journal que nous avons créé en 1995 (56 numéros à ce jour). Nous essayons de le concevoir comme une source d’information sur la théorie et la pratique anarchistes en Amérique latine et dans le monde, ainsi qu’un soutien pour tout ce que les mouvements sociaux locaux ont de libertaire. Nous ne recevons ni ne voulons recevoir aucune sorte de subvention de l’État ni d’aucune instance du pouvoir. Notre activité est à 200% autogérée. Le journal s’inspire de l’idéal anti-autoritaire de l’anarchisme et est soutenu par le Collectif d’Édition d’El Libertario, groupe affinitaire ouvert à la participation et la collaboration de personnes proches des idées et pratiques libertaires, dans une ambiance de respect mutuel et sans dogmatisme. Le critère central d’affinité implique que l’on partage l’idéal anarchiste, à savoir la volonté d’oeuvrer à la construction d’une société fondée sur la démocratie directe, la justice sociale, l’autogestion, l’entraide et la libre association sans que soient imposées la loi ni la force, entre autres valeurs. En parallèle de la diffusion de nos idées, nous essayons de participer au développement d’un mouvement libertaire dans notre pays, mais pour cela nous partons du principe que doivent préexister des mouvements sociaux de masse, autonomes et combatifs, comme condition nécessaire à l’expansion des idées et pratiques libertaires. Aussi avons-nous choisi de tisser des liens avec différentes organisations sociales de masse, de soutenir leurs luttes contre le pouvoir et l’autorité et pour les droits de la personne. De même, certain.es d’entre nous développent un travail d’investigation et de réflexion théorique. Nous nous efforçons aussi de promouvoir une culture autogestionnaire, à travers des expositions audiovisuelles et des débats par exemple, ou encore en organisant le premier Salon du Livre et de la Vidéo Libertaires, qui doit avoir lieu en novembre 2009 à Caracas. Enfin, et dans la mesure de nos possibilités et affinités, nous participons à des campagnes telles que celle lancée l’an dernier à l’occasion des 20 ans du massacre d’El Amparo (1). Pour plus de détails sur nous, nos idées, nos actions, voir notre site web http://www.nodo50.org/ellibertario et/ou les éditions du journal.

(1) El Amparo : nom du village vénézuélien, proche de la frontière colombienne, où a eu lieu en 1988 une énorme bavure militaire. Les forces de sécurité vénézuéliennes y assassinèrent 14 pêcheurs avant de se prétendre qu’il s’agissait de terroristes colombiens préparant des attentats sur le territoire vénézuélien.

– Quelle la position d’El Libertario par rapport à ce que l’on appelle la révolution bolivarienne ?

Nous pensons que ce qui arrive au Venezuela depuis 1999 résulte d’un pitoyable mélange de caudillisme éhonté et de capitalisme d’État, avec pour base l’abondance des revenus pétroliers. Notre analyse pointe le fait que le gouvernement bolivarien ne représente pas une rupture, mais au contraire la suite logique de la crise de la démocratie représentative au Venezuela et de son modèle économique fondé sur l’exploitation des ressources énergétiques. Il est vrai qu’on peut parler de « révolution » tant notre mode de vie s’est trouvé désarticulé à de nombreux niveaux, mais le système que nous voyons en train de se construire n’annonce rien de bon pour les exploité.es et les opprimé.es, et permettre sa pérennisation équivaut à rendre les choses plus difficiles à changer. Les transformations auxquelles nous aspirons en tant qu’anarchistes suivent un chemin bien différent de celui qu’a pris ce « processus », qui après plus de 10 ans à la barre se montre excessivement autoritaire, prompt aux alliances honteuses avec le capital transnational (en s’associant à des entreprises mixtes qui contrôlent les réserves pétrolières du pays), bureaucratiquement inefficace, structurellement infecté par la corruption, avec des orientations, des personnages et des actes que nous ne pouvons absolument pas cautionner.

Après avoir enquêté et réuni des preuves de ce que nous avancions, nous avons dénoncé le rôle joué dans la globalisation économique par le Venezuela, qui ne fait que fournir de manière sûre, économique et fiable les ressources énergétiques au marché mondial. Comme nul autre avant lui, ce gouvernement à la rhétorique nationaliste et gauchisante s’est montré des plus efficaces pour apprendre à la population à accepter sa soumission au commerce pétrolier mondial puis à remercier poliment pour les miettes reçues, alors que perdure une des répartitions des richesses les plus injustes du continent. C’est ainsi que les questions sociales et environnementales liées aux effets de l’exploitation des hydrocarbures et minéraux sont devenues des tabous politiquement incorrects. Le régime bolivarien a développé un appareil de propagande impressionnant pour vendre les soi-disant largesses de ses politiques sociales, mais les faits et la réalité concrète montrent bien que s’il y eu des progrès dans certains domaines et certains programmes gouvernementaux ponctuels – une bonne occasion pour l’État de revendiquer une prétendue légitimité dans le monde entier – la situation globale n’a vu aucune avancée significative. Pourtant, ces dix dernières années, le gouvernement a pu compter sur les revenus fiscaux et pétroliers les plus élevés de toute l’histoire du pays pour une période si courte, revenus qui sont allés engraisser la « bolibourgeoisie », i.e. la bourgeoisie bolivarienne élevée aux frais du pouvoir officiel. C’est tout cela que nous essayons de montrer dans notre publication, en nous efforçant de citer les sources et les données même du pouvoir officiel. Et pour illustrer l’aggravation de la crise chez celles et ceux « d’en bas » nous rappelons que le Venezuela détient un des plus forts taux d’homicides du continent, avec 14 000 victimes en 2008. Ceci en dit long sur l’extension du climat de violence qui reflète la désintégration de cette société, tendance qui se serait inversée, ou aurait du moins été contenue, si l’on avait expérimenté une forme de changement offrant de réels bénéfices pour la population.

– Le chavisme appelle à l’unité progressiste pour faire face au putschisme de l’oligarchie et à l’impérialisme. Que se passera-t-il s’il se crée, à cette occasion, une alliance stratégique et plus tard, une fois ces adversaires défaits, pourquoi ne pas tenter une révolution anarchiste ?

Pour ceux qui les intègrent, les alliances stratégiques servent à prendre le contrôle de l’État, alors que nous autres anarchistes cherchons plutôt à dissoudre l’État, avec la participation de toutes et tous. La défaite de ce que d’aucuns appellent la réaction et l’oligarchie (des termes qui sentent fort la propagande) ne servirait qu’à consolider le pouvoir des vainqueurs, lesquels formeraient une nouvelle oligarchie parce que ce c’est ainsi que le veut la logique du pouvoir d’État, comme cela s’est passé en URSS, en Chine ou à Cuba. Ceci rendrait difficile la révolution anarchiste et l’Espagne de 1936 en est d’ailleurs une illustration. De plus, il est inexact de définir le projet chaviste comme une opposition au putschisme, alors même que son ambition première a été de commettre un coup d’État militaire. Quant à la soi-disant bataille contre l’impérialisme, il suffit de jeter un oeil sur les politiques qu’ils envisagent et appliquent dans les domaines du pétrole, des mines, de l’agriculture, de l’industrie, ou dans le domaine du travail, etc., pour s’apercevoir qu’ils ne cherchent qu’à être les laquais de l’Empire et non ses ennemis (pour plus de détails sur les liens stratégiques entre le capital transnational et les intérêts impérialistes, voir les différents articles parus dans El Libertario).

- Le gouvernement vénézuélien déclare qu’il a rendu possible une explosion du pouvoir populaire, grâce à l’implantation massive et le transfert de pouvoir aux Conseils municipaux, aux organisations communautaires et horizontales de participation populaire. Les anarchistes soutiennent-ils ces structures de base ?

Tout dans l’instauration et le mode de fonctionnement des Conseils municipaux montre que leur existence et leur capacité d’action dépendent de leur loyauté à l’appareil gouvernemental, lequel assure ses arrières en laissant au Président la faculté juridique de donner ou non son aval aux dites organisations, entre autres mécanismes qui garantissent le contrôle officiel et sont relayés dans la législation correspondante. Tout ceci n’est pas une nouveauté au Venezuela, où d’innombrables groupements de base (syndicats en tête) ont toujours ressemblé aux tramways, alimentés par le haut. Certes, des tentatives d’organisation « de bas en haut » existent dans les quartiers, les milieux ouvriers, paysans, indigènes, écologistes, étudiants, culturels, etc., et sont loin de s’attirer la sympathie de l’officialisme. Selon nous, la soumission légale, fonctionnelle et financière des Conseils communaux au pouvoir de l’État est un sérieux obstacle à l’impulsion d’un mouvement autonome en leur sein. Et ceci vaut pour les Conseils de Travailleurs dans les entreprises, qui constituent eux aussi un bon moyen de fermer la porte à toute velléité de syndicalisme indépendant.

- Pourquoi les anarchistes critiquent-ils les Forces armées vénézuéliennes – qui clament haut et fort leurs racines populaires et nationalistes – et leur capacité à faire vivre un projet révolutionnaire ?

N’importe quelle armée moderne recrute le gros de ses troupes dans les classes populaires. Ceci dit, malgré l’origine sociale de la majorité des recrues, la raison d’être de l’armée est la défense d’une structure de pouvoir et de ses détenteurs, c’est pourquoi elle ne pourra jamais soutenir une révolution en faveur des opprimés. Au mieux, elle peut remplacer un personnage par un autre et changer quelques-unes des règles de la structure de pouvoir, mais certainement pas éliminer cette structure, puisque par essence elle prône l’ordre et l’obéissance. Voilà pourquoi nous ne soutenons aucune armée, ni aucune police, ni aucun de ces privilégiés qui pour protéger leurs prérogatives n’hésitent pas à utiliser la force et les armes contre d’autres personnes. Quant au nationalisme, ce n’est pas une position que l’anarchisme approuve, parce qu’il implique que l’on s’en tienne aux intérêts de certaines personnes, enfermées artificiellement par un État dans un territoire-nation et présumées différentes et supérieures aux autres. Nous sommes ennemi.es de tout type de privilèges, qu’ils proviennent de la naissance, de la race, de la culture, de la religion ou de l’origine géographique. Et nous tenons à ajouter, avec toute l’expérience que nous confère la vie quotidienne au Venezuela, que de nombreux exemples prouvent que la place énorme et privilégiée qu’occupent aujourd’hui les militaires dans le fonctionnement de la bureaucratie officielle n’a fait qu’accroître la corruption, l’inefficacité et l’ignorance qui étaient généralement déjà la norme dans l’appareil d’État vénézuélien.

— Le mouvement d’opposition à l´officialisme est-il aussi homogène que ses défenseurs le prétendent ? Y a-t-il des tendances différentes en lutte contre le gouvernement ? Quelle est la relation entre ces tendances ?

Incontestablement, en qualifiant en bloc l´opposition de « droite terroriste, laquais de l´impérialisme et contrôlée par la CIA », la propagande chaviste est fausse et calculatrice : bien qu´il y existe une frange de l’opposition proche de cette image, la situation est beaucoup plus hétérogène. L’opposition est fondée sur le modèle politique dominant avant 1999, avec des partis vieux et affaiblis comme AD (Acción Democrática, parti social-démocrate proche du PSOE espagnol) et le COPEI (Comité de Organización Política Electoral Independiente, parti démocrate-chrétien proche du PP), ainsi que d´autres formations idéologiques qui suivent la même ligne. On peut aussi y trouver des anciens partisans du gouvernement actuel – tels que les partis MAS (Movimiento al Socialismo) et PODEMOS (Por la Democracia Social) – dont la rupture avec le chavisme est liée à des ambitions bureaucratiques et de pouvoir insatisfaites plutôt qu´à de réels conflits politiques et idéologiques. Cette opposition socio-démocrate et de droite prétend se présenter – de même que le chavisme de son côté – comme la seule alternative possible, et circonscrire les problèmes du pays à la sphère politique électorale, car son seul intérêt est de s’emparer du pouvoir pour gérer à son gré les revenus pétroliers. Sa stratégie de propagande s’est avérée très efficace pour attirer les initiatives des citoyens de base sous son leadership : elle a su se vendre comme « le moindre mal » face à la menace autoritaire du gouvernement. En outre, il existe une partie de la population identifiée comme « ni-ni », car elle n´est d´accord ni avec le gouvernement, ni avec cette opposition. Ce groupe représente la minorité la plus importante du pays dans les sondages électoraux. Résultat : toutes les stratégies électorales visent à séduire les « ni-ni » au moyen d´une des offres concurrentes. Leur existence même prouve que malgré le choc annoncé entre bourgeois, le pays n´est pas divisé mécaniquement entre pro et anti-chavistes. Jamais El Libertario ne s´est défini comme une initiative « antichaviste ». D’ailleurs, nous dénonçons depuis 2002 la construction d´une fausse polarisation dans le but de saper l´autonomie des mouvements de base et de détourner leur dynamique de mobilisation à des fins électorales. El Libertario fait partie d’une constellation de groupes et d´organisations de la gauche anticapitaliste, encore dispersés et peu coordonnés, qui dénoncent avec la même intensité le gouvernement du président Chávez et ses concurrents de l’opposition médiatique. Mais, comme on s’en doute, l’existence de ces formes de contestation est dédaignée par ceux qui ont intérêt à ce que soit uniquement perçue l´existence de deux adversaires. Ces deux ou trois dernières années, on commence à reconnaître les signes de l’existence d´une autre alternative, qui lutte avec la base pour rompre avec l´électoralisme : petit à petit, l´expression des conflits sociaux fait entrevoir aux travailleuses/travailleurs, aux aborigènes, aux paysan.nes, aux étudiant.es, aux victimes de la violence institutionnelle et de la criminalité, aux sans-abri, etc. que la solution à leurs problèmes ne viendra pas de la bataille pour le pouvoir institutionnel, de même qu’elle n’est pas venue d’une décennie de soi-disant révolution, ni de 40 années de trompeuse démocratie représentative.

- Est-ce que les anarchistes vénézuéliens sont des « escuálidos » (des traîne-misère, surnom par lequel le chavisme fait allusion à ses opposants) et, par conséquent, soutiennent-ils l´opposition social-démocrate et de la droite ?

« Escuálido » est une dénomination purement médiatique, utilisée dans les milieux politiques officiels et si elle a des airs de slogan, elle ne sert qu’à exprimer le mépris. En tout cas, si le but est de désigner celles et ceux qui ne veulent pas renoncer à la liberté ni à l¨autonomie pour se soumettre au diktat autoritaire d´une personne, d’un parti, d’une idéologie, alors oui, nous sommes des escuálidos. Par contre, si l’on entend par là que nous soutenons des courants identifiés au libéralisme économique, avec tout ce que ça implique – un mépris quasi-raciste de l´élite envers les masses, l’escroquerie de la démocratie représentative ou le retour à des formes d´organisation sociopolitiques dépassées par l´Histoire – alors non, nous ne le sommes pas. Nous condamnons le régime de Chávez et ses opposants électoraux. Il peut nous arriver d’être en accord avec certaines actions et déclarations des uns et des autres, mais fondamentalement, nous condamnons la plupart de leurs actes et de leurs discours. Nous rejetons la frustration des espoirs des gens qui ont soutenu Chavez, mais nous refusons aussi de valider les manoeuvres de la bande de politiciens opportunistes qui servent d´opposition institutionnelle. Et surtout, pour des raisons de principes, nous ne pouvons pas soutenir quiconque conditionne la recherche d´une vie meilleure à la subordination des individu.es à la hiérarchie de l´État, tel que le prétendent les deux cliques.

-Quelles sont les initiatives et revendications portées par les libertaires vénézuélien.nes ?

Le mouvement anarchiste local est jeune, ses débuts correspondent pratiquement à ceux de la publication d’El Libertario. Par conséquent, au cours de ces années, nous avons dû faire face à l´autoritarisme du gouvernement et des partis d’opposition, puisque leurs projets sont à 1 000 lieues des nôtres. Nous avons été confrontés à d’énormes obstacles tant pour nous faire reconnaître comme alternative possible que pour nous implanter concrètement dans les luttes sociales, mais notre ténacité a fini par porter ses fruits. El Libertario en témoigne régulièrement, dans les plus récentes éditions notamment (beaucoup sont disponibles sur notre site internet), où l´on peut voir comment s’ouvrent de nouveaux espaces permettant de créer des liens prometteurs entre le militantisme anarchiste et les expressions les plus dynamiques de la mobilisation sociale actuelle au Venezuela. Nous cherchons à établir des ponts avec les conflits et revendications collectifs les plus sensibles, tout en encourageant l´autonomie des mouvements sociaux et en les accompagnant dans leur évolution. Aussi avons-nous développé des affinités et des projets avec différents mouvements et initiatives de masse et avec des groupes anticapitalistes, parmi lesquels le Comité des victimes contre l´impunité de Lara, la Maison de la femme « Juana la avanzadora », le groupe d´études « Peuple et conscience » de Maracay, l´Union Socialiste de Gauche et la tendance syndicale CCURA (Courant Classiste, Unitaire, Révolutionnaire et Autonome), le groupe Troisième voie de l´ex-guérillero Douglas Bravo, un certain nombre de syndicats du secteur public de la santé, des organisations de droits humains, des initiatives de jeunes et des groupes écologistes.

- Existe-t-il des tendances dans le mouvement libertaire vénézuélien ?

Le mouvement anarchiste au Venezuela est encore trop petit et trop jeune pour parler de tendances en termes qui puissent être compris en Europe. Ce qui est certain, c’est que les militant.es ont des objectifs d´action et des pensées variées, mais cela ne suffit pas à établir une différentiation pour séparer les un.es des autres. En outre, le fait même de développer une activité libertaire là où récemment il n´en existait pas et dans les circonstances que nous avons décrites a plutôt motivé le peu d’anarchistes que nous sommes à rester uni.es.

D’aucuns ont voulu présenter – en particulier pour l´extérieur- une division parmi les anarchistes locaux, à savoir d´un côté des « anarcho-chavistes » ou « anarchistes bolivariens », qui considèrent que le processus révolutionnaire actuel est source d’avancées pour la cause libertaire, et de l´autre des « anarcho-libéraux » ou « anarcho-dogmatiques », c´est-à-dire nous, qui ne reconnaissons pas ces avancées, de sorte qu’en nous opposant au gouvernement progressiste, nous jouons le jeu de l´impérialisme et de la droite. Et voilà comment on déforme d’une façon grotesque et calculatrice ce que nous disons à El Libertario. De toute évidence, une telle imposture à propos du Venezuela et des anarchistes locaux ne peut se fonder que sur l´ignorance, l’aveuglement, la mauvaise foi et la provocation. Il y a des gens qui à un certain moment ont été ou se sont estimés anarchistes, mais qui à présent se cachent derrière la soi-disant exception historique du cas vénézuélien pour renier ou dénaturer les principes libertaires de base, l´anti-autoritarisme et l´autogestion de l´idéal anarchiste. De fait, même si ces gens-là continuent à se présenter comme des anarchistes, il est évident qu´ils ne le sont plus. D’un autre côté, comme par hasard, la plupart de ces personnes sont fonctionnaires de l´État ou touchent des subventions publiques pour leur activité, ce qui fait douter de la solidité de leurs convictions libertaires. Pour nous qui avons fait un bilan des expériences similaires sur le continent, il est évident que l’on répète, à quelques excentricités près, ce qui s´est passé dans le Cuba de Castro ou l’Argentine de Perón, où le Pouvoir a essayé d’acheter et de diviser le mouvement anarchiste.

En tout cas, n’importe quel.le anarchiste au monde, pour peu qu’il/elle réfléchisse un peu, en restant cohérent avec l´idéal que nous défendons et avec un minimum d´information sur le cas du Venezuela, se rendra compte de l´absolue incongruité qu’il y a à se déclarer anarcho-chaviste ou anarcho-bolivarien, car c´est une contradiction aussi évidente que celle de se proclamer « anarcho-étatiste ». De plus, nous vous invitons à prendre connaissance non seulement des positions d’El Libertario, mais aussi de toutes les initiatives anticapitalistes qui dénoncent le chavisme pour son autoritarisme et son favoritisme envers les secteurs les plus agressifs de l´économie mondiale. Bien sûr, le mieux est encore de visiter le Venezuela pour découvrir la réalité qui se cache derrière le spectacle pseudo-révolutionnaire bolivarien.

- Ne risque-t-on pas, en décrivant ainsi ces défenseurs du régime chaviste, de tomber dans des accusations indignes de l´esprit antidogmatique de l´anarchisme ?

L´anarchisme n´est ni un état d´esprit ni une humeur. C´est une façon d´affronter les événements sociaux en cherchant le bien-être de chacun.e au sein du bien-être de toutes et tous, au moyen de propositions faites par des personnes réelles et discutées, adoptées ou refusées par les autres dans des circonstances spatio-temporelles déterminées. N’importe qui peut s´autoproclamer anarchiste, mais c’est l´interaction mutuelle avec les autres anarchistes qui nous situe et détermine si oui ou non nous appartenons au mouvement anarchiste, d´après nos pratiques et nos idées. Comme nous ne sommes pas parfait.e.s, il peut nous arriver d’adopter des conduites ou défendre des idées que le groupe n´accepte pas. Cela ne nous rend ni meilleur.es ni pires, même si parfois la divergence est telle qu’elle devient insurmontable pour les autres et qu’ils/elles ne nous reconnaissent plus comme des leurs.

– Avez-vous des relations avec d’autres anarchistes en Amérique latine et dans le reste du monde ?

Nous avons toujours été attentifs à élargir au maximum le contact avec les anarchistes hors Venezuela, en particulier avec nos compagnes et compagnons ibéro-américain.es. D’abord parce que notre expérience est plus récente et que nous voulons nous nourrir des itinéraires anarchistes passés et présents dans d’autres contextes ; mais aussi parce que nous aspirons à partager notre démarche, nos doutes et nos certitudes, nos succès et nos gaffes, et que pour cet échange, personne n’est mieux placé que les compagnes et compagnons ! Concrètement, on peut percevoir ce lien à travers la diffusion de notre publication, qui nous pousse vers l’avant et dont nous sommes fier.es de dire c’est le journal anarchiste latino-américain le plus largement distribué sur le continent : les 2 000 à 2 500 exemplaires de chaque édition ne touchent pas seulement le Venezuela mais sont régulièrement diffusés dans une douzaine d’autres pays au moins. Un autre fait significatif : notre site internet comptabilise plus de 160 000 visites, avec une moyenne journalière de 50 à 80 consultations. Si l’on ajoute enfin la multitude de liens personnels directs avec des libertaires de la planète entière, on voit que tout cela se traduit par un flux continu de relations et d’échanges avec le mouvement anarchiste international, ce qui est pour nous une source constante de défis et de satisfactions. – Quelle est la réaction du gouvernement face à des groupes et individu.es anarchistes qu’il ne parvient pas à contrôler ?

Même s’il n’existe pas encore de répression spécifique contre l’anarchisme, l’État vénézuélien cherche à contrôler et soumettre tout signe de dissidence radicale susceptible de remettre en question et de combattre les bases de l’actuel système de domination politique et économique. Cette politique n’est en rien différente de celles que peuvent mettre en place d’autres États dans le reste du monde, si ce n’est que le gouvernement vénézuélien avance masqué derrière une phraséologie de révolution, de socialisme et de pouvoir populaire. Par conséquent, dans la mesure où nous autres anarchistes sommes engagé.es dans les luttes sociales et encourageons leur développement autonome face au gouvernement autoritaire, nous sommes la cible de la même vague répressive qui s’abat aujourd’hui sur les mouvements populaires, parce que nous refusons d’accepter que seule la volonté du Commandant Chavez peut nous sauver. À ce propos, il est important de décrire la politique de criminalisation et de répression de la contestation sociale menée par le gouvernement actuel. En 2002 et 2004, fort de l’excuse du coup d’État, le gouvernement a modifié plusieurs lois comme le Code pénal et la Loi organique de Sûreté de la Nation, pour pénaliser le blocage de rues et l’organisation de grèves dans les entreprises dites de base (production d’énergie, etc.). Ce qu’on nous a vendu comme une « répression des putschistes » se retourne maintenant contre les communautés qui se mobilisent pour leurs droits. Selon des chiffres révélés par les syndicats, le mouvement paysan et les organisations pour les droits humains, il y a actuellement environ 1 200 personnes soumises au contrôle judiciaire pour avoir participé à des manifestations. D’un autre côté, le gouvernement n’a pas besoin d’organiser, en première instance, une répression directe contre les manifestations, car il dispose d’organisations paragouvernementales chargées, sous l’appellation de « pouvoir populaire », du harcèlement psychologique et de la rétention physique des contestataires au prétexte de « neutraliser le sabotage de la révolution », ce qui n’est pas sans rappeler les stratégies militaires utilisées dans d’autres pays. Si les manifestations continuent et se popularisent, alors l’État fait appel à la police et à l’armée, avec les résultats que l’on connaît dans le monde entier : une répression violente qui se solde tragiquement par des morts et des blessés. C’est ainsi par exemple que le 20 mars 2009 ils ont assassiné José Gregorio Hernández, un sans-abri, lors d’une expulsion dans l’état d’Anzoategui ou encore que le 30 avril 2009 ils ont abattu un étudiant, Yusban Ortega, à Mérida, pour ne citer que les cas les plus récents. Dans ce contexte, il s’agit pour le gouvernement de qualifier toute expression de la grogne sociale de « contre-révolutionnaire, soutenue par la CIA et l’impérialisme », stratégie qui, si elle s’est montrée très efficace par le passé, a désormais perdu de son efficacité : le citoyen ordinaire, surmontant sa peur, se décide à manifester pour améliorer ses conditions de vie.

- El Libertario a publié récemment plusieurs articles pour dénoncer la répression des syndicats par le gouvernement. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Le cas des ouvriers de Mitsubishi assassinés fin janvier 2009 par la police « socialiste et bolivarienne » du gouverneur chaviste dans l’état d’Anzoátegui, ou celui des trois syndicalistes massacrés dans l’état d’Aragua le 27 novembre 2008 dans des circonstances plutôt douteuses, sont présentés par la propagande gouvernementale – de même que d’autres exemples de répression – comme une exception indépendante de la volonté de l’État, ou comme la conséquence de provocations et/ou d’infiltrations visant à ternir l’image officielle. Mais, dans El Libertario, nous avons montré en détail qu’il s’agit en fait de l’application d’une politique dans laquelle s’est compromis l’actuel gouvernement vénézuélien – fidèle à ses origines putschistes et à l’orientation idéologique qu’il a été chercher dans la dictature des Castro à Cuba – politique qui, sous des allures de socialisme du XXIème siècle, cherche à imposer à la société un modèle de contrôle autoritaire, tant par le bâton que la carotte, ce qu’il fait en accord et avec la bénédiction de ses commanditaires du capital transnational. Aujourd’hui, avec la crise économique du capital global, les moyens de contrôle par la carotte se raréfient, même au Venezuela et malgré la richesse pétrolière, ce qui fait que rapidement tombe sur les opprimé.es « le bâton du peuple » que prédisait Bakounine comme inévitable recours de ces autoritaires qui se réclament de la gauche. Quant à la question précédente, nous rappelons la situation des « 14 de Sidor », un groupe de travailleurs qui, dans le cadre du contrôle judiciaire, sont jugés pour « appropriation indue qualifiée et atteinte à la liberté de travail » pour avoir protesté contre leurs conditions de travail, ce qui pourrait leur valoir une peine de 5 à 10 ans de prison. Pour plus d’informations, voir : http://www.nodo50.org/ellibertario/desc ... camila.doc. Sur ce point, il faut savoir que le gouvernement a essayé de construire artificiellement des centrales syndicales contrôlées par le parti au pouvoir, le PSUV (Partido Socialista Unido de Venezuela). Cette manoeuvre a aggravé la crise historique dans le secteur et renforcé la présence des « sindicaleros » (syndicalistes jaunes) qui vendent les droits des travailleurs aux patrons. Il y a de plus des bagarres entre syndicats pour la répartition des postes de travail, une « victoire » dans l’industrie pétrolière et le bâtiment, secteurs dans lesquels les syndicats contrôlent une grande partie des affectations des salariés. S’il est vrai que cette situation est antérieure au gouvernement Chávez, elle n’en est pas moins devenue dramatique du fait de la dégradation actuelle du syndicalisme – applaudie par le pouvoir – et c’est ainsi qu’en 2007, pas moins de 48 personnes, en majorité des syndicalistes, ont été assassinées lors de conflits liés à l’obtention d’emplois, chiffre qui est de 29 pour 2008. D’autre part, les déclarations présidentielles attaquant les organisations syndicales sont de notoriété publique, de même que les pressions sur les fonctionnaires pour les faire adhérer au PSUV et participer « volontairement » à des manifestations progouvernementales. Il est incroyable que le licenciement de personnes qui n’adhéraient pas à la vision politique officielle trouve une justification auprès de gens qui se disent « révolutionnaires ». Souvenez-vous de la publication du recensement des électeurs de l’opposition, la « Liste de Tascón » (en l’honneur du député qui l’a rendue publique), qui a servi à la discrimination systématique de quiconque se déclarait adversaire du gouvernement. La propagande officielle se vante d’offrir aux salariés vénézuéliens le salaire minimum le plus élevé du continent, mais elle oublie de dire que 18% de ces travailleurs gagnent moins du salaire minimum, et que 50% d’entre eux perçoivent entre un et moins de deux salaires minimums, dans un pays où l’inflation est la plus élevée du continent. Malgré cela, nous voyons aujourd’hui avec beaucoup d’espoir comment les travailleurs et travailleuses de différents secteurs se débarrassent de la peur d’être criminalisé.es et sortent dans la rue pour gagner leurs droits par la lutte.

– Selon certaines critiques, l’anarchisme donne des leçons mais n’apporte rien de constructif. Quelles sont les propositions d’El Libertario pour transformer positivement la réalité vénézuélienne ?

Notre lutte n’est liée ni à la conjoncture ni aux circonstances. Elle va dans le sens d’un nouveau mode de vie collective et individuelle, dans lequel l’action directe et l’autogestion nous amèneront à nous réapproprier notre existence, avec sincérité et honnêteté, en nous élevant par l’étude et le contact des autres, en reconnaissant que la liberté d’autrui étend la nôtre, en respectant l’égalité car les différences ne créent pas la supériorité, en gardant toujours à l’esprit que ce sont les autres qui rendent notre vie possible et que nous devons servir leurs intérêts en priorité pour pouvoir ainsi atteindre nos propres buts, buts auxquels il ne faut jamais renoncer si l’on aspire à vivre pleinement. Chacun.e vit sa vie et en est responsable devant elle/lui-même et devant les autres, mais le salut ne peut venir que de nous-mêmes. Nous n’avons pas de recette miracle : les propositions et actions révolutionnaires doivent résulter d’un effort collectif conscient et constant, auquel nous essayons d’apporter notre participation passionnée, en soutenant les mouvements sociaux dans leurs tentatives de réappropriation de l’autonomie, parce que cela créera l’espace nécessaire au développement et à l’influence des idées anarchistes de liberté et d’égalité dans la solidarité.

- Quelque chose à ajouter ?

Pour nous contacter, nous avons deux adresses :

ellibertario@nodo50.org et ellibertario@hotmail.com. De plus, nous invitons à nouveau les intéressé.es à visiter notre site à l’adresse http://www.nodo50.org/ellibertario. Nous vous remercions de l’opportunité que vous nous donnez de propager nos idées, car si nous sommes impliqué.es dans l’action autonome des opprimé.es et exploité.es au Venezuela, nous voulons aussi faire connaître leurs luttes sans les conditionner aux intérêts de pouvoir de l’État et du Capital. Nous appelons enfin celles et ceux qui liront cette interview à collaborer, s’ils/elles le souhaitent, à l’organisation du premier Salon du Livre et de la Vidéo Libertaires à Caracas : ils/elles peuvent nous contacter à l’adresse feriaa.caracas2009@gmail.com. Salud y Anarquía à toutes et tous !

[Vous trouverez d´autres textes en français dans la section “other languages” de http://www.nodo50.org/ellibertario]
barcelone36
 

Re: Vénézuela: El Libertario prend la parole

Messagede Nico37 » 23 Aoû 2009, 15:12

http://divergences.be/spip.php?article1092 Merengue vénézuélien Aux origines du « chavisme », entre caudillisme et mouvements sociaux

Le texte qui suit est la transcription d’une rencontre qui a eu lieu, en 03/2008, à Caracas avec Miguel et Isabel, membres du collectif de la revue El Libertario

Aux origines du « chavisme », entre caudillisme et mouvements sociaux

Charles Reeve : Nous sommes étonnés par la faiblesse du débat politique au Venezuela. Toute réflexion tourne autour du « processus chaviste ». Il est rare qu’on l’analyse dans la perspective plus large de la situation générale en Amérique latine, comme une forme spécifique des populismes de gauche. La caractérisation de la période actuelle, qui explique cette évolution, l’affaiblissement momentané du contrôle politique des Etats-Unis sur la région, est peu prise en compte. Or, l’évolution de l’espace politique du régime dépend, pour beaucoup, de l’évolution de facteurs externes, l’avenir de la politique nord-américaine, les transformations du régime cubain, enfin le cycle de la rente pétrolière.

Miguel : Aujourd’hui, on parle beaucoup d’un tournant de gauche en Amérique Latine. Il y a, en effet, plusieurs gouvernements élus qui se revendiquent des courants de gauche traditionnels. Pour nous, deux grandes tendances coexistent. D’un côté, il y a des gouvernements qui ont été portés au pouvoir à la suite de mouvements sociaux de grande ampleur, comme c’est le cas en Bolivie et au Brésil, pays qui ont une vieille tradition de luttes. Ailleurs, au Venezuela en particulier, ces gouvernements dits « de gauche », ne sont pas le produit de mouvements de la base. Ils proviennent d’une matrice culturelle liée au populisme latino-américain de type caudilliste. Pour nous, il est clair que tous ces gouvernements répondent à une situation de crise politique. Ainsi, il n’est pas possible de comprendre l’avènement du chavisme sans remonter au « caracazo »de 1989 — les émeutes à Caracas qui ont fait des milliers de morts. Le pacte qui existait entre les diverses forces politiques a alors été rompu et la société s’est trouvée au bord d’une crise de gouvernabilité. L’inquiétude était à son comble au sein de la classe dirigeante. D’autant plus que ces émeutes ont ouvert un cycle de luttes au sein de la société vénézuélienne, avec la naissance d’organisations de base indépendantes des vieux partis politiques de gauche. Ce que certains ont appelé la « nouvelle société civile », plutôt articulée sur le mouvement étudiant ou encore sur le mouvement des quartiers pauvres. Par exemple, le groupe des Droits Humains, avec qui je travaille, naît dans ces années là. Il en va de même des groupes écologistes et des groupes de femmes. Il s’agissait de gens qui, tout en s’identifiant aux idées de gauche, échappaient au contrôle des partis. De son côté, le mouvement ouvrier restait majoritairement dominé par la social-démocratie (le parti Acción Democrática), avec quelques franges contrôlées par des groupes de la gauche marxiste autoritaire. Au cours des années 90, il y a eu une forte effervescence dans la société vénézuélienne, les luttes populaires se sont structurées dans une opposition à A. Perez, le président social-démocrate responsable de la répression et des massacres de 1989. Cette effervescence a engendré d’énormes changements dans la société. Trois ans plus tard, en 1992, il y eut une tentative de coup militaire. C’est un événement récurrent dans l’histoire de ce pays où l’armée est souvent intervenue dans la vie politique. Malgré leur échec, ce sont ces militaires putschistes, Chavez en particulier, qui ont fini, quelques années plus tard, par récupérer tout le mouvement populaire de contestation. Le charisme de Chavez vient en partie du fait qu’il a su se mettre au diapason des mouvements populaires des années 90.

C’est ainsi que le mouvement de contestation, avec sa forte dynamique, s’est mis à la traîne de cette figure et est devenu la forme constituante d’une nouvelle situation institutionnelle.

Cela a été une intégration dialectique, car les militants les plus en vue de ces mouvements étaient aussi à la recherche d’une place dans les institutions ; à leurs yeux c’était indispensable pour faire passer leurs projets.

Cette « société civile » était jeune, à peine une dizaine d’années, et avait construit très peu d’espaces autonomes dans la société. Elle avait peu d’expérience en termes de pratique sociale concrète, de pratiques anti-autoritaires. Or, ce sont les cadres de cette nouvelle « société civile » qui se retrouvent, de façon inattendue, au pouvoir avec Chavez. Le chèque en blanc donné à Chavez est, en partie, le résultat de cette inexpérience, de cette absence de projet concret. C’est la reproduction d’une des matrices culturelles du pays. Si une révolution se définit, justement, par une rupture avec ces paradigmes, force est de constater que Chavez reproduit, lui, toute une tradition caudilliste, militariste et étatiste ancrée depuis toujours dans le pays. Plus encore, il a redonné vitalité à cette matrice culturelle.

Dès le début, une des caractéristiques du chavisme a été l’improvisation. Nous l’attribuons justement au manque d’expérience de la plupart des membres des mouvements de base ayant rejoint Chavez. Des individus qui n’avaient jamais organisé une petite coopérative, furent d’un seul coup, possédés par l’idée de « former des coopératives » et se retrouvèrent à la tête du Ministère des coopératives… lequel, du jour au lendemain, décréta la création de 200 000 coopératives dans tout le pays !

Le Venezuela est une société qui vit traditionnellement de la rente pétrolière. Les forces de gauche avaient toujours prétendu qu’il suffirait à l’Etat de prendre le contrôle de la production pétrolière pour que la distribution de ces revenus soit plus égalitaire… C’était l’idée que contrôler l’Etat, c’est contrôler le pétrole. Et selon une interprétation mécanique, une fois qu’on aurait le pétrole, tout allait être résolu. Volontarisme magique évidemment !

Je reviens à la faiblesse de l’analyse théorique des groupes de la « société civile » dont tu parlais. Il faut comprendre que, au Venezuela, on vit aujourd’hui une réédition du vieux schéma de gauche de l’époque de la guerre froide, fondé sur un affrontement entre le capitalisme et les pays socialistes. Grâce aux ressources pétrolières et à l’importance du pétrole dans l’économie mondiale, le gouvernement de Chavez se positionne aujourd’hui comme un des protagonistes actifs de cet affrontement. Or, si cet affrontement a bel et bien existé avant l’avènement du chavisme, depuis l’effondrement du mur de Berlin et du bloc de l’Est, les formes de domination impérialiste ne sont plus les mêmes. Tout se passe comme si le scénario avait changé sans que le chavisme s’en aperçoive ! Le régime tente d’apporter une réponse à un problème nouveau avec des schémas anciens. Aussi bien parmi les chavistes que dans les milieux de l’opposition, les interprétations théoriques restent celles de la guerre froide. Autrement dit, devant ce manque de pensée critique, de théorisation, de pratiques nouvelles et de nouvelles réflexions, on reprend les anciennes idées, les anciennes stratégies.

Chavez a ainsi crée l’ALBA, l’Alternative Bolivarienne pour l’Amérique Latine et les Caraïbes, nouvelle institution qui est censée bâtir de nouvelles relations entre les pays de l’Amérique latine, faisant contre-poids à la domination nord-américaine. Pour y parvenir, il propose une alliance avec la Russie, l’Iran ou la Chine… pays qui pour nous font partie de la dynamique capitaliste au niveau mondial. Bref, il y a, à l’usage externe, toute une propagande sur le rôle prépondérant du Venezuela chaviste dans une soi-disant nouvelle dynamique de « libération » anti-impérialiste. Comme si ce pays était l’avant-garde d’un processus de changement planétaire ! Toujours selon l’ancien modèle de la guerre froide, bloc contre bloc. Voilà l’image que ce gouvernement vend de lui-même à l’extérieur. Que cette image soit reprise par des compagnons en Europe ou ailleurs, eh bien cela nous attriste car cela veut dire qu’il ne voient pas au-delà du spectacle chaviste, ils ne voient pas les contradictions réelles de la situation.

Par le passé, au Venezuela, rarement les forces de gauche ont dépassé les 10 % lors des élections présidentielles. Au début des années 90, la gauche avait une maigre implantation sociale et faisait preuve d’une faiblesse d’élaboration théorique. Aujourd’hui, ces organisations se trouvent au pouvoir avec le chavisme et font tout ce qu’elles peuvent pour reprendre les positions qu’elles avaient perdues au fil des années. La construction du socialisme, la construction du pouvoir populaire, les rapports entre l’intervention de l’Etat et le marché, tous ces débats qui avaient été abandonnés dans les années 90, sont désormais repris par ceux qui se sont placés à l’intérieur de l’Etat. On peut constater, sur le plan mondial, au sein des groupes tiers-mondistes et anti-globalisation, que les apports théoriques provenant du Venezuela sont plus que modestes. Surtout en comparaison avec l’expérience argentine et brésilienne. Le seul apport est celui de la figure épique anti-impérialiste, Chavez — David contre Goliath. Finalement une figure bourgeoise. Et l’élaboration théorique est pratiquement nulle.

Enfin, j’insisterais sur le fait que, en reprenant la carte de l’activité politique à Caracas, on constate que les expériences collectives qui se sont renforcées pendant le régime, sont précisément celles qui existaient déjà avant l’arrivée de Chavez au pouvoir ! Lesquelles avaient déjà une histoire. C’est le cas, par exemple, des mobilisations du quartier « 23 janvier » à Caracas [1], où existaient un grand nombre de comités actifs depuis 1989. Ces mouvements, dont l’action est mise au crédit du chavisme, n’ont fait que poursuivre leur propre dynamique antérieure.

Le « chavisme » comme auberge espagnole.

C. R. : Parlons de la propagande et de la lutte idéologique, de son importance pour le régime chaviste. Il est banal de remarquer le rôle joué par les groupes gauchistes dans ce projet. Plus original est de découvrir dans la nouvelle nomenklatura chaviste des individus comme Barreto, l’universitaire connu localement qui est actuellement maire de Caracas. Voilà un homme qui a invité Negri à Caracas, qui parle de « biopolitique », qui se réclame de Foucault et qui développe d’obscures théories « post-modernes ». Il utilise une rhétorique post-gauchiste pour accomplir finalement des tâches bureaucratiques classiques. C’est la vaste confusion à laquelle participe Chavez, notre homme citant à tout va, Trotski, Chomsky et autres … Plus insolite encore, il y a la présence d’un homme comme E. Rothe, qui a écrit dans l’Internationale Situationniste [2] , et qui est aujourd’hui le deuxième personnage du ministère de l’Information/propagande.

M. : Une des caractéristiques du populisme sud-américain est son idéologie fumeuse ! Quel est le contenu du « proceso bolivariano » ? C’est le plus grand vide ! En réalité, tout le « processus » tourne autour du culte de la personnalité de Chavez. Quand nous discutons avec des camarades à l’étranger, nous soulignons toujours deux choses. D’une part, combien il est simpliste de voir le chavisme comme la gauche et l’opposition comme la droite. C’est la meilleure manière de ne rien comprendre ! Ensuite, il faut bien tenir compte du contexte économique : le Venezuela vit une des périodes les plus fastes des dernières trente années, si on se réfère au montant de la rente pétrolière. Il faut revenir aux années 70, lors de la nationalisation du pétrole par la social-démocratie, pour trouver une période économique si favorable au régime. Il faut également savoir que la structure de commandement des forces armées au Venezuela, institution d’où sont issu Chavez et la majorité des hauts cadres du régime actuel, est relativement interclassiste, au contraire de la plupart des pays latino-américains. Les forces armées ont permis une certaine ascension sociale, et l’accès à la carrière militaire par des individus issus des classes populaires a été une des façons de redistribuer la rente pétrolière. Cela étant, l’armée Vénézuelienne avait été formé dans les années de la guerre froide et jusqu’à très récemment, à l’école nord-américaine de la lutte anti-subversive. Les forces armées furent responsables du massacre de 1989. Je veux souligner par là qu’il n’y avait absolument pas, dans cette institution, la moindre dynamique de gauche. Il y a au sein de l’armée des secteurs conservateurs, des secteurs plus nationalistes et d’autres qui sont les deux à la fois. On y trouve des militaires qui sont proches du parti communiste et des autres partis de gauche, comme le parti « Patria para Todos ». Mais beaucoup de ceux qui sont à l’origine du mouvement autour de Chavez, qui se retrouvent aujourd’hui dans son nouveau Parti socialiste unifié vénézuélien, viennent du vieux courant social-démocrate. Donc, dans ce front confus, le facteur d’unification est la figure du président, le chef ! Et puis, de 2002 à 2004, ce courant s’est consolidé face à ses ennemis, contre la menace de coups anti-chavistes et d’une intervention éventuelle des Etats-Unis. Par contre, à partir de 2004, c’est le calendrier électoral qui a régler la mobilisation des forces politiques, chavistes et anti-chavistes. Le but premier était alors de conquérir des voix. Dans cette perspective, les grandes divergences internes au camp chaviste ont été mises en sourdine pour assurer un front commun contre l’ennemi.

Il semble que cette deuxième période se termine avec les mauvais résultats du 2 décembre 2007, où Chavez a perdu le référendum sur la réforme de la constitution. Le charme et le mythe de l’invulnérabilité du personnage en ont pris un coup et, depuis lors, on voit beaucoup plus clairement apparaître des tendances au sein du chavisme. Chavez, de son côté , est assez fin pour redonner vie, dans ses discours, à l’imagerie symbolique de la gauche vénézuélienne. Pour cela, il peut compter sur l’appui d’individus qui par le passé se sont engagés dans les expériences de guérilla ou autres. Ce qui légitime son discours comme discours de gauche, de rupture, anti-conformiste. On voit ainsi défiler sur la scène du chavisme toute une série de personnages de la vieille gauche, et certains de la nouvelle gauche. On parlait de l’ex situationniste E. Rothe, mais il y en a d’autres… Comme cet ancien chef guérillero devenu PDG de la compagnie nationale du pétrole, la PDV…

Je ne réduirais pas tout à une attitude d’opportunisme politique. Il y a aussi une intention de conquérir des espaces à l’intérieur d’un mouvement confus et contradictoire, afin d’affirmer son propre projet.

Isabel : Le cas de Barreto, l’actuel maire de Caracas est exemplaire. Barreto est quelqu’un qui a développé son espace politique d’abord à l’intérieur de l’université, à partir d’analyses théoriques fondées sur ce qu’ils appellent la « post-modernité ». Il est important de rappeler que le chavisme n’a jamais été un mouvement monolithique, mais un mouvement qui s’est adapté aux circonstances et dont les soutiens ont également changé selon ces circonstances. C’est là aussi sa vitalité. Une chose, c’est le chavisme du premier coup militaire avorté, une autre le chavisme qui gagne les élections, une autre celui qui survit au coup anti-chaviste de 2002. Actuellement nous vivons encore une situation de mutation du régime. En 2002, au moment du coup anti-chaviste, nombreux sont les secteurs militants et politiques qui ont intégré directement la structure institutionnelle de l’Etat. Jusque là, Chavez ne s’était pas revendiqué comme socialiste, marxiste, marxiste-léniniste, que sais-je ?... Pendant toutes ces années, il proposait un projet social assez différent des projets de gauche traditionnels.

C.R. : Veux-tu suggérer que le chavisme est un espace de confusion idéologique, une sorte d’ « auberge espagnole » où cohabitent des courants divers, où chaque tendance ou clan cherche à conquérir un espace pour faire passer ses idées ?

I. : On peut le caractériser ainsi. Jusqu’aux résultats du référendum de 2007, ils sont restés unis pour se protéger contre l’ennemi commun. Depuis cette date, il y a pour la première fois, de profondes dissensions qui se manifestent ouvertement…

M. : Je répète, dans le passé, au Venezuela, les groupes de gauche ont rarement eu du pouvoir et ont toujours manqué d’une « tribune de masse ». Or, tout d’un coup, ils vivent une situation où on parle de « socialisme », où il y a une figure charismatique capable de « mobiliser le peuple ». Ces politiciens de gauche se trouvent actuellement à l’unisson de ces mobilisations. Ils font partie du pouvoir et ils ont une tribune populaire qui leur est offerte par Chavez. Pour ces groupes, ce changement est vécu comme un « acquis ». Alors, il n’est pas question de quitter « le processus » ! On s’y accroche et on continue à tout justifier au nom de telle ou telle tactique. Il ne faut surtout pas perdre la tribune que le régime leur offre. Ces groupes sont prêts à tout, à tout justifier, à tout légitimer.

Le « chavisme » et le modèle néolibéral.

I. : Au-delà de ce lien direct entre des groupes de la gauche traditionnelle et le chavisme, il y a autre chose qui le caractérise. Ce régime poursuit un projet qui s’intègre dans la situation internationale actuelle, qui est en accord avec les projets internationaux de domination capitaliste. Je m’explique. Il est aujourd’hui plus facile d’appliquer des pratiques néolibérales capitalistes dans un pays avec un pouvoir de gauche, qui tient un discours et avance des revendications populistes, sans que cela provoque de réactions vives de la part des travailleurs. Pour nous, c’est là le rôle principal du chavisme. Attention, je ne dis pas que toutes les personnes et groupes qui appuient Chavez en sont conscients. Je le répète, le chavisme n’a pas un soutien homogène. Il y a ceux qui pensent que le régime fait ce qu’il peut pour améliorer le sort des gens… Il y en a même qui sont convaincus qu’on vit aujourd’hui une opportunité unique de « construire le socialisme ». Nous pensons, nous, que cette fonction néolibérale est visible dans la politique pétrolière et commerciale, dans toute la politique économique du régime. Le discours manipulateur populiste recouvre une pratique concrète qui donne toutes les facilités à l’implantation du modèle néolibéral. Comme jamais cela s’est fait jusqu’à maintenant dans ce pays.

C.R. : Le chavisme comme fer de lance de la politique néolibérale, voilà une analyse originale ! De ce point de vue, peut-on discerner la montée, la constitution, d’un nouveau secteur privé issu de la période chaviste, lequel prendrait pied sur les nouveaux circuits clientélistes et de corruption économique ?

I. : C’est évident ! Au Venezuela, ces circuits font, depuis toujours, partie du fonctionnement de la société. Au départ, le chavisme a prétendu rompre avec ce fonctionnement. En réalité, il y a eu un simple changement dans la structure bureaucratique mais la corruption et le clientélisme se perpétuent. Il y a peu d’études sur ces questions mais, de façon empirique, on peut affirmer que c’est visible, dans le secteur pétrolier et financier, ainsi que dans les secteurs où le gouvernement a mis ses plans en application. Dans le secteur coopératif, par exemple, des clans se sont clairement appropriés des projets pour construire des centres de pouvoir économique dont ils tirent un profit personnel.

C.R. : Quelle est sa place de la caste militaire dans cette nouvelle structure du pouvoir économique ? Est-ce qu’elle contrôle directement des entreprises privées ?

I. : La quasi-totalité des ministères sont sous le contrôle de la bureaucratie militaire.

M. : Plusieurs aspects doivent être soulignés. Au Venezuela, vu l’importance de la rente pétrolière dans l’économie, l’Etat a toujours subventionné les entreprises privées, comme une forme de capitalisme mixte. Depuis toujours, les grands patrons qui ont émergé ont été liés à l’Etat. Dans le cadre du capitalisme mondial, le Venezuela a joué son rôle de producteur de pétrole à un prix relativement bas. Avec les transformations actuelles, les entrepreneurs vénézuéliens qui occupaient les secteurs traditionnels, services et production de marchandises, ont été peu à peu marginalisés par des entrepreneurs plus liés aux secteurs modernes des communications, des transports et de la finance. Ces modifications internes sont liées aux évolutions du capitalisme mondial. Tout se passe comme si le nouvel Etat chaviste avait installé une nouvelle caste capitaliste dont le rôle est de légitimer la place du secteur pétrolier au centre de l’économie.

Depuis toujours, les membres de la haute bureaucratie militaire finissaient leurs carrières dans le secteur privé, comme propriétaires terriens ou chefs d’entreprises. Aujourd’hui, leur rôle économique s’est accru : les militaires sont présents à tous les niveaux de l’appareil d’Etat. Chavez compte avant tout sur la bureaucratie militaire, à laquelle il fait confiance et qui est censée être plus efficace pour gérer l’économie. C’est une bureaucratie qui est bien installée et qui bénéficie de privilèges matériels et financiers notables, de bonnes conditions de vie. Qui plus est, elle bénéficie d’une totale impunité judiciaire.

I. : La population vénézuélienne a toujours vu d’un bon œil l’intégration de ses enfants dans la carrière militaire comme perspective d’intégration sociale. C’est pourquoi le gouvernement parle des « militaires qui font partie du peuple ». Mais c’est totalement démagogique et faux : quand tu fais une carrière militaire, tu t’éloignes du peuple.

La corruption au secours de l’image du « chef ».

C.R. : Revenons à la question de la corruption. Dans les milieux populaires, l’explication récurrente des échecs du régime est celle de la corruption, comme s’il s’agissait d’un simple dysfonctionnement. Or, d’un côté, la corruption fait partie du fonctionnement « normal » du capitalisme. Il n’y a pas de capitalisme sans corruption et c’est grâce à la corruption que les classes capitalistes se sont constituées et renforcées. L’histoire du capitalisme nord-américain en est exemplaire. Ne serait-ce pas une façon idéologique d’occulter ce dont tu parlais : la mise en oeuvre d’un modèle néolibéral, que les gens ont tendance à percevoir comme un dysfonctionnement ?

I. : Cette explication a l’avantage de préserver l’image du chef : Chavez est un bon chef, sauf qu’il est entouré de mauvais, de corrompus. C’est un mensonge, cela va de soit, mais c’est un mensonge utile, qui sert à protéger l’image populiste du régime, le lien affectif avec le Chef. Les choses seraient différentes si les travailleurs avaient un lien plus direct avec leur propre vie et étaient plus conscients de leurs droits. Au contraire, cette constante plainte au sujet de la corruption exprime une relation ambiguë : on s’adresse au gouvernement, on reconnaît le gouvernement, car, tout compte fait, on compte sur le gouvernement pour résoudre ses problèmes. L’idée de la corruption sert le régime.

Je prends l’exemple de la vie dans les quartiers. Tout le processus soi-disant « socialiste » n’a pas entraîné une augmentation notable de la solidarité, de l’entraide et de la coopération entre les gens. Au contraire ! Si l’on vit mal dans un quartier, on cherche à déménager dans un quartier moins dégradé. En général, on ne cherche pas à améliorer les conditions dans lesquelles on vit, à répondre à ses propres nécessités. On n’envisage pas du tout de solution collective des problèmes. La solution, c’est toujours LE gouvernement. L’idée de corruption trouve sa place dans ce vide de l’activité autonome des gens. Malheureusement c’est comme ça.

La propagande et la réalité.

C.R. : Il n’est pas facile de comparer la situation du Brésil avec celle du Venezuela. Le populisme du Parti des Travailleurs et celui du chavisme sont différents. L’histoire du PT est celle d’un parti socialiste de type classique, issu d’un mouvement ouvrier puissant, dont les cadres ont été absorbés dans l’appareil d’Etat. L’histoire du chavisme est, comme vous l’avez rappelé, plutôt liée à un processus de révolte militaire qui a répondu aux fortes émeutes populaires de 1989.

Je reprends ici la thèse de certains de mes amis au Brésil. Ils défendent que l’arrivée du PT au pouvoir n’a pas été un aboutissement politique des luttes sociales mais, au contraire, a parachevé un long processus d’écrasement des courants d’autonomie dans ces luttes par la bureaucratie du PT et des syndicats. La victoire du a été fut la forme politique de la normalisation d’un mouvement social radical.

Il y a, chez celles et ceux qui soutiennent — « de façon critique », disent-ils — les régimes populistes (le chavisme en particulier), l’idée que toute amélioration des conditions de vie constitue un facteur positif pour l’avenir des luttes, et que c’est pour cela qu’il faut soutenir ces régimes. Or ce que vous défendez, c’est justement le contraire. Vous dites que l’institutionnalisation des mouvements populaires va dans le sens de leur affaiblissement. Tout d’abord, cela les rend dépendants de l’Etat. On ne voit pas l‘apparition de valeurs nouvelles dans la pratique et la mentalité populaires, mais on constate plutôt un renforcement des valeurs de délégation, de résignation, d’individualisme et d’atomisation. C’est aussi visible au Brésil, où l’instauration du système d’aide aux pauvres (« Bolsa Familia ») a placé des millions de prolétaires dans la dépendance d’une somme misérable attribuée mensuellement par le gouvernement et distribuée individuellement par le système bancaire. Ce qui a produit une individualisation et une atomisation. Dans ces systèmes d’aide, les valeurs de solidarité ne se développent pas, elles disparaissent.

Comment considérez-vous l’argument « malgré tout, ces régimes sont mieux que les anciens » ?

I. : Il faudrait que se développent les formes de solidarité à l’intérieur des communautés de travailleurs à partir de leurs propres revendications. Or, tout se fait en partant de l’agenda imposée par l’Etat ; on ne répond pas aux besoins collectifs mais à ceux qui sont déterminés d’en haut. Prenons l’exemple des organisations dites de base dont le régime parle tant et qui sont souvent présentées comme le « le pouvoir populaire » ou encore le « cinquième pouvoir ». Ces organisations sont toujours restées dépendantes de l’Etat. Alors que, après « El caracazo » de 1989, on avait vu apparaître une tendance à l’autonomie dans les organisations de base. Nous l’avons déjà dit, ce sont justement ces organisations qui se sont incorporées au nouvel Etat et sont devenues le véhicule du projet chaviste. Elles ont abandonné leur rôle autonome pour renforcer un gouvernement dit révolutionnaire, avec un discours de légitimation : « C’est maintenant que les choses vont avancer ! ». Tout cela exprime de nombreux manques. Les gens doivent comprendre qu’ils peuvent s’organiser de façon indépendante de l’Etat. Mais il y a une énorme polarisation politique qui domine toutes les actions et pratiques : on est avec le chavisme ou on est contre. Les organisations de base chavistes font face à celles de l’opposition. Les récents conseils communaux doivent, en principe, représenter les communautés dont ils sont les élus. Mais, dans la réalité, il y a ceux qui sont chavistes et où il n’y a pas de place pour des critiques et ceux qui sont anti-chavistes où les chavistes ne sont pas acceptés. La forme de ces conseils est déterminée par l’Etat. Où sont passées les nécessités réelles, concrètes, des collectivités ?

M. : Pour ma part, je ne crains pas d’affirmer que les conditions de vie ne se sont pas améliorées ; les gens vivent de plus en plus mal. Il y a un discours qui ne correspond pas à la réalité. Et pourtant, le Venezuela a actuellement le PIB per capita le plus élevé d’Amérique latine, chiffre comparable a celui de certains pays européens. Les classes populaires vivent en fonction des aides du gouvernement. Bien sûr, l’existence de centres de santé dans les quartiers, c’est un fait positif… lorsqu’ils fonctionnent. Pourtant, dans ce pays, la condition des femmes pauvres, leurs conditions d’accouchement en particulier, restent précaires, se dégradent. Le système de santé publique est dans un état désastreux. Les prisons vénézueliennes reproduisent la violence sociale à un point qui les placent parmi les plus violentes du continent. Pour la seule année 2007, il y eu 427 morts à l’intérieur des prisons pour une population carcérale de 20 000 personnes. L’aggravation des problèmes sociaux traduit un processus de décomposition sociale qui n’est nullement inversé par le fameux « processus révolutionnaire », lequel a, au contraire, renforcé les valeurs individualistes. On nous explique qu’on est en train de construire « le socialisme du XXIe siècle », et l’on assiste à une augmentation du nombre des centres commerciaux. Ces dernières années, la vente de voitures de luxe n’a jamais été si forte… Pour dire que tout cela traduit l’épanouissement de valeurs qui n’ont rien à voir avec ce que le socialisme a revendiqué au cours de son histoire. En conclusion, nous disons qu’il y a un discours, une propagande qui ne correspondent pas aux résultats concrets, lesquels sont sans rapport avec les moyens réellement mis en œuvre. Le gouvernement de Chavez a d’énormes moyens financiers qui lui sont fournis par la rente pétrolière, il a aussi un capital politique fort. Alors, pour expliquer la pauvreté des résultats, le discours officiel n’a qu’un mot à la bouche, l’impérialisme…

I. : Il faut voir les choses au-delà du régime actuel. Ce qui est en cause, ce sont les habitudes de vie et de consommation dans un pays qui vit, depuis des années, de la rente pétrolière. Le Venezuela est une société où l’aliénation marchande est très forte, le pays de l’Amérique latine qui possède le plus de téléphones portables, où la consommation de cosmétiques est une des plus importantes et ainsi de suite... Et c’est l’accès à la possession de ces biens de consommation qui donne aux gens l’image d’une amélioration du niveau de vie. La qualité de l’alimentation, de la santé, de l’éducation, la situation écologique, ce sont des besoins qui ne rentrent pas dans cette vision des choses.

M. : La situation à Caracas en est un bon exemple. La dégradation et la perte de l’espace publique, la déchéance des relations sociales, la violence quotidienne, la décadence des transports publics sont loin de correspondre aux possibilités matérielles de la capitale d’un pays pétrolier.

C.R. : C’est comme si la classe capitaliste s’appropriait l’essentiel des revenus pétroliers sans s’intéresser le moins du monde à la préservation des intérêts généraux de la société. Sur ce plan, il y a une continuité sans faille entre les régimes du passé et le chavisme.

M. : Exactement ! Pour nous, rien d’essentiel n’a changé. Dans les milieux de la classe dirigeante, il y a des gens qui ont rompu avec le nouveau pouvoir politique, d’autres qui le soutiennent. Aujourd’hui, l’exemple le plus flagrant est celui de G. Cisneros. C’est un des grands capitalistes vénézuéliens modernes, un homme impliqué dans les affaires du marché mondial, un « entrepreneur global ». Il gère la concession vénézuelienne de Coca Cola et investit dans le secteur des communications. Cet homme mène toujours ses affaires, tout en gardant d’excellents rapports avec le gouvernement actuel envers lequel il a une attitude conciliatrice et même élogieuse. « L’argent n’a pas d’idéologie », dit-il !

Les coopératives au service de la précarisation du travail.

C.R. : Parlons du mouvement des coopératives. Un ami vénézuélien disait que le mouvement officiel des coopératives revenait finalement à une sorte d’institutionnalisation de la précarité du travail et du travail au noir. Il mentionnait la grève récente (2007) des éboueurs d’une zone de Caracas, au cours de laquelle les grévistes ont demandé l’intervention de Barreto, le maire — celui qui cite Foulcaut et a invité T. Negri. Le maire leur a répondu qu’il ne pouvait rien faire car ils avaient accepté de transformer l’ancienne entreprise en coopérative. Ce qui veut dire qu’ils n’avaient plus de convention collective, étant considérés comme travailleurs associés de la coopérative au même titre que les administrateurs !

M. : Pour nous, une coopérative est une initiative de la base. Pour le chavisme, au contraire, les entreprises de ce qu’ils appellent maintenant « le secteur de l’économie social » doivent fonctionner sous la forme de coopératives et avec l’aide de l’Etat. Dans beaucoup de secteurs, la loi oblige désormais l’Etat à passer en priorité des contrats avec « les coopératives » plutôt qu’avec des entreprises privées. Du jour au lendemain, de nombreux malins — des gens qui étaient totalement étrangers à l’esprit et à la pratique du coopérativisme - ont commencé à organiser des coopératives afin d’obtenir des contrats avec les administrations officielles. C’est le cas de l’entreprise de voirie dont tu parles. Une entreprise privée s’est ainsi transformée en coopérative pour avoir un contrat et, du coup, les travailleurs ont perdu tous leurs droits et avantages sociaux. Ils ont désormais des contrats de trois mois, renouvelables, de telle sorte que « le coopérativiste » (en fait c’est le nouveau nom donné au patron !) n’a envers eux aucun engagement. Grâce à ce mensonge, on a pu parler de l’existence, en peu de mois, de 200 000 coopératives… Tout cela dans un but de propagande montrant que la société change. Or tout cela est artificiel, créé par décret.

I. : J’ajouterais que, après la grève des pétroliers, le gouvernement a compris qu’il fallait contrôler le monde du travail. Dans un premier temps, on a expliqué que l’Etat allait créer une nouvelle forme solidaire d’organisation, où tous les travailleurs bénéficieraient des mêmes avantages. Ce furent les coopératives ! Du coup, le gouvernement a résilié les contrats de services (nettoyage en particulier) qu’il avait avec des entreprises privées, lesquelles payaient aux travailleurs les avantages sociaux prévus par la loi. Les travailleurs ont été licenciés et ont été obligés de trouver du travail temporaire en se soumettant à ces coopératives qui traitent désormais avec l’Etat. Et ils ont perdu ainsi les avantages et les droits sociaux qu’ils avaient (en théorie du moins) auparavant. De plus, beaucoup de ces coopératives disparaissent aussi vite qu’elles se sont formées. On assiste ainsi, ton ami a raison de le souligner, à une précarisation du travail.

La pression politique sur les lieux de travail

M. : Tout cela est à intégrer dans une tendance plus large qui est celle de la flexibilisation et la précarisation des conditions de travail dans le pays. Le discours officiel récurrent sur les syndicats fait partie du même projet. Le gouvernement ne cesse de souligner la nécessité d’intégrer les syndicats aux nouvelles structures des partis.

Au Venezuela, l’Etat est un des principaux employeurs. Or, depuis plus de six ans, 425 conventions collectives de travailleurs du secteur public sont en attente de renégociation !? Voilà donc un gouvernement dit socialiste, dit révolutionnaire, qui refuse de négocier les conventions collectives de ses propres travailleurs. Les revendications sociales de ces travailleurs, ils s’en foutent ! Et on parle là de secteurs fondamentaux pour le fonctionnement de l’Etat : les services hospitaliers, les pompiers. A cela s’ajoute le fait que le régime a poussé à l’extrême ce qui a toujours existé, l’allégeance des travailleurs du secteur public au régime. Si tu ne montres pas de sympathies chavistes, non seulement tu n’est pas embauché, mais aussi tu peux perdre ton travail. Le référendum de 2004 pour la révocation du président a été obtenu à la suite d’une pétition nationale, ce qui est un droit constitutionnel. Trente pour cent des électeurs inscrits peuvent faire une demande de référendum. Les gens de l’opposition ont fait le travail de recueillir les signatures. Ces signatures, on ne sait pas comment, ont été publiées dans sur Internet : « Voici les personnes qui ont signé contre Chavez » ? ! Ce qui était d’ordre privé et confidentiel est ainsi devenu public. Et c’est sur la base de cette liste que de nombreux licenciements ont été faits par la suite et que les gens ont été victimes lieu de nombreuses tracasseries administratives. Voilà une sale affaire sur laquelle la gauche internationale a fait le silence ! De 2002 à 2004, la polarisation dans la société a été à son comble. Tu allais dans un service public pour régler une affaire bureaucratique, refaire des papiers, on te posait la question : « Vous avez signé ? », sous-entendu, signé contre Chavez ! Comme je ne suis même pas inscrit sur les listes électorales, je suis passé au travers…

Certes, dans toutes les sociétés, il y a de la discrimination politique, mais au Venezuela, c’est vraiment scandaleux. Si tu veux travailler dans un service public, tu dois absolument apporter la preuve de ta sympathie envers le régime. Un autre aspect sur lequel on a de plus en plus d’échos, c’est l’obligation faite aux fonctionnaires publics de participer aux grandes manifestations de soutien au « Président », parfois le week-end, comme si c’était du temps de travail.

I. : J’ajoute un exemple concret. Il y a quelques mois, le président de l’Institut de défense du consommateur, l’INDECO a publiquement déclaré que si un supermarché refusait de vendre des produits en prétextant des raisons d’inventaire, cela cachait en fait des pratiques d’accaparement. Ce qui était un mensonge car il y a une réelle rareté de marchandises. Là-dessus, il a été remplacé par un représentant de la ligne la plus dure du chavisme. Cet individu a déjà eu d’autres postes dans des ministères et partout il a fait le ménage, c’est un épurateur ! Une fois à l’INDECO, il a recommencé, les directeurs de services, des gens pourtant plutôt chavistes, ont été virés de leurs bureaux par de gros bras et n’ont pu emporter que leurs affaires personnelles. Ma sœur travaille dans cet institut. N’étant pas chaviste, elle n’avait pourtant jamais eu de problèmes au travail. Or, dans la foulée de cette reprise en main de l’institution, on l’a obligée, ainsi que ses collègues, à participer à la marche du 27 février 2007, en soutien à Chavez. La pression est devenue tellement insupportable que ma sœur a fini par démissionner.

C.R. : Penses-tu que ce durcissement du régime et cette obsession du contrôle total traduit, en négatif, l’affaiblissement de sa popularité ? Les problèmes augmentent et il trouve des réponses chaque fois plus bureaucratiques.

I. : Oui, ce nettoyage est justifié au nom de la paranoïa chaviste du coup à venir et se traduit par l’affirmation de tendances totalitaires.

Le renouveau des luttes sociales sous le chavisme.

C.R. : Au cours des premiers mois de 2008, on a vu se développer des luttes ouvrières au Venezuela, dans des secteurs aussi divers que les hôpitaux et la sidérurgie. Dans une société extrêmement polarisée, entre pro et anti-chavistes, le mouvement syndical se présente fortement divisé, entre les vieux syndicats d’obédiance social-démocrate anti-chaviste, les nouveaux syndicats chavistes et d’autres plus indépendants politiquement, comme celui des métallurgistes. Dans les circonstances actuelles, toute lutte tend à être cataloguée comme manipulée. La récente menace de grève dans la sidérurgie a été immédiatement cataloguée par le ministre du travail comme « manipulée par l’opposition ». Quelle est la marge d’autonomie possible pour une lutte aujourd’hui ?

M. : Nous considérons que le résultat du référendum du 2 décembre 2007 est un fait marquant qui constitue un tournant. Ce jour-là, le gouvernement chaviste a annoncé le début d’un processus d’autocritique. Par rapport à ce qu’on avait vécu précédemment, nous nous sommes dit, « voilà quelque chose de positif ! ». Mais l’intention n’a pas été suivie d’effets ! Depuis des années, nous vivons au rythme de l’agenda électoral. On s’est dit que le résultat du référendum allait peut-être entraîner un mouvement de contestation, il y avait au moins une chance pour que les mouvements sociaux reprennent leur propre dynamique, leurs espaces et leurs projets. Il nous est indifférent que les personnes soient chavistes ou de l’opposition, nous savons que l’Etat n’est pas en mesure de satisfaire les revendications des luttes et que l’espace de l’action autonome va s’élargir.

En 2007, pour la Journée de la femme, les organisations chavistes de femmes se sont mobilisées contre l’impérialisme ! Quel était le rapport avec les revendications concernant la condition des femmes ici : les aides à la maternité, les conditions sanitaires, les problèmes de la violence familiale ? De même, le mouvement étudiant qui éclate, aussi en 2007, contre la fermeture d’une chaîne TV va se montrer incapable de formuler des revendications propres. De leur côté, les étudiants chavistes se sont aussi mobilisés, cette fois-là en faveur de la fermeture. Soit ! Et quelles étaient leurs revendications sur la condition étudiante, le projet socialiste d’éducation ? Ils n’en avaient aucune ! C’est dire qu’il n’y avait aucun projet propre. Des deux côtés, il s’agissait de mobilisations organisées du haut vers le bas. En fait, nous constatons avec tristesse que les gens sont à nouveau prisonniers du calendrier électoral partisan. Toutes les énergies, toutes les mobilisations, des chavistes et des anti-chavistes, sont orientées vers l’électoralisme.

I. : Auparavant, dans une année d’élections, il était impossible de faire grève ! On se faisait tout de suite taxer de « guarimbero » [3]. En 2007, il y a eu une grève des transports, les petits patrons des transports réclamaient une augmentation du prix des billets en argumentant qu’ils ne gagnaient pas assez pour entretenir les lignes. Le gouvernement n’a même pas tenu compte de leurs revendications, et la division s’est installée. Les travailleurs qui protestaient contre le manque de moyens de transport ont été à leur tour taxés de « guarimberos ». Qui plus est, le gouvernement a menacé de créer une « coopérative » (voilà !) qui allait remplacer les lignes en grève. Bien sûr, aucun sentiment de solidarité n’a pu prendre forme. La même chose s’est produite lors des grèves des enseignants et des médecins du système de santé public. Les médecins avaient occupé les hôpitaux et demandaient la renégociation de leur convention collective. Le gouvernement s’est refusé à toute discussion et les a traités de « guarimberos ». Sur quoi Chavez a réuni un groupe de médecins partisans du régime dans une grande salle de théâtre de Caracas et leur a dit, magnanime : « Je vais vous augmenter de 30 % ! ». Sans discuter la convention collective ! Les gens finissent par s’écraser, se soumettre à ce mode autoritaire et démagogique de gouvernement.

C.R. : Tu dis que cette situation est en train de changer aujourd’hui ?

I. – Oui, je pense qu’aujourd’hui l’attitude est plus ouverte. Les gens disent : « Je ne suis pas de l’opposition, je ne suis pas “ guarimbero ”, je suis chaviste ou non, mais je suis un travailleur et je veux être écouté ! » On l’a vu récemment avec la grève des infirmières des maternités et celle des travailleurs des transports. « Nous sommes des travailleurs et nous voulons qu’on respecte nos droits ». Ces mouvements traduisent un changement dans la conscience des gens.

M. : Il y a comme une contradiction entre la direction du régime, qui essaye toujours de canaliser les protestations vers le camp électoraliste, et un profond mécontentement de la base, des couches les plus pauvres de la population, qui tendent à mettre en avant leurs revendications sociales. On ne peut que souhaiter que cet écart s’accentue. C’est cette contradiction qui peut créer un espace où les gens se réapproprient leurs projets revendicatifs et leurs intérêts propres. C’est seulement ainsi, qu’à la longue, des espaces d’autonomie pourront se créer.

Les dissensions au sein du chavisme.

I. : Comme nous l’avons déjà souligné, le processus politique du chavisme a subi des changements successifs. Depuis 2007, deux choses sont claires : la première, c’est que Chavez peut perdre le pouvoir. La deuxième, c’est que Chavez ne représente pas nécessairement les intérêts majoritaires du peuple. En décembre 2007, on s’est aperçu que le projet défendu par Chavez soulevait beaucoup de doutes, y compris au sein de la gauche chaviste dont certains secteurs se sont montrés très critiques. La fracture a été réelle. On sent que le côté charismatique de Chavez s’affaiblit. C’est pourquoi nous pensons que, dans le moment présent, le plus intéressant politiquement, c’est ce qui se passe à l’intérieur du mouvement chaviste, la critique qui émerge en son sein, qui traduit un malaise des militants, lesquels ressentent que l’espace qui était le leur est de plus en plus contrôlé par le sommet. Depuis l’année dernière, les « missiones » [4]fonctionnent très mal, elles ont de moins en moins de moyens financiers. Par exemple, la moitié des centres de santé « barrio adentro » [5] , sont fermés, n’ont plus d’équipes, plus de médecins, plus de médicaments… La « mision Robinson », l’avant-garde des « misiones », destinée à alphabétiser, n’existe presque plus. D’autres « missions » n’ont pas donné les résultats attendus. Nous assistons à un effondrement des attentes. Les deux premières années, la propagande a pu encore prétendre que le processus était en cours, qu’il fallait attendre. On pouvait manipuler les résultats à des fins électorales. Mais quand, après 4, 5 ans de pouvoir, il n’y a toujours pas de résultats ?!… Cela est vrai, y compris dans le milieu universitaire où Chavez a commencé par promettre la création de douze nouvelles universités, ensuite on est passé à trente, et puis, finalement, rien n’a été fait… Après six ans d’appui populaire inconditionnel, les espérances ont fini par s’effondrer. Ce qui explique l’implosion actuelle du régime.

M. : Le résultat du référendum de décembre 2007 a confirmé nos prévisions : le peuple chaviste n’a rien à voir avec « un mouvement socialiste », il ne s’identifie aucunement à un projet dit socialiste. La majorité de l’électorat chaviste a voté contre son projet socialiste de constitution. Pourtant Chavez continue à exercer un fort charisme sur les secteurs populaires. Il n’y a rien de socialiste ni de révolutionnaire dans ce processus, c’est un phénomène de mobilisation autour la figure charismatique qu’est Chavez.

I. : On raconte à propos de Chavez une blague grivoise au goût vénézuélien. C’est l’histoire du gars qui propose à sa fiancée de se mettre au lit. Elle lui dit : « Non, mon chéri, pas maintenant ! » Et lui d’insister : « Mais si, mais si, mais si ! » Chavez, lui, propose une constitution socialiste, les gens disent non, on n’en veux pas ! Au lieu d’avancer avec une alternative positive, il se raidit, se révèle plus autoritaire. Car, après tout, ce type est un militaire. Cette attitude engendre une fracture, une fracture émotive presque, car Chavez est une figure émotive. Toutefois, si Chavez décide tout d’un coup de donner des réponses autoritaires aux problèmes dont souffrent les classes populaires, le lien charismatique peut se ressouder.

M. : Un autre aspect doit être mentionné : l’importance donnée par le chavisme aux affaires internationales. Le soutien apporté à des régimes « amis » est de moins en moins accepté. « Il s’occupe des autres et pas de nous ! ». « Pourquoi Chavez dit qu’il va aider à la construction d’hôpitaux au Nicaragua alors qu’ici les hôpitaux sont dans un état affligeant ! ». C’est ce qu’on entend ici et là : « On veut des réponses aux problèmes ici, et maintenant ! ». Après la défaite au référendum de décembre 2007, Chavez essaye par tous les moyens de redorer son image sur le plan international. D’où ce show permanent, cette mise en spectacle.

Le spectre de l’anarchie ?

C.R. : Mars 2008, un flic en civil se fait sauter avec une bombe au siège de l’organisation patronale. Un type lié au régime et qui, en plus, se fait sauter avec sa carte de policier dans la poche ! Le ministre de l’intérieur parle de l’action d’un « petit groupe anarchiste »… Pourquoi parler de groupe anarchiste dans une action qui est, de toute évidence, une action des services secrets ?

M. : Le ministre de l’intérieur de Chavez est un des personnages les plus sinistres du régime. C’est un mercenaire, un homme qui a fait sa carrière dans les services secrets de l’armée, responsable du massacre d’un groupe de guérilleros en 1988.

I. : Ce type de propos n’est pas nouveau. A chaque fois qu’il y a des actions qui dépassent le cadre des institutions ou des organisations du régime, on crie à l’anarchisme. Chavez lui-même est venu dire à la télé que cette action terroriste était à mettre au crédit de « groupes anarchisants ». Bien sûr, on peut s’inquiéter, ça peut faire partie d’une stratégie de criminalisation, mais je crois que c’est plutôt une facilité de langage. Jusqu’à présent, nous n’avons pas ressenti de conséquences sur nos activités. Nous sommes peu nombreux, mais nous faisons attention. En tout cas, Chavez, dans un meeting de son nouveau parti, le PSUV, a récemment déclaré : « Dans le PSUV. il n’y a pas de place pour les anarchistes ». Il y a de la place pour des « socialistes obéissants, critiques » mais pas pour des anarchistes (rires)

Le « tourisme révolutionnaire ».

C.R. : Vous mentionnez souvent le « tourisme révolutionnaire »… Début mars 2008, dans le programme de télévision « Allo Presidente ! », Chavez est encore apparu entouré d’un groupe de jeunes du parti Die Linke.

M. : Ce qui s’est passé avec le mouvement anarchiste à Cuba nous intéresse particulièrement, vu les ressemblances entre les deux situations. Ce sont deux gouvernements qui se présentent face à l’extérieur comme des gouvernements révolutionnaires et progressistes. Alors le régime choisit un certain nombre d’expériences, à Caracas et en province, qu’il fait systématiquement visiter aux sympathisants de passage. Parfois, c’est assez caricatural, on organise des colloques internationaux sur les usines occupées sans que les participants visitent une seule entreprise occupée. On organise aussi de grandes messes internationales, le Forum alternatif mondial, le Campement international de la jeunesse anti-impérialiste, le Forum international des intellectuels pour la paix, etc. Tout cela dans une tentative de renouveler constamment la propagande et la publicité du régime.

I. : Il y a un « tourisme révolutionnaire » pris en charge par l’Etat et il y en a un autre, plus spontané, qui concerne des gens qui ont des espoirs, des attentes. Je pense que les gens qui viennent dans cet état d’esprit sont plus libres et finalement peuvent voir plus de choses que ceux qui viennent encadrés par l’Etat. On fait venir des célébrités, Noam Chomsky, Naomi Campbell, qu’on promène dans tel quartier qu’on a construit pour les pauvres, dans telle coopérative, dans telle ferme d’Etat. On filme les visites pour en faire de la propagande.

M. : Nous savons que la plupart des gens qui viennent ici veulent voir ce qu’elles s’attendent à voir. Comme ceux qui visitent Cuba. Ensuite tout dépend de leur formation idéologique. Les visiteurs des milieux plus libertaires, plus critiques, peuvent accepter de voir des bonnes et des mauvaises expériences alors que ceux des groupes de la gauche plus traditionnelle, marxistes-léninistes, guévaristes, maoïstes, tendent à confirmer ce que dit la propagande. Pour notre part, à chaque fois que nous rencontrons des camarades venus de l’étranger, nous leur disons ce que nous pensons de la situation. Mais nous disons aussi qu’il ne faut pas nous croire sur parole, de la même façon qu’il ne faut pas croire le gouvernement ! Il faut ouvrir les yeux, visiter ce qu’on peut visiter, se promener à Caracas, se promener dans les villes de l’intérieur.

Debord, Bolivar et les avatars de la propagande

C.R. : Gabriel, tu es un lecteur attentif de Debord. Quel usage fais-tu de tes lectures pour la compréhension de la société vénézuélienne ?

M. : Je pense qu’il y a trente ans les mots avaient un sens. Par exemple, si tu étais anti-impérialiste, tu t’alignais sur un des deux blocs de la guerre froide. Aujourd’hui, en période de globalisation capitaliste, on peut se dire anti-impérialiste tout en étant partisan du néolibéralisme... Au Venezuela la mentalité sociale est très extrovertie, tu n’assumes pas nécessairement ce que tu dis. Le spectacle comme une représentation du réel m’intéresse beaucoup pour comprendre la situation que je vis. Je pense que le phénomène chaviste n’est pas analysé de façon satisfaisante, ni par nous ni par personne. Le résultat du référendum de décembre 2007 a surpris tous les intellectuels, de gauche et de droite. Il faut donc continuer à réfléchir.

C.R. : Mais c’est un rejet purement électoral. Qui veut en tout cas dire que les individus n’acceptent pas totalement l’image du réel renvoyée par la propagande, qu’elle n’est pas conforme à la réalité des relations sociales. Ce qui tendrait aussi a montré que les formes de domination sont en crise.

M. : Sans doute. Prenons le mythe de Bolivar. C’est le mythe fondateur du nationalisme vénézuélien, le mythe d’une figure libératrice. Ce qui veut dire qu’il y a dans le nationalisme vénézuélien ce rôle historique prédestiné de s’engager dans la libération des peuples latino-américains. Avec deux corollaires : le Vénézuélien aurait un rôle universel épique et héroïque et le Venezuela est un pays riche avec une richesse mal distribuée. Chavez a parfaitement incarné cette matrice culturelle. Il est l’homme prédestiné pour mener la deuxième indépendance face aux Etats-Unis.

I. : Le hiatus s’est produit lorsque les gens ont commencé à se rendre compte qu’il n’y avait pas d’adéquation entre les réponses politiques et les besoins. Mais il y avait cette image du régime, de Chavez. Les projets d’avenir dépérissent face au désastre du quotidien. Finalement le régime puise beaucoup de sa force dans les éléments culturels, nationalistes et surtout dans l’image du régime à l’étranger. Le « socialisme bolivarien », le « socialisme du XXIe siècle », il se présente comme étant capable d’apporter une réponse aux questions concrètes de la faim, du logement, de la vie. C’est dans la fabrication de cette propagande qu’il faut comprendre la place qu’occupe des gens comme Juan Barreto (le maire de Caracas) ou Andrés Izarra. Ils ont su vendre le chavisme à l’extérieur, vendre l’image du régime. Andrés Izarra, dont l’homme le plus proche est l’ex-situationniste Eduardo Rothe, est un personnage important du régime. Il a concocté le document « Si j’étais vénézuélien, je voterais Chavez », qu’il a fait signer par tous les intellectuels « progressistes » nord-américains et européens.
L’idée était de montrer que les chavistes n’étaient pas seuls dans le monde.

C.R. : Mais enfin, tout cela n’est qu’une réédition… c’est dans la tradition du stalinisme historique, les congrès des artistes et intellectuels « progressistes » comme soutien à tel ou tel régime progressiste…

I. : Oui, pour vous c’est du déjà-vu. Mais il faut comprendre qu’ici, au Venezuela, ce sont des situations tout à fait nouvelles. Le pays sort d’un long règne de régime social-démocrate, financé par la rente pétrolière et directement lié aux Etats-Unis. Les affrontements entre droite et gauche, libéralisme et anti-libéralisme, ce sont des affrontements idéologiques nouveaux dans cette société.

M. : Mon père était un militant de base de l’Action démocratique, la social-démocratie. Ensuite il a laissé tomber la politique. Le pétrole coulait, il y avait de l’argent et du travail, il a fait sa vie. Aujourd’hui, il est chaviste et découvre la révolution cubaine !? L’attitude des chavistes est d’une grande naïveté, ils découvrent aujourd’hui toutes ces questions. Comme s’il s’agissait d’une adolescence révolutionnaire tardive...

La condition des femmes, avancées et reculs.

C.R. : Y a-t-il des changements notables dans la condition des femmes ?

I. : Je suis très pessimiste. Beaucoup d’organisations de femmes se sont intégrées dans la dynamique de l’Etat. Le régime a lui-même créé diverses institutions de femmes, dont la « Casa de la mujer ». Les femmes qui étaient actives dans la société se sont intégrées dans le travail de ces institutions. Seul un petit nombre a poursuivi le travail à la base.
Au Venezuela, l’image de la femme dans l’univers de la consommation est avant tout associée à un objet sexuel. Tout dans la publicité est rapporté à la femme et à son corps. Ce qu’on présente comme les besoins de la femme n’a rien à voir avec la revendication spécifique du genre féminin. Ainsi, lamentablement, la femme s’est convertie en une reproductrice de la pensée machiste. Si on veut mesurer la place de la femme dans l’accès aux postes de pouvoir, on pourrait dire que le régime a établi une certaine parité. Par exemple, si tu as une place dans la fonction publique, tu as le même salaire qu’un homme. Le régime a aussi placé de nombreuses femmes à des postes de responsabilité politique. Ce sont des postes qui reproduisent le système d’oppression à l’intérieur du pouvoir. On ne casse pas la structure du système, on le reproduit avec la figure de la femme de pouvoir.

Causes culturelles ou poids des traditions, le fait est que, au Venezuela, la question de la condition de la femme a engendré jusqu’à maintenant très peu de revendications propres. Ce qui a rendu le mouvement des femmes plus vulnérable aux dynamiques politiques traditionnelles.

Un exemple significatif. Nous avions une loi dont deux articles très importants ont été supprimés par le régime chaviste. Selon un des articles, lorsqu’une femme était agressée sur son lieu de vie par son mari ou son compagnon, celui-ci après avoir été détenu était interdit de revenir au foyer pendant 72 h. Cet article a été effacé de la loi. Un autre article supprimé a pour conséquence que si le foyer appartient à l’homme, la femme et les enfants doivent quitter le foyer en cas de séparation. Voilà ce qui montre bien la fragilité des revendications des femmes dans le moment actuel.

Au Venezuela, la question de la contraception n’est pas taboue. Même si c’est un pays très religieux et on sait combien la religion pèse sur cette question. Les contraceptifs sont en vente libre, on les distribue dans les écoles et la pilule du lendemain est accessible. Il y a plusieurs types de pilules, certaines ne sont pas trop chères et relativement accessibles aux jeunes. Par contre, l’avortement n’est pas autorisé. Seul l’avortement spontané est reconnu. Il y a pourtant le grave problème de la maternité des très jeunes femmes. Je le vois plutôt comme un problème culturel. La maternité, ici, reste le facteur primordial qui fait que la femme se sent femme. Un couple comme nous, dans la trentaine, sans avoir des enfants est un fait rarissime. Tout le monde te critique et la plupart des gens considèrent que c’est la preuve que nous ne sommes pas tout à fait normaux. Ici, la maternité est un thème fondamental. Dans les classes sociales plus pauvres, la maternité est vécue comme un moyen de s’en sortir. Grâce à la maternité, les jeunes filles peuvent quitter leur foyer, souvent des lieux de répression et de violence contre les femmes, et recommencer leur vie ailleurs. Mais, bien sûr, la violence se reproduit dans la nouvelle situation, rien ne change et la revendication d’un changement de la condition de la femme reste à la traîne. Cependant, elles ne le voient pas ainsi, la maternité est pour elles un moyen de commencer quelque chose de nouveau. C’est une contradiction qui nous semble évidente mais qui ne l’est pas pour les jeunes mères.
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Re: Vénézuela: El Libertario prend la parole

Messagede Nico37 » 23 Aoû 2009, 15:13

Suite du texte puisqu'il est impossible dépasser 60.000 caractères par message...
La découverte des idées libertaires.

C.R. : Comment êtes-vous arrivés aux idées libertaires ?

I. – J’ai étudié la sociologie et je me suis engagée dans une coopérative éditoriale liée à l’université. J’étais de gauche. Je viens d’un milieu de culture social-démocrate mais il y avait beaucoup de choses qui ne me plaisaient pas chez les marxistes-léninistes ou chez les trotskistes. Alors je me suis rapprochée des jeunes anarchistes. La lecture de Camus m’a aussi influencée.

M. – Pour moi le moment crucial a été la rencontre avec un vieil anarchiste espagnol qui vivait dans ma petite ville. Jeune, je voyais en Guevara un Quichotte héroïque, mais je ne comprenais pas pourquoi mon héros s’était impliqué dans un projet politique et social qui intégrait l’Union soviétique, empire qui avait fait des horreurs en Afghanistan, qui dominait d’autres pays. Lorsque j’ai connu les idées anarchistes, j’ai découvert qu’elles répondaient à mes questions. J’ai été séduit. C’est alors que j’ai connu ce vieil anarchiste qui vivait à une heure de chez moi, dans une petite ville agricole, Nirgua. Il a commencé à me passer de la littérature. Ce vieil anarchiste a été, au Venezuela, la première personne qui a produit des livres piratés. Pas pour faire de l’argent mais pour les rendre accessibles au plus grand nombre. En le fréquentant, j’ai apprécié son éthique, sa façon de vivre, sa cohérence. Les marxistes que je connaissais avaient une idée claire de la révolution mais, dans le quotidien, ils se comportaient de façon qui me déplaisait. Ils avaient une double vie, la militance et la vie de tous les jours. Il y avait une séparation. Ensuite j’ai beaucoup lu et, une fois à Caracas, je suis entré en contact avec le petit milieu anarchiste. J’ai aussi connu deux anciens de la CNT ibérique, exilés de la guerre civile qui vivaient à Caracas et avec qui j’ai établi une intense relation affective. Depuis, l’un d’eux est mort et seul Antonio Serrano reste avec nous. Le vieux camarade de ma petite ville est toujours vivant et, il y a quelques années, nous avons organisé chez lui une rencontre de jeunes anarchistes. L’anarchisme au Venezuela est un anarchisme qui n’a pas de véritables racines historiques. Cela rend le milieu moins dogmatique.

C.R. : Parlons un peu de votre journal, El Libertario. Au début ça n’a pas été facile. Nous faisions partie du milieu de gauche. Cela allait des organisations de droits humains aux écologistes. Avec l’avènement du chavisme, les choses se sont vite polarisées et la quasi-totalité de ces organisations se sont intégrées au chavisme. Pas nous ! Les premières années ont été terribles. On s’est retrouvé complètement isolé. Après 2002, faire une critique du régime relevait d’un acte de courage. En éditant notre petit journal, qui tirait à 1 500 exemplaires, j’ai perdu 90 % de mes amis, soit parce qu’ils étaient chavistes ou soit parce qu’ils étaient antichavistes. Plus personne ne me parlait ! Si on critiquait l’opposition, on nous prenait pour des chavistes, si on critiquait le chavisme, on nous traitait de membres de l’opposition. Et si tu critiquais l’Etat, on t’accusait d’être un agent de l’impérialisme, intellectuel petit bourgeois et ainsi de suite… Comme nous étions accablés de critiques et de rejets, nous avons été forcés d’affiner nos arguments. On est allé au-delà de la critique théorique et on a commencé à faire une analyse des situations concrètes.

I. : Ceux qui nous critiquaient n’étaient pas très constructifs. Ils ne discutaient pas nos arguments et nos idées. C’était toujours sur le plan du rejet personnel, générant une rupture affective. On se sentait très isolés.

M. : Après la tentative du coup d’Etat contre Chavez, en 2002, nous avons été directement menacés de mort. Tout cela parce que nous avions diffusé un communiqué où l’on avait écrit, « Ni Chavez, ni Carmona, pour l’autogestion et la vie ! ». Certains sont allés jusqu’à à dire que El Libertario avait appuyé le coup d’Etat ! Aujourd’hui la situation a changé. Les lecteurs d’El Libertario dépassent certainement notre propre milieu. Le journal est lu aussi par des gens de gauche qui sont à la recherche d’une alternative. On tire à 2 500 exemplaires tous les deux mois, dont 60 % partent en vente directe. Notre page web (www.nodo50.org/ellibertario) est aussi très visitée. On est toujours là, on continue !


Notes (de Marco Geoffroy.)

[1] Le quartier « 23 janvier » a été le premier quartier HLM construit à Caracas. Il se trouve en hauteur et à un jet de pierre du palais présidentiel, tout près du centre administratif de la capitale. Ce quartier, très populaire et symbolique a été, depuis 50 ans, un haut lieu de contestation et d’affrontements avec les forces de l’ordre. L’action de ses habitants a contribué de façon décisive à la chute de la dernière dictature, le 23 janvier 1958… d’où son nom. Depuis, on y remarque une forte présence de groupes politiques de gauche et d’extrême-gauche, de groupes culturels et d’associations diverses de vie de quartier.

[2] Eduardo Rothe est l’auteur, entre autres, du texte « La conquête de l’espace dans le temps et le pouvoir », Internationale Situationniste, n° 12, septembre 69, pp.80-81. La revue du groupe gauchiste électoraliste Les Alternatifs, « Rouge et Vert : le journal des Alternatifs », publie une interview de Eduardo Rothe (n°222, 15 avril 2005) où celui-ci justifie ses positions actuelles (version anglaise :http://www.notbored.org/rothe-inter...)

[3] Une « guarimba » est une planque et, par extension, une réunion clandestine de « malfaiteurs ». Dans le langage chaviste, le terme « guarimbero » s’applique à tous ceux qui, pour une raison ou une autre, protestent bruyamment contre la situation. En les traitant de la sorte, on sous-entend qu’il s’agit d’éléments subversifs déguisés en honnêtes citoyens, ou encore d’individus manipulés par l’opposition.

[4] A la suite du coup d’état manqué d’avril 2002, le gouvernement de Chavez a lancé le programme des « misiones » (« missions »). Il s’agit de programmes de grande envergure ciblés sur l’amélioration de divers aspects de la vie sociale des couches les plus défavorisées, en particulier dans le domaine de la santé, l’éducation et l’alimentation. Ces « misiones » sont organisées et directement financées par l’entreprise pétrolière d’Etat, PDVSA. Elles fonctionnent hors du contrôle des services des ministères correspondants et ne sont soumises, même formellement, à aucun contrôle parlementaire

[5] La « mision Barrio Adentro » (« mission au cœur du quartier ») est la mission destinée à augmenter la présence médicale dans les quartiers pauvres ou à la campagne (médecine préventive). Cette mission se base, entre autres, sur des Centres de santé, en fait des dispensaires d’accès gratuit avec une permanence de médecins qui sont hébergés dans le quartier. La grande majorité de ces médecins sont des Cubains (plus de 20 000) mis à la disposition du gouvernement de Chavez par l’Etat cubain, lequel reçoit en contrepartie du pétrole. Un nombre indéterminé de ces médecins a depuis disparu dans la nature… certains ayant trouvé refuge en Colombie. Un modèle particulier d’habitat a été conçu dans le but d’abriter sous un même toit le cabinet médical et le logement du/des médecins. Plusieurs milliers de ces bâtiments ont vu le jour au sein des quartiers des grandes villes.
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Re: Vénézuela: El Libertario prend la parole

Messagede Nico37 » 07 Fév 2010, 02:53

Chavisme et anarchisme aujourd’hui

Hugo Chavez parle de socialisme, souveraineté populaire, participation. Pourquoi être en désaccord si ceci correspond à l’idéal anarchiste ?

Les diatribes de Chavez sont très fournies. Mais lui-même a réitéré qu’il ne fallait pas se fier à ce qu’il faisait ou disait. Ainsi, son "socialisme du XXIéme siècle" dans les faits n’a pas dépassé le simple paternalisme et capitalisme d’Etat, avec comme base l’abondance de la rente pétrolière. La souveraineté populaire est la souveraineté d’une élite de militaires, d’entreprises transnationales et de la "bourgeoisie populaire" naissante. Il suffit de voir la récente concession de pouvoirs extraordinaires à la Présidence, ou la façon dont on raille les alliés qui ont exprimé des réserves face à la décision de construire un parti officiel unique, pour avoir une idée de ce que le "Comandante " entend par participation. Dans l’anarchisme, on n’accepte pas de leadership permanent et omnipotent, sinon uniquement ceux qui sont constamment authentifiés par ceux que, dans une circonstance particulière, ils représentent ; et ceci est l’expression de la souveraineté et de la participation. Le processus [au Venezuéla] ne montre ni d’une manière ou d’une autre que l’on s’éloigne du pouvoir hiérarchique et de l’Etat.

L’intention proclamée du gouvernement est de faire une révolution pacifique et démocratique. Pourquoi ne pas attendre que la révolution s’approfondisse pour émettre des jugements sur le processus ?

Chavez parle de révolution, mais sa parole n’est pas suffisante pour croire qu’il la fasse et qu’il doive être soutenu. Trop de tyrans et de démagogues sur ce continent ont dit la même chose, sans qu’il y ait des raisons de les soutenir. Dans notre cas, il y a une "révolution" dans le sens que notre mode de vie a été désarticulé dans beaucoup de sens, mais ce que nous voyons de construction ne nous incline pas à le soutenir. Permettre sa consolidation c’est rendre les choses plus difficiles à changer, parce que les changements que les anarchistes proposent vont dans une direction très différente de celle prise par le "processus", qui avec plus de 8 ans à la barre se montre plein d’autoritarisme, bureaucratiquement inefficace, infecté par la corruption de manière structurale, avec des orientations, des personnes, des attitudes que nous ne pouvons pas soutenir.

Même si son projet n’est pas libertaire, le chavisme appelle à se confronter à l’oligarchie et à l’impérialisme. Pourquoi ne pas établir des relations stratégiques avec eux et plus tard, une fois détrôné l’oligarchie et l’agression impérialiste, essayer de faire la révolution anarchiste ?

Les alliances stratégiques sont un mode d’action politique pour gagner le contrôle de l’Etat par un groupe d’alliés, alors que nous, les anarchistes, cherchons à dissoudre l’Etat grâce à la participation de toutes-tous. L’échec de ce qui s’appelle réaction et oligarchie (sobriquets avec des vues clairement propagandistes) servira uniquement à consolider à l’intérieur du pouvoir ceux qui gagnent, ceux qui nécessairement formeront la nouvelle oligarchie parce que ainsi l’impose la logique étatique, comme il s’est produit en URSS, Chine ou Cuba. Ceci rendra la révolution anarchiste plus difficile et l’Espagne de 1936 fut un bon exemple. Il est aussi inexact d’identifier le projet chaviste comme étant en opposition au coup d’Etat, alors que son but original était de faire un coup d’Etat militaire, et qu’il se targue constamment dans son identification avec le langage et les pratiques de caserne. La lutte contre le gouvernement de la minorité (oligarchie) à l’intérieur des régimes étatiques se réduit à remplacer quelques-uns par quelques autres. En ce qui concerne le combat contre l’impérialisme, si nous prêtons attention à ce qu’ils proposent et appliquent en matière de pétrole, de minerai, d’agriculture, d’industrie, de plan de travail etc., ils semblent rester les valets de l’Empire et non ses ennemis (Pour plus de détails sur les axes stratégiques face au capital transnational et aux intérêts impérialistes, voir les publications du "El libertario" www.nodo50.org/ellibertario- en espagnol).

Maintenant, le gouvernement vénézuélien annonce une explosion du pouvoir communal, avec l’implantation massive et sécession de pouvoir aux Conseils Communaux, organisations communautaires et horizontales de participation populaire. Les anarchistes soutiennent ces structures de base ?

Ce que nous commençons à voir de l’instauration et du fonctionnement des conseils communaux indique que son existence et sa capacité d’action dépendront de sa loyauté à l’appareil gouvernemental, lequel s’assure en laissant aux mains du Président la faculté juridique d’approuver ou non les dites organisations, comme le décrit la loi correspondante. Dans ce cadre, il y a des expériences au Venezuela, ou tant de groupements de base (comme les syndicats sans aller plus loin) ressemblent aux tramways, qui reçoivent le courant depuis le haut. Certainement, il y a des tentatives pour un réel groupement du bas vers le haut, et ceci a lieu dans le cadre du voisinage, ouvriers, paysans, indigènes, écologistes, étudiants, culturels, etc. malgré qu’ils ne comptent pas sur la sympathie officielle. Il nous semble que la soumission légale, fonctionnelle et financière des conseils communaux devant le pouvoir étatique sera un sévère obstacle pour servir de base à un mouvement autonome. Ceci vaut aussi pour l’annonce de conseils de travailleurs pour les entreprises, dans lesquels on entrevoit un moyen d’annuler un syndicat indépendant.

Pourquoi les anarchistes critiquent-ils la Force Armée Vénézuélienne- d’origine clairement populaire et nationaliste- et sa capacité à soutenir un projet révolutionnaire ?

Dans tout armée moderne, depuis l’Europe du XVII et XVIIIéme siècle jusqu’à l’Amérique Latine d’aujourd’hui, le gros des troupes est recruté dans les secteurs populaires. Mais à part l’origine sociale de la majorité des intégrés, la raison d’être de l’armée est la défense d’une structure de pouvoir et de ses détenteurs, c’est pour ça qu’elle ne pourra jamais soutenir une révolution en faveur des opprimés. Au mieux, on changera une personne par une autre et quelques règles de la structure du pouvoir, mais on ne l’éliminera pas parce que le commandement et l’obéissance sont son essence. C’est pourquoi nous ne soutenons aucune armée, police ou privilégiés qui peuvent utiliser à leur avantage la force ou les armes contre d’autres gens. Le nationalisme n’est pas une position que l’anarchisme approuve, parce qu’il implique de circonscrire les intérêts de certaines personnes, enfermées artificiellement par un Etat dans un certain territoire-nation, lesquelles se considèrent différentes et même supérieures aux autres. Nous sommes ennemis de tous type de privilèges pour cause de naissance, de race, de culture, de religion ou de lieu d’origine. De plus, l’histoire néfaste de la structure militaire vénézuélienne parle d’elle même : institutionnalisée par le tyran Gomez pour liquider les aspirations fédérales régionales ; consolidée dans sa vocation répressive durant la lutte contre l’insurrection de gauche durant les années 60 ; et exécutante du massacre de février 1986.

Au cas où, les anarchistes vénézuéliens seraient "décharnés" (surnom par lequel le chavisme fait allusion à ses opposants) et, pour cela, supportent l’opposition social-démocrate et de droite ?

"Décharnés" est une qualification nettement médiatique, dépréciée dans son usage politique officiel et avec des aires de consigne, car personne ne dit qui l’on nomme ainsi. Mais si, dans tous les cas, on veut désigner par ce terme ceux qui n’acceptent pas de faillir à leur liberté et leur autonomie pour se soumettre à l’imposition autoritaire d’une personne, d’un parti, d’une idéologie, nous le sommes. Par contre, si par cela on veut dire que nous appuyons des courants identifiés comme le libéralisme économique, la dévaluation quasi-raciste des élites jusqu’aux majorités, l’escroquerie de la démocratie représentative ou le retour à des formes d’organisation socio-politiques dépassées par l’histoire, nous ne le sommes pas. De fait, nous n’appuyons pas le régime de Chavez ni ses contre-attaquants électoraux ; nous pouvons être d’accord avec quelques actions des uns et des autres, avec quelques déclarations des uns et des autres, mais fondamentalement, nous critiquons la majorité des faits et des discours des uns et des autres. Nous répudions la frustration répétée des espérances des gens qui ont soutenu Chavez, mais nous refusons de confirmer les manoeuvres politiciennes du troupeau d’opportunistes qui se prétendent être l’opposition institutionnelle. Et surtout, nous ne pouvons pas, pour des raisons de principe, soutenir ceux qui fondent la recherche d’une vie meilleure dans un quelconque type de subordination des gens à la hiérarchie étatique, comme le prétendent les deux camps.

Les anarchistes sermonnent uniquement sans rien apporter. Quelle est votre proposition pour transformer positivement la réalité vénézuélienne actuelle ?

Notre lutte n’est pas conjoncturelle ou de circonstance, c’est pour une nouvelle société que nous devons opter pour la vie collective et individuelle. C’est la lutte pour l’existence d’une société sans classe, laquelle est indubitablement véhiculée, pour l’anarchisme, par l’abolition de l’Etat. Pour cette raison, selon notre critère, l’authenticité de n’importe quelle révolution doit être faite par la réelle et effective liquidation - depuis l’instant même où il se produit - de l’appareil étatique et de tout pouvoir hiérarchique. Nous ne cessons d’insister sur l’exigence de commencer la liquidation de l’Etat avec, et non après, la démolition de la structure classique de la société. La révolution nous l’entendons non comme conquête de l’Etat mais comme la suppression de celui-ci. Dans ce sens, nous croyons en la prise de possession, directement par les travailleurs, de la terre et des moyens de production, en incluant la nécessité de défendre par n’importe quelle voie, comme l’expropriation, ou plutôt, la restitution de toute la richesse à ceux qui en sont les légitimes propriétaires, ceux qui l’ont créée. Nous soutenons donc qu’une proposition positive pour l’actuelle réalité vénézuélienne se réalise par la promotion de l’autonomie des mouvements sociaux du pays, puisqu’en eux se trouve l’espace de tension nécessaire pour le déroulement et l’influence des principes de base de l’idéal anarchiste : action directe, autogestion, liberté et égalité dans la solidarité.

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Re: Vénézuela: El Libertario prend la parole

Messagede leo » 19 Mar 2010, 11:16

Venezuela : un pouvoir de plus en plus tendu


Un nouvel épisode de répression du mouvement social, heureusement, semble-t-il, sans conséquences durables pour les militants concernés, témoigne des réactions allergiques du gouvernement chaviste aux expressions des revendications sociales.

Le 12 mars 2010, des membres de différents syndicats, soutenus par quelques militants politiques avaient prévu de manifester à Maracay, la capitale de l’État d’Aragua, à une centaine de kilomètres à l’ouest de Caracas. Ils entendaient protester contre la politique économique du gouvernement, mais aussi contre la criminalisation de la protestation sociale et l’impunité dont jouissent les instigateurs d’assassinats de combattants sociaux, de dirigeants ouvriers ou paysans non ralliés au pouvoir.

Leur rassemblement – 200 à 300 personnes – fut rapidement entouré de tous côtés par les forces de l’ordre, puis attaqué à coup de bombes lacrymogènes. Une vingtaine de manifestants furent arrêtés par les forces de l’ordre et subirent au commissariat une garde à vue qu’on pourrait qualifier d’ordinaire, si ce n’est qu’on les obligea à se déshabiller complètement tandis qu’on filmait leur visage, et qu’on en entassa huit d’entre eux dans une cellule de 2 mètres carrés où séjournait déjà depuis six mois un garçon mineur. Un représentant du parquet vint leur dire qu’ils seraient inculpés pour obstruction de la voie publique, incitation à commettre des délits et outrage à la force publique. Leur comparution au tribunal était prévue pour le lendemain. Ils furent cependant libérés quelques heures plus tard.

Selon Rafael Uzcategui, qui assistait à ce rassemblement en tant qu’observateur, représentant l’organisation de défense des droits de l’homme PROVEA, et qui fut arrêté, c’est la rapidité et l’ampleur des protestations, y compris internationales, qui amenèrent le gouvernement central à demander aux autorités locales de relâcher les manifestants.

Il est utile de préciser que l’État d’Aragua et la ville de Maracay sont tous deux dirigés par le PSUV, le parti majoritaire chaviste, et qu’il ne s’agit donc pas d’un épisode de l’affrontement entre le gouvernement et l’opposition parlementaire. Comme le rappelle Rafael Uzcategui, qui fait également partie du collectif de rédaction d’El Libertario, le pouvoir cherche à museler systématiquement toute expression du mécontentement populaire. Ainsi, il y aurait actuellement environ 2 200 personnes attendant de passer en jugement simplement pour avoir voulu exprimer leurs revendications. On trouvera sur le site de l’OCL l’appel lancé en décembre 2009 par des organisations vénézuéliennes pour la « défense du droit à la protestation sociale ».

Il faut naturellement replacer ce durcissement du pouvoir vénézuélien dans le contexte général de dégradation des conditions de vie de la masse de la population. Les améliorations attendues des différentes « missions », dans des domaines comme la santé, l’éducation et le logement se sont révélées largement illusoires ou éphémères ; la priorité donnée dans les marchés publics à des « coopératives » dirigées par des amis du pouvoir ont accru la précarité (voir à ce sujet l’interview réalisée il y a déjà 18 mois par Charles Reeve). Aujourd’hui, les pénuries d’électricité et d’eau se conjuguent aux effets de la dévaluation de janvier 2010 (le Venezuela importe plus de la moitié de ses produits alimentaires) pour rendre ces conditions de vie encore plus difficiles. Les gesticulations anti-américaines et les références au « marxisme » de Chavez ne les amélioreront pas, et il est à craindre que les mesures d’intimidation, jusqu’à l’assassinat, des protestataires sociaux ne fassent que s’amplifier.

J.M.K., 14 mars 2010



Source : La Bataille socialiste :

http://bataillesocialiste.wordpress.com ... lus-tendu/

voir aussi :

http://bataillesocialiste.wordpress.com ... venezuela/

Appel pour la défense du droit à la protestation sociale

http://oclibertaire.free.fr/spip.php?article665

Le gouvernement bolivarien contre l’autonomie des syndicats (septembre 2009)

http://www.mondialisme.org/spip.php?article1343

Interview El Libertario, par Ch Reeve, mars 2008

http://claudeguillon.internetdown.org/a ... rticle=232
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Venezuela

Messagede JPD » 06 Jan 2013, 11:27

Venezuela

Comment Hugo Chávez est-il arrivé au pouvoir ?

Pour comprendre la situation au Venezuela avant la mort du Comandante


Un long article à partir du livre d'Uzcategui (El libertario) sur http://oclibertaire.free.fr/
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Re: Vénézuela

Messagede altersocial » 04 Fév 2013, 13:47

Comme d'habitude sur cette question je ne suis pas d'accord avec l'optimisme aveugle de Richard Neuville :

Venezuela : Les Conseils communaux et l’expression d’un pouvoir populaire

Dès 1999, l’Etat bolivarien s’illustre par la mise en œuvre de dispositifs de participation populaire. La démocratie participative est inscrite comme un droit imprescriptible dans la nouvelle constitution et s’avère cruciale pour la survie et l’approfondissement du processus.


En 2002, la mise en œuvre des Conseils locaux de planification publique démontre une implication effective de la population dans les instances de gestion. La loi établit la participation du peuple dans la formulation, l'exécution et le contrôle des politiques publiques. Le but est d'inciter les municipalités à travailler avec les communautés organisées pour décider conjointement des investissements.

A partir de 2003, les programmes sociaux, les Misiones sociales, confirment ce besoin d’être acteur-trice et d’être reconnu-e en tant que citoyen-ne, notamment à travers l’accès aux droits fondamentaux comme la santé et l’éducation.

Et, en 2006, la loi sur les Conseils communaux constitue une étape supplémentaire dans la démocratie active. Elle instaure une forme de « double pouvoir » au sein du processus révolutionnaire. Ces instances répondent clairement à l’aspiration des populations à prendre en charge leur destin en décidant directement des investissements sur leurs lieux de vie. La loi permet ainsi aux communautés de s’organiser démocratiquement et de soumettre des projets aux organismes de l’État. Le Fonds national des Conseils communaux assure le financement des projets présentés à la Commission nationale du pouvoir populaire.

La formation d’un Conseil communal est encadrée par une procédure précise. Une équipe provisoire convoque une assemblée de citoyen-ne-s, chargée d’élire les commissions électorale et promotrice. Cette dernière établit un « diagnostic participatif et social » du quartier : nombre d’habitants, revenus, problèmes techniques et sociaux. Elle convoque l’Assemblée constituante communautaire qui, sur la base du diagnostic, formule des projets. La commission électorale organise la désignation des porte-parole des comités qui composent l’organe exécutif, l’unité d’inspection sociale (qui contrôle l’utilisation des ressources et la réalisation des programmes) et l’unité de gestion financière (Banque coopérative communale).

Chaque Conseil communal détermine ses priorités, ses domaines d’intervention et crée ses propres comités : santé, éducation, alimentation, logement, économie populaire, culture, sécurité, eau, services publics, information et télécommunications, etc. Les habitants gèrent les subsides et contrôlent la réalisation des travaux. Le Conseil récupère l’histoire de la communauté, élabore la cartographie et le recensement de la zone. Il y a donc un transfert effectif de pouvoir à la communauté qui se conscientise. Le Conseil a une réelle dimension politique et émancipatrice. Il est l’interlocuteur de la communauté et des instances du gouvernement. Il peut développer des actions de formation et de sensibilisation politique.

Un Conseil communal regroupe 200 à 400 familles en zones urbaines, 20 en milieu rural et 10 dans les régions « indigènes ». Une Assemblée de citoyen-ne-s doit être composée d'au moins 20 % des habitants de plus de 15 ans, c'est l'instance de décisions. Le Conseil délimite lui-même le territoire et ses membres sont bénévoles et élu-e-s pour 2 ans mais révocables.

Fin 2011, 49 200 fonctionnaient dans l’ensemble du pays. La cohabitation avec les municipalités ne s’avère pas toujours simple et si certaines autorités locales ont transféré 100 % de leurs budgets aux Conseils communaux afin qu’ils les gèrent directement, d’autres refusent de se défaire de leurs prérogatives. De même, l’articulation entre les différents mécanismes de participation génère parfois des conflits avec les organisations sociales existantes dans les communautés (comités de terres urbaines, comités de l’eau, comité de santé, etc.).

Malgré des progrès indéniables dans l’expression d’un pouvoir populaire, des contradictions demeurent entre les mobilisations locales, non dotées de moyens financiers autonomes, et la volonté de les intégrer à la gestion de l’Etat. Un vrai pouvoir populaire nécessiterait un pouvoir de décision à tous les niveaux y compris financier. Or, la dépendance vis-à-vis des subsides du pétrole peut handicaper les conseils communaux dans l’affirmation d’une réelle autonomie face à l’Etat.

Pour autant, la démocratie participative au Venezuela permet d’inclure des couches de la population sur les lieux de vie des communautés. Les secteurs marginaux de la population gagnent en confiance à travers la prise de décision collective. Les conseils communaux ont notamment été créés pour remédier à l’inéfficience des bureaucraties de l’appareil d’Etat et à la corruption.

Novembre 2012

* Ce bref article a été publié dans FALMAG (Revue publiée par France Amérique latine), Dossier spécial Venezuela, n° 111, Décembre 2012.

Pour en savoir plus :
Venezuela « Les Conseils communaux et le double pouvoir »
http://alterautogestion.blogspot.fr/201 ... et-le.html


Ou l'art d'inventer le "participatif qui vient d'en haut" :confus:

Le problème n'est pas d'une autonomie par rapport à l'Etat, le problème c'est l'Etat.
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Re: Vénézuela

Messagede ivo » 06 Mar 2013, 10:14

Les Vénézuéliens partagés sur la mort de Chavez
Sitôt après l’annonce du décès, une foule s’est massée dans le centre de Caracas. Les partisans d’Hugo Chavez se sont rassemblés jusqu’à tard dans la nuit, pour déclarer leur amour pour El Comandante. Mais si Hugo Chavez était adulé par certains, une partie de la population haïssait ce militaire, chantre du socialisme du XXIe siècle.

>>>
http://www.rfi.fr/ameriques/20130306-ve ... ort-chavez

Nicolas Maduro accuse les Etats-Unis et Israël de préparer un complot contre le Venezuela
Au Venezuela, on a craint le pire ce mardi 5 mars. Alors que pays s’attendait à l’annonce du décès du président Hugo Chavez, gravement malade d’un cancer, le vice-président Nicolas Maduro s’est, lui, durement attaqué aux Etats-Unis et à Israël, accusés de fomenter un complot contre le Venezuela.

>>>
http://www.rfi.fr/ameriques/20130305-ni ... -venezuela
.^o GRAVOS MC ° SC1 ° SC2
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Re: Vénézuela

Messagede leo » 06 Mar 2013, 14:45

Déclaration de libertaires du Venezuela à la mort de Hugo Chávez

Ni en deuil, ni en fête !
L’heure de l’autonomie des luttes sociales est arrivée !



mercredi 6 mars 2013, par XYZ

Lorsque s’additionnent une très grave maladie, des soins médicaux conditionnés par des décisions politiques à courte vue, et un patient halluciné par le pouvoir, seule cette fin était attendue : le chef est mort, et dès lors, nous nous retrouvons avec un changement substantiel sur la scène politique vénézuélienne.

En un instant, ce qui fut la plus grande force du régime est devenu sa principale faiblesse : Chávez était tout et, s’il n’est plus là, il ne reste plus qu’à conjurer la fidélité absolue à sa mémoire avec l’obéissance à ses dispositions successorales ; ce qui met en évidence la faiblesse d’un gouvernement qui a cherché à renforcer son caractère prétendument « socialiste et populaire » avec la pratique d’un grotesque culte de la personnalité, devenue désormais l’invocation vide de son âme. Le défunt lui-même est le principal responsable de ce dénouement. Le secret qui a entouré sa maladie a été actionné par les mêmes ressorts de la centralisation extrême du pouvoir, ce qui, par manque de cohérence idéologique interne, laisse ses disciples se débrouiller entre eux pour l’héritage du commandement, avec un avantage clair pour les hauts bureaucrates ‟rojo-rojitos” [rouges foncés] et la caste militaire, dans des tâches de négociation afin de s’assurer l’impunité pour leur corruption.

Quant à l’opposition de droite et social-démocrate, la nouvelle situation les trouve sans qu’elle ait surmonté les défaites des élections présidentielle du 7-O [7 octobre] et régionales du 16-D [16 décembre], élections dans lesquelles ils s’étaient engagés avec des illusions gigantesques et avec l’offre d’un « populisme de riches », promettant aux électeurs de maintenir et d’être efficaces dans l’usage des instruments clientélistes qui ont tant profité à Chávez. Maintenant, cette opposition accommodante veut croire qu’une métastase fortuite a enfin placé à sa portée son ascension à ce pouvoir politique duquel ses ambitions et ses erreurs, sa paresse et son incompétence les avaient tenus éloignés depuis de nombreuses années, un pouvoir qu’ils exerceraient avec une bêtise et une ardeur prédatrice similaires à celles que la bobibourgeoisie chaviste [bourgeoisie bolivarienne] a pratiqué.

Face à ce tableau de calculs mesquins et opportunistes, où s’équivalent le Gran Polo Patriótico et l’opposition de la Mesa de Unidad Democrática, nous avons la grave situation du pays : inflation galopante, chômage en hausse et précarité des emplois, dévaluation de la monnaie, terrible insécurité des personnes, crise dans les services de l’eau et de l’électricité, de l’éducation et de la santé des sols, manque de logement, travaux publics obsolètes ou dans une mise en œuvre précipitée, aides uniquement démagogiques pour les carences extrêmes des plus nécessiteux, et une longue liste qui n’en est pas moins désastreuse.

Ces problèmes ne sont pas la préoccupation centrale des deux camps en lice pour la Silla de Miraflores [siège de la présidence] et pour le butin pétrolier. Pour cette raison, notre réponse collective doit ignorer leur chantage qui exige de nous un soutien électoral en échange de solutions qui n’arrivent jamais ou qui sont ridiculement incomplètes.

C’est le moment de déborder ces directions politiques pourries et de construire, d’en bas, une véritable démocratie, avec égalité, justice sociale et liberté. Nous devons renforcer l’indignation généralisée par la situation dont nous souffrons, la transformer en luttes sociales autonomes, prolongées et autogérées, disant clairement aux politiciens du pouvoir que nous n’avons pas besoin d’eux comme intermédiaires ou comme puissants nous octroyant ce que nous, d’en bas et unis, pouvons récolter, sans « mains blanches » ni « bérets rouges ».

Le collectif éditeur de El Libertario / / ellibertario@nodo50.org

http://www.nodo50.org/ellibertario

http://www.periodicoellibertario.blogspot.com

[Traduction : J.F. / OCLibertaire]

source : http://oclibertaire.free.fr/spip.php?article1324
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Re: Vénézuela

Messagede DjurDjura » 06 Mar 2013, 20:43

Venezuela: La dérive autoritaire léguée par Hugo Chávez

Une extrême concentration du pouvoir et un mépris affiché pour les droits humains fondamentaux



5 mars 2013

... /

Vers la fin de son deuxième mandat complet à la tête du pays, la concentration des pouvoirs et l'érosion des garanties des droits humains donnaient au gouvernement toute latitude pour intimider, censurer et poursuivre en justice les Vénézuéliens qui critiquaient le président ou s'opposaient à son programme politique.


(New York) – La présidence d'Hugo Chávez (1999-2013) au Venezuela a été caractérisée par une extrême concentration du pouvoir et un mépris flagrant pour les garanties fondamentales en matière de droits humains, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.

Après avoir promulgué en 1999 une nouvelle constitution qui contenait un large éventail de dispositions censées protéger les droits humains – et avoir survécu à un coup d'État éphémère en 2002 – Chávez et ses partisans ont entrepris de cumuler les pouvoirs. Ils ont pris le contrôle de la Cour suprême et ont limité les possibilités pour les journalistes, les militants des droits humains et les citoyens vénézuéliens en général d'exercer leurs droits fondamentaux.

Vers la fin de son deuxième mandat complet à la tête du pays, la concentration des pouvoirs et l'érosion des garanties des droits humains donnaient au gouvernement toute latitude pour intimider, censurer et poursuivre en justice les Vénézuéliens qui critiquaient le président ou s'opposaient à son programme politique. Au cours de ces dernières années, le président et ses partisans se sont servis de ces pouvoirs dans toute une série d’affaires marquantes, dont l'impact négatif a été ressenti par des secteurs entiers de la société vénézuélienne.

De nombreux Vénézuéliens ont continué de critiquer le gouvernement. Mais la perspective de représailles - sous la forme d’une action arbitraire ou abusive de l’État - a forcé les journalistes et les défenseurs des droits humains à mesurer l’impact de la divulgation d’informations ou d’opinions critiques à l’égard du gouvernement, tout en réduisant la capacité des juges à statuer sur les affaires sensibles sur le plan politique.

Atteintes à l'indépendance de la justice

En 2004, Chávez et ses sympathisants à l’Assemblée nationale se sont assurés du contrôle politique de la Cour suprême du Venezuela, en ajoutant 12 sièges aux 20 sièges déjà existants et en les attribuant à des alliés politiques. Cette nouvelle Cour Suprême a alors cessé de fonctionner comme un organe de contrôle du pouvoir présidentiel. Ses juges ont rejeté ouvertement le principe de séparation des pouvoirs et ont promis publiquement de promouvoir le programme de Chávez. Cet engagement politique s’est traduit par des jugements qui ont confirmé à plusieurs reprises le mépris du gouvernement pour les droits humains.

Les juges des instances inférieures ont été soumis à de fortes pressions pour ne pas rendre de jugements susceptibles de contrarier le gouvernement.

En 2009, Chávez a demandé publiquement qu'une peine de 30 ans d'emprisonnement soit infligée à une juge qui avait accordé la liberté conditionnelle à un détracteur bien connu du gouvernement resté près de trois ans en prison dans l’attente de son procès.La juge, María Lourdes Afiuni, a été arrêtée et a passé plus d'un an en prison en détention préventive, dans des conditions déplorables. Elle est actuellement assignée à résidence.

Atteintes à la liberté de la presse

Sous le régime Chávez, le gouvernement a étendu de manière spectaculaire ses moyens de contrôle des informations diffusées par les médias audiovisuels et la presse écrite du pays. Il a adopté des lois élargissant et durcissant les sanctions pour la diffusion de propos « offensants » à l'égard des responsables du gouvernement, interdisant de diffuser des messages susceptibles de « susciter l’anxiété au sein de la population » et permettant la suspension arbitraire de chaînes de télévision, de stations de radio et de sites internet.

Le gouvernement Chávez a cherché à justifier sa politique vis-à-vis des médias comme étant nécessaires pour « démocratiser » les ondes dans le pays. Mais en fait, au lieu de promouvoir le pluralisme, le gouvernement a abusé de sa compétence réglementaire pour intimider et censurer ses détracteurs. Il a accru de une à six le nombre des chaînes de télévision gouvernementales, tout en prenant des mesures offensives pour réduire la disponibilité des médias qui diffusent des propos critiques à l’égard du gouvernement.

En réaction à leur couverture négative, Chávez a menacé à plusieurs reprises de retirer des ondes certaines stations privées en s'opposant au renouvellement de leur licence. En 2007, faisant preuve de discrimination politique flagrante, son gouvernement a empêché la plus ancienne chaîne de télévision privée vénézuélienne, RCTV, de renouveler sa licence d'émission et a saisi ses antennes. Trois ans plus tard, il a également exclu RCTV du réseau câblé en forçant les opérateurs de ce réseau à cesser de transmettre ses programmes.

L'élimination de RCTV a fait de Globovisión la seule grande chaîne qui critique encore le président. Le gouvernement Chávez a cherché à plusieurs reprises à imposer des sanctions administratives à l'encontre de Globovisión, plaçant cette chaîne devant le risque constant d'une suspension ou d'une fermeture. Il a également porté plainte au pénal contre le président de la chaîne, contre l'un de ses principaux propriétaires et contre un commentateur invité sur le plateau, après qu'ils eurent critiqué publiquement le gouvernement.

Les sanctions et la censure imposées aux médias privés sous le régime Chávez ont eu un fort impact sur les organismes de radio ou de télévision et les journalistes. Si on trouve encore souvent des critiques virulentes du gouvernement dans la presse écrite, sur Globovisión et dans certains autres médias, la crainte de représailles gouvernementales a fait de l’autocensure un grave problème.

Refus de la supervision internationale en matière de droits humains

En plus d'avoir neutralisé la magistrature dans son rôle de garante des droits humains, le gouvernement Chávez a rejeté le système interaméricain de protection de ces droits, refusant de se conformer à des décisions pourtant contraignantes de la Cour interaméricaine des droits de l'homme et empêchant la Commission interaméricaine des Droits de l'Homme d'effectuer sur son territoire une étude des problèmes existants dans le domaine des droits humains. En septembre 2012, le Venezuela a annoncé qu'il se retirait de la Convention américaine relative aux Droits de l'Homme, décision qui prive les Vénézuéliens de la possibilité de se tourner, comme les citoyens des pays voisins et eux-mêmes ont pu le faire depuis des années, vers le plus important organe extérieur de recours contre les abus, dans les cas où les tribunaux nationaux font défaut.

Le gouvernement Chávez a également tenté d'empêcher les organisations internationales d'observer les pratiques du pays en matière de droits humains. En 2008, le président avait fait retenir de force, puis expulser sommairement du Venezuela les représentants de Human Rights Watch, après qu'ils eurent rendu public un rapport documentant les violations par son gouvernement des normes internationales en matière de droits humains. À la suite de cette expulsion, son ministre des affaires étrangères de l'époque, qu'il a choisi depuis lors pour être son successeur, Nicolás Maduro, avait annoncé: « Tout étranger qui viendra dans notre pays pour le critiquer sera immédiatement expulsé ».

Sous le régime Chávez, le gouvernement a également cherché à discréditer les défenseurs des droits humains en les accusant de vouloir saper la démocratie vénézuélienne avec l’appui du gouvernement des États-Unis. Quoique certaines organisations non gouvernementales aient reçu des fonds d’origine américaine et européenne – ce qui est courant en Amérique latine où le financement privé est peu abondant – il n’existe aucun élément crédible prouvant que l’indépendance et l’intégrité de leur travail aient été compromises par ce soutien international. Néanmoins, en 2010, la Cour Suprême a statué que les particuliers ou organisations qui perçoivent des financements étrangers pouvaient être poursuivis pour« trahison ». L'Assemblée nationale a promulgué une loi qui interdit aux organisations qui « défendent les droits politiques » ou « contrôlent les activités des pouvoirs publics » de recevoir une contribution internationale. La loi impose également de lourdes amendes aux organisations qui « invitent » au Venezuela des étrangers qui expriment des opinions jugées « offensantes » pour les institutions.

Solidarité avec les gouvernements qui violent les droits humains

Chávez a également rejeté les efforts internationaux pour promouvoir les droits humains dans les autres pays. Au cours de ces dernières années, le Venezuela a voté systématiquement contre les résolutions de l'Assemblée générale des Nations Unies condamnant les pratiques abusives en Corée du Nord, en Birmanie, en Iran et en Syrie.
En outre, Chávez a été un bruyant partisan du président syrien Bachar al-Assad, du Libyen Mouammar Kadhafi et de l'Iranien Mahmoud Ahmadinejad, décernant à chacun d'eux « l'Ordre du Libérateur», la plus haute distinction officielle du Venezuela.

Sous le régime Chávez, le plus proche allié du Venezuela était Cuba, le seul pays d'Amérique latine qui pratique une répression systématique de presque toutes les formes de dissidence politique. Chávez a désigné Fidel Castro – qui a dirigé le gouvernement répressif de Cuba jusqu'à ce que sa santé décline en 2006 – comme son modèle et son guide.

-------------------------------

Exemples de cas décrits dans le rapport intitulé Tightening the Grip :

Concentration and Abuse of Power in Chávez's Venezuela (« Une mainmise accrue du pouvoir : concentration et abus sous le régime de Chávez au Venezuela ») :

•Après que la juge María Lourdes Afiuni a accordé la liberté conditionnelle en décembre 2009 à un détracteur du gouvernement resté près de trois ans en prison dans l’attente de son procès pour corruption, Chávez l’a qualifiée de « bandit » et a préconisé contre elle une peine d’emprisonnement de 30 ans.
Même si la décision d’Afiuni se conformait à une recommandation des observateurs des Droits de l'Homme des Nations Unies – et respectait le droit vénézuélien – elle a été immédiatement arrêtée et présentée devant un juge intérimaire qui avait juré fidélité à Chávez. ( « Je donne ma vie pour la Révolution », a-t-il écrit sur le site Web du parti présidentiel. « Je ne trahirai jamais cette procédure, et encore moins mon Commandant. » )
Afiuni a passé plus d’une année en détention préventive dans des conditions déplorables, emprisonnée avec des condamnés – dont beaucoup à cause d’elle – qui l’ont menacée de mort à plusieurs occasions.

Suite aux critiques grandissantes des organismes internationaux des droits humains, Afiuni a été assignée à résidence en février 2011. Après de longs retards, son procès s'est ouvert en novembre 2012. Afiuni a refusé de comparaître, affirmant qu'elle ne pourrait bénéficier d'un procès équitable, mais la procédure s'est poursuivie en son absence.

• Après qu’en août 2011, l’hebdomadaire 6to Poder a publié un article satirique dans lequel six femmes fonctionnaires de haut rang, dont la procureure générale et la présidente de la Cour suprême, étaient représentées comme des danseuses dans un cabaret appelé « La Révolution » et dirigé par « Monsieur Chávez », les six fonctionnaires ont demandé l’ouverture d’une enquête criminelle et la fermeture du journal. En quelques heures, des mandats d’arrêt étaient délivrés à l’encontre de la directrice du journal, Dinora Girón, et de son président, Leocenis García, pour « incitation à la haine publique ». Girón a été arrêtée le lendemain, gardée à vue pendant deux jours, puis laissée en liberté conditionnelle. García s’est d’abord caché avant de se livrer aux autorités la semaine suivante; il a été emprisonné deux mois, puis a bénéficié d’une libération conditionnelle.
Actuellement, Girón et García sont toujours sous le coup d’une enquête criminelle avant d’être jugés. Le journal fait l’objet d’une injonction du tribunal lui interdisant de publier tout texte ou toute image qui pourrait constituer « une atteinte et/ou un outrage à la réputation, ou à la dignité, de tout représentant des pouvoirs publics, dans le but d’exposer cette personne au mépris et à la haine de la population ».

•Après que la militante des droits humains Rocío San Miguel a pris part à une émission télévisée en mai 2010, dénonçant le fait que des hauts gradés de l’armée étaient membres du parti politique de Chávez (pratique interdite par la Constitution vénézuélienne), elle a été accusée sur la chaîne d’État d’être un « agent de la CIA » et d’« incitation à l’insurrection ». La revue officielle des Forces armées l'a accusée de vouloir fomenter un coup d’État au Venezuela.
L’organisation non gouvernementale qu’elle dirige, Citizen Watch, a également été citée, ainsi que d’autres ONG de renom, dans une plainte au pénal déposée par plusieurs groupements de jeunes affiliés au parti de Chávez, dans le cadre d’une accusation de « trahison » pour avoir encaissé des fonds du gouvernement américain.
Depuis, à plusieurs reprises, San Miguel a reçu des menaces de mort de la part d’individus non identifiés. Bien qu’elle ne sache pas d’où viennent ces menaces, elle pense que les accusations publiques portées dans les médias officiels l’ont rendue plus vulnérable aux actes d’intimidation de ce genre

• Après que le défenseur des droits humains Humberto Prado a critiqué le gouvernement en juin 2011 pour la manière dont il avait fait face à une émeute dans une prison, le ministre de la Justice de Chávez l’a accusé de vouloir « déstabiliser le système carcéral » et le vice-président a affirmé que les critiques faisaient partie d’une stratégie de « déstabilisation politique du pays ». Dans les jours qui ont suivi ces accusations publiques, Prado a commencé à recevoir des menaces anonymes, y compris des appels téléphoniques lui disant de rester tranquille s’il tenait à ses enfants, ce qui l'a incité à quitter le pays pour deux mois avec sa famille.
Alors qu’il se préparait à revenir au Venezuela, il a reçu un courriel anonyme avec, en pièce jointe, ce qui ressemblait à un document officiel envoyé par le Bureau du Procureur général pour lui annoncer qu’il faisait l’objet d’une enquête criminelle pour « trahison ». Plus tard, le procureur dont le nom figurait sur la lettre lui a affirmé qu’il ne l’avait ni écrite ni signée. Prado a continué à recevoir des menaces d’origine non identifiée. Comme San Miguel, il estime que les agressions verbales commises par les représentants du gouvernement Chávez l’ont mis à la merci de ces actes d’intimidation.

• Après que la plus ancienne chaîne de télévision vénézuélienne, RCTV, a diffusé en novembre 2006 une séquence vidéo montrant le ministre vénézuélien de l’Énergie en train de dire aux employés de la compagnie pétrolière nationale que, s’ils ne soutenaient pas le président, ils devaient quitter leur travail, Chávez a prévenu publiquement RCTV et d’autres chaînes qu’elles pourraient perdre leur licence, une menace déjà proférée à plusieurs reprises à la suite d’émissions critiques à son égard. Un mois plus tard, le président a annoncé sa décision unilatérale par laquelle RCTV ne serait plus « tolérée » sur les fréquences publiques à compter de l’expiration de sa licence l’année suivante.
En mai 2007, RCTV a cessé d’émettre sur les fréquences ouvertes mais a continué sa diffusion sur le câble. Depuis lors, le gouvernement a exercé son pouvoir réglementaire pour exclure aussi RCTV du réseau câblé.
En janvier 2010, la Commission nationale des télécommunications (CONATEL) a établi que RCTV était un « producteur audiovisuel national », donc soumis aux normes de diffusion récemment instituées. Quelques jours plus tard, le ministre des Communications de Chávez menaçait d’ouvrir une enquête administrative contre tous les opérateurs du câble qui diffuseraient des chaînes en infraction avec les nouvelles normes. À la suite de quoi, les opérateurs du pays ont interrompu la diffusion de RCTV International. Depuis, la CONATEL a rejeté les tentatives répétées de RCTV qui souhaitait recouvrer son agrément en tant que chaîne du câble. Actuellement, elle ne peut être regardée que sur Internet et elle ne couvre plus l’information, faute de financement.

• Après que Globovisión, la seule chaîne de télévision d’envergure nationale qui se montre régulièrement critique à l’égard des politiques du régime, a couvert en détail une émeute dans une prison en juin 2011 – diffusant de nombreux entretiens avec des familles bouleversées selon lesquelles les forces de sécurité étaient en train de tuer des détenus – Chávez a réagi en accusant la chaîne de « mettre le feu au pays… dans le seul but de renverser ce gouvernement ». Les pouvoirs publics ont rapidement lancé une enquête administrative sur le traitement de la violence par Globovisión et, en octobre, ont décidé que la chaîne avait « encouragé à la haine pour des raisons politiques et engendré l’angoisse dans la population », exigeant une amende de 2,1 millions de dollars, soit 7,5 % des revenus de la société en 2010. Actuellement, Globovisión fait l'objet de sept autres enquêtes administratives, dont une lancée à la suite d’un reportage qui affirmait que le gouvernement n’avait pas fourni au public les informations indispensables après un tremblement de terre, ainsi qu’une récente enquête concernant la diffusion de messages qui remettaient en question l'interprétation par le gouvernement des procédures constitutionnelles requises pour l’inauguration de Chávez en 2013. En vertu de la loi sur l’audiovisuel que Chávez et ses partisans ont fait passer à l’Assemblée nationale en 2004, un deuxième jugement contre Globovisión pourrait entraîner une nouvelle amende très lourde, la suspension de sa diffusion ou le retrait de sa licence.

• Après qu’Oswaldo Álvarez Paz, homme politique d’opposition, a participé à la principale émission d’entretiens politiques sur Globovisión en mars 2010, commentant des allégations sur l’accroissement du trafic de drogue au Venezuela et sur une décision de justice espagnole qui mentionnait une possible collaboration entre le gouvernement du Venezuela et les guérillas colombiennes, les séparatistes basques et d’autres groupes « terroristes », Chávez a répondu dans une émission nationale que ce genre de commentaire « ne pouvait être autorisé », et il a invité les autres instances gouvernementales à « agir ».
Deux semaines plus tard, Álvarez Paz était arrêté au motif que ses « déclarations manifestement fausses » avaient provoqué « une crainte injustifiée » dans la population. Álvarez Paz est resté en détention préventive pendant près de deux mois, puis a bénéficié d’une libération conditionnelle pendant son procès qui s’est terminé en juillet 2011 avec un verdict de culpabilité et une condamnation à deux ans de prison. Le juge a permis à Álvarez Paz d’effectuer sa peine en liberté conditionnelle, lui interdisant cependant de quitter le pays sans autorisation judiciaire.

• Après qu’en mars 2010 lors d’une conférence internationale, le président de Globovisión, Guillermo Zuloaga, a critiqué les attaques de Chávez contre la liberté de la presse et accusé le président d’avoir ordonné que l’on tire sur des manifestants avant le coup d’État de 2002, le Congrès, favorable à Chávez, a demandé une enquête criminelle. Zuloaga a été arrêté pour avoir communiqué de fausses informations et pour outrage au président.
Un juge lui a rapidement accordé la liberté conditionnelle mais, en juin, Chávez a insisté en public pour que Zuloaga soit de nouveau arrêté. Deux jours après, des membres de la Garde nationale faisaient une descente à son domicile et, la semaine suivante, un juge délivrait un nouveau mandat d’arrêt contre lui pour une autre affaire. Ayant fui le pays avant que l’ordre ait pu être exécuté, Zuloaga n’est pas revenu.

• Après que Nelson Mezerhane, banquier et principal actionnaire de Globovisión, a déclaré dans un entretien de décembre 2009 que des personnes « liées au gouvernement » avaient fait courir des rumeurs qui avaient provoqué des retraits d’épargne auprès des établissements bancaires vénézuéliens, Chávez l’a dénoncé publiquement, a demandé au procureur général d’« ouvrir une enquête officielle » et a menacé de nationaliser la banque de Mezerhane. Chávez a averti que « [s]i une chaîne de télévision franchissait encore la ligne par une violation de la loi ou par des actes irrespectueux envers la société, l’État ou les institutions, elle ne pourrait et ne devrait pas rester ouverte ».
Six mois plus tard, le Bureau du Procureur général saisissait la résidence de Mezerhane et ses actions dans Globovisión, tandis que l’autorité bancaire gouvernementale nationalisait sa banque. De plus, le Bureau du Procureur général a interdit à Mezerhane de quitter le pays, mais il était à l’étranger quand l’injonction a été délivrée et il n’est pas retourné au Venezuela.

• Après que la chaîne câblée locale de l’État de Miranda, Tu Imagen TV, a été accusée en novembre 2010 par un maire pro-Chávez de se montrer « partiale en faveur de l’opposition politique », la CONATEL a ordonné que l’opérateur du câble local cesse de diffuser la chaîne au motif que l’opérateur et la chaîne ne s’étaient pas conformés aux récentes obligations réglementaires qui exigeaient un contrat écrit entre les parties. Malgré le contrat signé transmis le mois suivant, l’agence a attendu huit mois avant d’autoriser l’opérateur à reprendre la diffusion de la chaîne. Selon le directeur de celle-ci, en donnant son accord, la CONATEL a menacé de renouveler les interruptions si la chaîne continuait à produire des émissions critiques.

• Après qu’en janvier 2011, le feuilleton populaire intitulé « Chepe Fortuna » a montré une scène dans laquelle un personnage féminin nommé Venezuela, qui a perdu son chien Huguito (Petit Hugo), demande à son petit-ami ce qu’il va advenir de Venezuela sans Huguito, ce à quoi il répond « Tu seras libre, Venezuela », la CONATEL a exhorté la chaîne de télévision Televen à « suspendre immédiatement » le feuilleton en prétextant qu’il encourageait « l’intolérance politique et raciale, la xénophobie et les actes criminels ».
Cette accusation pourrait conduire à des sanctions civiles, pénales et administratives, y compris la suspension ou le retrait de la licence de la chaîne. Televen a annulé la programmation le jour même.


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Re: Vénézuela

Messagede ivo » 07 Mar 2013, 11:30

Chavez: pourquoi tant de haine?
Chavez restera comme l’homme politique le plus détesté des médias d’Occident en général, et de France en particulier. Quoi qu’il n’ait jamais enfreint le suffrage universel et qu’il ait été réélu trois fois, il a été traité au mieux de « populiste » (c’est devenu l’injure suprême) et au pire de dictateur.
...
Bref, dans un monde médiatique fonctionnant sur le mode binaire – les bons contre les méchants – Chavez était d’office classé dans le camp du Mal. Le Venezuela devait être mis en banc de la civilisation, à la différence du Qatar ou de l’Arabie Saoudite, par exemple, ces pays amis de l’Occident, forcément respectueux des droits de l’homme, de la femme et du citoyen (surtout de la femme).
...

>>>
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Re: Vénézuela

Messagede DjurDjura » 07 Mar 2013, 20:57

(fr) l'assassinat de Sabino Romero
Date Wed, 06 Mar 2013 10:18:17 +0200


--------------------------------------------------------------------------------
Dans la nuit du 03 mars 2013 sur la route de Chaktapa, a été assassiné dans la Montagne du Perijá (état de Zulia), le "cacique" (chef indien) yukpa Sabino Romero, connu pour sa défense des droits du peuple yukpa. ----

Depuis le 13 novembre de 2003, date à laquelle le président Hugo Chavez annonça dans El Menito, Lagunillas, la multiplication par trois de l'exploitation du charbon à 36 millions de tonnes annuelles dans les territoires habités par différentes ethnies aborigènes, Sabino Romero forma partie des communautés indigènes qui se mobilisèrent pour refuser les conséquences sur ses territoires de l'expansion de la mégaminerie dans la région. La lutte de Sabino avait pour objectif l’obtention de la démarcation et titulariat des territoires indigènes.

Pour obtenir cela il réalisa différentes mobilisations, tant dans l'état de Zulia comme à
Caracas, utilisant différentes méthodes de lutte, comme l'action directe
et l'occupation de terres indigènes aux mains des éleveurs de bétail.

Les niveaux d'autonomie de Sabino Romero dans sa lutte motivèrent une
stratégie partagée entre tous les facteurs de pouvoir régionaux et
nationaux intéressés à continuer l'exploitation des terres indigènes.

En 2009, deux communautés, l’une d'elles avec Sabino Romero, occupèrent une ferme en Chaktapa, Zulia, pour dénoncer le blocage du processus de
démarcation. L'exécutif national mis en place une stratégie pour diviser
les occupants, et dans un acte très obscur, trois indigènes furent
assassinés. Cela fut l'excuse parfaite pour reprendre militairement la
ferme et criminaliser Sabino Romero, qui resta 18 mois en prison accusé
d’homicide pour ce fait...

Pendant ce temps, les éleveurs de bétail l'accusaient d'être un voleur de bétail et les moyens d'information privésde la région intensifiaient la guerre sale contre la lutte indigène, avec l'appui de leurs alliés à Caracas: le ministre de l'Intérieur et de laJustice, Tareck El Aissami, et la ministre des peuples indigènes, Nicia Maldonado.

Et pendant que le chavisme autocratisé faisait distraction sur la lutte indigène avec délations, excuses et spectacles médiatiques chaque 12 octobre, d'autres secteurs du chavisme isolaient Sabino Romero et les yukpas de la solidarité d’autres mouvements sociaux et révolutionnaires indépendants du contrôle de Miraflores, le Palais Présidentiel. La stratégie, depuis tous ces fronts, était réalisée par tous et pour chacun des bénéficiaires de l'économie primaire exportatrice de minéraux et
énergie dans le pays.

L'assassinât d'un militant yukpa est déguisé sous des versions officielles
qui tentent de cacher les vrais responsables
. Ces versions sont amplifiées
par le journal officiel Panorama, connu pour ses généreux encarts
publicitaires reçus par les corporations de l'État PDVSA, Corpozulia y
Carbozulia, et avalisées par les organismes policièrs et militaires, les
mêmes qui ont harcelé les communautés indigènes de la Montagne du Perijá
en complicité avec les éleveurs de bétail de la zone. Il est très
significatif que le plan d'assassinat que Sabino avait dénoncé ait été
perpétré maintenant que l'État de Zulia est sous le contrôle politique des
bolivariens. Comme dans le cas d'autres militants sociaux assassinés, les
scandales médiatiques officiels seront une carte blanche pour l'impunité.

La lutte de Sabino Romero affrontait, de fond, le modèle de développement
bassé sur l'extraction et commercialisation de ressources pétrolières, de
gaz et de minéraux sur le marché mondial, rôle assigné au Venezuela par la
globalisation économique. Le capitalisme pétrolier étatique laisse de côté
les conséquences sur le milieu naturel, de même que sur les communautés
paysannes et indigènes. La vraie cause de l'arrêt de la démarcation et
dévolution des terres indigènes est que dans ces terres se trouvent les
ressources minérales pour être exportées. C'est pour cela que la
résistance de Sabino était une résistance au modèle extractif. C'est pour
cela qu'il fallait le faire disparaitre, de n'importe quelle manière.

C'est pour cela qu'il y a déjà 13 yukpas morts, assassinats restés impunis
jusqu'à aujourd'hui
. Et comme le démontra le jugement contre les
organisations qui apportaient leur appui à cette lutte (Homoetnatura y
Provea), Il fallait leur enlever tous les appuis possibles.

Depuis El Libertario, nous dénonçons l'assassinat de Sabino Romero et nous
continuerons à diffuser les luttes indigènes et les luttes sociales avec
des niveaux d'autonomie. Sabino forme partie maintenant de la liste de
combattants assassinés pendant le gouvernement bolivarien pour défendre
leurs droits, à coté de Mijaíl Martínez, Luis Hernández, Richard Gallardo
y Carlos Requena.

L'unique polarisation sociale et politique que nous les anarchistes nous
reconnaissons est celle qui existe entre ceux qui gouvernent et ceux qui
obéissent, entre puissants et faibles, patrons et travailleurs, enfin,
entre victimes et bourreaux. C'est pour cela que nous ne demanderons rien
aux bourreaux. Nous n'attendons rien de leur parodie de Justice, ni des
larmes de crocodile des bureaucrates qui ont conduit Sabino à la mort.
Comme hier, aujourd'hui et demain, nous continuerons à être mobilisés avec
tous ceux qui luttent dans le pays contre le pouvoir, jusqu’au jour où le
sang des nôtres pourra être revendiqué publiquement.

Journal El Libertario - http://www.nodo50.org/ellibertario -
htpp://periodicoellibertario.blogspot.com

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Re: Vénézuela

Messagede indignados » 08 Mar 2013, 00:06

MIS aussi sur mon blog

contre chavez :article du journal libertario

contre chavez :article du journal libertario
par Flores Magon, mardi 21 août 2012, 14:02 ·
Chavisme et anarchisme aujourd'hui
http://www.facebook.com/notes/flores-ma ... 8829301707
http://l-indigne.skyrock.com/3147554778 ... d-hui.html

Chavez s'est un marxisme autoritaire et je ne crois vraiment pas que ce courant du marxisme dogmaique, populisme , autoritaire puisse faire illusion même a ces début avec l'anarchisme.

C'était l'époque de la troisième voix vanté par Castro, Ché Guevara.

Au nom de cette troisième voix, et après son anti américanisme populiste il est allé soutenir les pires dictatrures ( Celle de Poutine en Russie, Khomeni en Iran , de Saddam Hussein en Irak et de Bachar el Essad en Syrie).

Sans compter que ces relations sont plus ambigu que ne laisse ces discours de tribun. a voir ; Un oeil sur la planète - Venezuela : Chavez viva la revolucion ! http://www.youtube.com/watch?v=e9EcMTs2brM " la première direction du pétrole vénuzelien est les Etats Unis, Europe et quelques pays d'amérique Latine
indignados
 
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Re: Vénézuela

Messagede Kzimir » 08 Mar 2013, 00:13

Ceci dit, même avec tout ses défauts et son côté dictatorial, je pense que le régime de Chavez a plutôt vu une baisse des inégalités et la mise en place d'une certaine politique de redistribution (comme ça a été le cas en URSS par exemple). A choisir et en comparant avec un pays voisin, mieux vaut Chavez qu'Uribe.
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Re: Vénézuela

Messagede Nyark nyark » 08 Mar 2013, 00:26

Sujet compliqué : même les medias alternatifs ont du mal à s'y retrouver :

09h15 le neuf-quinze
S'informer sur Chavez, mode d'emploi

Avec Hugo Chavez, disparait une incarnation sans équivalent de la prise en otage de l'information par l'idéologie, dans le système médiatique (notamment français). Un enjeu acharné, sans merci, entre "pro" et "anti", comme s'il ne pouvait pas exister, sur la "révolution bolivarienne", d'approche contradictoire des faits. Sur tous les aspects de la situation vénézuelienne, on se battit pied à pied, des années durant, entre médias dominants, Le Monde en tête, et médias alternatifs (acrimed et Le Monde diplo menant la résistance). Sur le respect de la démocratie, du pluralisme médiatique, sur les incessantes escarmouches entre le pouvoir et les médias privés au Vénézuela, ce n'étaient, ici, qu'arguments et contre-arguments, comme s'il était impossible à quiconque de délivrer une information fiable sur la complexité des rapports de force locaux.

Il est peu probable que la mort de Chavez désarme les combattants. Sur la situation économique dans laquelle le commandante laisse son pays, il faut lire par exemple le tableau apocalyptique, brossé par Les Echos (1), de la situation "désastreuse" de cette économie, ruinée par les "effets pervers" de la rente pétrolière Effets pervers ? "Hugo Chavez, écrit Yves Bourdillon, disposait ainsi d'une cassette personnelle dotée de dizaines de milliards de dollars pour arroser dans la plus grande opacité ses obligés, qu'il s'agisse de groupes sociaux à l'intérieur du pays ou d'appuis à sa « révolution bolivarienne » sur le continent sud-américain". Quelle horreur, que cette manne déversée par l'Etat sur ses "obligés", à savoir les pauvres. Mais le meilleur de Bourdillon est dans ses concessions: "Il faut toutefois reconnaître que le régime Chavez n'a jamais basculé dans la dictature absolue ; les partis d'opposition fonctionnent presque librement et les cas documentés d'arrestations arbitraires ou de tortures d'opposants sont quasi inexistants. Le régime a aussi organisé nombre d'élections dont les dernières n'étaient, apparemment, pas caractérisées par des fraudes massives". Savourons ce "toutefois", ce "presque", ce "quasi", ce délicieux "apparemment".

Autre enjeu d'empoignade, l'insécurité et la criminalité au Venezuela. Dès les petites heures du mercredi, Le Monde a dégainé un article de son spécialiste de l'Amérique latine, Paulo A. Paranagua, rappelant que le pays est "le deuxième plus meurtrier au monde" (2). La faute à Chavez ? Ce n'est pas dit, mais c'est sous-entendu, si fort que tout le monde l'entend. Un coupe-gorge, le Vénézuela ? Incontestable: même Maurice Lemoine, du Monde diplo, le reconnaissait lui-même en 2010 (3). Mais le régime chaviste en est-il responsable ? Les choses sont plus compliquées, et le long papier de Lemoine remonte aux racines de la violence vénézuelienne, sur fond de boom pétrolier...au début du XXe siècle. Pour autant, Chavez n'y est-il vraiment pour rien ? Pas tout à fait. "Le gouvernement bolivarien ne serait-il pas tombé dans l'analyse réductionniste qui attribue la violence à la seule misère ?" interroge Lemoine, qui répond dans une savoureuse litote: "on peut le supposer". Bref, reconnaissons-le: au prix d'un surf acrobatique, et d'un patient slalom entre les suppositions, les concessions, et les adverbes restrictifs, il est possible de s'informer sur le Vénézuela. De quoi se plaint-on ?

(1) http://www.lesechos.fr/economie-politiq ... 544389.php

(2) http://america-latina.blog.lemonde.fr/2 ... SS-3208001

(3) http://laboratoireurbanismeinsurrection ... lence.html

Daniel Schneidermann


Et en effet :

http://www.acrimed.org/article3862.html
Pour mémoire : Franz-Olivier Giesbert géopolitise sur le Venezuela

par Henri Maler, Nicolas Galy, le 7 mars 2013

« Le processus en cours au Venezuela suscite espérances et inquiétudes. Qu’on lui soit favorable ou hostile, il appelle à la vigilance. Cette vigilance peut-elle s’exercer sans enquête effective ? La réponse est dans la question. » C’est ce que nous écrivions dans l’article récent, daté du 12 juillet 2012, que nous reproduisons ci-dessous. Contrairement à ce que laisse entendre Daniel Schneidermann dans une chronique mal inspirée [1], nous n’avons jamais apporté un soutien inconditionnel à Chavez et à la « révolution bolivarienne », mais combattu la désinformation systématique dont elle a fait l’objet dans les médias dominants. Dominants ! Bref, nous avons fait notre job de critique des médias.

Voir aussi la totalité de notre rubrique « Loin du Venezuela ».

Franz-Olivier Giesbert est un cumulard omniscient. Cumulard : Le Point, France 2, France 5, La Chaîne parlementaire (LCP), etc. Omniscient : politique politicienne, culture cultureuse et géopolitique planétaire sont ses spécialités. Sur LCP (chaîne d’État s’il en fut), il « anime » une émission mensuelle (seulement…) – « Parlez-moi d’ailleurs » – qui se présente comme « Le rendez-vous géopolitique » et prétend « décrypter » [2]. Le 31 mai 2012, Giesbert « décryptait » « Le phénomène Chavez », en présence de quatre invités. Une confrontation très virulente qui donne l’occasion d’échanger les arguments habituels. Mais il fallait choisir. Et nous avons choisi de ne retenir que les interventions du présentateur, avec juste ce qu’il faut de contexte pour comprendre l’étendue du savoir de l’omniscient en charge d’un interrogatoire à sens unique.
***

Quatre invités donc. Deux d’entre eux sont chargés de représenter les « pro-Chavez » : Farid Fernandez (conseiller à l’ambassade du Venezuela à Paris) et Maurice Lemoine (ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique). Les deux autres incarnent les « anti-Chavez » : Renée Fregosi (directrice de recherche à la Sorbonne, plus précisément à l’Institut des hautes études de l’Amérique latine) et François-Xavier Freland (journaliste, correspondant de RFI et TV5 au Venezuela). Le « match » peut commencer et « l’arbitre » déployer son parti-pris et, en guise d’arguments, ressasser quelques slogans.

Image

Présentation de l’émission…
- Franz-Olivier Giezbert (FOG) : « […] Pour débattre de ce personnage étrange, à la tête d’un pays de vingt-huit millions d’habitants, un pays assis sur des réserves pétrolières qui sont les plus grandes du monde [on n’a pas fini de l’apprendre] : deux cents quatre-vingt-seize, peut-être même deux cent quatre-vingt-dix-sept milliards de barils… plus… plus que l’Arabie saoudite… […] »

… Puis vient l’introduction d’un premier reportage (ou de la première séquence d’un même reportage qui semble avoir été fractionné).
- FOG : « Alors, avant de commencer le débat, je vous propose de regarder tout de suite d’un peu plus près “la bête” ; oui, on va regarder un petit sujet autour de Chavez. »

Le reportage évoque les conditions d’accès au pouvoir de Chavez - de sa tentative de coup d’État de 1992 à son élection en 1998 -, omet le coup d’État et les grèves fomentées par l’opposition, et donne la parole à des témoins. Les uns expriment leur déception et parlent de marche vers la dictature, quand d’autres disent qu’il s’agit d’un régime démocratique, mais « personnifié », « très incarné ». Suit alors l’évocation des apparitions de Hugo Chavez à la télévision : jusqu’à huit heures, parfois quotidiennement. Témoignages d’opposants à l’appui, le reportage, sur la liberté de la presse, invite à distinguer la liberté d’opinion, qui serait totale, et la liberté d’information, qui serait restreinte. Tout cela est discutable, mais comment ?

Leçon « experte » du premier reportage.
- FOG : « Alors quand “César” Chavez est arrivé au pouvoir, à la fin du siècle dernier, il faut bien dire que la situation était absolument catastrophique. Ça s’est redressé, d’ailleurs. Il y avait à l’époque, je crois, 30 % de Vénézuéliens qui vivaient au-dessous du seuil de pauvreté. Il y a un peu plus de partage aujourd’hui, mais enfin, c’est quand même pas terrible quoi, non ? »

Le « débat » s’amorce par la confrontation sur les restrictions dont seraient victimes les médias d’opposition. Puis, alors que Fregosi soutient que la situation économique est revenue à l’état catastrophique de l’avant-Chavez, Giesbert l’interrompt pour préciser sa « pensée ».
- FOG : « En même temps, on a vu l’aspect démocratique : Hugo Chavez c’est César, c’est “César” Chavez, enfin il y a un petit côté césarien ridicule, avec ce petit personnage qui est tout le temps à la télé, qui parle tout le temps, qui chante… »

Fregosi l’interrompt et mentionne un collègue historien qui a « évolué parce que c’est un homme intelligent lui aussi » et qu’il a constaté la « dérive autoritaire ». Enchaînement subtil :
- FOG : « Alors vous, Farid Fernandez, qui êtes un homme intelligent, qui parlez d’ailleurs un français remarquable, est-ce que vous avez évolué sur Hugo “César” Chavez [Fernandez tente de parler] le petit César [nouvelle tentative] le petit César du Venezuela. »

Fernandez répond que Chavez a gagné douze élections sur treize, des élections particulièrement fréquentes, et qu’il n’est pas sérieux, à ses yeux, de parler de dictature, ou d’autoritarisme, ou […] d’une marche vers la dictature… ». Mais « l’arbitre » ne s’en laisse pas conter.
- FOG : « Qui fait quand même un petit peu dictature d’opérette : par exemple les dernières élections législatives ont été perdues par Chavez. [Fernandez le nie] Non parce qu’effectivement il a eu plus de députés mais il avait moins de voix, donc ça existe pas ce système-là. [Fernandez tente à nouveau de le nier] Non, non, il avait moins de voix puisque l’opposition, alors on peut demander à madame Fregosi, elle fait 52 %, elle perd les élections, c’est le seul pays au monde, enfin c’est un des rares pays au monde… »

Ce décalage entre le nombre de voix et le nombre de députés (qui, même si on peut le déplorer, existe dans d’autres pays, dont la France), s’explique par les divisions de l’opposition et le découpage des circonscriptions (parfois défavorable aux partisans de Chavez). Mais « l’arbitre » n’en a cure.
- FOG : « Il reste quand même que l’opposition qui a plus de voix que le parti de Chavez a moins de députés : il y a quelque chose qui va pas. »
- Fernandez : « Ce n’est pas exactement le cas… »
- FOG : « C’est tout à fait le cas. »

Quelques échanges plus loin, alors que Freland évoque le fait que Chavez passe quotidiennement plusieurs heures à la télévision, « l’arbitre » surenchérit.
- FOG : « Ben ça ressemble un peu à la Corée du Nord là ? De ce point de vue ? Ben oui, c’est la Corée du Nord. Ben oui, c’est la Corée du Nord… »

Ce coup de main, tout en nuances, aux thèses de l’opposition appelait un retour à l’équilibre que « l’arbitre » introduit ainsi :
- FOG : « Alors, Maurice Lemoine… Maurice Lemoine, qui va donner un petit coup de main à Farid Fernandez… »

Lemoine est immédiatement interrompu par Freland, qui se dit catastrophé par le décalage existant à ses yeux entre les articles du Monde diplomatique et la situation « réelle » au Venezuela.
- Lemoine : « On a affaire à un procureur ? »
- FOG (avouant ainsi qu’il s’agit d’une émission à charge contre Chavez) : « Vous plaidez, vous êtes l’avocat, et il y a le procureur et… C’est un débat télévisé. »

S’ensuit un vigoureux échange entre les participants, notamment autour des chiffres avancés par Lemoine, en particulier sur la réduction de la pauvreté. Giesbert brandit sa fiche.
- FOG : « S’il vous plaît, je voudrais donner quelques chiffres et demander à monsieur Fernandez comment il explique, quand même, ce phénomène, parce que… C’est un pays très riche , le Venezuela, puisque comme je le disais, il a plus de réserves pétrolières que l’Arabie Saoudite . C’est quelque chose qui est assez méconnu, hein ? Deux cents quatre-vingt-dix-sept milliards de barils de réserves c’est un chiffre absolument hallucinant… Et comment se fait-il que, malgré ça, aujourd’hui, le taux de croissance du Venezuela soit si faible, de l’ordre de 3 % ? Alors c’est vrai qu’il était en baisse auparavant, avant l’arrivée de Chavez… Et comment se fait-il, aussi, qu’il y ait un taux d’inflation aussi considérable : plus de 27 % ? Il ne faut pas oublier que c’est au Venezuela que le taux d’inflation est le plus élevé, aujourd’hui, au monde, et que l’inflation… elle ne bénéficie pas aux classes les plus défavorisées, ça c’est clair, hein ? [Fernandez acquiesce] En général, ce sont les premières à payer l’inflation. »

Fernandez montre les chiffres de l’inflation avant et après l’arrivée de Chavez au pouvoir, selon une source – la Cepal – que Freland et Fregosi contestent. Mais FOG l’interrompt.
- FOG : « Ah ben non, mais personne ne nous dit que c’était bien avant Chavez, hein, monsieur [3].

Quelques instants plus tard, en guise de transition et de présentation du deuxième reportage (ou de la deuxième séquence du reportage), retour à la Corée du Nord.
- FOG : « Qu’est-ce que c’est que cette démocratie vénézuélienne ? Je vous propose une petite pause, parce que les esprits sont un peu échauffés, on va essayer de calmer tout ça… Une petite pause avec un reportage pour aller voir sur place : qu’est-ce que la démocratie vénézuélienne ? Ben c’est un potage assez bizarre avec un zeste de démocratie participative, et puis avec des images qu’on aurait pu voir effectivement dans des reportages en Corée du Nord, ou autrefois au temps de Staline. On regarde. »

Ce reportage s’efforce d’être ou de paraître équilibré : il donne la parole à des Vénézuéliens qui participent à des conseils communaux et à des opposants qui déplorent d’en être exclus. Selon les premiers, ces conseils permettent à la communauté de définir elle-même ses besoins, pour une meilleure allocation des ressources. Les projets y sont exposés à la communauté et soumis au vote. On voit ceux qui y participent se féliciter du fait que cela donne du pouvoir aux gens directement concernés. Des opposants, quant à eux, reprochent que l’organisation de ces conseils soit interdite à ceux qui ne font pas partie du parti présidentiel, alors qu’un participant à l’un de ces conseils soutient que les opposant sont acceptés quand ils ne cherchent pas à « saboter » le travail des conseils. Le reportage s’achève sur l’évocation des missions bolivariennes (des « programmes sociaux ciblées répondant aux besoins formulés par le peuple lui-même ») ainsi que leurs succès en matière d’alphabétisation et de réduction de la pauvreté. L’expert en démocratie participative, qui a tout compris, conclut.
- FOG : « Voilà : des cartes postales un peu nunuches, qui rappellent les beaux temps du communisme. S’agit-il de démocratie ou d’embrigadement ? Je crois que c’est la question qu’on peut se poser quand on voit ces gens qui répondent un peu avec des phrases stéréotypées, et puis notamment on entend ces mots de “saboteurs”… Il y en a beaucoup, comme chacun sait, en Corée du Nord, ou dans les pays où ça va pas… »

Plus tard, Fernandez reproche aux intervenants de chercher à appliquer des cadres d’analyse « euro-centristes » (jugés « universels » par Fregosi).
- Fernandez : « Vous avez utilisé les termes, monsieur Giesbert, de communisme, de socialisme… »
- FOG : « Ben, c’est un peu rigolo, quoi, c’est tout… »
- Fernandez : « L’Amérique latine, pendant les années 80, a été le, disons, le terreau d’expérimentation des politiques néolibérales… »
- FOG : « Enfin d’extrême droite, il y a eu beaucoup d’extrême droite, bien entendu, parce que c’est… »
- Fernandez : « Et il y a eu, disons, le démantèlement des États, la privatisation des services publics… Tout ceci a, disons, frappé de plein fouet différents pays, dont… »
- FOG : « Oui, mais il y a eu beaucoup de dictatures d’opérette qui ressemblent à celle que… Avec des personnages qui ressemblent à Chavez. »

C’est ce que l’on appelle avoir de la suite dans les « idées »…

Fernandez continue sur l’histoire récente de l’Amérique latine et du Venezuela. Oui, mais…
- FOG : « Oui, mais alors, de ce point de vue, il y a une réussite incroyable en Amérique latine ; tout le monde la reconnaît… C’est la réussite de Lula, hein ? Au Brésil… Chavez c’est quand même plus que discutable, alors qu’il profite de… Alors qu’il a des réserves… Le pays a des réserves pétrolières incroyables. »

Fernandez avance que, pendant trois ans, le Venezuela a eu une croissance parmi les plus élevées du monde. Oui, mais…
- FOG : « Oui, avec, je le rappelle, des réserves pétrolières que beaucoup de pays aimeraient avoir. »
- Fernandez : « Mais les réserves pétrolières sont là depuis le début du XXe siècle, pourquoi est-ce que le Venezuela n’est pas le pays le plus riche du monde, alors ? »
- FOG : « Ben il devrait l’être, oui, bien sûr. »

Le débat se poursuit, quand un nouvel échange éclaire le téléspectateur sur la « pensée » de Giesbert.
- Lemoine : « J’ai quand même vu tout à l’heure dans ce reportage, vous… J’imagine que c’est pour lancer le débat, vous parlez de la Corée du Nord, vous n’êtes pas sérieux quand même, j’espère, Giesbert ? »
- FOG : « Non, mais il y a un petit côté “cucul” , vous voyez bien, dans tout ça. [Lemoine tente de parler] Ces gens qui parlent un langage… On a l’impression qu’ils l’ont appris par cœur, vous voyez ce que je veux dire ? C’est des reportages qu’on a déjà vus dans tous les pays un petit peu totalitaires , vous voyez ce que je veux dire ? C’est un peu de la propagande, quoi. »

Quelque temps plus tard, alors que le « débat » porte déjà sur l’insécurité qui règne au Venezuela, Giesbert introduit un dernier reportage sur la persistance de ladite insécurité, malgré la présidence de Chavez, en raison, notamment, de la faiblesse de l’État. Il s’achève, sur fond d’une musique déchirante, sur le témoignage d’une mère (en l’occurrence, de l’opposition), inquiète quand son fils sort le soir. Mais l’« arbitre » n’a que le pétrole en tête.
- FOG : « Alors, la question qui se pose après ce reportage édifiant, c’est pourquoi un tel fiasco, alors que le Venezuela dispose, je le répète, on ne le dira jamais assez, des réserves pétrolières les plus importantes du monde, plus importantes encore que celles de l’Arabie saoudite ? »

Le bilan négatif, en matière d’insécurité, n’est contesté par personne, bien que son ampleur et ses motifs soient discutés sur le plateau. Mais l’interrogatoire à sens unique conduit par Giesbert n’est pas fini. Ainsi, alors que Fregosi parle de l’espoir, à ses yeux déçu, qu’a suscité pour beaucoup l’arrivée de Chavez, « l’arbitre » dégaine l’un de ses arguments préférés.
- FOG : « Il y avait beaucoup d’espoir sur lui, comme il y avait sur Lula, d’ailleurs. Mais sauf qu’il y en a un qui a réussi, et l’autre pas. »

Et ainsi de suite jusqu’à la fin de l’émission. Retenons encore cette tirade de « l’arbitre ».
- FOG : « Alors, après tout ce qu’on a dit. [Il est interrompu par Fernandez, qui ajoute quelques mots.] Alors après tout ce qu’on a dit, moi, c’est une question que… La question qu’on peut se poser, c’est… Et monsieur Lemoine, on aimerait avoir son avis là-dessus, c’est après, disons, ce côté un peu grotesque et ridicule qu’on a abordé : les discours de huit heures ; sa fille, Rosa Virginia, qu’elle essaye de pousser (sic) pour prendre sa suite ; son gendre qui est ministre des Sciences et des Technologies… Enfin, etc. Ce côté un peu dictature d’opérette, même s’il y a des élections de temps en temps, qui ne correspondent pas tout à fait, d’ailleurs, aux résultats, à l’arrivée, c’est-à-dire que bon… [Fernandez rappelle qu’il y a eu treize élections en treize ans.] Oui, oui, mais qu’il perd et qu’il gagne de toute façon (sic) … Enfin, bref, on a l’impression, de toute façon… Quels que soient les résultats de toute façon, il les emportera toujours… Et est-ce que… Comment on explique cette fascination par (sic) la gauche de la gauche ? C’est ça qui est incroyable : pourquoi a-t-il réussi à fasciner tellement la gauche de la gauche, alors que son “copain” Lula, finalement, a beaucoup mieux réussi ?
* * *

Le processus en cours au Venezuela suscite espérances et inquiétudes. Qu’on lui soit favorable ou hostile, il appelle à la vigilance. Cette vigilance peut-elle s’exercer sans enquête effective ? La réponse est dans la question. Qu’a-t-on appris sur le Venezuela et sur Chavez grâce à Giesbert ? Rien. Qu’a-t-on appris, en revanche, sur Giesbert ? Finalement, pas grand-chose. La propagande est son métier. Suffisance et arrogance, désinvolture et mépris, prétention et vanité : tout cela fait un grand journaliste d’opérette dans un pays, la France, qui n’est pas la Corée du Nord.

Nicolas Galy et Henri Maler
La religion est la forme la plus achevée du mépris (Raoul Vaneigem)
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