Abdel Halim Ahmad Dari: «Mercredi, j’ai vu les bulldozers israéliens détruire ma maison»RENCONTRE | Le logement d’Abdel Halim Ahmad Dari vient d’être démoli. Il était pourtant bâti sur sa propriété. Une histoire banale à Jérusalem-Est, mais un scénario digne de Kafka.
© andrés allemand | Il leur a suffi d’une heure pour tout détruire. Regardez ces ruines!
ANDRÉS ALLEMAND | 24.11.2009 | 00:00
«Lorsque j’ai vu les bulldozers à l’entrée du quartier, j’ai tout de suite su. C’en était fini de notre maison.» Debout devant les gravats, Abdel Halim Ahmad Dari parle d’une voix lasse, résignée. Comme abattu. Il y a de quoi.
«C’était mercredi dernier à 8 h, juste au moment où je partais travailler. Ça leur a pris trois heures pour descendre la ruelle, parce que les voisins tentaient de bloquer le passage avec leurs voitures. Mais une fois arrivés devant chez nous, il leur a suffi d’une heure pour tout détruire. Regardez ces ruines! J’y avais mis toutes mes économies. A 44 ans, j’ai dû retourner vivre chez mes parents. Avec ma femme et mes quatre enfants.»
Constructions illégales
Bienvenue à Al’Isawiya, quartier palestinien de Jérusalem-Est. A voir les ruelles défoncées, on croirait que les autorités israéliennes ont oublié jusqu’à l’existence de ce voisinage.
Mais l’intervention musclée de mercredi a prouvé le contraire.
«D’accord, je n’avais pas de permis de construire, reconnaît le Palestinien. Mais ici, depuis 1967, presque personne n’en obtient. Ou alors à prix d’or. Pourtant, regardez autour de vous le nombre étonnant de maisons neuves! Il n’y a pas le choix: tout le monde est dans l’illégalité. Moi, ce terrain, je l’avais acheté tout à fait légalement en 2005. Puis l’année d’après, à la fin des travaux, nous avons emménagé malgré l’ordre de démolition prononcé par la justice israélienne. C’est qu’on vivait tous coincés chez mes parents…depuis notre mariage en 1989!»
Dans son malheur, cette famille a eu de la chance. Des amis l’ont avertie que la démolition était imminente. Il y a deux mois, Abdel Halim Ahmad Dari et les siens ont décidé de redéménager toutes leurs affaires chez ses parents. Du coup, la maison était vide au moment de la démolition. «J’en connais qui ont tout perdu. Ils n’avaient rien vu venir. C’est totalement aléatoire. La plupart des gens vivent des années de répit, avec toujours la crainte que du jour au lendemain il ne leur reste plus rien.»
Cette menace permanente, ce serait le lot quotidien d’environ un tiers des familles palestiniennes vivant à Jérusalem-Est.
C’est du moins la proportion qu’assène Jeff Halper. Natif du Minnesota, cet anthropologue juif aux allures de Père Noël défroqué anime depuis douze ans le Comité israélien contre la démolition de maisons (ICAHD). Un groupe ultraminoritaire, à gauche de la gauche, qui pratique les barrages humains face aux bulldozers, qui enchaîne ses activistes dans les propriétés menacées, organise des sit-in sur les toits et reconstruit des maisons. Le tout, avec le plus de médiatisation possible.
«Zone verte» non constructible
«Ce qui se joue ici n’a strictement rien à voir avec la planification urbaine, martèle-t-il. Il s’agit au contraire d’une politique délibérée menée depuis 1967 par tous les gouvernements israéliens pour garantir que la population juive reste largement majoritaire à Jérusalem. D’abord, les nouveaux contours de la Municipalité tracés en 1967 ont englobé de vastes territoires détachés de la Cisjordanie. Tout en évitant bien sûr les plus fortes concentrations de population palestinienne. Puis on a décrété que tout Jérusalem-Est était classé en «zone verte» non constructible. Pour empêcher le développement des quartiers arabes. Depuis, 24 000 logements ont été détruits.»
Par contraste, pendant la même période, 90 000 logements ont été créés pour des juifs dans des zones de Jérusalem-Est opportunément déclassées, poursuit l’activiste. Et ce n’est pas fini: la semaine dernière, le gouvernement israélien a annoncé qu’il en construirait 900 de plus à Gilo. «Le résultat, c’est que les juifs représentent encore deux tiers de la population (contre 72% en 1967). Et que les Palestiniens sont de plus en plus confinés dans des quartiers enclavés.» Dans l’espoir qu’ils finissent par s’en aller?
A Al’Isawiya, avant de s’éclipser, Abdel Halim Ahmad Dari jette un dernier regard sur son terrain. Puis lance, songeur: «Dans quelques années, quand j’aurai à nouveau réuni un peu d’argent, je reconstruirai une maison.»
Les évacués de Sheikh Jarrah
Sheikh Jarrah. Autre quartier de Jérusalem-Est. Maged Hannoun et son épouse posent devant la maison où ils vivaient encore début août avec leurs quatre enfants.
«J’y suis né en 1956», sourit-il. Puis il se rembrunit. Car à présent, une guirlande de drapeaux israéliens décore le toit. Des colons ont pris possession des lieux. La justice israélienne a estimé que la propriété appartenait jadis à des juifs et devait donc leur revenir.
Originaires d’Haïfa, les parents de Maged avaient fui les combats en 1948. Ils ont ensuite trouvé asile à Naplouse, en Cisjordanie. Mais en 1956, ils ont décidé d’abandonner les avantages offerts par leurs cartes de réfugiés pour commencer une nouvelle vie à Sheikh Jarrah, où l’ONU avait fait construire sur des terrains mis à disposition par les autorités jordaniennes (qui administraient le territoire jusqu’en 1967). Vingt-huit maisons furent ainsi offertes à d’anciens réfugiés.
«Le 2 août, plus de 500 policiers ont défoncé notre porte d’entrée et nous ont expulsés», raconte Maged Hannoun. «C’est ce qui attend tous ceux qui ont reçu une maison en 1956.»
Qu’en pensent les colons? «Ils sont absents. Mais ils ne vous parleront pas», lance un ouvrier juif. «Ces Arabes sont des menteurs. Des agitateurs. Il n’y aura jamais de paix ici!»
(aa)