Les chars et l’aviation de l’armée israélienne se sont acharnés à pilonner ce quartier de Gaza City, où vivent des centaines de milliers de personnes. Harcelés par les bombardements, des dizaines de milliers de Palestiniens ont pris le chemin de l’exode.
...
Gaza: une tuerie dans l’impunité
Entretien avec Julien Salingue
Gaza sous le feu des bombardements israéliens. Depuis la nuit du 19 au 20 juillet 2014, l’armée de l’Etat hébreu est passée à la seconde phase de son opération. Un chaos humanitaire, s’alarme le porte-parole de l’UNRWA, l’agence onusienne pour l’aide aux réfugiés palestiniens et qui comptabilise plus de 50’000 réfugiés dans Gaza.
Selon Aabla Jounaïdi de RFI: «Depuis le début de l’opération «Bordure protectrice», plus de 500 Palestiniens ont été tués. Parmi eux, de très nombreux enfants. «Pour toute une génération d’enfants», dénonce l’Unicef, la violence devient «une nouvelle réalité».
Le secteur de Chajaya, dans l’est de l’enclave palestinienne, a été la cible d’une offensive très violente, dimanche 20 juillet, qui a fait au moins 73 morts. Au cours de la journée d’hier, 120 Palestiniens ont été tués. «Les services d’urgences sont dépassés. Les blessés sont partout. Ils sont assis par terre, sur des chaises, il y en a plusieurs qui s’entassent sur les mêmes lits. Nous n’avons pas les moyens pour faire face à cela», rapportait au micro de RFI, dimanche soir, Abelattif Al Haj, directeur des hôpitaux de Gaza.
Selon un dernier bilan, dressé ce lundi matin 21 juillet aux premières heures (4h40 TU), il y a eu 501 victimes palestiniennes depuis le début de l’opération «Bordure protectrice», lancée le 8 juillet.
Parmi ces civils, les enfants payent un lourd tribut. Les images des quatre enfants tués par des tirs d’obus israéliens, sous l’œil des caméras, mercredi 16 juillet, ont eu un fort retentissement. Ce lundi matin 21 juillet, encore sept enfants ont été tués dans un raid israélien mené à Rafah. Les ONG War Child et Defence for children soulignent qu’il y a eu plus d’enfants tués à Gaza que de combattants palestiniens. Anthony Lake, directeur général de l’Unicef, le Fonds des Nations unies pour l’enfance, a également alerté sur le fait que «la violence sur les enfants atteint des proportions dramatiques, tant sur le plan physique que sur le plan psychologique, mettant gravement en péril les espoirs de paix».
«A l’heure actuelle, Unicef a comptabilisé 80 enfants qui sont morts à Gaza depuis le début de l’opération israélienne, alors que les combats se poursuivent dans l’un des quartiers de Gaza-City. Il semble que d’autres enfants ont été tués, mais en raison de la situation sur le terrain nous n’avons pu encore confirmer les chiffres. Il y a également 650 enfants qui ont été blessés à Gaza», rapportait Catherine Weibel, la porte-parole de l’Unicef pour la Palestine. Soulignant que la moitié de la population de Gaza est constituée d’enfants, Catherine Weibel insiste sur le fait que «c’est la troisième fois, en à peine plus de cinq ans, qu’il y a une énorme escalade de violence à Gaza et dans le sud d’Israël». Une répétition préjudiciable pour l’avenir de ces enfants. «Les enfants, de manière générale, s’ils traversent un épisode de violence, arrivent à se reconstruire. Mais lorsque les épisodes de violence se succèdent, c’est très dommageable. Parce que pour ces enfants, cette violence devient une espèce de nouvelle réalité», explique-t-elle. «On a une génération d’enfants qui va avoir, malheureusement, de très gros problèmes psychologiques», dénonce la porte-parole d’Unicef pour la Palestine. (Source: RFI)
Suite au lancement de la dite opération terrestre, Julien Salingue – chercheur en sciences politiques, auteur de A la recherche de la Palestine – au-delà du mirage d’Oslo, paru aux Editions du Cygne – a répondu aux questions de RFI.
La situation est de plus en plus critique dans la bande de Gaza. Les Israéliens sont toujours déterminés, le Hamas également. Est-ce que vous croyez que cette opération terrestre va aboutir à quelque chose, si ce n’est à la mort de centaines de civils?
Julien Salingue : Ça ne peut pas aboutir à autre chose qu’à la mort de centaines de civils. Ce qu’on est en train de vivre depuis cette nuit, je pense qu’il faut en prendre la mesure. C’est-à-dire qu’on parle de cinquante morts, mais quand on voit les images et quand on entend les témoignages, le chiffre risque de monter.
Ce que fait l’Etat d’Israël ce n’est absolument pas, en réalité, s’en prendre à l’infrastructure militaire du Hamas. C’est s’en prendre aux infrastructures de la bande de Gaza et s’en prendre à la population de la bande de Gaza en général. Il faut bien comprendre ce qu’est la bande de Gaza. C’est un petit territoire minuscule qui fait 360 kilomètres, qui est assiégé depuis sept ans par Israël, et au sud par l’Egypte. Il y a 1,8 million de personnes dedans, une densité de population parfois de 40’000 au kilomètre carré. Les gens ne peuvent pas fuir, ne peuvent pas sortir de Gaza. Et bombarder la bande de Gaza comme c’est fait actuellement, ça ne peut aboutir qu’à des catastrophes. Et là on est en train de vivre la catastrophe. Les organisations humanitaires le disent.
Pourquoi Benyamin Netanyahu, selon vous, s’entête dans cette voie militaire? Toutes les opérations menées précédemment n’ont finalement pas changé grand-chose.
Benyamin Netanyahu a fait le choix lors des précédentes élections législatives de se présenter avec l’extrême droite. C’est-à-dire que ce n’est pas juste une coalition gouvernementale, c’est une coalition électorale avec des listes communes, un programme commun. C’est-à-dire que Benyamin Netanyahu a fait le choix de gouverner avec – et à – l’extrême droite.
C’est l’extrême droite qui l’a poussé à faire ce choix de l’offensive terrestre ?
Ce n’est pas l’extrême droite qui l’a poussé à choisir de gouverner avec l’extrême droite. Benyamin Netanyahu dirige une coalition qui est la coalition la plus radicale de l’histoire récente de l’Etat d’Israël. Et donc, il est normal – entre guillemets – qu’il agisse de la sorte. Je ne suis pas du tout surpris.
Et suite à la disparition des trois jeunes Israéliens à proximité d’une colline de Cisjordanie, on a vu se multiplier les appels à la haine, à la vengeance, à la violence, et les passages à l’acte en Israël et dans les territoires palestiniens. Ce que fait Benyamin Netanyahu, c’est répondre à ces demandes-là. C’est continuer à gouverner comme il le fait depuis des années.
Et malheureusement, c’est une fois de plus la population de Gaza qui trinque, alors qu’on sait très bien qu’il n’y a aucune solution militaire à la situation dans la bande de Gaza. Il n’y a qu’une solution politique: la fin du blocus, la reconnaissance des droits nationaux palestiniens et absolument pas des opérations militaires à répétition qui, on le voit, ne changent rien, si ce n’est qu’elles aggravent encore un peu plus la situation des Gazaouïs et le ressentiment de la population.
Prendre le risque de décapiter le Hamas, est-ce que ce n’est pas aussi prendre le risque de renforcer des groupes bien plus radicaux, comme le Jihad islamique ?
Je pense qu’Israël en a conscience et joue en partie – entre guillemets – sur ce terrain-là. C’est-à-dire que le Hamas, contrairement à ce qui a été raconté ici et là, n’avait pas tiré de roquettes sur Israël depuis la précédente offensive israélienne en novembre 2012. Et c’est à partir du moment où l’Etat d’Israël a ciblé des cadres et des militants du Hamas que le Hamas a repris les tirs des roquettes.
Donc évidemment en envenimant encore un peu plus la situation, en provoquant le Hamas et en radicalisant la population, l’Etat d’Israël ne fait que radicaliser l’ensemble des Gazaouïs et des Palestiniens. Il ne faudra pas s’étonner après, si jamais, effectivement, les discours qu’on entend sont de plus en plus hostiles à l’Etat d’Israël, parce que ce sera la résultante des opérations menées par l’Etat d’Israël. Israël ne cherche absolument pas aujourd’hui, je le répète, à régler quoi que ce soit sur le court ou le moyen terme.
C’est une opération notamment de politique intérieure pour Benyamin Netanyahu: montrer qu’il est aussi radical que les plus radicaux en Israël. Et c’est aussi une opération, un message à destination des Palestiniens qui est de leur dire: tant que vous continuerez à résister, à revendiquer vos droits, régulièrement nous reviendrons, nous vous bombarderons. Et il y aura des centaines de victimes.
Mahmoud Abbas, le président de l’autorité palestinienne, est attendu à Doha pour rencontrer Khaled Mechaal, le chef du Hamas en exil. Que peut-il obtenir, selon vous ?
Le problème, ce n’est pas tant d’obtenir quelque chose du Hamas, que d’obtenir quelque chose de la part de l’Etat d’Israël. Si le Hamas avait refusé la pseudo-trêve proposée il y a un peu moins d’une semaine par l’Egypte, c’est que c’était un simple cessez-le-feu sans aucune condition. Alors que le Hamas demande des choses qui sont ce que demandent aussi les organisations humanitaires, et y compris les Nations unies. C’est-à-dire la levée du blocus, c’est la liberté de circulation pour les Palestiniens, c’est la libération des prisonniers qui ont été réarrêtés, alors qu’ils avaient été libérés en échange de Gilad Shalit.
Donc, ce qu’on peut ressortir de cette rencontre entre le Hamas et Abbas c’est éventuellement une proposition palestinienne commune de cessez-le-feu vis-à-vis de l’Etat d’Israël, parrainée peut-être par le Qatar. Mais bien évidemment, peut-être que ce sera conditionné parce que ça n’a pas de sens en réalité d’exiger un cessez-le-feu si on explique aux Palestiniens qu’on revient à la situation dans laquelle ils étaient antérieurement.
Julien Salingue, on le voit, la situation diplomatique est, elle aussi, totalement bloquée. Est-ce que la communauté internationale peut faire encore quelque chose ?
Elle pourrait. Elle aurait des capacités de faire quelque chose. C’est-à-dire qu’on n’a pas besoin d’aller chercher très loin dans l’histoire pour se rendre compte que quand la communauté internationale ou les Nations unies estiment qu’un Etat va trop loin ils sont capables de prendre des sanctions. Ils sont capables de prendre des sanctions économiques, diplomatiques, politiques. Très récemment, au moment où il y a eu l’affaire ukrainienne et la présence de troupes russes en Crimée, des sanctions ont été prises.
Pour l’instant, ça ne fait pas faiblir Moscou…
Ça ne fait pas faiblir Moscou, mais au moins symboliquement, ça dit quelque chose. Ça dit qu’il n’y a pas d’impunité totale. Le problème aujourd’hui, c’est que l’Etat d’Israël s’il fait ce qu’il fait, c’est parce qu’il se sent totalement dans une situation d’impunité. Personne ne prend de sanctions contre l’Etat d’Israël, alors qu’il viole le droit international. Donc oui, la communauté internationale pourrait faire quelque chose vis-à-vis de l’Etat d’Israël.
Et je précise qu’il y a une petite différence par rapport à la Russie, c’est que l’Etat d’Israël est dépendant du soutien économique, politique et diplomatique des pays occidentaux, ce qui n’est pas le cas de la Russie. Donc, des sanctions pourraient être efficaces, s’il y avait un tout petit peu de courage politique de la part des dirigeants des pays occidentaux.
Et je pense notamment au président Hollande, qui a pris une position de soutien à l’offensive israélienne, en expliquant qu’Israël avait le droit de recourir à tous les moyens pour protéger ses populations civiles. Ce qui est, quand on y réfléchit, une position proprement scandaleuse.
La France complice, dites-vous ?
Complice par son silence, et en partie par son soutien, dans la mesure où elle a donné un chèque en blanc à Benyamin Netanyahu, qui s’est revendiqué, lors d’une conférence de presse la semaine dernière, du soutien de la France en citant le président Hollande. Quand on arrive à adopter des positions qui sont reprises par Benyamin Netanyahu comme étant une caution pour poursuivre la politique qu’il mène, eh bien oui, on peut se poser des questions sur les responsabilités qu’on exerce dans la situation actuelle. (Entretien diffusé le 20 juillet 2014)