http://www.oclibertaire.lautre.net/spip.php?article1775Quelques éléments sur l’histoire du Moyen-Orient
Pour essayer de s’y retrouver derrière les discours autour de ce bourbier, il faut se rappeler que cette alliance apparemment paradoxale est très ancienne. La famille royale d’Arabie Saoudite a été mise sur le siège par les Britanniques au lendemain de la 1ère guerre mondiale. De façon générale, l’histoire actuelle est issue des accords de Sèvres au lendemain de la grande guerre partageant les décombres de l’empire ottoman entre la France et l’Angleterre. Et en son cœur depuis 1948 la création de l’état d’Israël et la lutte de la Palestine.
Des jeux de guerre qui durent depuis très longtemps
Petit rappel. Pendant la guerre froide, les Etats-Unis financent discrètement des mouvements fondamentalistes pour combattre l’influence des communistes. La révolution islamique en Iran a lieu en 1979, la prise d’otage de l’ambassade américaine à la fin de cette année. 1980, l’Irak envahit l’Iran, avec le soutien et notamment la fourniture en armement (pas gratuite, on le verra plus tard) des puissances occidentales. Cette guerre va durer 8 ans avant de revenir aux frontières précédentes, et faire 300000 morts côté irakien, peut-être 1 million côté iranien. Ce fut une guerre terrible avec utilisation d’armes chimiques (fournies par l’occident).
Après la guerre, l’Irak a un problème : il est lourdement endetté. Les puissances occidentales ont un problème : elles ont surarmé une puissance régionale qui est indépendante des Etats-Unis et de leurs alliés. En 1989, de nouveaux rapports de force internationaux se profilent avec la chûte du mur de Berlin. L’Irak envahit alors en 1990 une région du Koweit qui a toujours été contestée entre les deux pays, enclave dessinée aux lendemains de la première guerre mondiale par les britanniques pour lui boucher l’accès à la mer. On sait que les Etats-Unis l’ont sciemment laissé faire pour aussitôt saisir le conseil de sécurité des Nations Unies. Ce sera au choix la deuxième guerre du Golfe ou la première guerre en Irak, sous l’égide de l’ONU et la direction effective de Georges Bush père, à laquelle participe la France. En 6 semaines, le territoire irakien reçoit environ 80 000 tonnes de bombes, quantitativement autant que l’Allemagne pendant toute la Seconde Guerre mondiale. À la suite de ces bombardements, des milliers de familles sont forcées de fuir le pays. Plus de 100 000 soldats irakiens ont été tués et 35 000 victimes civiles ont péri sous les bombardements. A la fin de la guerre, les kurdes et les chiites, que la coalition avait invités à se révolter contre Saddam Hussain, sont massacrés, sans que celle-ci ne lève le petit doigt. Un embargo total est ensuite imposé. Conjugué à la disparition des infrastructures civiles liée aux bombardements, ses effets sur la population seront terribles. L’Irak est considérablement affaibli, ce qui était le but.
Pendant ce temps, l’Afghanistan a été occupé par l’URSS en 1979, pour soutenir le gouvernement communiste en place. Les troupes soviétiques se retirent en 1989, et c’est le début de la guerre civile entre des combattants en partie formés et armés par les USA. Parmi eux, les talibans prennent le pouvoir en 1996. Al Qaida est né de la résistance afghane contre l’union soviétique. Ou plus exactement de la solidarité étrangère à cette résistance, puisqu’Oussame Ben Laden appartenait à une famille saoudienne puissante, elle-même donc proche d’un pouvoir allié indéfectible des Etats-Unis...
Et le 11 septembre 2001, la situation bascule. Les talibans deviennent l’ennemi à abattre (faute de pouvoir toucher aux Saoudiens ???), et les Etats-Unis interviennent dès le mois d’octobre.
La seconde intervention politique en Irak : les choix dangereux de Washington
L’accélérateur de l’expansion de l’islamisme politique au sein de la société sunnite, c’est bien sur l’intervention américaine de 2003. Les américains inventent une jolie fable (les armes de destruction massive) et donnent à l’opinion publique internationale l’impression que le régime de Saddam Hussein et l’islamisme d’Al Quaida ne sont qu’une seule et même entité. C’est évidemment faux. Le régime en place, mené par le Parti Baas, bien qu’il privilégie la majorité sunnite en Irak ne s’est jamais aventuré dans les méandres de l’islam politique. Régime dictatorial et bien entendu sanglant, il s’inscrit dans la continuité du courant panarabe, courant qui cherche à unifier le monde arabe politiquement autour de l’identité arabe et non l’identité mulsulmane. Les islamistes sont considérés par les membres du parti Baas comme des ennemis politiques et ne prospèrent que très peu en Irak avant 2003.
L’intervention américaine rebrasse les carte. Elle s’appuie en effet sur un modèle de pratiques coloniales classique : privilégier une minorité plutôt qu’une autre. Ces utilisations ont toujours eu court dans les pays occupés (le Sri Lanka en est un exemple frappant). Il est à noter que systématiquement ces utilisations identitaires finissent par une instabilité politique et, à court ou moyen terme, par un bain de sang. Qu’à cela ne tienne, la maison blanche et l’administration Bush foncent tête baissée. Ils confieront donc l’Irak à la majorité chiite, jusque là éloignée du pouvoir par le régime de Saddam. L’une des premières mesure de l’administration Bush, aidé par son pantin, le gouvernement Irakien, est de limoger la totalité des officiers et des sous officiers de l’armée irakienne. Ceux ci se retrouvent sans un sou, privés de travail du fait de la nouvelle discrimination touchant les sunnites. Nombreux seront les militaires Irakiens à rejoindre ce qui s’appelait encore Al Quaida en Irak.
Le gouvernement mené par Nouri al-Maliki à partir de 2006 fait exactement ce que lui demande Washington : il ouvre les champs pétrolifères aux entreprises américaines et promet un combat sans merci contre le terrorisme. Ce terrorisme là est à cette époque composé d’une poigné de combattants menant des actions dans les déserts du sud du pays. Les Etats-Unis lui laissent par contre la mainmise sur sa politique intérieure. Al-Maliki et ses partisans continuent donc à discriminer les sunnites sans relâche. Mais c’est après le départ des soldats américains qu’Al-Maliki se permet de passer à la vitesse supérieure. En s’appuyant sur une population chiite galvanisée et elle aussi très extrémiste, il va mener une série d’actions contre les sunnites. D’abord en faisant arrêter la plupart des représentants légaux, puis en écrasant dans le sang des rassemblements pacifiques sunnites. Cette population sunnite va se voir proposer comme unique force politique les forces islamistes, qui renaissent de leurs cendres à partir de 2008, à mesure qu’Al-Maliki s’enfonce dans la violence et le racisme anti sunnite.
Daesh naitra de là. S’appuyant sur une population soutien ou du moins complaisante qui ne perçoit l’armée Irakienne que comme une des multiples milice chiites qui pullulent dans l’est du pays.
La Syrie, ou comment la confessionnalisation du conflit a entraîné le chaos
La Syrie relève d’une dynamique différente. Le conflit nait d’abord d’une révolution populaire et non violente. Cette révolution est écrasée dans le sang par Bachar El assad. Une multitude de groupe luttent contre l’état. Les groupes proches des mouvements révolutionnaires bien sûr, mais aussi des groupes djihadistes se sont affrontés militairement de manière très dure avec l’armée Syrienne. Mais, au sein de la résistance, c’est bien les djihadistes qui ont prit le pas sur les autres tendances. Et ce grâce à plusieurs facteurs :
• Les financements de la Turquie (empressée de voir la chute de Bachar), mais surtout des pays du Golfe, où nombre de milliardaires ont vu d’un très bon oeil l’émergence d’un groupe djihadiste proche de leur vision traditionaliste et réactionnaire de l’islam. Le royaume voit surtout d’un très bon œil une menace sur la construction d’un oléoduc iranien avec un débouché sur la Méditerranée.
• L’arrivée de forces militaires et politiques venant d’Irak et regroupées sous la bannière de "l’état Islamique"
• L’arrivée en force de milliers de combattants, venant des pays occidentaux et attirés par l’orthodoxie religieuse proposé par cette nouvelle organisation millénariste : Daesh. Parallèlement à la monté des Islamistes, le régime de Bachar a joué la carte de "l’anti terrorisme" sur le plan international. Il a réussi à construire une identité religieuse aux rebelles. Les rebelles ne seraient donc que des islamistes. Il s’agirait donc d’une guerre de religion. Cette position avantage Bachar : il peut se remettre dans le jeu international, mais peut aussi liquider toutes les revendications sociales de la révolution et légitimer tous les massacres qu’il a ordonnés. Pour Daesh et son chef spirituel Al-Bagdadi, la Syrie fut donc un moyen de s’étendre militairement et politiquement. Bien que le foyer et le cœur opérationnel de Daesh est en Irak, la Syrie offre une force de propagande immense internationalement. Elle permet de réussir surtout un des souhaits les plus chers de Daesh : créer un état islamiste rigoriste transnational.
Aujourd’hui : Daesh, un monstre qui n’obéit qu’à lui même
Car on aurait bien tort de voir en daesh une entité manipulée, une simple entité capitaliste au sein du monde musulman. Comme toutes les idéologies totalitaires, il dispose d’une dynamique qui lui est propre, de positions politiques intransigeantes, et de volonté expansionnistes à même d’étendre le désastre guerrier bien au delà des simples Syrie et Irak. Les attentats de Paris sont là pour le rappeler. Toute l’histoire du Moyen-Orient aussi. Les décennies qui nous précèdent sont des décennies de manipulations, de coups fourrés à court terme des grandes puissances comme des puissances régionales, mais des coups fourrés qui à chaque fois échappent à leurs auteurs. Car ces intégristes que les puissances occidentales ont aidés contre le communisme ont bien sûr leurs objectifs propres, et notamment de combattre lesdites puissances. Mais aussi parce que dans leur guerre idéologique les puissances occidentales sont empêtrées dans leur alliance avec les états de la péninsule arabique. Le deal initié par les anglais reste toujours le même : appuyer un pouvoir dictatorial et religieux pour avoir la liberté d’exploiter les richesses pétrolières. Sauf que ce pouvoir religieux finance à travers le monde les prédications wahhabites et salafistes, celles-là même qui sont le terreau idéologique dont se nourrissent daesh et autres Al-Qaida, au-delà de leur dimension mafieuse. La Turquie est un autre exemple de cette contradiction : pilier du côté américain au moment de la guerre froide au point de faire partie de l’OTAN, le moins qu’on puisse dire est qu’elle combat peu daesh. Par contre, les Kurdes, qui eux se battent sur le terrain, restent inscrits sur la liste des organisations terroristes...
Manou et Sylvie, Paris
http://alternativelibertaire.org/?Proch ... ourse-a-laProche-Orient : La course à la suprématie
Le Proche-Orient est devenu un terrain de jeu où les différents impérialismes s’entrechoquent. Petite revue des forces en présence et de leurs intérêts respectifs.
En 2011, les révoltes populaires dans le monde arabe ont ébranlé l’ordre géopolitique en place depuis la fin de la guerre froide, sans parvenir à le renverser. Pendant un temps les pétromonarchies du Golfe ont été prises de panique à l’idée d’être touchées également. Les puissances occidentales ont craint de voir leur influence remise en cause par des régimes démocratiques indépendants. De leur côté, l’Iran et la Russie se sont retrouvés en situation de perdre leurs alliés dans la région et d’être marginalisés. Ces multiples impérialismes aux intérêts conflictuels ont réussi à détourner l’élan révolutionnaire, à le faire bifurquer vers des luttes de pouvoir dans lesquelles les populations ont tout à perdre.
Après un flottement, les Occidentaux, les pétromonarchies et la Turquie sont intervenus pour retourner la situation en leur faveur, mais le bilan est catastrophique, la région est déstabilisée, le chaos qui se répand plonge des dizaines de millions de personnes dans la misère et profite avant tout aux islamistes. Irak, Libye, Syrie et maintenant Yémen en sont les illustrations. En Syrie, les Occidentaux s’acharnent depuis quatre ans à renverser Assad, sans succès car le régime résiste mieux que prévu grâce à l’Iran et la Russie. Dépossédé de sa révolution, le peuple syrien est prisonnier des rivalités entre impérialismes régionaux et internationaux. Le pays est ravagé, environ 250 000 personnes sont mortes, des millions d’autres sont déplacées ou réfugiées à l’étranger. Le nombre d’acteurs, leurs objectifs spécifiques rendent le conflit syrien particulièrement complexe.
La Syrie est le champ de bataille principal entre les impérialismes iranien et saoudien pour la domination sur le Moyen-Orient, une rivalité aggravée par des antagonismes religieux, chiites contre sunnites et Perses contre Arabes. Le régime de Damas est vital pour les ambitions iraniennes, il donne à Téhéran un accès à la Méditerranée et un corridor sûr pour le soutien au Hezbollah libanais. Ses deux alliés arabes sont pour l’Iran un moyen de dissuasion contre Israël. Si Assad tombe, le Hezbollah est vulnérable à une attaque israélienne et l’Iran perd ses deux meilleurs atouts géopolitiques. C’est pourquoi l’Arabie saoudite s’acharne contre la Syrie, d’autant plus qu’à la suite de l’invasion de l’Irak, les partis chiites irakiens ont pris le pouvoir à Bagdad, offrant à l’Iran une continuité jusqu’à la mer. L’Arabie saoudite vit dans l’obsession de « l’arc chiite », c’est sur le registre de la guerre sainte qu’elle mobilise les milliers de sunnites qui vont combattre en Syrie, tandis que ses pétrodollars financent les tendances islamistes les plus radicales de l’opposition syrienne, en particuliers l’Armée de la conquête, une des plus puissantes coalitions armées, composée principalement du Front al-Nusra (al-Qaïda en Syrie) et de Ahrar al-Sham.
Instrumentaliser l’islam politique
Le Qatar et la Turquie sont aussi des acteurs de poids dans le camp des anti-Assad. Le Qatar regorge de pétrodollars qu’il investit avec l’objectif de se faire une place à la table des décideurs. De plus, il a le projet d’exporter son gaz vers le marché européen en construisant un gazoduc à travers l’Arabie saoudite, la Jordanie, la Syrie, projet concurrent de celui des Iraniens qui veulent atteindre le même marché via l’Irak et la Syrie. La Turquie veut s’affirmer comme une puissance régionale au niveau de l’Arabie saoudite et de l’Iran, Erdogan rêve d’un nouvel empire ottoman. La révolte syrienne a été l’occasion de formuler ses ambitions impérialistes ; il est un des principaux soutiens de l’opposition armée. C’est par la Turquie que transitent les combattants, les armes et les munitions de toutes les tendances anti-Assad, y compris Daech. La Turquie est d’autant plus engagée qu’à la faveur des événements les Kurdes syriens ont acquis une grande autonomie et une sympathie internationale.
Ancienne puissance coloniale, la France est une des plus acharnée à vouloir la perte d’Assad. Derrière la rhétorique démocratique de nos gouvernants se cachent des intérêts moins avouables. En adoptant une ligne dure sur la Syrie, Paris cherche avant tout à séduire les pétromonarchies dans le but de leur vendre plus d’armement mais aussi avec l’espoir qu’elles investissent leurs pétrodollars dans l’économie française.
La Syrie est un des principaux lieux d’affrontement entre un impérialisme américain affaibli et un impérialisme russe en plein renouveau. Deux visions de l’ordre international s’y confrontent, un monde unipolaire dominé par les USA contre un monde multipolaire dirigé par un club fermé de grandes puissances égales entre elles. En intervenant militairement au côté d’Assad, le Kremlin vient défier les prétentions hégémoniques américaines au Proche-Orient, dans le but d’être enfin traité sur un pieds d’égalité par Washington. Deux discours s’opposent, pour Obama Assad est la source de tous les problèmes, tant qu’il sera au pouvoir la guerre continuera et Daech prospérera, pour Poutine au contraire il est la solution, seul le régime a la capacité de vaincre le terrorisme.
Washington ne veut pas anéantir Daech, il se borne à l’endiguer car il est utile. Les États-Unis n’ont pas abandonné la tactique d’instrumentaliser l’islam politique, l’expérience de l’Afghanistan ne leur a pas servi de leçon. Ayant été obligés de quitter l’Irak sans garder de bases, ils se servent de Daech pour négocier avec le gouvernement chiite une présence militaire permanente. Mais en agissant ainsi ils courent le risque que Bagdad bascule dans le camp de l’Iran et de la Russie. Surtout, Daech est l’ennemi le plus dangereux du régime syrien qu’ils veulent renverser, l’idée est que leurs deux ennemis s’épuisent en se combattant et que les groupes armés syriens pro-Occidentaux ramassent la mise. Mais ceux-ci ne pèsent pas lourd militairement et sont incapables de vaincre qui que ce soit, même avec l’appui aérien de la coalition aérienne occidentale, ce que savent parfaitement leurs parrains. Les Kurdes du YPG/YPJ sont la seule force crédible sur laquelle peuvent compter les USA, mais cela crée de fortes tensions avec leurs alliés turcs pour qui tout est préférable à un Rojava autonome.
Impérialisme américain, impérialisme russe
C’est l’impasse de cette stratégie qui a créé les conditions favorables à l’intervention russe. Moscou a mis en place sa propre coalition composée de l’armée régulière et des nombreuses milices syriennes qui lui sont liées, du Hezbollah libanais, de milices chiites islamistes irakiennes et afghanes, et d’un contingent de militaires iraniens. L’objectif immédiat est de rétablir la situation militaire du régime pour qu’il soit en position de force dans les négociations d’une solution politique au conflit. À moyen terme, si Poutine réussit son pari, l’impérialisme américain sera marginalisé tandis que l’impérialisme russe verra ses marges de manœuvre considérablement augmentées. Le calvaire des peuples du Proche-Orient n’est pas terminé, l’avenir est sombre mais l’espoir n’est pas mort. La lutte exemplaire des Kurdes du Rojava ouvre la perspective d’une région débarrassée des divers impérialismes qui la saignent. Bien sur, le chemin sera difficile et long mais avec l’aide des forces progressistes du monde entier l’oppression peut être vaincue.
Hervé (AL Marseille)