Il a été victime d’un AVC : Bouteflika peut-il encore gouverner ?
El Watan, 28 avril 2013
Le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, a fait hier à 12h30 un «accident ischémique transitoire sans séquelles», a annoncé le directeur du Centre national de la médecine sportive, le professeur Rachid Bougherbal, dans un communiqué laconique diffusé à 19h42 par l’APS.
«Les premières investigations ont été déjà entamées et Son Excellence le président de la République doit observer un repos pour poursuivre ses examens», a-t-il ajouté, tout en assurant que son état de santé «n’occasionne aucune inquiétude».
C’est la première fois depuis le fameux «ulcère hémorragique» qui avait nécessité une longue hospitalisation du chef de l’Etat à l’hôpital du Val-de-Grâce, à Paris, en 2005, que la santé du Président fait l’objet d’une communication officielle. Mais on ne pouvait pas faire passer sous silence ses nouveaux ennuis de santé du fait que le président de la République est tenu de pointer mercredi au stade du 5 Juillet pour assister à la finale de la Coupe d’Algérie de football.
Un rendez-vous symbolique auquel il ne pouvait se soustraire au risque d’alimenter les rumeurs les plus folles. Il ne faudrait donc pas soupçonner les autorités de vouloir informer le peuple de la santé de son Président. C’est un cas de force majeur qui a dû obliger les hauts responsables à communiquer même avec des pointillés…
Absent depuis l’enterrement de Kafi à El Alia
A commencer par le jour exact de cet «accident ischémique transitoire», daté officiellement hier à 12h30. Certaines sources ont confié en revanche que le Président a eu son attaque il y a une semaine environ. On notera ainsi que la dernière apparition publique du Président fut au cimetière El Alia où il avait assisté le 18 avril à l’enterrement de l’ex-président du Haut-Comité d’Etat (HCE), feu Ali Kafi. Depuis, on n’a plus revu le président Bouteflika, disparu même des caméras de l’ENTV.
Trois jours auparavant (le 15 avril), le Président s’affichait, tout sourire, aux côtés de son homologue sud-africain Jacob Zuma. Mais ce dernier a dû écourter son séjour en Algérie sans explication… Quoi qu’il en soit, l’annonce hier de son hospitalisation pour des problèmes vasculo-cérébraux, confirme tout haut, ce que tous les Algériens d’en bas suspectaient : le président de la République est bien malade et sa santé constitue, visiblement, un frein à l’exercice de son pouvoir dans un pays aussi difficile que l’Algérie. Ironie du sort, la maladie du Président est annoncée en ce mois d’avril où il a fêté ses 14 années à la tête du pays…
Mais pour lui, ses sponsors et ses supporters, cela tombe mal. Et ça fait mal. A une année presque jour pour jour de l’élection présidentielle, c’est un cheveu qui tombe sur la soupe de ceux qui chauffent les tambours du 4e mandat. La santé du président Bouteflika, qui aurait dû servir d’argument supplémentaire pour plaider une rallonge de sa présidence, devient désormais un vrai souci pour vendre un 4e mandat, le moins qu’on puisse dire controversé. Et voilà que «l’affaire d’avril 2014» se trouve subitement mal engagée…
Même à supposer comme le suggère le communiqué – sans doute lénifié – que le Président reprendrait son activité, il serait difficile de faire avaler la pilule au peuple. Les éventuels prétendants, mais aussi les partis de l’opposition s’empareraient de ce thème pour structurer leur campagne anti-quatrième mandat en vue de disqualifier Abdelaziz Bouteflika. On s’en souvient,
Me Ali Yahia Abdennour avait appelé publiquement à la veille de la présidentielle de 2009 de faire examiner le Président par une équipe médicale indépendante pour voir s’il était apte à exercer ses fonctions. Une exigence réitérée récemment par le duo Ahmed Benbitour-Soufiane Djilali alors que le RCD a carrément appelé à la destitution du Président en vertu de la disposition constitutionnelle relative à la vacance de la présidence. Mais faute de communication officielle, la maladie du président constitue depuis l’épisode du Val-de-Grâce un secret d’Etat. C’est l’une des graves maladies du pouvoir algérien…
Or, beaucoup d’observateurs estiment que le 3e mandat de Bouteflika était un «mandat de trop». Terriblement diminué depuis 2005, le Président affiche une posture presque pathétique de devoir sourire même forcé devant les caméras quand il est contraint par ses obligations protocolaires. Signe que l’homme, connu pour son incroyable énergie, n’est que l’ombre de lui-même, il a pratiquement arrêté tout déplacement à l’étranger mis à part pour aller se refaire une petite santé…
Gouverner par procuration n’est sans doute pas un signe de bonne santé. Surtout pas pour un pays comme l’Algérie qui fait face à une guerre à sa frontière avec le Mali couplée à des mouvements de protestation des jeunes des wilayas du Sud.
Facteur aggravant, le Président assiste impuissant à de grands déballages de corruption mettant en cause ses proches et son entourage immédiat. Avec de telles braises entre les mains, les nerfs peuvent en effet lâcher sans préavis…
Accident ischémique transitoire : ees explications d’un spécialiste
L’accident vasculaire cérébral ischémique transitoire (AIT) – un caillot de sang qui vient obstruer un petit vaisseau dans le cerveau – arrive souvent suite à une hypertension artérielle, une anxiété, à un diabète, une athérosclérose, maladies des vaisseaux, un problème de carotide ou une pathologie cardiaque, selon un cardiologue. Il s’agit d’un évènement de moindre intensité, selon un cardiologue, comparativement à un AVC hémorragique qui conduit directement le patient dans le coma.
Dans le cas de l’AVC ischémique transitoire, les premiers symptômes, explique le professeur en cardiologie, sont l’aphasie et l’hémiplégie, mais sans grandes séquelles. «Le patient peut récupérer très vite. Mais cela n’écarte pas la possibilité de faire un autre accident vasculaire cérébral. C’est pour cela qu’il faut rechercher la cause de cet AIT», a encore expliqué le cardiologue. Des signes neurologiques peuvent également être constatés et persister pendant quelque temps, telles la perte de l’équilibre, de la vision et de la mémoire. Des signes qui peuvent influer sur l’état de santé du patient. D. K.
Brèves :
- Sellal écourte sa visite à Béjaïa
Abdelmalek Sellal a annoncé devoir écourter son intervention, hier, lors de ses réponses à des élus et des représentants de la société civile à la maison de la culture de Béjaïa, après avoir été informé quelques minutes plus tôt du malaise que venait d’avoir le président de la République. M. Sellal, qui a été mis au courant de ce malaise par un message transmis sur un bout de papier, a dû pour un moment quitter la tribune et la salle. «Le président de la République a eu un léger malaise et je dois être à Alger à 20h30», a-t-il annoncé. Pour ne pas alarmer l’assistance, M. Sellal a aussitôt ajouté que Bouteflika «a été admis à l’hôpital et son état de santé n’est pas inquiétant». «De toute façon, un communiqué va être publié», a-t-il promis avant d’expédier les réponses aux questions de l’assistance. K. M.
- Le président ne sera pas à la finale de la coupe d’Algérie
Pour la première fois depuis son élection en 1999, le président Abdelaziz Bouteflika sera fort probablement absent à la finale de la Coupe d’Algérie qui opposera, mercredi prochain, le MCA à l’USMA. Hier à midi, il a fait «un accident ischémique transitoire sans séquelle». Selon un bref communiqué de l’APS, «les premières investigations ont déjà été entamées ; son Excellence le président de la République doit observer un repos pour poursuivre ses examens», ce qui veut dire qu’il ne sera pas présent, cette fois, à la finale de la Coupe d’Algérie.
Il sera vraisemblablement, comme le veut la tradition, remplacé par le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, pour remettre le trophée au vainqueur.
État d’empêchement : ce que prévoit la Constitution
La Constitution algérienne prévoit, dans son article 88 : «Lorsque le président de la République, pour cause de maladie grave et durable, se trouve dans l’impossibilité totale d’exercer ses fonctions, le Conseil constitutionnel se réunit de plein droit et, après avoir vérifié la réalité de cet empêchement par tous moyens appropriés, propose à l’unanimité, au Parlement, de déclarer l’état d’empêchement.
Le Parlement, siégeant en Chambres réunies, déclare l’état d’empêchement du président de la République à la majorité des deux tiers (2/3) de ses membres et charge de l’intérim du chef de l’Etat, pour une période maximale de quarante-cinq (45) jours, le président du Conseil de la nation, qui exerce ses prérogatives dans le respect des dispositions de l’article 90 de la Constitution.
En cas de continuation de l’empêchement à l’expiration du délai de quarante-cinq (45) jours, il est procédé à une déclaration de vacance par démission de plein droit, selon la procédure visée aux alinéas ci-dessus et selon les dispositions des alinéas suivants du présent article. En cas de démission ou de décès du président de la République, le Conseil constitutionnel se réunit de plein droit et constate la vacance définitive de la présidence de la République.
Il communique immédiatement l’acte de déclaration de vacance définitive au Parlement, qui se réunit de plein droit. Le président du Conseil de la nation assume la charge de chef de l’Etat pour une durée maximale de soixante (60) jours, au cours de laquelle des élections présidentielles sont organisées.»
Hassan Moali
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Il a été hospitalisé plusieurs fois depuis 2005
Le Président trahi par sa santé
Cela fait presque huit ans que les démentis du gouvernement sur l’état de santé réel du président Bouteflika succèdent aux rumeurs les plus alarmantes.
Effacé de la scène politique pratiquement depuis son hospitalisation, le 26 novembre 2005, à l’hôpital français du Val-de-Grâce pour, officiellement, un ulcère de l’estomac, le président Bouteflika a une nouvelle fois été trahi, ce week-end, par l’âge et sa santé déclinante. Une dépêche laconique de l’agence officielle APS a révélé que le chef de l’Etat a fait, hier vers 12h30, un «accident ischémique transitoire». Autrement dit, il a été victime d’un «mini-AVC». Se voulant néanmoins rassurant, le directeur du Centre national de médecine sportive, le professeur Rachid Bougherbal, s’est empressé de souligner que l’état de santé du premier magistrat du pays «n’occasionne aucune inquiétude». «Les premières investigations ont été déjà entamées et Son Excellence le président de la République doit observer un repos pour poursuivre ses examens», a ajouté le professeur Bougherbal.
Combien de temps doit durer ce repos ? Le chef de l’Etat pourra-t-il reprendre normalement ses fonctions ? Le directeur du Centre national de médecine sportive n’a pas pris le risque de s’avancer sur la question. Il faut dire que l’initiative aurait été trop hasardeuse. Cela fait maintenant presque huit ans que les rumeurs sur l’état de santé réel du président Bouteflika succèdent aux démentis du gouvernement. Celui-ci se borne, à chaque fois, à affirmer que le chef de l’Etat va bien et qu’il est toujours capable de gouverner. Et entre un démenti et un autre, le président Bouteflika a souvent eu à séjourner dans des hôpitaux occidentaux.
Au-delà, tout le monde s’accorde à dire que les spéculations ont été avant tout nourries par le secret qui a entouré la maladie du chef de l’Etat. C’est, du moins, ce qui s’est produit précisément lors de sa toute première hospitalisation en France. Durant cette période, les informations étaient très rares. Pour mettre un terme aux rumeurs, dont certaines étaient des plus alarmistes, la Télévision nationale a dû le filmer à sa sortie d’hôpital, le 17 décembre 2005. A cette occasion, M. Bouteflika avait même prononcé, d’une voix à peine audible, quelques mots qui se voulaient rassurants : «Le peuple n’a pas du tout à être inquiet. Nous n’avons rien à cacher. Nous avons tout dit, en totale clarté et en toute transparence. On ne peut être responsable d’un peuple et d’une nation et vouloir cacher des choses pour lesquelles nous devons rendre compte à Dieu.»
Le professeur Zitouni contre le professeur Debré
Le professeur Zitouni, son médecin traitant, lui emboîte le pas en soutenant mordicus qu’il s’agit bel et bien d’un ulcère hémorragique. «Cela a nécessité une intervention chirurgicale assez bénigne puisqu’elle n’a pas duré plus d’une heure», a-t-il attesté, avant de préciser que «cela a nécessité une période de suivi postopératoire de 30 jours et, de ce fait, nous sommes tout à fait dans les normes». Il glisse au passage que les rumeurs et les spéculations qui ont entouré cette affaire n’avaient «aucune base ni scientifique ni éthique». En réalité, la mise au point s’adressait surtout au professeur Bernard Debré, chef du service d’urologie de l’hôpital Cochin, en France. Celui-ci avait en effet exprimé de vives réserves quant au diagnostic officiel avancé.
Dans un entretien au Parisien en date du 16 décembre 2005, il a déclaré : «Quand on a un ulcère simple à l’estomac, cela se traite en quelques jours. Quand on a un ulcère hémorragique, cela peut se traiter soit médicalement avec une fibroscopie, soit exceptionnellement en chirurgie, mais dans cette hypothèse-là, le post-opératoire ne dure pas plus de six jours. Il est donc disproportionné qu’il soit encore à l’hôpital.» Le professeur Debré s’était laissé aller à ce verdict : l’illustre patient souffrirait d’«un cancer de l’estomac avec des complications, c’est-à-dire qu’il a des ganglions, des métastases». Le docteur Debré concluait, catégorique : «La seule chose qu’on sache : ce qu’on nous dit sur sa santé ne peut pas être vrai.» Du coup, bien sûr, il remettait en cause la capacité du président Bouteflika à gouverner.
Quand WikiLeaks remet tout en cause
Toutefois, la polémique sera complètement enterrée après que le président Bouteflika eut regagné le pays, le 31 décembre 2005. Son hospitalisation au Val-de-Grâce, le 20 avril 2006, pour «une visite de suivi médical» ne suscitera par ailleurs aucune inquiétude du fait qu’entre-temps, il avait repris ses fonctions. La Présidence aura la paix jusqu’au jour où WikiLeaks viendra remettre tout en cause. Dans un câble daté du 3 janvier 2007 et rendu public par l’agence Reuters (dépêche du 24 février 2011), l’ancien ambassadeur américain, Robert Ford, rapporte les confidences d’un médecin proche de Bouteflika qui lui aurait tenu ces propos : «Un médecin, au fait de la santé du président Bouteflika, nous a affirmé dans la plus stricte confidentialité que le Président souffrait d’un cancer – comme cela était largement soupçonné – mais qu’il était actuellement en rémission, autorisant le Président à remplir sa fonction.» Dans un autre câble, en date du 19 décembre 2007, le même ambassadeur Ford rapporte la teneur d’une entrevue qu’il a eue avec le docteur Saïd Sadi. Voici ce qui ressort du télégramme en question : «Sadi nous a affirmé qu’il a eu une conversation récente avec le général Toufik Mediène et Mediène a reconnu que tout ne va pas bien avec la santé de Bouteflika et l’Algérie de manière générale.» Un autre câble de WikiLeaks, daté du 25 janvier 2008, fait état cette fois d’un échange entre Robert Ford et son homologue français, Bernard Bajolet. Ce dernier aurait avoué : «La santé de Bouteflika est meilleure et il pourrait vivre encore plusieurs années. Son rétablissement et son regain d’activité lui donnent plus de poids sur l’armée.»
Mais le chef de l’Etat ne compte pas se laisser faire. Il est décidé à tordre lui-même le cou à la rumeur. A l’occasion d’une interview à Reuters en mars 2008, M. Bouteflika revient de manière énergique sur la polémique soulevée par son dossier médical : «Tout le monde sait que j’ai été malade et que j’ai dû subir une sérieuse convalescence. Mais maintenant, j’ai repris mes activités normalement et je ne pense pas que cette question devrait engendrer des commentaires ou des calculs, qui sont plus ou moins fantaisistes.» L’opinion le croira jusqu’au jour où il est de nouveau hospitalisé à Paris. C’était le 14 septembre 2011. Là, le doute se réinstalle au sein de l’opinion. Depuis, les alertes se sont faites nombreuses.
Zine Cherfaoui