Batna : Chasse aux agitateurs potentiels
16/11/2011
Pendant plus de quatre heures, le jeune Mohamed Noui, arrêté chez lui à Batna, au cours de la semaine, a été interrogé par les limiers de la sûreté de wilaya.
L’interrogatoire a tourné autour d’un groupe créé sur le réseau social facebook, baptisé « Union du 1er novembre pour le redressement de la Révolution ». Le jeune, accusé pour son implication dans un éventuel soulèvement, a été questionné aussi sur un tract qui circule à Batna, appelant les citoyens à se révolter contre le pouvoir en place. « Ensemble pour destituer Bouteflika et les siens », lit-on sur ce tract dont El Watan a pu se procurer une copie.
Les rédacteurs du document, qui se font appeler « Etudiants algériens révolutionnaires » prétendent à « la libération de l’Algérie du pouvoir corrompu, du népotisme et la spoliation du peuple » en désignant comme responsables le président Bouteflika, le DRS (services secrets) et les généraux.
Certains voient derrière ces initiatives, encore virtuelles, l’ombre des islamistes en faisant le lien entre la personne arrêtée et son père, un ancien cadre du FIS dissous. Ceci dit, la police, qui semble prendre au sérieux ces tentatives, ne fait pas de distinguo quand il s’agit de faire la chasse aux agitateurs potentiels qui osent remettre en question le pouvoir en place.
Voilà à peine un mois, la police de Batna a interrogé un bloggueur militant de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (Laddh) sur son implication dans un prétendu mouvement de séparatistes chaouis.
Yacine Zaïd, qui a fait le déplacement depuis son Laghouat natal, a eu du mal à comprendre la démarche de la police qui l’a questionné sur une action qui se déroule à Batna. Sur son blog, il a publié une déclaration émanant de ce groupe qui revendique l’autonomie des Aurès. Mais ce document n’a rien de secret puisqu’il fait le tour des chaumières voici plus de six mois. Si la possession de cette déclaration est un crime, toutes les rédactions de presse devraient être interrogées !
Cette vigilance de la police renseigne-t-elle sur l’importance d’un danger réel, menaçant la survie du pouvoir ou est-ce une exagération produite par la peur ? En tout cas, la police déploie des efforts pour tuer dans l’œuf toute velléité de soulèvement.
Nouri Nesrouche
elwatan du 16-11-2011
Projet de loi sur l’information
La liberté de la presse sous surveillance
El Watan, 14 novembre 2011
Les autorités affichent la volonté de mettre des barrières devant la liberté d'expression. L'article 80 du projet trace à grands traits les lignes rouges pour l'accès à l'information. Le gouvernement s’ingère dans l’élaboration d’une charte d’éthique et de déontologie à la place des journalistes.
Le projet de loi organique sur l’information sera débattu à l’APN, la Chambre basse du Parlement, à partir de fin novembre. La mouture du projet, amendé à plusieurs reprises, est publiée sur le site du ministère de la Communication. Dès l’article 2, on comprend la volonté des autorités de mettre des barrières devant la libre expression des médias. Treize conditions sont répertoriées dans cette disposition que le journaliste est tenu de respecter avant d’exercer ce métier. Il s’agit, entre autres, des «exigences de la sûreté de l’Etat et de la défense nationale», de «la sauvegarde de l’ordre public», [/i ]des [i]«valeurs culturelles et spirituelles de la Nation», des «impératifs de la politique étrangère du pays», des «intérêts économiques du pays», du «secret de l’instruction judiciaire»… On ne s’arrête pas là.
Plus loin, dans l’article 80, on trace à grands traits des lignes rouges pour l’accès à l’information. Il est écrit, noir sur blanc : «Le droit d’accès aux sources d’information est reconnu aux journalistes professionnels, excepté lorsque l’information concerne le secret de la défense nationale tel que défini par la législation en vigueur, l’information porte atteinte à la sûreté de l’Etat et/ou à la souveraineté nationale de façon manifeste, l’information porte sur le secret de l’enquête et de l’instruction judiciaire, l’information concerne le secret économique stratégique, l’information est de nature à porter atteinte à la politique étrangère et aux intérêts économiques du pays».
Lignes rouges
Trois questions. Quand et dans quelles conditions une donnée journalistique devient «un secret économique stratégique» ? Où se trouve la législation qui définit clairement et avec précision la nature du «secret-défense» ? Comment une information peut-elle porter «atteinte» à la politique extérieure du pays ?
A travers cette disposition, parfaitement inacceptable à l’époque d’internet, des réseaux sociaux et de l’iPad, le gouvernement se donne le droit d’empêcher les citoyens d’être informés sur, par exemple, la conduite de l’économie du pays, la conclusion des gros contrats énergétiques ou militaires et sur l’orientation donnée à la politique étrangère. Une politique très critiquée ces derniers temps en raison des ratés par rapport aux révoltes arabes et à la chute des dictatures dans la région nord-africaine.
Pourtant, devant la commission communication, culture et tourisme, Nacer Mehal, ministre de la Communication, a déclaré que le projet de loi est porteur «d’une garantie du droit du citoyen à l’information».
Ce même projet dresse une troisième muraille. Sous prétexte d’imposer aux professionnels «une éthique et une déontologie», les rédacteurs du texte ont, dans l’article 89, aligné… dix-sept autres «règles» : «s’interdire de porter atteinte à la souveraineté et l’unité nationales», «s’interdire l’apologie du colonialisme», «s’interdire de porter atteinte aux attributs et aux symboles de l’Etat», «s’interdire toute atteinte à l’histoire nationale», «s’interdire de diffuser ou de publier des propos et des images amoraux ou choquants pour la sensibilité du citoyen»…
Au-delà du fait qu’on tente, encore une fois, d’officialiser l’écriture de l’histoire (et ce n’est qu’un exemple) à travers ces obstacles, le gouvernement s’est accordé le droit de fixer «la déontologie et l’éthique» à la place des professionnels ! Aucun gouvernement au monde n’a encore osé le faire.
Des chartes universelles, comme celle de Munich, en matière de déontologie journalistique, parfaitement applicables en Algérie, ont été ignorées par les autorités. On fait mieux en «triturant» les principes consensuels d’éthique, en ajoutant des règles qui n’existent nulle part ailleurs, comme «l’atteinte aux symboles de l’Etat» ou à «l’histoire».
Critiquer l’action politique du président Bouteflika peut facilement être assimilé à une atteinte aux «symboles de l’Etat». Idem pour l’évocation de dépassements de l’armée ou de la police. Publier une enquête sur «les faux moudjahidine» peut être considéré comme «une atteinte» à l’histoire.
Immixtion dans les affaires de la corporation
C’est simple : l’article 89 du projet de loi sur l’information doit être définitivement supprimé en ce sens que la déontologie et l’éthique des médias sont l’affaire des journalistes, et d’eux seuls, pas celle du gouvernement et de ses appareils. Instituer un Conseil supérieur de l’éthique et de la déontologie du journalisme, dont les membres sont élus par les journalistes professionnels, comme cela est précisé dans l’article 91, ne changerait rien à cette situation.
L’article 90 est porteur d’un interdit sournois. Il y est mentionné : «La violation directe ou indirecte de la vie privée des personnalités publiques est également interdite.» Quel sens donner à «la violation indirecte» de la vie privée ? Et quand une personnalité devient-elle publique ?
Enquêter sur le «faux» passé révolutionnaire d’un ancien responsable relève-t-il de «la violation de la vie privée» ? Au chapitre du pur arbitraire, l’article 103 prévoit une procédure judiciaire en référé en cas de refus d’insertion d’une mise au point alors que la disposition 105 évoque la possibilité donnée au tribunal d’ordonner, «sous astreinte», l a diffusion d’un rectificatif ou d’une réponse. Les médias n’ont aucune possibilité de recours.
Pire, l’article 110 va plus loin : «Toute personne physique ou morale algérienne a le droit de réponse sur tout article écrit ou émission audiovisuelle portant atteinte aux valeurs nationales et à l’intérêt national.» Cela ressemble à une menace pour les médias indépendants qui «osent» s’intéresser à des sujets politiquement incorrects et qui peuvent être considérés, par le premier venu, comme contraires à… l’intérêt national.
Il est évident que si le projet de loi de Nacer Mehal passe avec ces dispositions, il ne sera d’aucun… «intérêt» pour les journalistes et pour tous les défenseurs de la liberté d’expression dans le pays.
Fayçal Métaoui
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Des journalistes expriment leur scepticisme
Les professionnels de la presse sont unanimes à voir dans le texte proposé à examen par l’APN une autre tentative visant
à rétrécir les espaces de liberté.
Le projet de loi sur l’information, présenté pour examen au niveau de l’Assemblée populaire nationale, suscite scepticisme et questionnements des journalistes que nous avons interrogés. Pour Lyas Hallas du Soir d’Algérie, «le projet de loi sur l’information est une loi liberticide et rétrograde». Selon lui, «la dépénalisation du délit de presse n’est qu’un leurre». De même, il pense que «l’autorité de régulation qui sera instituée ressemblera plutôt à une centrale de renseignements placée sous l’autorité du président de la République puisqu’elle aura pour prérogatives d’abord de collecter le maximum d’information sur les entreprises de presse, de museler toute velléité d’expansion et d’empêcher la constitution de groupes de presse, ensuite de retirer l’agrément aux journaux qui s’inscrivent en faux avec la politique du gouvernement».
Au final, Lyas Hallas estime que «autrement dit, elle veillera à transformer les journaux en petites cellules de communication qui auront pour mission de promouvoir la politique du gouvernement et entretenir son image. Le gouvernement n’aura plus besoin de poursuivre les journalistes en justice, ils deviendront fonctionnaires. C’est un retour grave sur les acquis d’Octobre 1988. Les espaces de libre expression vont rétrécir encore plus. Le pouvoir vient, par là, exprimer ostensiblement sa volonté de ne pouvoir s’accommoder d’une presse développée et libre».
Même son de cloche pour Saïd Mekla, journaliste au Temps d’Algérie : «Bien que conçu pour, soi-disant, chambouler le paysage médiatique national, le nouveau code de l’information ne changera rien à la situation du secteur tant que les vieux réflexes demeureront. Même s’il annonce l’amélioration de la situation professionnelle des journalistes, il n’en demeure pas moins que la chape de plomb qui pèse sur nos têtes, lorsqu’il s’agit de traiter des sujets sensibles, est toujours brandie comme rempart à la vérité.»
Monopole sur la publicité
Toujours dans le registre des libertés, rien n’indique que les pouvoirs publics ont réellement l’intention de changer la donne, eux qui monopolisent toujours la publicité. Pour ce qui est de l’ouverture de l’audiovisuel au privé, nul n’ignore, aujourd’hui, les intentions des pouvoirs publics qui utilisent cette «image» uniquement comme argument d’ouverture destinée à l’opinion étrangère alors que les «balises» se façonnent déjà au niveau des cercles de décision de sorte que ceux qui vont en bénéficier ne seront que ceux qui savent faire «allégeance».
Dahmane Semmar, qui travaille pour le magazine Dziri, estime pour sa part que «la dépénalisation de l’acte de presse est une réelle avancée, mais je perçois toujours des mécanismes de contrôle qui étouffent la liberté du journaliste. Mais ce n’est pas le nouveau projet qui me dérange, c’est plutôt le fait que l’Etat laisse des patrons de journaux exploiter les journalistes. Il n’y a toujours pas de moralisation de la profession ; des barons de la presse agissent comme des voyous sans être inquiétés par les pouvoirs publics».
Pour Ali Boukhlef, de La Tribune, «le nouveau projet de code de l’information comporte, à mes yeux, des avancées considérables du point de vue du contenu. La suppression des peines d’emprisonnement est en soi une bonne chose». Cependant, souligne-t-il, «deux problèmes restent posés et pas des moindres. Le premier concerne les prérogatives de l’autorité de régulation de l’information. Il y a des vices de fond et de forme. Sur le fond, je constate qu’on attribue à des professionnels de l’information de suspendre ou carrément de fermer une publication. C’est une aberration, parce que cela doit être du seul ressort des juridictions. Le vice de forme est situé dans le fait que l’on parle de «régulation alors que dans ce genre d’opérations, il est plus approprié de parler deconseil supérieur de l’information. L’autre problématique est bien sûr celle de l’audiovisuel. Un grand trou noir entoure son ouverture. Mais là, il faut attendre les actes pour porter un jugement».
à «la tête du client»
Le journaliste du Quotidien d’Oran, Mehdi Mohamed, affirme, quant à lui, que «si la loi ne règle pas la question des agréments dans le cadre du régime déclaratif, elle n’apporte rien de plus. La transparence et le régime déclaratif dans l’octroi des agréments se feront toujours à la tête du client, avec connivences et autres jeux de coulisses». Il insiste sur «la transparence des règles et de leur application, puisque l’actuelle loi oblige les journaux à éditer un titre en arabe s’ils veulent éditer un autre en français, mais personne n’applique ce principe». Mehdi Mohamed estime que «si cette nouvelle loi ne prend pas en compte que nous sommes à l’ère des chaînes satellitaires et de l’internet, donc pas besoin d’être en Algérie, alors elle doit être versée aux archives dès à présent».
Le rédacteur en chef d’El Watan Week-End, Adlène Meddi indique pour sa part que «le problème n’est pas la loi, mais notre incapacité structurelle à nous organiser pour devenir une vraie force de proposition. La nature a horreur du vide, la loi aussi, alors le gouvernement travaille et réfléchit à la place d’une corporation désarticulée. C’est dommage vu les défis qui nous attendent (TV et radios indépendantes, presse en ligne, etc.)».
Enfin, Djamel Chafa, du Temps d’Algérie, juge que «le projet ressemble beaucoup à celui présenté par Khalida Toumi en 2003, du temps où elle était ministre de la Culture et de l’Information. De plus, c’est une copie conforme du code d’avril 1990, expurgé des clauses portant emprisonnement des journalistes en cas de diffamation». il termine en indiquant que «la nouveauté réside dans le fait d’encadrer l’activité des médias électroniques et audiovisuels qui se sont imposés au paysage médiatique national ou sont en voie de l’être. Personnellement, la seule critique qui me semble pertinente est la suivante : une loi c’est bon, son application effective c’est mieux».
Mehdi Bsikri
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Les autorités de régulation ou la «nouvelle police» de la presse
Le projet de loi organique relative à l’information est en examen au niveau de la commission communication, culture et tourisme de l’APN.
Hier, un groupe de journalistes de la presse écrite a été invité à discuter de ce texte qualifié de «moderne» par le ministre de la Communication, Nacer Mehal. «Avant d’étudier le projet de loi article par article, nous avons décidé d’écouter les propositions des professionnels et bénéficier de leurs expériences», a précisé Tayeb Badi, président de la commission. «Nous veillerons à ce que le texte soit présenté sous le bel habit. Si on atteint un taux de satisfaction de 50 à 60%, ce serait bien», a-t-il ajouté.
Le projet, composé de 132 articles, étalé sur 32 pages, codifie les activités de la presse écrite et des médias audiovisuels et électroniques. Il détaille les conditions d’installation des autorités de régulation de la presse. Curieusement, le texte est porteur aussi, dans son article 89, des règles relatives à l’éthique et à la déontologie journalistiques. Les professionnels présents à l’APN ont demandé la suppression de cette disposition en ce sens que la déontologie des médias relève des journalistes eux-mêmes, pas du gouvernement !
Ils ont critiqué l’article 2 du projet de loi qui impose des limites au «libre exercice» de l’activité d’information. D’après cette disposition, les journalistes, avant de faire le métier, doivent respecter, entre autres, «les exigences de la sûreté de l’Etat et de la défense nationale», «de la sauvegarde de l’ordre public», «des impératifs de la politique étrangère du pays»…
Les professionnels ont demandé à ce que ces notions soient précisées et clarifiées pour qu’elles ne soient pas utilisées comme moyens de pression. Ils ont également prévenu sur le rôle futur de l’autorité de régulation sur la presse écrite et celle devant réguler l’activité des médias audiovisuels. «Il ne faut que ces autorités deviennent des appareils bureaucratiques et répressifs», a estimé un intervenant. Un autre a prévenu contre le fait que ces autorités, appelées à terme à remplacer le ministère de la Communication, ne ressemblent à une police qui régente l’activité médiatique.
L’autorité de régulation sur la presse écrite peut accorder l’agrément aux nouveaux journaux, peut le retirer en cas d’infraction à la loi, a droit de contrôle sur les comptes des entreprises de presse, doit être informée sur l’identité des journalistes qui signent d’un pseudonyme, surveille le contenu et l’objectif des publicités, autorise ou non l’importation des périodiques étrangers… Bref, un droit de vie et de mort sur les médias.
L’article 27 du projet de loi sur l’information stipule que «les publications périodiques doivent publier annuellement le bilan comptable certifié de l’exercice écoulé. Faute de quoi, l’autorité de régulation de la presse écrite peut signifier la suspension de la parution».
Les journalistes ont estimé que les entreprises de presse communiquent leurs bilans à l’administration fiscale et au Centre national du registre du commerce. «Pourquoi doivent-elles le faire à l’autorité de régulation ? C’est insensé», a estimé un reporter. Un autre a observé que la publicité publique distribuée par l’Agence nationale d’édition et de publicité (ANEP) se fait sur des bases politiques et non pas économiques. Il a proposé de soumettre l’action de l’ANEP en matière de publicité au contrôle direct du Parlement et de mettre un terme à l’opacité dans ce domaine. Sur un autre chapitre, des journalistes ont proposé un seuil minimal de tirage pour les publications pour que les journaux méritent le titre de «quotidiens nationaux». Une reporter a remarqué que la loi 90/07, toujours en vigueur, n’a pas protégé comme il le faut les journalistes tant sur le plan social que professionnel.
Le projet de loi de Nacer Mehal renvoie au statut de journaliste, mais ne précise pas lequel. Celui en vigueur ?
Ou s’agit-il d’un autre ? Le projet évoque «le secret professionnel» pour les journalistes, mais reste silencieux sur l’impérative protection des sources.
Fayçal Métaoui
DOSSIER ALGERIA WATCH