Une Cocotte-minute qui ne pouvait qu’exploser par Par Ta Nea (Quotidien du soir (Courrier International))
Les émeutes qui ont éclaté dans tout le pays après la mort d’un adolescent vont bien au-delà de la colère contre une bavure policière. C’est tout le système politique et social qui est mis en accusation par les jeunes, qui en sont exclus.
En ces jours de deuil national, le pays et les esprits s’embrasent. Les rues de la capitale, les grandes villes universitaires et même de petits villages sont en proie aux affrontements. Ce ne sont plus seulement les étudiants qui s’expriment, mais l’ensemble de la jeunesse. Eux dont on ne se soucie pas, ou pas assez. Ceux qui tentent de se faire entendre depuis des années face à tous les gouvernements et à leurs politiques, qui ne se sont jamais occupés d’eux. Etait-ce par manque de volonté ? Peut-être, mais surtout par manque de structures efficaces.
Depuis la fin de la dictature [en 1974], les jeunes sont le symbole du soulèvement contre les colonels, qui est parti de l’Ecole polytechnique. Ils sont le symbole des manifestations contre la privatisation des universités. Mais ceux d’aujourd’hui ont du mal à trouver leur chemin. Leurs parents s’endettent sur plusieurs années pour les envoyer étudier à l’étranger et éviter les blocages du système universitaire grec. Ils les hébergent parfois jusqu’à plus de 35 ans pour les accompagner dans leur premier emploi, sans pour autant finir par les voir heureux.
“Même avec un diplôme, nous sommes livrés à nous-mêmes”
Petros Magios, étudiant à l’université d’Athènes, est consterné. D’abord par la situation. “Nous sommes dans la rue parce qu’un adolescent a été tué par la police, explique-t-il. C’est la raison pour laquelle toute la Grèce est dans la rue. Car ce n’est pas une simple bavure policière. C’est un meurtre de sang-froid, dans une société en panne. Nous le vivons au quotidien. Les policiers sont censés nous protéger, l’Etat doit nous éduquer, mais ce n’est pas ce qui se passe en réalité. Malgré tous nos diplômes, nous sommes livrés à nous-mêmes, en attendant de nouer des relations qui nous permettront de trouver un travail à plus de 600 euros par mois.”
Tout est parti d’un SMS, dès l’annonce de la mort du jeune Alexis, 15 ans, tué par la balle d’un policier samedi soir [6 décembre] dans le quartier d’Exarchia, à Athènes. Ce quartier situé au pied de l’Acropole est certes connu pour être un centre anarchiste, mais jamais une telle scène ne s’y était déroulée. Ce jeune homme de bonne famille avait l’avenir devant lui. On lui a pris la vie. Dans la nuit de samedi, ses camarades ont envoyé un SMS appelant à la mobilisation nationale. Ce message disait simplement : “La mort d’Alexis est celle de l’un des nôtres.” Très vite, les courriels se sont enchaînés sur Facebook, sur les iPhones de tous les jeunes de Grèce et même de l’étranger. Les Grecs de la diaspora ont une nouvelle fois manifesté leur soutien et leur amour à leurs compatriotes. Car eux aussi sont jeunes et en mal d’avenir. Ils n’ont qu’un rêve, revenir travailler dans leur pays d’origine. Mais c’est impossible dans cette situation bloquée.
Panagiotis Souglakos était dans la même classe qu’Alexis. Il est effondré et affirme que “personne ne comprend ce qui s’est passé”. En effet, même si les émeutes s’arrêtent, c’est tout le système qui est mis en cause. Après [les scandales qui ont touché] l’Eglise, les juges et l’Etat, les Grecs ont perdu leurs repères.
“Nous voulons un avenir et un emploi, ajoute le garçon. On nous force à être bons élèves et à décrocher des diplômes. Un Grec qui n’a pas de diplôme n’a pas de statut social. Mais même avec des diplômes on ne trouve pas d’emploi. Certains nous conseillent même de nous installer dans les cafés de la place Kolonaki [la place chic d’Athènes] pour essayer de faire la connaissance de gens bien placés qui pourraient nous trouver un poste quelque part. Pourquoi étudions-nous, alors ? Juste pour passer des heures à s’abîmer les yeux et la mémoire ? Pourquoi ?”
Il faut répondre aux raisons de cette explosion de colère. Aucune autre solution ne sera durable. A Athènes ou dans les îles, tous les jeunes, quelle que soit leur origine sociale, partagent la même frustration. Ils ont été élevés dans un monde douillet et tout leur tombe dessus au moment où ils entrent dans la vie active. Leurs parents ont vécu une vie sereine, avec maison, voiture, vacances et consommation à crédit. Mais, depuis quelques années, ils ont vu s’écorner le patrimoine familial. On a vendu le champ du grand-père ou la maison de famille, les grands-parents se sont retrouvés avec des retraites de misère et les parents ont du mal à joindre les deux bouts.
Une frustration qui risque de ne pas se calmer
Quand ils entrent dans la vie active, les jeunes ont l’impression de se faire arnaquer. Ils ne travaillent plus selon des horaires à la grecque [8 heures-14 heures] ou à l’européenne [9 heures-18 heures]. Ils cumulent les deux, plus des heures supplémentaires non payées et beaucoup de travail au noir. Le tout sans assurance sociale. Dans un premier temps, ils changent d’entreprise, mais ils se rendent rapidement compte que toutes fonctionnent sur le même principe de contournement des règles sociales, car il n’y a aucun contrôle. Ils sont impuissants et se disent : “Je me reposerai le week-end.” Mais cette attitude a montré ses limites. Ce qui vient de se produire, c’est l’explosion d’une Cocotte-minute. Et cela ne risque pas de se calmer, car toutes les frustrations accumulées se libèrent en même temps.
Giorgos Araboglou
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La révolte d'une jeunesse sans avenir par Par Ta Nea (Quotidien du soir (Courrier International))
La mort d'un adolescent tué par un policier, le 6 décembre, a déclenché les pires émeutes depuis la dictature. Mais ce sont le malaise d'une société touchée par le chômage et la faiblesse du gouvernement qui rendent la situation explosive.
Le gouvernement a peur d'une explosion. La situation est hors de contrôle depuis le 6 décembre, lorsqu'un adolescent de 15 ans a été tué par un policier des services spéciaux. Une tragédie - une de trop - qui a soulevé tout le pays. Manifestations, émeutes et autres actes de vandalisme : ces images pourraient rappeler la dictature et le soulèvement des étudiants contre les colonels. Les raisons en sont multiples.
D'abord, le choc. Le meurtre de cet adolescent incarne le nouveau cauchemar d'un gouvernement enlisé dans les scandales politico-économiques, dont celui des transactions immobilières avec le monastère de Vatopediou, au mont Athos. Chaque jour, une nouvelle révélation, un nouveau sondage confirment que la majorité se porte mal, très mal.
Ce week-end, pendant plus de trente-cinq heures, le centre de la capitale et Salonique ont été en flammes, un champ de bataille inédit en Grèce. D'autres villes continuent de brûler. Il s'agit des villes étudiantes, mais pas seulement - partout où la jeunesse existe et s'inquiète ; partout où elle connaît le mal de vivre et où elle manque d'avenir, de perspective ; partout où vivent des jeunes surdiplômés qui subissent le taux de chômage le plus important d'Europe.
Ces jeunes errent dans les rues d'Athènes pour vivre une jeunesse condamnée. Alexis, le jeune qui a trouvé la mort samedi, était issu d'une famille assez aisée vivant au nord d'Athènes. Il se serait amusé à jeter des pierres sur un policier des forces spéciales, et ce dernier - que son unité surnomme "Rambo" - a riposté avec son arme. Le coup aura été fatal.
Les autorités se sont vite trouvées désemparées. Pour preuve, l'absence de présence policière lors de la manifestation de dimanche midi, qui a réuni plus de 5 000 personnes et a vite dégénéré. Tous se révoltaient contre la mort de ce jeune homme et surtout contre le gouvernement et le Premier ministre, Costas Caramanlis, qui était tout simplement absent. Oui, absent. Il n'a envoyé qu'un communiqué assurant la famille de sa sympathie. Absent comme en août 2007, quand le pays était en flammes.
A présent, c'est tout le pays qui s'est emparé de l'affaire. La mobilisation de demain [des organisations lycéennes et étudiantes ont prévu de manifester] et surtout de mercredi, lors de la grève générale, s'annonce importante. Et le gouvernement aura du mal à la gérer. Même le président de la République s'active davantage.
Le policier a été arrêté pour "homicide volontaire", et l'enquête se poursuit. Mais le peuple s'est réveillé. L'opposition du PASOK, la coalition de gauche, et l'extrême gauche, appellent à une forte mobilisation ces prochains jours et demande avant tout la tenue d'élections anticipées.
Dyonisos Nassopoulos
L'UNEF appelle à manifester vendredi devant l'ambassade de Grèce à Paris
L'UNEF, principal syndicat d'étudiants en France, appelle à un rassemblement vendredi à 17h30 devant l'ambassade de Grèce à Paris "en solidarité avec la jeunesse de Grèce". Dans un communiqué diffusé mercredi, l'organisation étudiante "condamne la répression exercée par les forces de police, et le mépris du gouvernement grec", dont elle réclame la démission.
"Au-delà d'un contexte politique et social propre à la Grèce, ce sont les conditions d'études et d'emploi dégradées de la jeunesse qui sont notamment aux sources du malaise. Ce mouvement intervient dans un contexte de dégradation des conditions de vie et d'étude et fait écho au fort taux de chômage des jeunes face auquel le diplôme n'apparaît plus comme un rempart suffisant", note l'Union nationale des étudiants de France (UNEF) dans son communiqué.
Condamnant "la répression exercée par les forces de police et le mépris du gouvernement grec qui jette de l'huile sur le feu", l'UNEF juge que la démission du gouvernement Karamanlis "est aujourd'hui nécessaire".
Le syndicat étudiant observe parallèlement qu'en France, "les jeunes n'accepteront pas que la crise économique soit une double peine qui justifie aujourd'hui de se serrer la ceinture parce que 'les caisses sont vides' et dont il faudrait subir demain les conséquences et la reprise du chômage". AP