A Venise, les laquais de Berlusconi veulent mettre nos livres sur le bûcher
[Traduit de l'italien par Gaia Manco. Mise à jour dans les comments]
Serge Quadruppani a su trouver les mots les plus indiquées. Les voilà:
«Face à l’imbécillité fascisante, on est comme désemparé : l’énormité idiote de certaines déclarations pourrait laisser sans voix. C’est tellement crétin qu’on a seulement envie de hausser les épaules et de penser à autre chose. Mais ces énormités et cette idiotie ont des effets bien réels.
Si on laisse se répandre la seule idée (pour ne pas parler de la pratique réelle) que des listes noires pourraient être officiellement dressées pour refus de céder à la dictature du chagrin, pour non-respect de la vision dominante de tel aspect du passé ou de telle affaire judiciaire, alors on cède à une conception de la société plus proche de la Tunisie de Ben Ali que de celle qu’a rêvée l’Europe des Lumières et de la résistance. » (
«Inquisition moderne : les bibliothèques vénitiennes purgées des pro-Battisti »)
Notice préliminaire: le cas Battisti ici est juste un prétexte. S’il n’y avait pas celui ci, ils en auraient cherché un autre. Par conséquent, dans ce billet on ne parlera pas du détail de cette histoire. Si celui o celle qui connait seulement les opinions répétées à l’infini par les médias et les politiciens voulait entendre une autre version, il pourra se renseigner sur Carmilla [1]. Celui qui voudra en discuter est prié de le faire autre part (le net est plein de blogs et forum). Notre opinion est suffisamment connue, à son temps nous en avons écrit, en pesant chaque mot, en essayant de maintenir un équilibre [2]. Mais aujourd’hui la question est une autre, comme le collègue Carlo Lucarelli, qui nous envoie ce message, a bien compris:
«Sur le cas Battisti- l’homme et son histoire- nous avons des positions différentes, mais ce qu’ils sont en train d’essayer de faire avec cette liste de proscription est vraiment une cochonnerie et c’est vraiment de la censure contre le désaccord. Je ne suis pas un des signataires de l’appel pro Battisti mais je suis disponible à soutenir quand même toute initiative partagée pour contester cette sordide opération digne d’une dictature débile.»
Et maintenant on vous raconte ce qui ce passe.
Le délègue à la culture de la Province de Venise, ex MSI (Mouvement Social Italien, parti post-fasciste n.d.t.) tourné berlusconien Speranzon, a accueilli la suggestion d’un collègue de parti et sommé aux bibliothèques de la province de:
1) enlever des étagères les livres de tous les auteurs qui en 2004 ont signé un appel dans lequel on demandé la libération de Cesare Battisti;
2) Renoncer à organiser initiatives avec ces écrivains (ils doivent être déclarés: personae non gratae)
Le bibliothécaire qui n’acceptera pas ce diktat “s’en assumera toutes les conséquences”. On fait peut être allusion au bloc des financements, au refus du patronage des initiatives, au mobbing, à hostiles campagnes de presse? La proposition a obtenu la faveur du COISP (un syndicat de policiers). Donc le bibliothécaire va y penser deux fois avant se se faire des ennemis parmi les pouvoir locaux et les forces de l’ordre aussi.
Une bande de “sincères démocrates” est déjà en marche pour étendre la chose à toute la Vénétie et il y a des chances que l’initiative sera copiée au delà des frontières régionales. Voilà ce qu’on peut lire sur le “Gazzettino” [3]:
«Je vais écrire aux délégués à la culture des Mairies du territoire de Venise afin que ces personnes soient déclarées importunes et je vais leur demander, comme les bibliothèques municipales sont insérées dans un système provinciale. que leurs œuvres soient retirées des étagères. [...] Je vais demander de ne pas promouvoir la présentation des livres écrits pas ces auteurs: chaque Mairie pourra agir en autonomie, mais devra en assumer la responsabilité. En outre, comme conseiller municipal à Venise, je vais présenter une motion afin que Venise donne en première l’exemple. [...] Nous allons écrire aux délégués régionaux Marino Zorzato e Elena Donazzan, pour étendre l’initiative à toute la Vénétie.»
Le fait même que l’on puisse concevoir une telle chose indique que l’enfoncement italien est en train de toucher des nouveaux, ecoeurants niveaux. Nous sommes en train de sonder le fond de la Fosse de Mariannes, entourés par des poissons aveugles et déformes, à la recherche de l’obscurité la plus obscure qui puisse se produire dans l’univers.
Voulons nous rester au fond de la fosse avec ces sombres misérables scaphandriers ou voulons nous nous engager pour émerger?
La haut il y a le soleil, pour ceux qui veulent le revoir.
Dans la liste de proscription nous sommes très nombreux: nous, Valerio Evangelisti, Massimo Carlotto, Tiziano Scarpa, Nanni Balestrini, Daniel Pennac, Giuseppe Genna, Giorgio Agamben, Girolamo De Michele, Vauro, Lello Voce, Pino Cacucci, Christian Raimo, Sandrone Dazieri, Loredana Lipperini, Marco Philopat, Gianfranco Manfredi, Laura Grimaldi, Antonio Moresco, Carla Benedetti, Stefano Tassinari et beaucoup d’autres encore. En pratique ils devraient les vider, ces étagères. Et peut être c’est précisément ce dont ils rêvent.
Quadruppani a raison: on ne peut pas réagir en haussant les épaules, dire « c’est juste une provocation », conseiller l’indifférence « pour ne pas faire de la publicité à ces gens là ». Parfois il faut faire ainsi, mais pas toujours. Bien sur, il s’agit aussi d’une provocation, mais surtout d’autre chose:
1)il s’agit d’une menace faite à une catégorie professionnelle entière (les bibliothécaires) qui devraient accepter un ultimatum autoritaire et anticonstitutionnel ou ils vont la « payer chère »
2) Il s’agit d’un acte finalisé à l’isolement et à la censure d’écrivains et artistes comme « complices » de terrorisme. Un acte accompli par un administrateur, une figure de pouvoir qui, en agitant un épouvantail pour détourner l’attention d’autres problèmes, s’appelle aux réactions viscéraux du « peuple ». Un acte qui veut intimider et « remettre à sa place » celui qui produit discours public. Comme le collègue Tiziano Scarpa a déclare : «De cette façon on frappe la citoyenneté d’un écrivain, qui se trouve dans la langue et dans les œuvres » [4]
Contre cette horreur nous devrons tous réagir, non seulement les écrivains directement engagés ou les bibliothécaires directement visés.
- Les citoyens, les frequentateurs des bibliothèques devraient se faire entendre
- Les administrateurs, les forces politiques et associations de Venise et des mairies avoisinantes
- Toute personne travaillant dans l’information devrait essayer d’écrire, comme tous ceux qui ont un blog et similia ;
- L’Association Italienne Bibliothèques devrait faire quelque chose
- Les syndicats de la fonction publique devraient faire quelque chose.
- Les éditeurs devraient faire quelque chose, même légalement, en portant plainte au devant les tribunaux civils, contre une action qui leur provoque des endommagement matériaux et moraux.
- Il faudrait envoyer e-mails aux journaux (non seulement aux journaux venetiens) pour protester, il faudrait afficher messages et lettres ouvertes dans les bibliothèques et salle de lecture.
- Il faudrait diffuser et mettre un lien aux billets comme celui ci (en bas nous mettrons les mises à jour sur cette histoire) et toute autre article, texte ou vidéo informant sur ce personnage, sur ses intentions liberticide et sur initiatives éventuelles de ses imitateurs et camarades.
Certains écrivains qui sont finis dans cette liste noire (avec d’autres qui n’y sont pas mais qui sont solidaires) sont en train de discuter, ils sont en train de se coordonner, ils sont en train d’évaluer quelle type d’action (y comprises des actions légales) engager. Mais s’ils seront seuls, cette censure va passer. La menace est adressée à tout le monde: à ceux qui écrivent, ceux qui lisent, à ceux qui tiennent à la variété de point de vue sur tout sujet. Si on sous-estime l’initiative parce qu’elle est stupide, on va créer un précédent. Il s’agit d’une initiative dangereuse parce que stupide. Comme le bloguer Mazzetta nous fait remarquer, on a l’intention d’affirmer le principe selon lequel il serait parfaitement normal:
«appliquer un filtre moral, en sélectionnant les livres selon les comportements des auteurs et leur appartenance idéologique et politique au vouloir de la majorité de gouvernement.
Comme si, si demain Berlusconi devait tomber en disgrâce, quelqu’un proposait de bannir de toutes les bibliothèques du royaume les livres de tous ceux qui l’ont soutenu et protégé, comme si les œuvres littéraires pouvaient et devaient être sélectionnées selon leurs caractéristiques morales et politiques de l’auteur.» [5]
NOTE (ITALIEN)
1.
Dossier sul caso Battisti, carmillaonline.com2. Wu Ming 1, [urlhttp://www.wumingfoundation.com/italiano/outtakes/cesare_battisti_2.htm]«Cesare Battisti. Quello che i media non dicono»[/url]
3.
«La Provincia di Venezia “mette al rogo” i libri di chi firmò la petizione per Battisti», Il Gazzettino, 16 gennaio 20114. «Una prassi da dittatura», intervista a Tiziano Scarpa, Corriere del Veneto, 16 gennaio 2011
5.
Il commento di Mazzetta sulla sordida iniziativaATTENTION: Mise à jour du 18/01/2011
Serge Quadruppani: “Contre l’inquisition vénitienne, une première victoire”
La présidente de la province de Venise, Francesca Zaccariotto a pris ses distances par rapport à l’initiative de Speranzon, l’adjoint à la culture provincial qui, avec l’appui d’un syndicat de policiers demande aux bibliothèques municipales et scolaires du territoire de retirer de leurs rayons les livres de tous les auteurs (dont le sousissigné et une ou deux centaines d’autres) qui ont signé un appel en faveur de Cesare Battisti en 2004. La présidente tient à dire que c’est une initiative personnelle et que la Province ne l’appuie pas. C’est une première victoire remportée grâce à une mobilisation sur le net qui a refusé les formes trop faciles de la pétition online ou du groupe facebook, mais s’est caractérisée par une multiplicité d’initiatives, du mail d’auto-dénonciation à Speranzon à la distribution de tracts dans les bibliothèques, à la mise en mouvement des éditeurs, des bibliothécaires, des collègues écrivains non signataires, et de tous les gens concernés. La rédaction de
Carmilla analyse très bien toute l’affaire, pour ceux qui lisent l’italien. De toute façon, cette affaire à la fois dérisoire (pour ses effets pratiques immédiats) et très grave (pour le type de pratique qu’elle tend à banaliser) n’est pas terminée: il faut obtenir à la fois la certitude qu’aucune pression directe et indirecte ne sera exercée sur les bibliothécaires et que les conséquences institutionnelles soient tirées de cet abus de pouvoir. Si vous y tenez vraiment, je traduirai quelques passages, plus tard, du texte de Carmilla, en attendant, je retourne à ma chère Tunisie, sur laquelle j’essaie d’écrire quelques lignes.
ATTENTION: Mise à jour du 18/01/2011
Serge Quadruppani: La fierté de figurer sur la liste noire (bis): ça ne s’arrange pas
Malgré la prise de position contraire de la présidente de la province de Venise, c’est maintenant l’adjointe à la culture de la région (une région contient plusieurs provinces) de Vénétie qui demande à toutes les écoles de retirer les livres des “amis de l’assassin” Battisti des rayons de leurs bibliothèque. En cliquant sur l’image, vous verrez dans la colonne de droite la liste des auteurs que la clique fascistoïde au pouvoir dans la province vénitienne appelle à boycotter.
Si vous voulez donner votre sentiment dans la langue que vous voulez mais poliment à l’adjointe en question, on peut lui écrire:
assessore.donazzan@regione.veneto.itainsi qu’au président de la région:
presidenza@regione.veneto.itsans oublier Speranzon, le génial initiateur du mouvement:
raffaele.speranzon@provincia.venezia.itFaut-il insister sur le fait que tout type d’insulte et de menace serait contre-productif ? Il le faut, je connais votre tempérament impulsif, chers lecteurs !