L'espionnage en entreprise
Emmanuel Fansten présente sa dernière enquête sur l’intelligence économique. Où l’on apprend la grille des tarifs pour corrompre un policier.
J’étais sans doute très naïf, mais avant de lire votre livre, je croyais que la sécurité pour une entreprise c’était embaucher des gardiens de nuit. Là, j’apprends que Canal + emploie un hacker vedette, un ancien du service « Courses et Jeux » des RG et que la chaîne dispose en fait d’une petite agence d’espionnage…
Je ne dénonce pas l’intelligence économique. En soi l’intelligence économique n’est pas illégale, c’est même une matière plutôt noble qui consiste pour une entreprise à trouver des infos disponibles sur un concurrent. Ce qu’il est vrai c’est que certains cabinets d’intelligence économique ont recours à des officines un peu plus troubles avec des méthodes « borderlines », voire parfaitement illégales.
Dans le cas de Canal +, l’inspecteur des RG dont vous parlez, c’est Gilles Kaelhin, qui est arrivé au départ pour lutter contre le piratage des décodeurs, qui était à la fin des années 1990 un véritable problème pour la chaîne. Après avoir mis en place une cellule informatique pour lutter contre les pirates et éventuellement porter plainte, il a mis Canal sous coupe réglée. Il a commencé à espionner certains salariés. Evidemment, il y a l’affaire de l’espionnage de Bruno Gaccio qui a été une sorte de cristallisation de toutes les méthodes employées à l’époque par Canal +. Et qui a été jugée.
C’est fréquent que les cabinets d’intelligence économiques enfreignent la loi ?
Non, mais ça arrive de déraper. On a souvent coutume de dire que sur un individu ou sur une entreprise, il y a 90 % de l’information qui est disponible de façon légale, à partir de sources ouvertes – Internet et la presse principalement, et que les 10 % restant, ce qu’on appelle « la zone grise », nécessite des méthodes illégales. En l’occurrence, ce sont ces 10 % qui intéressent bien souvent les entreprises, et certaines entreprises sont prêtes à franchir la ligne jaune pour obtenir ces infos.
La ligne jaune, c’est la corruption, au cœur de ce système que vous dénoncez. Quelle est la grille des tarifs pour obtenir des informations d’un policier ?
Je cite l’exemple d’un commissaire qui s’appelle Patrick Moigne, qui va être jugé en janvier prochain. Il a été révoqué de la police, c’était un gros, un des patrons de la PJ parisienne. Et lui s’est mis à revendre des informations tirées des fichiers protégés de l’État à des officines privées, ce qu’on appelle « la tricoche » dans le jargon. Il avait une grille de tarif : c’était 30 euros pour une consultation du Stic – les antécédents judiciaires, et ça pouvait monter à 1.000 euros pour des consultations bancaires. Après c’est comme la drogue, ce n’est pas des tarifs fixes : ça dépend des quartiers, ça dépend des services !
Sur un individu ou sur une entreprise, il y a 90 % de l’information qui est disponible de façon légale
Plus grave, vous suggérez surtout qu’il existe des conflits d’intérêts, car les agences d’intelligence économique agissent parfois en sous-main pour le compte de services plus officiels et aussi d’hommes politiques, comme dans l’affaire EDF et Greenpeace…
Au début, je me suis intéressé aux entreprises et on s‘aperçoit que ces officines, très souvent composées d’anciens policiers, militaires, agents des services secrets, peuvent aussi servir de relais à des intérêts politiques. On retrouve ces officines dans des scandales liés à des entreprises d’État – comme EDF ou Renault. Et dans le cas d’EDF effectivement, une officine mandatée par le numéro 2 de la sécurité d’EDF – condamné depuis – a espionné littéralement Yannick Jadot, le directeur des opérations de GreenPeace. Et cette officine a été sollicitée dans des affaires beaucoup plus importantes, comme dans le dossier Karachi.
Dans le livre, vous parlez un petit peu de l’affaire DSK. On a souvent rappelé dans la presse que le directeur de la sécurité de Sofitel était un ancien de la DCRI. Il y a tous les ingrédients des complots que vous dénoncez là… Vous y croyez ?
Je ne valide pas la théorie du complot. J’explique qu’il y a plein d’éléments troublants, notamment le fait que le patron de la sécurité de Sofitel connaissait Sarkozy, je reprends la thèse d’Edward Epstein. Simplement, l’affaire DSK ouvre un chapitre sur les écoutes téléphoniques et j’explique qu’il y a une paranoïa aujourd’hui autour de ces systèmes de surveillance et cette paranoïa peut servir de terreau à des manipulations. Mais ça ne veut pas forcément dire qu’il y ait eu complot. Il reste des zones d’ombre dans l’affaire DSK, ce qui ne dédouane pas le comportement de l’ami Dominique…
On a l’impression que les abus se sont multipliés sous la présidence Sarkozy, il y a eu beaucoup d’affaires dont la presse s’est faite l’écho. C’est parce qu’il y a plus de transparence, c’est ça ?
Il y a beaucoup d’affaires qui sont liées à l’UMP et au RPR pour la simple et bonne raison que la droite a été très souvent aux affaires depuis 20 ans. Quand on pense à Clearstream, à Karachi, à Bettencourt – les 3 principaux scandales des dernières années – ils mouillent tous la droite. Je ne dis absolument pas que la gauche est exempt de quoi que ce soit. François Hollande s’est fait élire sur une moralisation des pratiques et de la vie politique, on attend de voir. La gauche n’est absolument pas vaccinée contre les pratiques « barbouzardes ».
Les détectives privés ont toujours existé, qu’est-ce qui a changé ? Pourquoi vous les appelez « Les Nouveaux Barbouzes » ?
Depuis la fin des années 90, il y a une véritable mutation géopolitique qui a vu de nombreux espions formés au temps de la guerre froide se reconvertir dans le privé. On est passé de la guerre froide à la guerre économique et aujourd’hui, les espions se retrouvent dans le milieu de l’entreprise. Des méthodes traditionnelles de l’espionnage sont maintenant appliquées au milieu de l’entreprise.
Et pendant ce temps là .... Les caniches du patronats attendent le susucre :
Les syndicats divisés sur les propositions du Medef
PARIS (Reuters) - Les syndicats sont apparus divisés vendredi à la reprise des négociations sur la réforme du marché du travail face aux nouvelles propositions du Medef, qui insiste toujours pour donner plus de souplesse aux entreprises face aux aléas conjoncturels.
Selon les négociateurs de la CGT et de Force ouvrière (F0), cette session n'a pas permis d'avancer vers un accord que le président François Hollande voudrait voir conclu d'ici fin 2012. CFDT, CFTC et CGC ont émis des avis beaucoup plus nuancés.
"On a l'impression que c'est un peu l'impasse, parce que le patronat n'entend pas, ce n'est pas une négociation", a déclaré Agnès Le Bot (CGT), après deux heures et demie de discussion au siège de la principale organisation patronale française.
"On fait du sur place, on a perdu une séance (...) On est quand même très en colère à la sortie de cette réunion", a renchéri son homologue de FO, Stéphane Lardy, qui a taxé les organisations patronales d'"arrogance".
Patrick Pierron, de la CFDT, a en revanche jugé que le texte du Medef était un "vrai document de travail" et un "pas positif" qui avait permis d'ouvrir une discussion "plus précise", tout en ajoutant qu'il y avait à encore beaucoup à faire pour atteindre un "point d'équilibre". Un avis partagé par la CFTC et la CGC.
Dans le projet d'accord transmis jeudi aux syndicats, le Medef propose notamment la création de droits rechargeables pour les salariés alternant périodes de travail et de chômage, mesure depuis longtemps demandée par les syndicats.
"Nous faisons dans ce texte pas moins de dix propositions concrètes de droits nouveaux pour les salariés", a fait valoir le négociateur du Medef, Patrick Bernasconi.
Mais il a averti que le Medef ne signerait pas un accord dans lequel la flexibilité n'aurait pas "toute sa place".
"ÉCRANS DE FUMÉE"
Le préambule du texte lie sécurisation des parcours professionnels et nécessité de donner plus de souplesse aux entreprises pour réagir aux fluctuations conjoncturelles - une notion contestée par les syndicats.
Le négociateur de FO a dénoncé des "écrans de fumée" et estimé que le gouvernement avait affaibli la position des syndicats en accordant 20 milliards d'euros de crédit d'impôt aux entreprises pour améliorer leur compétitivité.
"On a un gouvernement qui a perdu la bataille idéologique sur la compétitivité", a déploré Stéphane Lardy. "Ça ne nous aide pas dans la négociation."
Son homologue de la CGT a jugé "inacceptable" le texte du Medef malgré un "effort de réécriture". Ses propositions en termes de sécurisation des parcours professionnels "ne sont pas à la hauteur des enjeux et ne peuvent pas cacher un deuxième volet extrêmement régressif", a expliqué Agnès Le Bot.
L'un et l'autre reprochent aussi au patronat de subordonner les modalités des mesures de sécurisation de l'emploi à des négociations dans les branches - un avis cette fois partagé par leur homologue de la CFDT.
Si le négociateur de la CFTC, Joseph Touvenel, a estimé lui aussi que le projet du Medef constituait un "document sérieux", il a jugé "carrément imbuvable" et "hors sujet" la dernière partie portant sur les procédures judiciaires.
Ce chapitre vise à assurer la "sécurité juridique" des procédures permettant de trancher les litiges entre salariés et employeurs. Il prévoit notamment, en matière de licenciement, de ramener à 12 mois le délai de prescription pour les recours.
En ce qui concerne la conclusion d'accords dits de maintien dans l'emploi en cas d'aléas conjoncturels, le texte prévoit une rupture du contrat si un salarié refuse de se voir appliquer un accord modulant la durée du travail et sa rémunération.
LIGNES ROUGES
Les syndicats ont déploré que le texte ne reprenne pas l'idée d'une taxation accrue des contrats de travail précaires, rejeté par l'organisation représentative des PME, la CGPME.
"Je n'ai pas de mandat pour négocier sur les contrats courts", a déclaré Patrick Bernasconi, qui a parlé à ce propos de "feu rouge" pour les organisations patronales.
Joseph Touvenel a répliqué que, pour les syndicats, l'absence de disposition sur une modulation des cotisations sociales patronales en fonction de la durée des contrat de travail serait une "ligne rouge".
"Il n'y aura pas d'accord s'il n'y a pas de dispositions pour limiter l'utilisation abusive des contrats courts", a dit Patrick Pierron. "Il faut que le Medef passe au vert s'il veut un accord."
Les négociateurs se retrouvent jeudi mais auront entre-temps des rencontres bilatérales pour tenter d'aplanir leurs divergences.