Si je partage l'intention, je ne partage pas ( et je précise que je suis syndicaliste) l'analyse et les conclusions de ce passage sur l'incapacité du syndicalisme. S'il y a encore du collectif, même parfois tenu, c'est aussi qu'il y a du syndicat ... je ne crois pas que la situation sois meilleure là où il n'y en a pas ( à secteur comparable je constate même le contraire). Effectivement il n'y a qu'a "prendre en charge cette organisation de la révolte, la mobilisation d’un contre-pouvoir collectif, des travailleurs capable de dite : ça suffit " , mais entre cette prescription et la mise en eouvre dans le réel sur le terrain c'est parfois plus compliqué.
Je ne dis pas que ce n'est pas compliqué.
Moi je raisonne en fonction de ce que je vois et non de ce que devrait être le monde ou les syndicats. C’est comme pour les restructurations, le développement du travail précaire, la robotisation, les délocalisations, la smicarisation des salaires, etc…. sur tout ce qui est fondamental en terme de rapport de force entre les classes, les syndicats ont été incapables d’organiser la résistance des travailleurs, d’empêcher l’initiative capitaliste en matière de gestion de la force de travail.
On a eu les 30 glorieuses, en gros jusqu’en 1978.
Depuis, on a eu les 30 piteuses !
Et ce n’est pas fini.
Ce que je veux dire, c’est justement que cette vague de suicides, il faut la prendre comme un reflet ou un symptôme de l’absence de collectif, de désorganisation des travailleurs, de cette absence de réactions collectives à l’implantation et la généralisation de la gestion individuelle de carrières, le management par objectifs, la mise en concurrence des travailleurs les uns avec les autres (moi j’ai vu arrivé cela dans les services informatiques dans les années 80). Si cela s’est implanté, c’est bien par l’absence de réponse collective, l’absence de lutte là-dessus : et qui est sensé préparer et organiser les luttes dans les entreprises ?
Les vagues des suicides actuels, comme les centaines de boîtes qui ferment sans grande réaction des travailleurs témoignent ou sont un signe supplémentaire de la dégradation continuelle des rapports forces entre classes.
Les syndicats sont sensé défendre les intérêts des travailleurs ; ils ne le font pas, sinon on n’en serait pas là ! Et moins ils jouent ce “rôle”, moins ils pourront le jouer dans le futur car on est bien dans une dynamique d'accumulation des défaites et des faiblesses.
Mais cela renvoie à des questions plus générales sur la perte d’influence, de force, de présence du
syndicalisme dans l’ensemble de la société et de la fin de la centralité ouvrière où une certaine place prépondérante de la « classe ouvrière » organisée structurait l’imaginaire social et politique de tout le monde, des réformistes comme des révolutionnaires d’ailleurs.
On n’est plus dans les années 50 ou 60 où le syndicalisme savait encore se défendre, dans ses bastions du moins (métallurgie, mines, presse…), à l’intérieur du rapport capitaliste : ça s’est appelé le fordisme. Il n’y a plus de bastions à part un peu le secteur d’Etat qui reste un peu syndicalisé mais en voie de réduction constante.
La question est pour moi moins de savoir ce que le syndicalisme devrait être (ou, sur un autre sujet, ce que devraient être les écologistes pour se battre contre le nucléaire) que de bien saisir l’enjeu de cette violence et d’avancer des axes contre la logique capitaliste qui broie des vies tous les jours et que le syndicalisme ne prend pas en charge tout simplement parce qu’il n’est pas anti-capitaliste mais qu’il se situe à l’intérieur d’un rapport salarial jugé indépassable, sans en mener la critique, sans chercher à rompre avec lui, se contentant simplement de rechercher des contreparties institutionnelles (commissions mixtes, extension des compétences des CHSCT…) dans le cadre de la domination capitaliste, dans une sorte de co-gestion et d’accompagnement des initiatives patronales (en s’attaquant aux conséquences mais pas aux causes : que les primes au mérite soient plus équitablement distribuées par exemple alors que la base c'est quand même de refuser tout système de "prime", sans même parler des différenciations salariales)
Je ne dis pas qu’il ne faut absolument pas être syndiqué ou qu’il n’y a rien à faire avec des syndiqués. Mais qu’il me semble problématique de se dire syndicaliste dans une sorte de positionnement intemporel et indépendant (donc idéologique) de ce qu’est le syndicalisme réellement existant.
La question sociale mérite mieux et la référence au syndicalisme fait écran et empêche de penser. Si je vois peut-être une priorité sur cette “question sociale” telle qu'elle se présente aujourd'hui ce serait d’essayer de comprendre ce qui se joue dans la période en terme de rapport de forces et par quels mécanismes la domination patronale s’exerce et donc sur quoi, comment, avec qui il serait possible de mettre en place des formes de résistance, d’action et d’organisation. En oubliant les syndicats. C’est-à-dire en ne leur accordant pas plus d’importance que ça : ni en leur confiant des capacités des résistance qu’ils n’ont pas, ni en les accusant d’être les grands responsables de tout.
Les suicides, l’absence de collectif des travailleurs capable de refuser ces normes de production sont la conséquence d’une domination par la peur s’appuyant sur un individualisme généralisé et accepté car présenté comme une forme de liberté. C’est là-dessus qu’il me semble nécessaire de réfléchir : comment se met en place le « Marche ou crève !» qui devient une sorte de norme sociale plus ou moins acceptée. Il y a là un levier important sur... l'acceptabilité de la logique sociale dominante, de ses codes, de ses contenus. Cela ne me semble pas rien politiquement.
Dans les années 70 je me souviens que l’on collait des affiches ou que l’on bombait sur les murs qu’il n’était pas question de « perdre sa vie à la gagner ». Cela voulait dire refuser de se consumer, de perdre le temps de sa vie, de cette “petite mort quotidienne”, qu’il y avait mieux à faire (travailler beaucoup moins, ou pas du tout, ou imaginer un travail radicalement différent…)
Jamais on n’aurait pensé qu’un jour des salariés allaient se foutre en l’air comme prix à payer de la domination du rapport salarial.