A la SNCF, «un gamin de 26 ans se suicide et vous trouvez ça normal ?»
Après que Julien Pieraut, un jeune cheminot, s’est jeté sous un train sur le chemin de son travail à Pantin, près de Paris, ses collègues fustigent le surmenage et le non-respect de sa vie personnelle.
Il est tôt lundi matin lorsque Julien Pieraut, un cheminot de 26 ans, prend la direction du technicentre Est-Européen à Pantin (Seine-Saint-Denis). Avant d’arriver sur son lieu de travail, vers 5 heures, il s’arrête en chemin. A un passage à niveau, il se jette sous un train. «Un geste incompréhensible pour un gamin si jeune», regrette l’un de ses collègues en marge d’un rassemblement en son hommage, jeudi.
Beaucoup d’entre eux tentent aujourd’hui de trouver des réponses à ce drame. Pour Mathieu Borie, délégué SUD rail à Paris-Est, s’il ne faut pas tirer de conclusions hâtives, les circonstances laissent à penser que le contexte professionnel a pu jouer un rôle : «Il s’est suicidé en se rendant sur son lieu de travail un lundi de Pentecôte. Ça rend incontestable le fait que sa situation professionnelle était problématique. Mais il faut faire attention à ne pas chercher des réponses simples à une situation compliquée.»
«Acharnement».
Arrivé dans le service d’entretien des freins il y a cinq ans, il avait pris sa carte au syndicat SUD rail. Un jeune homme que l’on surnommait «Doudouce» pour sa gentillesse, collectionneur de voitures et passionné de mécanique, son ancien métier. «Il déconnait beaucoup, c’était un bon vivant, discret mais toujours franc. C’était quelqu’un de dur. C’est pour ça quand on a appris la nouvelle, on ne l’a pas crue», disent-ils. «Il pouvait avoir des soucis familiaux, sentimentaux et financiers mais c’est le professionnel qui a sans doute été la goutte d’eau», assure l’un d’eux. Il se souvient qu’il y a six mois «la direction lui a demandé de faire les trois-huit» au technicentre de l’Ourcq, à Pantin. «Ils l’ont forcé, alors qu’ils savaient qu’il était suivi psychologiquement. Mais il était célibataire et sans enfants et ils manquent de personnes pour faire ça.» Julien Pieraut vivait à Chauny avec sa mère et sa sœur, dans l’Aisne, à plus d’une heure et demie de route. «C’est de l’acharnement, il faisait déjà trois heures de trajet par jour et on lui demande de faire des horaires décalés», dit l’un des deux collègues.
Au fil des mois, le cheminot accumule les retards et les absences injustifiées. «Ils [la direction, ndlr] pensaient qu’il faisait du cinoche, qu’il avait juste un bon médecin qui lui signait des arrêts maladie», regrette l’un d’eux. Selon ses deux collègues, ces absences lui auraient coûté des sanctions disciplinaires et des retraits de salaire, jusqu’à n’avoir à la fin «qu’une feuille de paye à trois chiffres». Mathieu Borie, délégué de Paris-Est, évoque lui aussi prudemment des sanctions disciplinaires à l’encontre du jeune homme.
Mobilisés dans une grève depuis plus d’un mois et demi, les cheminots réunis devant le technicentre de l’Ourcq voient dans ce suicide un symbole. «C’était aussi un militant et un gréviste très impliqué», décrit l’un de ses amis. «C’est sûr qu’on est tous dans une situation incertaine et précaire à cause de la réforme. C’était Julien hier, mais ça pourrait être moi ou un autre demain», craint l’un des militants présents. Il fait référence au suicide d’un autre militant SUD rail, Edouard Postal, à la gare Saint-Lazare en mars 2017. «Ce stress et cette violence nous la subissons tous. Des remarques désobligeantes, les horaires décalés. Certains collègues perdent confiance et s’isolent», regrette un militant.
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