On a tenté de faire les soldes... mais notre conscience sociale et environnementale nous a rattrapés
Jusqu’au 21 février, les enseignes vivent à l’heure des soldes et de la consommation frénétique. En négligeant les impacts sociaux et environnementaux de l’industrie mondiale de l’habillement, dont la production a doublé depuis l’an 2000.
Vous arrive-t-il de regarder les étiquettes des vêtements ? Pas celle qui pend, devant, annonçant en grosses lettres le prix soldé. Pas celle, bien visible dans le cou du tee-shirt ou à l’arrière du pantalon, qui vous vante la marque. Non. Plutôt celle cousue à l’intérieur de la doublure, où vous vous perdez dans les indications en quinze langues.
Si à la rédaction de Reporterre, on n’a pas l’habitude de prolonger sa pause de midi pour faire du shopping, cette année on a essayé de faire les soldes d’hiver, qui se tiennent jusqu’au 21 février. Direction le centre commercial des Halles, un soir de semaine, au milieu de la foule bousculée. Sous les néons, le rouge vif des affiches « SOLDES » nous montre le chemin vers les deux géants de l’habillement : Zara, marque phare du premier groupe mondial du secteur, l’espagnol Inditex, suivi du numéro deux mondial, le Suédois H&M.
Chez ce dernier, jean, tee-shirt et pull dans le panier, direction les cabines. On inspecte les étiquettes. Jean à 7 euros, fabriqué au Pakistan, mélangeant 80 % de coton, 18 % de polyester et 2 % d’élasthanne. Pull beige à 12 euros, fabriqué en Chine, 52 % acrylique, 32 % polyamide, 16 % mohair. Tee-shirt gris à 5 euros de la gamme Conscious, en coton bio mélangé à 5 % d’élasthanne, fabriqué au Bangladesh. On se renseigne auprès de la vendeuse : y a-t-il des pulls 100 % laine ? « Pas ici, répond-elle. Vous en trouverez dans les gammes premium, dans les boutiques des Grands-Boulevards ou des Champs-Élysées. »
Étape suivante, Zara. Remarquons au passage que le fondateur du groupe, Amancio Ortega, est le deuxième homme le plus riche de la planète. En cette fin de journée, les vendeuses s’affairent à ranger les portants. De nouveau, trouver des matières naturelles s’avère compliqué. Le pull de la collection « knit » (tricot) est en... viscose, polyester et nylon, fabriqué en Chine. La très grande majorité des tee-shirts sont en matières synthétiques. Sauf un, en lin, fabriqué au Portugal et soldé à 8 euros. Pour le reste, on nous renvoie une fois de plus aux Champs-Élysées.
« Les étiquettes ne nous disent rien des conditions de travail des ouvriers qui fabriquent le vêtement »
Nous décidons plutôt d’aller rencontrer Nayla Ajaltouni, coordinatrice du Collectif éthique sur l’étiquette. Elle nous explique que l’étiquette est en général la seule source d’information du consommateur. « Sur les étiquettes, en Europe seules la composition, pour protéger le consommateur, et les conditions d’entretien, pour protéger le fabricant, sont obligatoires. Il n’est pas obligatoire d’indiquer le pays de fabrication. » Dans les faits, seule une petite proportion des vêtements ne comportent pas l’indication « made in » ou « fabriqué en ». « Mais même quand c’est indiqué, cela ne prend pas en compte le fait qu’un vêtement peut passer par plusieurs étapes et plusieurs pays au cours de sa fabrication. Bien souvent, ce n’est que le pays de l’étape principale ou de la dernière étape de fabrication qui est indiqué. » Ainsi, le tee-shirt fabriqué au Portugal de chez Zara peut très bien n’y avoir été qu’assemblé, le reste du processus ayant été effectué dans un pays lointain… Les étiquettes ne nous donnent donc qu’une information très parcellaire.
« Notamment, elles ne nous disent rien des conditions de travail des ouvriers qui fabriquent le vêtement », regrette Nayla Ajaltouni. Le drame du Rana Plaza, en avril 2013 au Bangladesh, les a tragiquement rappelées aux consommateurs occidentaux. L’effondrement de cet immeuble abritant des ateliers de confection avait fait plus de 1100 morts, « et plus de 2.000 blessés la plupart désormais lourdement handicapés », ajoute Nayla Ajaltouni. Les marques Mango, Benetton ou Primark y avaient des fournisseurs. Des étiquettes de vêtements Carrefour, Auchan et Camaïeu ont été retrouvées dans les décombres. « Le Bangladesh est le pays où la main-d’œuvre est la moins chère au monde. Le syndicalisme y est réprimé. Et un tiers des députés sont aussi patrons d’usine, ils ne risquent donc pas de voter une augmentation du salaire minimum. »
...
https://reporterre.net/On-a-tente-de-fa ... sociale-et