Collaboration avec les nazis, accord avec Daech : la légende noire du cimentier Lafarge révélée dans un documentaire
"Complément d'Enquête" s'est intéressé aux liens entretenus par Lafarge avec des groupes rebelles en Syrie dès 2011. Et notamment comment le cimentier français a acheté des laissez-passer aux djihadistes de l'organisation État islamique pour continuer à faire du commerce coûte que coûte.
Pour le groupe Lafarge, ce 10 juillet 2015 est à marquer d'une pierre blanche, à l'image de la teinte si particulière de la roche extraite depuis 1833 de la carrière de la montagne Saint-Victor en Ardèche, qui fit la renommée de l'entreprise. Presque deux siècles après sa création, la signature d'un accord effectif de fusion, nettement à l'avantage de son dauphin dans le secteur, le Suisse Holcim, fait tomber le cimentier de son piédestal : pour garder son leadership, la petite entreprise familiale des Pavin de Lafarge, devenue numéro mondial du ciment dans les années 1980, doit se résoudre à se faire avaler par son numéro deux.
"Financement d'entreprise terroriste" et "mise en danger de la vie d'autrui"
Pour ce "joyau" de l'industrie française, c'est un énorme coup dur. Mais ce n'est rien, comparé à ce qui l'attend sur le plan judiciaire. Pendant un an, les journalistes Matthieu Fauroux, Brice Baubit et Mickaël Bozo ont enquêté sur les liens entretenus entre le cimentier français et différents groupes rebelles en Syrie, à proximité de l'usine de Jalabiya, au nord du pays. Ils en ont tiré un documentaire édifiant intitulé Lafarge : les sombres affaires du roi du ciment pour Complément d'enquête sur France 2.
L'affaire éclate au grand jour le 21 juin 2016, avec les révélations du quotidien Le Monde, sur le financement de plusieurs groupes armés pour permettre la poursuite des activités du groupe Lafarge dans leur usine syrienne de Jalabiya. Pour avoir persisté à maintenir son activité économique dans une zone en état de guerre civile, de 2011 à 2014, alors que d'autres entreprises françaises installées dans la région ont elles renoncé (parmi lesquelles Total ou Air Liquide), plusieurs dirigeants de la société vont être mis en examen en décembre 2017 pour "financement d'entreprise terroriste" et "mise en danger de la vie d'autrui" : deux directeurs successifs de la filiale syrienne du groupe – Bruno Pescheux et Frédéric Jolibois – l'ancien PDG de 2007 à 2015 Bruno Lafont et son successeur Eric Olsen, ainsi que l'ancien directeur général adjoint Christian Herrault et l'ancien directeur de sûreté du groupe, Jean-Claude Veillard.
Du paternalisme Lafarge à la collaboration avec le régime nazi
Le film d'une heure, diffusé jeudi 22 mars sur France 2, pourrait se découper en trois parties. Les auteurs commencent par revenir sur l'histoire du cimentier ; celle de la "success story" Lafarge, de ses exceptionnelles carrières de l'Ardèche offrant une roche à la pureté inégalée, de la cité ouvrière construite sur-mesure pour les employés qui ne manquent de rien. Ce que les auteurs qualifient de "paternalisme Lafarge" : une maternité gratuite, des cafés, commerces et même une caisse de retraites, un siècle avant la sécurité sociale. Mais les rêves de grandeurs des dirigeants du cimentier vont peu à peu assombrir la légende de l'entreprise. Numéro un français du secteur avant la Second Guerre mondiale, l'obtention du chantier du tristement célèbre Mur de l'Atlantique dans les années 1940 et la participation du dirigeant d'alors, Henri Pavin de Lafarge, au Conseil national (le gouvernement de Vichy) vont à jamais faire basculer la destinée du groupe.
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