Légitime défiance : quelques notes sur les récentes réformes de la police
Cette semaine était examinée devant le Sénat [1] la réforme de la « sécurité publique ». Cette loi répond à une veille revendication des syndicats majoritaires et vient ponctuer une période qui, depuis la mort de Rémi Fraisse en passant par celle d’Adama Traoré, a vu les violences et les crimes policiers devenir un sujet un peu moins confidentiel dans les médias.
Sur les cinquante dernières années, 10 à 15 personnes décèdent chaque année du fait des forces de l’ordre. Dans la majorité des cas [2], la personne décédée était désarmée. On l’a dit et redit, ces morts ne sont jamais des bavures (le terme ne veut rien dire) mais le résultat de l’activité normale de la police. D’où leur insupportable régularité dans le temps.
Quand la police réprime un trouble, il lui arrive d’insulter, de s’énerver, de blesser, de mutiler et parfois de tuer. Les récents battage autour des violences policières pendant le mouvement contre la loi Travail ont fait découvrir à certains ce qui était une évidence pour d’autres : l’objet de la police est la défense coûte que coûte de l’ordre social, et pour ça, tous les coups sont permis. Ainsi l’état d’urgence, s’il accroît symboliquement les possibilités de l’impunité policière, ne vient que renforcer cette vérité connue de quiconque a déjà eu à faire à la police : cette dernière incarne l’exception au droit.
Jusqu’à présent, les règles qui autorisaient le tir à balles réelles n’étaient pas tout à fait les mêmes entre police et gendarmerie nationales. Ces derniers, militaires, avaient de ce fait des règles légèrement plus « libérales », en ce qui concerne l’utilisation de leurs armes, que celles des policiers. À la veille de l’élection présidentielle [3], le gouvernement se propose de mettre un terme à tout ça avec une « modification des conditions d’engagement pour les policiers » en le calquant sur celui de la gendarmerie. A l’avenir, en droit, le tir devient possible après sommation pour arrêter une personne récalcitrante et qui s’enfuit. En fait, en réalité, ce droit est déjà effectif : déjà en 1997 à Dammarie-les-Lys, un équipage de la BAC abat dans le dos le conducteur d’une voiture, Abdelkader Bouziane, qui refusait de s’arrêter. Le policier a bien sûr bénéficié d’un non-lieu.
En matière d’usage des armes, la situation sur le terrain ne devrait donc pas changer sensiblement. Les gendarmes sont déjà soumis à ce système et il n’y a pourtant pas une disparité notable en terme de morts par rapport aux policiers. C’est en fait une mesure essentiellement symbolique. En donnant le signal que les règles d’engagement sont assouplies, on réaffirme surtout le soutien moral et pénal de l’État à son bras armé. En ces temps où l’action de la police est régulièrement remise en cause, où le gendarme qui a tué à coup de grenade Rémi Fraisse sur la ZAD de Sivens fin 2014 [4] va sans doute bénéficier d’un non-lieu, le gouvernement fait le choix de la fuite en avant en encourageant les forces de l’ordre à poursuivre sur leur lancée. Décidément, la radicalisation est peut-être effectivement le phénomène politique le plus partagé du moment.
Les chiffres sont là. Dans les cas de morts impliquant des policiers sur les trente dernières années, seuls 30% des policiers meurtriers ont été condamnés à une peine et seulement 5% à de la prison ferme. Si ces meurtres ne sont pas reconnus comme tels et sont si peu punis, c’est que le système pénal reconnaît finalement ces épisodes comme des sortes de dommages collatéraux du fonctionnement normal de la police. Il faut noter que cette protection dont bénéficient les flics concerne aussi d’autres pratiques comme celles des éborgnements au flash-ball [5] ou à la grenade de désencerclement [6] par exemple.
L’accroissement du concept de « légitime défense » des policiers, y compris municipaux, correspond à l’aggravation de la qualification des atteintes aux fonctionnaires de police. L’attaque d’une voiture de police au cocktail molotov, quai de Valmy, le 18 mai 2016, ou celle réalisée à Viry-Châtillon, le 8 octobre 2016, ont été traitées comme des tentatives d’homicide. En dehors des peines de prison préventives que ce traitement suppose, cette configuration laisse imaginer qu’un policier pourrait engager son arme face à de simples cocktails « molotov ».
Le gouvernement montre au passage qu’il sait se montrer généreux avec ceux qui le protègent : il propose de glisser un petit cadeau aux fonctionnaires de police avec la réforme de l’outrage. Les juges, censés jusqu’alors représenter toute l’autorité de la Justice, bénéficiaient d’une protection en matière d’outrage symboliquement plus importante que les autres fonctionnaires, et donc de condamnations plus lourdes. L’outrage au policier devrait rejoindre le niveau de celui du juges histoire de pouvoir rappeler à tout le monde de pas broncher.
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