Comment lutter efficacement contre Daech et l’idéologie salafiste sans fouler du pied les principes du droit, sans renoncer à ce que nous sommes et avons bâti ? Quelles seront les conséquences sur notre démocratie déjà bien affaiblie de la révision de la Constitution et des mesures d’exception en préparation ? La réponse par les armes est-elle vraiment la seule possible ? Entretien avec le juriste Jean-Pierre Dubois, président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme, et secrétaire général adjoint de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH).
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Paris, le 19 novembre 2015 — L'Assemblée nationale a voté aujourd'hui le projet de loi sur la refonte de l'état d'urgence1, adopté en extrême urgence dans un climat de surenchère autoritaire sans précédent. La Quadrature du Net s'inquiète de plusieurs mesures contenues dans la loi, notamment concernant les perquisitions informatiques, la censure d'Internet et la liberté d'association. À rebours de toute réflexion de fond sur les causes profondes des attentats et la manière de régler une situation complexe, la classe politique dans son ensemble se désavoue elle-même en répondant par la restriction générale des libertés publiques à une attaque sans précédent contre nos libertés.
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La phase 4 de l’alerte antiterroriste vient d’être déclarée à Bruxelles. où quasiment tous les manifs sont interdites. On peut craindre que ce soit le cas pour la manifestation du 29 novembre sur le climat alors plus que 9000 personnes étaient inscrits pour les trains et les bus afin d’y participer. Cette manifestation offrait une alternative au voyage à Paris:i. Dans ce context, l’interdiction de la conférence sur la Syrie à Saint-Gilles crée un précédent très dangereux, d’autant plus qu’elle a été décidée le vendredi en fin de matinée, soit avant même avant que le « niveau de menace » soit porté à 4.
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Restriction des libertés publiques une semaine après les attentats qui ont eu lieu à Paris et Saint-DenisUne semaine après les attentats qui ont eu lieu à Paris et Saint-Denis durant la nuit du vendredi 13 au samedi 14 novembre, nous sommes encore bouleversé-e-s par ces actes odieux et insupportables. Nos pensées vont tout d’abord aux victimes et à leurs proches, auxquels nous témoignons toute notre solidarité.
Cette émotion légitime ne doit cependant pas nous amener à délaisser la réflexion collective et à accepter sans réagir les conséquences politiques voire l’instrumentalisation de ces attaques.
À la suite de ces attentats, le Président de la République et le gouvernement ont en effet décidé de lancer une mobilisation nationale et de restreindre les libertés sous prétexte d’assurer la sécurité de la population.
Cette restriction des libertés publiques se traduit par des mesures sécuritaires mises en œuvre dans le cadre de l’état d’urgence dont la prorogation vient d’être votée en première lecture par l’Assemblée.
Dans la zone de défense de Paris, cela se traduit également par un arrêté pris par la Préfecture de Police pour maintenir l’interdiction des manifestations sur la voie publique jusqu’au dimanche 22 novembre à minuit. Cette interdiction de manifester sonne comme une interdiction de revendiquer et paralyse toutes les mobilisations sociales : depuis le début de la semaine, l’interdiction de manifester a ainsi mené à l’annulation de la grève à l’APHP le 17 novembre, de la grève des Finances Publiques le 18 novembre et de la grève des travailleurs et travailleuses d’Air France le 19 novembre.
Ce week-end, la manifestation contre les violences faites aux femmes prévue le 21 novembre a dû être annulée et la manifestation de solidarité avec les migrants et migrantes du 22 novembre est interdite. Au-delà, les initiatives revendicatives prévues à l’occasion de la Cop21 le 29 novembre et le 12 décembre sont également interdites. Nous sommes choqué-e-s par ces interdictions qui ne frappent que le mouvement social alors que les centres commerciaux continuent d’accueillir des milliers de consommateurs chaque jour et que les événements sportifs sont maintenus.
L’Union départementale Solidaires Paris ainsi que les structures syndicales qui la composent sont parties prenantes de toutes ces mobilisations. En les interdisant, les pouvoirs publics étouffent nos revendications : à la colère suscitée par les attentats vient s’ajouter le sentiment de confiscation de notre liberté. Nous nous devons de continuer les luttes qui nous animent et nous dénonçons les interdictions qui frappent le mouvement social et le droit de revendiquer. Dès maintenant, nous demandons la levée immédiate de ces interdictions et affirmons que c’est au mouvement social lui-même de décider ses manifestations.
En frappant de manière violente et spectaculaire la population civile, les assassins de Daech tentent de nous opposer les un-e-s aux autres et de fracturer la société, nous résisterons en luttant toutes et tous ensemble.
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Le combat social, voilà la guerre véritable
Après le terrorisme djihadiste, voici revenue la terreur d’État. Une terreur alimentée par une classe politique qui dit « amen » aux délires ultra sécuritaires d’un gouvernement qui lui-même n’en finit plus d’alimenter la peur, à coups de déclarations imbéciles et infondées, sur, par exemple, la crainte d’attaques chimiques. « C’est la guerre », nous dit-on partout, sur les plateaux télé, dans les journaux, au travail. Des milliers de militaires et de flics se déploient dans nos rues, armes lourdes en bandoulière. Les regards sont suspicieux, la police contrôle à tout-va, ici une voiture, là un individu jugé suspect. Les perquisitions se multiplient, on casse des portes, on traîne des hommes à moitié nu dans la rue, le tout sans mandat – l’état d’urgence permet tout. Cette situation hallucinante, dans laquelle l’État exhibe sa force de frappe, nous est partout présentée comme normale. « C’est normal, nous sommes en guerre. » Personne n’ose émettre la moindre critique à l’égard de ce défilé de bottes et d’armes ; la preuve en est : le vote de 551 députés sur 557 exprimés pour la prolongation de l’état d’urgence. Au contraire, on n’a de cesse d’encenser les flics, qu’on nous présente comme des héros habités par le courage, valeureux et téméraires, bons et prêts à servir. On oublie les innombrables bavures mortelles qui ensanglantent l’uniforme des petits soldats de la République, on oublie les manifestations dispersées dans la violence, on oublie les insultes essuyées lors des contrôles, bref on fait table rase de tout ce qui pourrait ternir l’image d’une institution policière présentée comme le dernier rempart à la barbarie.
L’État nous rejoue son tour de passe-passe favori. Affaibli par une situation économique désastreuse qu’il n’arrive pas à redresser et par la preuve flagrante de son incapacité réelle à protéger ses sujets, il cherche à retrouver sa légitimité à travers sa police et dans la violence. Un choix politique fort, qui traduit bien ses principales préoccupations – régaliennes et sécuritaires –, là où il aurait très bien pu, par exemple, réinvestir dans les services publics et la protection sociale qu’il détruit peu à peu. Car, ne nous leurrons pas, le terrorisme djihadiste n’est rien d’autre que l’enfant terrible d’une république bourgeoise qui engendre pauvreté, misère et précarité, sacrifiant le quotidien de millions de personnes sur l’autel des profits de ses classes dominantes et possédantes. L’islamisme radical s’implante dans les quartiers populaires en se greffant sur certaines des colères légitimes qui les habitent et en se présentant comme la solution dans ces territoires où l’État social a quasiment disparu. L’État, mais aussi le mouvement social, syndical et associatif, désormais réduit à portion congrue. Une disparition qui, cette fois, nous concerne tous et qui devrait interroger tous ceux qui, à juste titre, ne mettent aucun espoir en l’État. La meilleure riposte contre l’islamisme n’a jamais été dans un déploiement décomplexé de forces militaro-policières ni dans la multiplication des enfermements carcéraux, qui ne font qu’attiser une haine sociale légitime qui pourrait trouver refuge dans des idéologies meurtrières qui frappent aveuglément. La seule réponse qui vaille, la seule réponse pérenne, est une réponse sociale, qu’on doit construire en apprenant à analyser les oppressions que nous subissons, afin de mieux comprendre d’où elles viennent et qui elles servent. Et ainsi ne pas se tromper d’ennemi quand l’heure est au combat.
L’ennemi n’est pas plus le travailleur musulman que le travailleur fan de rock, ce n’est pas celui qui, après le travail, se réfugie dans une mosquée ni celui qui lui préfère la terrasse d’un bar. L’ennemi, c’est cet État qui nous surveille et nous opprime, c’est ce patronat qui nous exploite, c’est cette classe politique qui nous monte les uns contre les autres, ce sont ces pouvoirs théocratiques qui nous abrutissent. Toutes ces institutions, tous ces individus, toutes ces idéologies sont les premiers responsables de la misère et de la violence sociales. Et tant que nous ne prendrons pas conscience qu’au-delà des appartenances nationales et religieuses, qu’au-delà des sexualités et des cultures, on appartient tous à une même classe d’exploités, que nous partageons tous, bien qu’à des degrés divers, la même souffrance, eh bien nous ne sortirons jamais de la spirale de mort dans laquelle le capitalisme et l’État nous ont enfermés. Un gros travail d'implantation sociale est à impulser ou à poursuivre, dans nos quartiers, dans nos lieux de vie, dans les entreprises qui nous emploient, pour ne pas laisser ces déserts politiques à la merci de l'extrême droite et des fanatiques de tous poils. Le tissu syndical et associatif est un des vecteurs principaux de cette implantation, et il est plus que jamais nécessaire de ne pas le laisser dépérir.
En attendant, il nous appartient à tous de nous mobiliser contre le danger immédiat qui nous guette, et qui a déjà frappé : cet état d’urgence qui préfigure un État encore plus policier, encore plus répressif, encore plus violent, un État terroriste. Le climat de peur que les politiques et les médias instaurent n’est là que pour légitimer un peu plus ces solutions démagogiques qui reviennent à sacrifier nos libertés individuelles et collectives à une sécurité qu’on sait déjà cruellement illusoire. Il serait dangereux et faux de croire que ce ne sont pas nos libertés qu’on abandonne, mais seulement celles du voisin terroriste ; ces mesures nous concernent tous et servent les intérêts des mêmes dominants. Déjà, d’ailleurs, le crime leur profite : l’état d’urgence leur a permis d’interdire des rassemblements et des manifestations, notamment celle qui, le 29 novembre, entendait dénoncer la mascarade politique qu’ils appellent COP21. À ces interdictions opportunes pour le gouvernement s’ajoutent aussi tous les cadeaux faits aux forces dites de l’ordre. Ainsi les pressions des syndicats de police ont-elles fait plier, sans trop forcer, la direction générale de la police nationale, qui vient d’autoriser les flics à porter leur arme en toutes circonstances, même en dehors de leur service, achevant d’en faire les petits cow-boys qu’ils rêvaient d’être.
De même, il nous appartient de dénoncer et de combattre, dans la rue si besoin, les sursauts nationalistes et patriotiques, qu’ils prennent les formes odieuses du racisme et de l’islamophobie ou, simplement, de la bêtise crasse, celle qui entend ériger en modèle culturel dominant des modes de vie complètement fantasmés et à cent lieues des quotidiens misérables et précaires d’une large partie du prolétariat français et immigré. Non, Paris, ce n’est pas seulement des terrasses et des concerts de rock, c’est aussi le théâtre d’une gentrification violente et de l'exploitation économique, le lieu d’errance dramatique de centaines de sans-domicile-fixe, des campements de migrants harcelés par les flics, des humiliations policières racistes dans les transports en commun et les quartiers populaires, des lieux de vie fascistes. Paris n’est pas une fête pour tout le monde, c’est une ville à l’image de notre société, où la richesse côtoie la misère et où l’impunité des puissants nargue la répression tous azimuts des classes populaires.
Groupe anarchiste Salvador-Seguí (FA)
Paris, le 21 novembre 2015