Pointer au chômage plutôt qu’au travail : les combines des multinationales pour couler définitivement leurs usines
Lorsqu’elles décident de fermer un site, les multinationales ne lésinent pas sur les moyens. Quitte, dans les cas extrêmes, à saboter les machines. La « loi Florange » de 2014 leur impose la recherche d’un repreneur, mais sans obligation de résultat. Comme les directions n’ont souvent aucune envie de voir s’implanter un concurrent – ou, pire, de laisser les clés aux salariés qui auront créé leur société coopérative – elles usent de tous les stratagèmes disponibles pour empêcher une reprise. Combien de sites industriels rentables ferment ainsi chaque année ?
A Docelles, un village niché au creux des Vosges, la nouvelle a semé la consternation cet automne. La direction du groupe forestier finlandais UPM aurait envoyé une équipe pour saboter son ancienne papeterie, à l’arrêt depuis 2014 et dont les équipements devaient être vendus aux enchères quelques jours plus tard. Objectif : empêcher des concurrents de racheter les pièces pour les remettre en service ailleurs. Les saboteurs n’ont pas hésité à percer des machines neuves, dont certaines valent jusqu’à 700 000 euros pièce.
« La nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre, et des journalistes de tout le pays sont venus faire des reportages, raconte le maire, Christian Tarantola [1]. Tout le monde est écœuré. Des habitants sont venus me trouver pour tenter de comprendre. » Ancien représentant CFE-CGC, Nicolas Prévot a travaillé 17 ans dans l’usine : « En l’apprenant cela dans la presse, j’ai eu, comme les autres, un sentiment d’immense gâchis. Dans toute cette affaire, nous n’avons jamais eu notre mot à dire. UPM nous a menti depuis l’annonce de la fermeture, en prétendant qu’ils avaient l’intention de vendre. »
Fermer des usines pour faire monter les prix
Lorsque le DRH apprend aux salariés, un matin de 2013, que le groupe a l’intention de fermer le site six mois plus tard, c’est le début d’une course contre la montre. Plusieurs projets de rachat émergent, dont un plan de reprise en société coopérative et participative (Scop) porté par les 85 salariés de l’usine (lire ici). L’usine attire aussi des industriels du papier, comme Pocheco, basé dans le Nord [2]. Son dirigeant, Emmanuel Druon, bataille pour racheter le site. Sans succès.
« Quand l’annonce de mise en vente a été publiée, nous avons sauté sur l’occasion, explique-t-il. La papeterie de Docelles est une entreprise ancienne mais polyvalente et moderne, capable de produire des papiers de grande qualité. Notre idée était de nous implanter sur des marchés de niche, afin de ne pas se frotter aux grands groupes. » Pourtant, Emmanuel Druon se heurte à un mur : « Les émissaires du groupe m’ont fait comprendre qu’ils se fichaient de notre projet. Leur préoccupation était de fermer des usines en série pour réduire l’offre de papier sur le marché européen, et faire remonter les prix, cela afin d’augmenter leurs marges. J’ai appris par la suite que les coûts de fermeture du site devaient être amortis en cinq ans par UPM, grâce aux seuls gains représentés par les hausses de taux de marge. »
Au nom de la « liberté d’entreprendre »
UPM n’aura donc pas hésité à saboter l’usine avant de partir. Son dirigeant français avoue, au détour d’un article, que le procédé a été utilisé dans d’autres pays européens, accréditant la théorie d’Emmanuel Druon. Si ces sabotages choquent par leur brutalité, ce qu’ils révèlent n’a rien d’inédit. Bien souvent, les grands groupes rechignent à céder une usine destinée à être fermée. C’est précisément pour leur forcer la main qu’une loi est entrée en application en 2014, après des mois de polémique – et une promesse un peu hâtive formulée par le candidat François Hollande sur le toit d’une camionnette. Surnommé « Loi Florange », le texte oblige les entreprises de plus de 1000 salariés à chercher un repreneur lorsqu’elles envisagent la fermeture d’une usine impliquant des licenciements.
A l’époque, le Medef était monté au créneau, dénonçant sans originalité une atteinte à la liberté d’entreprendre. Les partisans du texte n’avaient pourtant rien de dangereux révolutionnaires, à l’instar du très modéré François Brottes, ex-député PS : « Nous vivons dans un système de libre-échange, c’est exact, déclarait-il alors. Mais si une entreprise travaille à créer un désert autour d’elle, en empêchant que les activités qu’elle arrête soient reprises par les salariés ou par d’autres concurrents, joue-t-elle le jeu du libre échange ? »
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