Expo. Quand la bande dessinée s’affichait sur les murs
L’exposition présentée à la Cité de la bande dessinée à Angoulême retrace les liens entre le septième art et les luttes politiques, sociales, et son utilisation au service de la communication et de la propagande.
À travers un choix d’environ 90 affiches, toutes provenant de la collection personnelle du collectionneur Michel Dixmier, l’exposition « Un siècle d’affiches politiques et sociales en bande dessinée » propose, via un parcours chronologique, une évocation de ce corpus méconnu.
Les documents les plus anciens, datés de la toute fin du XIXe siècle, se présentent comme des estampes populaires du type images d’Épinal. « Il y a déjà, à cette époque, pléthore d’images à caractère politique, destinées à influencer l’opinion. On retrouve les thèmes militaires, les campagnes napoléoniennes, la religion… Les affiches ne se privent pas de dire pour qui ne pas voter : les dreyfusards, les juifs, les francs-maçons. De fait, les mouvements de droite utilisent ce support pour diffuser des images antidreyfusardes, propager des idées antisémites et antimaçonniques », commente Thierry Groensteen, commissaire de l’exposition. Et de préciser : « Le lithographe Gaston Lucq, dit Glucq, a créé même un commerce de “publicité industrielle et propagande politique par l’image populaire”. Dès lors, on constate qu’il existe “des zones de recouvrement entre les affiches politiques et la bande dessinée”. »
En 1969, la bande dessinée passait facilement la rampe du politique
À l’issue de la Première Guerre mondiale, l’affiche politique illustrée devient, en France, un instrument de propagande majeur. Et le procédé narratif de la bande dessinée se prête aux messages pamphlétaires. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement de Vichy assure lui aussi sa propagande, notamment antigaulliste, par voie d’affiches, dont quelques-unes sous forme de bande dessinée. On apprend ainsi qu’il existe une maladie honteuse baptisée « la dingaulite » ! Ou encore qu’il faut se méfier de « l’ignobilis youdicus » et du « francus maçonnicus »…
Au fil de l’exposition, il est aisé de constater que la droite ne se prive pas d’utiliser ce support à des fins propagandistes. Sur cette période, courant jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, seules trois affiches exposées proviennent en effet de la gauche. Ainsi celle, émanant de la ligue anarchiste, sur l’affaire Aernoult/Rousset. Une histoire terrible. En 1909, un soldat envoyé dans un camp de discipline en Algérie est battu à mort par des gradés. Un témoin de la scène dénonce ce crime aux autorités militaires et se retrouve menacé, torturé, et passe en conseil de guerre, où on essaie de lui imposer le silence. Condamné à cinq ans de prison, Rousset avait réussi à alerté la presse métropolitaine. Un comité de soutien se crée et l’affaire prend de l’ampleur. Grâce à cette mobilisation, Rousset sera libéré avant d’avoir fini de purger sa peine…
Marginale jusqu’à la fin des années 1960, la bande dessinée, dans la foulée de Mai 68, est massivement mise à contribution dans la production d’affiches. « On peut d’ailleurs se demander pourquoi la droite, qui en avait jusque-là le monopole, l’a désertée après guerre », questionne Thierry Groensteen. On peut aussi s’interroger sur l’absence d’affiches engagées sous forme de BD entre 1945 et la fin des années soixante… Prévenant qu’il n’a « pas de réponse claire et évidente », Michel Dixmier, le propriétaire des affiches exposées, imagine que cette absence est « liée à la place de la bande dessinée dans le paysage culturel français de l’époque ».
La sortie, en 1969, d’Hara Kiri Hebdo a sans nul doute changé la donne et montré que la bande dessinée passait facilement la rampe du politique. Avec Cabu, Wolinski, le dessin devient une arme graphique. Dès lors, tout le monde s’y met. La bande dessinée est l’apanage d’un militantisme de gauche. Partis, syndicats, associations, comités de quartier s’en servent pour promouvoir des messages politiques, écologiques, féministes, homosexuels, antimilitaristes, anarchistes ou de soutien à la presse alternative. « La corrélation entre BD et politique n’a pas toujours été un chemin linéaire. Mais Hara Kiri a montré qu’on pouvait faire rire en politique tout en étant méchant, qu’on pouvait faire de la politique sérieuse avec des moyens qui ne l’étaient pas. Après dix ans de puritanisme gaulliste, les gens ont adoré », analyse Michel Dixmier. Dès 1967, les situationnistes reprenaient des planches de BD en changeant les phylactères. Les syndicats s’y mettent, la CGT et la CFDT éditent des affiches façon BD, non signées, réalisées par des militants amateurs du 9e art. Les partis politiques aussi, notamment le Parti communiste, avec des affiches signées Wolinski.
« Un siècle d’affiches politiques et sociales en bande dessinée », jusqu’au 31 décembre 2016, musée de la Bande dessinée, quai de Charente, Angoulême.
Alexandra Chaignon
