de digger » 26 Déc 2011, 12:54
Extrait de The Ragged Trousered Philanthropists.. Robert Tressell, de son vrai nom, Robert Noonan (1870 - 1911)
Pas de traduction française à ma connaissance.
‘L’argent est la cause de la pauvreté parce que c’est le moyen avec lequel celles et ceux qui sont trop paresseux pour travailler sont à même de voler les travailleurs du fruit de leur travail’
‘Prouve le,’ dit Crass.
Owen replia lentement le journal qu’il était en train de lire et le fourra dans sa poche.
‘Très bien,’ répondit il. ‘Je vais vous montrer comment fonctionne la Grande Escroquerie de l’Argent.’
Owen ouvrit son panier-repas et en sortit deux tranches de pain, mais comme ce n’était pas suffisant, il demanda à ceux qui avaient du pain de reste de le lui donner. Ils lui en donnèrent plusieurs morceaux, qu’il disposa en piles sur un bout de papier propre, et, ayant emprunté à Easton, Harlow et Philpot le couteau de poche qu’ils utilisaient pour couper et manger leurs repas, il s’adressa à eux en ces termes:
‘Ces morceaux de pain représentent la matière première qui existe à l’état naturel sur et dans la terre pour l’usage de l’humanité; elle n’a pas été créée par un être humain mais par le Grand Esprit pour le bien et le confort de tous, de la même façon que l’air et la lumière du soleil.’
... ‘Maintenant’ continua Owen, ‘Je suis un capitaliste; ou, plutôt, je représente la classe des propriétaires terriens et capitaliste. Cela signifie que toute ces matières premières m’appartiennent. A ce stade de notre histoire, comment je les ai obtenues ou si j’ai des droits réels sur elles ; la seule chose qui compte maintenant, c’est que ces matières premières nécessaires à la production des besoins indispensables à la vie sont maintenant en possession des capitalistes et propriétaires terriens. Je représente cette classe: toutes ces matières premières m’appartiennent.’
... ‘Maintenant, tous les trois, vous représentez la Classe Ouvrière : vous n’avez rien– et moi, bien que je possède toutes ces matières premières, je n’en ai pas utilité. Ce dont j’ai besoin c’est ce qui peut être fabriqué à partir d’elles par le Travail: mais comme je suis trop paresseux pour travailler moi-même, j’ai inventé l’Escroquerie de l’Argent pour vous faire travailler. Mais d’abord, je dois vous expliquer que , en plus des matières premières, je possède autre chose. Ces trois couteaux représentent toutes les machines et les outils de production, les voies ferrées et tout ce qui s’ensuit, sans lesquels ne peuvent être produits en abondance les biens nécessaires à la vie Et ces trois pièces de monnaie.’ – il sort trois demis pennies de sa poche – ‘représentent mon Capital.’
‘Mais avant d’aller plus loin,’ s’interrompt Owen, ‘il est essentiel que vous vous souveniez que je ne suis pas seulement "un" capitaliste mais que je représente la Classe Capitaliste dans son ensemble . De la même façon, vous n’êtes pas seulement trois travailleurs – vous représentez l’ensemble de la Classe Ouvrière.’
... Owen commença à découper les tranches de pains en de nombreux petits morceaux carrés .
‘Ils représentent les biens produits par le travail, à partir des matières premières, aidé par toute la machinerie. Nous supposerons que trois de ces morceaux représentent une semaine de travail. Nous supposerons qu’une semaine de travail vaut une livre et que ces demi-pennies valent un souverain . ...
‘Maintenant, voilà la manière de fonctionner de l’escroquerie -’
... Owen s’adressa alors à la classe ouvrière représentée par Philpot, Harlow et Easton.
‘Vous dites que vous avez besoin d’un travail et comme je suis la Classe Capitaliste au grand cœur, je vais investir tout mon argent dans différentes industries pour vous donner Beaucoup de Travail. Je vous paierai une livre par semaine et dans une semaine de travail, vous devrez produire chacun trois de ces morceaux de pain. En échange, vous recevrez votre salaire; l’argent sera à vous et vous pourrez en faire ce que vous voudrez, et les choses que vous produirez seront bien sûr à moi et je pourrai en faire ce que je veux. Vous prendrez chacun une de ces machines et aussitôt que vous aurez réalisé le travail d’une semaine, vous recevrez votre argent..’
Suite à cela, la Classe Ouvrière se mit au travail et la Classe Capitaliste s’assit et les regarda. Aussitôt qu’ils eurent fini, ils lui donnèrent les neufs petits morceaux de pain que Owen plaça sur un petit bout de papier près de lui et il versa leurs salaires aux travailleurs. .
‘Ces morceaux représentent ce qui est indispensable à la vie. Vous ne pouvez pas vivre sans, mais comme ils m’appartiennent, vous allez être obligés de me les acheter: le prix que j’ai fixé pour ces morceaux est de une livre chacun.’
Comme la Classe Ouvrière avait besoin de ces biens essentiels à la vie et qu’elle ne pouvait pas boire, manger ou porter l’argent inutile , elle fut obligée d’être d’accord avec les conditions généreuses posées par les Capitalistes. Ils achetèrent chacun un tiers du produit de leur travail et le consommèrent aussitôt. La classe capitaliste dévora aussi deux des petits morceaux confectionnés, et donc, le résultat net de la semaine de travail était que le capitaliste généreux avait consommé des biens produits par le travail des autres pour une valeur de deux livres, et, en tenant compte de la valeur d’une livre par morceau confectionné, il avait plus que doublé son capital puisqu’il possédait toujours ses trois livres de départ et qu’il détenait en plus pour quatre livres de biens produits. Quant à la classe ouvrière, Philpot, Harlow et Easton, ayant dépensé, elle se retrouvait à son exact point de départ – elle ne possédait.
Ce mécanisme fut répété plusieurs fois: le travail hebdomadaire des producteurs fut payé. Ils continuèrent à travailler et à dépenser leurs salaires. Le capitaliste généreux consomma deux fois plus que chacun d’entre eux et le tas de ses richesses continua à grossir. En quelques instants, – en tenant compte de la valeur du marché de une livre de chaque petit morceau – il avait accumulé une centaine de livres environ et la classe ouvrière se trouvait toujours dans la même condition qu’au départ ,et elle se concentrait toujours sur son travail comme si sa vie en dépendait.
Au bout d’un moment, le reste de la foule se mit à rire et sa gaité augmenta encore lorsque le capitaliste généreux , juste après avoir vendu pour une livre de biens de première nécessité à chacun de ses travailleurs, s’empara soudainement de leurs outils –les Outils de Production - les couteaux, en les informant que, en raison de la Surproduction, tous ces entrepôts étaient saturés de biens de premières nécessités et qu’il avait décidé de mettre fin à leur travail.
‘Bien, et que diable allons- nous faire maintenant ?’ demanda Philpot.
‘Ce n’est pas mon problème,’ répondit le capitaliste généreux. ‘Je vous ai payé vos salaires et je vous ai fourni Beaucoup de Travail pendant longtemps. Je n’ai plus de travail à vous donner pour l’instant. Revenez voir dans quelques mois et je verrai ce que je peux faire pour vous.’
‘Mais que fais-tu des biens de première nécessité?’ demanda Harlow. ‘Nous devons avoir quelque chose à manger.’
‘Bien sûr que oui,’ répondit avec affabilité le capitaliste; ‘et je me ferai un plaisir de vous le vendre.’
‘Mais nous n’avons pas de ce putain d’argent!’
‘Vous ne pouvez pas attendre de moi que je vous donne mes biens pour rien! Vous n’avez pas travaillé pour moi gratuitement. Je vous ai payé pour votre travail et vous auriez du faire des économies : vous auriez du être aussi économe que moi . Regardez tout ce que j(ai après avoir été économe!’
Les chômeurs se regardèrent ébahis, mais le reste de la foule se contentait de rire; plus tous les trois commencèrent à insulter le généreux capitaliste, demandant qu’il leur donne un peu des biens de première nécessité entassés dans ses entrepôts , ou qu’il leur permettent de travailler pour produire quelques-uns de leurs besoins; ils menacèrent même de les lui prendre par force si il ne satisfaisait pas à leurs demandes. Mais le généreux capitaliste leur dit de ne pas être insolents et leur parla d’honnêteté ; il leur dit que si il n’était pas prudents ; il les ferait battre par la police, ou si nécessaire, il ferait appel à l’armée qui les abattrait comme des chiens, comme cela s’était déjà passé à Featherstone et à Belfast.