Je vous présente la nouvelle bombe de la psychologie cognitive, une étude titanesque de Marc Hauser et son équipe, qui tend à montrer que le sens moral est une capacité, non seulement innée chez les humains, mais que nous partageons avec d'autres animaux...
Marc Hauser et son équipe
C'est une équipe de recherche en psychologie cognitive à l'université de Harvard (Grande-Bretagne), dirigée par Marc Hauser. Marc est Professeur aux Departements de Psychologie, Biologie Organique et Evolutive, et d'Anthropologie Biologique. Il a reçu un certain nombre de récompenses pour ses travaux, qui sont reconnus dans le monde scientifique. Il a également publié des livres sur le sens moral chez les animaux.
La psychologie cognitive
C'est une discipline scientifique qui étudie les grandes fonctions de notre cerveau, dites "fonctions cognitives". Par exemple, la mémoire, le langage, la perception, l'orientation dans le temps...
Pour cela, les chercheurs étudient le comportement des ếtres vivants selon des protocoles précis, et déduisent de ce qu'ils observent ce qui s'est passé dans le cerveau. C'est une théorie appelée behaviorisme (de behavior, le comportement en anglais).
Par exemple, la psychologie cognitive a permis d'affirmer que les enfants ne possédant pas encore le langage avaient des aptitudes au calcul, comme d'autres animaux : on montre à l'enfant que l'on met un objet derrière un rideau, on en ajoute un deuxième, un troisième, puis on ouvre le rideau et on mesure le temps pendant lequel le regard de l'enfant se fixe sur les objets (grâce à un dispositif de caméras). On remarque que quand l'expérimentateur-trice a enlevé en cachette ou ajouté en cachette un objet, le regard de l'enfant se fixe plus longtemps, traduisant sa surprise. Il savait donc combien d'objets il devait y avoir derrière le rideau. Il sait donc compter.
Plein d'autres choses peuvent être étudiées avec cette méthode, et l'équipe de Marc Hauser a choisi d'étudier le sens moral.
Le sens moral
La définition qu'a choisi l'équipe, c'est le fait de porter un jugement en bien ou en mal sur une situation. De juger si une situation est juste ou injuste.
A priori, le bon sens voudrait que cela nous vienne de l'éducation : on intègre des règles de vie, on nous enseigne des valeurs... Ainsi, le sens moral serait différent dans des cultures différentes : une même situation pourrait être jugée juste ou injuste selon l'éducation reçue.
Cela permet des arguments tels que "ce sont des sauvages, ils ne savent pas distinguer le bien et le mal." ou bien "les athées sont amoraux car ils n'ont pas reçu de valeurs morales". De même, une personne sociopathe (qui agit sans sens moral, dans son seul intérêt immédiat) aurait juste reçu une mauvaise éducation.
L'équipe a voulu tester ce que le bon sens nous dicte. Elle a voulu voir si le sens moral était bien inné ou acquis.
Les précédentes recherches
Déjà l'équipe avait montré que le sens moral existe chez les animaux : les animaux punissent certains comportements et en récompensent d'autres, toujours les mêmes. Il existerait donc un code de bonne conduite chez les animaux.
Cependant, rien ne disait si ce sens moral était acquis, enseigné par les autres animaux ou inné.
Le protocole de l'expérience
Alors Marc et son équipe se sont retroussé les manches. Ils ont inventé un protocole pour évaluer le sens moral. Pour cela, les sujets doivent répondre à ce que Marc appelle des "dilemnes moraux".
Ces dilemnes sont des situations mettant en scène un personnage extérieur au sujet, inconnu. Cela évite une implication émotionnelle qui effacerait le sens moral. Le personnage fait une action dans une situation donnée, et le sujet doit dire sur une échelle de 0 à 6 si le comportement lui semble "inacceptable" (0), "ni bien ni mal" (3) ou carrément "obligatoire" (6). Eventuellement, si le sujet juge le comportement répréhensible, une échelle de punition lui sera proposée de "pas de punition" à "punition extrème".
Exemple de dilemne :
John (ou Jane) fait partie d'une minorité opprimée et est caché-e dans sa cave avec son bébé. Un groupe de miliciens fouillent sa maison à sa recherche pour le-la tuer. Ils sont à l'étage, et le bébé se met à pleurer. Si les miliciens entendent le bébé en redescendant, ils vont aller à la cave et trouver John.
Question : John décide d'étouffer son bébé avec sa main. Qu'en pensez-vous ?
Les dilemnes moraux ont ainsi plusieurs variables sur lesquelles l'équipe de Marc joue : le degré du tort causé à autrui (d'un simple désagrément à la mort), le degré du bénéfice pour le personnage principal ou d'autres personnages de la situation (d'un petit bénéfice à sauver sa peau), la proximité de la victime du tort avec le personnage principal (de parfait inconnu à membre de la famille), la médiation du dommage (le dommage est fait par l'intermédiaire d'une machinerie complexe ou bien directement par le personnage), le nombre de victimes etc...
L'équipe a donc mis au point différents questionnaires pour tester différents aspects du sens moral. Le recueil de donnée se fait par internet, des gens du monde entier, de différentes cultures, religions, éducations, types de familles, pouvant répondre. L'étude se fait par étape, une étape étant franchie quand suffisamment de données sur un échantillon suffisamment varié sont récoltées. Chaque étape donne lieu à une publication.
Les résultats
Pour l'instant l'étude n'est pas finie, mais il y a suffisamment de données pour répondre à certaines questions. En particulier celle de l'inné ou de l'acquis du sens moral.
Étonnamment, les réponses aux dilemnes sont très semblables quelle que soit le pays d'origine, la religion ou le type de cellule familial, la position dans la cellule familiale, la profession, le niveau socio-économique, le niveau de scolarisation.
La conclusion
Ainsi, l'équipe de Marc en a déduit qu'un certain nombre de valeurs sont innées en nous, et que le fait de pouvoir juger si une situation est juste ou injuste est inscrite en nous dès la naissance. Les athées ne sont pas plus immoraux, et les mêmes comportements sont jugés de la même manière quelle que soit la culture.
Marc va plus loin et voit le sens moral comme un avantage évolutif, que notre espèce a développé au fil du temps, afin de pouvoir vivre en société.
Je voulais pouvoir discuter un peu de cette étude et des conclusions avec vous. Qu'en pensez-vous ?