Un copain de du CA am m'envoie cet article paru aujourd'hui
IL s'agit d'une interview de Michel Onfray que l'on dit "libertaire"
Honnétement je n'ai jamais lu Onfray et je ne le connais que par ce que j'en sais des médias cad pas grand chose.
D'ailleurs ses rapports avec les médias officiels me poussent à m'en méfier, mais bon.
Je sais qu'il a appelé à voter Bové aux dernieres présidentielles, mais re-bon.
Je sais par contre aussi qu'il est à l'initiative des "universités populaires" et là je trouve que c'est une trés bonne chose.
Pour ceux que ça peut interesser je vous envoie le lien de l'article du Monde d'aujourd'hui et comme en général les accés aux articles du Monde sont limités dans le temps j'ai retranscris l'article dans son complet.
Peut-être cela permettra de se faire une idée plus précise du personnage "Onfray" ?
article du Monde 11juillet2008-Nietzche/OnfrayINTERVIEW MICHEL ONFRAY
Quelle est la place de Nietzsche et de sa pensée dans votre propre itinéraire philosophique ?
J'ai rencontré Nietzsche quand j'avais 17 ans, sur le marché d'Argentan, dans l'Orne, où j'habite toujours, à l'étalage d'une librairie d'occasion. J'y achetais des livres que je lisais de manière compulsive et, parmi ceux-là, la fameuse triade Nietzsche, Marx et Freud. Ces trois noms me firent l'effet d'un électrochoc. Je voulais être conducteur de train, ne me destinais aucunement à des études supérieures, et trouvais dans ces trois potions magiques des remèdes à trois maladies qui concernaient le fils de pauvre que j'étais, l'adolescent formaté par le christianisme et le grand dégingandé tourmenté par sa libido... Le Manifeste du Parti communiste me prouvait qu'on pouvait ne pas trouver indépassables l'horizon du capitalisme et la paupérisation qui l'accompagne immanquablement ; les Trois essais sur la théorie de la sexualité de Freud apportaient la preuve que la masturbation ne rend pas sourd, sinon nous vivrions dans un monde de malentendants ; L'Antéchrist démontrait que la religion chrétienne construite sous les auspices de saint Paul vit d'un culte de la pulsion de mort et qu'on peut lui préférer, en antidote, la pulsion de vie...
A l'époque, j'ai lu tout Nietzsche avec, parfois, de mauvaises raisons : par exemple en soulignant les passages misogynes, ou en y trouvant matière à une célébration de la force, dont je méconnaissais la nature métaphysique, ou encore en y goûtant particulièrement la dimension destructrice d'un monde qui ne me convenait pas. Lecture adolescente ! Plus tard, j'ai plutôt aimé la partie constructrice d'un monde où les valeurs et les vertus n'étaient pas chrétiennes mais grecques, ou plutôt romaines : l'héroïsme, le tragique, le sur-stoïcisme, l'ascèse vertueuse, la solitude, l'amitié. Je n'ai cessé de méditer Nietzsche depuis plus de trente ans. A la fin de cette année, j'aurai 50 ans et j'aurai publié cinquante livres. Or tous s'ouvrent par un exergue de Nietzsche. De sorte que l'ensemble de mon travail peut se lire comme un genre d'exégèse personnelle et subjective du philosophe.
La lecture de la correspondance et des biographies, sans souci des livres de gloses qui n'ajoutent rien au texte du philosophe, m'a permis d'entrer vraiment dans le coeur de la pensée qui est, selon la préface au Gai savoir, une confession autobiographique, un essai pour mener "une vie philosophique". Le projet est clairement annoncé dès la Considération intempestive consacrée à Schopenhauer. Dès lors, on comprend tout ce que l'oeuvre doit au ressentiment, à l'aveu d'impuissance, à la tentative de conduire sa vie selon ses principes, au chantier existentiel : l'oeuvre de Nietzsche est le journal de bord d'une conscience qui tâche, selon la belle expression d'Ainsi parlait Zarathoustra, de "se créer liberté".
Quel est le texte de Nietzsche qui vous a le plus marqué, nourri, et pourquoi ?
Incontestablement la préface au Gai savoir. Elle montre que la philosophie ne tombe pas du ciel, qu'elle n'est pas la résultante d'un genre de grâce qui concernerait des élus sans chair dont l'âme et l'esprit entreraient en relation directe avec le ciel des idées, mais le produit immanent d'un corps qui est, selon l'expression de Zarathoustra, "la Grande Raison". Cette thèse révolutionne la philosophie et l'histoire qu'on peut en faire. Après la période structuraliste, si dédaigneuse des biographies, la philosophie aujourd'hui s'incarne, elle prend du champ avec la pensée théorétique et débouche sur une formidable avenue : la philosophie pratique, autrement dit la pensée susceptible de produire des effets réels, concrets, existentiels. Après ce qu'il est convenu d'appeler la "fin des grands discours", donc après la mort des métaphysiques qui apportent des solutions clé en main (christianisme, marxisme, freudisme...), dans notre période dont chacun sait désormais, selon le diagnostic effectué par Nietzsche il y a plus d'un siècle, qu'elle est "nihiliste", cette révolution qui, dans l'esprit de la philosophie antique, propose une philosophie en acte et non pas en chambre, dans la vie quotidienne, et non dans l'amphithéâtre ou la bibliothèque d'une université, donne une santé nouvelle à une discipline qui, dès lors, déborde les ghettos dans lesquels elle se trouve confinée par les gardiens du théorétique pur.
Selon vous, où sa pensée trouve-t-elle aujourd'hui son actualité la plus intense ?
On mésestime la constance de la passion de Nietzsche pour Epicure. Il y eut plusieurs moments dans l'histoire du nietzschéisme, chacun d'entre eux correspond à l'esprit du temps. Notre époque a le souci d'une philosophie qui résolve des problèmes existentiels, qui pourvoit le sujet perdu dans l'époque d'une éthique digne de ce nom, susceptible de permettre "une vie philosophique". La spiritualité est une demande très forte à laquelle seules les religions répondent aujourd'hui, avec leurs fables. Or la philosophie est une alternative à la spiritualité monothéiste. La pensée de Nietzsche propose une éthique post-chrétienne à partir de laquelle on doit pouvoir penser à de nouveaux frais. Le dernier moment nietzschéen français - inauguré par la décade de Cerisy en juillet 1972 avec, entre autres, Derrida, Deleuze, Foucault - a fait long feu. Le temps semble venu pour un Nietzsche qui propose une morale alternative.
Le "surhomme" est une proposition éthique qu'il faut relire à rebours de toutes les lectures douteuses. Il faudrait faire une histoire des fantasmes produits autour de ce concept. Une définition minimale permet d'affirmer que le surhomme est celui : qui connaît la nature tragique du réel et sait que, dans un monde où la volonté de puissance domine, il n'y a guère de place pour la liberté ; qui, sachant ce déterminisme inéluctable, y consent ; et qui, forme parachevée de la surhumanité, finit par aimer son destin - "amor fati" dans le vocabulaire du philosophe.
Il convient de mettre en perspective cette double information pour découvrir un Nietzsche nouveau : que serait un surhomme dans l'esprit épicurien ? Autrement dit : est-ce que ce terme galvaudé, "surhomme", pourrait qualifier, par exemple, Epicure ou un épicurien ? Je crois pour ma part que oui. Je tâcherai d'en faire la démonstration dans mon séminaire de l'Université populaire de Caen à la rentrée prochaine avec une année intitulée "La construction du surhomme". Il faut désinfecter le concept, le rendre à Nietzsche en le plaçant dans la configuration de l'oeuvre complète.
En nietzschéen (c'est-à-dire non pas comme un ridicule clone de Nietzsche, mais comme quelqu'un qui se propose de penser à partir de Nietzsche), je pense donc que le surhomme est une proposition susceptible d'être faite à chacun pour envisager "une vie philosophique" ici et maintenant.
Propos recueillis par Jean Birnbaum
Article paru dans l'édition du 11.07.08.