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Elle est trop bonne
Lorsque le lascar des cités veut exalter la disponibilité sexuelle d’une connaissance féminine, il use d’une locution un peu rude, mais d’une parfaite clarté : « Elle est trop bonne, la meuf ! » Nous ne saurions douter qu’à l’heure actuelle, un peu partout dans le monde et surtout aux États-Unis, quelques hommes expriment un sentiment identique, même si, probablement, ils n’utilisent pas des termes identiques. Fidèle servante de l’humanité, la technique permet aujourd’hui aux solitaires de se sentir, enfin, aimés. Il fut un temps obscur, barbare pour tout dire, où les timides ne pouvaient s’épancher, psychologiquement comme physiologiquement, que dans les caoutchouteuses membranes des poupées gonflables. Cette triste époque est révolue. TC Systems, une entreprise américaine, longtemps spécialisée dans la fourniture de prothèses et de membres artificiels, de l’application à la santé des avancées de la robotique, s’est penchée sur le drame du séminal sans réceptacle, de l’émotionnel sans réciproque, de l’amour sans retour. De TC Systems naquit alors True Companion, une nouvelle compagnie vouée à la lutte contre l’onanisme malheureux. Grâce à Douglas Hines, fondateur de ces deux compagnies, à présent les robots sexuels existent. La preuve, True Companion les vend. À 995 dollars, ce qui n’est pas cher pour connaître le bonheur de la réciprocité dans l’amour.
Le charme discret de la vidéo
Depuis longtemps déjà, les fabricants d’effets spéciaux pour l’industrie cinématographique savent imiter la peau humaine et donner à leur produit la souplesse de l’original. Un peu de chauffage interne élève la chaleur humaine de ces charmants objets. Surtout, les efforts de milliers de concepteurs de logiciels de traduction, de collecte d’information, de synthèse vocale, de systèmes neuronaux, donnent à Roxxxy (la robote) et à Rocky (le robot) un sens de la répartie que bien des humains pourraient leur envier. Le site TrueCompanion.com propose une passionnante vidéo dans laquelle M. Hines, bel homme à la calvitie typique de la quarantaine et à l’embonpoint typique du travailleur digital, s’adresse ainsi à Roxxxy : « Je voudrais t’embrasser. » Roxxxy tourne la tête vers son maître, en un mouvement épuré qui évoque les précises chorégraphies des robots soudeurs sur la chaîne de Flins, et répond, de cette voix aux exotiques échos électriques qui charment tant les enfants dans leurs jouets mécaniques : « Mon chéri, je ne peux rien imaginer de meilleur ! »
On le voit, le logiciel Roxxxyesque vise autant à faire une lady d’une robote qu’un gentleman d’un célibataire. Mais M. Hines sait que, pour aussi chaleureux, nécessaires, réconfortants que s’avèrent les mots, les actes parlent mieux. M. Hines est donc fier, il le dit lui-même, de présenter une grande innovation, une étonnante surprise. L’image suivante de sa vidéo nous dévoile Roxxxy, dans un négligé des plus séduisants. Roxxxy est montrée de dos, et à genoux, les bras appuyés sur les accoudoirs d’un fauteuil placé en face d’elle. Je ne crois pas trahir les intentions de M. Hines en suggérant que l’on peut imaginer un homme, assis dans ce fauteuil, la tête de Roxxxy placée, comment dire… un peu au-dessus de ses genoux. Il suffit d’une commande vocale (le client peut évidemment entrer la commande qu’il souhaite ; gageons que « Ma chérie, aurais-tu la gentillesse de me rendre un service ? » remportera tous les suffrages) pour déclencher un mouvement régulier de la tête de Roxxxy, de haut en bas, destiné à la relaxation finale de l’homme assis dans le fauteuil. On découvre alors la supériorité de la robote sur la femelle humaine : quelle régularité dans le mouvement ! Quelle précision ! Surtout, quelle endurance : avec Roxxxy, nul relevé piteux de la tête suivi d’un décevant « Chéri, j’ai mal à la mâchoire », nul défi : « Bon, c’est quand mon tour ? » Non, Roxxxy fournit un service continu, irréprochable. Pour l’heure, on ne sait pas construire des robots dotés de l’autonomie d’un être humain. Le propriétaire doit la placer lui-même dans l’intéressante position que nous venons de décrire. M. Hines nous informe que Roxxxy ne pèse que 30 kg. Ce qui permet de la prendre dans ses bras pour la déplacer. Ne prend-on pas la mariée dans ses bras pour lui faire passer le seuil de la maison commune ? Quelle touche d’élégance !
Remercions donc Douglas Hines et TrueCompanion.com d’épargner à tant d’hommes les incertitudes, les désaccords, les altercations qui ternissent les charmes de l’amour entre humains. Remercions-le de permettre à chacun, pour la modique somme de 995 dollars, de vivre dans un rêve qu’aucun désir rival ne viendra troubler. Merci de faire de qui le souhaite un maître.
Nestor Potkine
